URL originale : https://books.openedition.org/editionsmsh/57413

Bilan, perspectives et conclusions
p. 343-346
Texte intégral
Jean Clottes fait la synthèse des deux journées de travaux du symposium.

© D. Plowy.
1Le symposium sur « Lascaux et la conservation en milieu souterrain » a suscité un énorme intérêt, y compris dans la presse, puisque sur les 267 participants inscrits on compte 21 journalistes. Cet intérêt est également international ; outre la France, 17 pays sur tous les continents furent représentés : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Australie, les Bermudes, le Brésil, la Côte-d’Ivoire, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suisse et la Zambie.
2Le symposium avait été voulu « ouvert » puisque tout un chacun pouvait s’y inscrire en ligne et y participer librement. Le nombre et la diversité des participants témoignent du succès de la formule. Les sessions, débats inclus, furent parfaitement bilingues – anglais et français –, grâce à la traduction simultanée.
3À l’issue de ces deux journées, particulièrement riches et denses, ma synthèse portera sur trois points principaux : le déroulement du symposium, les annonces officielles et les principaux résultats, et les recommandations pour l’avenir.
4Le déroulement du symposium
5En premier lieu, je prie les communicants, les présidents des sessions et les participants de bien vouloir excuser mon intransigeance concernant les horaires. Il fallait qu’ils fussent stricts et ils le furent. Contrairement à l’habitude lors de la plupart des manifestations de ce genre, on commença rigoureusement à l’heure à chaque session, et les communications restèrent exactement dans le cadre horaire imparti. C’était la condition nécessaire pour que les débats puissent avoir la même durée que les présentations, que des questions soient posées sur tous les sujets, que des avis divergents s’expriment et que des discussions se déroulent. Je remercie chaleureusement tous les participants pour les efforts consentis. En fait, chacun eut tellement à coeur de ne pas dépasser la demi-heure de sa communication que nous eûmes davantage de temps que prévu – environ une heure et demie en tout – pour les débats…
6Les présentations, que l’on peut ou pourra consulter en ligne, ont porté sur les paramètres principaux qui conditionnent la conservation de Lascaux et des grottes ornées, ainsi que sur l’historique de Lascaux, sur les problèmes affrontés, les mesures prises et l’état actuel de la grotte. Nos collègues d’autres pays, soit communicants – Japon et Espagne –, soit experts invités – Afrique du Sud, Allemagne, Australie, États-Unis, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, Portugal et République tchèque –, ont apporté des comparaisons précieuses et des éclairages différents. En effet, si la préservation de l’art rupestre est un souci partagé et si tant de menaces pèsent sur ces patrimoines essentiels, les problèmes et les solutions sont multiples et l’on ne peut qu’apprendre les uns des autres. Les nombreux témoignages qui nous sont parvenus durant et après le symposium prouvent que la haute qualité des communications comme la liberté et la richesse des débats ont été reconnus et appréciés. Cette réunion a ainsi rempli son objectif. Les faits concernant Lascaux furent exposés en toute clarté, y compris les erreurs commises. Les débats se déroulèrent comme il se doit, sans concession ni langue de bois, en pleine transparence, qu’il s’agisse des processus de décision, des événements survenus, des analyses effectuées, des obstacles ou des difficultés rencontrés et des perspectives d’avenir.
7S’il est évident que tout n’est pas réglé, que le malade n’est pas complètement guéri et que le symposium ne pouvait apporter de solution « miracle », on peut espérer que les malentendus qui pouvaient exister sur les événements de ces dernières années seront dissipés pour ceux qui ont à coeur la seule sauvegarde de Lascaux.
8Annonces et résultats acquis
9Soit au début du symposium soit au cours de son déroulement, madame Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, et monsieur Michel Clément, directeur de l’Architecture et du Patrimoine, ont fait plusieurs annonces concrètes du plus grand intérêt concernant Lascaux. Nous avons également appris, au cours des communications, particulièrement celles de messieurs Marc Gauthier et Jean-Michel Geneste, que certaines décisions intéressantes avaient été prises et que des projets étaient en cours de réalisation.
10La première de ces annonces, qui conditionne tout, fut que – comme on s’en doutait – Lascaux est considéré par le ministère de la Culture comme une priorité majeure, de sorte que les problèmes de financement ne se poseront pas pour les recherches et la conservation. Une telle annonce est suffisamment rare, quel que soit le pays, pour ne pas être soulignée.
11La seconde concerne le Comité scientifique de la grotte Lascaux, dont la mission vient à terme dans peu de mois. Il fut chaleureusement rendu hommage à son président, Marc Gauthier, et à ses membres qui œuvrèrent à la sauvegarde de la grotte dans des circonstances aussi difficiles. Ce comité, où l’interdisciplinarité doit être la règle, va être renouvelé en mai 2009. Il sera encore plus ouvert, plus spécialisé et plus indépendant. En particulier, il sera séparé du comité de pilotage composé d’administrateurs, avec naturellement des passerelles entre les deux pour ne rien perdre en efficacité.
12Une grotte laboratoire, présentant des conditions très proches de celles de Lascaux, va être choisie, parmi plusieurs reconnues possibles en Dordogne. Elle servira à des expérimentations en milieu souterrain naturel, indispensables mais que l’on ne saurait mener sans risques dans la caverne ornée. Les résultats de ces « manips » seront du plus grand intérêt pour traiter les problèmes qui se posent à Lascaux.
13La grotte de Lascaux elle-même a été modélisée : le simulateur recrée ses conditions propres, tant pour sa morphologie que pour sa climatologie, et il permet de sérier les problèmes. Il est évident que la conjonction des deux méthodes (grotte laboratoire et simulateur) apportera une aide puissante à la compréhension des phénomènes et à la prise de décisions.
14Enfin, la « sanctuarisation » de la colline de Lascaux, depuis longtemps souhaitée, sera réalisée. Le fac-similé (Lascaux II) devrait rejoindre la vallée, et routes et parkings devraient disparaître. C’est là un projet d’envergure pour lequel le concours des collectivités locales (commune et département) est prévu.
15Toutes précisions ont été données sur l’état de Lascaux. Marc Gauthier nous a dit que 14 animaux peints ou gravés – sur 915 – ont été affectés par les taches noires dans la partie droite de la caverne. C’est toujours trop, et toute atteinte à des œuvres de la grotte, quelles qu’elles soient, est durement ressentie par ceux qui l’aiment, c’est-à-dire par nous tous. On est cependant loin des annonces cataclysmiques que l’on a pu entendre ou lire. Non ! les fresques de Lascaux ne sont pas « condamnées », et la grotte n’est pas « en danger de mort ».
16Enfin, communications et discussions nous ont fait toucher du doigt la complexité des problèmes rencontrés, ainsi que, dans ce milieu si fragile et vulnérable, la difficulté des conditions de travail et des décisions à prendre, souvent dans l’urgence. Les spécialistes ont insisté sur les points suivants :
– il n’a jamais existé d’équilibre stable et immuable, mais toujours des modifications de tels ou tels paramètres climatiques, susceptibles d’influer sur la préservation des œuvres ou des parois ; à ce propos, plusieurs spécialistes ont démontré sans l’ombre d’un doute que l’évolution du climat depuis le début des années quatre-vingts avait occasionné l’arrêt de certains phénomènes de convection, une inversion des températures et une stagnation de l’air que l’on ne connaissait pas auparavant ; cela signifie que toute décision d’assistance climatique doit prendre ces constatations en compte, et que les principes de l’assistance climatique antérieure doivent être modifiés en conséquence ;
– des pluies torrentielles inhabituelles ont été constatées au début des années 2000 ; les travaux entrepris alors – au plus mauvais moment – et les erreurs commises ont servi de catalyseur et déclenché les proliférations microorganiques dont les conséquences se font toujours sentir ;
– il sera impossible de revenir à un hypothétique état antérieur.
17Pour l’avenir, quelles recommandations ?
18À de multiples reprises, des comparaisons ont été faites avec la médecine à propos des maladies dont Lascaux souffre ou a souffert. Il est vrai que tous ceux qui connaissent bien le milieu souterrain savent qu’il se comporte comme un organisme vivant, y compris avec des facultés d’adaptation et d’autorégulation ou même de régénération lorsque agressions et changements restent dans certaines limites. Reprenant cette comparaison, il faut donc faire sienne la maxime première des médecins, celle du serment d’Hippocrate : « Primum non nocere »
19Transposé aux actions dans la grotte, cela implique deux principes de base : ne jamais toucher directement aux parois ornées fragiles et mener des études d’impact avant la mise en œuvre de toute politique curative nouvelle. Dans la partie droite de la caverne, on sait que les surfaces sont friables et que tout brossage, même avec les pinceaux les plus fins, entraîne des pertes de substance. De telles actions sont à proscrire sur les zones ornées, puisqu’elles causeraient des dommages irréversibles pour un résultat aléatoire – les infestations peuvent se reproduire. Les études d’impact pour tester les méthodes thérapeutiques proposées, à juste titre recommandées par l’Unesco, doivent être la règle. Certaines peuvent être menées en laboratoire, mais la création de la grotte laboratoire ci-dessus mentionnée facilitera grandement leur réalisation.
20Les microbiologistes ont, à plusieurs reprises, insisté sur le fait que les pulvérisations de biocides pouvaient avoir des effets secondaires dommageables, par exemple en éliminant des microorganismes susceptibles de limiter la prolifération des champignons nocifs, ou encore en apportant des éléments organiques ou en créant des détritus dont certains peuvent se nourrir. Parmi les pistes de recherche dans ce domaine, il a été proposé :
– d’étudier le génome des microorganismes présents sur les parois, ce qui peut se faire à présent avec des méthodes puissantes et rapides ;
– d’explorer la piste des virus bactériophages ;
– de tester des rayonnements divers qui pourraient arrêter les proliférations constatées, voire réduire la mélanine.
21Parmi les mesures pratiques, il a été suggéré – par Robert J. Koestler – de remettre en place le sas, dit « sas Bauer », isolant la partie droite de la grotte de la Salle des Taureaux et du Diverticule axial.
22Dans le droit fil de ce symposium et dans son esprit d’ouverture et d’interdisciplinarité, il faut souhaiter que soient facilités et que se multiplient les contacts entre spécialistes, soit à titre personnel soit à titre institutionnel. Les informations recueillies, extrêmement nombreuses, doivent être corrélées, ce qui pose le problème d’une amélioration des systèmes de collaboration entre spécialistes et des systèmes de gestion des données. Pour éviter la répétition des malentendus, je suggère qu’un bilan de santé de Lascaux soit établi tous les six mois ou tous les ans et rendu public. En outre, il serait certainement souhaitable de prévoir l’organisation d’un nouveau symposium dans trois ans, afin de faire le point sur les actions entreprises dans l’intervalle et sur leurs résultats, que nous souhaitons tous positifs.
23Lascaux est l’illustration tragique des erreurs humaines, lorsque des équilibres millénaires fluctuants sont brutalement rompus. Il convient maintenant de se tourner vers l’avenir, de sortir complètement de la crise qui a débuté il y a quelques années et de retrouver un nouvel équilibre climatique et biologique, qui ne sera jamais celui qui a longtemps prévalu mais qui assurera la pérennité des peintures et des gravures. D’un mal peut sortir un bien. Nos collègues espagnols nous ont dit qu’ils ont tiré profit de l’antériorité des problèmes de Lascaux pour prendre des décisions concernant la gestion de la grotte d’Altamira. En outre, la présence de nos collègues d’autres continents, spécialistes d’autres cultures et d’autres arts rupestres, nous a permis d’élargir les conclusions à tirer de cette crise à l’échelle de l’art rupestre mondial.
24L’art rupestre dans son ensemble est l’une des principales richesses patrimoniales de l’humanité. Lascaux en est certes l’un des fleurons, mais le plus humble des sites ornés a son importance, témoigne de croyances et de pratiques culturelles anciennes, et doit être protégé. Lascaux nous rappelle avec force les nécessités premières de la conservation : avant tout limiter l’impact des activités humaines sur les sites ornés, quels qu’ils soient, et sur leur environnement. C’est là la condition majeure de leur survie.
25Jean Clottes,
président du symposium
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Lascaux et la conservation en milieu souterrain
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