Chapitre 2 - Environnement et taphonomie des nécropoles
p. 19-26
Texte intégral
2. 1 Approche géographique et géomorphologique
1j.-m.c.
2.1.1 La région castraise
2La région castraise constitue une gouttière sédimentaire encadrée par la remontée du socle hercynien de la Montagne Noire sur son flanc sud et les plateaux molassiques tertiaires au nord. Ce dispositif, fortement dissymétrique, oppose le contact faillé entre le socle et la molasse bartonienne au niveau de la Montagne Noire au contact entre le plateau launécois et la plaine de l'Agout, structuré autour d'une cuesta à la morphologie variable. Héritage géomorphologique issu du golfe marin épicontinental éocène, ce couloir topographique occupe, tant du point de vue géographique, géologique que géomorphologique, une position de transition et de contact entre le domaine atlantique et le domaine méditerranéen. Il est aujourd'hui principalement drainé par deux bassins versants qui confluent en aval de Castres, le Thoré et l'Agout. Le Thoré draine le sillon mazamétain suivant une direction est-ouest avant de s'infléchir nord-ouest/sud-est en aval de Mazamet. Il longe alors le Causse de Labruguière, principalement constitué de formations molassiques fluviatiles à lacustres datées du Lutétien supérieur. Ce petit plateau de faible altitude, sur lequel est implantée la nécropole du Causse, est faiblement incliné vers le nord-est, conformément au réseau de drainage local. Ourlé sur sa bordure nord-ouest par d'épaisses formations périglaciaires de type grèzes litées localement sapées par le Thoré, le plateau porte les traces de l'importance de la morphogenèse périglaciaire héritée des derniers épisodes froids du Pléistocène supérieur. L'existence d'un réseau hydrographique partiellement fossile, recoupé lors de la fouille de la nécropole du Causse, en constitue une autre évidence. Le plateau est limité au nord-est par la vallée de la Durenque. Cette unité, fortement surdimensionnée, large de près de 500 m, est parcourue par un cours d'eau à tendance méandriforme. Sa morphologie de surface présente de nombreux chenaux de crue et de paléochenaux qui témoignent de l'importance de la morphogenèse récente et subactuelle dans la morphologie de cette vallée. Son remplissage sédimentaire quaternaire paraît s'achever au cours de la première moitié de l'Holocène et son évolution actuelle est marquée par une tendance à l'incision qui porte à l'affleurement des faciès molassiques gréseux. Ces derniers ont pu être exploités à fin de carrière. La Durenque conflue avec l'Agout au niveau de Castres, 2 km en aval des méandres de Gourjade. Cette unité morphologique constitue l'axe principal du réseau hydrographique de la microrégion. Fortement encaissé dans le socle dans son cours amont jusqu'à Salvages, l'Agout s'étale ensuite au débouché dans le bassin molassique dans une large plaine de pente faible, toujours inférieure à 0,5 %. Très homogène d'un point de vue géomorphologique, un seul niveau alluvial peut y être distingué, sans que son âge puisse être précisé. Son évolution sédimentaire semble ralentie au cours de l'Holocène en raison de l'incision récente de l'Agout dans sa plaine. Ainsi, le principal facteur d'évolution au cours du Pléistocène récent semble avoir été le rejet vers le nord du tracé de l'Agout par l'édification du cône alluvial du ruisseau des Gourgs (Pléistocène supérieur à Holocène ancien). Lors de l'Holocène, l'enfoncement sur place du cours d'eau a ainsi donné naissance à une série de méandres inscrits dans la plaine, à proximité desquels sont implantées les nécropoles de Gourjade et du Martinet.
2.1.2 Évolution géomorphologique du site du Causse et implications archéologiques
3La nécropole du Causse est implantée en rive droite du Thoré, en aval du seuil de Labruguière. Deux géosystèmes composent l'environnement direct du site : la plaine alluviale du Thoré et les différentes unités pédosédimentaires qui lui sont rattachées d'une part, et la retombée méridionale du Causse de Labruguière, sur lequel est implanté le sire d'autre part. Loin d'être homogène, ce dernier ensemble se compose d'une mosaïque de milieux, présentant une évolution polyphasée et complexe. En particulier, l'existence de petites dépressions correspondant aux talwegs élémentaires d'un réseau hydrographique aujourd'hui fossile a fait l'objet d'une étude particulière. Localisée au nord de la nécropole, elle a été recoupée lors de l'intervention archéologique. Son étude présente un double intérêt : elle semble limiter l'extension de la nécropole, ce qui pose la question de sa traduction paysagère au cours de la Protohistoire, et l'épaisseur de son remplissage sédimentaire permet la reconstitution de l'évolution pédosédimentaire de l'ensemble du site.
2.1.2.1 Évolution géomorphologique au cours de la seconde moitié de l'Holocène
4La morphologie des dépressions résulte d'une dynamique d'incision qui semble prévaloir durant la première partie de l'Holocène. La présence au fond du talweg d'un important niveau de calcaire comportant des traces de cryoclastie, montre que le dégagement des altérites héritées du dernier épisode froid n'a pas été total, en raison de la faible compétence des écoulements générés par les impluvia et du rôle des écoulements karstiques. L'arrêt de l'incision est daté du Néolithique moyen ou final par la présence d'un foyer (St 53), qui scelle l'unité 1 (fig. 3). Cette dernière, enrichie en argile et décalcifiée, correspond à l'horizon inférieur d'un brunisol et atteste d'un épisode de pédogenèse qui affecte l'ensemble des géotopes du causse. L'horizon supérieur a été décapé et constitue l'essentiel de l'unité 2. Enrichi en éléments organiques issus du démantèlement de la couverture pédologique qui recouvre les bords de la dépression, il résulte d'une mise en place par des mécanismes de type colluviaux. La présence d'éléments grossiers et un enrichissement en carbonates au sommet de la séquence (unité 3), montre que le substratum entièrement dénudé nourrit alors l'essentiel des apports. La petite taille des particules, ainsi que la faiblesse de la pente suggèrent une mobilisation de ces éléments par ruissellement diffus et impact des eaux météoritiques sous faible couverture végétale. Des fragments roulés de céramique attribués au Bronze final IIIb ont été identifiés dans le remplissage. L'épisode d'érosion est donc contemporain ou légèrement postérieur. Par ailleurs, c'est sur cette unité que sont implantées les tombes à encadrement localisées dans la partie ouest de la nécropole, datées du milieu du premier âge du Fer. Cette séquence est scellée par un paléosol (unité 4) qui renferme quelques fragments de tegulae et peut correspondre à un niveau de mise en culture attribué à la période romaine sensu largo. Cette hypothèse est confortée par l'analyse texturale de ce niveau ainsi que par la présence d 'une accumulation de blocs correspondant à une semelle de labour. Ce paléosol est recouvert par un niveau argilo-limoneux renfermant de nombreux éléments clastiques qui suggèrent la poursuite de l'érosion du substratum sur les bordures de la dépression par des processus colluviaux actifs, peut-être d'origine agricole. Aucun repère stratigraphique ne permet de proposer une attribution chronologique à cet épisode.

FIG. 3 – Coupes de la dépression bordière du Causse.
J-M. Carozza/Univ.
2.1.2.2 Interprétation et implications archéologiques
5L'analyse des séquences sédimentaires montre le caractère polygénique des formations du remplissage du talweg qui succède à l'incision tardiglaciaire et de la première moitié de l'Holocène. Aucune structure sédimentaire permettant d'attester l'existence d'écoulements concentrés n'a été identifiée. Cette observation est en accord avec la géométrie générale des unités l, 2 et 3, qui suggèrent une mise en place sous les effets conjugués de la gravité et du ruissellement diffus. Cette prégnance des mécanismes érosifs colluviaux trouve son explication dans la faible superficie du bassin versant et dans la collecte insuffisante pour générer des écoulements hortoniens.
6L'épisode morphogénique majeur associé aux unités 2 et 3 peut être reporté au début du premier âge du Fer. Il s'inscrit dans la phase humide correspondant à la péjoration climatique de la transition Subboréal-Subadantique, attestée dans l'ensemble du sud de la France (Berger 1996 ; Jalut et al. 2000), dans le Jura (Magny 1995) et à l'échelle globale (Stuiver, Braziunas 1993). Il se caractérise par une augmentation du ruissellement dans un environnement déjà dégradé par les activités anthropiques. Cet épisode essentiel de la morphogenèse holocène induit une redistribution des potentiels pédologiques à l'échelle du géosystème. Seules les zones basses préservent ou accroissent leur potentiel agropédologique. Ailleurs, les versants voient la mise en place de sols squelettiques de type rendosols calciques. La mise en culture gallo-romaine s'inscrit dans cette dynamique de valorisation des géotopes de vallées sèches à la faveur de l'épisode d'accalmie qui caractérise les périodes de La Tène finale et augustéenne. L'unité supérieure pourrait, par extrapolation, être rapportée au Bas-Empire.
2.2 État de conservation et limites des nécropoles
7j.-p.g., f.p.
2.2.1 État de conservation
8Parmi les différents phénomènes qui ont affecté la conservation du site du Causse, la construction dans les années trente d'un aérodrome civil a considérablement bouleversé la topographie des lieux1. La nécropole n'a pas échappé aux importants terrassements qui ont eu lieu lors de l'aménagement de la piste d'aviation, les secteurs les plus hauts ont subi un arasement parfois important (0,50 m d'épaisseur au maximum), les zones basses ont fait l'objet de remblaiements. Ainsi, la conservation des vestiges mis au jour est très inégale d'un secteur à l'autre (fig. 4). On peut estimer à près de 40 % la surface où les tombes ont été entièrement détruites lors de ces travaux. Seul 1/5 de la zone fouillée a été totalement épargné par les effets de l'arasement. Il s'agit notamment des dépressions bordières et du secteur nord-ouest situé au-delà du périmètre de sécurité de l'ancienne piste. Toutefois, les vestiges retrouvés dans ces secteurs ont pu ponctuellement être bouleversés par d'autres perturbations plus modestes et liées à des occupations postérieures : traces d'habitat d'époque historique dans la dépression (fossé, drain, etc.) ; « caves » d'arbres, au nord-ouest, dues à l'implantation récente d'un bosquet de chêne ; carrière d'extraction de calcaire dans ce même secteur. De la même manière, les autres secteurs, plus ou moins touchés par les travaux d'aménagement de l'ancien aérodrome, portent également des traces de fréquentations diverses qui ont affecté la conservation de quelques tombes : camp militaire de la première guerre (implantation de tentes au sud du site) ; installation d'un chantier de jeunesse (fondation de trois bâtiments et série de latrines); ancien et nouveau tracé de la route départementale no 56.

Fig. 4 ‒ État de conservation de la nécropole du Causse.
F. Pons/lnrap
9Ce constat sur l'état de conservation du site nous permet d'évaluer les pertes à près de 50 %, soit certainement plus d'un millier de tombes présentes à l'origine sur la surface concernée.
10À Gourjade, la conservation du site est assez exceptionnelle. En effet, les terrains du domaine (château de Gourjade) n'ont jamais fait l'objet de labours profonds ce qui a permis la préservation de la plupart des tombes, dont la profondeur d'enfouissement n'excédait pas en moyenne une trentaine de centimètres. Toutefois, certains secteurs, qui devaient présenter à l'origine un relief plus prononcé (légère butte), ont été vraisemblablement nivelés à la suite d'anciens travaux agricoles. Tel est le cas de tout le centre et de l'extrémité nord-ouest de la nécropole où la majorité des tombes ne présentent plus aucun élément d'architecture externe. Pour quelques-unes d'entre elles, notamment dans la zone centrale du site, l'arasement a été suffisamment important pour détruire une partie du dépôt funéraire. Enfin, quelques aménagements de la pars rustica de la villa (réseaux de drains et de fossés) ont engendré quelques perturbations mais ils ont été dans l'ensemble peu destructeurs (fig. 5).
11À l'instar de Gourjade, l'urbanisation du site du Martinet n'est que très récente, suite à l'aménagement d'une ZAC. Les lieux étaient autrefois occupés par une des nombreuses métairies installées dans ce secteur à forte potentialité agricole. Un réseau de canaux d'irrigation parcourait les terrains environnants et parmi eux celui qui intéresse le plus près le site captait l'eau du Lézert pour la conduire à la ferme du Martinet. L'extrême sud de la parcelle était également occupé jusqu'au xixe s. par un lieu de culte d'origine médiévale, Saint-Martin de Lodies, auquel était associé un cimetière2. De ces occupations, quelques structures ont occasionné nécropole. Il s'agir notamment d'un réseau de fossés localisés en bordure occidentale, orientale et méridionale du site (fig. 6). Toutefois, les dégâts provoqués par ces aménagements restent minimes en comparaison des destructions engendrées par les travaux agricoles. En effet, ces derniers sont à l'origine de l'arasement complet du site ce qui explique ici l'absence totale de vestige architectural externe.

FIG. 5 – État de conservation de la nécropole de Gourjade
J.-P. Giraud/MCC et F. Pons/lnrap

FIG. 6 – État de conservation de la nécropole du Martinet.
F. Pons, F. Vidaillet/lnrap
2.2.2 Limites des nécropoles
12Au Causse, grâce à la fouille et aux sondages effectués en parallèle, les limites de la nécropole ont été reconnues avec précision au nord, à l'est, au sud et au nord‑ouest. Son extension maximale vers l'ouest et le sud-ouest (parcelles 422 et 424) peut être évaluée à une quarantaine de mètres au-delà du secteur fouillé, les sondages réalisés dans la parcelle située à l'est de l'emprise (parcelle 400) n'ayant pas permis de connaître son étendue vers le sud-est (fig. 7).

FIG. 7 – Extension de la nécropole du Causseau
F. Pons/lnrap
13En dépit de l'absence de ce dernier élément, on peut toutefois raisonnablement estimer la surface totale de la nécropole du Causse à environ 5 ha. Elle s'étend selon un plan oblong orienté est-ouest, les tombes les plus éloignées étant distantes de plus de 400 m, ses dimensions nord-sud atteignant près de 200 m.
14Dans la zone fouillée, soit près de la moitié du site, aucune trace d'une éventuelle structure de délimitation (fossé, palissade, etc.) n'a été repérée. Par contre, il est intéressant de constater que les dépressions bordières présentes au nord et sud du site coïncident à peu de chose près avec l'extension maximale des tombes. Ce phénomène est nettement visible dans toute la partie ouest de la dépression nord où les sépultures ne franchissent jamais le versant nord. Vers l'est, quelques tombes débordent toutefois sur ce côté, ce qui pourrait s'expliquer par l'adoucissement progressif du relief de ce vallon dans ce secteur, qui désormais ne constitue plus un « obstacle ». Outre ces facteurs liés à la topographie naturelle des lieux, on peut également s'interroger sur l'influence qu'a pu avoir le changement de substrat observé dans le secteur ouest. Dans cette zone, en effet, les dernières tombes sont implantées en bordure du causse, où les sols squelettiques de type rendzine laissent la place à des sols plus évolués aux potentialités agricoles importantes. On peut voir dans cette différence de terroirs une explication à la non‑extension de la nécropole vers le nord-ouest.
15À Gourjade, l'étendue de la nécropole peut être également appréciée. Les dernières investigations menées en 1988 dans le secteur sud ont en effet permis de fixer ses limites ; son développement vers l'est et l'ouest avait été reconnu en 1987. À l'est, la bordure de la nécropole, irrégulière, est située à une distance d'une quarantaine de mètres du talus qui domine le bord de la rivière Agout ; à l'ouest, une coupure plus nette a été observée : l'implantation des tombes, assez dense dans ce secteur, s'interrompait brusquement. Vers le nord-est, son extension semble s'éloigner du rebord de la terrasse et coïncide avec le début de la zone riche en vestiges gallo‑romains. Les fouilles sur la villa n'ont livré que de rares vestiges protohistoriques, ce qui tendrait à prouver que cette limite est réelle et que la nécropole ne se poursuivait pas sous son emplacement. Les dimensions est-ouest sont d'environ 240 m. La limite sud est également assez irrégulière mais elle n'est connue que par une série de tranchées d'évaluation : son tracé n'est donc pas sûr dans le détail. En dépit de ces quelques imprécisions, la plus grande extension est‑ouest est de près de 250 m, la dimension nord-sud de près de 180 m, soit une surface estimée de la nécropole d'environ 4 ha dont près d'un tiers exploité lors des campagnes de fouilles (fig. 8).

FIG. 8 – Extension des nécropoles de Gourjade et du Martinet
F. Pons/lnrap
16Au Martinet, la question des limites du gisement pose un certain nombre de problèmes : la nécropole a-t-elle été reconnue dans son ensemble ? En dépit des perturbations occasionnées par les aménagements postérieurs, l'extension des décapages vers le sud, l'ouest et l'est permet d'estimer l'étendue du site grâce aux espaces libres au-delà des dernières tombes. Il semble en effet qu'au-delà d'une distance de 8 m, on peut considérer qu'il n'y a plus de tombes, sachant que toutes les sépultures reconnues sont espacées de 3 à 5 m au maximum. S'ajoute à cela la présence de tranchées exploratoires, notamment vers le sud, qui n'ont révélé aucun vestige protohistorique. En outre, la configuration topographique et géologique de la bordure orientale plaide en faveur d'une limite naturelle de la nécropole. Dans ce secteur, le terrain est en effet marqué par une rupture de pente orientée nord-est/sud-ouest, qui laisse apparaître la terrasse graveleuse dans laquelle aucune tombe n'est aménagée.
17Il est en revanche plus délicat d'apprécier la bordure septentrionale de la nécropole. Les travaux effectués dans cette zone sont calqués sur les limites du projet d'aménagement et ne permettent pas de vérifier la situation des dernières tombes découvertes. Dès lors, force est de constater que la nécropole peut s'étendre au-delà de l'emprise de la fouille, voire sous la route, sans que l'on puisse en déterminer l'importance. Toutefois, il est intéressant de noter que la densité des tombes dans ce secteur est plus faible, à l'image de celles rencontrées dans les autres secteurs périphériques.
18Quoi qu'il en soit, l'ensemble des tombes de cette nécropole est concentré au sein d 'un espace grossièrement rectangulaire, orienté nord-est/sud-ouest, de 90 m de long sur 60 m de large, soit sur une surface d'environ 4 500 m2 (fig. 8).
Notes de bas de page
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