Les apports de l’archéologie préventive à la connaissance du Paléolithique
p. 133-139
Texte intégral
1Organisée en France depuis le début des années 2000, l’archéologie préventive a considérablement accru nos connaissances sur le Paléolithique. Les préhistoriens ont adapté leurs méthodes d’intervention afin de fouiller des surfaces jamais atteintes. Ils ont ainsi accès à des territoires jusque-là peu exploités scientifiquement, ce qui permet un total renouvellement des connaissances. Cependant, ressources rares et non renouvelables, les sites préhistoriques restent menacés par les travaux d’aménagement.
Qu’est-ce que l’archéologie préventive ?
2L’archéologie préventive française naît officiellement par la loi de 2001, votée après des années de lutte des archéologues pour tenter de contrer les destructions du patrimoine archéologique. Elle est définie par l’article 521-1 du code du patrimoine :
L’archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l’archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d’assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l’étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l’aménagement. Elle a également pour objet l’interprétation et la diffusion des résultats obtenus.
3Notons que l’archéologie préventive, bien que dépendante d’un régime juridique différent de celui de l’archéologie programmée, repose sur les mêmes bases scientifiques.
L’archéologie préventive : un bref historique
4Les études préhistoriques au xixe siècle ont souvent été le fruit de découvertes fortuites. Celle de Néandertal lors de travaux d’extraction de craie en 1856 en est un exemple. Après Néandertal, la découverte de Cro-Magnon, quelques années plus tard, est due, quant à elle, aux travaux d’aménagement d’une route, et celle des sites paléolithiques du nord de la France fut, pour l’essentiel, issue des briqueteries exploitant les lœss et limons quaternaires suivies par les chercheurs de l’époque, comme Jacques Boucher de Perthes et Victor Commont. Les préhistoriens d’alors ont donc accompagné avec constance les travaux d’extraction, en parallèle du développement d’une autre archéologie paléolithique centrée sur les cavités naturelles, plutôt dans la partie sud de la France.
5La conscience d’une destruction importante d’un patrimoine rare et fragile s’est imposée de plus en plus à partir des années 1960, à la faveur des grands travaux d’aménagement du territoire. Dès 1974, le ministère de la Culture créa l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan), sorte de bras armé des pouvoirs publics en charge de réaliser des fouilles de sauvetage destinées à sauver ce qui pouvait encore l’être. Au fur et à mesure des années, l’Afan prit de l’ampleur et se structura. Quant aux services régionaux de l’archéologie, ils ordonnèrent de plus en plus d’opérations, passant de fouilles d’urgence à une programmation de l’archéologie de sauvetage, et ce au moyen de diagnostics archéologiques destinés à découvrir et à évaluer les sites le plus en amont possible des travaux d’aménagement.
6Cependant les bases juridiques du système restaient fragiles. En effet, seule la crainte d’un blocage de ses travaux par une découverte fortuite pouvait alors contraindre l’aménageur à souhaiter une intervention préalable des archéologues. Il a fallu attendre 2001, après des années de combat de la profession, pour que soit publiée la loi organisant l’archéologie préventive sur le territoire national. Malgré quelques crises et plusieurs modifications, cette loi s’applique toujours actuellement, et ne semble désormais plus contestée. L’archéologie préventive est arrivée à maturité.
7Sur le terrain, les premières fouilles importantes menées sur des grands travaux furent celles dirigées par Alain Tuffreau à Riencourt-lès-Bapaume (Pas-de-Calais), sur le tracé de la ligne à grande vitesse Nord, en 1989. Pour la première fois, un site paléolithique était abordé sur une superficie importante (plusieurs centaines de mètres carrés), et dans une perspective naturaliste, c’est-à-dire intégrant les apports des sciences naturelles de façon à reconstituer les environnements. Cette méthodologie fut par la suite précisée lors d’autres opérations d’envergure, dont celle de l’autoroute A5 (1990), sur laquelle des équipes furent dédiées à la recherche et à la fouille de sites paléolithiques (Deloze et al. 1994). Ces innovations sont devenues la norme, et désormais les opérations d’archéologie préventive intègrent le Paléolithique dans leurs objectifs, du moins lorsque des équipes compétentes existent, ce qui est loin d’être le cas sur l’ensemble du territoire.
8En effet, les données disponibles montrent de fortes disparités selon les régions. Une analyse des notices de sites dans la base documentaire Dolia1 montre que seules trois régions (avant la réforme de 2016) se distinguent par la quantité d’occurrences de l’identifiant « Paléolithique » : l’Aquitaine, le Centre et la Picardie. Les différences peuvent s’expliquer par divers facteurs : densité plus ou moins forte de sites paléolithiques à l’origine, hétérogénéité dans la saisie des informations, types d’aménagements (et donc possibilité d’atteindre des sites parfois profondément enfouis), politique de prescription des services de l’État, etc. Le point commun entre les trois régions riches est la présence d’équipes de paléolithiciens et de spécialistes des paléo-environnements anciens facilitant la découverte des sites paléolithiques. A contrario, l’absence d’équipes qualifiées sur une grande partie du territoire national est un problème pour la sauvegarde (par la conservation ou par l’étude grâce à la fouille) des sites paléolithiques, et on prend ainsi le risque de voir disparaître irrémédiablement ces traces fugaces de la Préhistoire.
Les apports de l’archéologie préventive à la connaissance de la Préhistoire ancienne
9La multiplication des données sur les sites de plein air, jusqu’alors peu documentés, a permis de préciser et de recaler dans le temps et l’espace les techno-complexes paléolithiques, c’est-à-dire les différents systèmes de production d’outillage, principalement dans les deux régions les mieux renseignées, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, et en particulier pour le Paléolithique moyen, l’époque de Néandertal. De nouveaux techno-complexes ont également pu être définis (Depaepe 2009). Dans le nord de la France, les multiples opérations archéologiques réalisées ainsi que la grande profondeur d’investigation permise par l’archéologie préventive ont aussi conduit à repérer des traces d’occupations très anciennes : environ -560 000 ans à Amiens, par exemple.
10À l’inverse des fouilles programmées, les fouilles préventives présentent la particularité de pouvoir être menées sur de très grandes surfaces, celles correspondant aux aménagements de grande ampleur : autoroutes, lignes de TGV, aéroports, etc. Par exemple, le site paléolithique récent du Closeau (Rueil-Malmaison) a été fouillé sur près de 25 000m2, ce qui est certainement la plus grande fouille paléolithique réalisée à ce jour dans le monde, à ma connaissance. Ces surfaces ne peuvent pas être atteintes dans un autre cadre que celui du préventif, essentiellement pour des raisons de financements, mais aussi de méthodologies, lesquelles ont dû être adaptées aux surfaces des aménagements, et donc des sites. Il a fallu aller à l’encontre de la défiance d’une partie des préhistoriens au sujet de la minutie qu’ils croyaient – à tort – devoir sacrifier à cette échelle. Ces querelles méthodologiques font désormais partie de l’histoire de la préhistoire.
11L’approche de ces vastes superficies a complètement renouvelé notre connaissance des sites paléolithiques. Avant la révolution de l’archéologie préventive, les surfaces fouillées sur des sites paléolithiques de plein air étaient réduites. Les fouilles préventives ont permis d’aborder une thématique importante : l’organisation interne des sites paléolithiques, désormais accessibles dans leur intégralité, ou presque (fig. 1). Diverses modalités d’occupation ont ainsi été révélées, au-delà des grands types de fonctions supposées (habitat, site de boucherie, site d’abattage, site de collecte de matières premières, etc.), et les sites se sont révélés correspondre à de complexes juxtapositions d’activités variées, avec des retours périodiques aux mêmes endroits, le tout d’après des modèles variables selon les épisodes climatiques. De ce fait, la constitution d’équipes pluridisciplinaires incluant des spécialistes de l’environnement est une condition nécessaire à la caractérisation de ces épisodes.
Fig. 1 – Fouille d’un amas d’ossements sur le site de Tourville-la-Rivière (Seine-Maritime), à l’emplacement d’une carrière de sable et de gravier.

Ce site, daté d’environ -200 000 ans, a également livré des restes osseux d’un Pré-néandertalien.
Cliché © J.-P. Faivre, Inrap.
12Enfin, un des apports majeurs de l’archéologie préventive, peu souvent relevé, tient au caractère aléatoire de ses lieux d’intervention, ceux-ci dépendant non pas d’une volonté de l’archéologue dans le cadre de ses problématiques de recherches, mais de l’aménagement du territoire, étranger à ces questionnements scientifiques. Le préhistorien ne choisit plus son terrain d’investigation mais dépend de l’emplacement de constructions, de bâtiments, de routes, etc. Cette distribution aléatoire documente ainsi des régions jusqu’alors peu concernées par la recherche sur le Paléolithique. Elle permet d’aborder largement les modes d’occupation du territoire par les sociétés préhistoriques de chasseurs-cueilleurs en mesurant aussi, à l’occasion, les divers biais de conservation. Ces recherches sur les dynamiques de peuplement sont en cours et s’appuient, comme pour les autres, autant sur les fouilles préventives que sur celles programmées, toutes deux indispensables à la compréhension de notre lointain passé (fig. 2).
Fig. 2 – La « Vénus de Renancourt » à Amiens, Gravettien, vers -21 000.

Elle fait partie d’un ensemble de plus de 15 statuettes en craie, vraisemblablement façonnées sur place.
Cliché © S. Lancelot, Inrap.
Bibliographie
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Deloze Valérie, Depaepe P., Gouédo Jean-Marc, Krier Vincent & Locht Jean-Luc, 1994. Le Paléolithique moyen dans le nord du Sénonais (Yonne). Contexte géomorphologique, industries lithiques et chronostratigraphie, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Documents d’archéologie française », 47. En ligne : <https://books.openedition.org/editionsmsh/40298>.
Depaepe Pascal, 2007. Le Paléolithique moyen de la vallée de la Vanne (Yonne, France) : matières premières, industries lithiques et occupations humaines, Paris, Société préhistorique française (Mémoire n° 41).
Depaepe Pascal, 2009. La France du Paléolithique, Paris, La Découverte.
Depaepe Pascal, 2014. « European Middle Palaeolithic: Geography and Culture », in C. Smith (éd.), Encyclopedia of Global Archaeology, Londres et Berlin, Springer Reference, p. 2645‑2670.
Locht Jean-Luc, Hérisson David, Goval Émilie et al., 2016. « Timescales, space and culture during the Middle Palaeolithic in northwestern France », Quaternary International, 411, p. 129‑148. DOI : </10.1016/j.quaint.2015.07.053>.
Notes de bas de page
1 Catalogue des fonds documentaires et bibliothèque numérique de l’Inrap.
Auteur
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