1Depuis le début des années 1990, Francis Gutmann avait rencontré des personnes venant d’horizons variés, lesquelles lui paraissaient susceptibles d’être intéressées par une démarche de prospective générale.

2En créant le CPG en 2015-2016, Francis Gutmann les a rassemblées et les contributions personnelles réunies ci-dessous, en toute liberté de fond et de forme, reflètent ces relations, ainsi que l’enrichissement apporté par la réflexion collective du CPG.

Olivier Appert

3D’un caractère affirmé, Francis Gutmann était d’abord un homme de dialogue ouvert et attentif. Quand il devient président de l’IFP en 1993, il découvre le monde de la recherche qu’il ne connaît pas, après une carrière de diplomate et d’industriel. Lui qui a côtoyé les grands de ce monde n’hésite pas à discuter avec les chercheurs. Il n’entendait jamais donner des leçons à ses interlocuteurs, mais il les challengeait et leur apportait sa vision large des enjeux politiques et internationaux. Il a su se positionner en tant que président sans chercher à interférer dans les décisions au jour le jour.

4Je le retrouve en 2003 quand je suis nommé président de l’IFP. Nous lui apportions la logistique minimale (bureau, secrétariat) que le Quai d’Orsay n’offrait pas à un ambassadeur de France. En contrepartie, il nous apportait son éclairage critique sur de nombreux sujets tant économiques que politiques ou diplomatiques qui nous étaient utiles dans la gestion de l’Institut. S’est créée entre nous une relation amicale. Nous déjeunions ensemble tous les mois pour échanger sur tous les sujets. Il me parlait avec simplicité des événements qui ont changé le monde et auxquels il a contribué dans sa riche carrière. Lors de nos derniers déjeuners, il a insisté pour que je rejoigne le CPG, ce que j’ai fait avec plaisir : hélas il n’était plus là pour faire une analyse critique constructive de ma contribution.

Alain Bravo avec Gérard-François Dumont

5« Monsieur l’Ambassadeur » : pendant les 20 dernières années au cours desquelles j’ai échangé avec Francis Gutmann, je n’ai pu l’appeler autrement. D’abord parce que Francis Gutmann lui-même avait l’élégance de s’adresser à chacun en mentionnant sa qualité. Surtout, car Francis Gutmann incarnait parfaitement la dignité d’ambassadeur de France, aussi bien, évidemment, dans les manifestations officielles – comme au Conseil scientifique de la Défense – qu’au cours des travaux du Centre de prospective générale ou lors de discussions privées sur les enjeux nationaux.

6Francis Gutmann avait à un haut degré cette intelligence pluridisciplinaire que requièrent la diplomatie et la prospective, et qui l’autorisait à solliciter chacun, en dehors de sa zone intellectuelle de confort, avant de conclure par des synthèses emportant l’adhésion de tous, quel que soit le point de départ de chacun.

7À ce titre, je tiens à mentionner les échanges toujours pleins de vivacité et d’esprit entre Francis Gutmann et son ami Gérard Théry, membre du Club depuis son origine, récemment décédé.

8Ainsi, dans l’agenda des thèmes stratégiques proposés par Francis Gutmann, j’acceptais début 2018 d’instruire celui des migrations internationales, conscient que je n’en étais absolument pas spécialiste, mais avec l’intention à cette occasion d’élargir le CPG comme Francis Gutmann le souhaitait.

9En juin 2018, j’organisais une réunion avec Francis Gutmann et le recteur Gérard-François Dumont. L’étude « Prospective des migrations internationales à l’horizon 2050 » a été publiée en février 2020.

Jean-Yves de Cara avec Thierry Rambaud

10Lorsqu’en 2004, le doyen de la faculté de droit me demanda d’accueillir l’ambassadeur Gutmann, je ne connaissais ce dernier que par les fonctions éminentes qu’il avait exercées, notamment en qualité de secrétaire général du Quai d’Orsay. Le professeur de droit international et d’histoire diplomatique que je suis était pétrifié à l’idée de rencontrer celui qui était devancé par les ombres de ses illustres prédécesseurs et dont l’expérience professionnelle était époustouflante. Or, je fus immédiatement séduit et rasséréné par son intelligence, son pragmatisme, ses connaissances immenses, son art de s’adapter aux situations et aux personnes de tous ordres. Il devait initier nos étudiants de master à la méthode Sagres, établissant ainsi un lien inattendu entre Henri le Navigateur et les préoccupations prosaïques de méthodologie de l’auditoire. Puis je quittai la France pour plusieurs années. Nous avons maintenu une relation constante malgré mes pérégrinations – ou mon agitation – qui ont toujours suscité son ironie bienveillante. Je lui conservai mon admiration fidèle, et c’est seulement à ce titre que j’ai accepté aussitôt son invitation à me joindre à la création du Centre de prospective générale.

11La prospective juridique a longtemps été étrangère aux juristes qui s’attachent à l’histoire du droit pour expliquer les institutions et interpréter les normes, ou à l’actualité pour étudier le droit positif et son évolution. De nos jours, l’évolution des techniques, de la société, des rapports entre États s’accélère et incite l’homme de loi à s’interroger sur l’adaptation de sa discipline à l’environnement nouveau. Dans la pratique aussi bien que sous l’angle doctrinal, l’anticipation s’impose soit pour permettre de faciliter la fonction de conseil, soit pour préconiser l’adaptation des concepts, des méthodes, des principes généraux ou des régimes juridiques. Il s’agit, non seulement d’apprécier ce qui est possible, mais également de formuler ce qui est souhaitable. Dans cette perspective, sur le sujet classique de « l’État » transformé en « État-Nation », que l’Ambassadeur Gutmann avait agréé, j’ai préparé un rapport pour le Centre de prospective, aidé en cela par mon collègue et ami le professeur Thierry Rambaud.

Jean-François Daguzan

12Francis Gutmann et moi : 27 ans de conversations.

13J’ai connu pour la première fois Francis Gutmann en 199­0, à ­l’occasion de la création de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES) dont il fut le premier président alors qu’il occupait les fonctions de président de Gaz de France (GDF). C’est François Charolais, le créateur-animateur de cette structure toulonnaise qui nous présenta. Je découvris un homme pressé qui ne se perdait pas en fioritures. Deux choses me marquèrent : quand on lui parlait, il vous écoutait – même si sa pensée pouvait être déjà faite –, et il parlait à la tribune sans notes. Je m’aperçus alors qu’il écrivait ses discours de façon très précise mais, à l’imitation de celui dont il était son neveu par alliance – le général De Gaulle –, il les apprenait par cœur ; les feuilles pliées devant lui ne servant que de réassurance. J’en étais resté impressionné.

14En réalité ma « vraie » rencontre avec lui eut lieu en 1993. Je reçus un jour un coup de fil de sa part me demandant un rendez-vous (!). J’acceptais bien évidemment et il vint me voir à Palaiseau, à l’École polytechnique où, à l’époque, nous avions nos locaux. Il était alors Président de l’Institut français du pétrole (IFP). Il arriva au volant d’une voiture rapide ; il conduisait vite.

15Francis me proposa, sans fioritures, de participer à la création d’un petit club de réflexion qu’il souhaitait animer avec quelques amis. Le pourquoi moi demeure après tout ce temps un petit mystère. Il me dit qu’il m’avait remarqué… Après quelques échanges, nous décidâmes d’appeler ce groupe Sagres, en référence à la ville du Portugal à partir de laquelle Henri le Navigateur avait réuni les grands esprits scientifiques du temps pour partir à l’assaut des océans. Le groupe de prospective générale en est une des émanations.

16Ainsi, depuis cette date, une fois par mois environ, nous nous réunîmes chez lui pour des séances de remue-méninges toujours enrichissantes. Dominique David nous y rejoignit. Un peu plus tard, Francis m’intégrait au Conseil scientifique de la Défense où siégeaient déjà Dominique ainsi qu’Alain Bravo et Michel Wieviorka.

17L’été, comme il prenait ses quartiers dans la chartreuse familiale près de Rouen, Dominique David et moi prenions le train ou la voiture (et le bac ?) pour une journée péripatéticienne sur les bords de Seine. À Paris, je fus un visiteur du soir régulier autour d’un verre (lui un whisky, moi un porto).

18Ce fut donc une boucle « vertueuse » de colloques – au sens d’échanges –, de discussion et de débats, parfois vigoureux, qui marqua ces 27 années de compagnonnage – un sacré bail ?

19Ce qui reste de tout cela c’est le formidable enrichissement, fruit de nos dialogues. Ils n’étaient pas forcément faciles. Si son formidable intérêt pour les choses humaines lui permettait de tout aborder, ses idées savaient être bien arrêtées. Animée par un sens de l’État chevillé au corps, son souci de la souveraineté nationale, sa vision était également marquée par son époque, son héritage familial et ses fonctions régaliennes et industrielles. Et cela pouvait donner des étincelles… Je me souviens sa première réaction au petit livre où je questionnais l’État-­Nation1. Il rappela le jour d’après pour s’excuser. Je lui répondis en riant qu’il n’avait pas à le faire puisque je l’avais anticipé… et nos échanges reprirent de plus belles.

20Ce qui frappait aussi, c’était l’amplitude de sa pensée. Comme l’on cheminait de l’anecdote au concept, il n’était jamais temps de s’ennuyer et l’on passait d’un trait de la petite à la grande politique. De plus, dans ses analyses de politique internationale et dans sa vision du monde, la philosophie n’était jamais loin. Il y avait du Clemenceau dans Gutmann – il aurait détesté que je dise une chose pareille. Pourtant le trait acéré, l’humour glacé, la pique impitoyable faisait aussi partie de son arsenal. Il demandait beaucoup aux autres, surtout à ceux à qui il attachait du prix. Mais il fallait tenir ce rang. Avec lui, pas d’erreur de carres, pas de faute conceptuelle, pas de faiblesse dans l’argumentation, sinon vous descendiez en marche. J’ai eu l’honneur d’être son ami. Je l’ai eu à l’usure… Un jour il me dit : « Vous vous êtes bien amélioré. » Cela valait toutes les légions d’honneur.

21Je suis fier d’avoir fait un bout de chemin avec cet homme-là.

Dominique David

22Une distance songeuse vis-à-vis de soi, une manière de ne rien exciper directement de la richesse de ses expériences, lui donnaient une capacité d’écoute remarquable. L’attention humaine dédoublait des savoirs exceptionnels, de tous ordres, qui ne pointaient que quand nécessaires : pour remettre en droit chemin l’imprudent ou l’arrogant. Cette manière de ne s’appuyer que discrètement sur le passé l’aidait à regarder droit, à pousser les autres à considérer tous les futurs, tous les moyens de les construire. Chez Francis Gutmann, les racines restaient invisibles ; mais leurs forces mêmes l’installaient dans l’avenir.

Patrice Debré – Épidémie de Covid : quand la réalité rattrape la prospective

23Lors de notre première rencontre, l’ambassadeur m’indiqua qu’il attendait de moi des réflexions sur les enjeux de santé, puis ajouta : « En matière de prospective. » Je suis resté un moment perplexe sur l’étendue des choix. L’homme n’est-il pas assailli de toute forme de risques, de dangers qui le menacent, qui, de tout temps, ont été classés comme venant de l’intérieur ou de l’extérieur ? Il existe cependant un fil rouge, qui rattache l’homme aux autres écosystèmes, ceux des animaux et de l’environnement. Ce fil rouge est celui des microbes. Aujourd’hui où l’avenir de l’homme semble intimement lié aux différents composants du vivant, autour de ce qui est appelé « une seule santé pour tous », le microbe fluctue entre ces écosystèmes. Parmi les multiples expressions futures de notre santé et de notre bien-être, et celles de leurs dérèglements, ce fut ainsi le microbe que je choisis pour placer notre avenir entre leurs mains. J’avais cependant le choix entre plusieurs aventures qui nous lient à eux, ou plutôt, qui nous livrent à eux.

24D’un côté nous ne pouvons vivre sans les microbes qui composent une partie de ce que nous sommes, c’est-à-dire une chimère. Il existe en nous plus de bactéries que de cellules à proprement parler humaines. Ces populations bactériennes, qui vivent notamment dans nos intestins, sont indispensables pour la digestion, en particulier celle de certains sucres, et éduquent notre système immunitaire à les protéger des pathogènes. Ainsi les bons microbes nous aident à lutter contre ceux qui nous assaillent. Certes les microbiotes se dérégulent et peuvent être ainsi, au moins en partie, la cause de certaines pathologies telles le cancer, le diabète, l’obésité, voire même l’autisme. Mais, dans la majeure partie des cas, l’avantage est de loin supérieur aux conséquences néfastes. Les microbes nous sont indispensables à vivre. Voilà pour le Ying.

25Mais il est une autre face des interactions qui nous concernent avec les microbes, le Yang : ce sont les épidémies meurtrières. C’est à cette cohabitation que je m’adressais – et par là même adressais une réponse à l’ambassadeur –, quand il me demanda une vision prospective sur un pan de notre santé. J’écrivis ainsi un texte pour lui et d’autres lecteurs. Il concernait à la fois ce que je savais de l’histoire des épidémies et de leur futur, car, ce que le passé nous apprend, est qu’il se répète – bien sûr sous d’autres formes mais avec des menaces comparables. Je ne crus pas si bien dire. La Covid vint clore mes lignes à peine sèches, à vrai dire avec un petit retard. Mes prédictions ne précédaient cette nouvelle épidémie que de quelques mois. La prospective livre ainsi ses limites dans le temps et l’espace et, pour ce que nous avons connu, rapprochait la conjugaison des verbes de mon texte. Le futur se déclina vite en présent, lequel, nous l’espérons tous, laissera rapidement place à l’imparfait… jusqu’à la prochaine crise.

26L’ambassadeur m’avait permis quelques prédictions, qui n’avaient rien du hasard car elles venaient d’une expérience passée. Les médecins ne sont pas des devins, mais sont engagés dans la prévention. Malheureusement, les politiques s’adressent rarement à ce mode de lutte contre les agresseurs de santé. Je fus plus écouté par l’ambassadeur et par vous-même, lecteurs, que par nos décideurs.

27Notre club à ceci de bon qu’il réunit nos expériences et s’en enrichit. L’ambassadeur avait raison : la prospective nous incite à échanger, et sans doute construire ensemble, sur un avenir que l’on croit toujours meilleur. Mais le passé nous rattrape…

Marie-Claude Moisson

28J’ai fait la connaissance de monsieur Gutmann en 1993, lorsqu’il a pris la présidence du conseil d’administration de l’Institut français du pétrole. J’occupais, alors, la fonction d’assistante à ce poste, et c'est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble. À la fin de son mandat, il m’a proposé de continuer de l'assister dans ses diverses activités, j’ai accepté et cela fidèlement jusqu’à son décès en juin 2020. Au fil de ces nombreuses années, une relation amicale s’est nouée avec son épouse et ses enfants, et réciproquement de son côté vis-à-vis de mes proches.

29Entre énergie, diplomatie, médiation, politique étrangère et prospective, ces 27 années d’étroite collaboration dans des secteurs très différents, toujours avec une immense confiance réciproque et une profonde amitié dont je le remercie, m’ont permis de bien connaître Francis Gutmann, d’apprécier ses qualités et ses valeurs. C’était un « grand Monsieur », respectable et respecté, animé d’une vivacité ­d’esprit extraordinaire, d’une mémoire exceptionnelle, d’une grande intelligence, de connaissances colossales, d’une vision et d’un engagement hors norme. Très francophile et francophone, il aimait son pays et maniait de façon remarquable la langue française, son aisance d’élocution laissait toujours pantois son auditoire lors de ses conférences.

30Nos échanges personnels en tous domaines, qu’ils soient politiques, religieux, culturels, philosophiques ou sur l’actualité, bien que parfois divergents, ont toujours été amicaux, ouverts et enrichissants, je lui en suis très reconnaissante. Sa personnalité, son autorité naturelle, son timbre de voix imposaient le respect et il s’amusait souvent à en jouer… Mais derrière un caractère trempé, exigeant et parfois colérique, se cachait un homme accessible, généreux, attentif et attentionné, très humain et d’une grande sensibilité.

Michel Wieviorka

31Quand, au début des années 2000, Francis Gutmann m’a proposé de rejoindre le CSD, j’ai d’abord cru à une erreur de casting. Je le lui ai alors répondu que je n’avais aucune compétence en matière de défense, tout au plus avais-je étudié par le passé les acteurs terroristes. En fait, il savait bien sûr qui j’étais : les militaires, m’a-t-il alors laissé comprendre d’un ton amusé, savent puiser à bonne source les informations dont ils ont besoin. S’il faisait appel à moi, c’était en connaissance de cause, parce qu’il tenait les disciplines auxquelles il m’associait – la sociologie et les sciences politiques, pour indispensables – au travail du Conseil qu’il présidait, auquel appartenaient déjà Rémi Leveau, disparu hélas en 2005, et Dominique David. En ces temps où une approche technocratique tient si souvent lieu de compétence, et où le « présentisme » dispense de se projeter vers l’avenir tout autant que d’envisager sérieusement le passé, il considérait que les sciences humaines et sociales, incluant l’histoire, avaient toute leur place dans la réflexion collective. Il est difficile d’en dire autant des pouvoirs politiques récents ou contemporains.

32Comme d’autres, je me rendais aux réunions du CSD comme à un club – et il fallait de bien lourdes obligations extérieures pour que je manque une séance. Elles étaient tenues de main de maître, et toujours instructives. Ce qui nous rapprochait était leur contenu, le plaisir d’être ensemble, ainsi que les réflexions et connaissances qu’apportaient les uns et les autres. Je n’ai connu nulle part ailleurs d’instance où l’exigence intellectuelle a été aussi soutenue. Nous étions tous singulièrement attentifs, à l’écoute les uns des autres. Et il s’y nouait aussi des relations amicales inattendues et durables.

33À trois reprises, Francis Gutmann m’a demandé d’animer un groupe de travail : quelques personnalités choisies en accord avec lui, membres ou non du Conseil, procèdaient à des auditions et travaillaient ensemble, à partir d’une thématique, et il en sortait finalement un rapport. De tels documents étaient d’abord examinés en tête à tête avec lui, amendés en fonction de ses remarques, puis soumis à la discussion collective, en séance plénière, et retravaillés avant qu’une version définitive soit établie sous sa houlette. Nous avons ainsi tous participé à ces dynamiques, toujours avec sérieux, application, et avec la plus vive conscience qu’il s’agissait in fine d’éclairer d’importants décideurs.

34Des décideurs, à commencer par le ou la ministre – et non l’opinion publique et les médias. Je m’en étais un jour étonné auprès de lui : n’était-il pas dommage que des travaux parfois de qualité exceptionnelle ne bénéficient d’aucune diffusion, et restent « Confidentiel Défense » ? Il m’avait expliqué et convaincu : faire passer un message fort au plus haut niveau de l’État n’est efficace que dans la discrétion, au plus loin du bruit médiatique. Cela ne m’empêche pas d’avoir un pincement en pensant aux rapports que j’avais rédigés, et que je ne publierai jamais. Publish or perish ne s’applique pas ici ?

35Le CSD a disparu, sous la présidence de François Hollande, malgré les efforts de plusieurs de ses membres et amis pour tenter d’obtenir sa survie – ce fut peine perdue. Encore aujourd’hui, je trouve cette disparition regrettable. Cette institution légère qui ne coûtait pas grand-chose à l’État avait un véritable rôle intellectuel et n’a assurément pas été remplacée. Heureusement, Francis Gutmann ne s’est pas démobilisé et, avec l’aide de quelques amis, il a pris l’initiative, entre autres, de créer le CPG que la Fondation Maison des sciences de l’homme a accueilli pour ses réunions et dont elle a aidé à pré-publier, sous la forme de working papers, les travaux qui font l’essentiel du présent volume.

36J’ai eu la chance, à plusieurs reprises, de déjeuner en tête à tête avec Francis Gutmann. J’en profitais, le plus possible, pour lui demander d’évoquer des personnalités importantes qu’il avait pratiquées ou des évènements dont il avait été témoin, et surtout acteur. Je l’ai toujours encouragé à publier ses souvenirs. Son rôle, notamment vis-à-vis du Proche-Orient, mériterait certainement d’être mieux connu : je le revois encore raconter comment il a contribué à l’exfiltration de Yasser Arafat lors du siège de Beyrouth par l’armée israélienne en 1982. Analyste, animateur sans pareil d’une vie scientifique et intellectuelle, Francis Gutmann savait ce qu’est l’Histoire, et y a aussi laissé une marque.