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Une collecte d’images

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Steffen Haug

III. Correspondances. Les images du Livre des passages et l’exposé « Paris, capitale du XIXe siècle »

III.6. Haussmann ou les barricades

Full text

  • 1 GS V, p. 56 ; Passages, p. 44.

1Le dernier chapitre de l’exposé se penche sur les travaux de rénovation du baron Haussmann et s’intéresse en particulier à leur fonction militaro-politique : rendre impossible l’édification de barricades à Paris en perçant de larges boulevards et des enfilades de rues en ligne droite, pour permettre aux autorités de mieux contrôler l’espace urbain en cas de soulèvement. Le chapitre se compose de deux paragraphes, que vient compléter un troisième alinéa, en apportant une conclusion à l’ensemble de l’exposé. Benjamin énumère d’abord les divers aspects des transformations haussmanniennes : premièrement, l’idée esthétique qui a présidé au tracé des grands boulevards, suivant une « tendance qui pousse sans cesse le xixe siècle à ennoblir les nécessités techniques par de pseudo-fins artistiques1 » ; deuxièmement, les intentions économiques et sociopolitiques ; et, troisièmement, la stratégie militaire.

  • 2 Ibid.

2Le second paragraphe traite de la Commune, qui ressuscite la barricade : plus forte et mieux conçue, elle barre même les grands boulevards. Les insurgés se sont adaptés au nouveau paysage urbain. La Commune révèle en outre l’abîme qui s’est creusé entre le prolétariat et la bourgeoisie : tandis que le premier aspirait encore à achever l’œuvre de 1789 main dans la main avec la bourgeoisie, celle-ci s’était depuis longtemps rangée aux côtés des tenants de l’Ancien Régime pour combattre la révolution, de sorte que la Commune devient la première « insurrection ouvrière ». Lors des combats entre les communards et les troupes gouvernementales, de nombreux immeubles furent brûlés : « L’incendie de Paris est le digne achèvement de l’œuvre de destruction du baron Haussmann2 », note Benjamin pour conclure l’analyse historique de son exposé.

  • 3 GS III, p. 435-436.
  • 4 Nous avons déjà traité ici de la disparition du vieux Paris, à propos de Baudelaire et de Meryon. L (...)

3Son texte repose essentiellement sur les matériaux réunis dans les liasses E « Haussmannisation, combats de barricades », a « Mouvement social » et k « La Commune ». Benjamin avait déjà analysé les intentions policières et stratégiques qui avaient guidé les transformations du paysage urbain de Paris dans une recension, en 1934, de la biographie d’Haussmann par Georges Laronze3. Nous évoquerons ici trois notes iconographiques de la liasse E et cinq de la liasse k4, que nous interpréterons en nous penchant d’un côté sur les interactions entre édification des barricades et construction urbaine, de l’autre sur certaines formes de propagande visuelle, quand les images deviennent des instruments de lutte politique.

Combats de barricades et grands boulevards

4Les images choisies par Benjamin témoignent des influences réciproques entre les barricades et les projets de rénovation urbaine d’Haussmann. Elles montrent d’abord les combats de barricades de la révolution de juillet 1830, puis les travaux de transformation qui y répondirent et, enfin, les barricades qui furent de nouveau édifiées en 1871.

  • 5 Sur la révolution de Juillet, voir entre autres Andreas Fahrmeir, Europa zwischen Restauration, Ref (...)
  • 6 Sur la succession des événements, voir le cat. exp. Il y a cent cinquante ans… Juillet 1830, Paris, (...)
  • 7 Voir [E 1, 4] GS V, p. 180 ; Passages, p. 146.

5La révolution de Juillet éclata lorsque Charles X (1757-1837) voulut restaurer la monarchie, sur le modèle de l’Ancien Régime. Après que les forces libérales ont emporté la majorité lors des élections parlementaires, le roi prononce le 25 juillet la dissolution de la Chambre des députés et modifie la Charte constitutionnelle afin de rendre le droit électoral plus favorable au parti monarchiste, en écartant une partie de la bourgeoisie commerçante ou industrielle5. Les journaux d’opposition refusent cependant de publier les ordonnances, jugées contraires à la Charte, et font paraître en lieu et place, le 27 juillet, un appel à la résistance. Lors des manifestations organisées en soutien aux protestataires, de premiers affrontements ont lieu entre insurgés et forces de l’ordre. Le lendemain, le groupe des émeutiers, qui rassemble à la fois des députés libéraux et des journalistes, des étudiants de l’École polytechnique, des artisans et des ouvriers, réussit à prendre d’assaut l’Hôtel de Ville. Les troupes royales échouent à déloger les occupants. Encasernés à la périphérie de la ville, les soldats sont ralentis dans leur avancée par les nombreuses barricades érigées entre-temps dans les rues, que tiennent les insurgés en armes6. Le 29 juillet, Paris est bloqué par quelque six mille barricades7, ce qui rend impossible tout contrôle de la ville par l’armée. Le 30 juillet, Charles X abdique et s’enfuit en Angleterre. Le 7 août, le « roi-citoyen » Louis-Philippe lui succède sur le trône.

  • 8 [E 2, 7] GS V, p. 184 ; Passages, p. 149, et [E 8, 9] GS V, p. 199 ; Passages, p. 162.
  • 9 [E 1a, 5] GS V, p. 182 ; Passages, p. 148, et [E 4a, 5] GS V, p. 191-192 ; Passages, p. 155.
  • 10 Michael Löwy, « Die Stadt als strategischer Ort der Konfrontation zwischen den Klassen. Aufstände, (...)
  • 11 Les combats en question se sont déroulés entre l’église Saint-Paul-Saint-Louis et la rue de Fourcy. (...)

6Parmi les nombreuses notes de Benjamin sur la révolution de Juillet, plusieurs concernent l’édification des barricades8 et les stratégies liées à ces ouvrages9 qui deviennent le symbole de l’insurrection populaire10. Des lithographies documentent le tour particulier que prenaient parfois les combats (fig. 80a, b). Elles montrent les cuirassiers de la Garde royale arrêtés par une barricade et essuyant une grêle de tuiles, de pavés, de meubles et d’ustensiles en tout genre lancés par les fenêtres ou du haut des toits de la rue Saint-Antoine11.

  • 12 [E 8, 3] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.
  • 13 Voir Jacques Hillairet, La Rue Saint-Antoine, Paris, 1970, p. 54.

7Les insurgés utilisent comme projectiles non seulement toutes sortes de meubles – depuis l’humble tabouret en bois jusqu’au luxueux fauteuil Empire –, mais aussi les gros blocs de granit pavant les rues12. Les combats de la rue Saint-Antoine furent parmi les plus sanglants de la révolution de Juillet13. Un autre document témoigne de la situation stratégique défavorable qu’eurent à affronter les troupes royales ; il s’agit d’une carte que Benjamin mentionne quelques entrées après la note sur les planches de la rue Saint-Antoine :

  • 14 [E 8, 5] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.

« Relevé des barricades de 1830 : Ch. Motte, Révolutions de Paris 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes (chez l’auteur)14. »

  • 15 Sur cette carte, voir aussi Kory E. Olson, « “Aux armes citoyens !” Mapping Regime Change in Charle (...)
  • 16 Comme il l’indique dans son introduction, Motte a publié sa carte à compte d’auteur parce qu’il est (...)

8Ce Plan figuratif comporte douze feuillets d’album que l’on pouvait détacher et assembler pour former une carte murale (fig. 110a-c)15. Réunis, ils font voir les divers fronts où l’on s’est battu pendant les « Trois Glorieuses » sur l’ensemble du territoire parisien16. Les combats de la rue Saint-Antoine y sont également rapportés (fig. 110b). Dans le fouillis des ruelles tortueuses, on observe que toutes les voies par lesquelles on aurait pu s’échapper ont été coupées par des barricades. Les factions en présence y sont figurées par des symboles. La « Cavalerie Garde royale » – carrés noir et bleu – est cernée par des barricades, que matérialisent d’épais traits de couleur ocre, et tente de se défendre dans les deux directions, comme le montrent les traits rouges représentant les tirs. Les « Citoyens armés » – rectangles bleu-blanc-rouge – bombardent les soldats depuis les rues latérales. Sur d’autres portions de la rue, les troupes d’infanterie sont également prises en embuscade. La scène se déroule à quelques centaines de mètres à l’ouest de l’Hôtel de Ville, que les soldats royaux essaient de rejoindre. Le plan des barricades tracé en 1830 par Charles Motte fait clairement apparaître le handicap que constituait, même pour les troupes les mieux armées, l’enchevêtrement des ruelles du vieux Paris.

Fig. 110a Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 3 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Fig. 110a Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 3 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg3-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi

Fig. 110b Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 5 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Fig. 110b Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 5 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg5-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi

Fig. 110c Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 7 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Fig. 110c Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 7 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]

Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg7-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi

  • 17 Voir, dans Sens unique, le texte « Articles de papeterie. Les plans Pharus » (GS IV, p. 111 ; WuN 8 (...)
  • 18 [C 1a, 4] GS V, p. 136-137 ; Passages, p. 110, et [C 1, 9] GS V, p. 135 ; Passages, p. 108.
  • 19 GS IV, p. 104 ; WuN 8, p. 31 ; Sens unique, p. 134.

9Depuis les années 1920 au moins, Benjamin nourrissait un goût très vif pour les plans de ville, à la fois comme forme de représentation et comme aide-mémoire17. D’autres plans sont mentionnés dans les notes et matériaux pour les Passages, à titre de documents d’histoire urbaine18. Dans le texte « Principes des pavés ou l’art de faire des livres épais » de Sens unique, il s’est en outre intéressé à divers types de représentations graphiques. Il propose ainsi avec ironie une recette pour faire grossir le volume d’un livre : « Il convient de développer avec des mots les corrélations qui peuvent être exposées par un graphique19. » Dans certains cas, estime Benjamin, les explications textuelles ne sauraient atteindre à l’évidence des schémas graphiques. Ainsi a-t-il intégré à ses matériaux des Passages cette carte de 1830, qui révèle en toute clarté combien pouvait être féconde, contre une armée dispersée et encerclée, la stratégie des combats de barricades.

  • 20 GS V, p. 57 ; Passages, p. 45.

10En 1848 aussi, « les barricades jouèrent un rôle pendant la révolution de Février20 », qui entraîna l’abdication de Louis-Philippe et la proclamation de la Seconde République. En décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président. À la suite du coup d’État du 2 décembre 1851, il se fait couronner empereur en 1852, sous le nom de Napoléon III. L’année suivante, il nomme Haussmann au poste de préfet de Paris. Les travaux de transformation urbaine lancés par le baron devaient empêcher à jamais l’édification des barricades, comme Benjamin l’indique dans son exposé :

  • 21 Ibid.

« Haussmann veut les empêcher de deux façons. La largeur de la chaussée doit en interdire la construction et les nouvelles rues percées doivent conduire le plus rapidement possible des casernes aux quartiers ouvriers. Les contemporains baptisent l’entreprise l’“embellissement stratégique”21. »

11Les travaux d’Haussmann ne sont pas figurés dans les gravures retenues par Benjamin, mais une note mentionne les outils élémentaires avec lesquels ils furent exécutés :

  • 22 [E 2, 10] GS V, p. 184 ; Passages, p. 149. 

« Très important : “Les moyens d’Haussmann”, repr<oductions> dans Le Corbusier, Urbanisme, p. 150. Les différents types de pelle, de pioche, de brouette, etc.22. »

  • 23 Dans son ouvrage Urbanisme, Le Corbusier oppose aux outils d’Haussmann la photographie d’une grue u (...)

12Benjamin n’explique pas en quoi ce document est « très important », mais le contexte où il apparaît dans l’ouvrage de Le Corbusier peut suggérer quelques pistes (fig. 111). Les « moyens d’Haussmann » sont évoqués dans le cadre du « plan Voisin » (1925), où l’architecte proposait de démolir une grande partie du centre de Paris pour y édifier dix-huit gratte-ciel cruciformes sur une trame orthogonale régulière. Si l’on a réussi, au temps d’Haussmann, à réaliser des travaux d’une telle envergure avec des moyens aussi sommaires, argumente Le Corbusier, son propre projet ne sera-t-il pas parfaitement réalisable avec les machines et les outils industriels dont on dispose désormais23 ? En intégrant cette note à son Baudelaire, Benjamin fait écho à la pensée de l’urbaniste, mais en la tordant puisque, loin de l’envisager selon l’idéologie optimiste du progrès, il en pointe au contraire les dangers :

  • 24 GS I, p. 589 ; Baudelaire, p. 779.

« Il [Haussmann] avait opéré le bouleversement du paysage urbain avec les moyens les plus modestes qu’on puisse imaginer : bêches, pioches ou encore barres à mine. Quelles destructions ces modestes outils n’avaient-ils pas déjà provoquées ! Et combien depuis ont crû, en même temps que les grandes villes, les moyens de les raser ! Quelles images du futur n’éveillent-ils pas24 ! »

Fig. 111 Le Corbusier, Urbanisme, Paris, G. Crès, 1925, p. 150, en bas : une série de vignettes représentant « les moyens d’Haussmann », s.d., gravures sur bois ou acier → [E 2, 10]

Fig. 111 Le Corbusier, Urbanisme, Paris, G. Crès, 1925, p. 150, en bas : une série de vignettes représentant « les moyens d’Haussmann », s.d., gravures sur bois ou acier → [E 2, 10]

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, 8-V-45439 (4), http://ark.bnf.fr/​ark:/12148/​cb30768408m

  • 25 [E 13, 2] GS V, p. 208 ; Passages, p. 169.
  • 26 Sur une double page de son livre, Susan Buck-Morss met en opposition une image des outils qui furen (...)

13Remarque de portée générale que Benjamin illustre, dans une autre note de cette même liasse E, par un exemple concret en évoquant la destruction de Guernica sous les bombes des pilotes allemands de la légion Condor en avril 1937 : « L’œuvre d’Haussmann est aujourd’hui accomplie, comme le montre la guerre d’Espagne, avec des moyens tout à fait différents25. » L’attaque aérienne s’est déroulée bien après que Benjamin eut pris sa première note, rédigée avant juin 1935. Cette référence à un événement de l’histoire contemporaine a été ajoutée après coup26. Mais la question posée dans l’essai sur Baudelaire – quelle sera l’ampleur des destructions à venir, sous l’effet d’une mécanisation croissante ? –, Benjamin l’a sans doute rattachée d’emblée à l’image des outils d’Haussmann. L’importance qu’il lui accorde tient donc à la question qui lui est implicitement liée : qu’est-ce que cela signifie pour l’époque actuelle ?

14Dans l’essai sur Baudelaire, Benjamin revient, après cette brève réflexion sur son propre temps, à l’époque d’Haussmann, en s’intéressant surtout à l’idée que les contemporains se sont faite de la transformation radicale infligée au visage de leur ville par les travaux du baron. Quittant les rues où l’on se bat sur les barricades, le regard se porte sur les grands boulevards en ligne droite, « les principales saignées d’Haussmann », telles que tracées sur le plan de ville que Le Corbusier place au-dessus de la planche des outils et auxquelles les insurgés de la Commune eurent à s’adapter en 1871, lorsqu’ils s’employèrent à leur tour à ériger des barricades. Benjamin note à ce propos dans son exposé :

  • 27 GS V, p. 58 ; Passages, p. 45.

« La barricade est ressuscitée par la Commune. Elle est plus forte et mieux conçue que jamais. Elle barre les grands boulevards, s’élève souvent à hauteur du premier étage et abrite de vraies tranchées27. »

  • 28 Löwy constate que « curieusement le thème des barricades n’est plus mentionné dans les notes sur la (...)

15S’il ne consigne dans ses matériaux que très peu de documents écrits sur ces fortifications28, il sélectionne en revanche une photographie d’un ouvrage de ce genre :

  • 29 [E 8, 5] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.

« Légende d’une planche dans Les Ruines de Paris. 100 photographies par A. Liébert, Paris, 1871, t. 1 : “Barricade des Fédérés construite par Gaillard père”29. »

  • 30 [E 11, 2] GS V, p. 205 ; Passages, p. 166.
  • 31 Initiateur des mouvements d’extrême gauche à Nîmes en 1848, Gaillard, cordonnier de son métier, res (...)
  • 32 Comme l’indique son titre, l’album photographique de Liébert montre Paris en ruine. Cette image d’u (...)
  • 33 La rue de Rivoli compte parmi les tout premiers boulevards ; le projet en fut lancé en 1801, sous l (...)
  • 34 Joanna Kozicka et Mieczyslaw Berman, Pariser Kommune 1871, Varsovie, 1955, p. 123 ; l’album de Liéb (...)

16L’image de Liébert montre, vue de l’arrière, la barricade de la rue de Rivoli, juste avant la place de la Concorde (fig. 112)30. Faite d’un entassement de sacs de sable, elle est couronnée par une rampe de terre et ressemble à un mur fortifié. Deux hommes en civil, avec pelles et brouette, attestent que l’ouvrage est encore en chantier, tandis qu’à leurs côtés ont déjà pris position des défenseurs en uniforme de la Garde nationale. Ce retranchement, le plus colossal édifié à Paris pendant la Commune, était l’œuvre de Louis Napoléon Gaillard (1815-1902), directeur de la défense intérieure, chargé du commandement de l’ensemble des barricades parisiennes31. C’est la seule photographie de l’album de Liébert qui montre une barricade32. Contrairement aux ouvrages improvisés qui barraient les rues en 1830, c’est avec méthode qu’il fallut cette fois procéder, afin d’adapter la construction à la largeur des boulevards33. De fait, les troupes versaillaises n’osèrent pas attaquer de front la barricade de la rue de Rivoli et ce n’est qu’à la toute fin des combats qu’elle fut prise à revers34.

Fig. 112 Alphonse Liébert, Barricade des Fédérés construite par Gaillard père, au coin des rues St Florentin & de Rivoli, 1871, photographie reproduite dans Alfred d’Aunay, Les Ruines de Paris et de ses environs, 1870-1871. Cent photographies par A. Liébert, 2 vol., Paris, 1872, vol. 1, pl. 40 → [E 8, 6]

Fig. 112 Alphonse Liébert, Barricade des Fédérés construite par Gaillard père, au coin des rues St Florentin & de Rivoli, 1871, photographie reproduite dans Alfred d’Aunay, Les Ruines de Paris et de ses environs, 1870-1871. Cent photographies par A. Liébert, 2 vol., Paris, 1872, vol. 1, pl. 40 → [E 8, 6]

Crédit/Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, PET FOL-VE-64 (B), https://gallica.bnf.fr/​ark:/12148/​btv1b8432953r/​f57.item ; voir aussi sur https://images.bnf.fr/​#/​detail/​765720/​1

17Malgré d’aussi formidables ouvrages défensifs, l’insurrection allait être écrasée, la défaite de la Commune tenant moins aux défauts de construction des barricades qu’à la supériorité militaire accablante des troupes gouvernementales, sur laquelle nous reviendrons en étudiant plusieurs tracts de cette époque.

18Les notes de Benjamin sur le Plan figuratif de Charles Motte et sur la photographie de Liébert se suivent immédiatement dans la liasse E. C’est peut-être un hasard, mais l’on peut aussi admettre que ce voisinage n’est pas sans signification. Ces deux documents témoignent en effet de la construction des barricades juste avant et après qu’Haussmann eut procédé au percement des boulevards. Ainsi font-ils clairement apparaître le nouage entre les deux thèmes que Benjamin combine dans le dernier chapitre de son exposé, « Haussmann ou les barricades ».

Tracts de la Commune

  • 35 Sur la Commune, voir entre autres Günther Grützner, Die Pariser Kommune. Macht und Karriere einer p (...)

19Tandis que les représentations que nous venons d’analyser ont pour fonction première de documenter les événements politiques, les feuilles volantes que nous examinerons à présent révèlent un autre trait saillant : celui de l’image comme instrument de propagande. Pour la plupart, Benjamin les a vues à l’exposition sur la Commune présentée à Saint-Denis en 1935. On y ajoutera une lithographie découverte au Cabinet des estampes. Ces tracts ont été imprimés entre le mois de février et la fin du mois de juin 1871 ; ils sont le fruit de l’effervescence politique qui agita chacun des deux camps en présence, depuis la période qui précéda l’insurrection parisienne jusqu’aux années qui la suivirent, encore toutes vibrantes de ses échos, en passant par la Commune proprement dite, du 18 mars au 28 mai 187135.

  • 36 Willms, Paris, 1988, p. 420-421.
  • 37 Pendant le siège de Paris, la plupart des gardes nationaux issus des classes supérieures quittèrent (...)
  • 38 Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographi (...)

20La première feuille volante date d’avant la Commune. Rappelons-en brièvement les événements historiques. Le 19 juillet 1870, Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. Le 2 septembre, après la défaite de Sedan, il est contraint de capituler et emmené en captivité en Allemagne. À Paris, la révolution non violente du 4 septembre signe la fin du Second Empire et aboutit à la proclamation de la Troisième République. Le nouveau gouvernement provisoire de la Défense nationale décide cependant de poursuivre la guerre, surtout parce que la Prusse subordonne la conclusion de la paix à l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine. On réarme alors la Garde nationale, milice citoyenne, indépendante de l’armée de métier, levée pour la première fois lors de la Révolution de 1789. Mais, dès le 18 septembre, les armées prussiennes encerclent Paris et la défaite française est consommée. Un armistice est conclu avec la Prusse le 25 janvier 1871 ; il prévoit aussi qu’une assemblée sera élue pour ratifier la signature de la paix. Le 8 février, les forces conservatrices – qui représentaient les intérêts des royalistes, de la grande bourgeoisie et du clergé – remportent la majorité, parce qu’elles sont favorables à la conclusion de la paix, en accord avec le sentiment de la population rurale, fatiguée par les hostilités36. Adolphe Thiers (1797-1877), qui est partisan de la monarchie constitutionnelle et a déjà été président du Conseil sous Louis-Philippe, est élu « chef du pouvoir exécutif de la République française ». À Paris, les opinions républicaines dominent ; la majorité de la population est donc hostile à sa politique37. C’est de cette confrontation que témoigne le premier tract38, à propos duquel Benjamin note :

  • 39 [k 2, 6] GS V, p. 952 ; Passages, p. 790.

« Une feuille volante ; lithographie “Elle”. La République sous la forme d’une belle femme autour de laquelle s’enroule un serpent dont la tête a les traits de Thiers. La femme a un miroir au-dessus de la tête. La légende : “De cent façons tu peux la prendre / Elle est à louer, mais pas à vendre39.” »

  • 40 Charles Vernier (ici sous le pseudonyme de « Courtoujours ») était coutumier d’une forme d’humour f (...)
  • 41 Sur la signification de la liberté dans cette lithographie, voir David A. Shafer, « Viragos, Virgin (...)

21Coiffée de son bonnet phrygien, Marianne symbolise à la fois la République et la liberté (fig. 113). Le serpent qui enroule ses anneaux autour de son corps nu a le visage de Thiers ; il cherche à lui ravir sa liberté, en la « vendant » aux Allemands – au prix de la paix et de la monarchie –, comme l’indique la légende de la planche, avec ses sous-entendus scabreux40. Si la République peut se prêter à certains compromis, elle ne saurait toutefois renoncer à son indépendance41.

Fig. 113 Charles Vernier (alias E. Courtoujours), Elle, 1871, lithographie coloriée à la main, 28,5 × 18,5 cm (image), 34,5 × 26,5 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 6]

Fig. 113 Charles Vernier (alias E. Courtoujours), Elle, 1871, lithographie coloriée à la main, 28,5 × 18,5 cm (image), 34,5 × 26,5 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 6]

Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani

  • 42 Voir GS I, p. 345 et 424, note 21 ; Origine du drame baroque, p. 181-182, note 21.
  • 43 Chez Ripa, on lit : « Le due facce significano che la Prudenza è una cognitione vera & certa, la qu (...)
  • 44 Chez Vernier, le serpent n’est pas l’emblème de la sagesse, comme chez Ripa, mais, conformément à s (...)
  • 45 Déjà à l’époque de la Révolution de 1789, de nombreuses gravures reprennent des motifs emblématique (...)

22Pour figurer sa République, Charles Vernier a pris modèle sur l’allégorie de la Prudence, telle qu’elle était couramment représentée depuis la Renaissance. On la trouve notamment dans l’Iconologia (1593, première édition illustrée 1603, fig. 114), que Benjamin connaissait bien et qu’il a mentionnée dans son étude sur le drame baroque allemand, lorsqu’il y examine l’origine de l’emblématique42. La Prudence a pour attribut un miroir, qui est l’instrument de la connaissance (de soi). Chez Ripa, elle a un double visage, et regarde aussi bien vers le passé, dont elle sait tirer les leçons, que vers l’avenir, où elle agit43. Vernier en reprend le modèle en 1871, dans des circonstances où il s’agit tout pareillement d’agir avec prévoyance, la décision à prendre étant cette fois-ci politique, pour éviter que la population parisienne ne se laisse berner par les promesses de Thiers44. La question morale fondamentale de l’époque humaniste est réactualisée ici à des fins concrètes : protéger la République libérale de la menace d’un rétablissement de la monarchie45.

Fig. 114 Cesare Ripa, Prudenza, gravure sur bois, dans id., Iconologia, Rome, 1603, p. 416

Fig. 114 Cesare Ripa, Prudenza, gravure sur bois, dans id., Iconologia, Rome, 1603, p. 416

Crédit/Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Arsenal, RESERVE 4-BL-5093, https://gallica.bnf.fr/​ark:/12148/​bpt6k1518922t/​f442.item.r=Cesare%20Ripa%20iconologia#

  • 46 Voir Willms, Paris, 1988, p. 421.

23Ce conflit entre l’Assemblée nationale et le Paris républicain s’exacerba après que Thiers eut tenté le 18 mars, avec l’appui de l’armée, de s’emparer des canons de la Garde nationale. L’entreprise échoua, mais la population parisienne était désormais en opposition ouverte avec le Parlement, sans disposer elle-même d’un pouvoir autonome. Des élections furent donc organisées le 28 mars et les Parisiens désignèrent un conseil municipal de quatre-vingt-dix membres qui prit le nom de Commune de Paris. Les classes fortunées ayant déjà fui la ville, la population restait composée pour l’essentiel de membres de la petite bourgeoisie, d’ouvriers et de journaliers, de sorte que les partis républicains et socialistes obtinrent aisément la majorité des voix46. Le 2 avril, bien décidé à reprendre la main, le gouvernement versaillais mettait le siège devant Paris.

24Pour mieux s’imposer dans les esprits, le combat politique fut alors mené sur plusieurs fronts. Un journal mural cité par Benjamin portait ainsi son attaque contre l’Église :

  • 47 [k 2, 5] GS V, p. 952 ; Passages, p. 790.

« Un tract communard reproduit un dessin avec cette légende : “Les cadavres découverts dans les souterrains de l’église Saint-Laurent”. On affirmait avoir découvert dans cet endroit des corps de femmes qui ne pouvaient y avoir séjourné plus de quelques années, les cuisses écartées et les mains liées. (Exposition.)47 »

  • 48 Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographi (...)
  • 49 La mention « Dessin d’après nature » figure sous l’illustration. L’auteur de la planche, Auguste An (...)
  • 50 Voir Journal des journaux de la Commune. Tableau résumé de la presse quotidienne du 19 mars au 24 m (...)
  • 51 [C 8a, 4] GS V, p. 153 ; Passages, p. 124.
  • 52 L’article sur « Les cadavres de l’église Saint-Laurent » se conclut par ces mots : « Ici le catholi (...)

25La « découverte » effectuée dans la crypte de l’église Saint-Laurent fit l’objet d’un article publié dans la presse le 9 mai 1871 et d’un tract illustré de grand format placardé sur les murs (fig. 115)48. Des prêtres, raconte le texte, y avaient enfermé, violé et assassiné quatorze jeunes femmes49. Une enquête aussitôt diligentée allait conclure que les accusations étaient sans fondement, mais on continua néanmoins de diffuser la gravure, qui acquit une grande popularité50. Dans une note de la liasse C « Le Paris antiquisant, catacombes, démolitions », Benjamin cite un extrait de l’Histoire de la Commune, par Laronze, qui atteste une même suspicion à l’égard des cloîtres et des religieux : « Un vent de folie soufflait sur la capitale. Partout l’on pensait trouver des caveaux et des squelettes51. » Ces articles visant à déconsidérer l’Église52 procédaient d’une méfiance foncière envers le clergé, qui devait d’ailleurs aboutir au premier décret rendu par la Commune de Paris le 3 avril 1871, instaurant la séparation de l’Église et de l’État. Dans le cas des « cadavres de l’église Saint-Laurent », il s’agissait d’une pure manœuvre de propagande. L’Église soutenant les royalistes et le gouvernement de Thiers, de tels tracts cherchaient à discréditer les prêtres et à lutter contre leur puissante influence sur la formation de l’opinion publique.

Fig. 115 Graveur non identifié (A.L. ou Mulel ?), Les cadavres découverts dans les souterrains de l’église Saint-Laurent, 1871, gravure sur bois, 20 × 36 cm (image), 56 × 45 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 5]

Fig. 115 Graveur non identifié (A.L. ou Mulel ?), Les cadavres découverts dans les souterrains de l’église Saint-Laurent, 1871, gravure sur bois, 20 × 36 cm (image), 56 × 45 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 5]

Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/les-cadavres-decouverts-dans-les-souterrains-de-l-eglise-saint-laurent#infos-principales

  • 53 GS V, p. 58 ; Passages, p. 45.
  • 54 [k 2a, 5] GS V, p. 952 ; Passages, p. 791. Sur Courbet et la Commune, voir Courbet et la Commune, d (...)
  • 55 Le 6 septembre 1870, le gouvernement provisoire de la Défense nationale avait nommé Courbet préside (...)
  • 56 Voir Bertrand Tillier, « Courbet, Commune, colonne : le peintre déboulonné par la caricature », in (...)
  • 57 Le drapeau rouge de la « Fédération des artistes de Paris », fondée le 10 avril 1871, flotte au-des (...)
  • 58 Courbet est arrêté après la défaite de la Commune. Le procès intenté contre lui s’ouvre le 14 août (...)

26Le troisième tract émane du camp politique adverse et il est dirigé contre la Commune, en la personne de Gustave Courbet, qui s’était rangé, comme Rimbaud, de son côté (fig. 116)53. Benjamin note à propos de cette feuille : « Une caricature de Courbet : le peintre sur une colonne brisée. En légende : “Actualité”. C<abinet> d<es> E<stampes> kc 164 a I54 » Courbet avait réclamé dès septembre 1870 la mise à bas de la colonne Vendôme, édifiée en 181055. L’artiste se dressait ainsi à la fois contre Napoléon Ier, l’empereur avide de guerres et de conquêtes, et contre son neveu Napoléon III, qui avait conquis le pouvoir en s’appuyant largement sur le culte qu’on vouait à son illustre prédécesseur. Décidée par le conseil municipal – à un moment où Courbet n’en faisait pas encore partie –, la démolition de la colonne fut mise en œuvre le 16 mai 1871. La caricature figure le peintre juché avec sa palette sur un reste de fût qui sert ainsi de socle à son propre monument56. Les inscriptions sur la planche vont toutes dans le sens d’une telle célébration. « Au grand maître, la Patrie reconnaissante », proclame la plaque gravée sur le soubassement de la colonne, tandis que la place Vendôme est rebaptisée « place Courbet »57. La caricature veut tourner en ridicule la position critique adoptée par Courbet à l’endroit du bonapartisme, en la réduisant à une simple expression de vanité et d’autoritarisme58.

Fig. 116 L.A. Stick, Actualité, 1871, lithographie coloriée à la main, 34 × 25 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1861 à 1899 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (7)-Fol., R010938 → [k 2a, 5]

Fig. 116 L.A. Stick, Actualité, 1871, lithographie coloriée à la main, 34 × 25 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1861 à 1899 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (7)-Fol., R010938 → [k 2a, 5]

Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani

  • 59 Willms, Paris, 1988, p. 443.

27Les deux dernières images se rapportent à la fin de la Commune. Le 21 mai, après quelque deux mois de siège, les troupes versaillaises réussissaient à entrer dans Paris. Thiers prit lui-même le haut commandement de l’assaut contre la Garde nationale, aux capacités militaires entre-temps amoindries. Commencèrent alors les combats de rue de la « Semaine sanglante », qui s’achevèrent par les derniers affrontements au cimetière du Père-Lachaise. La Commune n’avait pas conçu de stratégie globale. On vit plutôt des groupes isolés de gardes nationaux tenter de défendre telle barricade ou tel quartier contre les troupes gouvernementales, en nette supériorité numérique. À la fin de la semaine, de vingt-cinq à trente mille Parisiens étaient tombés sous les balles des assaillants, la plupart victimes arbitraires des exécutions de masse, dont un grand nombre de femmes59, tandis que les Versaillais comptaient environ mille morts dans leurs rangs.

  • 60 L’article illustré que cite Benjamin a paru le 17 juin 1871. On y raconte que la traque avait eu li (...)

28Une fois la victoire acquise dans les rues, l’armée poursuivit les communards jusque dans leurs cachettes. Benjamin a consigné cet épisode en retenant un article illustré, publié le 17 juin 1871, qui raconte la « chasse » aux insurgés qui avaient trouvé refuge dans les catacombes60.

  • 61 [k 2, 4] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790.

« L’Illustration publia après la prise de Paris un dessin montrant la “Chasse à l’homme dans les catacombes”. De fait, on fouilla un jour les catacombes pour y chercher des fugitifs. Ceux qu’on trouva furent abattus. Les troupes entrèrent place Denfert-Rochereau, tandis qu’on gardait les issues des catacombes vers la plaine Montsouris. (Exposition.)61 »

Fig. 117 Burn Smeeton d’après Frédéric-Théodore Lix, La chasse à l’homme dans les Catacombes, 1871, gravure sur bois, 22 × 19 cm (image), 36,5 × 25 cm (page), publiée dans L’Illustration. Journal universel, no 1477, 17 juin 1871, p. 352, présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 4]

Fig. 117 Burn Smeeton d’après Frédéric-Théodore Lix, La chasse à l’homme dans les Catacombes, 1871, gravure sur bois, 22 × 19 cm (image), 36,5 × 25 cm (page), publiée dans L’Illustration. Journal universel, no 1477, 17 juin 1871, p. 352, présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 4]

Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur www.parismuseescollections.paris.fr/de/node/284065#infos-principales

  • 62 Contre les murs des catacombes étaient empilés les crânes et les ossements des anciens cimetières p (...)
  • 63 Selon l’article, « la lutte à travers la ville est terminée », tandis que se déroule sous terre « u (...)
  • 64 L’Illustration a continué de paraître pendant la Commune. Si le journal sut faire preuve d’une atti (...)

29Au premier plan, les fuyards acculés tentent de se défendre tandis que les soldats versaillais s’avancent à la lumière des flambeaux (fig. 117). Un communard sans vie gît déjà par terre, un autre s’affaisse sur ses jambes qui ne le soutiennent plus62. La chasse à l’homme dans les catacombes fut lancée alors que le calme régnait de nouveau dans les rues63. Ce reportage et cette image mettaient donc au jour un épisode qui était resté jusqu’alors ignoré de la population. En ce sens, l’article faisait littéralement la lumière sur les brutalités perpétrées par l’armée de Thiers. L’Illustration était une publication de tendance plutôt conservatrice64, mais elle prend ici parti contre la violence des exactions. Ce point de vue journalistique et politique exceptionnel se reconnaît également dans le schéma de composition de l’image : le spectateur est du côté des communards.

30Le 24 juin 1871, on publiait enfin un tract qu’on peut déjà classer parmi les jugements et la condamnation qui furent prononcés après coup sur la Commune :

  • 65 [k 2, 3] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790. Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présenté (...)

« Une lithographie de Marcier <Marcia en réalité>, “Le départ de la Commune”, publiée chez Deforet et César éditeurs, représente une femme (?) chevauchant un animal qui tient à la fois de l’hyène et de la haridelle. Enveloppée dans un vaste linceul, elle brandit le drapeau rouge, sale et en lambeaux, laissant derrière elle on ne sait quelle ruelle envahie par les flammes noires des maisons qui brûlent. (Exposition de la mairie de Saint-Denis.)65 »

Fig. 118 Marcia (pseudonyme d’Ed Renaux), Le Départ de la Commune, 1871 [BdF, 24 juin 1871], lithographie en couleurs, 35 × 25,5 cm (image), 45 × 29 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 3]

Fig. 118 Marcia (pseudonyme d’Ed Renaux), Le Départ de la Commune, 1871 [BdF, 24 juin 1871], lithographie en couleurs, 35 × 25,5 cm (image), 45 × 29 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 3]

Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur https://images.bnf.fr/​#/​detail/​772895/​1

  • 66 Voir Shafer, The Paris Commune, 2005, p. 159.
  • 67 On racontait que c’étaient surtout des femmes pauvres, qui avaient reçu de l’argent des communards (...)

31À voir la lithographie de Marcia, l’insurrection parisienne paraît n’avoir semé en somme que mort et désolation (fig. 118). Le boulevard en flammes évoque les nombreux incendies de la « Semaine sanglante », les uns allumés par les communards en déroute, les autres causés par les tirs d’artillerie de l’armée versaillaise66. Alors que les combats faisaient encore rage, on en imputa toutefois la responsabilité aux seuls révolutionnaires et la presse conservatrice colporta la légende des « pétroleuses », des communardes incendiaires qui, disait-on, firent brûler par pure vengeance des quartiers entiers que les troupes gouvernementales avaient déjà reconquis67. C’est sans doute à cet épisode que Benjamin a songé en se demandant dans sa note, à propos du squelette de la planche, s’il s’agit d’« une femme (?) ». Conformément à la légende de la « pétroleuse », la figure de la Commune, qui est armée d’une torche et brandit le drapeau rouge des socialistes, ne laisse derrière elle que des maisons en flammes et un ciel tout obscurci de fumée.

  • 68 Voir Shafer, The Paris Commune, 2005, p. 98. Shafer parle de la condamnation de la Commune, mais au (...)

32La figure de Marcia est juchée sur une monture qui semble à la fois éreintée et folle de rage. Se dessine ici l’image de la Commune que la propagande du gouvernement versaillais allait s’appliquer à forger. Ce n’étaient pas les questions sociales qui devaient rester dans les mémoires, mais la condamnation sans appel d’une insurrection jugée irrationnelle et destructrice. Il fallait que la Commune endossât seule la responsabilité des milliers de morts. Aussitôt la victoire remportée, on se mit à relater les événements suivant le credo de l’Assemblée nationale, favorable à Thiers. En France, ce jugement négatif domina les esprits pendant plus d’une décennie68.

33Si l’on considère les cinq feuilles volantes publiées dans le contexte de la Commune, on constate qu’elles relèvent pratiquement toutes de la propagande. Seul l’article de L’Illustration apparaît comme une véritable source d’information. Pour les autres planches, en revanche, il est nécessaire de connaître les tenants et les aboutissants historiques pour pouvoir en évaluer la couleur politique. Si Benjamin a retenu ces images, c’est sans doute moins pour ce qu’elles montrent concrètement que pour examiner comment et pourquoi elles le font. Dès lors, c’est leur fonction d’agitation politique qui tient la vedette.

  • 69 Voir Angela Bork et al. (dir.), Die politische Lithographie im Kampf um die Pariser Kommune 1871, C (...)
  • 70 Dans Die Karikatur der europäischen Völker, 1921, vol. 2, p. 226-227, Fuchs rapporte ces chiffres d (...)
  • 71 Voir Jakobowicz, 1830. Le peuple de Paris, 2009, p. 153.
  • 72 Voir Kerr, Caricature and French Political Culture 1830-1848, 2000, p. 14 ; sur les gravures de 178 (...)
  • 73 Sur ce sujet, voir notamment Bork (dir.), Die politische Lithographie im Kampf um die Pariser Kommu (...)

34En matière de propagande, la lithographie, avec ses possibilités de diffusion massive, a joué un rôle déterminant. Entre la proclamation de la République et l’écrasement de la Commune, ce ne sont pas moins de 4000 tracts politiques illustrés qui ont été mis en circulation69. Plusieurs de ces feuilles se sont vendues à quelque 50 000 exemplaires70. Par rapport à la révolution de 1830, la production d’images a donc nettement augmenté. Entre août et décembre 1830, on a publié au total 1831 gravures sur les « Trois Glorieuses », dont un tiers environ dans le premier mois qui a suivi les événements71. C’était déjà bien plus que lors de la Révolution de 1789, pour laquelle on a conservé quelque 600 caricatures politiques, depuis les premiers jours de la révolte jusqu’en 1792. Cette diffusion croissante s’explique en premier lieu par la technique de la lithographie, qui fut employée pour la première fois à des fins politiques lors de la révolution de juillet 183072. Mais la plupart des planches ont alors paru après les événements ; elles avaient surtout pour fonction d’ancrer le pouvoir du peuple dans la conscience collective. En 1871, en revanche, les images ont servi à forger l’opinion. Elles ont pris beaucoup plus d’importance que lors des révolutions précédentes, en jouant un rôle direct dans les luttes politiques73.

  • 74 GS I, p. 339-351 ; Origine du drame baroque, p. 180-184. Voir aussi Menke, « Ursprung des deutschen (...)
  • 75 Sur l’interprétation benjaminienne de l’emblématique dans l’Origine du drame baroque allemand, comp (...)

35Il y a probablement une dernière raison qui peut expliquer le choix de quelques-unes de ces feuilles volantes : comme nous l’avons déjà indiqué pour la lithographie de Vernier, c’est le rapport de ces images avec certains modèles hérités de l’histoire de l’art. Benjamin n’évoque certes pas l’emblématique à propos de cette planche, mais l’origine iconographique du motif et la structure visuelle caractéristique de la gravure, avec inscriptio (« Elle »), pictura (l’image) et subscriptio (« De cent façons […] »), sont si flagrantes qu’il n’a pu manquer de reconnaître cette affinité, d’autant qu’il s’était beaucoup intéressé à l’emblématique dans son livre sur le drame baroque allemand74, où il l’analysait pour montrer combien les éléments fortement imagés du langage littéraire dans le drame baroque lui étaient étroitement apparentés75. Dans une lettre du 5 mars 1924 à Gershom Scholem, alors qu’il travaillait à la rédaction de sa thèse d’habilitation, Benjamin faisait plus généralement état de son intérêt pour ce type de représentation :

  • 76 GB 2, p. 433.

« Ma passion pour l’emblématique baroque (sur laquelle, soit dit entre nous, je veux publier dès que je serai libre un gros livre illustré, à cause des bénéfices qui peuvent être considérables) m’a aussi conduit à une acquisition. J’ai maintenant deux livres d’emblèmes qui manquent l’un et l’autre à la bibliothèque d’ici [la Staatsbibliothek de Berlin]. […] Il ne fait aucun doute qu’il y a de multiples rapports entre l’illustration des vieux livres pour enfants et l’emblématique76. »

  • 77 Benjamin a exposé ces corrélations dans un article de 1924, où il rend compte du livre de Karl Hobr (...)

36S’il avait pu identifier ainsi les liens entre les livres illustrés pour enfants et l’emblématique77, à plus forte raison a-t-il dû remarquer, en contemplant une planche comme celle de Vernier, ceux qui rattachaient un tel motif aux emblèmes. Dans son livre sur le drame baroque, Benjamin se fonde sur les affinités qui lient l’emblématique et le langage imagé propre à ce genre littéraire. Dans le cas des livres pour enfants, la comparaison s’établit en revanche sur le seul plan visuel. De même, ce sont probablement les rapports entre les images qui ont conduit Benjamin à rédiger sa note sur la lithographie de Vernier, où le langage visuel baroque se perpétue dans un tract politique du xixe siècle.

37L’entrée sur la planche de Vernier est le tout premier exemple, dans les notes et matériaux pour les Passages, qui mentionne une gravure présentant une structure emblématique. Quelque temps plus tard, Benjamin relève au Cabinet des estampes d’autres emprunts de ce type, mais en les signalant cette fois explicitement. Ainsi écrit-il à propos de la lithographie « Maison de jeu » :

  • 78 [O 7a, 1] GS V, p. 627 ; Passages, p. 521. Cette lithographie sur les jeux de hasard se laisse rang (...)

« Une grande gravure (lithographie) de 1852 […] montre au milieu la figure emblématique d’une panthère ou d’un tigre, qui porte sur sa fourrure, pour ainsi dire en guise de couverture, la moitié du “tableau” d’une roulette78. »

Fig. 119 Charles Motte, Maison de jeu, 1822 [BdF, 6 juillet 1822], lithographie, 37 × 51 cm, dans le recueil « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Sciences-Éducation (Médecine) », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-39-Pet. fol., pl. 78 → [O 7a, 1]

Fig. 119 Charles Motte, Maison de jeu, 1822 [BdF, 6 juillet 1822], lithographie, 37 × 51 cm, dans le recueil « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Sciences-Éducation (Médecine) », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-39-Pet. fol., pl. 78 → [O 7a, 1]

Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, TF-39-PET FOL, https://images.bnf.fr/​#/​detail/​793451/​9

  • 79 La légende indique : « Le père l’offrira pour leçon à son fils. »
  • 80 Outre les personnes attablées autour de la roulette à l’intérieur de la maison, on aperçoit sur la (...)

38La note évoque une planche édifiante, destinée à mettre en garde contre la passion du jeu (fig. 119)79. D’un côté, l’artiste a choisi de montrer une scène de rue, avec la maison de jeu et la série de fâcheuses conséquences concrètes auxquelles s’exposent ceux qui se risquent à la fréquenter80 ; mais, de l’autre, il recourt également à une « figure emblématique » pour faire passer son message : c’est un redoutable fauve qui incarne en substance les funestes dangers guettant l’honnête homme tenté de s’adonner au jeu. Le contraste que crée l’irruption soudaine, au milieu d’une vue urbaine du xixe siècle, d’un symbole hérité du xviie siècle a dû intéresser Benjamin.

  • 81 Dans « L’Étrangomanie blamée » (fig. 61), ce sont les « phylactères » rapportant les propos des div (...)
  • 82 Dans « Le triomphe du kaléidoscope » (fig. 30), les deux passe-temps se disputant les faveurs chang (...)

39Si le terme d’« emblème » n’apparaît pas dans la note sur la lithographie de Vernier, c’est peut-être parce que la composition de l’image est entièrement gouvernée par ce schéma visuel et qu’il était donc inutile d’en faire spécifiquement état. Dans la planche de la « Maison de jeu », en revanche, l’élément emblématique ne constitue qu’un des éléments de l’image, de sorte qu’il réclamait d’être spécialement signalé. Au Cabinet des estampes, on l’a vu, Benjamin a notamment fait des recherches dans les recueils « Tf 46 Charges allégoriques », où il a retenu d’autres planches présentant des éléments hérités de l’emblématique81. S’il n’en traite pas systématiquement, sa réactualisation au xixe siècle est donc un thème dont on peut relever quelques occurrences dans ses choix d’images. Ce constat vaut également pour les représentations allégoriques, comme l’attestent plusieurs notes iconographiques (par exemple [F 6, 2] fig. 30)82. La feuille volante de Marcia occupe à cet égard une place particulière.

  • 83 Cette planche fait partie de la suite de quinze xylogravures que Dürer a consacrée au livre de l’Ap (...)
  • 84 GB 1, p. 143 ; Correspondance I, p. 71.

40De toute évidence, « Le départ de la Commune » en appelle aussi à la tradition iconographique, en l’espèce aux représentations de la Mort à cheval, que Benjamin connaissait bien. Dans le domaine graphique, c’est Albrecht Dürer qui en a inauguré le cortège, avec ses « Cavaliers de l’Apocalypse » (1497-1498, fig. 120)83. La planche montre les quatre cavaliers du livre de saint Jean : la Conquête, la Guerre, la Famine et la Mort (Apocalypse 6, 1-8). Cette dernière est représentée, comme elle le sera encore chez Marcia, sous les traits d’une figure décharnée, squelettique, n’ayant pour tout vêtement qu’un linceul qui lui bat les côtes. Benjamin connaissait l’œuvre de Dürer au moins depuis 1913, comme il l’écrivait le 11 juillet à Franz Sachs : « Mercredi, j’étais à Bâle. J’ai vu en original les dessins les plus célèbres de Dürer. […] Je vois maintenant ce qu’est la violence de Dürer84. » Certes, il ne nomme pas explicitement les « Cavaliers » dans sa lettre, mais il a certainement vu la planche à Bâle, ou du moins la connaissait-il par la littérature, puisqu’il s’est attardé dans l’Origine du drame baroque à donner une interprétation iconographique détaillée de la gravure sur cuivre « Melencolia I » (1514).

Fig. 120 Albrecht Dürer, Les Cavaliers de l’Apocalypse, vers 1497, gravure sur bois, 39,6 × 28,3 cm

Fig. 120 Albrecht Dürer, Les Cavaliers de l’Apocalypse, vers 1497, gravure sur bois, 39,6 × 28,3 cm

Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, Petit Palais, inv. GDUT4109, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/l-apocalypse-edition-allemande-les-quatre-cavaliers-de-l-apocalypse-bartsch-64

  • 85 Sur ce cycle, voir Karin Groll, Alfred Rethel. « Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 », Messkirch (...)
  • 86 Ibid., p. 35-36. « Celui qui les a conduits, c’est le cavalier de la mort, il a tenu sa promesse ; (...)
  • 87 Ibid., p. 57.
  • 88 La suite des six planches de La Danse des morts en 1848 a été publiée dans L’Illustration du 28 jui (...)
  • 89 GB 6, p. 133.
  • 90 [J 5a, 6] GS V, p. 310 ; Passages, p. 255. GS I, p. 579 ; Baudelaire, p. 770. Benjamin entretenait (...)

41C’est peut-être le bois gravé « La Mort victorieuse » d’Alfred Rethel (1816-1859) qui a servi de source d’inspiration directe à Marcia. Il s’agit de la sixième et dernière planche de sa série Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 (1849, fig. 121)85. Juché sur sa rosse exténuée, le cavalier de la Mort gravit les vestiges d’une barricade de la révolution allemande de 1848. L’étendard qui flotte derrière lui, c’est le drapeau rouge des socialistes, comme l’explique la légende du poète et peintre Robert Reinick (1805-1852). Le sinistre cavalier a tenu sa promesse politique d’« égalité », puisque tous ceux qui l’ont suivi sont maintenant morts86. Rethel, qui avait épousé les idées libérales de la révolution de 1848, se montra cependant hostile aux positions radicales défendues par les socialistes et les communistes, et prit nettement parti contre les violences commises lors du « soulèvement de mai » à Dresde en 184987. Sa suite de La Danse des morts en 1848 connut une vive réception en France88 et l’on peut supposer que Marcia en avait connaissance. Quant à Benjamin, il la connaissait bien aussi, puisqu’il la mentionne à la fois dans sa correspondance89 et, à plusieurs reprises, à propos de la fascination de Baudelaire pour l’artiste allemand90.

Fig. 121 Alfred Rethel, La Mort victorieuse, gravure sur bois, 22 × 32 cm, issue de la série Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 [La Danse des morts en 1848], 1848-1849, pl. VI, parue dans L’Illustration. Journal universel, 28 juillet 1849, p. 347-348

Fig. 121 Alfred Rethel, La Mort victorieuse, gravure sur bois, 22 × 32 cm, issue de la série Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 [La Danse des morts en 1848], 1848-1849, pl. VI, parue dans L’Illustration. Journal universel, 28 juillet 1849, p. 347-348

Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, inv. G.11013, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/l-ami-du-peuple-c-etait-la-mort-pl-vi#infos-principales

  • 91 Voir à ce sujet Siegmar Holsten, Allegorische Darstellungen des Krieges 1870-1918. Ikonologische un (...)

42On peut encore évoquer, comme un possible modèle de la planche de Marcia, l’eau-forte « La Mort à cheval » (vers 1648, fig. 122) de Stefano della Bella (1610-1664), où le sinistre cavalier incarne la figure allégorique de la guerre91. Plusieurs détails présentent une similitude frappante : depuis le drapeau flottant au vent, emporté vers la gauche par la folle chevauchée, jusqu’à la position des pattes du cheval, en passant par la jambe gauche repliée du squelette. Dans sa composition, l’œuvre de Marcia s’inspire probablement surtout du graveur florentin, tout en se référant aussi, pour l’atmosphère apocalyptique, à l’arrière-plan assombri de Dürer et en adossant sa critique de la révolution à celle de Rethel.

Fig. 122 Stefano della Bella, La Mort à cheval, vers 1648, eau-forte, 19 × 15,2 cm

Fig. 122 Stefano della Bella, La Mort à cheval, vers 1648, eau-forte, 19 × 15,2 cm

Crédit/Source : Cambridge, Harvard Art Museums, Fogg Museum, Gray Collection of Engravings Fund, by exchange, photo © President and Fellows of Harvard College, inv. S7.9.1, www.harvardartmuseums.org/collections/object/71839 / https://hvrd.art/​o/​71839

  • 92 Benjamin a lui-même relevé à plusieurs reprises les similitudes de fond entre son livre sur le dram (...)

43On peut se demander pourquoi Benjamin n’en a pas parlé plus clairement dans ses notes. Peut-être s’est-il contenté d’enregistrer ces rapports objectifs, une simple description de la planche lui fournissant un appui suffisant pour la garder en mémoire. Tout commentaire aurait déjà contenu une interprétation, ce qu’il a préféré réserver pour une étape ultérieure du travail. En réunissant ces images, Benjamin entendait sans doute poursuivre ses réflexions sur les rapports entre les univers visuels du xixe siècle et ceux qu’il avait abordés dans l’Origine du drame baroque ou qui relèvent plus largement de l’histoire de l’art92.

44En dépit du caractère mûrement réfléchi de sa composition, Marcia ne cherche pas à faire réfléchir le spectateur. Au contraire, en faisant valoir le caractère irrationnel et apocalyptique de la Commune figurée comme une incarnation de la destruction et de la mort, il évitait qu’on s’interrogeât sur la responsabilité de l’insurrection et sur ce qu’il y avait derrière les revendications des deux camps. Pour qu’une distance critique puisse se créer, il faut d’abord que Benjamin replace l’image dans son contexte. En confrontant les différentes formes de propagande, il se soucie peu de restituer telle ou telle position particulière ; ce qui lui importe, c’est d’identifier les luttes d’opinions en tant que telles et de révéler les stratégies de propagande des uns et des autres.

45De même qu’il avait été curieux de savoir en détail avec quels matériaux les barricades improvisées avaient été édifiées et quelle avait été leur fonction tactique dans les combats, de même Benjamin a-t-il noté comment et avec quels moyens on avait mené, dans le Paris du xixe siècle, les luttes politiques à l’aide des images. Comme pour les « moyens d’Haussmann » reproduits dans le livre de Le Corbusier, il jugeait « très important » de connaître les « moyens » concrets qui avaient servi à réaliser les transformations politiques. À côté des pavés ou des meubles jetés par les fenêtres, à côté des réunions ou des déclarations politiques, l’image avait été l’un de ces moyens.

46L’écrasement de la Commune en 1871 marque le terme des événements historiques que Benjamin passe en revue dans son exposé. Une note de la liasse C « Le Paris antiquisant, catacombes, démolitions » renvoie cependant à la toute fin du xixe siècle, puisqu’elle évoque une photographie de 1899 récapitulant les conflits sociaux non résolus sur lesquels se clôt l’exposé de 1935 :

  • 93 [C 4a, 3] GS V, p. 145 ; Passages, p. 117.

« En 1899, lors des travaux du métro, on découvrit rue Saint-Antoine les fondations d’une des tours de la Bastille. C<abinet> d<es> E<stampes>93 »

  • 94 Sur cette photographie, je renvoie pour plus de détails à mon article « Excavations in Cities and A (...)

47On peut identifier ce document à une coupure de presse collée dans un album du dossier topographique consacré à la place de la Bastille (fig. 123a)94. L’image montre le tunnel en cours de creusement de la première ligne du métro parisien, dont le tracé s’est heurté aux murs de fondation d’une des tours occidentales de l’ancienne forteresse de la Bastille, tour que la légende de la photographie désigne sous le nom de « tour de la Liberté ». On y aperçoit aussi des outils de chantier, un chevalet en bois, des traverses et des rails. Tout au fond dans la pénombre, on distingue un wagonnet pour l’évacuation des gravats. Les travaux furent provisoirement suspendus ; on procéda à des fouilles archéologiques afin d’identifier ces précieux vestiges historiques et de décider ce qu’il fallait en faire.

Fig. 123a Camille Ruckert, Les fondations de la tour de la Liberté de l’ancienne Bastille, mises à découvert par le tracé du Métropolitain, 1899, photographie de presse, 10 × 13,4 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., H 31719 → [C 4a, 3]

Fig. 123a Camille Ruckert, Les fondations de la tour de la Liberté de l’ancienne Bastille, mises à découvert par le tracé du Métropolitain, 1899, photographie de presse, 10 × 13,4 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., H 31719 → [C 4a, 3]

Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-250 (A)-FOL, H 31719, https://images.bnf.fr/​detail/​740355/​4

  • 95 Selon les indications des conservateurs de la Bibliothèque nationale, cet assemblage a sans doute é (...)

48La légende de l’image contient toutes les informations que Benjamin livre dans sa note, à l’exception du nom de la rue Saint-Antoine, qu’il a probablement tiré du relevé topographique qu’on trouve sur la même page du recueil factice du Cabinet des estampes, au-dessus de la photographie (fig. 123b)95. Ce dessin montre le plan de l’ancienne Bastille, les contours de la place à laquelle elle a donné son nom après sa démolition et le tracé de la ligne du métro, de sorte qu’y sont ainsi empilées l’une sur l’autre trois strates de l’architecture urbaine. La page de l’album est complétée par une carte postale de la station Bastille. La première ligne du métro parisien fut inaugurée, à titre de projet pilote, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.

Fig. 123b Une page du recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., avec en haut un croquis (probablement de Paul Blondel) indiquant le tracé de la ligne de métro et l’emplacement des anciennes fondations de la Bastille (H 31718), et en bas à gauche la photographie de la fig. 123a (H 31719) → [C 4a, 3]

Fig. 123b Une page du recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., avec en haut un croquis (probablement de Paul Blondel) indiquant le tracé de la ligne de métro et l’emplacement des anciennes fondations de la Bastille (H 31718), et en bas à gauche la photographie de la fig. 123a (H 31719) → [C 4a, 3]

Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-250 (A)-FOL, https://images.bnf.fr/​detail/​867626

  • 96 Il y a notamment la métaphore des fouilles archéologiques pour désigner son propre travail d’histor (...)
  • 97 Dans une telle lecture, les objets matériels ont pour fonction de représenter des constellations hi (...)
  • 98 GS V, p. 76 ; Passages, p. 59.

49Cette note prend une importance singulière dès qu’on l’interprète métaphoriquement. Plusieurs aspects pourraient avoir intéressé Benjamin96. Les deux éléments du métro et de la Bastille apparaissent comme les symboles parfaits, respectivement, du progrès technique et de l’histoire politique. Le métro représente les grandes innovations mécaniques, tandis que les fondations de la Bastille rappellent la Révolution française, en soulevant la question de savoir si ses revendications et ses idéaux ont effectivement été réalisés, une bonne centaine d’années après. De même que le chantier du métro s’est trouvé provisoirement stoppé, de même pourrait-on s’arrêter et se demander dans quelle direction poursuivre désormais le progrès, étant donné la question irrésolue de la justice sociale97. Il apparaît à cet égard que le xixe siècle finissant a réussi une prodigieuse avancée de l’industrialisation, sans avoir pourtant su résoudre les problèmes sociaux de la répartition des nouvelles richesses. Ou, comme Benjamin l’écrit en « conclusion » dans son exposé de 1939 : « Le siècle n’a pas su répondre aux nouvelles virtualités techniques par un ordre social nouveau98. » Ce conflit est résumé de manière emblématique dans la photographie de 1899, qui semble marquer un temps d’arrêt et s’interroger sur la façon dont on pourrait procéder à l’avenir.

Endnotes

1 GS V, p. 56 ; Passages, p. 44.

2 Ibid.

3 GS III, p. 435-436.

4 Nous avons déjà traité ici de la disparition du vieux Paris, à propos de Baudelaire et de Meryon. Les planches de Meryon, que Benjamin a intégrées à son Baudelaire, sont également évoquées dans la version française de l’exposé de 1939, où le chapitre sur Haussmann a subi de légères modifications. On y lit ceci, au sujet des transformations sociales : « Les habitants de la ville ne s’y sentent plus chez eux ; ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville. […] Les eaux-fortes de Meryon (vers 1850) prennent le masque mortuaire du vieux Paris » (GS V, p. 73 ; Passages, p. 57). La métaphore du masque mortuaire transforme les planches de Meryon en image fidèle du vieux Paris disparu, ainsi que Benjamin l’indique aussi dans son essai sur Baudelaire.

5 Sur la révolution de Juillet, voir entre autres Andreas Fahrmeir, Europa zwischen Restauration, Reform und Revolution 1815-1850, Munich, 2012, p. 56-57.

6 Sur la succession des événements, voir le cat. exp. Il y a cent cinquante ans… Juillet 1830, Paris, 1980, qui en donne le déroulement chronologique précis.

7 Voir [E 1, 4] GS V, p. 180 ; Passages, p. 146.

8 [E 2, 7] GS V, p. 184 ; Passages, p. 149, et [E 8, 9] GS V, p. 199 ; Passages, p. 162.

9 [E 1a, 5] GS V, p. 182 ; Passages, p. 148, et [E 4a, 5] GS V, p. 191-192 ; Passages, p. 155.

10 Michael Löwy, « Die Stadt als strategischer Ort der Konfrontation zwischen den Klassen. Aufstände, Barrikaden und Haussmannisierung von Paris im Passagen-Werk Walter Benjamins », in Witte (dir.), Topographien der Erinnerung, 2008, p. 79-90, ici p. 80.

11 Les combats en question se sont déroulés entre l’église Saint-Paul-Saint-Louis et la rue de Fourcy. Les deux lithographies montrent les échauffourées selon deux angles de vue différents. Sur la planche de Martinet (fig. 80b), on regarde vers l’ouest ; on aperçoit tout au fond, sur la droite, l’embranchement qui mène à la rue de Rivoli. Chez Victor Adam (fig. 80a), on regarde au contraire vers l’est ; sur la droite s’ouvre la rue de Fourcy, tandis que la rue Saint-Antoine s’en va dans le fond en direction de la place de la Bastille. Une troisième lithographie, « Les Assiégeans », fait comprendre à quel point la situation était sans issue pour les troupes royales. Trois des dix soldats figurés gisent déjà à terre, un cavalier vient d’être mortellement touché et un homme blessé cherche secours auprès de son camarade.

12 [E 8, 3] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.

13 Voir Jacques Hillairet, La Rue Saint-Antoine, Paris, 1970, p. 54.

14 [E 8, 5] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.

15 Sur cette carte, voir aussi Kory E. Olson, « “Aux armes citoyens !” Mapping Regime Change in Charles Motte’s Plan figuratif des barricades (1830) », French Cultural Studies, 21e année, 2010, no 1, p. 3-17. Selon Olson, ce plan devait faire comprendre à la population défavorisée quel pouvoir politique elle détenait.

16 Comme il l’indique dans son introduction, Motte a publié sa carte à compte d’auteur parce qu’il estimait que la révolution n’était pas suffisamment documentée du côté officiel.

17 Voir, dans Sens unique, le texte « Articles de papeterie. Les plans Pharus » (GS IV, p. 111 ; WuN 8, p. 38 ; Sens unique, p. 143) et dans Chronique berlinoise (GS VI, p. 466-467).

18 [C 1a, 4] GS V, p. 136-137 ; Passages, p. 110, et [C 1, 9] GS V, p. 135 ; Passages, p. 108.

19 GS IV, p. 104 ; WuN 8, p. 31 ; Sens unique, p. 134.

20 GS V, p. 57 ; Passages, p. 45.

21 Ibid.

22 [E 2, 10] GS V, p. 184 ; Passages, p. 149. 

23 Dans son ouvrage Urbanisme, Le Corbusier oppose aux outils d’Haussmann la photographie d’une grue utilisée lors de la construction d’un barrage dans les Alpes, pour illustrer les vertigineux progrès accomplis par la technique. À propos des moyens employés par Haussmann, il écrit : « Avoir une idée, une conception, un programme. Voilà ce qu’il faut. Les moyens ? N’avons-nous pas de moyens ? Le baron Haussmann fit dans Paris les plus larges trouées, les saignées les plus effrontées. Il semblait que Paris ne saurait supporter la chirurgie d’Haussmann. Or, Paris, ne vit-elle pas aujourd’hui de ce que fit cet homme téméraire et courageux ? Ses moyens ? La pelle, la pioche, le charroi, la truelle, la brouette, ces armes puériles de tous les peuples... jusqu’au machinisme neuf. » Le Corbusier, Urbanisme, Paris, 1925, p. 149.

24 GS I, p. 589 ; Baudelaire, p. 779.

25 [E 13, 2] GS V, p. 208 ; Passages, p. 169.

26 Sur une double page de son livre, Susan Buck-Morss met en opposition une image des outils qui furent ceux d’Haussmann et une photographie montrant l’explosion d’une bombe dans une rue de Madrid en 1936, pendant la guerre civile espagnole, illustrant ainsi la « vision dialectique » benjaminienne, entre passé et présent. Buck-Morss, The Dialectics of Seeing, 1989, p. 318-319, ill. 9.31 et 9.32. Elle évoque en outre les notes de Benjamin sur les affrontements et les manifestations politiques qui enflammèrent les rues de Paris en 1934. Löwy reprend ces idées dans son article « Die Stadt als strategischer Ort der Konfrontation zwischen den Klassen », 2008, p. 87.

27 GS V, p. 58 ; Passages, p. 45.

28 Löwy constate que « curieusement le thème des barricades n’est plus mentionné dans les notes sur la Commune ». Löwy, « Die Stadt als strategischer Ort der Konfrontation zwischen den Klassen », 2008, p. 90. Cette remarque montre bien qu’il s’est essentiellement intéressé aux sources écrites.

29 [E 8, 5] GS V, p. 199 ; Passages, p. 161.

30 [E 11, 2] GS V, p. 205 ; Passages, p. 166.

31 Initiateur des mouvements d’extrême gauche à Nîmes en 1848, Gaillard, cordonnier de son métier, resta toute sa vie fidèle au communisme égalitaire de sa jeunesse. À Paris, il prit une part très active à la vie des clubs politiques à la fin du Second Empire et fut nommé commandant des barricades pendant la Commune. Exilé à Genève, il ne revint en France qu’en 1880, après l’amnistie des insurgés. Son âge l’obligea à renoncer à ses activités politiques en 1897 ; il devint concierge d’un immeuble municipal et mourut dans une relative misère. Voir Gérald Dittmar, Dictionnaire biographique illustré de la Commune de Paris de 1871, Paris, 2004, p. 194-195 (article « Gaillard »).

32 Comme l’indique son titre, l’album photographique de Liébert montre Paris en ruine. Cette image d’une barricade est la seule qui fasse exception. La photographie qui suit celle retenue par Benjamin présente la même barricade vue de face. Sinon, l’album s’applique à conserver la trace des destructions qui ont accompagné l’écrasement de l’insurrection.

33 La rue de Rivoli compte parmi les tout premiers boulevards ; le projet en fut lancé en 1801, sous le Consulat, et les travaux se sont achevés en 1835. La barricade de la rue de Rivoli est représentative des autres ouvrages qui furent édifiés, partout dans la ville, pour barrer les grands boulevards sur toute leur largeur.

34 Joanna Kozicka et Mieczyslaw Berman, Pariser Kommune 1871, Varsovie, 1955, p. 123 ; l’album de Liébert y est mentionné à propos des événements en question.

35 Sur la Commune, voir entre autres Günther Grützner, Die Pariser Kommune. Macht und Karriere einer politischen Legende. Die Auswirkungen auf das politische Denken in Deutschland, Cologne, 1963 ; Johannes Willms, Paris. Hauptstadt Europas 1789-1914, Munich, 1988, p. 407-445 ; David A. Shafer, The Paris Commune. French Politics, Culture, and Society at the Crossroads of the Revolutionary Tradition and Revolutionary Socialism, Basingstoke, 2005.

36 Willms, Paris, 1988, p. 420-421.

37 Pendant le siège de Paris, la plupart des gardes nationaux issus des classes supérieures quittèrent la capitale. Aussi les forces républicaines, voire socialistes, dominaient-elles largement dans les rangs de la milice citoyenne, où toutes les couches de la population étaient représentées. Voir Grützner, Die Pariser Kommune, 1963, p. 6.

38 Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographie est rangée dans le chapitre « Avant la Commune : la République menacée ». Voir La Commune de Paris, cat. exp., 1935, no 59, p. 9.

39 [k 2, 6] GS V, p. 952 ; Passages, p. 790.

40 Charles Vernier (ici sous le pseudonyme de « Courtoujours ») était coutumier d’une forme d’humour frivole, qu’il n’abandonne jamais tout à fait, même quand le contexte est politique. On peut évoquer une autre de ses planches, également retenue par Benjamin, où le dessinateur mêlait érotisme et goût naissant pour la bicyclette (fig. 10).

41 Sur la signification de la liberté dans cette lithographie, voir David A. Shafer, « Viragos, Virgins and Matrons. The Confluence of Gender and Political Constructs in French Republican Imagery », in Pascal Dupuy (dir.), Histoire, Images, Imaginaire, Pise, 2002, p. 81-96, ici p. 88.

42 Voir GS I, p. 345 et 424, note 21 ; Origine du drame baroque, p. 181-182, note 21.

43 Chez Ripa, on lit : « Le due facce significano che la Prudenza è una cognitione vera & certa, la quale ordina ciò che si deve fare et nasce dalla consideratione delle cose passate & delle future insieme. » Cesare Ripa, Iconologia. Overo Descrittione di diverse imagini cavate dall’antichità, & di propria inventione, Rome, 1603, p. 416.

44 Chez Vernier, le serpent n’est pas l’emblème de la sagesse, comme chez Ripa, mais, conformément à son rôle dans la Bible, le symbole de la tromperie.

45 Déjà à l’époque de la Révolution de 1789, de nombreuses gravures reprennent des motifs emblématiques, en les chargeant de nouvelles significations politiques. Voir à ce sujet Herding et Reichardt, Die Bildpublizistik der Französischen Revolution, 1989, p. 33-50 (le chapitre « Allegorische Verdichtung und Rückgriff auf Embleme und magische Zeichen »).

46 Voir Willms, Paris, 1988, p. 421.

47 [k 2, 5] GS V, p. 952 ; Passages, p. 790.

48 Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographie est rangée dans le chapitre « Administration de la Commune : la Commune et la religion ». Voir La Commune de Paris, cat. exp., 1935, no 382, p. 61.

49 La mention « Dessin d’après nature » figure sous l’illustration. L’auteur de la planche, Auguste André Laçon, travaillait pour plusieurs journaux illustrés. Sur Laçon, voir sa biographie dans Judith Prokasky, Vom Ereignis zum Mythos. Die Pariser Commune in den Bildmedien 1871-1914, Weimar, 2005, non paginé (catalogue des œuvres sur CD-Rom).

50 Voir Journal des journaux de la Commune. Tableau résumé de la presse quotidienne du 19 mars au 24 mai 1871, Paris, 1872, p. XX (Introduction).

51 [C 8a, 4] GS V, p. 153 ; Passages, p. 124.

52 L’article sur « Les cadavres de l’église Saint-Laurent » se conclut par ces mots : « Ici le catholicisme est à l’œuvre ; contemplez-le ! »

53 GS V, p. 58 ; Passages, p. 45.

54 [k 2a, 5] GS V, p. 952 ; Passages, p. 791. Sur Courbet et la Commune, voir Courbet et la Commune, dir. par Laurence des Cars, cat. exp. musée d’Orsay, Paris, 2000 ; Gérald Dittmar, Gustave Courbet et la Commune, le politique, Paris, 2007 ; Linda Nochlin, Courbet, Londres, 2007, p. 84-94 (« Courbet and the Commune »).

55 Le 6 septembre 1870, le gouvernement provisoire de la Défense nationale avait nommé Courbet président de la commission des Arts, chargé des musées de Paris. Sur la requête de Courbet sollicitant l’autorisation de « déboulonner » la colonne Vendôme, voir l’article contemporain de Paul d’Abrest : « Courbet avait été nommé à la tête des musées et trônait dans son cabinet richement orné du palais du Louvre. Lorsque, ses tâches achevées ou après quelque fiévreuse discussion esthétique, il se tenait à la fenêtre de son bureau, son regard tombait sur la colonne Vendôme, ce cigare de bronze érigé en 1807 pour célébrer les exploits de la “grande armée”, qui défigurait de manière très disgracieuse la place circulaire du même nom. L’inesthétique monument et la statue de Napoléon Ier rendaient l’artiste de jour en jour plus nerveux ; en tant que voisin, il devint l’ennemi personnel de la colonne Vendôme. Sa mauvaise humeur s’exprima dès le 14 septembre, dans une lettre au gouvernement national, dans laquelle il se faisait fort d’abattre la colonne en question » (Paul d’Abrest, « Courbet und die Vendôme-Säule », Die Gartenlaube, 1878, no 9, p. 148-150, http://de.wikisource.org/wiki/Courbet_und_die_Vendôme-Säule ; dernière consultation le 5 juin 2020).

56 Voir Bertrand Tillier, « Courbet, Commune, colonne : le peintre déboulonné par la caricature », in Courbet et la Commune, cat. exp., 2000, p. 81-102.

57 Le drapeau rouge de la « Fédération des artistes de Paris », fondée le 10 avril 1871, flotte au-dessus du bâtiment à gauche de la planche. Courbet en fut le premier président.

58 Courbet est arrêté après la défaite de la Commune. Le procès intenté contre lui s’ouvre le 14 août à Versailles. Le 2 septembre 1871, le peintre est condamné à six mois de prison et à 500 francs d’amende, une peine qu’il allait purger à la prison Sainte-Pélagie. À l’issue d’un second procès, Courbet est contraint en 1877 de s’acquitter de l’ensemble des frais de reconstruction de la colonne Vendôme, évalués à quelque 323 091 francs. Voir la chronologie de l’affaire in Courbet et la Commune, cat. exp., 2000, p. 112-115.

59 Willms, Paris, 1988, p. 443.

60 L’article illustré que cite Benjamin a paru le 17 juin 1871. On y raconte que la traque avait eu lieu « dans les premiers jours de ce mois ». Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographie est classée dans le chapitre « La fin de la Commune : l’incendie de Paris et l’entrée des Versaillais ». Voir La Commune de Paris, cat. exp., 1935, no 507, p. 82.

61 [k 2, 4] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790.

62 Contre les murs des catacombes étaient empilés les crânes et les ossements des anciens cimetières parisiens évacués, dont les contenus furent transférés sous terre dès la fin du xviiie siècle, pour raison de salubrité. En combattant dans les catacombes, les communards sont manifestement déjà proches de la mort. On aperçoit deux crânes à côté de la tête de l’homme effondré à terre. D’un côté, les ossements sont un élément du lieu où ils se sont réfugiés ; de l’autre, ils symbolisent dans cette planche l’issue fatale à laquelle les insurgés ne pourront se soustraire. L’article où Benjamin a puisé ses informations sur cette « chasse à l’homme » se termine en indiquant que les derniers communards ont été abattus « sous l’œil même des morts, troublés dans le repos qui leur avait été promis ».

63 Selon l’article, « la lutte à travers la ville est terminée », tandis que se déroule sous terre « un des épisodes les plus dramatiques de ce grand drame ».

64 L’Illustration a continué de paraître pendant la Commune. Si le journal sut faire preuve d’une attitude politique marquée par la retenue, il se montra néanmoins opposé à la Commune. Voir à ce sujet Prokasky, Vom Ereignis zum Mythos, 2005, p. 35-41.

65 [k 2, 3] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790. Dans le catalogue de l’exposition sur la Commune présentée en 1935 à Saint-Denis, cette lithographie est classée dans le chapitre « La fin de la Commune : la Commune de Paris vue du côté de Versailles ». Voir La Commune de Paris, cat. exp., 1935, no 580, p. 91.

66 Voir Shafer, The Paris Commune, 2005, p. 159.

67 On racontait que c’étaient surtout des femmes pauvres, qui avaient reçu de l’argent des communards pour le faire. Voir Édith Thomas, Les « Pétroleuses », Paris, 1963, en particulier p. 173-209 (les chapitres « La semaine sanglante » et « Y eut-il des pétroleuses ? »).

68 Voir Shafer, The Paris Commune, 2005, p. 98. Shafer parle de la condamnation de la Commune, mais aussi d’un refoulement de ce qui avait eu lieu, d’un « effacement de la mémoire collective » ; ibid., p. 175.

69 Voir Angela Bork et al. (dir.), Die politische Lithographie im Kampf um die Pariser Kommune 1871, Cologne, 1976, p. 6.

70 Dans Die Karikatur der europäischen Völker, 1921, vol. 2, p. 226-227, Fuchs rapporte ces chiffres donnés par le caricaturiste Faustin.

71 Voir Jakobowicz, 1830. Le peuple de Paris, 2009, p. 153.

72 Voir Kerr, Caricature and French Political Culture 1830-1848, 2000, p. 14 ; sur les gravures de 1789, voir Herding et Reichardt, Die Bildpublizistik der Französischen Revolution, 1989.

73 Sur ce sujet, voir notamment Bork (dir.), Die politische Lithographie im Kampf um die Pariser Kommune 1871, 1976 ; James Leith (dir.), Images of the Commune, Montréal/Londres, 1978 (en particulier l’article de James Leith, « The War of Images surrounding the Commune », p. 101-150) ; Albert Boime, Art and the French Commune. Imagining Paris after War and Revolution, 2e édition revue et augmentée, Princeton, N.J., 1996 ; Prokasky, Die Pariser Kommune. Vom Ereignis zum Mythos, 2005 ; Shafer, The Paris Commune, 2005, p. 162-182 (le chapitre « Revolution, Culture, and the Commune »).

74 GS I, p. 339-351 ; Origine du drame baroque, p. 180-184. Voir aussi Menke, « Ursprung des deutschen Trauerspiels », 2006, p. 222-223.

75 Sur l’interprétation benjaminienne de l’emblématique dans l’Origine du drame baroque allemand, comparée aux études plus générales sur les emblèmes, voir Sibylle Penkert, « Zur Emblemforschung », in id. (dir.), Emblem und Emblematikrezeption. Vergleichende Studien zur Wirkungsgeschichte vom 16. bis 20. Jahrhundert, Darmstadt, 1978, p. 1-23, ici p. 1 et 20-21. Voir aussi Albrecht Schöne, Emblematik und Drama im Zeitalter des Barock, 3e édition augmentée, Munich, 1993, p. 14 et 253-265.

76 GB 2, p. 433.

77 Benjamin a exposé ces corrélations dans un article de 1924, où il rend compte du livre de Karl Hobrecker, Alte vergessene Kinderbücher ; voir GS III, p. 17-18. Voir aussi Schöttker, « Benjamins Bilderwelten », 2004, p. 15.

78 [O 7a, 1] GS V, p. 627 ; Passages, p. 521. Cette lithographie sur les jeux de hasard se laisse ranger par son thème dans le contexte élargi du chapitre sur Haussmann. Benjamin y comparait aux jeux de hasard les spéculations boursières qui servirent à financer les grands travaux de rénovation urbaine : « La spéculation qui se joue à la Bourse refoule les formes du jeu de hasard héritées de la société féodale. […] Lafargue voit dans le jeu une reproduction en miniature des mystères de la conjonction économique » (GS V, p. 56-57 ; Passages, p. 44). Sur le thème du jeu de hasard, voir Heiner Weidmann, « Das Spiel in Walter Benjamins Passagenarbeit », MLN – Modern Language Notes, 107e année, 1992, no 3 (avril), p. 521-547.

79 La légende indique : « Le père l’offrira pour leçon à son fils. »

80 Outre les personnes attablées autour de la roulette à l’intérieur de la maison, on aperçoit sur la droite de l’image le geste de désespoir de celui qui a tout perdu, tandis que tout à droite, dans l’ombre, un homme se suicide. Les affiches placardées au mur vantent diverses stratégies secrètes censées faire gagner à tous les coups. Dans le fond à gauche, on reconnaît la prison Sainte-Pélagie, où l’on enfermait ceux qui ne pouvaient payer leurs dettes.

81 Dans « L’Étrangomanie blamée » (fig. 61), ce sont les « phylactères » rapportant les propos des divers personnages de la planche ; dans « Le triomphe du kaléidoscope » (fig. 30), le papillon aux ailes parées de motifs multicolores tient lieu de symbole pour les figures chamarrées que produit cet instrument.

82 Dans « Le triomphe du kaléidoscope » (fig. 30), les deux passe-temps se disputant les faveurs changeantes de la mode sont représentés par des figures allégoriques. Le « jeu chinois », également connu sous le nom de tangram, est une sorte de puzzle composé de sept pièces élémentaires qu’on assemble en formes plus complexes. Originaire de Chine, il a été introduit en Europe en 1815, où il connut aussitôt un immense succès. Il fut détrôné dès 1818 par le kaléidoscope, inventé un an plus tôt par l’Écossais Sir David Brewster, comme l’indique cette lithographie. On voit combien les modes étaient alors passagères, un divertissement chassant vite l’autre dans le goût du public.

83 Cette planche fait partie de la suite de quinze xylogravures que Dürer a consacrée au livre de l’Apocalypse de saint Jean. Voir Peter Krüger, « Die apokalyptischen Reiter », in Albrecht Dürer, Das druckgraphische Werk, vol. II : Holzschnitte und Holzschnittfolgen, catalogue raisonné établi par Rainer Schoch, Matthias Mende et Anna Scherbaum, Munich et al., 2002, no 115, p. 76-79, où l’on trouvera une bibliographie.

84 GB 1, p. 143 ; Correspondance I, p. 71.

85 Sur ce cycle, voir Karin Groll, Alfred Rethel. « Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 », Messkirch, 1989, p. 34 et suiv.

86 Ibid., p. 35-36. « Celui qui les a conduits, c’est le cavalier de la mort, il a tenu sa promesse ; tous ceux qui l’ont suivi sont maintenant frères, libres et égaux. Victorieux, il enlève son masque, et du haut de son cheval rit de la destruction, le héros de la République rouge », indique la légende.

87 Ibid., p. 57.

88 La suite des six planches de La Danse des morts en 1848 a été publiée dans L’Illustration du 28 juillet 1849, p. 347-348, précédée d’un long préambule resituant l’œuvre dans l’histoire séculaire des danses macabres et livrant, en plus des gravures, une traduction française des légendes originales de Robert Reinick.

89 GB 6, p. 133.

90 [J 5a, 6] GS V, p. 310 ; Passages, p. 255. GS I, p. 579 ; Baudelaire, p. 770. Benjamin entretenait en outre des liens d’amitié avec Alfred Sohn-Rethel, l’arrière-petit-fils du peintre.

91 Voir à ce sujet Siegmar Holsten, Allegorische Darstellungen des Krieges 1870-1918. Ikonologische und ideologiekritische Studien, Munich, 1976 (Studien zur Kunst des neunzehnten Jahrhunderts, vol. 27), p. 65 et suiv. ; Dorit Schäfer, « Totentanz », in Stefano della Bella. Ein Meister der Barockradierung, cat. exp. Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, Karlsruhe, 2005, p. 178-183.

92 Benjamin a lui-même relevé à plusieurs reprises les similitudes de fond entre son livre sur le drame baroque et son projet des Passages, notamment dans ses notes et matériaux : voir entre autres [N 1, 6] GS V, p. 571 ; Passages, p. 474, et [N 2a, 4] GS V, p. 577 ; Passages, p. 479. Dans la littérature secondaire, c’est surtout Buck-Morss qui a pris la conception benjaminienne de l’allégorie dans l’Origine du drame baroque comme point de départ pour l’interprétation des Passages ; voir Buck-Morss, The Dialectics of Seeing, 1989, p. 165-201. D’autres spécialistes ont critiqué cette approche, la jugeant réductrice ; voir notamment Zumbusch, Wissenschaft in Bildern, 2004, p. 275 et suiv. Sur la proximité de ces deux projets du point de vue de la méthodologie des sciences de la culture, voir aussi Emden, Walter Benjamins Archäologie der Moderne, 2006, p. 23-64 (le chapitre « Historische Spätzeiten: Vom Barock zur Moderne »).

93 [C 4a, 3] GS V, p. 145 ; Passages, p. 117.

94 Sur cette photographie, je renvoie pour plus de détails à mon article « Excavations in Cities and Archives. Walter Benjamin and a Newspaper Photograph of the Bastille », in Philipp Ursprung (dir.), Caruso St John. Almost Everything, Barcelone, 2008, p. 186-192.

95 Selon les indications des conservateurs de la Bibliothèque nationale, cet assemblage a sans doute été réalisé par des employés du Cabinet des estampes immédiatement après la donation de ces images par le collectionneur Paul Blondel en 1925 (voir le sceau « Don Paul Blondel »), mais il n’est pas exclu qu’il ait été modifié par la suite (par exemple, parce qu’un feuillet a pu être déchiré). Il est donc permis de supposer, sans pouvoir l’affirmer en toute certitude, que Benjamin a eu exactement cette configuration d’images sous les yeux.

96 Il y a notamment la métaphore des fouilles archéologiques pour désigner son propre travail d’historien. Voir Haug, « Excavations in Cities and Archives », 2008. Sur les notions d’« archéologie » et de « stratification » dans le projet des Passages, voir Emden, Walter Benjamins Archäologie der Moderne, 2006, p. 77 et suiv.

97 Dans une telle lecture, les objets matériels ont pour fonction de représenter des constellations historiques plus larges et, dès lors, ce sont des questions éthiques qui surgissent quand on les contemple. En regardant cette photographie, on est amené à y réfléchir tout autant que si l’on avait devant soi un emblème baroque, sauf que cette coupure de presse ne donne pas à voir une scène fictive. Benjamin observe comment une signification plus profonde peut s’inscrire jusque dans une image documentaire apparemment quelconque.

98 GS V, p. 76 ; Passages, p. 59.

List of illustrations

Title Fig. 110a Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 3 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]
Credits Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg3-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51670/img-1.jpg
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Title Fig. 110b Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 5 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]
Credits Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg5-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi
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Title Fig. 110c Charles Motte, Révolution de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades ainsi que des positions et mouvements des citoyens armés et des troupes pendant les journées des 27, 28 et 29 juillet, Paris, 1830, album de douze lithographies coloriées à la main, 30 × 41 cm chacune, ici pl. 7 ; réunies en trois rangées de quatre planches, les douze gravures détachables couvrent l’ensemble du territoire parisien. → [E 8, 5]
Credits Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/feuille-ndeg7-revolution-de-paris-1830-plan-figuratif-des-barricades-ainsi
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Title Fig. 111 Le Corbusier, Urbanisme, Paris, G. Crès, 1925, p. 150, en bas : une série de vignettes représentant « les moyens d’Haussmann », s.d., gravures sur bois ou acier → [E 2, 10]
Credits Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, 8-V-45439 (4), http://ark.bnf.fr/​ark:/12148/​cb30768408m
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Title Fig. 112 Alphonse Liébert, Barricade des Fédérés construite par Gaillard père, au coin des rues St Florentin & de Rivoli, 1871, photographie reproduite dans Alfred d’Aunay, Les Ruines de Paris et de ses environs, 1870-1871. Cent photographies par A. Liébert, 2 vol., Paris, 1872, vol. 1, pl. 40 → [E 8, 6]
Credits Crédit/Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, PET FOL-VE-64 (B), https://gallica.bnf.fr/​ark:/12148/​btv1b8432953r/​f57.item ; voir aussi sur https://images.bnf.fr/​#/​detail/​765720/​1
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51670/img-5.jpg
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Title Fig. 113 Charles Vernier (alias E. Courtoujours), Elle, 1871, lithographie coloriée à la main, 28,5 × 18,5 cm (image), 34,5 × 26,5 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 6]
Credits Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani
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Title Fig. 114 Cesare Ripa, Prudenza, gravure sur bois, dans id., Iconologia, Rome, 1603, p. 416
Credits Crédit/Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Arsenal, RESERVE 4-BL-5093, https://gallica.bnf.fr/​ark:/12148/​bpt6k1518922t/​f442.item.r=Cesare%20Ripa%20iconologia#
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51670/img-7.jpg
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Title Fig. 115 Graveur non identifié (A.L. ou Mulel ?), Les cadavres découverts dans les souterrains de l’église Saint-Laurent, 1871, gravure sur bois, 20 × 36 cm (image), 56 × 45 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 5]
Credits Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/les-cadavres-decouverts-dans-les-souterrains-de-l-eglise-saint-laurent#infos-principales
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Title Fig. 116 L.A. Stick, Actualité, 1871, lithographie coloriée à la main, 34 × 25 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1861 à 1899 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (7)-Fol., R010938 → [k 2a, 5]
Credits Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51670/img-9.jpg
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Title Fig. 117 Burn Smeeton d’après Frédéric-Théodore Lix, La chasse à l’homme dans les Catacombes, 1871, gravure sur bois, 22 × 19 cm (image), 36,5 × 25 cm (page), publiée dans L’Illustration. Journal universel, no 1477, 17 juin 1871, p. 352, présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 4]
Credits Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur www.parismuseescollections.paris.fr/de/node/284065#infos-principales
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Title Fig. 118 Marcia (pseudonyme d’Ed Renaux), Le Départ de la Commune, 1871 [BdF, 24 juin 1871], lithographie en couleurs, 35 × 25,5 cm (image), 45 × 29 cm (planche), présentée lors de l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, au musée municipal de Saint-Denis, 17 mars – 26 mai 1935 → [k 2, 3]
Credits Crédit/Source : Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Éluard / Irène Andréani ; voir aussi sur https://images.bnf.fr/​#/​detail/​772895/​1
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Title Fig. 119 Charles Motte, Maison de jeu, 1822 [BdF, 6 juillet 1822], lithographie, 37 × 51 cm, dans le recueil « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Sciences-Éducation (Médecine) », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-39-Pet. fol., pl. 78 → [O 7a, 1]
Credits Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, TF-39-PET FOL, https://images.bnf.fr/​#/​detail/​793451/​9
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Title Fig. 120 Albrecht Dürer, Les Cavaliers de l’Apocalypse, vers 1497, gravure sur bois, 39,6 × 28,3 cm
Credits Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, Petit Palais, inv. GDUT4109, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/l-apocalypse-edition-allemande-les-quatre-cavaliers-de-l-apocalypse-bartsch-64
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Title Fig. 121 Alfred Rethel, La Mort victorieuse, gravure sur bois, 22 × 32 cm, issue de la série Auch ein Totentanz aus dem Jahre 1848 [La Danse des morts en 1848], 1848-1849, pl. VI, parue dans L’Illustration. Journal universel, 28 juillet 1849, p. 347-348
Credits Crédit/Source : CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris, inv. G.11013, www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/l-ami-du-peuple-c-etait-la-mort-pl-vi#infos-principales
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Title Fig. 122 Stefano della Bella, La Mort à cheval, vers 1648, eau-forte, 19 × 15,2 cm
Credits Crédit/Source : Cambridge, Harvard Art Museums, Fogg Museum, Gray Collection of Engravings Fund, by exchange, photo © President and Fellows of Harvard College, inv. S7.9.1, www.harvardartmuseums.org/collections/object/71839 / https://hvrd.art/​o/​71839
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Title Fig. 123a Camille Ruckert, Les fondations de la tour de la Liberté de l’ancienne Bastille, mises à découvert par le tracé du Métropolitain, 1899, photographie de presse, 10 × 13,4 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., H 31719 → [C 4a, 3]
Credits Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-250 (A)-FOL, H 31719, https://images.bnf.fr/​detail/​740355/​4
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Title Fig. 123b Une page du recueil « Topographie de Paris. 4e arrondissement, 15e quartier : porte Saint-Antoine et Bastille », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-250 (A)-Fol., avec en haut un croquis (probablement de Paul Blondel) indiquant le tracé de la ligne de métro et l’emplacement des anciennes fondations de la Bastille (H 31718), et en bas à gauche la photographie de la fig. 123a (H 31719) → [C 4a, 3]
Credits Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-250 (A)-FOL, https://images.bnf.fr/​detail/​867626
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