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Une collecte d’images

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Steffen Haug

II. Collecte. Les recherches d’images pendant la seconde phase de travail (1934-1940)

II.3. Livres et autres sources (1936-1940)

Texte intégral

1Après ses recherches au Cabinet des estampes, Benjamin allait encore intégrer, entre 1936 et 1940, une quinzaine de notes iconographiques à ses liasses des Passages. Ces entrées ont été ajoutées au fil des années, avec une régularité qui témoigne de son intérêt persistant pour l’image.

2On trouve dans les matériaux des Passages, juste après les notes prises au Cabinet des estampes, d’autres références à des images. Elles se rapportent à des ouvrages illustrés appartenant au fonds général des imprimés de la Bibliothèque nationale. Deux d’entre elles sont intégrées à la liasse E « Haussmannisation, combats de barricades », six entrées après les notes du Cabinet des estampes. La première est un plan de Paris intitulé « Révolutions de Paris, 1830. Plan figuratif des barricades » (fig. 110). Il fait voir la complexité des combats dans l’enchevêtrement des rues du vieux Paris. Ce document est immédiatement suivi par la référence à une photographie montrant la « barricade des Fédérés construite par Gaillard père » pendant la Commune, à proximité de la place de la Concorde (fig. 112). Benjamin a vu cette image dans le premier tome d’un ouvrage en deux volumes publié en 1872 par Alfred d’Aunay, Les Ruines de Paris et de ses environs 1870-1871. Cent photographies par A. Liébert. On y aperçoit une des barricades construites à grand renfort de sacs de sable, grâce auxquels les insurgés réussirent même à bloquer les grands boulevards percés par Haussmann. Avec le plan de ville et la photographie, ce sont de nouveaux types d’images qui font leur entrée dans les notes des Passages, puisque ces deux médiums ne faisaient pas partie des matériaux visuels que Benjamin avait réunis précédemment au Cabinet des estampes.

3Dans la liasse G « Expositions », quelques pages seulement après la note du Cabinet des estampes, Benjamin ajoute une note sur l’Album des installations les plus remarquables de l’Exposition universelle de 1862 et indique que ce recueil contient « de très intéressantes illustrations, en partie en couleurs, reproduisant, selon les cas, en coupe transversale ou en coupe longitudinale, les pavillons de l’Exposition universelle de 1862 » (fig. 63). Aucune image de cette Exposition ne figurait jusqu’alors dans ses matériaux, ni de plans ou de dessins de vitrines d’aucune sorte ; encore une fois, ce sont de nouveaux aspects qu’il introduit ici, à la fois par leur sujet et par le type d’images qui l’illustrent. À la fin de la note, il inscrit en outre la cote de l’album – sans doute afin de pouvoir le redemander et l’étudier plus précisément par la suite, au moment de la rédaction définitive de ses notes. Comme le montrent ces trois exemples, Benjamin poursuit donc avec résolution sa collecte d’images même après avoir achevé ses recherches au Cabinet des estampes, intégrant chaque fois de nouveaux contenus et de nouveaux genres visuels à ses matériaux de travail.

  • 1 Voir [F 6, 1] GS V, p. 226 ; Passages, p. 184-185. [K 4a, 3 et 4] GS V, p. 502-503 ; Passages, p. 4 (...)
  • 2 Voir l’extrait de l’ouvrage de Fuchs, six entrées après celles du Cabinet des estampes, dans la not (...)
  • 3 Voir le commentaire des éditeurs à propos de l’article sur Fuchs, GS II, p. 1316-1317.

4Pour la plupart des images trouvées dans des livres entre 1936 et 1940, c’est sans doute incidemment que Benjamin a dû tomber, au fil de ses recherches thématiques, sur ces documents : en effet, il en cite généralement des passages de texte aussi bien que des images. Ainsi trouve-t-on dans la liasse U « Saint-Simon », juste après l’entrée du Cabinet des estampes, la référence à trois images d’Épinal illustrant la monographie d’Henry-René d’Allemagne, Les Saint-Simoniens 1827-1837 (fig. 74a-c). Des citations de cet ouvrage figurent en outre dans cinq autres notes1. De l’histoire de La Caricature des peuples européens d’Eduard Fuchs, Benjamin cite surtout des passages de texte, qu’il dissémine dans plusieurs liasses, mais il en relève aussi quelques illustrations2 (fig. 41 et fig. 79). Il a probablement étudié les livres de Fuchs entre août 1936 et janvier 19373.

  • 4 Comme on peut l’inférer de la date de publication des livres qu’il cite dans les notes précédentes  (...)
  • 5 La date résulte, d’une part, d’un article de la NRF datant de mai 1937 que Benjamin cite dans une n (...)
  • 6 En décembre 1937, Benjamin a fait réaliser une nouvelle copie photographique de ses liasses. Voir l (...)

5En 1937 ou plus tard4, Benjamin mentionne un dessin de la main de Baudelaire dans la biographie du poète par Féli Gautier (fig. 89). Entre mai et décembre 1937, il rédige une note sur le frontispice du roman d’Alexandre Dumas, Les Mohicans de Paris (fig. 95), après en avoir cité des passages dans les notes précédentes et s’être intéressé de façon générale à ce livre5. Dans la note rédigée après décembre 1937 à propos de l’article de Théophile Gautier sur la « photosculpture », Benjamin cite d’abord de larges extraits du texte, avant de renvoyer à la vignette imprimée à la fin de l’essai6 (fig. 52). Dans ce type de notes sur des images trouvées dans des livres se perpétue une pratique tout à fait identique à celle que nous avons décrite plus haut dans le cadre des recherches menées en bibliothèque pendant la première phase de travail.

  • 7 La dernière note fait référence à un livre de Jean Cassou, Quarante-huit, paru en 1939 ; voir [i 2, (...)

6Après décembre 1937, d’autres références à des images viennent encore s’ajouter aux notes et matériaux des Passages, sans indication de source : les « tableaux-tentures » de Dufour, illustrés à la manière des panoramas (fig. 43), le panorama historique de l’Exposition universelle de 1889 (fig. 44), les lithographies de Raffet représentant les « tricycles » et les « écossaises » d’une entreprise parisienne de transport (fig. 93), ou le reportage de Gavarni dessinant « Ce qu’on voit gratis à Londres » (fig. 96). En plus de ces matériaux iconographiques, Benjamin a constitué après décembre 1937 la liasse i « Technique de reproduction, lithographie », dont la dernière entrée n’a pas été rédigée avant 19397. Consacré à l’histoire de la lithographie, ce dossier ne mentionne certes aucune image en particulier, mais il atteste l’intérêt persistant de Benjamin pour les techniques de reproduction lorsqu’il poursuit ses recherches pour son projet des Passages.

  • 8 Quelques entrées plus haut, Benjamin cite à nouveau des passages du même livre de Cassou, paru en 1 (...)
  • 9 L’eau-forte est reproduite chez Stahl et la citation concernant Meryon dans la note qui précède imm (...)
  • 10 Une citation du livre de Stahl est la dernière entrée des liasses suivantes : E « Haussmannisation (...)
  • 11 Voir [J 91, 1] GS V, p. 402 ; Passages, p. 402.

7Les dernières notes sur des images ont été rédigées en 1939 ou au début de 19408. Il s’agit de notes sur Meryon dans la liasse J « Baudelaire » et, en particulier, de l’interprétation physionomique de son eau-forte « Le Pont-au-Change, vers 1784, d’après un dessin de Nicolle » (1855, fig. 103). Benjamin élabore sa lecture en se fondant sur une reproduction de la gravure dans le livre de Fritz Stahl, Paris. Eine Stadt als Kunstwerk (Paris. Une ville comme œuvre d’art, 1928), dont il vient de citer dans la note précédente quelques lignes sur le graveur9. Dans la liasse sur Baudelaire, d’autres notes suivent encore ces deux entrées ; mais, dans sept autres dossiers, les citations tirées de l’ouvrage historique de Stahl viennent tout à la fin, de sorte que l’étude de ce livre compte parmi les derniers travaux entrepris pour les Passages10. Même si ces notes sont prises pendant l’ultime phase de recherches, elles les enrichissent encore par des interprétations fondamentalement nouvelles. D’un côté, les vues de Paris par Meryon sont mises en relation avec les premières photographies de la ville ; elles sont donc considérées et classées du point de vue d’une histoire des médiums de l’image11. De l’autre, la toute dernière note iconographique des Passages interprète les façades qui se dessinent derrière le Pont-au-Change comme l’expression de la pauvreté du peuple de Paris.

8Bien que, après 1936, Benjamin n’ait plus jamais évoqué dans sa correspondance son projet d’ajouter à son livre une partie illustrée, il n’y a donc aucun signe indiquant qu’il aurait cessé de s’intéresser aux images. Si les notes iconographiques tardives sont assez peu nombreuses, c’est qu’il avait réuni, lors de ses recherches au Cabinet des estampes en 1935-1936, l’essentiel du corpus d’images qu’il voulait adjoindre à ses Passages, et qu’il n’a eu que ponctuellement besoin de le compléter par la suite.

Notes de fin

1 Voir [F 6, 1] GS V, p. 226 ; Passages, p. 184-185. [K 4a, 3 et 4] GS V, p. 502-503 ; Passages, p. 415-416. [U 13, 9 et 13 a, 2] GS V, p. 734-735 ; Passages, p. 609-610.

2 Voir l’extrait de l’ouvrage de Fuchs, six entrées après celles du Cabinet des estampes, dans la note [B 7, 5] GS V, p. 126 ; Passages, p. 101, ainsi que les autres citations à la suite de la note [O 9, 8] GS V, p. 632-633 ; Passages, p. 524-525.

3 Voir le commentaire des éditeurs à propos de l’article sur Fuchs, GS II, p. 1316-1317.

4 Comme on peut l’inférer de la date de publication des livres qu’il cite dans les notes précédentes : voir par exemple [J 20, 3] GS V, p. 339 ; Passages, p. 279, où il se réfère à L’Âme romantique et le rêve d’Albert Béguin, édité en 1937 à Marseille.

5 La date résulte, d’une part, d’un article de la NRF datant de mai 1937 que Benjamin cite dans une note précédente ([M 12, 1] GS V, p. 551 ; Passages, p. 456) et, d’autre part, des reproductions photographiques qu’il fait réaliser de ses notes et matériaux en décembre de cette même année. Sur l’interprétation du roman et de son frontispice, voir aussi le chapitre « Le flâneur » dans « Le Paris du Second Empire chez Baudelaire » (1938), GS I, p. 543-544 ; Baudelaire, p. 736.

6 En décembre 1937, Benjamin a fait réaliser une nouvelle copie photographique de ses liasses. Voir le commentaire des éditeurs in GS V, p. 1262, ainsi que la lettre du 6 décembre 1937 à Horkheimer, GB 5, p. 624.

7 La dernière note fait référence à un livre de Jean Cassou, Quarante-huit, paru en 1939 ; voir [i 2, 1] GS V, p. 948 ; Passages, p. 787.

8 Quelques entrées plus haut, Benjamin cite à nouveau des passages du même livre de Cassou, paru en 1939.

9 L’eau-forte est reproduite chez Stahl et la citation concernant Meryon dans la note qui précède immédiatement celle où est évoquée la gravure provient également de ce livre. Benjamin y reprend en outre le titre abrégé qu’emploie Stahl, et c’est sans doute ce raccourci qui l’a conduit à développer son interprétation.

10 Une citation du livre de Stahl est la dernière entrée des liasses suivantes : E « Haussmannisation […] » [E 14a] GS V, p. 210 ; Passages, p. 170-171. F « Construction en fer » [F 8a] GS V, p. 231 ; Passages, p. 189. G « Expositions […] » [G 16a, 3] GS V, p. 268 ; Passages, p. 219. K « Ville de rêve […] » [K 9a, 1] GS V, p. 510 ; Passages, p. 422. L « Maison de rêve […] » [L 5a] GS V, p. 522-523 ; Passages, p. 432-433. P « Les rues de Paris » [P 5, 2 et 3] GS V, p. 654 ; Passages, p. 542. Et l « La Seine, le très vieux Paris » [l 2a, 2] GS V, p. 960 ; Passages, p. 796.

11 Voir [J 91, 1] GS V, p. 402 ; Passages, p. 402.

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