Une collecte d’images
|II. Collecte. Les recherches d’images pendant la seconde phase de travail (1934-1940)
II.2. Le Cabinet des estampes (1935-1936)
Texte intégral
- 1 GB 5, p. 125 ; Correspondance II, p. 167.
1Les amples recherches menées par Benjamin au Cabinet des estampes ont laissé des traces dans sa correspondance, où il les évoque à plusieurs reprises. La toute première indication figure dans une lettre du 10 juillet 1935 à Max Horkheimer : « Depuis la mi-mai, je travaille avec la dernière intensité à parachever ma documentation à la Bibliothèque nationale et au Cabinet des estampes1. » Dans les lettres qui suivent, il s’emploie à souligner en particulier telle ou telle visée de ses recherches iconographiques. Ainsi écrit-il le 18 juillet à Alfred Cohn :
- 2 GB 5, p. 128 ; Correspondance II, p. 168-169.
« Maintenant que proche est la conclusion, je me suis ouvert deux autres chantiers. L’un est le Cabinet des estampes, où je cherche à contrôler sur images les idées concrètes d’objets et de situations que je me suis forgées dans des livres ; l’autre est l’Enfer de la Bibliothèque nationale, et d’avoir arraché le droit d’y recourir est l’un des rares succès que je puis m’assigner dans ce pays. Il est extraordinairement difficile de l’obtenir2. »
- 3 Benjamin l’avait déjà fréquenté dans les années 1920 ; voir GB 2, p. 433. Sur ce département, voir (...)
- 4 Il n’y a qu’un seul cas où les informations tirées d’une gravure du Cabinet des estampes corrigent (...)
- 5 Le seul exemple d’une note iconographique dont le contenu est très proche des citations que Benjami (...)
2Benjamin mentionne deux départements de la Bibliothèque nationale : le Cabinet des estampes et l’« Enfer », la collection des écrits et des images licencieux ou pornographiques3. Ce qui compte surtout ici, c’est qu’il dit vouloir « contrôler sur images » le savoir glané dans les livres. Ce sont clairement les textes qui viennent en premier. Autre support de la tradition historique, les images ont pour fonction d’en livrer une contre-épreuve. Elles doivent vérifier ou, le cas échéant, corriger. Or, cet usage spécifique ne laissera guère de traces dans les dossiers des Passages4. De fait, lorsqu’il reprend les citations textuelles qu’il a collectées, Benjamin n’en garde aucune qui ne ferait que confirmer les connaissances antérieures. Au contraire, celles qu’il intègre à ses liasses y ajoutent chaque fois un point de vue encore inédit. De même, ses notes sur les images font apparaître de nouveaux aspects, ignorés jusqu’alors5. Il n’y en a pratiquement aucune qui décrive les passages ou les boulevards – autrement dit, des objets que Benjamin connaissait déjà pour les avoir vus de ses propres yeux ou étudiés dans les livres. Certes, de telles descriptions pourraient venir étayer le savoir dont il dispose déjà, mais il n’y a pour lui aucune nécessité d’en encombrer ses liasses, où elles feraient double emploi. Benjamin est peut-être parti de l’idée de « contrôle » évoquée dans sa lettre à Alfred Cohn, mais beaucoup d’images qu’il découvre ensuite ont déclenché de nouveaux raisonnements – et ce sont uniquement ces dessins et ces gravures qu’il retiendra pour finir à titre de sources.
3Dans deux autres lettres de cette même année 1935, Benjamin parle cependant des images comme d’un objet d’interprétation en soi. Voici ce qu’il écrit d’abord dans une lettre restée jusqu’ici inédite à Theodor W. Adorno, datée du 7 juillet :
- 6 Lettre inédite. L’original est conservé dans les archives des éditions Suhrkamp. Nous la transcrivo (...)
« Je garde bon espoir de terminer les études pour mon livre cet été. En ce moment, je suis passé des livres au Cabinet des estampes, afin de me permettre, après une préparation minutieuse, l’examen visuel souhaité pour bien des choses. Ce faisant, j’ai découvert une allégorie sur le romantisme français qui m’a fait une impression indescriptible. Je pense que je vous la ferai photographier et, comme cela, vous pourrez faire vous aussi la connaissance de ce chef-d’œuvre inconnu6. »
4L’« allégorie sur le romantisme français » qu’il mentionne est une lithographie de Joseph Vigné, « Le Romantisme ou le monstre littéraire » (1824, fig. 85). En parlant de « chef-d’œuvre inconnu », Benjamin fait allusion à la nouvelle publiée en 1831 par Honoré de Balzac, le texte sur la peinture sans doute le plus connu de l’époque romantique. Chez Balzac, le chef-d’œuvre du peintre Frenhofer reste « inconnu » parce que celui-ci le garde jalousement caché à tous les regards, y travaillant comme un forcené pendant dix ans sans pouvoir l’achever : en dehors d’un pied délicieusement modelé, la toile ne laissera finalement apercevoir qu’un incompréhensible chaos de couleurs. La lithographie de Vigné est « inconnue » parce qu’il n’en existait plus qu’un rare exemplaire conservé dans un album de caricatures du Cabinet des estampes et qu’elle était demeurée jusqu’alors totalement ignorée des historiens de l’art. Le projet de la faire photographier, annoncé par Benjamin, ne s’est sans doute pas réalisé. Et la haute estime où il semble avoir tenu cette vignette qu’il qualifie de « chef-d’œuvre » contraste avec l’absence presque complète de réception dont elle pâtit encore aujourd’hui. La caricature est une charge contre le romantisme : elle l’accuse d’avoir altéré l’idéal classique, inspiré de l’Antiquité et prôné par l’Académie, et de lui avoir substitué une figure à la mode, faite de bric et de broc.
5Dans sa lettre déjà citée du 2 septembre 1935 à Gretel Adorno, Benjamin évoque de façon générale les « notes » qu’il prend sur « un important matériau iconographique oublié ». Le point de départ est certes une suite d’images réunies en volume, mais il en vient ensuite à parler des recherches qu’il a menées les mois précédents :
- 7 GB 5, p. 161-162 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 230.
« Dans mon travail, j’ai eu la chance ces derniers temps de tomber sur quelques bonheurs bibliographiques. […] C’est un livre qui porte le titre très bizarre de Héliogabale XIX ou Biographie du xixe siècle, qui a paru dans les années 1840 à Brunswick et qui est très rare. […] il contient une suite d’images allégoriques en rapport avec la politique française dans laquelle apparaissent les thèmes les plus originaux et les plus secrets du milieu du siècle. Maintenant, il va de nouveau se passer des mois avant que j’obtienne l’autorisation de faire photographier l’une des planches. Voilà une nouveauté : pour mes recherches, je prends des notes sur un important matériau iconographique oublié. Mon livre, à ce que je sais depuis quelque temps, pourrait se munir des documents illustrés les plus significatifs et je ne veux pas d’avance le priver de cette possibilité7. »
- 8 Sur la vie et l’œuvre de Veltheim, voir Christian Juranek, Gegen eine ganze Zeit. Hans Graf von Vel (...)
- 9 <Q°, 17> GS V, p. 1037 ; Passages, p. 862.
6La « suite d’images allégoriques » de l’auteur dramatique et caricaturiste Hans von Veltheim (1818-1854)8 a été imprimée en 1843 et se compose de vingt-deux eaux-fortes. Benjamin l’avait certes déjà mentionnée dans ses premières notes par une référence bibliographique9, mais aucune entrée ne s’y rapporte dans ses dossiers pour les Passages, de sorte que cette évocation dans la lettre à Gretel Adorno en est le seul commentaire – alors qu’il lui accordait beaucoup d’importance. On ne sait donc quelle planche il voulait faire photographier. À travers sa suite de gravures satiriques, Veltheim critiquait en sous-main la monarchie de Juillet, en déguisant Louis-Philippe sous les traits d’Héliogabale (vers 203-222), souverain extravagant qui symbolise la décadence et la chute de l’Empire romain. L’ouvrage est construit sur le modèle d’une biographie fictive qui déroule, de sa naissance à sa mort, la carrière politique et les épisodes attestant l’hybris de ce personnage historique. Plusieurs thèmes y apparaissent, que Benjamin traite ailleurs dans ses notes – par exemple, les mouvements politiques autour de Fourier et de Saint-Simon (fig. 18). Peut-être la forme allégorique qu’il signale dans sa lettre l’a-t-elle aussi intéressé, mais il n’en dit pas plus.
Fig. 18 Hans von Veltheim, Rêve St. Simoniste du Rapin, eau-forte, 32,8 × 25 cm (page), illustrant Héliogabale XIX ou Biographie du xixe siècle de la France dédiée à la grande nation en signe de sympathie par un Allemand, Brunswick, 1843, pl. 13 → <Q°, 17>

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, FOL-LA37-13, http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb34020866g
- 10 GS I, p. 431-449 ; GS VII, p. 350-384 ; WuN, p. 52-163 ; Œuvres III, p. 67-113. Sur l’histoire et l (...)
- 11 [F 6, 2] GS V, p. 227 ; Passages, p. 185.
- 12 [F 7, 3] GS V, p. 228 ; Passages, p. 186-187. Sur la citation de cet article dans « L’œuvre d’art » (...)
- 13 [F 7a, 5] GS V, p. 230 ; Passages, p. 188.
7Lorsqu’il parle d’« un important matériau iconographique oublié », Benjamin pense surtout, au-delà de l’album de Veltheim, aux gravures du Cabinet des estampes, l’expression « depuis quelque temps » se rapportant directement aux recherches qu’il y a menées. Le département d’arts graphiques n’est plus évoqué ensuite dans les autres lettres de l’année 1935. Du mois d’octobre 1935 aux premiers jours de l’année 1936, Benjamin est essentiellement occupé à rédiger les deux premières versions de « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique10 ». Cette interruption des travaux de recherche au Cabinet des estampes se repère très concrètement dans les notes de la liasse F « Construction en fer ». On y trouve d’abord, sans doute rédigée à une date encore antérieure, une entrée sur la lithographie « Le triomphe du kaléidoscope » (fig. 30 ci-dessous), dans laquelle Benjamin annonce vouloir en revérifier la disposition des figures, pour savoir qui, du kaléidoscope ou du casse-tête chinois, l’emporte sur l’autre11. Vient ensuite, huit notes plus bas, une citation extraite d’un article de Léon Pierre-Quint, « Signification du cinéma », paru en 1927, qui est également cité dans « L’œuvre d’art »12. Et, à nouveau huit notes plus bas, Benjamin revient, après être repassé au Cabinet des estampes, sur cette lithographie et sur l’issue du combat qu’elle figure et dont il n’était plus certain13. S’étant entièrement consacré dans l’intervalle à la rédaction de son essai sur l’œuvre d’art, on comprend qu’il n’ait pas fait état, avant janvier 1936, d’autres travaux au Cabinet des estampes.
8Dans une lettre à Gretel Adorno postérieure au 9 janvier 1936, Benjamin écrit avoir repris, « après une longue absence », ses recherches au Cabinet des estampes :
- 14 Les éditeurs des Gesammelte Briefe de Benjamin n’ont pas réussi à identifier l’ouvrage dont il pour (...)
- 15 GB 5, p. 222-223 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 249.
« Cette histoire de l’art, qui s’accorde si parfaitement à tous mes intérêts14, s’harmonise particulièrement bien avec mes études de ces derniers jours, que j’ai de nouveau passés, après une longue absence, au Cabinet des estampes. Guidé par un passage de Baudelaire, j’y ai découvert un graveur dont les eaux-fortes sur Paris m’ont coupé le souffle. C’est un contemporain de Baudelaire – on ne saurait imaginer ce qu’une édition de ces cuivres avec un texte de lui aurait donné. Mais ce projet a été ruiné par le caractère imprévisible du graveur. Il s’appelle Meryon. Les eaux-fortes parisiennes sont son chef-d’œuvre et il n’y en a pas plus de vingt. Mais quelles pièces ! Tu les verras lorsque tu viendras. Meryon est mort dément, peu après avoir franchi la quarantaine15. »
- 16 Sur Meryon, voir plus bas.
- 17 Benjamin a intégré à la liasse J « Baudelaire » un extrait d’une lettre de Baudelaire sur Meryon, l (...)
9La série des Eaux-fortes sur Paris de Charles Meryon16 réunit vingt-cinq planches de petit format dans lesquelles l’artiste a documenté, de 1850 à 1854, le vieux Paris avant les grands travaux de rénovation du baron Haussmann. Au total, six gravures de l’artiste sont directement nommées dans les liasses des Passages (fig. 98, 99, 100a-c, 103), avec de nombreuses autres mentions éparses. Meryon a donné à plusieurs de ses planches, en y ajoutant une légende ou des figures, une signification allégorique qui demeure parfois mystérieuse. Le « passage de Baudelaire » auquel Benjamin dit devoir la « découverte » du graveur est sans doute sa recension critique du Salon de 1859, où les vues parisiennes de Meryon sont analysées en détail dans le septième chapitre17. Le 30 janvier, il écrit ensuite à Werner Kraft :
- 18 GB 5, p. 237-238 ; Correspondances II, p. 201.
« Dans la mesure où je trouve du temps pour mon livre, je le consacre actuellement à des recherches au Cabinet des estampes, où je suis tombé sur le portraitiste le plus impressionnant de la ville de Paris, Charles Meryon, un contemporain de Baudelaire. Ses eaux-fortes comptent au nombre des tableaux les plus étonnants qu’une ville ait jamais suscités ; les toquades de Meryon ont empêché de réaliser l’idée de les accompagner de commentaires de Baudelaire ; c’est une perte fantastique18. »
- 19 Elles commencent tout de suite au dos de la première feuille du dossier ([J 1a] GS V, p. 303 ; Pass (...)
- 20 [J 2, 2] GS V, p. 303 ; Passages, p. 249.
- 21 GS V, p. 73 ; Passages, p. 57.
10Ici encore, Meryon est envisagé en lien avec Baudelaire, et c’est en toute logique que Benjamin a intégré la plupart des notes le concernant à la liasse J « Baudelaire »19. Y est également évoqué une seconde fois le projet d’une édition des Eaux-fortes avec un texte de Baudelaire20. Benjamin reviendra en 1938 sur les affinités artistiques entre le graveur et le poète dans son essai « Le Paris du Second Empire chez Baudelaire ». En 1939, il ajoutera une allusion à Meryon dans la version française de son exposé, au chapitre consacré à Haussmann et à la démolition du vieux Paris pour percer les grands boulevards21. Enfin, il traitera également de ce qui, dans ces planches, relève spécifiquement de la technique de l’eau-forte, en particulier dans ses dernières notes sur Meryon, qui datent de 1939-1940.
11Déjà mentionnée elle aussi, la dernière lettre relative au Cabinet des estampes date du 7 février 1936. Benjamin y évoque un voyage à Paris qu’Adorno avait projeté, mais qu’il ne fera pas :
- 22 GB 5, p. 241 ; Adorno-Benjamin, p. 181.
« Je souhaite beaucoup que vous puissiez cette fois réserver un certain temps pour Paris. Il me serait fort pénible de vous laisser partir sans vous avoir montré une partie de la documentation visuelle de mon livre22. »
12Benjamin avait déjà annoncé à Gretel, l’épouse d’Adorno, qu’elle verrait les planches de Meryon lorsqu’elle serait à Paris ; il pensait donc à les lui montrer au Cabinet des estampes. Dans sa lettre à Theodor W. Adorno, il souligne assez combien il lui importait qu’on puisse en examiner les originaux. L’emploi de l’article défini, « la documentation visuelle », indique en outre qu’il s’agit d’une partie établie et en grande partie achevée ; il n’est question nulle part dans cette lettre de matériaux éventuels, provisoires ou encore incertains. De plus, le corpus d’images réuni par Benjamin semble si abondant qu’Adorno n’en verrait pour commencer qu’« une partie ». En février 1936, les images, comme élément constitutif du livre qu’il a en tête, sont devenues pour lui si importantes qu’il réclame avec insistance de pouvoir en discuter, en ayant les originaux sous les yeux, avec Adorno – son principal interlocuteur pour toutes les questions concernant son projet des Passages. Peut-être s’agissait-il déjà de réfléchir ensemble à la forme à donner à son livre ; à coup sûr, de convaincre Adorno de la haute valeur de l’image en tant que source historique et objet d’étude.
- 23 Nous avons fouillé les registres de mars 1937 à 1940.
13Après le 7 février 1936, Benjamin n’évoquera plus le Cabinet des estampes dans ses lettres. Il nous est impossible de savoir aujourd’hui s’il a continué d’y travailler, les registres de visiteurs des années 1935 et 1936 étant malheureusement perdus. On dispose de nouveau de ces listes à partir de mars 1937, mais le nom de Benjamin n’y figure plus23.
- 24 Lettre du 15 mai 1914 à Herbert Blumenthal : « Avant, je serai au Cabinet des estampes. J’y ai ache (...)
14Dans ses lettres, Benjamin ne dit pas comment il s’est intéressé à la collection du Cabinet des estampes. Vu son goût pour les arts graphiques, on peut supposer qu’il en connaissait depuis longtemps l’existence. Dans une lettre de 1914, par exemple, il faisait déjà état de ses visites au Kupferstichkabinett de Berlin24. À Paris, au printemps 1935, plusieurs personnes pourraient l’avoir mis sur la voie du département d’arts graphiques de la Bibliothèque nationale, parmi lesquelles Georges Bataille, le collectionneur Eduard Fuchs et surtout la photographe Gisèle Freund, qui travaillait elle-même au Cabinet des estampes à ce moment-là, y cherchant des matériaux visuels historiques pour illustrer sa thèse sur la photographie en France au xixe siècle.
- 25 Voir Gerhard Rupp, « Benjamin und Bataille. Deutsch-französische Kreuzungen auf der Suche nach eine (...)
- 26 C’est Bataille qui a caché les manuscrits des Passages à la Bibliothèque nationale, au moment où Be (...)
- 27 Lettre du 8 juillet 1935 au directeur général de la Bibliothèque nationale, GB 5, p. 123-124.
- 28 Lettre du 28 mai 1938 à Horkheimer, GB 6, p. 93.
- 29 Voir les illustrations des articles de Paul Rivet, « Gravures de Jacques Bellange, peintre lorrain (...)
- 30 Georges Bataille, « Les écarts de la nature », ibid., 2e année, 1930, no 2, p. 79-83. Sur l’interpr (...)
15Vers le milieu des années 1930, Benjamin s’est lié d’amitié avec Georges Bataille (1897-1967)25, qui travaillait alors comme bibliothécaire au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale26. C’est de lui qu’il se recommande lorsqu’il écrit en juillet 1935 au directeur général de l’institution pour solliciter l’autorisation de pouvoir consulter « certains volumes consignés à l’Enfer27 ». En 1938, il écrit à Horkheimer : « Georges Bataille […] est bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. Je le vois assez souvent dans le cadre de mes recherches28. » Entre 1929 et 1931, Bataille avait édité la revue surréaliste Documents, où l’on trouve quelques articles illustrés par des gravures provenant du Cabinet des estampes – ce sont toutefois des images anciennes, des xviie et xviiie siècles29. Lui-même y publie en 1930 « Les écarts de la nature30 », un essai sur une série de cuivres gravés du xviiie siècle figurant des malformations humaines, également conservée au Cabinet des estampes. Bataille a donc pu signaler à Benjamin l’intérêt de ce département, mais on ne saurait relever chez lui aucun intérêt consistant pour les gravures de presse du xixe siècle qui ont fait l’objet des recherches les plus assidues de Benjamin. Ce goût est plutôt à chercher du côté d’Eduard Fuchs.
- 31 Sur la vie et l’œuvre de Fuchs, voir Thomas Huonker, Revolution, Moral & Kunst. Eduard Fuchs: Leben (...)
- 32 Voir le chapitre « Fuchs als Objekt des Instituts für Sozialforschung », in Huonker, Revolution, Mo (...)
- 33 Voir Weitz, Salonkultur und Proletariat, 1991, p. 421 et suiv. ; sur la collection de Fuchs et son (...)
- 34 Walter Benjamin, « Eduard Fuchs, der Sammler und der Historiker », Zeitschrift für Sozialforschung, (...)
16Benjamin a rencontré à plusieurs reprises à Paris le journaliste, historien et collectionneur Eduard Fuchs (1870-1940)31, entre novembre 1933 et mars 1937 selon sa correspondance. À l’origine de leurs entretiens, il y a une commande de l’Institut de recherches sociales, qui avait demandé à Benjamin un article sur la collection d’arts graphiques de Fuchs et sur les ouvrages qu’il avait rédigés à partir de ces matériaux32. Fuchs avait fui l’Allemagne en 1933, après l’incendie du Reichstag, et s’était installé à Paris. Après son départ, le régime nazi avait confisqué sa villa berlinoise et une partie de sa collection fut aussitôt brûlée, l’autre vendue sur le marché de l’art33. Face à ce qui s’annonçait comme l’anéantissement de l’œuvre d’une vie, Horkheimer passa commande à Benjamin d’une étude qu’il acheva en janvier 1937 et qui parut sous le titre « Eduard Fuchs, collectionneur et écrivain34 » dans la Zeitschrift für Sozialforschung, avec un résumé en français sans doute rédigé en partie par Benjamin lui-même. Dès 1900, Fuchs a publié des monographies avec des caricatures servant de sources historiques aux événements étudiés. Voici ce que Benjamin en écrit :
- 35 Eduard Fuchs, 1848 in der Karikatur, Munich, 1898 ; id., Ein vormärzliches Tanzidyll. Lola Montez i (...)
- 36 GS II, p. 470 ; Œuvres III, p. 179. Dans les livres de l’écrivain et homme politique socialiste Wil (...)
« Et c’est ainsi […] qu’il réalisa les études illustrées sur l’année 1848 au miroir de la caricature et sur l’affaire d’État Lola Montez35. Ce furent là, à la différence des livres d’histoire illustrés par des dessinateurs vivants (par exemple, les livres populaires sur la Révolution rédigés par Wilhelm Blos, avec des dessins de Jentzsch), les premiers ouvrages d’histoire comportant des images documentaires36. »
- 37 Eduard Fuchs, Die Karikatur der europäischen Völker, t. I, Vom Altertum bis zum Jahre 1848 [1901], (...)
- 38 Voir la lettre du 24 avril 1935 à Eduard Fuchs, GB 5, p. 76.
17Dans les années qui ont suivi, Fuchs a notamment publié une histoire de la caricature des peuples européens en deux volumes et une histoire illustrée des mœurs, l’une et l’autre avec des gravures historiques37. Benjamin a cité des extraits de ces deux ouvrages dans ses Passages, mentionnant en outre plusieurs images qui illustrent le premier (fig. 41 et 79). On imagine sans peine que les deux hommes ont dû discuter de l’image et de sa fonction de source historique. En tout cas, la manière dont Fuchs a procédé en la matière a sans doute servi d’exemple à Benjamin. Étant donné son intérêt pour la gravure française du xixe siècle, Fuchs connaissait très certainement le département d’arts graphiques de la Bibliothèque nationale. Dans une lettre du 24 avril 1935, Benjamin lui proposait un rendez-vous pour le surlendemain – donc juste avant qu’il n’entame lui-même ses recherches au Cabinet des estampes38. Cette contiguïté est peut-être le fruit du hasard, mais on peut supposer que les entretiens avec Fuchs auront conforté Benjamin dans son idée de donner à l’art de masse du xixe siècle plus de place dans son projet des Passages qu’il ne lui en avait accordé jusqu’alors.
- 39 Freund écrit avoir fait la connaissance de Benjamin en 1932 aux Baléares. Gisèle Freund, « Walter B (...)
- 40 Gisèle Freund, La Photographie en France au dix-neuvième siècle. Essai de sociologie et d’esthétiqu (...)
18Mais surtout, lors de son exil parisien, Benjamin a noué des liens d’amitié assez étroits avec la photographe et historienne de la photographie Gisèle (Gisela) Freund (1908-2000)39. Ils travaillaient l’un et l’autre au même moment à la Bibliothèque nationale. En 1935-1936, Freund a rédigé sa thèse de doctorat sur les aspects esthétiques et sociologiques de la photographie en France au xixe siècle40. Voici comment elle évoquait le souvenir de cette période :
- 41 Freund, « Walter Benjamin », 1985, p. 61-62.
« Je travaillais tous les jours à la Bibliothèque nationale, pour terminer une thèse de doctorat, et lui à ses recherches sur Baudelaire. Des relations amicales s’établirent bientôt entre nous. […] Pendant des années, nous nous sommes croisés tous les jours dans cette gigantesque salle silencieuse. Parfois, nous montions ensemble sur la galerie de la bibliothèque ou nous traversions la rue Richelieu pour aller nous asseoir sur un banc du square Louvois. Benjamin allumait sa pipe et nous causions des sujets les plus divers : la situation politique, le marxisme, les écrivains contemporains41. »
- 42 Le physionotrace a été inventé en 1785 par Gilles-Louis Chrétien (1754-1811). L’appareil est compos (...)
19Il est fort possible que le Cabinet des estampes ait également compté parmi leurs sujets de conversation, Freund ayant puisé dans cette collection d’arts graphiques des documents qui lui ont servi de sources pour sa thèse et qui sont en partie reproduits dans le livre qu’elle en a publié en 1936. On y trouve un motif qui s’apparente par son sujet à l’une des gravures retenues par Benjamin : le physionotrace42, un appareil de dessin inventé à la fin du xviiie siècle, qui permettait de reporter mécaniquement les contours du visage ou la silhouette d’un modèle sur une feuille de papier ou une plaque de cuivre. Freund y voit un précurseur de la photographie, d’abord parce que ce dispositif satisfait à l’exigence d’un rendu exact de la réalité, et ensuite parce qu’il participe à la technicisation croissante de la production des images. Benjamin a cité plusieurs extraits de la thèse manuscrite de son amie, ainsi dans cette note de la liasse Y « Photographie » :
- 43 [Y 3, 3] GS V, p. 829 ; Passages, p. 689-690.
« “Il faut tenir compte, parmi les inventions qui précèdent la photographie, de la lithographie […] et du physionotrace, qui, de son côté, représente une mécanisation du procédé des silhouettes découpées […].” Gisèle Freund, La Photographie au point de vue sociologique (manuscrit, p. 19-29). L’appareil était muni d’un dispositif de visée. On pouvait arriver à dessiner grandeur nature43. »
- 44 Sur la légende de Pline, voir Andreas Beyer, L’Art du portrait, Paris, 2003, p. 17.
20Dans son livre, Freund reproduit une image du physionotrace provenant du Cabinet des estampes (fig. 19). Un autre exemplaire de ce dessin se trouve dans le troisième volume de la série « Kc 164. Pièces sur les arts, xve-xxe siècle ». Benjamin a pris note de plusieurs estampes recueillies dans les deuxième et quatrième volumes de cette série, notamment The Origin of Painting (fig. 24 ci-dessous), une gravure qui représente elle aussi le report d’une silhouette. Ce cuivre illustre le mythe de la naissance de la peinture, tel que l’a rapporté Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, qui raconte comment la fille de Dibutade, un potier de Corinthe, fixa le contour de l’ombre de son fiancé à la veille de son départ pour la guerre44. Ainsi est-on tenté de supposer que Benjamin entendait lui aussi faire un lien entre les divers types de « dessins à la lumière » reproduisant fidèlement la réalité, depuis le tracé manuel d’une ombre projetée sur un mur jusqu’au portrait photographique. On retiendra pour l’heure que Benjamin et Freund ont tous deux mené des recherches au Cabinet des estampes, qu’ils étaient intéressés l’un et l’autre par des images aux thèmes apparentés, et que la photographe y a terminé ses travaux juste avant le philosophe. En outre, les notes sur les images insérées dans les liasses A, E et Y viennent chaque fois quelques entrées après les citations du manuscrit de Freund, ce qui nous donne des indications assez précises sur le déroulement chronologique des travaux de Benjamin.
Fig. 19 Edme Quenedey, L’appareil du physionotrace, vers 1780, dessin, reproduit dans Gisèle Freund, La Photographie en France au dix-neuvième siècle. Étude de sociologie et d’esthétique, Paris, A. Monnier, 1936, pl. après p. 18 ; un exemplaire du dessin est conservé dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc 164 (3)

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, 4-V-13416, http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb321297904 ; voir le dessin original sur https://images.bnf.fr/#/detail/1539452/4
- 45 Dans l’exemple donné plus haut de la série Kc 164, Benjamin a relevé des images dans les volumes 2 (...)
21Il nous est impossible aujourd’hui de reconstituer systématiquement la façon dont Benjamin a procédé lors de ses recherches au Cabinet des estampes. Nous connaissons seulement les notes qu’il a reprises dans ses liasses après avoir terminé sa collecte d’images. On ignore, par exemple, s’il a consulté d’autres séries – volumes, cartons ou portefeuilles – sans y relever aucune œuvre45. Il a certainement dû prendre d’autres notes sur place, si l’on considère que le crayon à papier était alors, comme aujourd’hui encore, le seul instrument autorisé dans ce département, et que les entrées dans les liasses sont à l’encre. Ces premières notes suivaient vraisemblablement un autre ordre, peut-être celui des volumes et des recueils consultés, et l’on peut imaginer qu’elles étaient en partie différentes ou plus complètes que celles que nous connaissons. On peut en outre penser que, après les avoir reportées, Benjamin les a mises de côté, pour avoir au besoin la cote de chaque image sous la main. Comme la logique ayant gouverné l’organisation du Cabinet des estampes est sans équivalent dans l’histoire et que Benjamin n’aurait pu trouver nulle part ailleurs un fonds aussi considérable, classé par thèmes, nous retracerons brièvement la constitution de ce département de la Bibliothèque nationale, avant de présenter les quatre séries thématiques dont il s’est essentiellement servi (V « Topographie », Q « Histoire », K « Arts académiques » et T « Littérature et fictions diverses ») et les images qu’il y a sélectionnées.
La collection du Cabinet des estampes, son classement et son histoire
- 46 Sur Marolles, voir surtout Stephan Brakensiek, Vom « Theatrum Mundi » zum « Cabinet des estampes ». (...)
22Benjamin a évoqué les origines du Cabinet des estampes en 1937, dans son texte sur le collectionneur et historien Eduard Fuchs, qu’il inscrit dans la lignée de Michel de Marolles (1600-1681), dont la collection a constitué la base du département d’arts graphiques de la Bibliothèque nationale46. De même que Marolles fut le premier à collectionner les estampes de manière extensive, de même Fuchs a-t-il été le premier à consacrer sa passion de collectionneur au domaine de la caricature.
- 47 GS II, p. 502-503 ; Œuvres III, p. 220-221.
« Les grands collectionneurs se distinguent le plus souvent par l’originalité de leur choix d’objets. […]. Marolles, le modèle de Damocède [sic], conduit par La Bruyère, a introduit le collectionneur dans la littérature (et tout de suite de manière peu avantageuse). Marolles fut le premier à comprendre l’importance des arts graphiques ; sa collection de 125 000 estampes est la base du Cabinet des estampes. […] Fuchs fait partie de la série de ces grands collectionneurs, méthodiques et voués à une seule cause47. »
- 48 Voir Lothar Brieger, Die großen Kunstsammler, Berlin, 1931, p. 163-170 (le chapitre « Marolles, der (...)
- 49 Sur la date de cette lecture, voir le « Verzeichnis der gelesenen Schriften » (liste des écrits lus (...)
23La « manière peu avantageuse » évoquée par Benjamin tient au désir de complétude qui anime le collectionneur. Dans ses Caractères de 1688, Jean de La Bruyère fait un portrait à charge de Démocède, un personnage fictif inspiré de son contemporain Marolles, que sa collection d’estampes plonge dans l’affliction : il a tout Callot, hormis une seule estampe qui n’est certes pas l’une des meilleures, mais qui est très rare et qu’il brûle de posséder. Si Benjamin ne donne aucune source concernant ce qu’il écrit sur Marolles, il s’est certainement appuyé sur le livre de Lothar Brieger, Die großen Kunstsammler (Les grands collectionneurs d’art), où un chapitre lui est spécialement consacré48. Marolles y est présenté comme le modèle de Démocède et le chiffre de 120 000 estampes y est indiqué, comme dans l’article sur Fuchs. Benjamin a lu l’ouvrage de Brieger en mars 1935 – autrement dit, dans le sillage des travaux préparatoires à son étude sur le collectionneur et, surtout, juste avant ses propres recherches au Cabinet des estampes49.
- 50 Voir Brakensiek, Vom « Theatrum Mundi » zum « Cabinet des estampes », 2003, p. 13.
- 51 « La collection de Marolles fut la première collection d’arts graphiques à s’être constituée avec u (...)
24Benjamin écrit en outre, et cela indépendamment de Brieger, que Marolles « fut le premier à comprendre l’importance des arts graphiques ». De fait, il n’y avait au xviie siècle que très peu de collections exclusivement dédiées à la gravure50. L’estampe était généralement considérée comme un complément aux collections de peintures. Les rares collections existantes ne s’intéressaient de surcroît qu’au grand art, tandis que la passion de Marolles avait pour particularité de s’employer à réunir la production graphique dans son ensemble et sous toutes ses facettes51. Il appréciait aussi bien l’œuvre gravé des artistes célèbres (de Raphaël à Rubens en passant par Dürer) que la gravure appliquée (des images populaires édifiantes à l’illustration scientifique) et les conservait dans deux collections séparées, chacune ayant son propre classement.
- 52 Ibid., p. 38-39.
- 53 S’apprêtant à vendre sa collection, Marolles a lui-même établi un catalogue dans lequel il en souli (...)
- 54 La collection de Marolles, comme Bredekamp l’a montré, fut même prise pour modèle par Gottfried Wil (...)
- 55 Voir à ce sujet Brakensiek, Vom « Theatrum mundi » zum « Cabinet des estampes », 2003, p. 27-32 (le (...)
25La logique bipartite que Marolles avait conçue pour sa collection marque aujourd’hui encore la structure du Cabinet des estampes. Le grand art, qui constituait un tiers de son fonds, était classé par artistes. En revanche, les deux autres tiers des œuvres en sa possession étaient ordonnés par sujets iconographiques et rangés dans des albums. On y trouve quelque soixante-dix catégories52, qui vont de la grammaire et des mathématiques, de la géographie et de l’anatomie, de la musique et du théâtre jusqu’aux représentations mythologiques et religieuses, en passant par les portraits de personnages célèbres et les divers us et coutumes des peuples de la Terre. Ces volumes thématiques avaient un caractère pédagogique53. D’envergure encyclopédique, l’« atlas d’images » de Marolles était sans équivalent en Europe et fut considéré comme un modèle54. Les estampes étaient disposées en rangs serrés dans des volumes factices dont elles remplissaient les pages au recto et au verso55. Ce mode de conservation dans des albums reliés répondait à l’idée de pouvoir placer les œuvres graphiques à côté des livres dans les bibliothèques, la double transmission du savoir par le texte et par l’image devenant tangible dans ce voisinage immédiat.
26En 1667, Marolles vendait sa collection à la Bibliothèque royale de Louis XIV (la future Bibliothèque nationale). Constitué à partir de ce fonds, le Cabinet des estampes dispose dès 1720 d’une administration particulière. La classification introduite par Marolles et la conservation des estampes en recueils ou en albums se sont perpétuées jusqu’au xxe siècle, ce qui a conféré à ce département un statut d’exception : premièrement, la plupart des autres cabinets d’arts graphiques étaient, et sont encore, principalement consacrés au grand art ; deuxièmement, presque toutes les autres collections ont renoncé à la conservation en volumes reliés, pour leur préférer les planches en feuilles détachées qu’on range dans des cartons ou des portefeuilles, en mettant ainsi l’accent sur la singularité des œuvres.
- 56 Guibert, Le Cabinet des estampes, 1926, p. 11 et suiv. En 1925, le dépôt légal fut réduit à un seul (...)
27Mais, pour que Benjamin pût, en 1935-1936, trouver l’essentiel de la production graphique du xixe siècle réuni et classé dans les recueils thématiques du Cabinet des estampes, il avait encore fallu le concours de deux autres dispositions singulières. La première était l’obligation du dépôt légal, institué par un arrêt de 1689, avec effet rétroactif remontant à trente-neuf ans en arrière, autrement dit à 1650. Il prévoit le dépôt en deux exemplaires, auprès de l’organisme d’État habilité à le recevoir, de tout document imprimé en France56. Dans le cas des documents graphiques, ces exemplaires sont conservés au Cabinet des estampes. Le premier était enregistré alphabétiquement sous le nom de l’artiste qui l’avait dessiné ou gravé, le second était classé dans les recueils thématiques. Chaque pièce est frappée du cachet du dépôt légal, qui comporte la mention de l’année. Benjamin s’est d’ailleurs servi de cette indication pour dater l’une des gravures qu’il a retenues dans ses notes (fig. 33).
- 57 Il s’agit des fig. 20, 31, 40, 48, 123.
- 58 Voir Victor Perrot, « Paul Blondel. Iconographe parisien 1855-1924 », Le Vieux Montmartre. Société (...)
28Le dépôt légal ne concerne cependant que les planches qui ont été publiées séparément. Les gravures illustrant des journaux ou des livres ne tombent donc pas automatiquement sous le coup de cette obligation ; elles sont conservées le cas échéant, avec l’ouvrage ou le numéro complet du journal ou de la revue en question, dans les autres départements spécialisés de la Bibliothèque nationale. Les coupures de presse que Benjamin a consignées dans ses notes ont donc rejoint le Cabinet des estampes par achat ou donation de telle ou telle autre collection particulière. Ainsi, cinq des coupures qu’il a retenues dans la série « Topographie » portent le cachet « Don Paul Blondel 1924 »57. Simple employé de banque, Paul Blondel (1855-1924) consacra sa vie à sa passion, l’iconographie parisienne, réunissant une collection de quelque 80 000 gravures et coupures de presse, soigneusement cataloguées et classées par arrondissements58. À sa mort, sa collection sur Paris et l’Île-de-France, qu’il légua au Cabinet des estampes, est venue enrichir la série « Topographie », dans laquelle elle a été pour l’essentiel dispersée.
- 59 La structure de la collection n’a pas changé, elle est restée la même. Depuis les années 1950, on a (...)
- 60 Cette division ne provient pas de Marolles, elle a été introduite en 1800 ; voir Guibert, Le Cabine (...)
29C’est grâce à ces deux spécificités du Cabinet des estampes que Benjamin a pu travailler sur un fonds réunissant à peu près tout ce que le xixe siècle français a produit en matière d’arts graphiques, suivant un double classement par artistes et par thèmes59. La division méthodique des séries artistiques et thématiques s’appuie sur les vingt-six lettres de l’alphabet, toutes signifiantes60. Les lettres A-H rassemblent les séries artistiques (y compris les graveurs et les architectes, ainsi qu’un classement par musées) ; les lettres I-Z, les séries thématiques.
Les séries consultées
- 61 Benjamin a pu laisser immédiatement de côté une grande partie de ces seize séries, puisqu’elles réu (...)
- 62 Jusqu’ici, on ne s’est pas beaucoup interrogé sur les « modèles » qui ont pu inspirer à Benjamin la (...)
30Si Benjamin s’est servi du fonds classé par artistes lorsqu’il a étudié les eaux-fortes de Charles Meryon au début de l’année 1936, il a principalement fait ses recherches dans les recueils thématiques, quatre séries ayant surtout retenu son attention : V « Topographie », Q « Histoire », K « Arts académiques » et T « Littérature et fictions diverses »61. Notons au passage que le classement du Cabinet des estampes, avec les lettres de l’alphabet indexant les séries, ressemble au système que Benjamin a lui-même élaboré pour ordonner les liasses de son projet des Passages, en s’appuyant de son côté sur d’anciens principes taxinomiques62.
31Les deux premières séries auxquelles il s’est intéressé tombent sous le sens, si l’on songe à son projet d’une étude sur Paris au xixe siècle : la série V, consacrée à la topographie parisienne, et la série Q, vouée à l’histoire. Il faut en revanche imaginer un travail préparatoire approfondi pour comprendre sa rencontre avec les deux autres séries, K et T, puisque c’est seulement dans quelques rares sous-catégories de ces deux rubriques qu’on peut trouver des recoupements manifestes avec les deux thèmes majeurs de son entreprise.
V « Topographie »
- 63 Sur cette série, voir Henri Bouchot, Le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Guide du (...)
32Benjamin a trouvé la plupart de ses gravures dans sept volumes de la série consacrée à la topographie. La série est classée par pays et régions du monde. Les volumes Va réunissent les documents concernant la France, avec une sous-classe pour chaque département. Les recueils factices numérotés 200 à 355 rassemblent les planches sur Paris et ses alentours. Benjamin a relevé des estampes dans les volumes 230 à 290. Il s’agit généralement d’albums de grandes dimensions (grand in-folio, environ 65 × 45 cm, toujours au format vertical). Il arrive souvent que plusieurs gravures de même sujet soient disposées sur une même page. Ces recueils ont, comme des classeurs d’archives, une reliure mobile faite de deux ais de bois qu’on peut serrer avec des vis et qui font tenir ensemble les feuilles de papier résistant, munies sur leur côté gauche d’un onglet encoché, ce qui permet d’intercaler au bon endroit de nouvelles images sur tel sujet déjà traité. Grâce à ce système s’est peu à peu constituée, depuis la fondation de cette série au début du xviiie siècle, une documentation qui fait défiler des vues successives d’un même lieu à travers le temps, en témoignant par ailleurs de l’évolution des moyens techniques, depuis les dessins d’architecture et les vedute gravées sur cuivre jusqu’à la photographie et aux cartes postales, en passant par la lithographie et les journaux illustrés63.
33Pour Paris, les recueils montés sont classés par arrondissements, puis par quartiers. Benjamin a surtout choisi des planches du Xe arrondissement, où sont situés les boulevards, de nombreux passages, quelques grands magasins et plusieurs gares. Il a également relevé des images des Ier et IIe arrondissements, où se trouvaient les passages de luxe. Une note sur les fondations de la Bastille est tirée du recueil factice sur le IVe arrondissement. Benjamin a probablement pris les quartiers des passages et des boulevards comme point de départ de ses recherches, mais il s’est moins intéressé aux documents qui en montrent des vues d’ensemble qu’aux planches qui en font voir des détails surprenants. Nous en donnerons trois exemples.
34Dans le recueil sur le IIe arrondissement, Benjamin a retenu un prospectus de réclame pour le « Chocolat de la maison Marquis », dans le passage des Panoramas (fig. 20). Sur la même page de l’album sont aussi disposées une planche montrant la façade d’une enseigne de pâtisserie, ainsi que deux annonces illustrées pour deux autres boutiques (fig. 21). La page suivante regroupe une aquarelle réalisée en 1814 par Georg Emmanuel Opitz (ou Opiz, 1775-1841), qui montre une vue extérieure du passage, avec les deux rotondes de Prévost, une photographie du porche d’entrée, prise vers 1900, et deux annonces illustrées (fig. 22). Le passage est donc documenté par un ensemble d’images de différents types et d’époques diverses, qui le présentent sous plusieurs aspects. Or, Benjamin n’en retient pas les vues les plus caractéristiques, probablement parce qu’il en avait une bonne connaissance, pour l’avoir vu de ses propres yeux et pour avoir déjà mené des recherches sur lui. Au lieu de fournir des informations sur le passage, la réclame qu’il cite vante les exquises variétés de chocolat de la maison Marquis, dont les emballages, outre les gravures, s’accompagneront bientôt de jolis vers. Benjamin s’intéressait aux relations entre poésie et publicité, c’est-à-dire à l’utilisation de la poésie à des fins commerciales – un aspect qui s’intègre, dans les Passages, au cadre théorique plus large des rapports entre la littérature et l’économie, tels qu’ils se sont modifiés au xixe siècle. Si le passage marque bien le point de départ de ses recherches, il aboutit cependant à un sujet de plus vaste portée.
Fig. 20 Annonce publicitaire pour le chocolat de la maison Marquis, passage des Panoramas, 1846, coupure de presse, 5,5 × 6 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., H 24769 → [G 10a, 4]
![Fig. 20 Annonce publicitaire pour le chocolat de la maison Marquis, passage des Panoramas, 1846, coupure de presse, 5,5 × 6 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., H 24769 → [G 10a, 4]](docannexe/image/51625/img-3-small517.jpg)
Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL, https://images.bnf.fr/#/detail/889281/6
Fig. 21 Une page du recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., avec en bas au milieu l’annonce pour le chocolat de la maison Marquis (H 24769) et trois autres images (H 24767, H 24768 et H 24770)

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL ; voir les quatre images de la page sur https://images.bnf.fr/#/detail/889281/6, https://images.bnf.fr/#/detail/689907/19, https://images.bnf.fr/detail/811525 et https://images.bnf.fr/detail/767496
Fig. 22 Une page du recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., avec une aquarelle de Georg Emmanuel Opiz montrant une vue extérieure du passage des Panoramas, avec les deux rotondes de Prévost (H 24771), et trois autres images (H 24772, H 24773 et H 24774)

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL ; voir les quatre images de la page sur https://images.bnf.fr/detail/928196, https://images.bnf.fr/detail/804710, https://images.bnf.fr/detail/730426 et https://images.bnf.fr/detail/767261
35Dans le corpus d’images du Xe arrondissement, Benjamin a relevé d’abord une lithographie faisant la réclame pour une enseigne de teinturerie, la maison Donnier, près du passage Brady (fig. 32). Quelques pages plus loin, dépassant le strict cadre de son projet sur les passages, il retient également une annonce publicitaire pour le fabricant d’instruments de précision Molteni et Cie (fig. 50). Elle nous apprend que cet établissement produisait à la fois des instruments scientifiques et des appareils optiques « de fantasmagorie, Polyoramas, Dioramas, etc. » ; autrement dit, que les outils du savoir et les accessoires du divertissement étaient étroitement liés quant à leur fabrication, comme Benjamin le fait remarquer dans le deuxième chapitre de son exposé de 1935, « Daguerre ou les panoramas ». Il ne pouvait prévoir qu’il tomberait sur ce thème dans un volume de la série topographique.
36Parmi les estampes du Ier arrondissement, enfin, Benjamin retient d’abord une vue de la galerie Véro-Dodat, avec le commentaire qui l’accompagne, où il est notamment question de l’effet conjugué de l’éclairage au gaz et des glaces réfléchissantes (fig. 31). Dans le même portefeuille, il relève cependant aussi une eau-forte d’Adolphe Martial Potémont, « Rue Tirechape en 1863 comme en 1200 » (fig. 97). La légende de la gravure renvoie moins à la rue dans sa réalité qu’à la manière dont l’artiste la perçoit : avec ses façades de guingois, la rue Tirechape lui fait penser à l’origine médiévale de la ruelle, dans le vieux Paris du xiiie siècle. Potémont lit dans le présent les traces du passé, en mettant ainsi au jour un regard spécifique, celui que Benjamin attribue en propre au flâneur. Comme précédemment, il ne pouvait s’attendre à trouver ici une représentation artistique de ce type de perception de la grande ville.
37Les recherches dans les recueils et les portefeuilles consacrés à la topographie parisienne font donc alterner l’enquête orientée et les trouvailles de hasard, qui ont éveillé sa curiosité et qu’il consigne ensuite dans les liasses des Passages. Comme dans la ville elle-même, Benjamin a flâné en feuilletant les albums de la série topographique, en laissant son regard attentif vagabonder au gré des représentations historiques de Paris.
Q « Histoire »
- 64 Sur cette série, ibid., p. 278.
- 65 Voir Nathalie Jakobowicz, 1830. Le peuple de Paris. Révolution et représentations sociales, Rennes, (...)
38Dans la série Q, consacrée à l’histoire, Benjamin n’a probablement retenu qu’un seul motif. Les volumes Qb réunissent des documents sur l’histoire de France. Les images sont classées selon un ordre chronologique, les portefeuilles couvrant ainsi une période ou une année en particulier, voire tel événement précis64. La note de Benjamin se rapporte à la révolution de juillet 1830. De même que certains arrondissements parisiens lui ont servi de point de départ pour ses recherches dans la série topographique, il s’est appuyé ici sur des dates. Au Cabinet des estampes, la production graphique relative aux journées des 27, 28 et 29 juillet, les « Trois Glorieuses », remplit plusieurs volumes de planches. Pour la seule période qui s’étend du mois d’août à la fin de l’année 1830, ce ne sont pas moins de 1 861 gravures qui ont été publiées sur l’insurrection : des lithographies pour la plupart, et près d’un tiers au cours du premier mois qui a suivi les événements. Benjamin disposait donc d’une abondance d’images qui n’a pas d’équivalent pour les épisodes historiques antérieurs65.
- 66 Qb 1 (1830, 28 juillet, t. 2).
- 67 On s’étonne que Benjamin n’ait choisi aucune image des barricades, alors qu’il y en a beaucoup dans (...)
39Les estampes sont rangées par dates et, pour une même date, par quartiers. L’image retenue par Benjamin concerne les événements du 28 juillet et se trouve dans le second des recueils factices consacrés à cette journée66. On peut donc imaginer qu’il a d’abord feuilleté les volumes précédents sans en consigner aucune image67, avant de tomber sur un motif qui allait ajouter un aspect important et encore inédit à sa collection de matériaux. Voici ce qu’on lit dans la note correspondante de la liasse E « Haussmannisation, combats de barricades » :
- 68 [E 7a, 3] GS V, p. 198 ; Passages, p. 160.
« Des gravures de 1830 montrent les insurgés jetant par les fenêtres toutes sortes de meubles sur les militaires. Il s’agit surtout des combats de la rue Saint-Antoine. C<abinet> d<es> E<stampes>68 »
- 69 Ces exemples se trouvent dans le dossier « Qb1 (1830 Charles X, 28 juillet, 2e partie) ». La carica (...)
- 70 Il y a dans ce portefeuille cinq estampes de la rue Saint-Antoine où l’on peut voir les meubles jet (...)
- 71 On trouve des exemples similaires dans les notes sur deux autres images, où l’on lit : « Les premie (...)
40Arrêtons-nous ici sur un aspect technique de cette note – nous reviendrons plus tard sur son sujet. D’abord, Benjamin évoque de façon générale des gravures, au pluriel, qui documentent le même épisode ; ensuite, l’expression « surtout […] de la rue Saint-Antoine » circonscrit de manière plus précise sa localisation. L’indication générale pourrait se rapporter, par exemple, aux estampes de la rue Montmartre et de la rue Saint-Denis conservées dans le même portefeuille, ainsi qu’à plusieurs autres caricatures sans détermination topographique précise (fig. 23)69. Trois gravures montrent ensuite la rue Saint-Antoine (fig. 80)70. On peut donc voir l’examen de cet album comme un processus d’appropriation : quelques estampes ont d’abord éveillé l’attention de Benjamin ; la répétition du même motif lui en a confirmé l’importance, et l’a enfin conduit à repérer un ensemble d’images assez marquant pour mériter d’être consigné dans ses notes71.
Fig. 23 Une page du recueil « L’histoire de France, 28 juillet 1830 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Qb-1 (1830-07-28)-Fol., avec à gauche une lithographie d’Auguste Raffet (Gendarmes faites feu !, 1830) et deux autres de dessinateurs non identifiés (Lat., Marche des troupes suisses par un gros temps, et Ph., Ah, quel plaisir d’être soldat !)

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, Qb-1 (1830-07-28)-FOL (2e partie), M110853, M110854 et M110855 ; voir une des images sur https://images.bnf.fr/#/detail/391767/3 (RESERVE QB-370 (87)-FT4)
- 72 Les deux gravures qui se trouvent dans la série historique (fig. 30 et 61) sont l’une et l’autre d (...)
- 73 Le portefeuille Tf 46 contient aussi bien ces deux estampes qu’une troisième que Benjamin a égaleme (...)
- 74 Paul-André Lemoisne (1875-1964), qui dirigeait alors le Cabinet des estampes, a rédigé dès 1933 un (...)
41D’autres images de la série historique, de différentes années, ont été également mentionnées par Benjamin72, mais elles se trouvent par ailleurs dans un recueil de la série T « Littérature et fictions diverses ». Il est donc permis de supposer qu’il les a toutes vues là où elles sont conservées ensemble dans un même portefeuille73. Les recherches effectuées dans la série historique ont sans doute été bien moins approfondies que celles menées sur la série topographique. La série Qb contient principalement des images sur l’histoire des rois de France et leurs guerres avec l’étranger, avec beaucoup de gravures montrant des cérémonies, des champs de bataille et d’autres sujets analogues. C’était alors la série la plus consultée par les historiens à la recherche de sources74. Benjamin a d’ailleurs pu y trouver des images sur les événements politiques de 1830, et probablement aussi sur d’autres thèmes. Vu son intérêt très vif pour les bouleversements culturels de la vie moderne, il allait cependant se concentrer par la suite sur d’autres séries, en particulier K « Arts académiques » et T « Littérature et fictions diverses ».
K « Arts académiques »
- 75 Sur cette série, voir Bouchot, Le Cabinet des estampes, 1895, p. 180.
42Benjamin a étudié la série K, intitulée « Arts académiques »75, avec un objectif très précis : les arts visuels au xixe siècle. Le sous-ensemble Kc réunit des images sur la peinture et le dessin. Les volumes de la section Kc 164 (« Enseignement des arts ») contiennent des pièces sur les ateliers, la vie des artistes, le Salon, le public, le marché de l’art et d’autres sujets annexes. Les images que Benjamin y a retenues font l’objet d’au moins trois entrées. Il s’agit d’abord, dans la liasse Y « Photographie », de la gravure The Origin of Painting, dont il a déjà été question plus haut à propos de Gisèle Freund (fig. 24). Cette entrée permet de comprendre comment Benjamin, devant plusieurs motifs similaires, en choisit spécifiquement un.
Fig. 24 Domenico Cunego, The Origin of Painting, 1776, gravure sur cuivre, 42 × 32,2 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol., R 10425 ; d’après la peinture homonyme de David Allan, 1773, huile sur toile, 38,1 × 30,5 cm (ovale), Édimbourg, National Galleries of Scotland, inv. NG 612 → [Y 6, 4]
![Fig. 24 Domenico Cunego, The Origin of Painting, 1776, gravure sur cuivre, 42 × 32,2 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol., R 10425 ; d’après la peinture homonyme de David Allan, 1773, huile sur toile, 38,1 × 30,5 cm (ovale), Édimbourg, National Galleries of Scotland, inv. NG 612 → [Y 6, 4]](docannexe/image/51625/img-7-small517.jpg)
Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, KC-164 (2)-FOL, R 10425, https://images.bnf.fr/#/detail/740385/4 ; voir la peinture originale sur www.nationalgalleries.org/art-and-artists/29630/origin-painting-maid-corinth
43Dans sa note, Benjamin ne fait pas mention de Pline. Ce qu’il observe en revanche, c’est qu’en 1775, dans une « scène de genre », le dessin qu’on trace sur un mur en suivant le contour d’une ombre est représenté comme un processus artistique (il parle d’un « artiste » et de « son modèle ») et que cet épisode est désigné comme « l’origine de la peinture ». D’un point de vue thématique, cette estampe de la fin du xviiie siècle s’inscrit donc, comme une sorte de préhistoire, dans le chapitre consacré à Daguerre, qui s’emploie à examiner les tentatives de produire des images capables d’imiter parfaitement la nature – depuis le panorama jusqu’à l’invention de la photographie. Ce qui pourrait suffire à justifier son choix, s’il s’agissait de la seule gravure sur ce thème contenue dans cet ensemble. Or, l’eau-forte en question fait partie d’une suite de onze images sur « l’origine de la peinture » qui datent principalement de la fin du xviiie siècle. Contrairement à ce qu’il a fait pour les combats de barricades de 1830, Benjamin ne signale pas ici qu’il existe un grand nombre de représentations de ce même sujet : il se borne à en nommer une en particulier. Essayons de comprendre pourquoi.
44D’abord, il s’agit de la seule estampe de grand format qui se concentre sur les deux protagonistes. Les autres leur ajoutent souvent un Amour, pour souligner la relation qui unit les deux jeunes gens (fig. 25), mais en faisant clairement basculer alors l’épisode du côté de la mythologie, de sorte qu’on ne saurait parler à leur propos de « scènes de genre ». Une autre estampe de grand format fait apparaître un troisième personnage, le potier Dibutade, qui indique à sa fille comment tracer le contour de l’ombre (fig. 26). Cette composition ne peut cependant se comprendre que si l’on connaît déjà le récit de Pline, auquel elle ne correspond d’ailleurs pas, puisque c’est au père, et non à sa fille, qu’elle attribue – à tort, et dans un esprit patriarcal – l’idée qui a présidé à l’invention de la peinture. Manque en outre ici, dans la légende, le titre faisant référence à « l’origine de la peinture ». Enfin, il y a une autre représentation où ce tracé du contour d’une ombre apparaît comme un simple divertissement bourgeois (fig. 27). À chacune des autres pièces de la série, il manque donc un des aspects relevés dans la note (« scène de genre », qui se réduit à deux personnages, « un artiste » et « son modèle », The Origin of Painting). Le choix de Benjamin s’est fait par élimination : ne l’intéressent ni les représentations s’inspirant de la mythologie antique, ni celles qui ne sont que des scènes de genre ; il opte pour une image qui illustre certes « l’origine de la peinture », mais en faisant voir un mode de figuration qui tend à imiter fidèlement la nature.
Fig. 25 Graveur inconnu, L’Origine de la peinture, gravure sur cuivre, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol.

Crédit/Source : Archives de l’auteur
Fig. 26 Graveur inconnu, L’Origine de la peinture, gravure sur cuivre, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol.

Crédit/Source : Archives de l’auteur
Fig. 27 Jean Ouvrier, L’Origine de la peinture ou Les Portraits à la mode, vers 1770, gravure sur cuivre, 48 × 34,8 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol. ; d’après la peinture homonyme de Johann Eleazar Schenau, fin du xviiie siècle

Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, Kc-164 (2)-FOL, R10423 ; voir aussi sur www.metmuseum.org/art/collection/search/391291
- 76 GS III, p. 502-503 ; Sur l’art et la photographie, p. 87.
45Pour décrire son travail au Cabinet des estampes, on dira d’abord que Benjamin, même lorsqu’il trouve plusieurs images sur le même sujet dans un recueil, n’en choisit qu’une seule. L’exclusion des autres pièces permet de distinguer les aspects visuels auxquels il accorde une importance particulière. D’autres pièces de la série Kc 164 ont été intégrées dans les liasses des Passages. Elles aussi ont été choisies parmi un grand nombre d’images similaires. Toutes proviennent des tomes consacrés au thème « L’artiste et l’atelier » (Kc 164, t. 4-9), depuis l’Antiquité jusqu’au xxe siècle, les pièces y étant classées selon la chronologie du motif figuré (et non suivant la date de leur réalisation). Benjamin en a retenu trois, qui, du fait de ce classement, sont très éloignées les unes des autres : une photographie de 1868 figurant le sculpteur Callimaque, qui est donc classée dans l’Antiquité (fig. 58a) ; une gravure de 1919 montrant Léonard de Vinci en train de peindre la Joconde, qui se trouve glissée entre deux autres ateliers de la Renaissance (fig. 58b) ; et la photographie « La Gloire et le Pot-au-feu » de 1858, classée parmi les documents du xixe siècle (fig. 58c). Dans les deux premières images, Benjamin observe le rapport entre peinture et photographie, tel qu’il l’a formulé en 1936 dans sa seconde « Lettre de Paris76 », où il présente ces deux exemples pour montrer que la photographie, dans sa rivalité avec la peinture, a cherché à acquérir ses lettres de noblesse en prenant des sujets « artistiques » et en puisant dans les accessoires du peintre.
46Les deux premières images se trouvent dans le tome 4, la troisième dans le tome 7. Deux tomes les séparent donc, qui contiennent un grand nombre de pièces. On peut supposer que Benjamin ne les a pas sautés, mais qu’il les a également étudiés. Cela souligne encore une fois le rapport entre des recherches très étendues et un choix iconographique resserré, spécifique et précis. En outre, la note qui réunit ces trois images conforte l’hypothèse d’une élaboration progressive de son propre cadre théorique au fur et à mesure qu’il feuillette les recueils d’estampes. C’est à la fin de ce processus que Benjamin rédige sa note de synthèse.
47Benjamin a probablement découvert le « Croquis pris au Salon », une caricature de Daumier, dans le tome 11 de cette section. Sa note ne fait certes pas mention du Cabinet des estampes, mais elle ne donne aucune autre source. Elle date à peu près de l’époque où il y a travaillé et ne contient que les informations qu’il a pu y trouver. Pas plus que le recueil de la Bibliothèque nationale, la note de Benjamin n’indique ni la date de 1865, ni la publication de l’image dans Le Charivari. Fait exceptionnel, cette caricature – un peintre de paysage s’y plaint de la préférence du public pour la peinture d’histoire, personne ne s’arrêtant devant sa toile qui présente « l’image de la belle et pure nature » – n’est pas conservée sous sa forme originale ; c’est une reproduction photographique de format réduit qui a été collée, avec six autres croquis de Daumier sur le Salon, sur une même page portant le titre « Expositions de 1864, 1865, 1867 (Daumier) » (fig. 28). Comparée aux autres, la caricature choisie par Benjamin n’a rien de « spectaculaire » qui puisse attirer immédiatement l’attention. Sans doute a-t-il dû les examiner toutes et en lire les légendes pour tomber sur celle qu’il a ensuite consignée dans sa note. Cette hypothèse se laisse élargir au recueil entier. Intitulé « Le public : expositions, salons, collections, critiques, ventes (1851-1869) », le volume contient une centaine d’images principalement consacrées au Salon parisien ; la caricature retenue apparaît à peu près au tiers du recueil. C’est au prix d’un travail approfondi que Benjamin s’est approprié l’histoire du Salon documentée dans ces matériaux et qu’il y a choisi un motif particulièrement significatif à ses yeux.
Fig. 28 Une page du recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Le public : expositions, salons, collections, critiques et ventes de 1851 à 1869 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (11)-Fol., avec sept croquis pris au Salon par Honoré Daumier → [I 5a, 1]
![Fig. 28 Une page du recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Le public : expositions, salons, collections, critiques et ventes de 1851 à 1869 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (11)-Fol., avec sept croquis pris au Salon par Honoré Daumier → [I 5a, 1]](docannexe/image/51625/img-11-small517.jpg)
Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, DC-180 (J, 29)-FOL (recueil Œuvre de Honoré Daumier)
- 77 Cette série contient en outre deux autres estampes relevées par Benjamin (fig. 29 et 91), qui se tr (...)
48Une autre image cataloguée dans la section Kc 164 est une caricature sur Courbet et la démolition de la colonne Vendôme en 1871, qui se trouve dans le septième tome (fig. 116). Il s’agit certes d’une image de propagande politique ; mais, comme elle figure un artiste, elle est également classée dans la section « L’artiste et l’atelier ». Étant donné les événements historiques qu’elle évoque, Benjamin l’a intégrée à sa liasse sur la Commune. Parmi les notes sur des pièces de cette série, il y en a trois qui font mention de la cote Kc 16477, ce qui indique qu’il y tenait beaucoup et qu’il envisageait peut-être de les faire reproduire pour son livre. Les estampes retenues sont de pures inventions, et non des documents témoignant de faits historiques réels. L’attention se porte ici sur l’histoire des images. Benjamin choisit conjointement des pièces qui sont classées à grande distance les unes des autres, établissant, au fur et à mesure qu’il examine ces matériaux visuels, des rapports qui n’existaient concrètement d’avance ni dans les recueils qu’il a consultés, ni dans les notes qu’il avait lui-même rédigées.
T « Littérature et fictions diverses »
49Treize images retenues par Benjamin proviennent de la série T « Littérature et fictions diverses », qui arrive donc quantitativement à la deuxième place, derrière la série topographique, où il en a choisi seize. À lui seul, le terme « Littérature » a certainement attiré son attention sur cet ensemble, où l’on trouve en particulier des représentations qui ont trait au monde littéraire, à l’opéra et à la presse. Les images consignées appartiennent à deux rubriques : une gravure sur cuivre montrant une scène d’opéra est rangée dans la section Tb « Théâtre », ou plus exactement dans les suppléments non reliés, classés par œuvres dramatiques (fig. 81) ; mais, surtout, les douze autres planches sont tirées de la division Tf « Rébus, calembours, jeux d’esprit, charges ». Cette section réunit des estampes du xvie au xixe siècle, les caricatures du xixe formant la plus grande partie de ce fonds. Les images que Benjamin en a extraites sont pour l’essentiel des caricatures, de sorte que le Cabinet des estampes aura été sa principale source pour ce genre graphique.
- 78 Pour un aperçu des différents thèmes traités, voir la description des recueils Tf 19-110 chez Bouch (...)
- 79 Chez Bouchot, le contenu de ce recueil est décrit de manière relativement détaillée, de sorte que l (...)
50Parmi les quelque quatre-vingt-dix recueils consacrés aux caricatures françaises du xixe siècle, Benjamin a trouvé ses images dans quatre tomes, qui forment deux sous-groupes spécifiques : les tomes Tf 39-41, « Caricatures dites “intellectuelles” », et le tome Tf 46, « Charges dites “allégoriques” »78. Trois estampes du recueil Tf 41 « Art et littérature »79 se moquent notamment de la peinture académique (fig. 29, 84, 91), tandis que deux autres brocardent les arts graphiques et leur durée de vie si courte auprès du public (fig. 1, 124). Après la série K « Arts académiques », ce sont donc de nouveau les arts visuels qui tiennent ici la vedette.
- 80 Sur la liasse [i 1-2], GS V, p. 946-948 ; Passages, p. 786-787, et ses rapports avec l’essai « L’œu (...)
51Les deux caricatures sur les arts graphiques marquent en outre un jalon essentiel dans le projet des Passages : avec elles, Benjamin aborde pour la première fois dans ses matériaux la question de la production et de la réception de l’estampe. Si l’on examine les notes sur ce sujet du point de vue de leur chronologie, on n’en relève en effet aucune, avant juin 1935, qui s’intéresse explicitement aux bouleversements techniques et au nouveau marché de la gravure de grande diffusion. De même, l’essai « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » et l’article sur Eduard Fuchs, où l’on trouve d’importantes considérations sur la lithographie, ont été rédigés l’un et l’autre après que Benjamin eut entamé ses recherches au Cabinet des estampes. Quant à la liasse i « Technique de reproduction, lithographie », elle a été constituée après décembre 1937, soit bien plus tard80. Certes, Benjamin avait déjà intégré des gravures à ses matériaux au cours de la première phase de travail et il songeait sûrement depuis longtemps à faire de l’histoire de ce médium un des aspects de son livre. Mais, en l’état concret des notes que nous connaissons aujourd’hui, ce sont les premières à traiter expressément de ce sujet. C’est avec ces caricatures du recueil Tf 41, relevées au printemps ou au début de l’été 1935, que commence, au sein du projet des Passages, l’exposé explicite de l’histoire de la lithographie.
52Les images que Benjamin choisit concernant les arts éclairent en outre l’arrière-plan conceptuel où cette rencontre s’est faite. Dans ces caricatures, il relève souvent des aspects qu’il avait déjà étudiés précédemment pour le domaine de la production littéraire, comme le montre l’exemple d’une lithographie de ce même recueil Tf 41, d’ailleurs rangée dans la liasse d « Histoire littéraire, Hugo » :
- 81 [d 3a, 6] GS V, p. 908 ; Passages, p. 755.
« Lithographie. Un pauvre diable regarde tristement un jeune seigneur signer le tableau que le premier a peint. Titre : “L’artiste et l’amateur du xixe siècle”. Légende : “Il est de moi puisque je le signe.” C<abinet> d<es> E<stampes>81 »
- 82 La hiérarchie que Benjamin établit entre les deux protagonistes se reconnaît d’ailleurs nettement à (...)
- 83 D’après ce qu’on aperçoit dans le coin inférieur droit de la toile – une colonne et des nuages de f (...)
- 84 [U 8, 3] GS V, p. 724 ; Passages, p. 601. Voir aussi, dans la liasse Y « Photographie », la note su (...)
53Dans la scène ainsi décrite, on voit un artiste de salon en frac apposer avec suffisance sa signature au bas d’un tableau (fig. 29). Il se sert d’un bâton de peintre, comme s’il voulait souligner qu’il s’agit là du détail le plus précieux de la toile82, tandis que le reste de l’œuvre demeure caché derrière un rideau et ne semble pas avoir grande importance, le nom de l’artiste suffisant à garantir la vente83. Dans plusieurs notes rédigées avant les recherches au Cabinet des estampes, Benjamin avait déjà repéré ce même phénomène dans le champ littéraire ; il donne par exemple la description détaillée d’une scène pratiquement similaire entre un romancier et son « nègre »84. Dans « Le Paris du Second Empire chez Baudelaire » de 1938, il reprendra, dans sa propre traduction, la citation d’un article de Paul Saulnier qu’il avait d’abord relevée en français :
- 85 GS I, p. 532 ; Baudelaire, p. 726.
« La légende courait que Dumas employait dans ses caves toute une compagnie d’écrivains dans le besoin. Dix années après les révélations de la grande revue, on trouve encore – en 1855 – […] ce texte pittoresque retraçant la vie d’un romancier à succès, que l’auteur nomme M. de Santis : “Arrivé chez lui, Monsieur de Santis s’enferme… et va ouvrir une petite porte effacée derrière sa bibliothèque. […] Il y a là, une longue plume d’oie à la main, les cheveux hérissés, un homme au visage sinistre et mielleux à la fois. – Oh ! Pour celui-là, il sent le romancier d’une lieue […]. C’est le véritable auteur de La Chambre des crânes ! c’est le romancier85 !” »
Fig. 29 Amable-Nicolas Fournier, L’artiste et l’amateur du xixe siècle, 1824 [BdF, 23 octobre 1824], lithographie, 28 × 21 cm (image), 40 × 27 cm (planche), dans les recueils « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1750 à 1830 » et « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Art et professions diverses », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (5)-Fol. et Tf-41-Pet. fol., pl. 16 → [d 3a, 6]
![Fig. 29 Amable-Nicolas Fournier, L’artiste et l’amateur du xixe siècle, 1824 [BdF, 23 octobre 1824], lithographie, 28 × 21 cm (image), 40 × 27 cm (planche), dans les recueils « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1750 à 1830 » et « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Art et professions diverses », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (5)-Fol. et Tf-41-Pet. fol., pl. 16 → [d 3a, 6]](docannexe/image/51625/img-12-small517.jpg)
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- 86 De la même manière, deux autres caricatures montrent aussi les parallèles entre le marché de la pre (...)
54Benjamin s’attachait au premier chef à décrire le fonctionnement de la littérature. C’est dans ces dispositions qu’il est tombé, au Cabinet des estampes, sur cette caricature qui ressemble à s’y méprendre à la scène évoquée par Saulnier, jusqu’aux détails des cheveux « hérissés » et du regard « triste » dans le « visage sinistre et mielleux ». Du fait des similitudes qu’ils présentent avec ceux de la littérature, les développements dans le domaine des beaux-arts retiennent aussitôt son attention. Ils deviennent une composante d’une approche historique et culturelle soucieuse de tisser des liens entre ses divers objets d’étude86.
- 87 Bouchot, Le Cabinet des estampes, 1895, p. 312.
55Dans la série Tf, Benjamin a relevé en outre plusieurs images de type emblématique ou allégorique. Ainsi choisit-il dans le recueil Tf 39 une lithographie édifiante mettant en garde contre la passion du jeu (fig. 119), où « la figure emblématique d’une panthère ou d’un tigre […] porte sur sa fourrure, pour ainsi dire en guise de couverture, la moitié du “tableau” d’une roulette ». Dans le recueil Tf 40 consacré au thème « Littérature et théâtre », il retient une « allégorie sur le romantisme français » (fig. 85) dont il parlera avec insistance dans sa lettre du 7 juillet 1935 à Adorno. Trois pièces du recueil Tf 46 des « Charges dites “allégoriques” »87 trouvent également place dans les liasses des Passages. Deux des notes qui s’y rapportent usent explicitement de l’adjectif « allégorique » ([F 6, 2] fig. 30 et [U 11a, 7] fig. 90) ; les éléments allégoriques de la troisième estampe sont par ailleurs nettement reconnaissables (fig. 61). Benjamin avait étudié de manière approfondie la figure de l’emblème et de l’allégorie à la faveur des recherches qu’il avait menées sur les xvie et xviie siècles pour l’Origine du drame baroque allemand. C’est sur cette base qu’il s’est intéressé aux gravures du xixe siècle qui en perpétuent la tradition.
56La série Tf revêt donc une importance singulière. À la différence de la plupart des images des séries topographiques et historiques, ce n’est pas seulement le sujet des estampes qui retient ici l’attention de Benjamin, mais le type de représentation qu’elles adoptent et les aspects qui s’y révèlent en matière d’histoire des images.
Fig. 30 Graveur inconnu, Le Triomphe du Kaleïdoscope ou le Tombeau du Jeu Chinois, 1818, lithographie, 27 × 21,4 cm (image), 32,2 × 24,4 cm (planche), dans les recueils « Caricatures allégoriques 1816-1820 » et « L’histoire de France, 1817-1818 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-46-Pet. fol., pl. 10, et Qb-1 (1817-18) → [F 6, 2] et [F 7a, 5]
![Fig. 30 Graveur inconnu, Le Triomphe du Kaleïdoscope ou le Tombeau du Jeu Chinois, 1818, lithographie, 27 × 21,4 cm (image), 32,2 × 24,4 cm (planche), dans les recueils « Caricatures allégoriques 1816-1820 » et « L’histoire de France, 1817-1818 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-46-Pet. fol., pl. 10, et Qb-1 (1817-18) → [F 6, 2] et [F 7a, 5]](docannexe/image/51625/img-13-small517.jpg)
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Ef : Charles Meryon
- 88 Ibid., p. 105-106.
- 89 GB 5, p. 222 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 249.
57Après ses recherches dans les séries thématiques, Benjamin a de nouveau travaillé au Cabinet des estampes en janvier et février 1936. Sa demande, cette fois-ci, était précise : il voulait consulter les recueils consacrés à Charles Meryon. Ses Eaux-fortes sur Paris se trouvent dans la partie de la collection classée par noms d’artistes, dans la série E « Gravure », sous la cote Ef « Graveurs français (xixe siècle) », volume 397 : « Œuvre de Charles Meryon »88. Dans sa lettre déjà citée à Gretel Adorno, Benjamin raconte ce qui l’a mis sur la piste de ces planches : « Guidé par un passage de Baudelaire, j’y ai découvert un graveur dont les eaux-fortes sur Paris m’ont coupé le souffle89. » Au Cabinet des estampes, il se fait montrer ces vues de Paris que Baudelaire avait célébrées dans son Salon de 1859, où il écrivait avoir « rarement vu représentée avec plus de poésie la solennité naturelle d’une ville immense ».
- 90 Benjamin écrit : « Meryon mit ces vers sous son eau-forte du Pont-Neuf : […]. D’après Geffroy – qui (...)
- 91 [J 2a, 2] GS V, p. 304 ; Passages, p. 250. Benjamin y transcrit par inadvertance Castinelli, au lie (...)
58Une note de la liasse J « Baudelaire » nous donne une idée de la manière dont Benjamin a concrètement travaillé sur les gravures de Meryon au Cabinet des estampes. Il y cite – dans leur version originale en français – les vers que le graveur a mis en légende de son eau-forte du Pont-Neuf (fig. 98), faisant remarquer ensuite que, dans son livre sur Charles Meryon, Gustave Geffroy en donne une autre version. Geffroy, commente alors Benjamin, a dû les emprunter à « un autre état de l’eau-forte90 ». Il compare l’original qu’il a sous les yeux avec les informations glanées dans la littérature secondaire. Dans une entrée un peu plus tardive, il cite Richard Cantinelli, qui rédigea l’introduction à une réédition des Eaux-fortes sur Paris, publiée en fac-similé en 192691. Ces deux livres se trouvent dans le fonds conservé au Cabinet des estampes. Pour le second, il s’agit du seul exemplaire en possession de la Bibliothèque nationale, de sorte que Benjamin n’a pu le consulter qu’au Cabinet des estampes. Il y a donc étudié les gravures originales, en même temps que les ouvrages de littérature secondaire à sa disposition dans le département, en les comparant directement les uns aux autres. L’examen de visu et la confrontation avec les commentaires spécialisés se sont faits de concert.
Notes de fin
1 GB 5, p. 125 ; Correspondance II, p. 167.
2 GB 5, p. 128 ; Correspondance II, p. 168-169.
3 Benjamin l’avait déjà fréquenté dans les années 1920 ; voir GB 2, p. 433. Sur ce département, voir L’Enfer de la Bibliothèque. Éros au secret, dir. par Marie-Françoise Quignard et Raymond-Josué Seckel, cat. exp. Bibliothèque nationale de France, Paris, 2007.
4 Il n’y a qu’un seul cas où les informations tirées d’une gravure du Cabinet des estampes corrigent un énoncé antérieur : lorsque Benjamin examine une réclame pour la firme d’instruments de précision Molteni (fig. 50).
5 Le seul exemple d’une note iconographique dont le contenu est très proche des citations que Benjamin a précédemment relevées dans la littérature est la première note du Cabinet des estampes, dans la liasse A « Passages ». Il y cite quelques phrases du texte accompagnant une vue de la façade d’un magasin du passage Véro-Dodat, qui soulignent la simplicité néo-classique du profil des colonnes et, surtout, l’effet conjugué des globes servant à l’éclairage au gaz et des miroirs placés entre les pilastres encadrant chaque boutique (fig. 31) – ces thèmes sont déjà tous mentionnés ailleurs dans les notes prises avant 1935, par exemple les becs de gaz fixés sur les pilastres de la galerie de l’Opéra ([F 1, 4] GS V, p. 212 ; Passages, p. 173), l’éclairage au gaz dans les passages apparaît à plusieurs reprises dans la liasse T « Types d’éclairage » (GS V, p. 698 et suiv. ; Passages, p. 579 et suiv.) et les glaces réfléchissantes dans la liasse R « Miroirs » (GS V, p. 666 et suiv. ; Passages, p. 552 et suiv.). Ici, la valeur propre de la source tient donc plutôt à la manière particulièrement resserrée dont elle réunit un ensemble de motifs déjà connus. Les notes sur les images qui font immédiatement suite à cette entrée abordent en revanche des aspects qu’aucune note textuelle antérieure n’a traités (fig. 33, 35, 81).
6 Lettre inédite. L’original est conservé dans les archives des éditions Suhrkamp. Nous la transcrivons ici à partir du scan qui se trouve à l’Akademie der Künste, Berlin, Walter Benjamin Archiv.
7 GB 5, p. 161-162 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 230.
8 Sur la vie et l’œuvre de Veltheim, voir Christian Juranek, Gegen eine ganze Zeit. Hans Graf von Veltheim (1818-1854). Leben, Literatur, Kunst, thèse de l’université de Hildesheim, 2006, publiée en ligne à l’adresse : opus.bsz-bw.de/ubhi/volltexte/2011/89/ (dernière consultation le 29 janvier 2020) ; sur Héliogabale, voir p. 132-135.
9 <Q°, 17> GS V, p. 1037 ; Passages, p. 862.
10 GS I, p. 431-449 ; GS VII, p. 350-384 ; WuN, p. 52-163 ; Œuvres III, p. 67-113. Sur l’histoire et la genèse de ce texte, voir le dernier chapitre.
11 [F 6, 2] GS V, p. 227 ; Passages, p. 185.
12 [F 7, 3] GS V, p. 228 ; Passages, p. 186-187. Sur la citation de cet article dans « L’œuvre d’art », voir GS I, p. 489, note 18 ; Œuvres III, p. 89.
13 [F 7a, 5] GS V, p. 230 ; Passages, p. 188.
14 Les éditeurs des Gesammelte Briefe de Benjamin n’ont pas réussi à identifier l’ouvrage dont il pourrait s’agir (voir GB 5, p. 205), et leurs commentaires sur ce passage laissent la question en suspens.
15 GB 5, p. 222-223 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 249.
16 Sur Meryon, voir plus bas.
17 Benjamin a intégré à la liasse J « Baudelaire » un extrait d’une lettre de Baudelaire sur Meryon, le passage mentionné de son Salon de 1859, ainsi que ses deux premières notes sur Meryon ; voir [J 1a, 5 et J 2, 1] GS V, p. 303 ; Passages, p. 248-249.
18 GB 5, p. 237-238 ; Correspondances II, p. 201.
19 Elles commencent tout de suite au dos de la première feuille du dossier ([J 1a] GS V, p. 303 ; Passages, p. 248-249) et, à une exception près, la deuxième feuille est entièrement consacrée au graveur ([J 2] GS V, p. 303 et suiv. ; Passages, p. 249-250).
20 [J 2, 2] GS V, p. 303 ; Passages, p. 249.
21 GS V, p. 73 ; Passages, p. 57.
22 GB 5, p. 241 ; Adorno-Benjamin, p. 181.
23 Nous avons fouillé les registres de mars 1937 à 1940.
24 Lettre du 15 mai 1914 à Herbert Blumenthal : « Avant, je serai au Cabinet des estampes. J’y ai acheté récemment pour 1 mark une très belle reproduction d’un dessin à l’encre de Rodin. Combien mes efforts pour composer la nature morte pour Grete [Radt] m’amènent-ils en somme à m’intéresser aux arts graphiques » (GB 1, p. 225).
25 Voir Gerhard Rupp, « Benjamin und Bataille. Deutsch-französische Kreuzungen auf der Suche nach einem anderen Diskurs », in Garber et Rehm (dir.), Global Benjamin, 1999, vol. 2, p. 827-838.
26 C’est Bataille qui a caché les manuscrits des Passages à la Bibliothèque nationale, au moment où Benjamin a fui Paris ; voir GS V, p. 1067-1071.
27 Lettre du 8 juillet 1935 au directeur général de la Bibliothèque nationale, GB 5, p. 123-124.
28 Lettre du 28 mai 1938 à Horkheimer, GB 6, p. 93.
29 Voir les illustrations des articles de Paul Rivet, « Gravures de Jacques Bellange, peintre lorrain », Documents, 1re année, 1929, no 3, p. 135-140, et d’Henri-Charles Puech, « Les “Prisons” de Jean-Baptiste Piranèse », ibid., 2e année, 1930, no 4, p. 199-203.
30 Georges Bataille, « Les écarts de la nature », ibid., 2e année, 1930, no 2, p. 79-83. Sur l’interprétation que Bataille propose de ces images, voir le chapitre « La dévoration de l’anthropomorphisme », in Georges Didi-Huberman, La Ressemblance informe ou le Gai Savoir visuel selon Georges Bataille, 3e édition revue, corrigée et augmentée, Paris, 2019, p. 95-101.
31 Sur la vie et l’œuvre de Fuchs, voir Thomas Huonker, Revolution, Moral & Kunst. Eduard Fuchs: Leben und Werk, Zurich, 1985 ; voir aussi la biographie d’Ulrich Weitz, Salonkultur und Proletariat. Eduard Fuchs – Sammler, Sittengeschichtler, Sozialist, Stuttgart, 1991, qui met plus particulièrement l’accent sur ses travaux politiques. La première évocation des visites de Benjamin chez Fuchs se trouve dans la lettre du 8 novembre 1933 à Gretel Adorno, GB 4, p. 309 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 99. Après avoir achevé son article « Eduard Fuchs, collectionneur et historien », il écrit le 27 mars 1937 à Friedrich Pollock : « Aujourd’hui, j’apporterai mon travail à Fuchs » (GB 5, p. 500).
32 Voir le chapitre « Fuchs als Objekt des Instituts für Sozialforschung », in Huonker, Revolution, Moral & Kunst, 1985, p. 218-224.
33 Voir Weitz, Salonkultur und Proletariat, 1991, p. 421 et suiv. ; sur la collection de Fuchs et son émigration à Paris, voir aussi John Heartfield, « Daumier im “Reich” », Freie Deutsche Kultur. German Anti-Nazi Monthly, 4e année, 1942, no 2, p. 7-8.
34 Walter Benjamin, « Eduard Fuchs, der Sammler und der Historiker », Zeitschrift für Sozialforschung, 6e année, 1937, no 2, p. 346-381. GS II, p. 465-505 ; Œuvres III, p. 170-225.
35 Eduard Fuchs, 1848 in der Karikatur, Munich, 1898 ; id., Ein vormärzliches Tanzidyll. Lola Montez in der Karikatur, Berlin, 1904.
36 GS II, p. 470 ; Œuvres III, p. 179. Dans les livres de l’écrivain et homme politique socialiste Wilhelm Blos (1849-1927) sur la Révolution française, le texte historiographique a été illustré après coup, non par Hans Gabriel Jentzsch (1862-1930), mais par Otto Emil Lau (actif, à ce qu’on sait, entre 1875 et 1907). Jentzsch a cependant illustré des ouvrages du même genre. Voir Hans Ries, Illustration und Illustratoren des Kinder- und Jugendbuchs im deutschsprachigen Raum 1871-1914, Osnabrück, 1992, p. 621 (Jentzsch) et p. 673 (Lau). Ce passage du texte de Benjamin a été écrit à l’instigation directe de Fuchs. Dans une lettre du 1er avril 1937 restée à ce jour inédite, Fuchs, après avoir lu une première version de son article, lui a en effet demandé d’y intégrer un mot sur la façon dont, à la différence de Blos, il se servait de l’image comme source historique. Voici ce qu’il écrivait : « Peut-être pourriez-vous encore ajouter que je fus dans un certain sens l’un des premiers à introduire dans le texte de mes livres l’image contemporaine comme source de vérité, en rupture avec la méthode jusqu’alors courante de faire illustrer les ouvrages d’histoire par des artistes vivants. Parmi ces dessinateurs, il y avait l’illustrateur leipzigois Jentzsch, qui a illustré de cette façon la Révolution française et la Révolution allemande de Wilhelm Blos. L’image contemporaine, en tant que source de vérité, a toujours eu pour moi une valeur privilégiée » (Akademie der Künste, Berlin, Walter Benjamin Archiv, WBA 50, Eduard Fuchs, p. 2-3 sur 3).
37 Eduard Fuchs, Die Karikatur der europäischen Völker, t. I, Vom Altertum bis zum Jahre 1848 [1901], 4e édition, 1921 ; t. II, Vom Jahre 1848 bis zum Vorabend des Weltkrieges [1903, sous le titre Vom Jahre 1848 bis zur Gegenwart], 4e édition, Munich, 1921. Id., Illustrierte Sittengeschichte vom Mitteltalter bis zur Gegenwart, t. I, Renaissance [1909] ; t. II, Die galante Zeit [1910] ; t. III, Das bürgerliche Zeitalter [1911-1912] ; à quoi s’ajoutent les Ergänzungsbände I-III [1909 ; 1911 ; 1912] ; réédition de l’ensemble des volumes à Munich en 1926.
38 Voir la lettre du 24 avril 1935 à Eduard Fuchs, GB 5, p. 76.
39 Freund écrit avoir fait la connaissance de Benjamin en 1932 aux Baléares. Gisèle Freund, « Walter Benjamin », in id., Photographien. Mit autobiographischen Texten und einem Vorwort von Christian Caujolle, Munich, 1985, p. 61-65, ici p. 61.
40 Gisèle Freund, La Photographie en France au dix-neuvième siècle. Essai de sociologie et d’esthétique, thèse de doctorat, Paris, 1936 (réédition, Paris, 2011).
41 Freund, « Walter Benjamin », 1985, p. 61-62.
42 Le physionotrace a été inventé en 1785 par Gilles-Louis Chrétien (1754-1811). L’appareil est composé d’un viseur sans objectif, sur lequel le dessinateur armé d’un stylet peut suivre assez exactement les contours du modèle se tenant devant lui. Un système de barres articulées inspiré du pantographe permet de reporter le dessin à échelle réduite, soit sur une feuille de papier (dessin de silhouette), soit sur une plaque de cuivre, où le portrait est ensuite gravé à l’eau-forte.
43 [Y 3, 3] GS V, p. 829 ; Passages, p. 689-690.
44 Sur la légende de Pline, voir Andreas Beyer, L’Art du portrait, Paris, 2003, p. 17.
45 Dans l’exemple donné plus haut de la série Kc 164, Benjamin a relevé des images dans les volumes 2 et 4. Il est donc probable qu’il ait examiné aussi le troisième volume. On observe des « sauts » du même genre entre les volumes de la série topographique. En général, on peut supposer que sa recherche d’images a dû englober un grand nombre de recueils et de portefeuilles qui ne lui ont rien appris et dont il n’a pas gardé trace dans ses notes. En effet, il y a toujours une part de hasard qui entre en jeu dans les décisions prises par les conservateurs du Cabinet des estampes lors de l’établissement des séries thématiques, par exemple quand ils ont à décider s’il faut intégrer une image contenant plusieurs sujets à telle série ou plutôt à telle autre. Devant cette collection, il est impossible de procéder de manière absolument systématique. Lorsque Benjamin s’intéressait à un thème précis, il a vraisemblablement pu en découvrir des exemples dans plusieurs séries différentes.
46 Sur Marolles, voir surtout Stephan Brakensiek, Vom « Theatrum Mundi » zum « Cabinet des estampes ». Das Sammeln von Druckgraphik in Deutschland 1565-1821, Hildesheim et al., 2003, p. 17-39 (le chapitre « Michel de Marolles und seine Sammlung »). Voir en outre Joseph Guibert, Le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Histoire des collections suivie d’un guide du chercheur, Paris, 1926, p. 11-22.
47 GS II, p. 502-503 ; Œuvres III, p. 220-221.
48 Voir Lothar Brieger, Die großen Kunstsammler, Berlin, 1931, p. 163-170 (le chapitre « Marolles, der Gründer des Kupferstichkabinetts »).
49 Sur la date de cette lecture, voir le « Verzeichnis der gelesenen Schriften » (liste des écrits lus par Benjamin), GS VII, p. 470, no 1219[2] ; Je déballe ma bibliothèque, p. 202.
50 Voir Brakensiek, Vom « Theatrum Mundi » zum « Cabinet des estampes », 2003, p. 13.
51 « La collection de Marolles fut la première collection d’arts graphiques à s’être constituée avec un objectif de complétude. » Ibid., p. 19.
52 Ibid., p. 38-39.
53 S’apprêtant à vendre sa collection, Marolles a lui-même établi un catalogue dans lequel il en soulignait la valeur didactique. Voir Michel de Marolles, Catalogue de livres et d’estampes et de figures en taille douce, Paris, 1666, p. 9 : « Cependant s’il faut parler de leur utilité pour ceux qui les aiment, ou pour former l’esprit d’un jeune Prince, il est certain que les Estampes bien choisies & bien disposées donnent agréablement la connaissance, non seulement de toutes les Sciences, & de tous les beaux Arts, mais encore de toutes les choses imaginables. »
54 La collection de Marolles, comme Bredekamp l’a montré, fut même prise pour modèle par Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), qui avait le projet de constituer son propre « atlas d’images » ; voir Horst Bredekamp, Die Fenster der Monade. Gottfried Wilhelm Leibniz’ Theater der Natur und Kunst, Berlin, 2004, ici p. 154.
55 Voir à ce sujet Brakensiek, Vom « Theatrum mundi » zum « Cabinet des estampes », 2003, p. 27-32 (le chapitre « Montage der Kupferstiche »).
56 Guibert, Le Cabinet des estampes, 1926, p. 11 et suiv. En 1925, le dépôt légal fut réduit à un seul exemplaire. En 1939, Jean Laran, qui dirigeait alors le département d’arts graphiques, considéra rétrospectivement que cette disposition était une des raisons pour lesquelles on avait progressivement cessé d’enrichir les séries thématiques (l’exemplaire unique du dépôt étant désormais enregistré sous le nom de l’artiste auteur de l’estampe). Voir Jean Laran, « Remarques sur l’organisation du Cabinet des estampes (février 1938-mars 1939) » [transcription du manuscrit conservé dans la salle de lecture du Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale, inédit], Paris, 1939, p. 119-120. Cette obligation légale est toujours en vigueur ; mais, dans le cas des images numériques, le dépôt ne se fait plus que très irrégulièrement, comme nous l’ont confié les conservateurs du département.
57 Il s’agit des fig. 20, 31, 40, 48, 123.
58 Voir Victor Perrot, « Paul Blondel. Iconographe parisien 1855-1924 », Le Vieux Montmartre. Société d’histoire et d’archéologie des IXe et XVIIIe arrondissements, 1925, Nouvelle série, no 5, p. 349-354.
59 La structure de la collection n’a pas changé, elle est restée la même. Depuis les années 1950, on a cependant cessé d’enrichir les recueils thématiques. Désormais, les nouvelles pièces qui rejoignent la collection sont exclusivement conservées sous une forme détachée, dans des portefeuilles ou des cartons.
60 Cette division ne provient pas de Marolles, elle a été introduite en 1800 ; voir Guibert, Le Cabinet des estampes, 1926, p. 129-139.
61 Benjamin a pu laisser immédiatement de côté une grande partie de ces seize séries, puisqu’elles réunissent des estampes concernant les sciences physiques (I) et l’histoire naturelle (J), les figures bibliques de la hiérologie (R) ou la mythologie antique (S).
62 Jusqu’ici, on ne s’est pas beaucoup interrogé sur les « modèles » qui ont pu inspirer à Benjamin la structure de ses liasses et la manière dont ses feuillets manuscrits s’y répartissent. On trouvera un grand nombre d’indications utiles sur la tradition de ce type de collections de coupures et de notes, et sur leurs affinités avec les recueils factices ou les albums montés, chez Anke te Heesen, Der Zeitungsausschnitt. Ein Papierobjekt der Moderne, Francfort, 2006, p. 25-45 (le chapitre « Die Materialität von Exzerpt und Zitat. Beschriebenes, geschnittenes und geklebtes Papier »).
63 Sur cette série, voir Henri Bouchot, Le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Guide du lecteur et du visiteur, catalogue général et raisonné des collections qui y sont conservés, Paris, 1895, p. 323 et suiv.
64 Sur cette série, ibid., p. 278.
65 Voir Nathalie Jakobowicz, 1830. Le peuple de Paris. Révolution et représentations sociales, Rennes, 2009, p. 153 ; David S. Kerr, Caricature and French Political Culture 1830-1848. Charles Philipon and the Illustrated Press, Oxford, 2000, p. 14.
66 Qb 1 (1830, 28 juillet, t. 2).
67 On s’étonne que Benjamin n’ait choisi aucune image des barricades, alors qu’il y en a beaucoup dans les portefeuilles en question. Sans doute a-t-il pensé que leur édification était une chose bien connue et que des représentations célèbres comme La Liberté guidant le peuple (1830) de Delacroix s’étaient inscrites dans la mémoire visuelle collective, de sorte qu’il n’a pas dû lui sembler nécessaire d’y ajouter d’autres sources.
68 [E 7a, 3] GS V, p. 198 ; Passages, p. 160.
69 Ces exemples se trouvent dans le dossier « Qb1 (1830 Charles X, 28 juillet, 2e partie) ». La caricature de Raffet, Gendarmes, faites feu ! (1830), montre ainsi, sans localisation précise, un officier qui a reçu un baquet à lessive sur la tête. Même s’il ne voit plus rien, il s’obstine encore à commander à ses soldats, empêtrés dans un amas de tables et de chaises, de faire feu. Plusieurs autres caricatures se moquent pareillement de la débâcle des troupes de la Garde royale.
70 Il y a dans ce portefeuille cinq estampes de la rue Saint-Antoine où l’on peut voir les meubles jetés par les fenêtres. Mais, sur deux d’entre elles, ce n’est qu’un motif secondaire, qui apparaît en tout petit à l’arrière-plan. Leur vrai sujet, ce sont les barricades.
71 On trouve des exemples similaires dans les notes sur deux autres images, où l’on lit : « Les premiers prospectus et les premières affiches représentent volontiers en coupe, comme des maisons de poupées, les ateliers de fabrication et les magasins de vente […]. Ainsi, un prospectus pour les chaussures Pinet, de 1865 » (fig. 73, [F 5a, 6] GS V, p. 225-226 ; Passages, p. 184), et : « Les dessins de 1830 représentent volontiers, et souvent de manière allégorique, la querelle des journaux. […] C<abinet> d<es> E<stampes>, une planche de 1817 » (fig. 90, [U 11a, 7] GS V, p. 731 ; Passages, p. 607). Dans ces deux planches, contrairement aux images de la rue Saint-Antoine, Benjamin s’intéresse moins à ce qu’elles font voir qu’aux formes spécifiques de représentation qu’elles mettent en jeu.
72 Les deux gravures qui se trouvent dans la série historique (fig. 30 et 61) sont l’une et l’autre de 1818, de sorte que Benjamin pourrait avoir feuilleté les recueils de cette année-là et les y avoir notées.
73 Le portefeuille Tf 46 contient aussi bien ces deux estampes qu’une troisième que Benjamin a également consignée. Il est donc probable qu’il les ait toutes vues là.
74 Paul-André Lemoisne (1875-1964), qui dirigeait alors le Cabinet des estampes, a rédigé dès 1933 un article dans lequel il présentait ses fonds comme une source considérable pour la recherche en histoire. Il y mentionnait aussi bien les séries directement consacrées à l’histoire que celles dédiées à la topographie et aux portraits. Il écrivait notamment : « Nous avons souvent entendu de savants historiens souhaiter que des recueils de documents iconographiques soient formés qui permettraient aux travailleurs de contrôler leurs textes à l’aide de documents figurés. » Paul-André Lemoisne, « Les collections historiques du Cabinet des estampes. Les ressources qu’elles offrent aux historiens », Revue d’histoire moderne, novembre-décembre 1933, tiré à part conservé au Cabinet des estampes, p. 461-473, ici p. 462 [c’est moi qui souligne]. La formule soulignée ressemble presque mot pour mot à celle de Benjamin dans sa lettre citée plus haut à Alfred Cohn, où, le 18 juillet 1835, il écrivait vouloir « contrôler sur images les idées concrètes d’objets et de situations que je me suis forgées dans des livres » (GB 5, p. 128 ; Correspondance II, p. 168-169).
75 Sur cette série, voir Bouchot, Le Cabinet des estampes, 1895, p. 180.
76 GS III, p. 502-503 ; Sur l’art et la photographie, p. 87.
77 Cette série contient en outre deux autres estampes relevées par Benjamin (fig. 29 et 91), qui se trouvent cependant aussi dans la série T, avec trois autres images qu’il y a également retenues, de sorte qu’on peut penser que c’est plutôt là qu’il les a remarquées (les notes en question n’indiquent aucune cote).
78 Pour un aperçu des différents thèmes traités, voir la description des recueils Tf 19-110 chez Bouchot, Le Cabinet des estampes, 1895, p. 310-314.
79 Chez Bouchot, le contenu de ce recueil est décrit de manière relativement détaillée, de sorte que l’attention de Benjamin sur ces thèmes pourrait avoir été éveillée dès cette lecture. Aussi en reprenons-nous ici l’inventaire dans son intégralité, en y ajoutant les renvois aux images qu’il a retenues : « Vol. 41. Art et littérature : Les peintres et leurs modèles, les amateurs de plafond (par Gaillot […]). La gravure et la lithographie (fig. 124) : les peintres en général (fig. 29, 91), les copistes (fig. 84) ; charges contre les musiciens, scènes de société [on y trouve aussi la caricature sur la mode à Longchamps (fig. 72)], charges contre les avocats et les plaideurs ; tableau des vicissitudes de la fortune (1830) ; M. Potasse allant à la Cour ; charges contre les commerçants ; contre les filles ; contre les omnibus (fig. 92) ; contre M. de Marcellus, Benjamin Constant, Manuel, Mercier, Chodruc-Duclos, Peyronnet, Lamartine (très curieux), Dupin, Polignac, Alexandre Ier ou Nicolas, Paganini, Broussais, Magendie. » Ibid., p. 312.
80 Sur la liasse [i 1-2], GS V, p. 946-948 ; Passages, p. 786-787, et ses rapports avec l’essai « L’œuvre d’art », voir plus bas.
81 [d 3a, 6] GS V, p. 908 ; Passages, p. 755.
82 La hiérarchie que Benjamin établit entre les deux protagonistes se reconnaît d’ailleurs nettement à leurs costumes. Tandis que l’amateur a fait le travail en blouse de peintre, l’artiste à succès est vêtu d’un frac à la mode bourgeoise. En entrant, il a négligemment abandonné son haut-de-forme sur un moulage en plâtre d’un buste antique, ce qui accentue son arrogance.
83 D’après ce qu’on aperçoit dans le coin inférieur droit de la toile – une colonne et des nuages de fumée –, on peut supposer qu’il s’agit de quelque motif de la mythologie antique, comme ceux que prise ordinairement l’art académique de Salon.
84 [U 8, 3] GS V, p. 724 ; Passages, p. 601. Voir aussi, dans la liasse Y « Photographie », la note sur l’« industrialisation en littérature », à propos des romans d’Eugène Scribe (1791-1861). Scribe ébauchait lui-même les grandes lignes de l’action romanesque et faisait ensuite travailler toute une troupe d’écrivains plus jeunes à la composition des différentes scènes de ses livres ; [Y 1, 2] GS V, p. 824 ; Passages, p. 685-686.
85 GS I, p. 532 ; Baudelaire, p. 726.
86 De la même manière, deux autres caricatures montrent aussi les parallèles entre le marché de la presse et l’édition des albums de lithographies (fig. 1, 90).
87 Bouchot, Le Cabinet des estampes, 1895, p. 312.
88 Ibid., p. 105-106.
89 GB 5, p. 222 ; Benjamin-Gretel Adorno, p. 249.
90 Benjamin écrit : « Meryon mit ces vers sous son eau-forte du Pont-Neuf : […]. D’après Geffroy – qui les emprunte manifestement à un autre état de l’eau-forte –, les deux derniers vers étaient […] » ([J 2, 3] GS V, p. 303-304 ; Passages, p. 249). Dans son article sur Benjamin et Meryon, Elisabetta Villari note à ce propos : « Grâce à ce fragment, on a la preuve indirecte que Benjamin travaille directement au Cabinet des estampes et confronte l’image originale aux informations qu’en donne Geffroy » (Elisabetta Villari, « Le regard de Walter Benjamin sur “Le Stryge” de Charles Meryon : antiquité, modernité, allégorie », Livraisons d’histoire de l’architecture et des arts qui s’y rattachent, 2e année, 2010, no 20, p. 75-90, ici p. 83, note 22).
91 [J 2a, 2] GS V, p. 304 ; Passages, p. 250. Benjamin y transcrit par inadvertance Castinelli, au lieu de Cantinelli.
Table des illustrations
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Titre | Fig. 18 Hans von Veltheim, Rêve St. Simoniste du Rapin, eau-forte, 32,8 × 25 cm (page), illustrant Héliogabale XIX ou Biographie du xixe siècle de la France dédiée à la grande nation en signe de sympathie par un Allemand, Brunswick, 1843, pl. 13 → <Q°, 17> |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, FOL-LA37-13, http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb34020866g |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 570k |
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Titre | Fig. 19 Edme Quenedey, L’appareil du physionotrace, vers 1780, dessin, reproduit dans Gisèle Freund, La Photographie en France au dix-neuvième siècle. Étude de sociologie et d’esthétique, Paris, A. Monnier, 1936, pl. après p. 18 ; un exemplaire du dessin est conservé dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc 164 (3) |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, 4-V-13416, http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb321297904 ; voir le dessin original sur https://images.bnf.fr/#/detail/1539452/4 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 94k |
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Titre | Fig. 20 Annonce publicitaire pour le chocolat de la maison Marquis, passage des Panoramas, 1846, coupure de presse, 5,5 × 6 cm, dans le recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., H 24769 → [G 10a, 4] |
Crédits | Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL, https://images.bnf.fr/#/detail/889281/6 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,9M |
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Titre | Fig. 21 Une page du recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., avec en bas au milieu l’annonce pour le chocolat de la maison Marquis (H 24769) et trois autres images (H 24767, H 24768 et H 24770) |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL ; voir les quatre images de la page sur https://images.bnf.fr/#/detail/889281/6, https://images.bnf.fr/#/detail/689907/19, https://images.bnf.fr/detail/811525 et https://images.bnf.fr/detail/767496 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 598k |
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Titre | Fig. 22 Une page du recueil « Topographie de Paris. 2e arrondissement, 6e quartier : passage et rue des Panoramas à rue Réaumur », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Va-239 (F)-Fol., avec une aquarelle de Georg Emmanuel Opiz montrant une vue extérieure du passage des Panoramas, avec les deux rotondes de Prévost (H 24771), et trois autres images (H 24772, H 24773 et H 24774) |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, VA-239 (F)-FOL ; voir les quatre images de la page sur https://images.bnf.fr/detail/928196, https://images.bnf.fr/detail/804710, https://images.bnf.fr/detail/730426 et https://images.bnf.fr/detail/767261 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 754k |
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Titre | Fig. 23 Une page du recueil « L’histoire de France, 28 juillet 1830 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Qb-1 (1830-07-28)-Fol., avec à gauche une lithographie d’Auguste Raffet (Gendarmes faites feu !, 1830) et deux autres de dessinateurs non identifiés (Lat., Marche des troupes suisses par un gros temps, et Ph., Ah, quel plaisir d’être soldat !) |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, Qb-1 (1830-07-28)-FOL (2e partie), M110853, M110854 et M110855 ; voir une des images sur https://images.bnf.fr/#/detail/391767/3 (RESERVE QB-370 (87)-FT4) |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,5M |
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Titre | Fig. 24 Domenico Cunego, The Origin of Painting, 1776, gravure sur cuivre, 42 × 32,2 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol., R 10425 ; d’après la peinture homonyme de David Allan, 1773, huile sur toile, 38,1 × 30,5 cm (ovale), Édimbourg, National Galleries of Scotland, inv. NG 612 → [Y 6, 4] |
Crédits | Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, KC-164 (2)-FOL, R 10425, https://images.bnf.fr/#/detail/740385/4 ; voir la peinture originale sur www.nationalgalleries.org/art-and-artists/29630/origin-painting-maid-corinth |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,8M |
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Titre | Fig. 25 Graveur inconnu, L’Origine de la peinture, gravure sur cuivre, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol. |
Crédits | Crédit/Source : Archives de l’auteur |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 458k |
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Titre | Fig. 26 Graveur inconnu, L’Origine de la peinture, gravure sur cuivre, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol. |
Crédits | Crédit/Source : Archives de l’auteur |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 633k |
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Titre | Fig. 27 Jean Ouvrier, L’Origine de la peinture ou Les Portraits à la mode, vers 1770, gravure sur cuivre, 48 × 34,8 cm, dans le recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Allégories et caricatures depuis 1750 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (2)-Fol. ; d’après la peinture homonyme de Johann Eleazar Schenau, fin du xviiie siècle |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, Kc-164 (2)-FOL, R10423 ; voir aussi sur www.metmuseum.org/art/collection/search/391291 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,9M |
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Titre | Fig. 28 Une page du recueil « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. Le public : expositions, salons, collections, critiques et ventes de 1851 à 1869 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (11)-Fol., avec sept croquis pris au Salon par Honoré Daumier → [I 5a, 1] |
Crédits | Crédit/Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, DC-180 (J, 29)-FOL (recueil Œuvre de Honoré Daumier) |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 607k |
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Titre | Fig. 29 Amable-Nicolas Fournier, L’artiste et l’amateur du xixe siècle, 1824 [BdF, 23 octobre 1824], lithographie, 28 × 21 cm (image), 40 × 27 cm (planche), dans les recueils « Pièces sur les arts, xve-xxe siècle. L’artiste et l’atelier de 1750 à 1830 » et « Caricatures intellectuelles (entre 1820 et 1835 environ). Art et professions diverses », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Kc-164 (5)-Fol. et Tf-41-Pet. fol., pl. 16 → [d 3a, 6] |
Crédits | Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, TF-41-PET FOL, https://images.bnf.fr/detail/921886 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 633k |
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Titre | Fig. 30 Graveur inconnu, Le Triomphe du Kaleïdoscope ou le Tombeau du Jeu Chinois, 1818, lithographie, 27 × 21,4 cm (image), 32,2 × 24,4 cm (planche), dans les recueils « Caricatures allégoriques 1816-1820 » et « L’histoire de France, 1817-1818 », Paris, BnF, Cabinet des estampes, Tf-46-Pet. fol., pl. 10, et Qb-1 (1817-18) → [F 6, 2] et [F 7a, 5] |
Crédits | Crédit/Source : images.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, TF-46-PET FOL, pl. 10, https://images.bnf.fr/#/detail/931343/9 |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/51625/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 502k |
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