Une collecte d’images
|II. Collecte. Les recherches d’images pendant la seconde phase de travail (1934-1940)
II.1. L’exposition sur la Commune
Texte intégral
- 1 Voir La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, cat. exp. Musée municipal de Saint-Denis, Paris, 1 (...)
- 2 [k 2, 1-6] GS V, p. 951-952 ; Passages, p. 790.
1Au printemps de 1935, juste avant d’entamer ses recherches au Cabinet des estampes, Benjamin consigne déjà dans ses notes un ensemble consistant de gravures qu’il a vu à l’exposition La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, présentée au musée municipal de Saint-Denis, du 17 mars au 26 mai 19351. Le catalogue compte 695 pièces, dont certaines sont des suites d’images et se composent de plusieurs planches ; il s’agissait donc d’une documentation historique d’assez grande ampleur. Les notes de Benjamin sur cet ensemble sont regroupées dans la liasse k « La Commune »2, juste avant les notes prises au Cabinet des estampes. Pour l’essentiel, ces matériaux étaient conservés alors, comme ils le sont encore aujourd’hui, dans les archives du musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, de sorte qu’on peut y retrouver les planches en question. Benjamin parle de cette exposition dans une lettre qu’il adresse à la fin du mois de mai à son ami Alfred Cohn :
- 3 GB 5, p. 104.
« Il y a en ce moment à Paris plusieurs très bonnes expositions. Doriot, le maire de Saint-Denis, a réuni là-bas une exposition exemplaire d’images et de documents sur la Commune de Paris. J’ai beaucoup appris en la visitant3. »
- 4 Sur sa vie marquée par un revirement politique abrupt, voir la biographie de Jean-Paul Brunet, Jacq (...)
- 5 Voir Jacques Doriot, « Préface », cat. exp. La Commune de Paris, 1935, p. VII-XI, ici p. VII.
2Jacques Doriot, que Benjamin évoque dans sa lettre, était alors le maire communiste de Saint-Denis, ville ouvrière de la banlieue parisienne4. Sa préface au catalogue de l’exposition en annonce l’idée directrice : il ne s’agit pas, explique-t-il, de donner un point de vue partisan sur les événements, mais de faire voir côte à côte des documents témoignant des diverses orientations politiques en présence5. Le choix d’images de Benjamin a lui aussi pour caractéristique de réunir des tracts de propagande de tous bords. Il retient plusieurs gravures qui s’élèvent contre tel ou tel parti : contre le gouvernement versaillais d’Adolphe Thiers, considéré comme traître à la République (fig. 113) ; contre l’église parisienne de Saint-Laurent, où, prétendait-on, furent perpétrés des crimes et des viols (fig. 115) ; contre la fureur des troupes versaillaises dans l’écrasement de l’insurrection (fig. 117) ; contre les communards, présentés comme des agitateurs et des incendiaires enragés (fig. 118). De même, la lithographie que Benjamin allait relever quelque temps plus tard au Cabinet des estampes caricature Courbet en « grand maître » responsable de la destruction de la colonne Vendôme (fig. 116) ; elle s’inscrit donc elle aussi dans ce schéma des images de contestation. Si Benjamin a pu juger cette exposition « exemplaire » et dire y avoir « beaucoup appris », c’est sans doute en raison de cette juxtaposition des points de vue contraires, qui a structuré ensuite son propre choix d’images.
- 6 [k 2, 2] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790 : « Voilà tes fruits, Commune sanguinaire, / Oui, … tu vou (...)
3Benjamin s’est certainement intéressé aussi à la façon dont elle combinait divers médiums, « des images et des documents ». Ses notes mentionnent des objets aussi différents que des tracts lithographiés, une affiche avec du texte et une gravure sur bois, un autre placard qui mêle l’écrit et le dessin, une page de journal avec une illustration, un poème (le seul document non illustré que Benjamin y consigne)6. L’exposition présentait en outre des photographies, des peintures, des aquarelles, des dessins, des plans de ville, des livres, des journaux muraux, des décrets, des bulletins de vote, des manuscrits, des lettres et d’autres sortes de choses. Deux bons tiers des pièces exposées étaient des documents visuels, le plus souvent des tracts. Cette richesse documentaire et, surtout, l’attention particulière portée aux productions graphiques pourraient avoir incité Benjamin à accorder lui-même plus d’intérêt à l’image comme source historique. Quelques semaines à peine après avoir visité l’exposition de Saint-Denis, il entame ses recherches au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale.
Notes de fin
1 Voir La Commune de Paris. 18 mars – 28 mai 1871, cat. exp. Musée municipal de Saint-Denis, Paris, 1935. Les dates de l’exposition, du 17 mars au 26 mai, avaient été choisies pour coïncider avec celles de la Commune de Paris, au printemps de 1871. Voir aussi La Commune de Paris. 1871-1971. Exposition du centenaire, cat. exp. musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis, Saint-Denis, 1971 (l’exposition était fondée sur les matériaux de 1935, complétés par quelques acquisitions ultérieures). Le musée abrite aujourd’hui encore une salle avec une exposition permanente d’une partie de ce fonds.
2 [k 2, 1-6] GS V, p. 951-952 ; Passages, p. 790.
3 GB 5, p. 104.
4 Sur sa vie marquée par un revirement politique abrupt, voir la biographie de Jean-Paul Brunet, Jacques Doriot, du communisme au fascisme, Paris, 1986.
5 Voir Jacques Doriot, « Préface », cat. exp. La Commune de Paris, 1935, p. VII-XI, ici p. VII.
6 [k 2, 2] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790 : « Voilà tes fruits, Commune sanguinaire, / Oui, … tu voulais anéantir Paris. » Le placard s’ornant du dessin d’un monument se rattache au projet d’une « Borne maudite », lancé pendant la Commune et imprimé sous la forme d’une affiche ([k 2, 1] GS V, p. 951 ; Passages, p. 790), qu’il nous a malheureusement été impossible d’identifier.
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