Version classiqueVersion mobile

Une résidence de la noblesse gauloise

 | 
Yves Menez

Annexe. Nouvelle étude du « pendentif » en or de Paule

Marilou Nordez, Barbara Ambruster et Maryse Blet-Lemarquand

Texte intégral

Cadre et méthodes de cette nouvelle étude

1Le programme Celtic Gold (2017-2021) est un projet franco-allemand cofinancé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), pleinement interdisciplinaire, international et interinstitutionnel, dirigé par B. Armbruster et R. Schwab. Il vise, par l’étude des productions et de la consommation des objets en or du second âge du Fer provenant de France, d’Allemagne, de Suisse et du Bénélux, à renouveler l’appréhension de la culture laténienne occidentale (milieu veier s. av. J.-C.) dans ses dimensions économique, sociale, technologique et artistique.

2C’est dans ce cadre que des regards croisés ont été portés sur le « pendentif » de Paule, combinant son étude typochronologique, technologique et archéométrique, tout en tenant compte de son contexte archéologique. Cette approche interdisciplinaire conjugue des méthodes complémentaires dont la mise en commun livre des résultats éloquents.

3L’objet a d’abord été observé à l’œil nu, décrit, mesuré, et les principales informations morphologiques, ornementales, typologiques et technologiques le concernant enregistrées dans notre base de données. L’étude technologique, par l’intermédiaire d’examens macro- et microscopiques des traces d’outils et des stigmates de surface, a permis de déterminer les techniques de fabrication mises en œuvre pour sa fabrication.

4La documentation iconographique a ensuite été réalisée par photographie, macrophotographie et au moyen d’une loupe binoculaire équipée d’une caméra, ce qui a autorisé l’examen de la topographie des surfaces. En parallèle, l’observation par microscopie électronique à balayage (MEB) a fourni une vision à fort grossissement et haute résolution permettant de documenter très précisément les états de surface et les indices technologiques.

5La composition de l’objet a ensuite été déterminée par spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP-MS), méthode d’analyse multi-élémentaire par laquelle ont peut déterminer la concentration des trois principaux éléments constitutifs des alliages à base d’or (or, argent, cuivre), ainsi que la plupart des impuretés naturellement présentes dans ces métaux, jusqu’à l’échelle de la partie par million (ppm ou microgramme par gramme), au moyen de microprélèvements effectués à la surface des objets, dont le diamètre est à peu près celui d’un cheveu (0,08 mm de diamètre) et qui sont donc invisibles à l’œil nu. Le mode d’analyse utilisé permet aussi de calculer la composition au fur et à mesure de la pénétration du laser dans la matière, offrant la possibilité de déterminer la composition de l’objet en surface (celle-ci est souvent perturbée par des traitements métallurgiques ou par la corrosion), mais donne aussi sa composition dans l’épaisseur, ce qui permet de reconnaître l’alliage travaillé par l’orfèvre (Blet-Lemarquand et al. 2018).

Résultats

6Ce petit objet en or est désigné comme pendentif du fait de la présence d’une bélière, bien que son contexte de découverte ne permette pas d’en restituer les modalités de port. Il a en effet été mis au jour à environ 1 m de profondeur sous le niveau de décapage, lors du redressement d’une coupe près de la porte nord : il se trouvait dans le fossé délimitant l’avant-cour, dans des niveaux de remblais amenés pour caler une palissade dans ce fossé vers le milieu du Ier s. av. J.-C.

7Ses dimensions sont très réduites : il mesure 10,1 mm de long pour un diamètre maximal de 6,2 mm, et représente une masse de seulement 0,62 g. Il ne fait aucun doute qu’il constituait une partie d’un objet de parure, sans que l’on puisse déterminer s’il en était la pièce principale ou un élément intermédiaire, et bien que nous penchions pour la seconde hypothèse. La présence d’une bélière tend en effet à indiquer qu’il était destiné à être suspendu ou accroché, mais il pourrait aussi bien s’agir d’une partie de pendant d’oreille que d’un pendentif monté en collier sur un lien aujourd’hui disparu, ou d’un élément destiné à être cousu sur un vêtement ou un tissu, ou encore d’une pièce intermédiaire entre des chaînettes et un fermoir de collier ou de bracelet. À ce jour, aucune comparaison morpho-stylistique satisfaisante ne nous semble pouvoir être proposée pour cet objet. Sans certitude aucune et en l’absence de parallèle convaincant, nous avons privilégié ici la dénomination de pendentif.

8Dans un premier temps, des analyses de composition élémentaire ont été réalisées par B.Gratuze (cf.supra, §8.3.4.4 ; tabl. vi). Elles ont montré que l’or employé pour fabriquer les différentes pièces constitutives de l’objet était purifié (Au = 98 %). Il a été noté que la présence d’un taux élevé de platine (Pt) renvoyait plutôt à un or étranger à la Gaule. Cette teneur est par exemple très largement supérieure à celle qui a pu être observée pour les globules piégés dans les creusets (cf. supra, § 8.3.4.2 ; tabl. v).

9Le pendentif est constitué au total de cinq pièces distinctes [fig. 345], fabriquées séparément avant d’être assemblées par soudure métallique. Ce procédé consiste à utiliser un alliage à base d’or dont le point de fusion est plus bas que celui des éléments à souder : lors de la chauffe, l’alliage fond et permet de solidariser les pièces souhaitées sans altérer leur morphologie.

FIG. 345. Décomposition des cinq pièces constituant le « pendentif » de Paule. Decomposition of the five pieces constituting the “pendant” of Paule.

Photo B. Armbruster.

10Les traces de soudure sont omniprésentes sur cet objet, et l’une d’elles a pu être analysée par M. Blet-Lemarquand par LA-ICP-MS [fig. 346], en complément des analyses déjà réalisées par B. Gratuze. Elle témoigne d’un net enrichissement en cuivre (teneur de 2 % environ) par rapport à l’or des fils (teneur de 0,3 %), ce qui prouve qu’elle a été effectuée au moyen d’un procédé nécessitant du cuivre sous une forme métallique (pour fabriquer un alliage de soudure). Un autre élément apparaît plus concentré dans la zone de soudure que dans l’or des fils : c’est l’étain (Sn), dont la concentration est de 550 ppm environ dans la soudure et d’une centaine de ppm dans les fils. La proportion des autres éléments –notamment ceux qui sont caractéristiques de l’or, comme le platine (Pt), le palladium (Pd), ou l’iridium (Ir)– est similaire dans les fils et dans la soudure. Ces résultats indiquent aussi que l’alliage de soudure a été obtenu en mêlant un peu de cuivre à l’or employé pour confectionner les fils, de façon à abaisser le point de fusion.

FIG. 346. Les récentes analyses de composition de l’or réalisées par LA-ICP-MS (spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser) : a positionnement ; b résultats. La composition moyenne correspond aux analyses réalisées précédemment par B. Gratuze (cf.supra, §8.3.4.4 ; tabl. vi). Les teneurs en ruthénium (Ru), osmium (Os) et iridium (Ir) ont seulement une valeur indicative, faute de matériau de référence disponible.
Recent analyses of the composition of the gold conducted by LA-ICP-MS (Laser Ablation Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) : a positioning ; b results. The average composition corresponds to the analyses previously conducted by B.Gratuze (cf.supra, § 8.3.4.4 ; tabl. vi). The value of the ruthenium (Ru), osmium (Os) and iridium (Ir) contents are only indicative due to a lack of available reference material.

Photos B.Armbruster.

11Sur les cinq pièces qui constituent l’objet, trois sont des fils dont la section circulaire est très régulière et dont le diamètre varie de 0,52 à 0,57 mm. Ils forment respectivement la bélière de suspension (fil 1), le ressort tronconique (fil 2) et la couronne hélicoïdale (fil 3). Le fil constituant la bélière de suspension est simplement courbé de manière à former un U de 2,9 mm de longueur pour 2,1 mm de largeur. Il est lui-même soudé à la partie la moins large du ressort tronconique [fig. 347a], dont la forme a certainement été obtenue par enroulement sur une âme légèrement conique, et qui a été consolidé sur toute sa longueur par une soudure métallique. La partie la plus large du ressort tronconique est soudée à la couronne hélicoïdale [fig. 347b], qui est constituée de dix boucles circulaires disposées régulièrement. Ces boucles sont légèrement écrasées, probablement par le poids du sédiment, mais l’objet devait être intact lors de son enfouissement.

FIG. 347. Observation des soudures entre les différents fils constituant le pendentif au microscope électronique à balayage :
a jonction entre la bélière de suspension en forme de U (fil 1) et le ressort tronconique (fil 2) ;
b soudure entre le ressort tronconique (fil 2) et la couronnes hélicoïdale (fil 3).
Observation by scanning electron microscopy of the welding between the strings constituting the pendant :
a junction between the U-shaped suspension ring (wire 1) and the truncated cone spring (wire 2) ;
b welding between the truncated cone spring (wire 2) and the helicoid crowns (fil 3).

Images MEB M. Blet-Lemarquand.

12La faible épaisseur de ces fils indique nécessairement qu’il s’agit de strip-twisted wires : de fins rubans ont été roulés sur eux-mêmes jusqu’à obtenir l’épaisseur souhaitée [fig. 348a]. Il s’agit en effet de la seule technique connue dans l’orfèvrerie protohistorique et antique d’Europe occidentale qui permette d’obtenir des fils si minces. Son usage est généralement identifié par de petits sillons dont le contour s’enroule autour du fil. Dans le cas présent, les fils ont été particulièrement bien réalisés : les sillons hélicoïdaux sont presque invisibles lors de l’observation à la loupe binoculaire, mais nous avons pu en repérer un lors de l’observation au microscope électronique à balayage, au niveau de la couronne hélicoïdale [fig. 348b]. Ce n’est qu’à partir du viiie s. ap. J.-C. que l’invention de la filière permettra de produire des fils très fins selon une autre technique (Wolters 1996 : 207-208 ; Fecht et al. 2015 : 161-162).

FIG. 348. Les fils constituant le pendentif ont été obtenus par enroulement d’un mince ruban :
a schéma figurant le mode d’obtention des fils dits strip-twisted wires (d’après Formigli 1993 : fig. 3) ;
b détail d’un sillon montrant que cette technique a été employée pour la fabrication du pendentif de Paule.
The threads constituting the pendant were obtained by rolling a thin ribbon :
a diagram showing how the strip-twisted wires were obtained (after Formigli 1993 : fig.3) ;
b close-up of a groove showing that this technique was used to manufacture the pendant from Paule.

Image MEB M. Blet-Lemarquand.

13Les deux dernières pièces constituant le pendentif sont un tout petit anneau en fil perlé soudé à la fois au sommet de la couronne hélicoïdale et à une pastille centrale lisse qu’il entoure [fig. 347a]. Cette association forme un motif floral stylisé de 3 mm de diamètre, surmontant donc la couronne hélicoïdale. Notons que ce motif est assez fortement usé, indiquant des frottements répétés au niveau de cette partie de l’objet : il pourrait s’agir d’une piste pour questionner la fonction précise de cet élément.

14En conclusion, de nombreuses incertitudes planent autour de ce « pendentif », que ce soit concernant sa fonction précise ou les influences stylistiques dont il témoigne. En revanche, la composition de l’or utilisé pour sa fabrication ainsi que sa morphologie interdisent d’y voir une origine locale et renvoient plutôt vers la Méditerranée orientale. S’agit-il d’un objet venu d’ailleurs avec son porteur ? Ou matérialise-t-il des interactions intenses, dont les étapes ne sont pas restituables mais dont Paule aurait été l’aboutissement ? S’il n’est pas possible à ce jour de répondre à ces questions, il semble en tous cas constituer la preuve tangible que des échanges s’opéraient sur de très longues distances, selon des modalités qui restent à préciser.

Table des illustrations

Légende FIG. 345. Décomposition des cinq pièces constituant le « pendentif » de Paule. Decomposition of the five pieces constituting the “pendant” of Paule.
Crédits Photo B. Armbruster.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48815/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 50k
Légende FIG. 346. Les récentes analyses de composition de l’or réalisées par LA-ICP-MS (spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser) : a positionnement ; b résultats. La composition moyenne correspond aux analyses réalisées précédemment par B. Gratuze (cf.supra, §8.3.4.4 ; tabl. vi). Les teneurs en ruthénium (Ru), osmium (Os) et iridium (Ir) ont seulement une valeur indicative, faute de matériau de référence disponible. Recent analyses of the composition of the gold conducted by LA-ICP-MS (Laser Ablation Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) : a positioning ; b results. The average composition corresponds to the analyses previously conducted by B.Gratuze (cf.supra, § 8.3.4.4 ; tabl. vi). The value of the ruthenium (Ru), osmium (Os) and iridium (Ir) contents are only indicative due to a lack of available reference material.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48815/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 44k
Légende FIG. 347. Observation des soudures entre les différents fils constituant le pendentif au microscope électronique à balayage :a jonction entre la bélière de suspension en forme de U (fil 1) et le ressort tronconique (fil 2) ;b soudure entre le ressort tronconique (fil 2) et la couronnes hélicoïdale (fil 3). Observation by scanning electron microscopy of the welding between the strings constituting the pendant :a junction between the U-shaped suspension ring (wire 1) and the truncated cone spring (wire 2) ;b welding between the truncated cone spring (wire 2) and the helicoid crowns (fil 3).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48815/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 66k
Légende FIG. 348. Les fils constituant le pendentif ont été obtenus par enroulement d’un mince ruban :a schéma figurant le mode d’obtention des fils dits strip-twisted wires (d’après Formigli 1993 : fig. 3) ;b détail d’un sillon montrant que cette technique a été employée pour la fabrication du pendentif de Paule. The threads constituting the pendant were obtained by rolling a thin ribbon : a diagram showing how the strip-twisted wires were obtained (after Formigli 1993 : fig.3) ;b close-up of a groove showing that this technique was used to manufacture the pendant from Paule.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48815/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 34k

Auteurs

Docteure en protohistoire, Marilou Nordez est rattachée au laboratoire Travaux de recherches archéologiques sur les cultures, espaces et sociétés (Traces ; UMR 5608 : CNRS, université de Toulouse-Jean-Jaurès et École pratique des hautes études en sciences sociales). Elle est actuellement post-doctorante au sein du projet franco-allemand Celtic Gold (Agence nationale de la recherche, Deutsche Forschungsgemeinschaft).

Archéologue et orfèvre, directrice de recherche (DR1) au CNRS, au sein du laboratoire Travaux de recherches archéologiques sur les cultures, espaces et sociétés (Traces ; UMR 5608 : CNRS, université de Toulouse-Jean-Jaurès et École pratique des hautes études en sciences sociales).

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021

Licence OpenEdition Books

Lire

Open access

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search