Une résidence de la noblesse gauloise
|Chapitre 12. Épilogue
Résumé
Sur des bases tangibles, l’histoire de cet établissement a été restituée et replacée au sein de son territoire. On pourrait s’arrêter là. Certaines hypothèses, certes plus fragiles, méritent néanmoins d’être émises, au regard des abondantes données recueillies sur l’habitat gaulois.
Les grandes phases identifiées à Paule s’inscrivent dans l’évolution générale observée dans l’Ouest. Sa fondation s’effectue lors d’un premier essor d’exploitations agricoles plus ou moins vastes, distantes de plus de 1 km les unes des autres qui prennent, de fait sinon de droit, possession de vastes terroirs pour les exploiter et les bonifier des siècles durant. Ce nouveau rapport à la terre apparaît à un moment de réchauffement du climat, aux vie et ve s. av. J.-C., mais aussi de développement de l’outillage en fer et de techniques culturales plus performantes qui permettent d’améliorer les finages par un travail constant, et d’abandonner la pratique antérieure qui consistait à déplacer les exploitations quand les terres étaient épuisées. En Bretagne, la production agricole est stockée dans des fermes où la part de l’élevage semble importante, avec un accès facile aux ruisseaux et des enclos dévolus au bétail. Le ive s. est marqué par la stagnation –comme à Paule– ou plus souvent l’abandon de ces exploitations. Le phénomène est moins marqué en Bretagne que dans d’autres régions, peut-être parce que le climat océanique a atténué le refroidissement.
Les phases suivantes de Paule s’inscrivent dans un essor renouvelé de l’habitat dispersé, qui débute au iiie s. et s’accentue fortement durant le iie s., par « bourgeonnement » autour des exploitations les plus anciennes, peut-être du fait du morcellement des premiers terroirs au fil des héritages [fig. 334]. Durant cette période d’amélioration climatique, un nouveau système agraire se met en place, avec un réseau de plus en plus dense de fermes environnées de parcelles et reliées par des chemins et les solidarités familiales. La période est marquée, en Italie romaine, par d’importantes réformes agraires, qui traduisent un phénomène semblable d’appropriation de la terre, générateur de tensions sociales.
Le réseau d’habitats dispersés observé dans l’Ouest semble polarisé autour de gués ou de carrefours où s’implantent, dès le iiie s. av. J.-C. des résidences majeures qui, la fouille de Paule l’a montré, ont abrité des familles aristocratiques. Durant le iie et ier s., des agglomérations dont la superficie va de quelques hectares à plusieurs dizaines d’hectares (135 pour la plus vaste actuellement connue) s’y développent ou sont créées ex nihilo. Certaines sont fortifiées, d’autres non. Si l’artisanat y est présent, on y trouve également de vastes entrepôts c’est le cas à Paule –ou des ensembles de greniers abritant les surplus agricoles. Les édifices composés de trois ou quatre corps de bâtiment récemment découverts en Gaule, près de résidences aristocratiques ou dans des villes fortifiées, s’apparentent par leur plan et leurs dimensions aux macella romains contemporains [fig. 335]. Il pourrait s’agir de marchés implantés le long des voies majeures et aux nœuds du réseau, à des distances compatibles avec l’acheminement des denrées ou du bétail, qui permettaient aux fermes des alentours d’écouler leurs surplus [fig. 336].
Paule l’a montré : l’aristocratie contrôle ces dispositifs de stockage et d’échange, ainsi que la surveillance et l’entretien du réseau viaire. L’étude des habitats ruraux effectuée dans le chapitre précédent montre que ceux des groupes 2 et 3, soit 4,9 % du corpus, peuvent être attribués à une élite composée des druides et des chevaliers [fig. 338]. Les textes confirment cette proportion de l’aristocratie dans la société [fig. 339]. L’ordre des equites émerge dès le iiie s. av. J.-C. Il s’inscrit dans l’essor d’une aristocratie foncière qu’impose l’évolution des techniques de combat et la nécessité, pour les notables, de disposer de domaines suffisants afin de se doter des montures et de l’armement nécessaire [fig. 337]. La part de la noblesse, c’est-à-dire la haute aristocratie exerçant la magistrature et le commandement, est évaluée à 1 ou 2 % de la société : quelques centaines de chefs de famille dans chaque cité, qui prennent les décisions au sein d’assemblées [fig. 340]. Certaines caractéristiques du site de Paule permettent de l’interpréter comme une résidence noble : le caractère presque immémorial de cet habitat, occupé durant plus de cinq siècles ; les signes de l’importance attribuée au souvenir des défunts, qui se traduit par la construction de deux nécropoles familiales, par l’exposition de bustes des ancêtres les plus remarquables, notamment celui d’un barde ayant œuvré à la mémoire et au prestige du lignage, et par la construction d’un sanctuaire doté de monuments pérennisant, plusieurs siècles après l’abandon de l’habitat, la mémoire de ces ancêtres, comme à Saint-Herblain / Les Pellières, en Loire-Atlantique [fig. 341]. L’abondance des restes de banquets retrouvés à Paule est également caractéristique du mode de vie noble, tout comme l’importance des défenses qui traduit la contribution de cet habitat à la sécurité de la cité en temps de paix, et à sa défense en temps de guerre. Le lieu d’assemblée édifié durant la phase 5 atteste une fonction communautaire du site, bien au-delà de la famille qui y résidait. Cela n’en fait pas pour autant un chef-lieu de pagus, ces « pays » disposant d’un certaine autonomie politique et religieuse et réunis par synœcisme pour former la cité, à la manière des petites têtes (les pagi ?) qui, sur les monnaies armoricaines, sont reliées par des cordons à une tête plus imposante (la cité ?) [fig. 342]. Chez les Osismes, d’autres sites, plus vastes, apparaissent comme de meilleurs candidats. Le bandeau qui ceint le front des quatre statues de Paule rappelle celui que porte Dumnorix sur une monnaie éduenne [fig. 343]. Il pourrait constituer l’attribut d’une magistrature exercée par ces personnages au sein de leur cité. L’accumulation de ces signes, à Paule, permet donc d’interpréter avec certitude ce site comme la résidence d’un important lignage de la noblesse osisme.
Quel a été le devenir de ces sites, une fois la Gaule conquise par César ? La plupart semblent abandonnés quelques décennies après le conflit, sans pour autant subir de destructions. Leur valeur stratégique était sans commune mesure avec celle des chefs-lieux de cité ou de pagus, plus vastes et dotés de défenses imposantes. Ce type de résidence, qui signait autrefois la réussite du notable, était devenu obsolète avec la réorganisation des territoires initiée par Auguste.
Mieux valait désormais afficher son statut dans une demeure à l’architecture inspirée de l’Italie romaine au sein de l’agglomération désignée ou fondée comme capitale de la cité. Les plus anciennes monnaies enfouies dans le lieu de culte édifié à Paule traduisent peut-être, avec le double visage de Janus tourné à la fois vers le passé et l’avenir [fig. 344], cette ambivalence de la noblesse gauloise d’extraction, qui célèbre par des cérémonies, des rites et des monuments désormais inspirés par Rome la profondeur généalogique de son lignage.
Texte intégral
12.1. La formation d’un système agraire : les campagnes
1Les vestiges découverts ont été décrits, interprétés et replacés dans le territoire ; au sein du corpus des habitats ruraux du second âge du Fer fouillés en France septentrionale, le site peut être raisonnablement interprété, sur la base de critères précis, comme une résidence aristocratique gauloise ayant donné naissance à une petite agglomération. On pourrait s’arrêter là.
2Il nous a pourtant semblé nécessaire de poursuivre au-delà du cadre des certitudes et des interprétations vraisemblables, vers des réflexions où la part de l’hypothèse est certes plus grande, mais qui nous semblent néanmoins mériter d’être émises, au regard des abondantes données recueillies sur l’habitat gaulois depuis une quarantaine d’années.
3L’objectif sera de replacer dans un premier temps l’habitat élitaire, tel que nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, dans l’évolution que connaît le milieu rural au cours de la période considérée. Je me limiterai pour ce faire à la région que je connais le mieux, l’Ouest de la France, et notamment la Bretagne où je maîtrise l’ensemble des données, en m’autorisant quelques éclairages sur les régions limitrophes de la Normandie et des Pays de la Loire avec lesquelles, au sein de mon unité de recherches, je travaille régulièrement. En effet, si l’enquête nationale révèle certaines similitudes dans l’évolution des territoires de France septentrionale entre le vie et le ier s. av. J.-C., notamment en termes de rythmes de création et d’abandon des habitats ruraux (Malrain et al. 2013 : 221-234), on note néanmoins bien des différences d’une région à l’autre, tant dans la forme ou la superficie des habitats, par exemple, que dans leur durée d’occupation. Selon les spécificités des sols et du climat, l’exploitation du sol n’a certainement pas été partout identique. Il est donc nécessaire d’avancer prudemment, à partir des données accumulées à l’issue de quatre décennies de prospections aériennes et de fouilles principalement préventives, pour tenter d’esquisser l’évolution des campagnes au cours de cette période.
- 1 Stéphane Blanchet et Cyril Marcigny sont archéologues à l’Inrap et rattachés de l’UMR 6566 du CNRS (...)
4De la période antérieure à la fondation de Paule, nous connaissons encore peu de choses. D’après les données patiemment réunies dans l’Ouest, en Bretagne dans le cadre d’un projet collectif de recherches dirigé par Stéphane Blanchet en Bretagne et en Normandie par Cyril Marcigny1, l’essentiel des occupations identifiées correspond à des hameaux composés d’un ensemble de maisons de plan circulaire accompagnées de leurs annexes (comme à Cahagnes dans le Calvados ou à Caudan dans le Morbihan), parfois associés à des enceintes, comme à Malleville-sur-le Bec, dans l’Eure (Jahier 2005 ; Levan 2014 ; Mare et al. 2018). Les traces d’habitat dispersé sont rares durant cette période. Il s’agit le plus souvent de quelques trous de poteau et fosses, et d’installations occupées peu de temps (Marcigny 1999 : 99-100).
5Dans l’Ouest, la fin du premier âge du Fer marque l’essor, dès le vie s. av. J.-C., d’un premier habitat plus pérenne. Le phénomène se caractérise par l’implantation durable d’exploitations à caractère familial, composées d’une maison et de dépendances. Certaines sont encloses, d’autres apparemment non, mais certaines limites comme des murets de pierre posés sur les sols ou des haies peuvent ne laisser aucune trace dans le sous-sol. Le semis de ces exploitations isolées sur le finage semble encore très peu dense ; elles sont en effet séparées par des distances importantes, variant de 500 m, pour les plus proches, à plusieurs kilomètres pour la plupart (Menez, Lorho 2013 : 173). Mais elles sont construites dans le souci d’abriter une famille durant plusieurs générations, comme le montre généralement, en Bretagne, l’ampleur de leur clôture, dont subsistent des fossés profonds de 1,00 à 2,50 m, ou encore leurs souterrains ou les profondes caves creusées sous ou à proximité de la maison. L’installation, tout près, de petites nécropoles protégées par un enclos traduit bien également cet attachement à une terre qui, sur quelques hectares, cesse désormais d’être indivise pour appartenir, de fait sinon de droit, à un groupe humain plus ou moins important qui l’exploite et la met progressivement en valeur. Les établissements les plus importants, reconnaissables à une maison de taille inhabituelle et des dépendances en nombre, semblent bien correspondre aux demeures rurales de l’aristocratie qui, à côté de familles plus modestes, a donc participé à cette première vague de mise en exploitation. Les prospections aériennes et les fouilles l’ont montré : ces fermes ont été édifiées le plus souvent à proximité de chemins qui, pour certains, remontent à l’âge du Bronze (Leroux, Le Goff 2018 : 563), pour d’autres au premier âge du Fer. Elles s’installent le plus souvent sur des terrains bien drainés, au sommet ou au rebord des plateaux, et dominent des thalwegs conduisant aux ruisseaux. Lorsque des limites parcellaires ont été observées, ce qui est rarement le cas, il s’agit de tracés longs de quelques centaines de mètres menant parfois vers ces thalwegs, des haies ou des talus servant probablement, parfois le long d’un chemin, à faciliter le guidage des troupeaux. Cela ne veut pas dire que toutes ces exploitations étaient principalement dédiées à l’élevage ; juste qu’aucun champ ne semble alors avoir été enclos de manière pérenne, de manière à protéger les cultures. L’ensemble du stockage des denrées agricoles semble s’effectuer au sein de l’exploitation dans des structures souterraines ou semi-enterrées, parfois aussi dans des greniers comme ceux qui ont été retrouvés le long des chemins dans l’habitat de Kermat à Inzinzac-Lochrist dans le Morbihan (Le Gall 2017 : 283). Les volumes entreposés semblent en cohérence avec l’ampleur de l’habitat.
6Ce semis assez lâche de fermes plus ou moins riches semble constituer l’essentiel du peuplement. Dans l’Ouest de la France, on ne connait en effet aucune « résidence princière », comme celles de Vix en Saône-et-Loire ou de Bourges dans le Cher ; aucun habitat groupé couvrant plusieurs hectares, comme celui de Bragny-sur-Saône, également en Saône-et-Loire. On observe bien un premier phénomène de développement urbain à cette époque, sous le contrôle de la haute aristocratie, mais il semble restreint à une petite partie de l’Europe occidentale, située au nord-ouest des Alpes. Le seul site, étonnant, qui montre une agglomération de bâtiments de cette période en Bretagne, est celui de Mez Notariou, à Ouessant dans le Finistère (Le Bihan, Villard 2001). Toutefois, par leur plan et l’espacement réduit de leurs poteaux profondément fondés, les constructions évoquent plus des greniers que des maisons. L’étude du site de La Campagne à Basly (Calvados) montre également la présence à cette période, en Normandie et vraisemblablement ailleurs dans l’Ouest de la France, de petites forteresses de hauteur, enceintes de contour ou éperons barrés comme à Basly, occupées durant la fin du premier et le début du second âge du Fer (San Juan 2009). Il pourrait s’agir de résidences de l’aristocratie (Marcigny 1999 : 98).
7À la fin du ve s. ou durant la première moitié du ive s. av. J.-C., la plupart des habitats dispersés fondés durant la seconde moitié du vie s. sont abandonnés dans l’Ouest de la France, y compris certains sites d’importance comme celui de Courseulles-sur-Mer dans le Calvados (Jahier 2011). Ce phénomène est moins net en Bretagne où, même si un grand nombre de sites sont désertés, comme à Inzinzac-Lochrist, d’autres subsistent, comme à Paule ou Plouër-sur-Rance. Ils semblent toutefois stagner, sans réorganisation ni agrandissement d’ampleur. On note également l’abandon, vers la fin du ve s., de la plupart des nécropoles familiales, même lorsque l’habitat perdure à côté. Cette période est donc marquée par d’importants bouleversements.
8Dès le début du iiie s., et de manière accentuée au cours du iie s., on assiste à nouveau à la fondation de multiples exploitations rurales –quasiment toutes encloses cette fois– et au développement conséquent des exploitations anciennes là où elles ont pu se maintenir. Lorsque certains finages ont pu être étudiés sur des superficies suffisantes, par des sondages comme sur le plateau de Thaon (San Juan et al. 1999) ou dans le cadre de vastes opérations préventives portant sur quelques dizaines ou centaines d’hectares, autour des villes de Caen, de Rennes et de Quimper, il est apparu que les fondations de ces nouvelles exploitations s’étaient faites par « bourgeonnement » autour des premières, fondées soit dès le vie s. pour celles qui s’étaient maintenues, soit au début du iiie s. [fig. 334]. Il pourrait donc s’agir de sites satellites entourant un noyau d’origine. Dans un premier temps, le maillage des satellites est encore assez lâche, avec des distances relativement grandes, 500 m minimum, parfois plusieurs kilomètres, comme lors de la phase initiale de développement de l’habitat. Mais, assez rapidement, il devient dense du fait de ces « bourgeonnements », avec des distances n’excédant pas quelques centaines de mètres dans les secteurs les plus fertiles, comme dans la plaine de Caen, sur le plateau du Braden à Quimper, ou encore à Corps-Nuds, Châteaugiron ou Bourgbarré, autour de Rennes (Menez, Lorho 2013 : 172). À la fin du iie ou au début du ier s. av. J.-C., certains de ces finages ne devaient pas excéder quelques dizaines d’hectares dans les zones les plus densément occupées, d’après les données des prospections aériennes confirmées par les sondages et les fouilles.

FIG. 334. Région de Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan). Évocation de ce qu’a pu être le développement de l’habitat enclos en Bretagne entre le VIe et le Ier s. av. J.-C., sur un fond topographique localisant les enclos, parcellaires et chemins attribuables au second âge du Fer et à l’Antiquité. Les enclos n’ont été ni sondés ni fouillés, mais le tracé de leur clôture, est cohérent avec ce que l’on connaît de l’évolution morphogénique de ces habitats. Région de Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan).
The Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan) region. Rendering of what could have been the development of the enclosed settlement in Brittany between the 6th and 1st c. BC, on a topographic background localizing the enclosures, land plots and roads attributable to the Second Iron Age and Antiquity. The enclosures have not been tested or excavated, but the line of their enclosure is coherent with what we know about the morphogenic evolution of these settlements.
Dessin M. Gautier, S. Jean.
9À l’issue de de ce processus, le paysage agraire est celui d’un réseau d’établissements divers (avec une préférence marquée toutefois pour les plans quadrangulaires), qui vont de la modeste ferme de 1 300 m2, comme à Augan (Hinguant et al. 1998), jusqu’à l’imposante résidence aristocratique comme à Paule. Ces habitats sont reliés par un réseau dense et bien entretenu de chemins et de voies ; ils s’entourent d’un parcellaire délimité par des clôtures pérennes, installées le plus souvent de façon concentrique mais aussi de façon plus concertée dans les zones de bassin ou de plaine où l’occupation est particulièrement dense. Les souterrains dédiés au stockage disparaissent de la péninsule Bretonne ; aucun n’est creusé après le milieu du iiies., les derniers étant comblés un siècle plus tard. Ils restent un temps en usage en Normandie (Bossard et al. 2018 : 378). Quelques greniers subsistent dans ces établissements ruraux, mais le volume stocké est sans commune mesure avec celui que l’on imagine y être produit. Contrairement à ce qui se faisait auparavant, seules les quantités nécessaires aux semailles et à la consommation annuelle semblent désormais conservées sur place, les surplus étant entreposés ailleurs, peut-être sur des sites qui pourraient interprétés comme des places de marché, tel l’enclos de Rosquelfen à Laniscat (Roy 2009) selon une idée de Joseph Le Gall, ou dans des entrepôts comme ceux qui ont été découverts à Paule.
10En Bretagne, la plupart de ces habitats ruraux semblent abandonnés au cours de la seconde moitié du ier s. av. J.-C. (Menez, Lorho 2013 : 185), sans que pour autant les finages soient désertés. Les terres continuent en effet d’être cultivées, comme le montrent les parcellaires qui intègrent ou recoupent les tracés des anciennes exploitations. Les fouilles réalisées dans divers endroits de Bretagne le montrent, par exemple en Ille-et-Vilaine à Bourgbarré (Jemin, Lemée 2018) ou à Châteaugiron (Catteddu 2013) : il s’agit plutôt d’un phénomène de concentration des terres, une seule exploitation étant désormais en charge de finages autrefois exploités par plusieurs établissements. Il peut s’agir d’un ancien habitat mis au goût du jour, en réaménageant les clôtures et les bâtiments, ou d’un nouveau, fondé de toute pièce au cœur du finage. Le nombre d’exploitations est réduit drastiquement dans la péninsule Armoricaine : il semble divisé par cinq, si l’on en juge par les résultats des prospections aériennes, des sondages et des fouilles réalisés durant les dernières décennies.
12.2. La part du climat et des pratiques agricoles dans cette évolution
11Très tôt, alors que les données étaient tout juste suffisantes, l’influence de l’évolution climatique a été jugée prépondérante dans ces phases d’essor ou de rétraction de l’habitat dispersé dans les campagnes. En effet, « entre 720 et 620, le climat s’améliore, et la période qui s’étend entre 589 et 400 semble particulièrement chaude. Un refroidissement marque le demi-siècle suivant, puis la chaleur revient avec des crises ponctuelles aux iie et ier s. » (Buchsenschutz 2015 : 87). En Normandie, Cyril Marcigny relie également son étape 6 de l’évolution de l’habitat rural, qui se déroule entre 560 et 400 av. J.-C., à une amélioration du climat. Cette phase est caractérisée, comme en Bretagne, par un premier essor de l’habitat qui associe de vastes établissement enclos, comme celui de Courseulles-sur-Mer (Jahier 2011), à des établissements bien plus petits (Marcigny 1999 : 98 ; 110). À une péjoration du climat, durant le ive s., est corrélée une importante diminution du taux d’occupation du territoire. Il faut attendre la fin de ce siècle ou la première moitié du iiie pour voir réapparaître des établissements enclos, encore assez distants les uns des autres. Puis, durant l’étape 8, entre 250 et 30 av. J.-C., leur densité s’accroit notablement, ainsi que le réseau des chemins qui les desservent et le parcellaire qui s’y adosse. Cet essor sans précédent est corrélé à un optimum climatique, sans que les sites semblent désormais affectés par les péjorations de courte durée qui marquent pourtant la période (Marcigny 1999 : 107-108).
12Si l’évolution du climat a eu, à n’en pas douter, un impact sur les formes d’occupation du territoire, les conséquences du développement de l’outillage de fer ont certainement été au moins aussi importantes. Le nouveau métal, rare et onéreux dans un premier temps, remplace progressivement le bronze pour les armes entre le viiie et le vie s. av. J.-C., puis les outils. Ces derniers, rarement retrouvés dans les habitats de la période vie-ive s. car le métal devait en être systématiquement recyclé, deviennent plus abondants durant les trois derniers siècles avant notre ère. « L’usage du fer est, selon les agronomes, essentiel sinon indispensable pour développer une agriculture permanente. C’est l’un des éléments qui conduit à séparer forêt, pâturages et champs cultivés. En l’absence d’outils de défrichement performants, la forêt ou la friche est coupée et brûlée pour créer une parcelle cultivée de façon temporaire, rendue à sa destination primitive lorsque le sol commence à s’épuiser. La mobilité des champs est souvent associée à un habitat mobile. Le développement de l’emploi des haches, des socs, puis des faux en fer contribue à séparer les champs, la forêt et les prairies de fauche et à développer l’habitat permanent et la propriété privée du sol […]. Cette évolution technique marque un tournant dans l’évolution des pratiques agricoles, qui modifie durablement l’organisation de l’habitat et de la société. L’Europe tempérée adopte un système d’exploitation du milieu qui fige les terroirs. La rotation des cultures et l’utilisation du fumier animal ou végétal, très difficiles à mettre directement en évidence par l’archéologie, vont de pair avec cette option. Pour des siècles, la propriété rurale familiale devient la base du système économique et social […] » (Buchsenschutz 2007 : 30-31). L’objectif est désormais, avec ces nouveaux outils, d’améliorer les terroirs par un travail constant et non plus de se déplacer dès qu’ils sont épuisés (Menez, Lorho 2013 : 189).
13On peut distinguer deux phases dans ce nouveau rapport à la terre. Lors de la première, durant la seconde moitié du vie et le ve s., l’élevage semble prendre une place importante dans une partie significative des exploitations, si l’on en juge par leur implantation à proximité de points d’eau, dans des zones qui ne présentent pas toujours des conditions très favorables à la culture des céréales, comme à Paule ; du fait également de l’absence de parcellaire sur des finages que l’on imagine très vastes. Sur certaines exploitations il se pratique cependant, sur les terrains favorables, une culture de céréales ou de légumineuses. C’est le cas à Inzinzac-Lochrist/Kermat (Le Gall 2017) qui, à la différence de la plupart des sites, abrite de nombreux greniers. D’après les premières études effectuées par Elsa Neveu (Le Gall 2017 : 260) sur les carporestes qui y ont été retrouvés, les principales espèces cultivées étaient le millet et le blé amidonnier. Selon cette carpologue, la culture du millet s’avère particulièrement intéressante « dans le cas d’années plus difficiles, où les rendements des cultures principales de blé ou d’orge sont plus faibles. Lors de mauvaises années, l’exploitation de millet aurait pu permettre aux agriculteurs de palier aux productions moindres des autres céréales mises en cultures dans le nord-ouest de la France. […] Le millet a pu aussi être apprécié pour sa capacité de conservation sur le long terme ». Comme l’a montré Véronique Zech-Matterne (Malrain et al. 2006 : 52), la méture est alors abondamment pratiquée, afin de pallier aux aléas climatiques et aux mauvaises récoltes. Le système agraire privilégie alors la polyculture et l’élevage, afin de limiter les risques, chaque exploitation ne pouvant compter que sur ses propres productions, entreposées sur place, pour se nourrir durant l’hiver. Les petites exploitations disposent de peu de réserves ; les plus importantes, comme Paule ou Courseulles, de nourriture en abondance.
14La péjoration climatique du ive s. av. J.-C. semble avoir été fatale à ces exploitations, abandonnées pour la plupart (Brun, Ruby 2008 : 55). Quelques sites ont néanmoins perduré en Bretagne ; la douceur du climat océanique, qui caractérise cette région bordée sur trois côtés par la mer, a pu pondérer les sécheresses estivales ou les gels hivernaux.
15Avec l’amélioration progressive du climat, dès le iiie s., le processus de fondation reprend, et dans un premier temps les exploitations retrouvent une densité proche de la phase antérieure. Puis, au cours du iie s., le phénomène s’amplifie rapidement et l’occupation du territoire atteint sa densité maximale au début du ier s. Mais le système agraire a changé. Il semblerait que les établissements se soient progressivement « spécialisés » dans l’élevage ou l’agriculture, cette dernière devenant probablement majoritaire si l’on en juge par le développement d’un parcellaire autour des exploitations, qui sont désormais bien plus proches les unes des autres et sont desservies par un réseau dense de chemins. « L’orge et l’amidonnier sont désormais cultivés à grande échelle, tandis que le millet […] est délaissé. La méture […] est abandonnée progressivement […] au profit de parcelles ou une seule espèce est cultivée, ce qui correspond à une volonté de dégager des surplus destinés soit à des agglomérations ouvertes ou des oppida, soit à l’exportation […] » (Baray 2016 : 302-303).
12.3. Les fossés, cicatrices de réformes agraires ? L’exemple de Rome
16Les vestiges antérieurs au vie s. évoquent bien, par leur fugacité, le modèle d’une agriculture cyclique où de petites exploitations constituées d’une maison et de ses annexes se déplacent à l’intérieur d’un territoire (Van den Bosche et al. 2009 : 63). Ce système évoque la société « primitive » des Germains décrite par César (BG, VI, 22) qu’il oppose à celle des Gaulois du ier s. av. J.-C. : « Personne ne possède en propre une étendue fixe de terrain, un domaine. Mais les magistrats et les chefs de cantons attribuent pour une année aux clans et aux groupes de parents vivant ensemble une terre dont ils fixent à leur gré l’étendue ou l’emplacement. L’année suivante, ils les forcent à aller ailleurs. Ils donnent plusieurs raisons à cet usage : crainte qu’ils ne prennent goût à la vie sédentaire et ne négligent la guerre pour l’agriculture ; qu’ils ne se préoccupent trop de se protéger du froid et de la chaleur en bâtissant des demeures confortables ; que ne naisse l’amour de l’argent, source de divisions et de querelles ; désir enfin de contenir le peuple de l’envie, chacun se voyant, pour la fortune, l’égal des plus puissants ». Tacite (La Germanie, XXVI, 2) nous confirme que les « sols cultivables sont tour à tour réquisitionnés pour l’ensemble des cultivateurs en fonction de leur nombre. Ensuite on les attribue compte-tenu du rang social de chacun ». Cette évocation destinée à un public romain est certainement, nous le verrons plus loin, influencée par les conflits agraires de la République romaine. Elle illustre bien néanmoins l’opposition entre un monde ancien, où la terre était une propriété collective, et la Gaule du ier s. av. J.-C. où, comme le conquérant a pu le constater, la terre est exploitée par une multitude d’établissements agricoles durablement installés sur leur finage. Cette situation archaïque rappelle également celle des Romains en des temps évoqués comme anciens dans les Douze Tables, qui furent gravées entre 451 et 449 av. J.‑C. et détruites lors du pillage de Rome par les Gaulois en 390 av. J.-C. Par Pline « nous apprenons que les Romains des premiers temps ne possédaient pas en toute propriété les terres qu’ils exploitaient : la plus grande partie était soumise à des partages périodiques. Seuls deux jugères, soit un demi-hectare environ, étaient concédés à chacun des membres de la famille qui avait droit de les enclore » (Grimal 1981 : 191).
17Les prospections aériennes effectuées depuis plusieurs décennies en Bretagnes sont formelles : la moitié des 4 000 établissements agricoles dont le tracé des clôtures a été détecté d’avion sont attribuables à la période comprise entre le vie et le ier s. av. J.-C. Le fait est confirmé par les nombreux sondages et fouilles réalisés principalement dans le cadre de l’archéologie préventive. Les exploitations antiques sont cinq fois moins nombreuses, en Bretagne comme dans les Pays de la Loire (Le Goff 2013 : 217), et les exploitations médiévales se dissimulent pour partie dans le tissu rural moderne. Les milliers de fossés qui parsèment en palimpseste la campagne bretonne, le plus souvent sans concordance avec les limites parcellaires modernes, constituent donc bien les cicatrices d’une évolution majeure dans le rapport à la terre, particulièrement marquée durant les trois derniers siècles qui ont précédé notre ère. J’ai proposé d’y voir les traces archéologiques d’importantes réformes agraires, contemporaines de celles de la République romaine (Menez, Lorho 2013 : 188-191).
18Les données désormais accumulées par l’archéologie permettent en effet de montrer que cette évolution s’est faite, dans l’Ouest de la France, sous la forme des deux vagues successives de fondation d’exploitations agricoles que nous venons de décrire, entre la seconde moitié du vie et le ier s. av. J.-C. Cette période est marquée, en Italie, par l’aliénation progressive de l’ager publicus, l’ensemble des terres appartenant au peuple romain, par usucapion, vente ou assignation au profit de colonies ou de simples particuliers. Afin de tenter de réguler cette évolution fondamentale dans le rapport à la terre, source de tensions sociales, huit propositions de lois ont été élaborées entre le ve et le ier s. av. J.-C. La plus connue, celle qui fut déposée en -133 par Tiberius Sempronius Gracchus, stipulait qu’aucun citoyen ne pouvait exploiter plus de 500 jugères (125 ha), et plus de 1 000 jugères s’il avait deux fils. Elle interdisait également de faire paître sur les pâturages publics plus de 100 têtes de gros bétail, ou plus de 500 de petit bétail. L’objectif était de permettre à des citoyens pauvres de disposer de terres pour de petites exploitations d’une trentaine de jugères, soit 7,5 ha. L’oligarchie romaine a fait en sorte que ces lois ne soient pas votées ou appliquées. Ces projets de lois illustrent bien, néanmoins, les conflits générés par ce nouveau rapport à la terre, durant la République romaine, et l’implication de l’aristocratie dans cette appropriation progressive du foncier (Nicolet 1967 : 130-131).
19Si les textes nous manquent bien évidemment pour retracer en Gaule l’histoire de cette appropriation par usucapion, location ou acquisition d’espaces autrefois indivis et de propriété collective, les traces archéologiques sont là pour attester de sa réalité. Partout où cela s’est produit, cette modification dans le rapport à la terre a toujours généré des conflits, dans la mesure où elle avantageait certaines familles placées à la tête d’un domaine qu’elles n’ont cessé de bonifier, et désavantageait la majeure partie de la population qui voyait les terres accessibles se réduire, sans pouvoir désormais y faire pâturer ses bêtes ou y cultiver un lopin. La « crise » du ive s. av. J.-C., marquée par l’abandon d’exploitations fondées plus d’un siècle auparavant, n’est donc pas forcément que climatique. Elle résulte peut-être également de tensions sociales.
12.4. Les solidarités familiales
20Ce peuplement dispersé, que l’on constate sur le terrain, reflète nécessairement les systèmes de parenté et les réseaux familiaux. Il est donc essentiel de réfléchir, à partir des maigres données que nous fournissent l’archéologie ou les textes, sur la structuration de la société, pour mieux comprendre l’évolution observée dans les paysages.
- 2 César, BG, VI, 15, 2 : « Ils [les equites] proportionnent à l’éclat de leur naissance et de leurs r (...)
21À en juger par la prédominance de l’habitat dispersé, composé d’une maison –ou plus rarement de deux– et de ses annexes, la cellule sociale élémentaire est la famille qui possède cette unité d’exploitation. Il ne s’agit pas pour autant nécessairement d’une famille nucléaire, composée uniquement d’un homme, de son épouse et de leurs enfants. Comme la familia romaine, elle doit regrouper l’ensemble des personnes qui vivaient au sein de ces habitats, d’une superficie comprise entre 1 500 et 80 000 m2 : la famille nucléaire certainement, mais aussi vraisemblablement d’autres parents, frères, sœurs ou grands-parents, agnats ou cognats, ainsi que les personnes travaillant sur le domaine, librement ou comme esclaves. La famille pouvait être d’autant plus large que l’habitat était vaste et comportait de bâtiments, ou qu’elle possédait plusieurs de ces exploitations. Elle devait englober également les débiteurs et les clients de ces familles, mentionnés par les auteurs comme un important vecteur de pouvoir2. Le pouvoir du chef de famille semble très grand. Selon César, « les hommes ont […] droit de vie et de mort sur leurs femmes comme sur leurs enfants ; et, quand meurt un père de famille issu d’une lignée illustre, ses proches se rassemblent et, s’il y a un doute sur la cause de la mort, ils mènent une enquête auprès des épouses comme il le font avec les esclaves ; si on est convaincu de leur culpabilité, on les met à mort par le feu après les avoir suppliciées dans toutes sortes de tortures » (BG, VI, 19).
22Mais ces familles, même élargies, participaient d’un système d’appartenance bien plus vaste qui reliait les exploitations entre elles. Fondé sur la parenté et le souvenir d’ancêtres communs dont la mémoire était entretenue, il unissait chaque individu aux autres par des liens de parenté bien établis. Pour la plupart des familles qui ne conservaient le souvenir que de leurs grands-parents, il se réduisait à quelques dizaines d’individus, mais il pouvait en compter des centaines pour les familles qui investissaient dans cette mémoire, principalement celles de l’aristocratie. Ces liens de parenté et de clientèle se construisaient, pour les plus importants lignages, de génération en génération, en édifiant peu à peu un important réseau de fidélité, mobilisable dans les moments difficiles comme au quotidien.
23Et ces lignages participaient eux même d’un groupe bien plus vaste, le clan ou la gens, pour reprendre le terme latin, faisant référence à des ancêtres communs mythiques, bien plus hypothétiques mais fondant néanmoins une identité collective entretenue par quelque cérémonie et des usages communs. Ces clans pouvaient réunir un grand nombre de personnes de conditions très diverses : celui qui accompagne l’Helvète Orgétorix à son procès réunit 10 000 hommes, clients et débiteurs compris (BG, I, 4). Dans une telle société, l’homme isolé ne peut rien. Ce sont le lignage et le clan qui réussissent ou échouent ; les personnes modestes en attendent une protection et des secours ; les personnages les plus influents, un surcroît de puissance.
24Les rares sources qui nous sont parvenues ne nous permettent pas d’aller plus loin. Les structures de la parenté ont de surcroît pu varier, d’un peuple à l’autre et au cours du temps. Il nous est donc impossible de savoir si ces familles étaient patrilinéaires ou matrilinéaires, voire avunculaires (Lewuillon 1999 : 100-102), ni de connaître les règles présidant aux mariages ou aux héritages que nous aurions pourtant aimé connaître, du fait de la complexité que l’on devine de ces sociétés. Tout au plus sait-on que « les hommes, en se mariant mettent en communauté une part de leurs biens équivalente, après estimation, à la somme d’argent apportée en dot par les femmes. On fait de ce capital un compte unique, et les intérêts sont mis de côté ; le conjoint survivant reçoit l’une et l’autre part, avec les revenus accumulés » (BG, VI, 19). Les Gaulois dotant leurs filles, on peut imaginer que, comme les Grecs et les Romains, les garçons seuls héritaient des terres (Wolff 2017 : 63). À en juger par la stabilité des habitats, occupés des générations durant, les règles de transmission devaient être bien établies et éviter un trop grand morcellement des domaines, même si aucun texte ne nous permet d’en connaître les modalités.
12.5. La formation d’un système agraire : agglomérations et marchés
25Dès le iiie s. av. J.-C., ce réseau d’habitat dispersé semble polarisé autour de points remarquables du paysage, notamment les gués et les carrefours où s’implantent des sanctuaires et des résidences majeures qui, la fouille de Paule l’a montré, pouvaient même prendre des airs de forteresse. Durant les iie et ier siècles av. J.-C., des habitats groupés sont fondés à proximité des voies majeures, en plaine ou sur des hauteurs, s’abritant parfois derrière une ou plusieurs lignes de remparts. Leur superficie peut aller de quelques hectares à plusieurs dizaines d’hectares, 135 pour le site le plus vaste actuellement connu dans l’Ouest : l’enceinte du Mesnil à Moulay, en Mayenne. Certaines de ces agglomérations semblent édifiées ex nihilo, sur un emplacement apte à accueillir de nombreuses habitations et des ateliers artisanaux, par exemple au point de franchissement d’une rivière par une voie, comme c’est le cas du site de Kergolvez à Quimper (Le Goff 2018 ; Leroux, Le Goff 2018 : 569). D’autres se développent à partir d’un noyau, constitué par un petit habitat groupé antérieur, un sanctuaire ou une résidence de haute aristocratie. Il est possible que le phénomène affecte aussi certains habitats enclos de moindre importance. C’est le cas, pour prendre un exemple extrarégional, sur le site du Pâtural à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, qui voit la naissance d’un hameau à proximité d’une résidence de la petite aristocratie (Deberge et al. 2007).
26Tout ceci n’a pu s’envisager qu’avec la mise en place d’un réseau de voies dense, bien entretenu et sécurisé, depuis le chemin rural facilitant l’accès aux champs et aux autres fermes jusqu’à la voie majeure traversant la péninsule Armoricaine. Pour ce faire, un peu partout comme à Paule, des fossés bordiers permettant l’écoulement des eaux pluviales ont été creusés et des petites carrières ouvertes, afin d’extraire les matériaux utilisés pour la constitution et l’entretien de ces voies (Leroux, Le Goff 2018).
27En Bretagne, il semble possible d’envisager qu’il ait existé un réseau assez dense de petites bourgades, d’une superficie d’une dizaine d’hectares, la plupart non remparées, ce qui expliquerait qu’elles n’aient laissé presque aucune trace dans nos paysages. Les sondages réalisés en 1976 par Jean‑Pierre Bardel à Saint-Brandan (Bardel 1977) ont ainsi montré la présence le long de la voie, sous une agglomération romaine située à mi-chemin entre les enceintes de Paule et de Trégueux, de vestiges gaulois pouvant attester une origine plus ancienne de cette bourgade. Une distance de l’ordre de 20 à 25 km entre chacune de ces petites agglomérations pourrait donc être la norme. Comme pour l’habitat dispersé, le nombre de ces sites aurait été réduit drastiquement (il aurait été divisé par cinq) quelques décennies après la Conquête. Cela expliquerait l’abandon des agglomérations gauloises fouillées à Paule, Trégueux et sur le site de Kergolvez à Quimper, et le maillage bien plus large des agglomérations antiques dans l’Ouest (Monteil 2007 : 76).
28La place de l’artisanat au sein de ces agglomérations, notamment les plus vastes, a été depuis longtemps reconnue ; elle semble plus faible en Bretagne, hormis dans l’agglomération de Kergolvez à Quimper (Le Goff 2018). À Paule et à Trégueux, les quartiers artisanaux se situent peut-être ailleurs sur le site, probablement près des voies ou des portes. Certains édifices de Paule témoignent que ces agglomérations assumaient d’autres fonctions, jusqu’ici rarement identifiées mais qui semblent essentielles néanmoins. Les premiers sont les entrepôts édifiés dès la phase 4 –durant la première moitié du iie s.– puis agrandis ou réaménagés –durant la phase 5 –à la fin du iie s. ou au début du ier s. av. J.-C., à une époque durant laquelle les structures de stockage des récoltes deviennent rares sur les habitats ruraux, alors que la campagne apparaît comme densément occupée et productive. Frédéric Gransar (2002a : 16) a émis l’hypothèse que ces entrepôts, par leurs dimensions, s’apparentaient aux horrea, les vastes greniers publics et militaires de la période romaine. La fouille de Paule lui a donné raison. Sans être gigantesques, ils surclassent tous les édifices de stockage identifiés dans les habitats ruraux et soutiennent la comparaison avec les horrea antiques ou les granges monastiques médiévales. Des batteries de greniers ou de fosses de stockage existent bien ailleurs, sur quelques habitats enclos ou des sites identifiés comme tels (Bossard et al. 2018 : 380), par exemple à Laniscat même si on pense aujourd’hui que cet enclos, traversé de part en part par une voie majeure, abritait en fait une place de marché. Ils peuvent constituer une première étape de concentration des récoltes dans le l’espace rural, avant leur transfert sur les agglomérations. On pense à des réserves de grains surtout, pour ces édifices ventilés et asséchés par un vide sanitaire ; mais il n’est pas exclu que d’autres denrées y aient été stockées, comme des légumes secs, de la viande séchée, de la graisse ou bien d’autres produits. Ces réserves étaient comptées et pesées [fig. 140], puis soigneusement gardées à l’abri des voleurs ou des rongeurs dans des enclos spécifiquement édifiés dans l’enceinte. Comme les horrea romains, ils apparaissent comme des édifices publics dont l’usage n’est certainement pas restreint aux productions du finage de Paule, dont les terres sont peu propices à la culture des céréales, mais plus probablement aux prélèvements fiscaux effectués sur le territoire alentour. Ceci permettait de constituer des stocks utilisables pour l’approvisionnement des troupes en cas de conflit, mais aussi pour aider les populations en cas de disette ; peut-être également pour assurer la conservation de récoltes privées, moyennant un prélèvement. À Rome, la notion d’horreum publicum (le terme venant selon toute probabilité de hordeum, qui signifie « orge »), « naît avec l’institution des distributions frumentaires gratuites, due à C. Gracchus, dans le dernier quart du iie s. av. J.-C. » (Gros 1996 : 465). Les horrea militaires sont plus anciens puisque, dès le début du iiie s. av. J.-C., on en connait à Pergame. Les mieux étudiés sont ceux des camps du limes (Reddé 2007 : 111-113). Ces entrepôts parfaitement construits donnent un caractère très particulier au site de Paule.
29Le second édifice sur lequel je voudrais attirer à nouveau l’attention est le grand bâtiment à trois corps dont l’un abritait vraisemblablement une écurie. Édifié en contrebas de la résidence à la phase 4, durant le deuxième quart du iie s. av. J.-C., il n’avait aucun équivalent en Gaule lorsqu’il a été découvert en 1991. Les choses ont un peu changé depuis (cf. supra, § 9.3.2). Parmi les quelques édifices comparables connus aujourd’hui, certains comportent quatre corps, comme à Trégueux, Bibracte, Thésy‑Glimont ou Corent (Barral et al. 2018 : 505-507) [fig. 335 : 1-6]. Ceux dont le plan est le moins régulier semblent être les plus anciens. Les édifices de plan carré sont plus tardifs : fin du iie s. pour Corent ou Trégueux ; 70-60 av. J.-C. pour Bibracte. Tous connaissent plusieurs phases de réfection. On s’accorde à y voir des bâtiments à usage collectif, vraisemblablement publics, du fait des lieux où ils sont implantés : près d’une résidence de l’élite à Paule, Cholet ou Trégueux, ou au sein de puissantes agglomérations pour Bibracte ou Corent. Installés à proximité de voies majeures, ils sont dotés d’un, ou le plus souvent de deux accès bien contrôlés disposés en vis-à-vis. À Thésy-Glimont comme à Trégueux, ils sont de plus protégés par un fossé, celui-ci étant doublé d’une palissade ou d’un talus à petites « ailes rentrantes », qui draine l’arrière des bâtiments et magnifie l’entrée. Des hypothèses variées ont été proposées quant à leur usage : la présence d’une écurie permet de penser qu’à Paule il s’agit d’une dépendance de la résidence ; celle de fragments d’armes à Corent ou Thésy-Glimont, d’un sanctuaire. Le plus sage serait donc de considérer qu’un même plan a pu être dévolu à divers usages.

FIG. 335. Mise en parallèle des édifices gaulois composés de plusieurs corps de bâtiment encadrant une cour avec des macella romains : 1 Bibracte / PC 15, état 1 (Saône-et-Loire) ; 2 Thésy-Glimont / Les Vergnes ; 3 Trégueux / LaVille Pollo (Côtes-d’Armor) ; 4 Paule / Le Camp de Saint-Symphorien, phase 4 (Côtes-d’Armor) ; 5 Corent / Puy-de-Corent (Puy-de-Dôme) ; 6 Le Puy-Saint-Bonnet / Les Natteries ; 7 Pompéi (Campanie, Italie) ; 8 Leptis Magna (Al Mourqoub, Lybie) ; 9 Pouzzoles (Campanie, Italie).
Comparison of the Gallic edifices composed of several buildings framing a courtyard with Roman macella : 1 Bibracte/PC 15, State 1 (Saône-et-Loire) ; 2 Thésy-Glimont / Les Vergnes ; 3 Trégueux/ LaVille Pollo (Côtes-d’Armor) ; 4 Paule / Le Camp de Saint-Symphorien, Phase 4 (Côtes-d’Armor) ; 5 Corent / Puy-de-Corent (Puy-de-Dôme) ; 6 LePuy-Saint-Bonnet / Les Natteries ; 7 Pompei (Campania, Italy) ; 8 Leptis Magna (Al Mourqoub, Lybia) ; 9 Pozzuoli (Campania, Italy).
D’après Barral (2018, fig.11) et Gros (2016 : fig. 516).
30Pourtant, à ne considérer que les caractéristiques architecturales et l’implantation de ces édifices, la comparaison qui vient à l’esprit est celle des macella romains, mentionnés à Rome pour la première fois par Plaute vers la fin du iiie ou le début du iie s. av. J.-C., lesquels étaient vraisemblablement constitués d’un simple enclos à l’origine, à l’intérieur duquel se répartissaient boutiques permanentes et étals temporaires. Ils sont connus dès le ive s. av. J.-C. dans le monde grec, par exemple à Milet, ancienne cité grecque d’Ionie où le marché « présente déjà l’aspect accompli d’une place carrée entourée de portiques derrières lesquels s’ouvrent des boutiques » (Gros 1996 : 450-451). Un autre élément essentiel du marché républicain, à Rome, est la tholos, pavillon ou kiosque, parfois double comme à Leptis Magna, qui ornait la cour centrale, et pouvait abriter une fontaine, une statue ou des étals comme à Pouzzoles, Pompéi ou Leptis Magna (Gros 1996 : 458) [fig. 335 : 7-9]. L’édifice central dont les traces ont été retrouvées à Trégueux, en partie effacées à l’ouest par le creusement d’un fossé moderne, évoque ce type de kiosque, comme peut-être les deux édifices quadrangulaires dans la cour de Corent. Les remaniements observés dans la plupart de ces constructions, avec des reprises en sous-œuvre, peuvent résulter de la construction d’un étage, fréquent dans les macella grecs et romains. Les multiples trous de poteau alignés dans la partie orientale de la cour de l’édifice de Bibracte pourraient résulter de la construction d’étals lors des marchés. Les vastes halles qui précédent, au Titelberg, ou succèdent, à Bibracte, à ces constructions à quadriportiques ne sont pas sans évoquer, quant à elles, les cohues médiévales ; elles auraient pu avoir le même usage, avec des dispositifs architecturaux différents de ceux des macella. Les places bien drainées au centre desquelles elles sont édifiées étaient adaptées à la tenue de marchés, ou de foires pour les plus vastes.
31Ces ressemblances dans l’architecture ne doivent pas faire oublier certaines dissemblances notées dans l’utilisation de ces espaces sur les différents sites. La probable écurie de Paule constitue, à ce jour, une exception. Elle a pu accueillir une dizaine de chevaux de la résidence. Sa présence n’est pas incompatible toutefois avec la tenue de marchés dans l’édifice à trois corps. La Bretagne comme la Normandie sont connues pour la qualité de leurs élevages équestres et les foires aux chevaux y étaient nombreuses jusqu’à l’apparition des tracteurs. Ce corps de bâtiment a pu, le cas échéant, être libéré pour la vente de bétail lorsque c’était nécessaire. L’absence de monnaies perdues n’étonne pas sur ce site, pas plus qu’à Trégueux, la monnaie n’étant pas utilisée –dans cette région et à cette époque– pour les échanges du quotidien (cf. supra, § 8.3.5). Leur abondance à Bibracte, notamment dans les rues entourant l’édifice, serait cohérente avec l’hypothèse du marché, sur un site à l’économie monétaire développée. Le fouilleur l’explique par un usage systématique du détecteur de métaux, pourtant utilisé ailleurs sur le site (Barral et al. 2018 : 506). La présence de fragments d’armes à Thésy-Glimont, et même des vestiges d’un trophée à Corent, a orienté l’interprétation vers un sanctuaire, le parallèle étant fait avec les armes retrouvées dans le sanctuaire de Gournay-sur-Aronde (Brunaux etal. 1985). Mais d’autres lieux livrent également les vestiges de telles panoplies, comme certains habitats ruraux présumés de l’élite, avec la possible présence de trophées sur les porches d’entrée ou sur d’autres bâtiments. L’exemple des marchés antiques, médiévaux ou modernes nous montre que, loin d’être des lieux exclusivement réservés aux échanges de marchandises, ils intègrent parfois de petits lieux de culte –comme à Pompéi– ou des salles dédiées aux assemblées –comme dans les cohues médiévales– qui étaient utilisées notamment lors des jours de justice seigneuriale (Meyer-Sablé, Le Corre 2008 : 30).
32Si l’hypothèse du marché est exacte, les bâtiments à caractère public construits lors des phases 4 et 5 dans la vaste basse-cour de Paule devraient y être rattachés. Ils seraient un rouage essentiel au fonctionnement d’une économie d’échange au sein d’un système agraire organisé en réseau. Ils traduiraient donc, par leur monumentalité, la possibilité pour les exploitations agricoles environnantes d’assurer la protection de leurs surplus et leur redistribution sur des lieux de consommation dotés de bâtiments adaptés. La grande enceinte de Paule, comme celle du Titelberg (Metzler-Sens 2016 : 403-419), abriterait alors un puissant dispositif d’échanges entre une petite bourgade et la campagne avoisinante. Au carrefour de trois voies majeures, elle pouvait également accueillir des négociants ou voyageurs itinérants qui, sous la protection du rempart et à l’abri des rigueurs climatiques et des pillards, pouvaient proposer des marchandises d’origine plus lointaine, comme le vin importé d’Italie et débarqué dans les ports de la façade atlantique.
33D’autres marchés ont probablement existé auparavant, dès le iiie s., sans être dotés de ces macella ou de ces halles. Il suffisait qu’une place se couvre d’étals, dans un lieu adéquat facilement accessible et doté d’un point d’eau pour abreuver les bêtes. Mais il semble bien que le iie et surtout le ier s. av. J.-C. soient marqués par la construction d’équipements spécifiques permettant aux denrées les plus fragiles, comme la viande de boucherie, le poisson ou les laitages, d’être abritées des intempéries. Des produits plus onéreux et susceptibles d’être volés, comme les tissus, la bijouterie ou l’outillage, ont pu également bénéficier de tels espaces contrôlés, qui garantissaient un niveau satisfaisant de sécurité. Les réfections fréquentes sont la norme dans ces installations régulièrement utilisées. Elles marquent le succès plus ou moins grand des lieux, et l’aptitude de leur commanditaire à les maintenir propres et fonctionnelles, voire à les agrandir et les embellir, notamment par la construction d’un étage. À certaines de ces places de marché devaient être adossées des structures de stockage pérennes, comme les ensembles de greniers de Laniscat ou les entrepôts de Paule, qui permettaient de conserver les denrées non périssables pour les écouler plus tard, au meilleur moment, en vendant à la population locale mais aussi à des marchands venant de plus loin.
34Le système agraire des deux derniers siècles avant notre ère, tel qu’il peut être imaginé d’après les données archéologiques aujourd’hui accumulées en Bretagne, comporterait donc un réseau assez dense de ces marchés, signes de l’insertion des campagnes dans une économie ouverte. Dans une société traditionnelle, où les déplacements se font à pied pour le plus grand nombre, et en attelage ou à cheval pour les plus aisés, « les parcours se situent entre 3,2 et 16,8 km, ce qui correspond à un trajet aller-retour dans la journée, sachant que le maximum d’activité des marchés se situe à la mi-journée. La moyenne se situe vers 9,1 km » (Gallay 2014 : 97). Au xviiie s. en Bretagne, pour prendre un exemple plus local, « le réseau de places marchandes avait été pensé pour qu’aucun hameau ne soit à plus de 10 km d’un marché » (Meyer-Sablé, le Corre 2008 : 50). Au-delà, les produits frais et les bêtes supportent mal le voyage, même en partant très tôt le matin. Les distances de l’ordre de 20 km observées entre les enceintes quadrangulaires, d’éperon barré ou de contour de l’âge du Fer connues autour de Paule [fig. 310b] pourraient donc correspondre en fait à celle de marchés d’importances variables placés, comme à Paule ou Trégueux, sous le contrôle de ces lieux de pouvoir [fig. 336].

FIG. 336. Modèle d’organisation du territoire d’une cité gauloise, tel qu’il peut être établi d’après les données accumulées en Bretagne : des enceintes de superficie et de forme diverses contrôlent le réseau viaire et vraisemblablement des marchés.
Organizational model of the region of a Gallic city, as it can be deducted according to the data accumulated in Brittany: enclosures of variable surface areas and shapes control the road network and probably the markets.
Dessin Y. Menez.
35Ce réseau de marchés locaux devait être complété par des foires proposant de manière moins régulière, durant quelques jours et à des périodes de l’année durant lesquelles le monde rural pouvait se déplacer, des biens plus facilement transportables : du bétail bien sûr, mais aussi des céréales voire de l’outillage, selon les productions des alentours. Seul le site du Titelberg semble pour le moment avoir livré des infrastructures caractéristiques, avec des couloirs rappelant ceux de certaines foires aux bestiaux et une importante activité de boucherie pour la vente au détail ou la consommation sur place (Metzler et al. 2016 : 312 ; 334).
36Ces lieux d’échange sont généralement contrôlés par une autorité garantissant la sécurité des transactions et des déplacements. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on découvre de tels lieux à proximité ou au cœur de certaines enceintes, dans des espaces protégés susceptibles d’accueillir la population des environs. Ce réseau pouvait être complété par des marchés locaux ne disposant pas forcément de ces infrastructures, implantés en des lieux facilement accessibles, près d’un carrefour de voies, d’un gué ou d’un pont.
12.6. Essor d’une aristocratie foncière
37Comment relier l’évolution constatée dans les campagnes à celle de la société, et quelle est la part de l’aristocratie dans tout cela ? Les sources antiques sont discrètes sur les liens entre entretenus par les aristocrates avec la terre. Aucune ne mentionne l’étendue de leurs domaines et les règles définies pour leur exploitation. Les multiples fouilles d’habitats et de leur environnement proche fournissent néanmoins quelques éléments de réponse à cette question.
38La phase d’implantation initiale d’un habitat dispersé pérenne, qui se place dans la seconde moitié du vie s et se poursuit durant tout le ve s., est caractérisée par la grande diversité de la taille des exploitations : de petites fermes qui s’agrandissent peu à peu, comme à Plouër-sur-Rance ou Inguiniel (Menez 1996 ; Tanguy 2000), côtoient des établissements bien plus imposants qui disposent dès l’origine de toutes les infrastructures nécessaires, comme Paule. Les distances entre ces établissements sont importantes, nous l’avons dit plus haut. Cela laisse imaginer des finages considérables de plusieurs centaines d’hectares, dont seule une petite partie pouvait être cultivée par les communautés de quelques dizaines de personnes tout au plus que l’on imagine vivre dans ces exploitations, le reste étant composé de pâtures, de landes, de taillis ou de bois. Le caractère aristocratique d’une partie de ces habitats est marqué –et c’est le cas à Paule– par l’ampleur des constructions et des édifices dédiés au stockage des productions agricoles, ainsi que par l’implantation, le long des chemins ou dans les parties les plus visibles du domaine, d’enclos funéraires dont la taille et la qualité de l’architecture, avec des tumuli parementés de moellons et des stèles de pierre parfois gravées, sont en accord avec celles de l’exploitation (Jahier et al. 2018 : 57). À côté existent probablement d’autres sites un peu plus imposants, comme l’éperon barré de Basly qui est interprété comme une résidence aristocratique dotée d’une nécropole familiale (San Juan, Le Goff 2003). Les autres habitats ne recèlent pas de signes visibles d’un statut particulier. Il peut s’agir de petites exploitations dirigées par des branches lignagères secondaires, ou bien par des clients. L’aristocratie se distingue donc, durant cette phase, principalement par l’ampleur de ses domaines, de ses nécropoles familiales, de ses maisons et des denrées entreposées dans l’exploitation. Dès cette période, il s’agit donc d’une aristocratie foncière, dont la richesse repose essentiellement sur la terre et sur la capacité de la famille à la gérer et la bonifier, avec l’aide de sa parentèle, de ses clients et de ses esclaves.
39La « crise » du ive s. marque une évolution fondamentale de cette société. L’outillage ne peut être en cause. Seul le climat, en affectant les récoltes et la survie du bétail, des épidémies ou des tensions sociales peuvent l’expliquer. Sans en connaître les raisons, probablement multiples, on peut constater que cette période est marquée par d’importantes migrations. Une solution pour « désarmer, au propre comme au figuré, les tensions internes reste l’expédition lointaine, la migration d’une partie de l’aristocratie et de sa clientèle » (Marion 2004 : 352).
40La seconde phase d’essor de cet habitat dispersé est d’abord discrète : dès la fin du ive ou le début du iiie s., un réseau de nouvelles implantations vient compléter celui des exploitations plus anciennes qui ont pu perdurer. Puis, au cours du iie s., il se produit une multiplication sans précédent, par « bourgeonnement » autour des premiers sites. Certains de ces établissements constituent manifestement le lieu de résidence principal d’une famille, celui où elle affichait son statut, et par conséquent le lieu privilégié des constructions, des réfections et des aménagements. D’autres semblent constituer des unités subordonnées. Il peut s’agir de dépendances, d’exploitations agricoles placées sous le contrôle d’habitats plus importants, voire de sites occupés de façon ponctuelle, au gré des activités et des saisons, pour consommer une partie des récoltes sur place ou exploiter un territoire de chasse. Dans ce cas, les travaux mis en œuvre ont été plus limités et les déchets rejetés et enfouis moins nombreux. Ce développement par « bourgeonnement » a pu être généré par l’attribution de certaines parties des vastes domaines des origines à des parents ou à des clients, qui ont ainsi pu contribuer à la mise en culture des finages et au développement des productions agricoles. Les anciens finages de plusieurs centaines d’hectares se sont trouvés de ce fait peu à peu réduits ; même si la terre restait propriété du lignage, elle était désormais morcelée en autant de familles qui y habitaient et les exploitaient.
41Notre étude l’a montré : au niveau national cette fois, car les données régionales ne sont pas statistiquement suffisantes, la part des résidences de cette période livrant les indices d’une présence aristocratique est réduite : 48 sur les 546 initialement prises en compte, soit moins de 9 %. Les autres prennent des allures d’exploitations agricoles ou de dépendances. Sur ces 48 sites, 21 présentent très peu d’indices : le plus souvent des armes, des amphores en plus grande quantité que d’habitude ou quelques monnaies en métal précieux. Seuls 27, soit 4,9 %, présentent des signes plus affirmés, notamment des vestiges de chars ou de harnachement, ainsi que des superficies ou des bâtiments hors du commun. Et, sur ces 27 habitats, 10 (1,8 %) se présentent comme des enceintes quadrangulaires aux clôtures monumentales. Bien évidemment, ces groupes ne sont pas étanches et, selon le moment où leur situation est considérée, certains sites pourraient être placés dans une autre catégorie. Paule le montre bien : lorsque l’on détaille l’histoire de chaque site, son ampleur et sa forme tout comme les déchets que l’on y recueille peuvent évoluer. Ce schéma d’analyse paraît assez bien rendre compte néanmoins, en l’état actuel des données, de la proportion des différents types de résidences élitaires au sein de l’habitat rural en Gaule, au moins dans sa partie septentrionale.
42Que nous disent les textes sur la question de la part constituée par l’élite dans la société ? Les données chiffrées sont rares. Franck Perrin, en extrapolant les données fournies par Tite-Live sur les Boïens d’Italie au tout début du iie s., estime l’élite de ce peuple à 10 000 individus, pour une population évaluée à 300 000 habitants dans une cité de 8 600 km2. Cela représente un peu plus de 3 % de la société, comprenant les chefs de famille, les « cavaliers et leurs commandants, le sénat tout entier, ceux qui avaient de l’aisance ou une position honorable, au nombre de plus de 1 500 » (Perrin, Decourt 2002 : 351). « Dans chaque cité, l’aristocratie aurait rassemblé quelques milliers d’individus, femmes et enfants compris, parmi lesquels quelques centaines de notables exerçant des magistratures au sein de systèmes oligarchiques » (Perrin 2003 : 357). On n’est donc pas si loin des 4,9 % des habitats interprétés ici comme des résidences de l’élite, même s’il est question d’habitats et non d’individus. Le second texte concerne plusieurs peuples dont la migration fut arrêtée à Bibracte en -58, au début de La Guerre des Gaules. Les tablettes –écrites en caractère grecs– furent apportées à César. « Elles contenaient la liste nominative des émigrants en état de porter les armes, et aussi une liste particulière des enfants, des vieillards et des femmes. Le total général était de 263 000 Helvètes, 36 000 Tulinges, 14 000 Latobices, 23 000 Rauraques, 32 000 Boïens ; ceux qui parmi eux pouvaient porter les armes étaient environ 92 000. En tout, c’était une population de 368 000 âmes » (BG, I, 29). Le nombre des personnes en capacité de porter une arme est donc estimée à un quart de la population. Il ne s’agit pas ici d’un statut social, mais d’une capacité à combattre.
43César nous dit également que « Partout en Gaule, il y a deux classes d’hommes qui comptent et sont considérés. Quant aux gens du peuple, ils ne sont guère traités autrement que des esclaves, ne pouvant se permettre aucune initiative, n’étant consultés sur rien. La plupart, quand ils se voient accablés de dettes, ou écrasés par l’impôt, ou en butte aux vexations des plus puissants qu’eux, se donnent à des nobles ; ceux-ci ont sur eux tous les droits qu’ont les maîtres sur leurs esclaves. Pour en revenir aux deux classes dont nous parlions, l’une est celle des druides, l’autre celle des chevaliers » (BG, VI, 13). Il précise plus loin que « Ceux-ci, quand il le faut, quand quelque guerre éclate (et avant l’arrivée de César cela arrivait à peu près chaque année, soit qu’ils prissent l’offensive, soit qu’ils eussent à se défendre), prennent tous part à la guerre, et chacun, selon sa naissance et sa fortune, a autour de soi un plus ou moins grand nombre d’ambacts et de clients. Ils ne connaissent pas d’autre signe du crédit et de la puissance » (BG, VI, 15).
44Des druides, nous savons en définitive peu de choses. Toujours selon César, ils « tranchent presque tous les conflits entre États ou entre particuliers et, si quelque crime a été commis, s’il y a eu meurtre, si un différend s’est élevé à propos d’héritage ou de délimitation, ce sont eux qui jugent, qui fixent les satisfactions à recevoir et à donner ; un particulier ou un peuple ne s’est-il pas conformé à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices. C’est chez les Gaulois la peine la plus grave… » (BG, VI, 13). Diodore de Sicile nous informe quant à lui que ce sont des philosophes et des théologiens (BH, V, 31) ; Strabon (Géogr., IV, 4) que, « Chez tous les peuples gaulois sans exception se retrouvent trois classes d’hommes qui sont l’objet d’honneurs extraordinaires, à savoir les bardes, les vatès et les druides ; les bardes, autrement dits les chantres sacrés, les vatès, autrement dits les devins qui président aux sacrifices et interrogent la nature, enfin les druides, qui, indépendamment de la physiologie ou philosophie naturelle, professent l’éthique ou philosophie morale. Ces derniers sont réputés les plus justes des hommes, et, à ce titre, c’est à eux que l’on confie l’arbitrage des contestations soit privées soit publiques : anciennement, les causes des guerres elles-mêmes étaient soumises à leur examen et on les a vus quelquefois arrêter les parties belligérantes comme elles étaient sur le point d’en venir aux mains. Mais ce qui leur appartient spécialement c’est le jugement des crimes de meurtre, et il est à noter que, quand abondent les condamnations pour ce genre de crime, ils y voient un signe d’abondance et de fertilité pour le pays. Les druides (qui ne sont pas les seuls du reste parmi les barbares) proclament l’immortalité des âmes et celle du monde, ce qui n’empêche pas qu’ils ne croient aussi que le feu et l’eau prévaudront un jour sur tout le reste ». Cette classe semble exemptée de certaines obligations civiques, notamment le devoir militaire et celui de payer l’impôt (Brunaux 2005 : 92).
45La classe des chevaliers mérite que l’on s’y attarde un peu. Le terme equites se réfère en effet à la maîtrise du combat à cheval. Or les textes et l’archéologie nous fournissent des indices sur l’apparition de cette classe sociale, et les évolutions qu’elle induit dans la société. En effet, « Les premiers corps de cavalerie celte n’apparaissent dans les témoignages écrits qu’avec les grands conflits de Cisalpine au iiie s. av. J.-C. Auparavant, les cavaliers s’intégraient dans les armées, mais certainement de façon désordonnée. Les seules formations qui avaient une réelle autonomie étaient des gardes personnelles autour des plus riches guerriers » (Brunaux 2004 : 66). Les chars de combat devaient également être alors en usage en Gaule, pour les personnages éminents de la société, comme l’attestent quelques véhicules de ce type déposés dans les tombes. La statuaire retrouvée à Entremont, oppidum des Salyens, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) constitue « un témoignage unique de cette émergence d’un ordre équestre celtique » (Arcelin, Rapin 2002 : 52). Les panoplies qui figurent sur les personnages assis comme sur les cavaliers sont caractéristiques en effet d’une période bien précise, calée par les caractéristiques de l’armement entre le début du iiie et le début du iie s. av. J.-C. Un autre témoignage de ce développement du combat à cheval est « dans l’allongement continu de l’épée depuis le milieu du iiie s. Très peu sensible au départ, cet accroissement atteint parfois plus de 20 cm au début du iie s. Avec 80 à 90 cm de longueur de lame, il s’agit alors d’une latte, équivalente à la plupart des sabres de cavalerie » (Rapin 1991 : 326). « Cette épée, sans pointe, ne peut être utilisée que de taille ; le lourd ceinturon à chaine de suspension du siècle précédent est remplacé par une version à anneaux plus légère ; le cheval est équipé d’une selle et d’un harnachement complet, le cavalier d’un éperon. Protégés par un casque, le grand bouclier et dans certains cas une cotte de maille, ces cavaliers bien entraînés pouvaient charger en formation avec une grande efficacité, à la lance ou même à l’épée, comme on le voit sur certaines monnaies… » (Kruta 2000 : 352). « Les Gaulois qui envahirent la Grèce et la Macédoine au début du iiie s. avaient mis au point une formation où le maître était entouré de deux servants d’arme eux-mêmes montés à cheval […] Pausanias nous a transmis le nom gaulois d’une telle formation, la trimarkisia (littéralement, “groupe de trois chevaux”) » (Brunaux 2005 : 132, d’après Pausanias, Description de l’Hellade, X, 19).
46L’essor de la cavalerie a eu des conséquences très importantes, sur le système rural bien sûr, avec le développement nécessaire des herbages en parallèle des besoins en fourrage, mais surtout sur la société. Cette dernière imposait en effet, pour participer à ce corps d’élite, de disposer de plusieurs montures dressées et de tout l’équipement nécessaire. Le coût devait être exorbitant, si l’on en juge par la comparaison avec le Moyen Âge. On a en effet calculé « que le coût d’un armement de qualité, offensif ou non, joint à celui d’un cheval dressé au combat, exigeait le revenu de 150 ha de terre vers 1125, de 500 à la fin du xiiie s. » (Fossier 1991 : 278). Si on remonte un peu dans le temps, et vers les obligations militaires définies par les cartulaires carolingiens : « Les détenteurs d’un, deux ou trois manses (soit moins de 60 ha, l’étendue du manse étant comprise entre 10 et 20 ha selon les conditions et les régions) doivent se grouper pour armer l’un d’eux qui partira. À partir de quatre manses (entre 40 et 80 ha), l’homme libre doit servir personnellement dans l’infanterie […]. A partir de douze manses (entre 120 et 240 ha), il doit servir dans la cavalerie » (Debord 2000 : 20). Prétendre intégrer cette classe imposait donc d’engager des moyens considérables ; seuls étaient en capacité de le faire, parmi les propriétaires fonciers, ceux qui possédaient des domaines de plusieurs centaines d’hectares, et des moyens humains nécessaires pour les faire prospérer. La maîtrise du combat à cheval, dans lequel on se protège d’une main avec le bouclier tout en brandissant de l’autre la lance ou l’épée [fig. 337], exige par ailleurs un exercice régulier, pour le cavalier comme ses servants.

FIG. 337. Un membre de la classe des equites représenté en combattant, armé de la lance et du bouclier, sur l’un des statères osismes du dépôt monétaire de Rosquelfen à Laniscat (Côtes-d’Armor). Au-dessous, une enseigne de guerre en forme de sanglier.
A member of the equites order represented as a combatant, armed with a lance and shield, on one of the Osismii staters of the monetary deposit at Laniscat (Côtes-d’Armor). Below, a war emblem in the form of a wild boar.
Photo D. Glicksman / Inrap.
47Quelle était la part de cette classe au sein de la société ? Depuis « la bataille de Télamon en 225 av. J.-C. (Polybe, Hist., II, 23), le rapport cavalier / fantassin s’établit entre un cinquième et un sixième, à deux exceptions près (BG, VII, 64, 5 ; 76, 3) » (Deyber 1994 : 216). Rapportés au quart de la population en capacité de porter une arme, d’après les tablettes retrouvées dans le camp des Helvètes et apportées par César, les equites représenteraient donc entre 4 et 5 % la population totale. Ce chiffre est proche de l’estimation de la part de l’élite chez les Boïens [fig. 338], d’une part, et de celle de la part des habitats ruraux présentant des signes affirmés de l’aristocratie, d’autre part, soit les groupes 2 et 3 de notre classement [fig. 339].

FIG. 338. Les manifestations du pouvoir en milieu rural (IIIe-Ier s. av. J.-C.) : la part des diverses formes de résidences élitaires.
The manifestations of power in rural contexts (3rd-1st c. BC: the proportions of diverse forms of elite residences.

FIG. 339. La part de l’élite dans la société gauloise d’après les textes.
The stratification of Gallic society according to texts.
12.7. Une esquisse de la société gauloise
48Nous l’avons dit plus haut (cf. supra, § 11.1), le terme d’aristocratie est employé ici pour désigner la classe des druides et des chevaliers, celui de noblesse étant réservé à la haute aristocratie, à la partie de cette élite que distinguait l’exercice de la magistrature ou du commandement dans la cité. Il s’agit donc de l’oligarchie dominant la diplomatie, l’armée et les finances publiques, composée des représentants des familles nobles au sein des sénats. Ces assemblées sont attestées, à l’époque de la guerre des Gaules, dans les cités des Éduens, des Rèmes, des Nerviens, des Lexoviens, des Aulerques Éburovices, des Vénètes, des Sénons et des Bellovaques ; elles désignaient des représentants en charge de la conduite des affaires de la cité, comme le vergobret, qui était revêtu du pouvoir suprême pour une année, ou encore les commandants de la cavalerie tels Verticos, nommé durant la guerre des Gaules chez les Rèmes, ou Cotos chez les Éduens.
49« Par César surtout, mais aussi par Strabon et Orose, on dispose de quelques données chiffrées sur la population des cités gauloises : 200 000 et 400 000 habitants. Dans chaque cité, l’aristocratie aurait rassemblé au moment de la guerre des Gaules quelques milliers d’habitants, femmes et enfants compris, parmi lesquels quelques centaines de notables exerçant des magistratures » (Perrin 2003 : 357). Tentons d’estimer les parts respectives des différentes classes composant alors la société gauloise, en excluant les esclaves, considérés comme des biens, et en prenant comme exemple la cité des Osismes, celle dont dépendait Paule. Si l’on en juge par celle des Boïens d’Italie évoquée plus haut, qui regroupait 300 000 habitants sur 8 600 km2, la population de cette cité, d’une superficie évaluée à 11 000 km2, pourrait être de 380 000 habitants, ces estimations étant forcément aléatoires, du fait du caractère presque unique des données et des différences qui devaient exister d’une cité à l’autre.
50Seul un quart de cette population, si l’on en juge par les tablettes retrouvées dans le camp des Helvètes, devait être en capacité de porter les armes. Selon la conception politique de la cité, tout détenteur d’un lot de terre pouvait être appelé à contribuer à sa défense et, au-delà, à celle de la cité, en participant pour les chefs de famille les plus riches à la cavalerie, et à l’infanterie ou aux tâches subalternes pour les petits propriétaires fonciers qui n’en étaient pas moins citoyens. Cette classe de propriétaires fonciers regrouperait donc 95 000 habitants, femmes, enfants et vieillards compris, tous représentés par leur chef de famille dans les assemblées populaires. Le reste, soit 285 000 personnes, composerait une plèbe rurale regroupant les personnes ne possédant en propre aucune terre et travaillant sur les domaines des autres ou dans les agglomérations.
51Le nombre de chefs de famille au sein de la classe des propriétaires fonciers est difficile à estimer, car il dépend de la taille de la famille plus ou moins élargie qui possédait les domaines. Avec huit personnes en moyenne par foyer, il s’élèverait à 12 000 citoyens en capacité de combattre, environ 2 000 dans la cavalerie et le reste dans l’infanterie, d’après la composition habituelle des armées gauloises. 2 000 equites, donc, dans la cité des Osismes, auxquels il faudrait ajouter l’autre part de l’élite, les bardes, les vatès et les druides, que j’aurais tendance, sans que les textes nous informent de quelque façon là-dessus, à voir moins nombreuse : quelques centaines de personnes, un millier tout au plus participant à l’encadrement de la société. Quant à la noblesse correspondant à la partie supérieure de ces deux classes d’hommes, les seuls qui comptent en Gaule, elle serait composée de quelques centaines de personnes ; 600, si on prend exemple sur la composition du sénat des Nerviens [fig. 340].

FIG. 340. Stratification de la société gauloise : une proposition.
The stratification of Gallic society : a proposition.
52Les propriétaires fonciers de la basse aristocratie géraient eux même leur bien et se faisaient suppléer pendant leurs absences par leurs parents. Leur domaine produisait de quoi satisfaire largement à leurs besoins domestiques et à produire les surplus nécessaires à leur équipement de cavalier, mais laissaient peu d’excédents au-delà. Ils étaient les voisins des petits propriétaires qui, s’ils étaient de leur parentèle ou de leurs clients, pouvaient les aider à s’équiper ou gérer leur terre. Ils partageaient leurs soucis en cas de mauvaise récolte. Ceux de la haute aristocratie possédaient des domaines bien plus vastes gérés par les familles plus modestes du lignage et cultivés par la plèbe rurale ou des esclaves.
53Accéder à la noblesse supposait d’être reconnu au sein de l’aristocratie comme chef d’un des principaux lignages et, par la taille de ses domaines, son autorité morale et sa vaillance au combat, s’être signalé comme digne de contribuer aux décisions de la cité. Aucune de ces positions n’était définitive, pour soi ou ses descendants : une famille pouvait s’appauvrir ou s’enrichir par le jeu des partages successoraux, des alliances ou des rivalités familiales, du clientélisme ou de la guerre.
54Ces classes n’étaient donc pas étanches et leurs limites étaient imprécises, puisque passer de l’une à l’autre dépendait de la capacité à devenir propriétaire d’une terre, pour devenir citoyen, puis à réunir les moyens, les aptitudes et la formation nécessaires pour prétendre accéder, pour soi, ses enfants ou ses petits-enfants, aux deux classes supérieures de la société. La capacité à gérer un domaine et la valeur au combat devaient être des éléments déterminants, comme se faire sa place dans le lignage et obtenir le soutien des puissants. La demeure est souvent à l’image de ses habitants. Ces phénomènes d’ascension sociale ou de déclassement se retrouvent donc logiquement dans les habitats étudiés qui, à un moment de leur histoire, se distinguent du commun par des constructions inhabituelles ou des objets particuliers.
55Replacée dans le cadre de l’évolution générale de l’habitat à la fin du premier et au second âge du Fer, l’émergence des résidences aristocratiques n’apparaît plus comme un phénomène isolé au sein d’un paysage agraire immuable. Leur émergence ne peut être dissociée de l’histoire du peuplement et de l’habitat : elles constituent une forme, parmi d’autres, de l’occupation du sol, et reflètent les évolutions de la société, prise dans son ensemble. Le caractère foncier de cette aristocratie, initié dès le vie s., est en effet manifeste au cours des trois derniers siècles avant notre ère. Les données testimoniales et archéologiques s’accordent pour évaluer la part de l’aristocratie et de ses habitats à environ 5 %, et celle de la noblesse entre 1 et 2 %.
56Le premier groupe défini plus haut (cf. supra, § 11.5.3.1) doit correspondre aux propriétés de la petite aristocratie ou de propriétaires terriens aisés qui aspiraient à en faire partie. Les groupes 2 et 3 correspondent très vraisemblablement aux résidences de l’élite gauloise, celles des druides ou des equites. Mais comment distinguer, parmi elles, celles de la noblesse, de la haute aristocratie ? Revenir au cas de Paule pourrait nous y aider.
12.8. La noblesse : une mémoire exacerbée
57La noblesse se distingue tout d’abord, au sein d’une classe aristocratique plus large, par sa capacité à mobiliser les membres d’un lignage particulièrement étendu et à se rattacher clairement, par des liens de parenté bien établis, à chaque membre important de ce lignage. Elle se réfère pour cela à des ancêtres, aux parentés anciennes qui ont fondé ce lignage et lui ont conféré sa notoriété et son éclat. La noblesse repose donc sur une intensité du souvenir, sur une mémoire exacerbée des générations antérieures, ou du moins de leurs éléments les plus valorisants. De cette mémoire, il pourrait ne nous rester aucune trace, si ce n’est la mention de la naissance illustre de tel ou tel prétendant à la magistrature, ou le fait qu’il soit issu d’une très vieille famille (BG, VII, 32, 4).
Le premier vecteur de mémoire : l’habitat
58Et pourtant, la première caractéristique remarquable de Paule est bien la très grande permanence de cet habitat, occupé sans discontinuité durant plus de cinq siècles. Si la demeure familiale a été plusieurs fois reconstruite, ce fut toujours au même emplacement, au nord-ouest de la cour résidentielle. Il y a là une permanence étonnante, qui tranche sur la plupart des habitats ruraux de l’âge du Fer étudiés en Gaule. En l’absence de textes, il est certes impossible de prouver qu’il a toujours appartenu à la même famille. Et pourtant, rien dans les vestiges étudiés ne montre une volonté de rompre avec l’organisation initiale qui n’a pas été notablement entachée par les reconstructions et embellissements qui se sont succédés. Même lorsque le premier habitat a été arasé, après deux siècles et demi d’existence, pour faire place aux nouvelles manières de construire qui marquent la seconde phase d’essor des habitats ruraux, cela s’est fait en respectant l’emprise de l’ancien site. Le phénomène se répète lors des phases ultérieures, même lorsque l’incendie de 175 av. J.-C. ravage une grande partie des constructions. Lors de son abandon, cet habitat porte encore dans ses clôtures et ses bâtiments la mémoire des temps passés et des constructions qui se sont succédées. Il constitue donc, à lui seul, un puissant vecteur d’une mémoire familiale hors du commun et a de toute évidence constitué, « pour un lignage, un point de référence, un siège permanent et durable, un lien matériel rattachant une génération à l’autre » (Mension-Rigau 2019 : 182). Le caractère presque immémorial de cet habitat traduit donc dans l’architecture, malgré les multiples transformations et mises au goût du jour, la très grande ancienneté de la famille qui le possédait. Par la permanence de sa présence au sommet de la crête, elle signifiait au voisinage et aux personnes empruntant les routes qui la longeaient le caractère presque immémorial du lieu et de la famille qui y résidait.
Le second vecteur de mémoire : les défunts
59Une seconde caractéristique de Paule réside dans les deux nécropoles édifiées de part et d’autre d’une des voies majeures, probablement dès les premiers décès de la famille qui s’était implantée là. Nous l’avons vu (cf. supra, § 10.3.1) : le fait n’est pas spécifique à Paule, comme le montrent les nombreux petits enclos quadrangulaires découverts lors de prospections aériennes ou de fouille dans la région. Les sépultures elles-mêmes, comme partout en Bretagne, sont d’une simplicité extrême, sans mobilier destiné à accompagner le mort dans l’au-delà. Seule la superficie des enclos qui, à Paule, est supérieure à ce qui s’observe habituellement en Bretagne (Jahier et al. 2018 : 47) et qui excède largement celle du lieu où étaient enfouis les restes des défunts, laisse imaginer l’ampleur des cérémonies qui qui s’y déroulaient, lors des funérailles ou de célébrations commémoratives. Ces lieux sont restés en usage durant un siècle et demi avant d’être désaffectés. Le phénomène, observé partout dans la région, même lorsque les habitats associés continuent à être occupés, ne signifie pas pour autant que ces enclos funéraires ont été oubliés. En effet, l’emplacement de la plus grande des deux nécropoles de la phase 1, bien qu’englobé plus tard dans une basse-cour parsemée de constructions, a toujours été respecté, sans qu’aucun bâtiment ne vienne, même des siècles plus tard, s’y implanter.
60Durant quatre siècles, comme partout en Bretagne et du fait d’une rupture dans les manières de traiter les défunts et de penser l’au-delà, les morts disparaissent. D’autres rituels doivent alors se substituer, dès les premiers temps de la « crise » du ive s., à ceux qui s’accomplissaient jusqu’alors au sein de ces nécropoles. Mais il n’en reste aujourd’hui aucune trace. Enfin, peut-être pas tout à fait. Si notre hypothèse de la figuration d’ancêtres est exacte pour les quatre bustes découverts dans la résidence, on pourrait voir en eux la trace rare de quelques défunts, les plus prestigieux dont, probablement dès le iie s. et assurément durant la première moitié du ier s. av. J.-C., on a souhaité conserver la mémoire par l’effigie. Toutes les œuvres du même type, à l’exception de celle de Charny, ont été découvertes dans la partie de la France comprise entre la Garonne au sud, et la Marne et le cours inférieur de la Seine au nord, soit dans les limites attribuées par César (BG, I, 1) à la Gaule celtique. Il s’agit donc là peut-être, pour ce type de sculpture, d’une spécificité de ce territoire, le plus soumis aux influences de Rome si l’on en juge par les découvertes d’amphores (Olmer 2018 : 461, fig. 1a). Si le parallèle établi avec les imagines romains est exact (cf. supra, §8.8.6), il pourrait s’agir en outre d’une spécificité de la noblesse celtique, d’un attribut réservé aux membres des lignages les plus éminents qui se seraient particulièrement distingués lors d’une des magistratures qu’ils auraient exercées.
- 3 Tertullien, De anima, 57 : « Ce n’est pas en vain, nous dit-on, que les morts se sont montrés, et c (...)
61L’une des caractéristiques essentielles de ces œuvre est leur socle dont la pierre est laissée brute, peut-être afin de faciliter, comme pour certaines sculptures africaines, le contact avec les ossements de l’ancêtre représenté (cf. supra, § 8.8.7). Cette hypothèse sera bien évidemment impossible à prouver, tant que n’aura pas été mis au jour en Gaule l’un de ces bustes en position fonctionnelle. Elle serait toutefois en concordance avec le fait que, durant cette période, on ne retrouve aucun reste des défunts, qui étaient peut-être exposés hors-sol dans des édifices dédiés, tels les cadavres de combattants ou d’ennemis retrouvés dans certains sanctuaires ; elle s’inscrirait également dans la logique de ces caveaux funéraires où tout est conservé, dans une mise en scène au milieu de laquelle on ne retrouve pas le corps du défunt, comme à Orval (Lepaumier, Chanson 2007) ou dans le Berry (Ferdière, Villard 1993). Une fois la décomposition du corps achevée, les ossements du noble inhumé auraient été soigneusement prélevés dans le caveau afin de leur faire réintégrer l’habitat. Déposées dans un autel et signalées par une effigie, ces reliques auraient affirmé, comme à Rome, le prestige acquis par le lignage, mais auraient également conseillé les vivants, selon une pratique incubatoire rapportée par Nicandre de Colophon3 au iie s. av. J.-C. Loin d’être de simples portraits offrant une image prestigieuse des aïeux, ces bustes seraient donc, au sein de la demeure, l’incarnation de certains défunts œuvrant à la continuité et au prestige du lignage depuis l’au-delà.
62Ce souvenir sélectif et exacerbé de certains défunts perdure vraisemblablement après l’enfouissement des bustes et même, à Paule, après l’abandon de la résidence qui, plus de cinq siècles durant, a servi de point d’ancrage au lignage. La construction d’un sanctuaire englobant deux tertres de l’âge du Bronze traduit en effet, sous une autre forme, l’attachement aux ancêtres. Ce lieu de culte dédié à la mémoire familiale s’avère en effet particulier. Jusqu’à récemment, il trouvait très peu de comparaisons (cf. supra, § 7.3.7). La publication récente d’un ouvrage sur les monuments funéraires antiques révèle un enclos semblable dans la cité des Namnètes, à Saint-Herblain près de Nantes (Mercier 2019). Dans un espace autrefois traversé par une importante voie gauloise, déplacée plus au sud durant l’antiquité, un enclos a été édifié autour d’un tumulus du Bronze ancien ; un édifice maçonné de plan carré, précédé d’un porche et environné de fosses de foyers et de fours, est interprété comme un monument funéraire, du fait de la découverte en périphérie d’ossements crématisés [fig. 341]. Des fragments de figurines en terre blanche ont été retrouvés sur le tumulus. Ceci vient appuyer l’idée que le lieu de culte édifié à Paule est dédié à la mémoire des ancêtres censés être enterrés dans les deux tertres originels, englobés plus tard dans l’enclos. Deux monuments funéraires ont ensuite été édifiés pour signaler à tous la puissance et l’ancienneté de la famille qui résidait autrefois en ce lieu et qui a continué, au moins jusque dans le dernier quart du iiie s. ap. J.-C., à y venir pour des cérémonies. Il n’était pas nécessaire pour cela que ces monuments aient accueilli des ossements. « En effet, les textes juridiques définissent le monumentum non comme la sépulture proprement dite, mais comme la structure destinée à préserver la mémoire » (Monteil, Van Andringa 2019 : 2). Des inscriptions ou des sculptures aujourd’hui disparues ont dû suffire à évoquer les ancêtres et le caractère illustre du lignage.

FIG. 341. À Saint-Herblain / Les Pellières (Loire-Atlantique), un lieu de culte a été édifié au Haut-Empire autour d’un tumulus de l’âge du Bronze près duquel une dizaine de figurines en terre blanche ont été retrouvées. Le monument funéraire construit à l’est du tumulus dans un enclos est environné de foyers et de fours, comme à Paule.
At Saint-Herblain / Les Pellières (Loire-Atlantique), a place of worship was edified during the Early Empire around a Bronze Age tumulus near which a dozen white clay figurines were found. The funerary monument constructed to the east of the tumulus in an enclosure is fireplaces and hearths, as at Paule.
d’après Mercier 2019 : 216, fig. 2).
63Si ses modalités ont changé, on ne peut qu’être frappé par la permanence durant près d’un millénaire de cette mémoire familiale et la construction, pour ce faire, de vecteurs hors du commun. Un fait mérite d’être signalé : c’est la dualité qui, dès l’origine, semble s’affirmer au sein de ce lignage. Aux deux nécropoles encloses des premiers temps semblent en effet répondre le caractère bipartite du sanctuaire, dont chaque partie englobe un tumulus de l’âge du Bronze, puis les deux monuments funéraires édifiés au sein de l’enclos. Il nous manque les textes pour comprendre cette histoire familiale, et nous ne saurons jamais comment étaient définies ces deux branches du lignage dont la mémoire a été conservée dans les mythes familiaux des siècles durant.
Le troisième vecteur de mémoire : les bardes
64Les seuls vecteurs de la mémoire mentionnés dans les textes sont les bardes qui, selon Ammien Marcellin (Hist., XV, 9, 8) « célébraient les grandes actions dans des chants héroïques, où se mariaient les doux accords de la lyre ». Trouver une trace archéologique de ces bardes était une gageure. Et pourtant, fait unique en Gaule, l’un des bustes de Paule est bien celui d’un barde, avec sa lyre comme attribut. Comme les aèdes grecs ou les annalistes romains, les bardes gaulois avaient pour charge de transmettre « à travers leurs récits et leurs généalogies familiales une histoire des propriétés, des droits, des cultes, véhiculée au milieu d’une histoire des plantes, des terres et des eaux. […] C’est donc par la mémoire individuelle très exercée d’un spécialiste que se diffuse dans tout le corps social la substance de ces vastes mémoires collectives. Mais, partout, cette mémoire sociale présente une réelle dimension religieuse, dans la mesure où elle se réfère aux ancêtres, plus ou moins vénérés comme les garants de l’ordre social existant » (Meslin 1978 : 58). Cette mémoire du récit ou du chant est donc essentielle, tout autant sinon plus que les monuments ou les effigies précédemment évoqués qui ne sont que quelques signes d’un passé glorieux. Seules les familles les plus éminentes de la société pouvaient avoir en leur sein de tels spécialistes entièrement dédiés à la geste familiale, conférant par la poésie orale le statut du mythe à certains de leurs ancêtres et de leurs hauts faits. Composés et chantés devant les auditeurs par des générations successives de bardes, ces récits affirmaient l’ancienneté et le prestige du lignage au sein de la société ; comme les bustes, ils conféraient à certains défunts un statut tel qu’ils pouvaient encore intervenir, en tant que morts exemplaires, dans l’équilibre de la communauté, la permanence de son ordre et le fondement de son identité.
65Par ces multiples signes d’une mémoire hors du commun, et les investissements consentis pour son maintien durant près de neuf siècles, Paule tranche à n’en pas douter sur les autres habitats jusqu’ici fouillés. Ces caractéristiques permettent déjà de l’identifier comme une résidence de la noblesse gauloise.
12.9. La noblesse : l’encadrement du lignage et les devoirs envers la cité
Le banquet
66D’autres caractéristiques du site viennent renforcer cette affirmation. La première réside naturellement dans le grand nombre de tessons d’amphores qui, dès les premiers sondages, ont signalé le caractère très particulier de cet habitat. Quoique situé en plein cœur de la péninsule, à l’endroit le plus distant des voies de commerce maritime, Paule a livré à lui seul plus de fragments que l’ensemble des sites jusqu’ici fouillés dans la région. Avec les fragments de chaudron, de grills ou de vaisselle métallique importée d’Italie, cela confirme la tenue en ce lieu de banquets, selon un rituel codifié où chacun était placé selon son rang, les personnes majeures du lignage comme d’autres membres de l’élite. Le vin n’est qu’un signe particulièrement visible de cette commensalité, durant les deux derniers siècles avant notre ère. L’ampleur de certains fours ou la relative abondance de vaisselle de table ornée de motifs estampés ou peints est probablement tout aussi révélatrice de ces repas collectifs tels qu’ils se déroulaient à des périodes plus anciennes, en des temps ou la cervoise ou l’hydromel n’étaient pas encore concurrencés par le vin. L’objectif devait être le même : continuer à tenir son rang et échanger avec les autres convives, en appréciant les mets et en supportant la boisson. Le dépôt de tout l’attirail du banquet dans certains caveaux funéraires le confirme : il s’agissait là d’un moment essentiel de la vie aristocratique, ou plutôt de la vie noble pour les organisateurs des fêtes les plus somptueuses et pour les banquets réunissant le plus grand nombre de personnes, et où l’art de recevoir atteignait des sommets. De la qualité des viandes ou d’autres mets servis à Paule, il ne nous reste rien ; l’acidité des sols a tout fait disparaître. Seuls les fragments de récipients ou d’ustensiles et la dimension des salles que l’on devine au sein des demeures successives, sont là pour nous signaler la tenue en ce lieu de fêtes hors du commun, hauts lieux d’expression des bardes, de création poétique ou de transmission des valeurs de l’élite et dont Posidonios d’Apamée (cf. supra, § 11.2) ne nous renvoie qu’un pâle reflet.
La contribution au contrôle et à la défense du territoire
67Une seconde caractéristique du site réside dans la monumentalité de la résidence, dès la phase 2, puis sa fortification par deux fois, lors des phases 3 et 5. Si la monumentalité est admise pour les habitats du groupe 3, voire pour certains habitats du groupe 2, Paule est la seule résidence gauloise aujourd’hui fouillée présentant les caractéristiques indubitables d’une mise en défense.
- 4 César, BG, I, 18 : « Dumnorix, homme plein d’audace, avait acquis par ses largesses une grande infl (...)
68Cela assure sa fonction de mise en sécurité du territoire environnant contre les actions de brigandage menaçant les fermes des alentours bien sûr, mais aussi et surtout le réseau viaire. Placée à l’un des carrefours routiers les plus remarquables de la cité, Paule assurait la protection, et vraisemblablement l’entretien, au moins sur une partie de leur tracé, de trois voies majeures. La présence à demeure d’une petite troupe de cavalerie signalée par la présence d’une écurie facilitait cette mission de contrôle exercée au quotidien. Pour ce faire, la résidence, ou plutôt la famille qui la possédait, devait être autorisée par la cité à lever un droit de péage sur les voyageurs et les marchandises, semblable à celui perçu par Dumnorix chez les Éduens4. La sécurité assurée par la vaste enceinte au probable marché et aux entrepôts édifiés dès la phase 4 devait également être garantie aux utilisateurs de ces lieux, moyennant une taxe supplémentaire.
69Ces fonctions assurées par la résidence en temps de paix semblent s’être renforcées face à la menace de conflits. L’augmentation des défenses par la construction de nouvelles enceintes, le rehaussement des tours et la protection renforcée des portes marque le début de la phase 3, dans la seconde moitié du iiie s. ; le phénomène est renouvelé lors de la phase 5, durant le troisième quart du iie puis vers le milieu du ier s. av. J.-C. La basse-cour a pu dès lors abriter la population des environs lorsque celle-ci, à l’approche de l’ennemi, était contrainte d’abandonner ses champs et ses maisons, les denrées conservées dans les entrepôts garantissant sa subsistance. Si la dernière phase de mise en défense a pu être générée, comme dans la cité voisine des Vénètes, par la guerre des Gaules (cf. supra, § 10.4.1, note 16), on ne conserve aucun texte évoquant des conflits plus anciens ayant pu affecter cette partie de la Gaule celtique. Paule, située à une quinzaine de kilomètres en arrière de la limite présumée entre les Osismes et les Vénètes, a pu avoir pour fonction, en cas de conflit entre ces deux cités, d’immobiliser les troupes adverses et de les fixer dans des opérations de siège le temps nécessaire pour les citoyens de se mobiliser sur l’ensemble de la cité.
La tenue d’assemblées
70Un troisième élément remarquable du site est la vaste construction interprétée comme un lieu d’assemblée édifié lors de la phase 5 au cœur de la résidence (cf. supra, § 6.3.7), le seul parallèle jusqu’ici identifié en Gaule étant celui de Corent. D’une superficie de 700 m2 et au moins une fois reconstruit, l’édifice de Paule pouvait accueillir quelques centaines de personnes. On notera à nouveau une caractéristique très particulière de cet édifice : son aspect bipartite, maintenu lors de la reconstruction, avec une paroi de planches au sud et une paroi de poteaux accolés au nord. S’agissait-il de distinguer un espace réservé aux hommes et un autre aux femmes, que l’on imagine pourtant difficilement, d’après les sources testimoniales, participer à ces assemblées ? Ou plutôt de deux branches du lignage, selon l’hypothèse évoquée pour les nécropoles des origines puis, bien plus tard, pour le lieu de culte édifié lors de l’abandon de la résidence. Quoi qu’il en soit, ce dispositif atteste une fonction communautaire du site de Paule, bien au-delà de la famille qui y résidait.
12.10. Paule : un chef-lieu de pagus ?
71On retiendra de ce bref tour d’horizon que Paule est assurément hors du commun et présente, durant les trois derniers siècles précédant notre ère, tous les signes du prestige et de la différenciation sociale, ce qui permet d’y reconnaître une résidence de la noblesse gauloise. Tous les marqueurs de l’entretien d’une mémoire lignagère et de la détention d’une puissance militaire et politique sont réunis pour légitimer les prétentions de la famille aux plus hautes charges de la cité. Plus que tout autre, le fait remarquable observé à Paule est la continuité que l’on devine, au travers des vestiges et malgré l’absence de texte, dans cette capacité à maintenir et renforcer les liens d’un lignage toujours plus étendu, puis à se placer, génération après génération et en édifiant toutes les infrastructures nécessaires, au sommet de la cité. Bien d’autres familles n’ont dû connaître que des succès plus éphémères.
72Quelle pouvait être la place de Paule au sein de la cité ? Cette résidence a servi de point d’appui pour le contrôle et la défense du territoire, également de lieu de débat pour des assemblées. Le site doit-il pour autant être considéré comme un chef-lieu de pagus ? Rien ne permet de l’affirmer.
73Comme toutes les cités de Gaule, celle des Osismes devait en effet être être constituée de la réunion de pagi, unités de base de l’organisation territoriale, qui disposaient d’une certaine autonomie en matière religieuse, politique, judicaire ou fiscale. On sait, par des inscriptions retrouvées dans les fondations du rempart de Rennes (CIL, XIII, 3148-3151 ; AE, 1969-1970 : 405), que la cité des Riedones fédérait vers 135 ap. J.-C., dans la partie orientale de la péninsule Bretonne, quatre pagi dont on connait les noms : Carnutenus, Matans, Sextanmanduus et […]inus. Qu’en était-il des Osismes ? En l’absence d’inscription, l’établir semble une gageure. La numismatique peut éventuellement nous fournir quelques indications.
74L’Armorique, cette partie de la Gaule celtique regroupant une douzaine de cités proches de la Manche ou de l’océan Atlantique (Vaginay 2003 : 18-19 ; Fichtl 2004 : 139-141), a frappé depuis le début du iie s. av. J.-C. des monnayages d’or initialement alignés sur le statère de Philippe II de Macédoine, mais dont l’aloi s’est dégradé assez vite avec, au ier s. av. J.-C., des statères de billon d’une teneur bien plus faible en métal précieux. « Un système monétaire armoricain semble bien s’être alors mis en place, basé sur l’adoption d’un même référent iconographique au revers : le cheval androcéphale, un poids évoluant entre 6,8 g et 6 g, un titre d’argent similaire dans les émissions contemporaines. Cependant, la carte de répartition des monnaies montre une circulation limitée au territoire de la cité, sauf le long de la Loire. On reste donc, en Armorique au ier s., dans le cadre d’une économie monétaire fermée, dans laquelle les monnaies restent dans l’aire contrôlée par le pouvoir émetteur avec un change systématique aux frontières » (Gruel, Morin 1999 : 33). « Cette pratique […] entraîne un contrôle complet de la masse monétaire en circulation, donc des prix, des taxes, péages et des taux de change. Elle est souvent associée à un pouvoir centralisé qui maîtrise tous les rouages économiques » (Gruel 2018 : 480). Certains types monétaires semblent diffusés sur toute la cité ; d’autres sur des aires plus restreintes où l’on a tenté de voir, en y renonçant finalement, certains pagi (Abollivier 2008). Seule Nora K. Chadwick (1999 : 17) envisage pour la cité des Osismes un territoire « divisé en deux ou trois régions, chacune disposant de son propre atelier ».
75Si le cheval androcéphale, sorte de centaure dont seule la tête serait humaine, semble un motif commun à la plupart des peuples de la Gaule celtique riverains de la Manche ou de l’océan, les frappes de quelques cités présentent, à l’avers cette fois, un motif également assez fréquent : une tête entourée d’autres plus petites, auxquelles elle est reliée par des cordons perlés. On le retrouve chez les Osismes, bien sûr. On le retrouve aussi sur les monnaies attribuées aux Vénètes mais dont la diffusion remonte le long de la Loire, ainsi que sur celles qui sont attribuées aux Namnètes, aux Baïocasses, aux Andécaves, aux Santons-Pictons… Ce motif est parfois associé à la coutume des guerriers celtes –mentionnée par les sources antiques– d’attacher au poitrail de leur cheval les têtes coupées des ennemis (Gruel, Morin 1999 : 37). Une autre explication, plus politique, pourrait être proposée : la tête la plus imposante représentant la cité réunirait, selon un processus de synœcisme semblable à celui des cités grecques, plusieurs pagi symbolisés par les têtes plus petites [fig. 342]. Selon cette hypothèse, la cité vénète serait issue d’une fédération de quatre pagi, et celle des Osismes de trois, le motif étant répété au revers en intégrant aux deux petites têtes celle du cheval androcéphale. Trois pays la composaient traditionnellement, la Cornouailles, le Léon et la Trégor, avant que ce dernier ne soit scindé en 1792 lors de la création des départements.

FIG. 342. Une représentation symbolique de l’organisation territoriale de la cité, réunion de plusieurs pagi ? a statère d’or à la petite tête nue attribué aux Vénètes (LT, 6879), diam. 20 mm : sur l’avers, une tête à droite reliée à quatre petites têtes par des cordons perlés ; l’effigie repose sur un socle complexe semblable à ceux qui peuvent surmonter une hampe ; sur le revers, un cheval androcéphale conduit par un aurige tenant dans sa main gauche un vexillum, représenté par quatre lignes verticales surmontant trois points disposés en triangle ; sous l’aurige, une roue ; sous le cheval, un personnage couché surmonté d’une aile ; b statère de billon au sanglier en cimier des Osismes (LT, 6555), diamètre env. 24 mm : sur l’avers apparaît une tête à droite sommée d’un sanglier-enseigne et reliée à trois petites têtes par des cordons perlés. Sur le revers, un cheval androcéphale à gauche dont le visage est encadré par deux petites têtes reliées par une composition de rinceaux et fleurons ; sous le cheval, un sanglier-enseigne et un oiseau aux ailes éployées.
A symbolic representation of the regional organization of the city; a union of several pagi? a gold stater with a small nude head attributed to the Veneti (LT, 6879), diam. 20 mm: on the obverse, a head looking right, connected to four small heads by pearled cords: the effigy rests on a complex stand similar to those that can top a pole; on the reverse site, an androcephalous horse driven by a charioteer holding a vexillum in his left hand, represented by four vertical lines arranged in a triangle; under the charioteer, a wheel; under the horse, a lying person with a wing on top; b billion stater with a wild boar crest of the Osismii (LT, 6555), diameter approx. 24mm; on the obverse, there is a head to the right topped with a boar-emblem and connected to three small heads by pearled cords. On the other side, an androcephalous horse on the left, whose face is framed by two small heads connected by a composition of scrolls and fleurons : under the horse, a boar-emblem and a bird with outstretched wings.
Dessin F. Ory (UMR 8546 CNRS-ENS) / Musée de Bretagne.
76Le site de Paule ne semble pas, ni par sa situation géographique, ni par son importance, devoir être considéré comme un siège de pagus. D’autres ensembles encore non-fouillés existent ailleurs dans la cité, qui sont mieux situés, plus vastes et plus imposants. Il a pu par contre, au-delà de sa fonction de siège principal d’un important lignage, être placé à la tête d’une unité territoriale plus petite, une fraction de pagus ou un vicus, selon les termes utilisés par César (BG, VI, 11, 2). Sur le site de Kerfloc’h à Plaudren chez les Vénètes, entre une enceinte quadrangulaire semblable à celle de Paule et le sanctuaire édifié à côté, une plaque en bronze a été retrouvée fortuitement. Elle porte une inscription dédicatoire incomplète :
77(iovi opt) IMO MAXSIM(o)
[mot disparu d’environ cinq lettres] ALOUNENSES. G.
78Gérard Moitrieux (2010) propose d’y voir une dédicace de vicani à Jupiter, et d’assimiler le vicus Alouna à l’agglomération contrôlée par l’enceinte. Découvert de manière clandestine, et donc de provenance incertaine, un coin monétaire vénète proviendrait du même site (Delestrée, Pilon 2013). Sans être des chefs lieu de pagi, les enceintes quadrangulaires telles que Paule, environnées ou non d’une bourgade, contribuaient donc au maillage et à l’encadrement des territoires, en assurant très vraisemblablement des missions de sécurité, de perception des impôts et de taxes diverses, la gestion d’entrepôts ou de marchés, peut-être également la frappe de monnaies ou une justice de proximité, toutes tâches qui ne pouvaient être déléguées qu’aux personnages les plus puissants de la cité : les membres de la noblesse.
79Est-il possible d’identifier les magistratures confiées à ces personnages éminents ? Seuls les attributs figurant sur les bustes pourraient nous y aider. Le diadème qui orne peut-être la chevelure des quatre effigies de Paule n’est pas sans rappeler celui qui orne la tête de Dumnorix sur l’une des monnaies des Éduens [fig. 343]. Mais rien n’indique ce qu’il signifie, en termes de fonction exercée ou de dignité. Il en est de même des torques, trop souvent assimilés à la valeur guerrière sans que l’on sache vraiment comment ils étaient octroyés ; parmi les guerriers les plus éminents, ceux qui ont été statufiés, tous n’en portaient pas (Arcelin, Rapin 2002 : 54). Les armes de poing parfois représentées [fig. 254 : 3 ; fig. 255] pourraient apparaître plus clairement comme l’attribut d’un grade militaire ou d’une distinction attribuée à un guerrier. Mais la forme de ces armes courtes évoque non une épée de cavalier mais bien plus un poignard, tels ceux qui ont été retrouvés dans certaines tombes aristocratiques à Tesson ou à Châtillon-sur-Indre, et dont le pommeau est anthropoïde (Ferdière, Villard 1993 : 104). Plutôt que l’attribut d’un commandement militaire ou le signe de la particulière valeur d’un chevalier au combat, il faut donc sans doute y voir la marque d’un statut social ou d’une fonction particulière, politique ou religieuse. En définitive, seule la lyre de Paule nous semble signer clairement le statut du personnage représenté, celui d’un barde particulièrement honoré, qui fait donc partie de la classe des druides évoquée par César et non de celle des equites.

FIG. 343. Monnaie en argent (diamètre 13 mm) portant le nom de Dubnoreix (Dumnorix), membre de la noblesse éduenne, frère cadet du druide Diviciacos et gendre d’Orgétorix, roi des Helvètes. Le bandeau honorifique qui encadre à l’avers son visage rappelle celui des bustes de Paule. Ancienne collection Hucher du Musée de Caen, aujourd’hui disparue.
Silver coin (diameter 13 mm) bearing the name Dubnoreix (Dumnorix), member of the Aeduene nobility, younger brother of the druid Diviciacos, and son-in-law of Orgetorix, king of the Helvetii. On the obverse side, the honorific banner framing his face resembles that of the busts at Paule.
Dessin E. Hucher extrait de Hucher 1868 : pl. 3, no 1.
12.11. Quel devenir pour la noblesse gauloise après la conquête ? Le témoignage des habitats.
80Malgré la singularité du site, l’évolution constatée à Paule s’inscrit donc dans un phénomène plus large d’essor de l’habitat dispersé pérenne sur le territoire, et d’apparition de signes distinctifs des résidences de l’élite. Certaines de celles du groupe 2 et surtout celles du groupe 3 ont de fortes chances de correspondre à celles des familles les plus éminentes, celles de la noblesse. La continuité dans l’affirmation de la richesse et du pouvoir observée à Paule ne doit pas nous leurrer : une certaine mobilité devait exister entre les diverses classes sociales, que devraient illustrer sur d’autres sites des essors fulgurants, marqués par la construction d’enceintes ou de bâtiments imposants, mais aussi des déclassements marqués par des abandons ou des rétractions, une résidence autrefois imposante se transformant peu à peu en simple siège d’exploitation agricole. Ces phénomènes de concurrence entre les familles ont dû s’accentuer lors des crises successives, climatiques, sociales ou guerrières qui ont marqué le second âge du Fer.
81Le choc le plus rude a dû être celui de la Conquête, du fait de la saignée générée par ce conflit notamment au sein des élites gauloises, la population dans son ensemble étant affectée par les pillages et les destructions. « Se fondant sur César lui-même, Pline l’Ancien estimait à 1 192 000 le total des morts du côté gaulois et germain. Les réductions en esclavage auraient aussi avoisiné le million » (Faure et al. 2018 : 56). Lors de cette guerre, il ne semble pas que les résidences de la noblesse, même celles qui étaient fortifiées, aient eu pour les armées gauloises ou romaines une quelconque valeur stratégique. Face aux machines de guerre, aucune n’était en mesure de résister. Dans cette guerre de siège, les agglomérations les plus vastes et les mieux défendues représentaient des obstacles bien plus coriaces et d’une valeur stratégique plus affirmée que ces demeures isolées, en tant que centres économiques, administratifs, politiques et militaires des pagi et des cités.
82Cela ne veut pas dire pour autant que les résidences de l’élite n’aient pas subi de destructions, même si aucune trace archéologique n’en a été retrouvée jusqu’ici. L’investissement des demeures d’Ambiorix ou de Cruptorix montre en effet que l’on a parfois poursuivi certains membres de la noblesse jusque dans leur ultime refuge. Paule semble être resté à l’écart des conflits, la situation géographique des Osismes les mettant globalement à l’abri des expéditions militaires des armées césariennes, hormis en -56, après la défaite des Vénètes et la mise à mort de tous leurs sénateurs (cf. supra, § 10.4.1), et en -51, lorsque Dumnacos, le chef des Andécaves, se réfugia peut-être chez eux après sa défaite devant C. Fabius (BG, VIII, 31, 5).
83Les ruptures s’avèrent pourtant considérables. La plus notable, celle qui transparaît avec le plus de force dans les fouilles archéologiques effectuées dans l’Ouest, est l’abandon d’un grand nombre d’habitats ruraux dans les décennies qui suivent la Conquête, parfois même avant. Dans d’assez nombreuses cités, leur densité était devenue telle, à la fin du iie et au début du ier s. av. J.-C., qu’il en résultait pour elles une situation de fragilité, à cause de surfaces exploitables qui parfois n’excédaient pas la vingtaine d’hectares, une superficie trop faible pour qu’elles puissent résister si les temps devenaient trop difficiles (Ouzoulias 2006 : 199-200). En termes fonciers, il ne semble pas que l’on soit en présence d’une régression durant laquelle les terres serait laissées en friche, mais plutôt d’un mouvement de concentration foncière où une majorité des fermes, environ 80 % en Bretagne et dans les Pays de la Loire, comme nous l’écrivions au début de ce chapitre, auraient été abandonnées, seules quelques-unes étant restaurées ou créées de toutes pièces. Le fait marquant, comme partout en Gaule, est la fondation des capitales de cité consécutive à l’organisation du territoire par Auguste. Dans les quatre cités de la péninsule Armoricaine, elle s’est effectuée durant la dernière décennie précédant notre ère sur un site choisi ex nihilo, topographiquement adapté et bien desservi par le réseau viaire, moyennant quelques travaux de réfection ou d’aménagement de nouveaux tronçons de voie. La plupart des agglomérations gauloises ont été abandonnées, comme celles de Paule, Quimper-Kergolvez ou Trégueux, probablement parce que leur maillage très dense n’était plus adapté à la nouvelle configuration du territoire. Quelques-unes ont subsisté néanmoins, comme celle de Plaudren, sous la forme d’une agglomération secondaire, en l’occurrence un vicus.
84Qu’en est-il de l’habitat élitaire, en France cette fois ci car les données bretonnes ne sont pas suffisantes ? La plupart des résidences ont été abandonnées, peut-être un peu plus tard que les exploitations agricoles plus fragiles ; on retrouve en effet fréquemment dans les anciennes douves comblées, comme à Paule, des céramiques de facture romaine caractéristiques du début de notre ère. Difficile toutefois de savoir, sauf lorsque les fouilles ont été minutieuses et que les niveaux d’abandon étaient conservés, si ces habitats ont bien perduré un temps avec le même statut social, ou s’ils ont rapidement été déclassés et occupés par une population rurale exploitant les terres aux alentours ou occupée à la démolition des clôtures et des bâtiments. À Trégueux, la construction d’un édifice maçonné à galerie de façade dans l’enceinte quadrangulaire marque la volonté de la famille de continuer à résider à cet endroit, alors même que l’agglomération alentour avait disparu. Si les ruines du rempart attestaient encore l’ancienneté de cette famille, la résidence de facture romaine était confinée dans un espace désormais trop étroit, qui interdisait toute perspective d’évolution. Cet attachement à l’ancien monde n’était probablement pas le meilleur choix. Celui de Paule a été tout autre. Ce type de résidence, signe de réussite et indice fort de l’image du notable au temps de la Gaule indépendante, était désormais devenu obsolète et ne constituait plus un élément majeur de son identité. La famille s’est donc défaite d’une partie de son histoire en enfouissant peut être les bustes de ses ancêtres, comme à Trémuson, et en faisant démolir l’habitat patiemment édifié au fil des siècles pour en récupérer les matériaux. Maintenir son statut dans une cité en pleine réorganisation supposait d’être proche des instances de décisions, dans la nouvelle capitale en construction, en affichant son statut dans une demeure à l’architecture inspirée de l’Italie romaine et, dès que possible, dans un domaine rural à proximité.
85Cela ne veut pas dire que ce lignage n’ait pas été atteint, dans sa chair et dans ses biens, par la guerre des Gaules. Des membres importants ont pu mourir lors des combats et certains domaines être pillés ou détruits. Mais, selon la sentence de Tomasi di Lampedusa (2007 : 227), à propos d’une situation plus récente mais qui frappe par son universalité, la noblesse « est une classe difficile à supprimer car au fond elle se renouvelle continuellement et, quand il le faut, elle sait bien mourir et jeter une graine au moment de la fin ». Et en effet, les descendants et héritiers des grandes familles gauloises ne sont pas restés bloqués sur le passé mais ont su répondre aux exigences de leur époque, quelles qu’aient été les difficultés. Certains ont été envoyés « comme otages ou obsides à Rome où ils étaient élevés avec les princes d’autres familles royales » (Creighton 2002 : 301). D’autres ont suivi César comme auxiliaires, lors des guerres civiles (BC, I, 39). Du fait d’une structuration de la société gauloise en définitive assez comparable au système gentilice romain, avec un système oligarchique affirmé à l’époque de la Conquête, l’intégration des élites gauloises dans le nouveau système a dû se faire rapidement. La découverte d’un siège curule dans une tombe installée près de l’enceinte quadrangulaire d’Arras atteste de l’accession à la magistrature du personnage qui fut inhumé à cet endroit : il était devenu quattuorvir ou duumvir de la cité des Atrébates (Raepsaet, Raepsaet-Charlier 2014 : 86).
- 5 Dieu des commencements et des passages, Janus protège tout ce qui a un rapport concret ou symboliqu (...)
86Dans les plus anciennes monnaies enfouies dans le sanctuaire aménagé à Paule, en mémoire des ancêtres et pour les intérêts du lignage, je me plais à voir l’adoption rapide d’usages romains, générés par l’éducation ou la pratique militaire. Les six grands bronzes républicains retrouvés dans la fosse creusée dans le tumulus ou la construction sur poteaux édifiée à côté [fig. 168 : no 3, 5, 9-10, 15, 27], assez rares dans la région, figurent en effet sur une face Janus bifrons, un visage tourné vers l’avenir, l’autre vers le passé, et sur l’autre face la proue du navire qui aurait amené Saturne dans le Latium où Janus l’aurait accueilli [fig. 344]. Si les membres de la famille qui ont déposé ces pièces étaient conscients, malgré l’usure ou le découpage, de la signification pour un Romain des motifs qui les ornaient5, il y aurait là un beau symbole du lien établi par ce sanctuaire entre les défunts et les vivants, entre un passé glorieux et un avenir qu’on imaginait l’être tout autant. Peut-être ces vieilles et lourdes pièces de bronze ont-elles été offertes, selon la coutume de Rome, comme étrenne pour marquer le début de l’année et la placer sous le signe de la prospérité familiale (Meslin 1978 : 68). À moins qu’elles ne l’aient été un peu plus tard, lors des parentalia qui avaient lieu du 13 au 21 février et durant lesquelles les membres de la famille apportaient des offrandes aux mânes des ancêtres (Ovide, Fastes, II, 530-540) et mangeaient entre eux, auprès d’eux. Il est impossible de le savoir car « il n’y a pas de règles universelles dans les religions romaines, surtout dans les cultes privés » (Scheid 2013). « Par conséquent, chaque famille se construit sa propre histoire, ses coutumes et traditions qui, sans être totalement différentes de celles de leurs voisins, n’en sont pas totalement identiques » (Wolff 2017 : 334). Quoiqu’il en soit, ce sont peut-être là les traces d’une adoption, par le lignage de Paule, de coutumes romaines qui témoignent d’une assimilation rapide des nouveaux usages.

FIG. 344. Exemple d’as frappé d’un Janus bifrons (bronze, diamètre 34,8 mm). Au revers, ROMA, proue de galère, rostre et marque de valeur (trait vertical). République romaine, après 211 av. J.-C. Monnaie conservée au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France, Paris ; réf.de l’objet : REP-802 ; provenance non renseignée.
Example of a struck As with a Janus bifrons bust on the obverse (bronze, diameter 34.8mm), and ROMA, a galley prow, rostrum and mark indicating the value of the coin (vertical line) on the reverse.
Clichés Cabinet des médailles /BNF : réf. IFN-10421205 et IFN-10421205.
- 6 Ausone, Pro, IV : « Tu étais baïocasse, et issu de la race des druides, si la renommée n’est point (...)
- 7 Ausone, Pro, X : « Je ne tairai point le nom du vieux Phébicius : gardien du temple de Belenus, il (...)
87Le souvenir des ancêtres les plus prestigieux a été maintenu durant encore plusieurs siècles grâce à ces cérémonies. Faut-il s’en étonner ? Au ive s. ap. J.-C., Ausone, dans l’éloge qu’il fait des professeurs de sa ville natale de Bordeaux, précise que deux d’entre eux, le rhéteur Attius Patera de la cité des Baïocasses6 et le vieux grammairien Phebicius7, sont issus de vieilles familles druidiques d’Armorique, en charge de temples dédiés à Belenos-Apollon. La profondeur généalogique développée par le lignage de Paule, sur près d’un millénaire, n’était peut-être donc pas si exceptionnelle en Gaule pour certaines familles, celles de la noblesse d’extraction.
12.12. Paule : un arbre qui cache la forêt ?
88En 1988, lorsque le site de Paule a été pour la première fois présenté, lors du colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer qui se tenait à Quimper, il est apparu comme extraordinaire, car il ne s’intégrait pas dans la hiérarchie établie pour les habitats de cette période. Ce lieu parsemé de profondes excavations difficiles à comprendre et livrant des objets étonnants avait alors le charme de la singularité. En règle générale, les archéologues ont des difficultés à intégrer dans leur discours la pièce unique, celle qui s’emboîte mal dans les schémas existants. Tout autant que les séries, elle peut cependant révéler les transformations en cours dans la société.
89Par chance, mais aussi par la volonté des archéologues, du ministère de la Culture et du conseil général des Côtes-d’Armor, l’étude de ce site a pu être menée à bien sur une superficie excédant très largement celle de l’opération préventive. L’ensemble de la résidence et une partie des installations édifiées à sa périphérie furent fouillées. Les objets mis au jour ont été restaurés et analysés. Centrée sur un espace restreint, l’étude des données ainsi accumulées parvient à des conclusions solides. Elle démontre la continuité, jusqu’à la réorganisation de la Gaule mise en œuvre par Auguste, du statut d’une famille aristocratique dont les origines remontent au premier âge du Fer. Elle révèle les difficultés du grand domaine des origines durant le ive s. av. J.-C., marquées par le comblement d’une partie des celliers et souterrains et l’abandon de la nécropole familiale. Elle met en évidence le rebond du iiie s., qui voit la construction d’une résidence monumentale, rapidement fortifiée, au sein d’un espace que colonisent peu à peu les habitats ruraux et les résidences de la petite et moyenne aristocratie. Cette fouille met enfin en lumière la naissance autour de cette résidence, au cours des iie et ier s., d’une bourgade où l’on trouve des entrepôts et peut-être un marché, selon un processus d’essor des agglomérations observé à cette période dans la majeure partie de l’Europe occidentale.
90« Comme il arrive souvent dans la recherche archéologique, au début l’arbre cache la forêt. Autrement dit, les exemples les plus extraordinaires focalisent l’intérêt et le retiennent souvent longtemps, au détriment des représentants moins attractifs mais plus caractéristiques » (Brunaux 1996 : 66). La demeure des puissants ne peut que refléter la société aristocratique. La diversité des formes des résidences traduit l’hétérogénéité de cette aristocratie, qui présente manifestement plusieurs degrés dans la puissance et la fortune. La synthèse effectuée ici a permis d’établir une série de critères, une grille d’analyse utilisable pour d’autres habitats de la période. Cet outil a permis d’identifier des dizaines de sites comme des résidences probables de l’aristocratie gauloise. Il a également permis de montrer que l’enceinte de Paule n’était nullement une exception, mais qu’elle constituait le type habituel des demeures de la noblesse des trois derniers siècles avant notre ère : des résidences monumentales de plan quadrangulaire et d’une superficie proche de l’hectare, parfois fortifiées, qui se rencontraient en nombre limité sur l’ensemble du territoire, à raison de quelques dizaines par cité tout au plus. La norme de l’habitat aristocratique était à des sites moins imposants, des résidences qui ressemblaient par bien des points aux exploitations agricoles les plus aisées, dont elles différaient cependant par une architecture plus ambitieuse et un mode de vie plus varié. Mais le paysan ou l’éleveur n’était jamais très loin. Évitons toutefois d’utiliser une appellation qui est en train de se répandre, celle de « ferme aristocratique », qui réduit leurs propriétaires à de simples agriculteurs ou éleveurs, alors même que la fonction première de leurs domaines semble être de leur permettre de s’extraire des tâches productives pour se consacrer aux apprentissages et entraînements requis par leur statut : ceux de la guerre en premier lieu, mais aussi la maîtrise des concepts et d’un art de vivre qui leur permet de siéger auprès des puissants. Parlons plutôt d’habitats ou de résidences élitaires, quitte à dresser des typologies permettant, sur la base de critères clairement établis, de distinguer les plus modestes des plus imposantes, à la manière de ce qui a été tenté ici ou de ce que François Malrain a pu établir pour la vallée de l’Oise (Malrain et al. 2002).
91« L’archéologie est une discipline paradoxale. Rattachée […] aux sciences naturelles les plus rigoureuses, elle ne peut développer ses scénarios qu’en s’appuyant sur l’imagination des savants, imagination qui comble les vides et fait surgir de monuments ruinés, d’objets hétéroclites et de traces fugaces patiemment révélées les humanités les plus anciennes ou les moins visibles » (Fabre, Hottin 2008 : 4). Certes, les interprétations évoquées dans cet épilogue constituent pour certaines une prise de risque, du fait du caractère encore limité des données accumulées et des études engagées. Mais présenter sans elles uniquement les faits observés à Paule, sans replacer cet habitat dans une esquisse vraisemblable, ou simplement possible, de la Gaule avant la Conquête, aurait paru un peu vain. À charge pour d’autres archéologues d’en démentir certaines et d’en renforcer d’autres, au fil des découvertes et des études qui ne manqueront pas de s’accumuler.
92Les conclusions de l’enquête ne semblent pas négligeables, même si elles s’appliquent d’abord aux cités armoricaines et, dans une moindre mesure, à la partie septentrionale de la Gaule Celtique et à la Gaule Belgique. La hiérarchie sociale armoricaine, telle qu’elle apparaît à l’issue de l’étude des habitats de ses élites, semble tout aussi complexe que celle des civilisations grecque ou romaine ou, pour prendre un exemple plus récent, que celle des sociétés médiévales, avec une codification dans la dimension des constructions et la nature, la qualité et le nombre des objets qui permettent d’identifier, parmi ces milliers d’habitats, une gradation allant de la simple ferme à la résidence monumentale et même fortifiée des puissants. Paule fait aussi le lien entre habitat dispersé et agglomération, avec la naissance d’une bourgade placée sous sa protection. Aucun divorce donc, entre société campagnarde et société urbaine. Au contraire, elles participent toutes deux d’un réseau, la forme et les services offerts par l’une étant étroitement dépendants de ceux de l’autre. Deux mondes complémentaires, donc, et non rivaux. Dernière remarque : lignages et cités apparaissent également comme étroitement liés, l’avenir d’un citoyen ne pouvant s’envisager que bien intégré dans l’un et au service de l’autre, malgré les rivalités qui s’exprimaient lors des réunions familiales et des assemblées, dans des édifices communautaires dédiés. Si les lignages semblent s’affronter durement au ier s. av. J.-C. pour les magistratures, c’est probablement parce que se situent là désormais les principales sources de pouvoir et de richesse, bien plus que dans la maîtrise des armes et la possession d’un domaine que les partages successoraux ne cessent d’affaiblir.
93Une fois replacée dans l’ensemble des habitats de l’élite gauloise aujourd’hui reconnus, cette résidence illustre en définitive assez bien ce que nous laissaient deviner les textes ou les découvertes effectuées dans les caveaux funéraires de ces hauts personnages, sans que nous osions trop espérer découvrir un jour le lieu où ils avaient vécu. Il ne s’agit pourtant que de celle d’une famille qui n’apparaît pas comme la plus puissante de cette cité du « bout du monde », même si elle avait été capable de construire, génération après génération, son identité lignagère pour participer à l’exercice du pouvoir. On n’ose imaginer ce que révélerait l’étude des demeures de Dumnorix ou de Diviciacos, chez les Éduens, ou de l’arverne Vercingétorix. Espérons que Paule, en dégageant les principaux traits des résidences de la noblesse gauloise, donnera envie d’en rechercher ailleurs et surtout, lorsque l’un de ces sites sera découvert dans le cadre de l’archéologie préventive, nous aidera à éviter de le fouiller trop partiellement ou rapidement, en méconnaissant son emprise réelle et la complexité des vestiges.
Notes
1 Stéphane Blanchet et Cyril Marcigny sont archéologues à l’Inrap et rattachés de l’UMR 6566 du CNRS (CreAAH).
2 César, BG, VI, 15, 2 : « Ils [les equites] proportionnent à l’éclat de leur naissance et de leurs richesses le nombre de serviteurs et de clients dont ils s’entourent. C’est pour eux la seule marque du crédit et de la puissance. »
3 Tertullien, De anima, 57 : « Ce n’est pas en vain, nous dit-on, que les morts se sont montrés, et cela plus d’une fois. Les Nasamons, ainsi que l’écrivent Héraclide, Nymphore ou Hérodote, consultent des oracles domestiques en séjournant auprès du tombeau de leurs parents. Nicandre affirme que les Celtes passent la nuit, pour la même raison, devant les monuments des héros. »
4 César, BG, I, 18 : « Dumnorix, homme plein d’audace, avait acquis par ses largesses une grande influence sur le peuple, et était avide de changement. II avait, depuis plusieurs années, obtenu à bas prix la perception des péages et autres impôts des Éduens, parce que personne n’avait osé enchérir sur lui. »
5 Dieu des commencements et des passages, Janus protège tout ce qui a un rapport concret ou symbolique avec la porte (janua) : les entrées et les sorties, les départs comme les retours. Il garde le seuil de chaque maison, surveille les portes des villes, signalées par de grands arcs de pierre. C’est pourquoi ses deux attributs sont la clé et le bâton qui permettent au « portier » (janitor) d’ouvrir ou de fermer la porte et de chasser les visiteurs indésirables. Pour la même raison, il est traditionnellement représenté avec deux visages (Janus bifrons), un dans chaque direction à surveiller (dedans et dehors, devant et derrière). Toujours nommé le premier dans les prières et cérémonies religieuses, il est le dieu du matin (Matutinus Pater), du premier jour de chaque mois et surtout celui qui ouvre la porte de l’année, d’où le nom de son mois, januarius (janvier). Pour bien augurer de l’année à venir et la placer sous d’heureux présages, on se livre ainsi à tout un cérémonial : on orne les portes de branches de laurier car cette plante est toujours verte ; on y suspend des lanternes allumées en plein jour ; on échange salutations, embrassades, vœux et cadeaux, appelés strenæ (d’où vient notre mot « étrennes ») ; on offre des dattes, des figues sèches et du miel pour garder le goût de la douceur toute l’année, des noix enveloppées d’or ou d’argent, des pièces de monnaie en guise de présage d’une richesse souhaitée par chacun. C’est ce rite proprement romain du Nouvel An dont nous perpétuons la tradition encore aujourd’hui.
6 Ausone, Pro, IV : « Tu étais baïocasse, et issu de la race des druides, si la renommée n’est point trompeuse : ta famille tirait son origine sacrée du temple de Belenus ; de là vos noms : le tien, Patéra, qui, dans le langage des initiés, désigne les ministres d’Apollon ; celui de ton frère et de ton père, qu’ils doivent à Phébus ; et celui de ton fils, qui lui vient de Delphes. Nul en ce siècle n’eut autant de lumières, et nul ne sut varier comme toi la marche et les tournures du discours. »
7 Ausone, Pro, X : « Je ne tairai point le nom du vieux Phébicius : gardien du temple de Belenus, il n’en était pas plus riche ; mais issu, comme on se plaît à le dire, de la race des druides chez les peuples de l’Armorique, il obtint, par les soins de son fils, une chaire à Burdigala. »
Table des illustrations
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Légende | FIG. 334. Région de Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan). Évocation de ce qu’a pu être le développement de l’habitat enclos en Bretagne entre le VIe et le Ier s. av. J.-C., sur un fond topographique localisant les enclos, parcellaires et chemins attribuables au second âge du Fer et à l’Antiquité. Les enclos n’ont été ni sondés ni fouillés, mais le tracé de leur clôture, est cohérent avec ce que l’on connaît de l’évolution morphogénique de ces habitats. Région de Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan). The Saint-Brieuc-de-Mauron (Morbihan) region. Rendering of what could have been the development of the enclosed settlement in Brittany between the 6th and 1st c. BC, on a topographic background localizing the enclosures, land plots and roads attributable to the Second Iron Age and Antiquity. The enclosures have not been tested or excavated, but the line of their enclosure is coherent with what we know about the morphogenic evolution of these settlements. |
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Légende | FIG. 335. Mise en parallèle des édifices gaulois composés de plusieurs corps de bâtiment encadrant une cour avec des macella romains : 1 Bibracte / PC 15, état 1 (Saône-et-Loire) ; 2 Thésy-Glimont / Les Vergnes ; 3 Trégueux / LaVille Pollo (Côtes-d’Armor) ; 4 Paule / Le Camp de Saint-Symphorien, phase 4 (Côtes-d’Armor) ; 5 Corent / Puy-de-Corent (Puy-de-Dôme) ; 6 Le Puy-Saint-Bonnet / Les Natteries ; 7 Pompéi (Campanie, Italie) ; 8 Leptis Magna (Al Mourqoub, Lybie) ; 9 Pouzzoles (Campanie, Italie). Comparison of the Gallic edifices composed of several buildings framing a courtyard with Roman macella : 1 Bibracte/PC 15, State 1 (Saône-et-Loire) ; 2 Thésy-Glimont / Les Vergnes ; 3 Trégueux/ LaVille Pollo (Côtes-d’Armor) ; 4 Paule / Le Camp de Saint-Symphorien, Phase 4 (Côtes-d’Armor) ; 5 Corent / Puy-de-Corent (Puy-de-Dôme) ; 6 LePuy-Saint-Bonnet / Les Natteries ; 7 Pompei (Campania, Italy) ; 8 Leptis Magna (Al Mourqoub, Lybia) ; 9 Pozzuoli (Campania, Italy). |
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Légende | FIG. 336. Modèle d’organisation du territoire d’une cité gauloise, tel qu’il peut être établi d’après les données accumulées en Bretagne : des enceintes de superficie et de forme diverses contrôlent le réseau viaire et vraisemblablement des marchés. Organizational model of the region of a Gallic city, as it can be deducted according to the data accumulated in Brittany: enclosures of variable surface areas and shapes control the road network and probably the markets. |
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Légende | FIG. 337. Un membre de la classe des equites représenté en combattant, armé de la lance et du bouclier, sur l’un des statères osismes du dépôt monétaire de Rosquelfen à Laniscat (Côtes-d’Armor). Au-dessous, une enseigne de guerre en forme de sanglier. A member of the equites order represented as a combatant, armed with a lance and shield, on one of the Osismii staters of the monetary deposit at Laniscat (Côtes-d’Armor). Below, a war emblem in the form of a wild boar. |
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Légende | FIG. 338. Les manifestations du pouvoir en milieu rural (IIIe-Ier s. av. J.-C.) : la part des diverses formes de résidences élitaires. The manifestations of power in rural contexts (3rd-1st c. BC: the proportions of diverse forms of elite residences. |
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Légende | FIG. 339. La part de l’élite dans la société gauloise d’après les textes. The stratification of Gallic society according to texts. |
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Légende | FIG. 340. Stratification de la société gauloise : une proposition. The stratification of Gallic society : a proposition. |
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Légende | FIG. 341. À Saint-Herblain / Les Pellières (Loire-Atlantique), un lieu de culte a été édifié au Haut-Empire autour d’un tumulus de l’âge du Bronze près duquel une dizaine de figurines en terre blanche ont été retrouvées. Le monument funéraire construit à l’est du tumulus dans un enclos est environné de foyers et de fours, comme à Paule. At Saint-Herblain / Les Pellières (Loire-Atlantique), a place of worship was edified during the Early Empire around a Bronze Age tumulus near which a dozen white clay figurines were found. The funerary monument constructed to the east of the tumulus in an enclosure is fireplaces and hearths, as at Paule. |
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Légende | FIG. 342. Une représentation symbolique de l’organisation territoriale de la cité, réunion de plusieurs pagi ? a statère d’or à la petite tête nue attribué aux Vénètes (LT, 6879), diam. 20 mm : sur l’avers, une tête à droite reliée à quatre petites têtes par des cordons perlés ; l’effigie repose sur un socle complexe semblable à ceux qui peuvent surmonter une hampe ; sur le revers, un cheval androcéphale conduit par un aurige tenant dans sa main gauche un vexillum, représenté par quatre lignes verticales surmontant trois points disposés en triangle ; sous l’aurige, une roue ; sous le cheval, un personnage couché surmonté d’une aile ; b statère de billon au sanglier en cimier des Osismes (LT, 6555), diamètre env. 24 mm : sur l’avers apparaît une tête à droite sommée d’un sanglier-enseigne et reliée à trois petites têtes par des cordons perlés. Sur le revers, un cheval androcéphale à gauche dont le visage est encadré par deux petites têtes reliées par une composition de rinceaux et fleurons ; sous le cheval, un sanglier-enseigne et un oiseau aux ailes éployées. A symbolic representation of the regional organization of the city; a union of several pagi? a gold stater with a small nude head attributed to the Veneti (LT, 6879), diam. 20 mm: on the obverse, a head looking right, connected to four small heads by pearled cords: the effigy rests on a complex stand similar to those that can top a pole; on the reverse site, an androcephalous horse driven by a charioteer holding a vexillum in his left hand, represented by four vertical lines arranged in a triangle; under the charioteer, a wheel; under the horse, a lying person with a wing on top; b billion stater with a wild boar crest of the Osismii (LT, 6555), diameter approx. 24mm; on the obverse, there is a head to the right topped with a boar-emblem and connected to three small heads by pearled cords. On the other side, an androcephalous horse on the left, whose face is framed by two small heads connected by a composition of scrolls and fleurons : under the horse, a boar-emblem and a bird with outstretched wings. |
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Légende | FIG. 343. Monnaie en argent (diamètre 13 mm) portant le nom de Dubnoreix (Dumnorix), membre de la noblesse éduenne, frère cadet du druide Diviciacos et gendre d’Orgétorix, roi des Helvètes. Le bandeau honorifique qui encadre à l’avers son visage rappelle celui des bustes de Paule. Ancienne collection Hucher du Musée de Caen, aujourd’hui disparue. Silver coin (diameter 13 mm) bearing the name Dubnoreix (Dumnorix), member of the Aeduene nobility, younger brother of the druid Diviciacos, and son-in-law of Orgetorix, king of the Helvetii. On the obverse side, the honorific banner framing his face resembles that of the busts at Paule. |
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Légende | FIG. 344. Exemple d’as frappé d’un Janus bifrons (bronze, diamètre 34,8 mm). Au revers, ROMA, proue de galère, rostre et marque de valeur (trait vertical). République romaine, après 211 av. J.-C. Monnaie conservée au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France, Paris ; réf.de l’objet : REP-802 ; provenance non renseignée. Example of a struck As with a Janus bifrons bust on the obverse (bronze, diameter 34.8mm), and ROMA, a galley prow, rostrum and mark indicating the value of the coin (vertical line) on the reverse. |
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