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Une résidence de la noblesse gauloise

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Yves Menez

Chapitre 1. Le cadre de l’intervention

Chapter 1. The research context

Résumé

Dans l’Ouest de la France, sur la commune de Paule (département des Côtes-d’Armor, Bretagne), un lieu connu jusqu’alors comme « le Camp de Saint-Symphorien » a livré les vestiges de ce qui s’est avéré être un puissant habitat gaulois [fig. 1]. Depuis la ligne de crête sur laquelle il est implanté, la vue porte loin au-delà des Montagnes Noires en direction du nord-ouest. Il domine par ailleurs deux sources au débit important, celle de Coat ar Scaon au nord-est, et celle de Saint-Symphorien au nord [fig. 2]. Monumentale, l’enceinte s’est durablement imprimée dans le paysage [fig. 3]. Elle est mentionnée pour la première fois au xviie s., mais son étude a débuté en 1988 à l’occasion de la déviation de la route départementale no 3 [fig. 4]. La fouille préventive qui s’est alors déroulée durant deux mois a fait resurgir des vestiges d’une telle ampleur que les recherches se sont poursuivies durant 17 ans, couvrant une superficie totale de 51 500 m2. Dès le début des recherches, il est apparu que le site de Saint-Symphorien ne s’apparentait aucunement aux fermes gauloises jusqu’alors étudiées et qu’il s’agissait d’un habitat d’un type jusque-là non répertorié en France. Ce caractère exceptionnel a conduit, selon une démarche analogue à celle suivie sur la ferme gauloise de Plouër-sur-Rance, dans les Côtes-d’Armor (Menez 1996), à mener une étude aussi complète que possible des vestiges. Près de 75 % des niveaux archéologiques ont ainsi été fouillés, ce qui représente 1 153 m de fossés ou de tranchées, 1 348 trous de poteau et 116 fosses (puits, carrières et souterrains). Les volumes a extraire étaient tels que la fouille a été partiellement mécanisée [fig. 6]. La distorsion des résultats induite par cette différence d’approche a été mesurée [tabl. i-ii]. La masse des données recueillies a rendu indispensable leur enregistrement dans une base de données informatisée reliée à un SIG. Un outil qui s’est avéré précieux pour confronter ces données et faciliter l’étude des fondations comme de la répartition des objets ou déchets retrouvés.
L’espace occupé à l’âge du Fer s’étend au-delà des limites de l’enceinte centrale. Autour d’elle gravitent plusieurs zones construites [
fig. 5]. C’est avant tout par l’analyse morphologique et stratigraphique des multiples trous de poteau, fosses et fossés, seuls vestiges des constructions, que l’on a pu restituer les principales phases de l’histoire du site. L’étude des objets rattachés à chaque phase est venue, dans un second temps, proposer des terminus ante quem ou post quem pour la mise en place de certains remblais et les principales étapes de son évolution.
Bien sûr, plusieurs articles ont d’ores et déjà rendu publique la découverte de certains vestiges (Menez, Arramond 1997 ; Menez 1999 ; Menez et al. 2007), mais une présentation exhaustive de ce site exemplaire, phase par phase, suivie d’une réflexion sur l’habitat aristocratique en Gaule entre le
iiie et le ier s. av. J.-C., était incontournable ; c’est chose faite avec cet ouvrage. Comme toute recherche archéologique d’une certaine ampleur, celle du site de Paule est le résultat d’un travail d’équipe, coordonné par l’auteur mais réalisé sur le terrain comme lors des études par de multiples fouilleurs et chercheurs impliqués dans l’étude des objets et prélèvements effectués : les céramiques (Le Goff 1994a ; Morzadec 1995 ; Le Gall 2007), les objets en pierre (Fossati, Pradourat 2003 ; Hamon 2004), en métal (Pernot 1995 ; Chanson 2005) ou en lignite (Le Nagard 2005), les monnaies (Drost 2003), les sculptures (Giot, Morzadec 1992 ; Menez 1999), les pièces en bois (Bernard 1998b ; Dietrich 1998 ; Vertongen 1998 ; Coadic 2007a) ou les sépultures (Menez, Villard-Le Tiec 2003 ; Menez, Le Goff 2004 ; Menez, Berranger 2006 ; Haldemann 2006). Des études ont été également effectuées sur les charbons de bois (Marguerie 1992a ; Hannoyer 2002 ; Le Digoll 2007) ou les sols (Gebhardt 1992a ; 1995 ; Marguerie 1992a). L’ensemble de ces études se répondent pour aboutir au tout cohérent de l’histoire du site.

Texte intégral

1.1. Contexte des recherches

1Le Camp de Saint-Symphorien, sur la commune de Paule (Côtes-d’Armor) se situe en plein cœur de la Bretagne. Sa position topographique s’avère remarquable, à l’extrémité d’une ligne de crête qui prolonge vers l’est les Montagnes Noires [fig. 1]. Malgré la modeste altitude de ces sommets (entre 270 et 300 m NGF au voisinage du site), la visibilité s’étend jusqu’à une trentaine de kilomètres en direction du nord-ouest vers le Bassin de Carhaix (environ 100 m NGF) et, au-delà, vers les Monts d’Arrée (383 m NGF), point culminant de la péninsule Armoricaine. La vue vers le sud est barrée quant à elle par une seconde ligne de crête.

FIG. 1. Localisation de la commune de Paule (département des Côtes-d’Armor, région Bretagne) et de l’enceinte gauloise dite « le Camp de Saint-Symphorien », et vue du site en 1997.
Location of the Paule municipality (Côtes-d’Armor Department, Brittany region) and the Gallic enceinte (enclosure) called “the Camp of Saint-Symphorien,” and a view of the site in 1997.

Dessin M. Dupré, J. Spard-Gateau ; cliché IGN

  • 1 Ces roches très diverses ont presque toutes été exploitées sur le site comme matériaux de construct (...)

2L’examen géologique du site a été réalisé par P.-R. Giot (1992) à partir de levers détaillés au 1 : 25 000 transmis par le BRGM et complétés par des observations sur le terrain lors des fouilles et des terrassements routiers. Ces travaux préliminaires ont été précisés lors de la publication de la carte géologique du secteur (Bos 1997). On se trouve sur le flanc méridional du bassin de Châteaulin, ici débité par de multiples failles transversales, de sorte que la continuité des bandes n’est assurée que sur de courtes distances [fig. 2]. De manière générale, à hauteur du Camp de Saint-Symphorien se succèdent du nord au sud des bandes de schistes bleus plus ou moins chargés en oxyde de fer, de schistes grossiers, de grès armoricain ferrugineux, de quartz et quartzites blancs, puis de schistes phylliteux, parfois altérés et qui prennent alors l’apparence d’une « argile blanchâtre ». Quelques filons d’amphibolite, roche verte volcanique plus massive, recoupent ces formations1. Les failles traversant les lieux-dits Bellevue et Ker Saint-Éloy ont fait disparaître sur une large bande les schistes ardoisiers sombres qui réapparaissent de part et d’autre. L’enceinte et les installations qui s’y rapportent (les souterrains par exemple) s’inscrivent dans cette zone de contact gréseuse, montrant qu’il a été tenu compte de l’orientation de ces failles et des diaclases lors du creusement des excavations profondes.

FIG. 2. L’enceinte dans son contexte topographique et géologique (d’après Bos 1997).
The enceinte in its topographic and geologic context (after Bos 1997).

Dessin M. Dupré, J. Spard-Gateau

3Deux sources au débit important sont connues à proximité : celle de Coat ar Scaon, à 800 m au nord-est, et celle de Saint-Symphorien, à moins de 100 m au nord. Ces fontaines pérennes, où les eaux de surface sourdent de failles aujourd’hui captées, alimentent les communes avoisinantes. D’autres sources au débit plus réduit génèrent de petits ruisseaux aux alentours. Malgré la faible altitude de ses reliefs, la ligne de crête, orientée ouest-sud-ouest – est-nord-est, forme la ligne locale de partage des eaux. Les ruisseaux qui sourdent du flanc nord alimentent l’Aulne, qui se jette à l’ouest dans la rade de Brest ; ceux qui s’écoulent du flanc sud rejoignent le Scorff, qui débouche au sud sur l’Atlantique, à hauteur de Lorient.

  • 2 Institut géographique national.

4La première mention connue de l’enceinte est une note manuscrite du 6 décembre 1682 (Rapine 1995 : 13). Elle signale « au-dessus de la chapelle de Saint Siphorien un chasteau nommé Castel Andic dont les vieils vestiges paroissent encore tant par l’apparence des fossés que de quelques élévations ». En 1884, J. Gaultier du Mottay (1883-1884 : 80) mentionne à son tour « l’enceinte fortifiée ou quadrilatère de Castel Odic, ayant soixante-quinze mètres de côté ». Cette indication, très succincte, sera reprise par G. de La Chenelière (1884 : 101), puis par A.-L. Harmois (1909 : 146). Si le toponyme diffère de celui qui est utilisé de nos jours, qui se réfère au hameau le plus proche, la description convient parfaitement à ce qui devait subsister de la fortification à la fin du xixe s. : un champ délimité sur au moins trois côtés par une puissante levée de terre, large d’environ 10 m à la base et d’une hauteur conservée de 3 m. L’étude des clichés effectués par l’IGN2 en 1952 [fig. 3a] et 1961 [fig. 3b] a montré qu’il existait encore, à ces dates, les vestiges d’autres talus ou remparts. Les travaux agricoles effectués entre 1961 et 1968 et les terrassements du remembrement en ont arasé la majeure partie, ne laissant subsister que les façades nord et ouest de l’un des remparts [fig. 3c].

FIG. 3. Intégration de l’enceinte protohistorique dans le parcellaire : a en 1952 (les vestiges du rempart marquent les contours de l’enceinte quadrangulaire précédée d’une avant-cour à l’est) ; b en 1961 (les traces de l’avant-cour ont disparu) ; c en 1968 (les travaux de remembrement ont arasé la plupart des vestiges, ne laissant subsister que les façades nord et ouest de l’un des remparts, planté d’arbres et de buissons).
Integration of the Protohistoric enceinte into the land plots : a in 1952 (the remains of the rampart mark the contours of the quadrangular wall preceded by a forecourt to the east) ; b in 1961 (the remains of the forecourt have disappeared); c in 1968 (the land consolidation work levelled most of the remains, leaving only the north and west facades of one of the ramparts, planted with trees and bushes).

Clichés IGN.

  • 3 La direction des Antiquités préhistoriques et historiques de Bretagne est devenue en 1991 service r (...)
  • 4 Devenues Côtes-d’Armor en 1990.
  • 5 Devenue Institut national pour les recherches archéologiques préventives (Inrap) en 2001.

5En 1984, un premier projet de déviation de la route départementale no 3 a été soumis pour avis aux services de l’État. Le directeur des Antiquités de Bretagne3 a imposé au service des routes du conseil général des Côtes-du-Nord4 d’éviter deux tumuli présumés de l’âge du Bronze, localisés à 200 m au nord du hameau de Kergroas. De ce fait, le projet initial, qui consistait à rectifier sur 400 m la légère courbe que fait à cet endroit l’ancienne départementale, a été abandonné. Un second projet, consistant en une nouvelle route entaillant la crête à 130 m au nord de l’ancienne voie, a été défini. Il traversait l’emplacement de l’ancien « camp ». Considérant les mutilations subies par le site lors du remembrement, le directeur des Antiquités a décidé d’autoriser le passage de la nouvelle route. Une fouille préalable de la partie menacée a alors été négociée. Cette opération, intégralement financée par le conseil général et dirigée par Claude Le Potier, s’est déroulée du 15 mars au 15 mai 1988 [fig. 4]. Réalisée par une équipe constituée de dix salariés de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan)5 renforcée de quelques bénévoles, elle a porté sur une superficie de 5 300 m2. Le temps imparti étant limité, les moyens mécaniques ont alors été largement utilisés pour la fouille des excavations les plus profondes, principalement les fossés qui délimitaient autrefois l’habitat.

FIG. 4. Localisation, sur le plan cadastral, des secteurs d’intervention à l’emplacement et à la périphérie de l’enceinte.
Location on the cadastral map of the intervention sectors in the location and on the periphery of the enceinte.

Dessin M. Dupré, J. Spard-Gateau

6L’intérêt remarquable des découvertes effectuées lors de cette fouille a conduit Jean-Charles Arramond, adjoint de Claude Le Potier en 1988, à diriger une première fouille programmée en 1989 et 1990 sur la partie du camp située au sud de la nouvelle départementale. Ces travaux, cofinancés par le conseil général et l’État, ont porté sur une surface voisine de 600 m2 chaque année et ont été réalisés durant un mois par une dizaine de fouilleurs bénévoles, étendant la superficie étudiée à environ 6 500 m2.

7Les contraintes professionnelles des précédents titulaires ne leur permettant pas de se libérer pour de nouvelles opérations, j’ai dirigé en 1991 et en 1992 une nouvelle fouille programmée bisannuelle. Effectuée durant trois mois chaque été avec une équipe constituée d’une douzaine de fouilleurs bénévoles et de Françoise Labaune, archéologue de l’Afan en charge de la gestion et de l’étude du mobilier, elle a permis d’augmenter la surface fouillée. L’extension des recherches vers le sud, jusqu’en bordure de l’ancienne route départementale, a entraîné la mise au jour de nombreux vestiges au-delà des remparts jusqu’alors considérés comme fixant les limites du site. En 1991, la construction d’un gazoduc à 200 m au sud-ouest a conduit à la réalisation, sur 500 m, d’une tranchée de sondage au nord du hameau de Kergroas. Seuls trois petits fossés vraisemblablement attribuables au second âge du Fer ont été mis au jour lors de ces travaux. L’hypothèse d’une extension de l’habitat dans ce secteur ne pouvait donc raisonnablement être envisagée.

8Une nouvelle fouille pluriannuelle, effectuée de 1993 à 1995, a permis d’achever l’étude de la vaste parcelle localisée entre l’ancienne et la nouvelle route départementale. De 1996 à 1998, les recherches ont porté sur la parcelle délimitée par les vestiges du rempart, au nord de la nouvelle route. Quelques sondages effectués en 1996 par Alain Provost à une centaine de mètres au nord du camp ont mis en évidence les vestiges de l’ancienne chapelle de Saint-Symphorien. Sur l’enceinte proprement dite, une ultime opération triennale réalisée de 1999 à 2001 a permis de porter la superficie étudiée à un peu plus de 24 000 m2. Parallèlement, une fouille limitée, effectuée en 2000 par Alain Provost à l’emplacement de la chapelle avait pour objectif d’examiner le voisinage des sources alimentant un aqueduc antique. Le sous-sol est apparu comme très bouleversé. Une fosse attribuable au second âge du Fer a toutefois été découverte.

9À l’issue de ces multiples opérations, la totalité des vestiges de l’ancienne enceinte avait été mise au jour. On pouvait donc en considérer l’étude comme aboutie. Toutefois, l’extension des recherches au sud, au nord et partiellement à l’ouest, au-delà de la superficie délimitée par les remparts, posait la question de l’étendue de l’habitat qui en occupait les abords immédiats. De nombreuses fondations de clôtures ou de bâtiments du second âge du Fer montraient en effet que les superficies initialement prévues pour les fouilles n’avaient pas suffi à le circonscrire.

10Un nouveau programme triennal, dirigé en collaboration avec Anne Villard-Le Tiec (SRA Bretagne ; UMR 6566 du CNRS), a donc permis d’étudier, de 2002 à 2004, 9 600 m2 à l’ouest de l’enceinte. Par la suite, un autre programme de recherches, dirigé avec Marion Berranger, alors doctorante à l’université de Paris 1 (UMR 7041 du CNRS), a porté sur trois secteurs d’une superficie cumulée de 14 400 m2 localisés à l’est de l’enceinte. Enfin, une fouille effectuée en 2010, toujours avec Anne Villard-Le Tiec, a porté sur 3 600m2, au sud-ouest de l’enceinte cette fois. Signalons en outre deux fouilles réalisées avec Joseph Le Gall (Inrap) un peu plus au nord : en 2008, une nouvelle campagne sur l’ancienne chapelle et les sources de Saint-Symphorien, et de 2009 à 2013 sur une vaste résidence fortifiée du haut Moyen Âge à Bressilien.

11Au cours de ces nombreuses années d’investigation, de très abondants vestiges de l’âge du Fer ont été découverts sur les 51 500 m2 étudiés, dont quelques-uns ont fait l’objet de publications préliminaires (Menez, Arramond 1997 ; Menez 1999 ; Menez etal. 2007). Mais l’ampleur des vestiges et des recherches (Menez 2008) imposait la rédaction d’une monographie mettant en perspective l’ensemble des résultats. C’est ainsi qu’est né le projet d’un ouvrage présentant l’habitat principal, « l’enceinte de Saint-Symphorien » [fig. 5], ainsi que les installations fouillées dans ses alentours immédiats : à l’ouest, la nécropole de l’âge du Bronze et le lieu de culte antique de Kergroas (ensemble 2) ; à l’est, la nécropole, l’habitat et l’entrepôt gaulois de Saint-Eloy (ensemble 3) et, plus loin, un second entrepôt et une grange (ensemble 4) ; enfin, au sud, une autre nécropole gauloise près du carrefour (ensemble 5).

FIG. 5. L’enceinte et ses abords : désignation des ensembles de l’âge du Fer mis au jour, et positionnement des vestiges de l’âge du Bronze sous-jacents.
The enclosure and its surroundings: designation of the Iron Age groups discovered, and positions of the underlying Bronze Age remains.

Dessin Y. Menez, M. Dupré, J. Spard-Gateau.

1.2. Objectifs scientifiques des fouilles

12Lorsque les travaux ont débuté à Paule, les vestiges visibles étaient attribués au Moyen Âge par la direction des Antiquités. Un chercheur local y voyait quant à lui un camp romain (Moal 1987). À l’exception de quelques monnaies probablement romaines, signalées dans les inventaires du xixe s. mais qui n’ont pas été conservées (Gaultier du Mottay 1883-1884 ; La Chenelière 1884), aucun objet provenant de ce site n’avait été signalé. Ce sont donc, en définitive, les sondages effectués le 1er mars 1988 par Claude Le Potier qui ont permis d’attribuer l’enceinte au second âge du Fer, d’après la centaine de fragments de céramique gauloise et d’amphores italiques qu’il y a recueillie.

13L’opération s’est inscrite par conséquent dans la dynamique d’étude des habitats gaulois de l’Ouest de la France initiée en 1981 par la fouille du Braden à Quimper (Le Bihan 1984 ; Le Bihan et al. 1987 ; Le Bihan 1988), dans le Finistère. Toutefois, l’ampleur du talus qui délimitait encore l’angle nord-ouest de l’enceinte étonnait sur un habitat d’une superficie somme toute commune, alors estimée à 1,6 ha. Il en était de même de la profondeur de certains fossés, qui excédait parfois la taille maximale de 2,50 m constatée sur tous les habitats ruraux fouillés jusqu’alors. Enfin, la quarantaine de tessons d’amphores italiques découverte lors du premier jour de sondage malgré le faible nombre de structures alors fouillées, apparaissait comme surprenante au centre de la péninsule, en un lieu éloigné des côtes et des pénétrantes naturelles que constituent les rias bretonnes pour les navires. En conséquence, le site est apparu dès l’origine très différent des fermes déjà étudiées. Il ne présentait également aucune similitude apparente, en termes de superficie ou de taille de ses remparts, avec les fortifications de type hill forts ou oppida répertoriées et sondées dans la région par Sir Robert Eric Mortimer Wheeler et Katherine M. Richardson (Wheeler, Richardson 1957). Il s’agissait donc vraisemblablement d’un habitat d’un type nouveau sur le territoire national.

14Dès le début, l’objectif a été d’étudier l’enceinte sur la totalité de sa superficie. L’opération s’inscrit donc dans la logique de celle qui a été réalisée sur la ferme gauloise de Plouër-sur-Rance, dans les Côtes-d’Armor (Menez 1996), à pour enjeu scientifique de constituer, à partir de sites étudiés sur de vastes superficies en fouilles programmées et préventives, un corpus d’habitats du second âge du Fer représentatifs de la diversité constatée lors des prospections, et d’identifier les principales étapes de leur évolution.

1.3. Questions de méthode

15Comme sur la plupart des habitats de l’âge du Fer fouillés dans l’Ouest de la France, les sols anciens ont été presque totalement détruits par les travaux agricoles. La terre végétale, labourée dans les parcelles concernées tous les sept ans pour régénérer l’herbage, ne recelait aucun vestige, à l’exception de rares fragments d’amphores érodés par les chocs des charrues et les intempéries. Ici en effet, les tessons de céramique gauloise résistent très mal à l’érosion, notamment aux chocs thermiques provoqués par les gels, et disparaissent totalement au fil des ans lorsqu’un labour plus profond les extrait des structures sous jacentes.

16La préservation de très rares lambeaux de sols protohistoriques a permis de constater que les niveaux de circulation de l’âge du Fer se situaient approximativement à 0,40 m au-dessus de la sole des labours, qui correspond généralement au sommet du substrat. Il a par conséquent fallu préalablement enlever la terre végétale afin de mettre au jour le sommet des anciennes excavations. Ce travail a été effectué en deux temps : un chargeur, en 1988, ou une pelle mécanique munie d’un large godet sans dents les années suivantes, a enlevé dans un premier temps la majeure partie des terres, en s’arrêtant approximativement à la sole des labours. Le décapage d’une couche épaisse de quelques centimètres, constituée d’un mélange de sable et de limons issus de la dégradation du substrat et de terres plus sombres apportées par les travaux agricoles ou les animaux fouisseurs, a ensuite été effectué à l’aide d’une tractopelle. Le recours à cet engin permet d’effectuer avec plus de précision la mise au jour des vestiges, en adaptant constamment l’inclinaison du godet aux reliefs du sommet des vestiges ou du substrat. En effectuant de manière simultanée le nettoyage de la surface ainsi mise au jour à l’aide de pelles et de pioches, de binettes puis de brosses, les terres peuvent être rejetées dans le godet de l’engin. On aboutit ainsi, au rythme de 800 m2 par jour, à une surface parfaitement propre, où le sommet de la presque totalité des excavations protohistoriques apparaît sous la forme de taches ou de bandes de terre brune.

17Les trous de poteau ont été fouillés à la truelle par passes horizontales successives, afin de déterminer autant que possible l’emplacement du poteau, matérialisé par la disposition des pierres de calage ou la présence d’une colonne de terre brun foncé. Les excavations un peu plus volumineuses, telles que les fosses, les souterrains ou les puits, ont généralement été fouillées à l’aide de pelles et de pioches, parfois de truelles lorsque le nettoyage de certaines surfaces ou la découverte d’objets le nécessitait. Toutes ces structures ont fait l’objet d’une fouille intégrale, à l’exception d’une salle de l’un des souterrains dont la solidité de la voûte est apparue insuffisante. Le plus souvent, les comblements protohistoriques étaient compacts et les parois des excavations, taillées dans le schiste ou le grès armoricain peu altéré, relativement résistantes.

18Dans le comblement d’une vaste carrière mise au jour dans la partie nord-ouest de l’enceinte, une tranchée a été réalisée à l’aide d’une tractopelle. La profondeur de l’excavation et le caractère potentiellement instable des remblais constitués de déchets de taille en interdisaient en effet la fouille manuelle.

19Le problème méthodologique essentiel, en définitive, a été le volume des fossés. Ces excavations, dont l’étude fournit sur les habitats arasés la plupart des informations de chronologie relative, livrent en outre l’essentiel des objets permettant de proposer une datation pour leurs remaniements. Mais une fouille intégrale des 1,6 km de fossés mis au jour à l’emplacement de l’enceinte quadrangulaire, sans même envisager ceux découverts à la périphérie, était difficilement envisageable. D’autant que certains atteignaient des profondeurs qui posaient des problèmes techniques et de sécurité. Le délai de deux mois consenti pour l’opération préventive de 1988 a imposé une fouille presque totalement mécanisée. Elle a été effectuée passe par passe à l’aide d’une tractopelle, les terres extraites étant étalées au fur et à mesure à la binette afin de prélever l’essentiel des objets enfouis. Les coupes ont ensuite été retaillées à la main sur une largeur comprise entre 0,5 et 2 m, afin d’observer la stratigraphie des remplissages. Mais, du fait de cette méthode, les objets n’ont pu être rattachés à l’un ou l’autre niveau. Quelques tronçons de fossés ont été néanmoins fouillés à la pelle et de à la pioche pour prélever plus d’objets en contexte. Ces travaux se sont révélés pénibles, notamment l’évacuation des terres. L’usage d’un monte matériaux, pourvu d’une benne basculante permettant de déverser les déblais directement dans des dumpers, a notablement facilité la fouille, même si la manipulation de milliers de tonnes de pierres et de terre a nécessité un investissement physique considérable, sans commune mesure avec celui que requièrent la plupart des habitats ruraux de cette période. La localisation des portions de ces fossés fouillées à la tractopelle ou à la main témoigne de l’ampleur de ces travaux [fig. 6].

FIG. 6. Plan général de l’enceinte et méthodes de fouille utilisées pour sa mise au jour. Par « mécanisée » on entend que la fouille a été réalisée à l’aide d’une tractopelle (pour les excavations les plus volumineuses). Par « manuelle » on entend qu’elle l’a été à la pelle et à la pioche, ou à la truelle pour les fosses et trous de poteau.
General map of the enclosure and excavation methods employed. The “mechanical” excavation method is realized with a backhoe (for the most voluminous excavations). The “manual” excavation method is realized with a pick and shovel, or a trowel for the pits and postholes.

Dessin Y. Menez, M. Dupré, J. Spard-Gateau.

  • 6 Maurice Gauthier est prospecteur aérien bénévole.

20Il apparaît nécessaire d’insister également sur un frein, qui fut parfois majeur, à l’examen stratigraphique des vestiges : la faible différenciation de certains remplissages avec le substrat environnant. Un bon exemple en est offert par les difficultés que nous avons rencontrées lors de la fouille de l’ensemble 4. Ce vaste enclos rectangulaire, avait été découvert en 1999 dans le cadre des prospections aériennes effectuées par Maurice Gautier6, à un peu moins de 200 m à l’est de la forteresse. Au cours de l’été 2004, une tranchée d’une largeur de 2 m, élargie à 4 m dans la partie orientale, a été effectuée sur toute la largeur de l’enclos. Mais, malgré un nettoyage poussé effectué à la binette, les anciennes excavations était presque indiscernables. Le vestige le plus évident était une fosse contenant la partie inférieure d’une céramique brisée en place, attribuable à l’âge du Bronze. Par contre, les fossés de délimitation de l’enclos sont demeurés dans un premier temps invisibles. Il a fallu les rechercher à la pelle et à la pioche en se fondant sur l’observation des clichés aériens, pour les découvrir enfin, occultés par un comblement proche du substrat.

21De 1988 à 2001, à l’intérieur de l’enceinte et dans ses environs immédiats, on peut estimer que 75 % des niveaux archéologiques ont été étudiés, ce qui représente 1 153 m de fossés ou de tranchées, 1 348 trous de poteau et 116 fosses, comprenant puits, carrières et souterrains. Une attention particulière a été portée aux recoupements entre les structures. Par ailleurs, le nivellement en mètres NGF du fond et du sommet de la presque totalité des excavations a permis, notamment pour les trous de poteau, d’effectuer des tris en fonction de la profondeur relative ou absolue des fondations. Pour les fossés, on a pu en déduire le sens d’écoulement des eaux de ruissellement et déterminer les zones privilégiées d’érosion des parois ou d’accumulation des matériaux charriés.

22La disparité des méthodes de fouille était susceptible de générer une disparité dans l’information recueillie. En effet, l’extraction des terres rapide et mécanisée engendrait vraisemblablement, malgré leur étalement simultané, une déperdition dans le mobilier prélevé. Pour l’évaluer, une portion de fossé a été fouillée pour moitié à la pelle et à la pioche. Puis, à l’issue du relevé de la stratigraphie axiale, la moitié restante a été fouillée à la tractopelle. Les résultats obtenus attestent que la perte est non négligeable alors que les remblais apparaissaient, à l’examen des stratigraphies et lors des fouilles, comme très semblables de part et d’autre de l’axe du fossé [tabl. i] : les tessons de céramique gauloise sont trois fois plus nombreux dans la section portion fouillée manuellement, et leur poids moyen diminue notablement. Autrement dit, les tessons récupérés lors de la fouille mécanique sont les plus gros ou les plus immédiatement discernables car les plus caractéristiques : lèvres, fonds, anses… La remarque s’applique en particulier aux tessons d’amphores vinaires dont le nombre est presque quadruplé. Les comptages ou pesages sur les autres types de mobilier ou de prélèvements sont moins significatifs, du fait de l’insuffisance des données statistiques : les os animaux par exemple, sont rares et fragmentaires car le plus souvent dissous par l’acidité des terres, et il a suffit d’un gros fragment brûlé, de teinte blanchâtre facilement discernable, pour équilibrer les données entre ces deux sections ; les objets en pierre sont bien plus nombreux dans la partie fouillée manuellement (11 pour 1), mais là encore il a suffit d’une meule de 5,68 kg, pour équilibrer les découvertes en poids. Enfin, les objets en fer ont été, sans surprise, trois fois plus nombreux lors de la fouille manuelle et les deux fragments découverts lors de la fouille mécanisée étaient relativement gros et faciles à repérer.

TABL. I. Ratio de récupération du mobilier archéologique selon la méthode de fouille utilisée. L’évaluation a été réalisée sur un tronçon de fossé fouillé pour moitié à la pelle et à la pioche et pour moitié à la tractopelle.
Ratio of archaeological artifacts collected per excavation method. The evaluation was made on a ditch section half excavated with a pick and shovel and half with a backhoe.

23L’expérience a été poursuivie pour certains tronçons de fossé qui, lors de la fouille à la pelle et la pioche, s’étaient annoncés comme recelant du mobilier, par la mise en œuvre d’un tamisage à sec de plusieurs mètres cubes de sédiments à l’aide d’un crible électrique doté de trois grilles à maille dégressive, la dernière étant de 5 mm. Les refus de tamis ont ensuite été lavés à l’eau avant d’être triés. [tabl. ii]. Ce test avait pour objectif d’évaluer, cette fois-ci, la perte d’information induite par l’exécution de la fouille à la pelle et à la pioche et non à la truelle. Pour les céramiques gauloises, l’apport du tamisage est insignifiant. Pour ce qui est des charbons de bois, d’assez nombreuses brindilles apparaissent. Elles sont issues d’espèces végétales vraisemblablement différentes de celles qui ont produit les gros charbons prélevés lors des fouilles à la pioche, le plus souvent du chêne. Les petits fragments d’os brûlés sont récoltés en bien plus grand nombre mais, comme on l’a dit plus haut, les données sont de toute façon biaisées par la dissolution de la presque totalité des ossements. Les objets en fer sont plus fréquemment retrouvés mais demeurent rares. Le nombre de fragments de creusets de bronzier a par contre été multiplié pratiquement par six en nombre et par trois en poids. Enfin, on notera la découverte, presque exclusivement dans les parties tamisées ou minutieusement fouillées à la main, de rares petits fragments d’augets, vraisemblablement mêlés par inadvertance aux sacs de sel parvenus sur le site.

TABL. II. Évaluation des données supplémentaires apportées par le tamisage des terres lorsque la fouille est réalisée à la pelle et à la pioche. Test réalisé sur trois tronçons de fossé : les déblais ont été tamisés à sec puis lavés.
Evaluation of the additional data contributed by sediment sieving in association with pick and shovel excavation. The test was made on three ditch sections. The backdirt was dry-sieved and then washed.

24Le mobilier ou les échantillons recueillis de 1988 à 2006 dans l’enceinte [fig. 5 : ensemble 1] s’élèvent à 35 073 tessons de céramique gauloise et 7 449 d’amphores italiques, 1 118 tessons de céramique gallo-romaine dont 73 d’amphores, 25 fusaïoles et un peson en terre cuite, 4 fragments d’objets en verre et 19 en lignite, 683 fragments d’objets en fer, 9 en métal cuivreux dont une monnaie, et un en or, 415 fragments d’objets en pierre, 81 de creusets, 348 de céramique brûlée et 44 d’augets à sel, auxquels il faut ajouter 33,8 kg de charbon de bois, 189,6 kg d’argile cuite comprenant des fragments de parois de four ou de clayonnages, 10 kg d’ossements et 81,9kg de scories de métallurgie. Ceux qui ont été recueillis dans l’habitat périphérique (ensembles 2 à 5) comprennent 2 367 tessons de céramique gauloise et 292 d’amphores italiques, 4 154 tessons de céramique gallo-romaine dont 258 d’amphores, une fusaïole, 25 fragments d’objets en verre, 58 monnaies en métal cuivreux, une en argent et une en billon, 156 fragments d’objets en fer et trois en métal cuivreux, 75 fragments d’objets en pierre, auxquels il faut ajouter 7,5 kg de charbons de bois, 1,5 kg d’ossements et 121 kg de scories de métallurgie.

25L’ensemble de ces informations a été enregistré dans une base de données informatisée, reliée à un système d’informations géographiques (SIG) mis en place par Thierry Lorho. Cet outil s’est avéré, du fait de la masse de données enregistrées, fort utile pour croiser les interrogations et examiner l’ensemble de la documentation et du mobilier.

1.4. Étude des données

  • 7 Archéodunum (Nantes) est un opérateur agréé d’archéologie préventive.

26Sur un site de cette ampleur, la recherche est nécessairement collective. J’ai pris en charge l’étude des structures et des céramiques gauloises. Deux mémoires réalisés par des étudiants, l’un de DEA portant sur l’étude typologique et stratigraphique de 4 560 tessons (Le Goff 1994a), l’autre de Master 1 portant sur la répartition spatiale des principales caractéristiques typologiques (Le Gall 2007), ont également permis de progresser dans l’analyse du mobilier céramique. J’ai, par ailleurs, coordonné une série de travaux confiés à des étudiants ou à des chercheurs confirmés qui ont bien voulu prendre en charge différents types d’objets ou de matériaux intégrés à leurs problématiques de recherche : études pétrographiques (Morzadec 1995 ; Fossati, Pradourat 2003) ou métallurgiques (Pernot 1995 ; Menez et al. 2007), recherches sur les objets en pierre (Hamon 2004), sur le mobilier métallique (Chanson 2005), les monnaies (Drost 2003) et les sculptures (Giot, Morzadec 1992 ; Menez 1999). De même ont été étudiés les objets en lignite (Le Nagard 2005) et les pièces de bois mises au jour au fond d’un puits (Bernard 1998b ; Dietrich 1998 ; Vertongen 1998 ; Coadic 2007a). Pour l’étude de l’environnement ont été pris en compte la micromorphologie des sols (Gebhardt 1992a ; 1995) et le dosage des phosphates et certains lots de charbons de bois (Marguerie 1992a ; Hannoyer 2002 ; Le Digoll 2007). Les tests réalisés sur les premiers échantillons prélevés ont mis en évidence une forte dégradation des pollens fossiles, qui n’ont donc pu être étudiés. L’étude des vestiges fauniques forme une partie de la thèse d’Anna Baudry (2012) sur les ressources animales et l’alimentation carnée à l’âge du Fer. L’analyse des sépultures à inhumation ou à incinération a été assurée par Isabelle Le Goff, de l’Inrap (Menez, Villard-Le Tiec. 2003 ; Menez, Le Goff 2004 ; 2006), Marcia Haldemann, d’Archeodunum7 (Haldemann 2006) et Gwendal Gueguen (Gueguen 2013), et celle des nécropoles par Anne Villard-Le Tiec. De ces travaux, seules les données essentielles à la compréhension de l’habitat de Paule ont été extraites et intégrées à la présente publication.

27À l’issue des opérations de terrain, le site se présente sous la forme d’un vaste complexe comprenant trois vestiges émergeant des sols actuels, à savoir deux tumuli et une portion de rempart, et une quantité bien plus considérable de fossés, de fosses ou de trous de poteau qui constituaient, pour la plupart, les fondations de clôtures ou de bâtiments aujourd’hui disparus. La forte densité et la complexité des structures ainsi révélées déroute dans un premier temps et il semble difficile, notamment dans le fouillis d’excavations qui parsème l’emplacement de l’enceinte quadrangulaire, de discerner les ensembles cohérents qui constituaient autrefois les fondations d’une même unité architecturale. Il paraît évident que ces excavations ne peuvent toutes être contemporaines et que seule une longue histoire peut expliquer leur schéma d’organisation.

28Mais c’est aussi cette multiplicité qui va nous aider, de manière paradoxale, à reconstituer cette histoire. En effet, la succession des creusements dans un même espace a engendré de nombreux recoupements. Il est donc possible, le cas n’est pas si fréquent sur ces sites arasés, d’établir une chronologie relative entre les différents ensembles de clôtures ou de bâtiments en étudiant systématiquement les intersections entre leurs fondations. Le travail d’analyse s’est donc organisé en trois étapes : identifier dans un premier temps les ensembles architecturaux, clôtures ou bâtiments, à partir de leurs fondations ; établir dans un deuxième temps la chronologie relative des occupations en s’appuyant exclusivement sur la documentation, notamment les minutes de fouille et les clichés réalisés ; enfin, en dernière étape, étudier l’ensemble des objets, afin de tenter d’attribuer une date, en terminus ante quem ou post quem, à ces occupations successives. Cela semble une évidence, notamment pour les archéologues habitués à l’étude de sites stratifiés complexes rencontrés lors de fouilles urbaines. Mais cette règle n’est pas toujours appliquée lors de l’analyse de vestiges protohistoriques arasés, car les recoupements observés y paraissent trop rares pour justifier la mise en œuvre d’une telle méthode. Trop souvent, le rattachement d’une excavation à une phase définie pour l’évolution de l’habitat étudié repose exclusivement sur la présence de quelques tessons dans les sédiments qui comblent les structures en creux, qui ont plus de chances de dater leur abandon que leur creusement, qui peut être de plusieurs siècles antérieur. De plus, une excavation creusée lors de la construction d’un bâtiment ou d’une clôture peut être comblée sans que cet édifice disparaisse pour autant. C’est bien évidemment le cas des trous de poteau, comblés au moment même de la construction, mais également celui des tranchées creusées pour implanter des palissades et parfois même celui des fossés, qui ont pu être remblayés sans que les talus qui les bordaient ne soit arasés pour autant.

29Les ensembles architecturaux les plus facilement discernables sont les clôtures, souvent marquées sur les habitats du second âge du Fer de France septentrionale par la présence de fossés et, bien plus rarement, par les ultimes vestiges des éléments construits qui les longeaient : murets, talus… Malgré la complexité du réseau de fossés qui caractérise le cœur du site de Paule, plusieurs unités de plan ovalaire ou quadrangulaire se distinguent aisément. Mais il faut se méfier de cette apparente simplicité, qui trop souvent conduit à interpréter ce type de vestiges, à partir de quelques stratigraphies, comme une clôture élémentaire, par exemple un talus bordé d’un fossé, qui n’aurait jamais été remaniée au fil du temps. En effet, la réalisation de nombreux sondages, particulièrement aux points cruciaux pour la compréhension de l’évolution du réseau de clôtures que constituent les intersections ou les entrées, ont fréquemment mis en évidence, sur les habitats occupés durant plusieurs siècles, de nombreux remaniements (Menez 1994). Il est tout à fait normal que ces bâtis de terre, de bois et de pierre, qui matérialisaient la séparation des différents espaces et témoignaient souvent au passant du soin et des moyens consacrés par les habitants à l’entretien de leur propriété, aient fait l’objet d’attentions particulières et de nombreuses réfections ou améliorations. Il a donc fallu, pour chaque portion de fossé fouillée, identifier les remaniements observés (curages, remblaiements, implantations de poteaux…) afin d’en distinguer les principales évolutions. Puis, en associant les informations obtenues d’un tronçon étudié à l’autre, identifier des ensembles parmi ces clôtures, en tenant compte de leur nature (fossé, tranchée de palissade, rempart…) et de leurs caractéristiques (largeur, profondeur, profil du creusement…). Les traces plus ténues observées de part et d’autre ont également été prises en compte, afin de ne pas se limiter à la trace la plus visible de ces clôtures que constituent les tranchées ou les fossés. Une attention particulière a donc été donnée, à ce stade de l’étude, à la recherche des ultimes vestiges des élévations : base des talus ou des murets, emplacement des poteaux…

30Une fois la structure de chaque clôture restituée, il a fallu établir la chronologie relative de chacune d’entre elles en déterminant, grâce aux coupes réalisées notamment aux intersections du réseau ou de part et d’autre des entrées, la succession des remaniements. Ce premier travail sur les vestiges immobiliers a permis, à la manière de ce qui avait été pratiqué à Plouër-sur-Rance (Menez 1996 : 43), de restituer l’évolution des clôtures ou des défenses de l’habitat. À ce stade, l’histoire du site demeurait toutefois une « boîte vide », une succession d’enceintes sans constructions qui s’y rattachent. Aucune date non plus pour ces restructurations, dans la mesure où le mobilier retrouvé n’avait pas encore été pris en compte.

31La seconde phase de l’étude a porté sur les autres excavations, fosses et trous de poteau, pour distinguer des regroupements susceptibles d’avoir appartenu autrefois aux mêmes ensembles architecturaux. La plupart du temps, il a fallu se contenter, pour tout critère d’analyse, des principales caractéristiques des structures. Elles ont fait en effet l’objet de relevés systématiques par lesquels on a pu reconnaître leur morphologie générale, à savoir leur plan (circulaire, ovale ou quadrangulaire), leur profil (plus ou moins régulier), la présence ou non d’une marche pour les excavations les plus profondes…), ainsi que leur profondeur absolue (rattachée au nivellement général de la France) et relative (par rapport au niveau du décapage, généralement le toit actuel du substrat). Ceci a permis d’établir un principe de classement reposant sur un postulat simple : les fondations ont été creusées de manière relativement régulière, en respectant approximativement les cotes de profondeur indiquées par les charpentiers. Toutefois, l’identité morphologique ne constitue un critère de tri pertinent que pour les fondations des poteaux exerçant des fonctions semblables dans un bâtiment : la poussée subie par les supports de la poutre faîtière par exemple, sera fort différente des contraintes exercées sur les poteaux de soutien des parois ou le dormant des portes. On peut donc s’attendre, pour toutes ces pièces de construction, à ce que dans un même édifice leur section ou leur profondeur d’implantation soit variable. De plus, ce critère de tri n’est pertinent que si les excavations ont été creusées pour s’adapter au plus près au diamètre de poteaux dont les dimensions sont constantes au regard de leur fonction, c’est-à-dire arrivant sur le chantier prêts à l’emploi. Les quelques plans de bâtiment parfaitement lisibles identifiés du fait de l’absence presque totale de remaniements postérieurs à l’âge du Fer, ont globalement confirmé ces hypothèses pour les trois derniers siècles de l’occupation. En conséquence, les principales caractéristiques des trous de poteau fouillés au cœur du site ont été saisies dans la base de données reliée au SIG. Les tris en ont été facilités. Ils ont permis d’identifier avec une forte probabilité, dans des secteurs dont l’étude avait parfois été morcelée sur plusieurs années, des ensembles de fondations cohérents, correspondant vraisemblablement à des édifices. Une trentaine d’emplacements vraisemblables de constructions a ainsi été identifiée.

32On l’a déjà dit, la taille de certaines excavations étonne sur l’habitat de Paule par comparaison avec les autres fermes gauloises étudiées dans la région. La dimension des fossés bien sûr, qui atteignent parfois 4,50 m de profondeur et 11 m d’ouverture, mais aussi celle de certains trous de poteau, d’un diamètre compris entre 1 et 2 m et d’une profondeur d’environ 1 m, parfois plus, sous le niveau estimé des sols de l’âge du Fer. La localisation de ces ensembles de fondations, leur lien avec des clôtures manifestement monumentales, les dimensions des poteaux qu’elles recevaient et la profondeur à laquelle ils ont été implantés m’ont conduit à restituer quelques constructions dotées d’un étage que l’on n’imagine guère habituellement dans l’architecture gauloise. La monumentalité de certaines constructions de bois est pourtant patente sur notre territoire depuis le Néolithique, et l’étude des sites contemporains du Midi de la France ou d’Espagne montre sans ambiguïté la présence d’édifices imposants construits en moellons, terre et bois. Rien d’étonnant, donc, dans le fait que les Gaulois aient édifié des tours ou d’autres bâtiments à étage.

33Fort heureusement, un nombre suffisamment élevé d’objets a été mis au jour pour autoriser une datation des constructions et de leurs remaniements, notamment dans le comblement des excavations volumineuses. De plus, la présence dans certains contextes d’objets métalliques (fibules, éléments d’armement, etc.) ou de nombreux fragments d’amphores italiques a permis de mettre l’évolution du corpus régional en perspective avec celle que l’on a pu constater plus largement en Europe occidentale pour ces périodes. Enfin, les études dendrochronologiques réalisées sur certains échantillons de bois ou de charbons de bois ont également fourni de précieux éléments de datation.

1.5. Préambule à la présentation des résultats

34Il n’est probablement pas inutile de rappeler au lecteur que l’interprétation de l’habitat de Paule repose sur la lecture de vestiges très dégradés. Une dégradation qui tient à la nature des matériaux utilisés pour bâtir et à l’érosion, favorisée par des siècles de labours. Les élévations et les sols de terre et de bois ont tous disparu et seules subsistent les fondations les plus imposantes, celles qui ont entaillé les terres et le substrat sur une profondeur supérieure à 0,50 m. Les constructions qui n’ont pas affecté le substrat, les bâtiments et les clôtures les plus modestes ou de faible portée, mais également ceux bâtis avec d’autres matériaux ou selon d’autres techniques architecturales –sur murets de pierre, sablières basses, solins de pierre…– ont totalement disparu. Il nous faut donc travailler sur un squelette auquel manquent certains os, ou plutôt sur plusieurs squelettes entremêlés, et tenter de leur restituer quelque apparence de vie, sachant que nous n’aurons pour nous orienter que des indices fugaces, les traces qu’ils ont imprimées dans le sol.

35Six phases d’occupation du site ont été reconnues, auxquelles correspondent six chapitres de l’ouvrage. Chacun commence par la présentation des structures dont la construction est attribuée à la période, et met en évidence les éléments tangibles sur lesquels il est possible de fonder l’hypothèse archéologique. La disparition des édifices n’a été considérée comme effective que lorsqu’elle pouvait être clairement établie par la mise au jour de traces de démolition ou de nouvelles constructions au même endroit. Tous les trous de poteau ou les fosses qui, malgré une reprise systématique de l’ensemble des données, ne pouvaient toujours pas être intégrés au phasage ont été écartés. Leur nombre n’est pas si grand en définitive, puisque moins de 200 excavations, soit 13 % du total, ont ainsi été exclues du raisonnement. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces structures témoignent à elles seules d’architectures qui ne peuvent être restituées et intégrées dans l’histoire du site. Il faut donc considérer que les espaces vides discernables dans les restitutions proposées ne l’étaient peut-être pas autant que cela.

36Les premiers chapitres de l’ouvrage convient le lecteur à l’examen des vestiges. L’argumentaire interprétatif s’appuie sur deux types de documents, dans un système qui se répétera à l’identique pour chacune des sept phases :

  • D’une part, des plans et des stratigraphies directement issus des minutes de terrain, sur lesquels sont indiquées les fondations attribuées au bâtiment ou à la phase considérés. Il s’agit des documents « scientifiques » (ou plutôt mesurables), essentiels. Ce sont aussi les seuls sur lesquels apparaissent les structures non interprétées ou qui n’ont pu être rattachées à aucune période. Apparemment honnêtes, ils ont pourtant le défaut, par l’absence de visualisation possible des volumes, d’occulter nombre de points gênants, notamment l’articulation entre les différentes clôtures ou les différents bâtiments restitués.

    • 8 La société Art graphique et patrimoine (AGP, Joinville-le-Pont) est spécialisée dans la numérisatio (...)
    • 9 La société G2B (Nantes), filiale du groupe FIT, proposait l’acquisition et le traitement des donnée (...)

    D’autre part, des restitutions des principales constructions et des vues d’artiste en couleurs de l’habitat et de ses abords. Ces dernières ont été réalisées par Laurence Stefanon, de l’atelier Art graphique et patrimoine8, à partir d’une modélisation précise du relief de la crête effectuée par la société G2B9 à l’issue d’un relevé lidar aéroporté. Elles ont pour unique objectif de mieux faire comprendre les hypothèses générales formulées. Elles sont donc cadrées large et n’ont pas pour vocation de détailler telle ou telle clôture ou construction. Les vestiges conservés ne permettent d’ailleurs pas de proposer des restitutions fiables pour tous les édifices identifiés. De même, les personnages ou les animaux ne sont là que pour permettre au lecteur de visualiser la taille et éventuellement la fonction des constructions ou des espaces restitués et ne présument en rien du nombre d’habitants effectivement présents sur le site. Analogues aux portraits reconstitués à partir de crânes, ou encore à ces visions d’animaux disparus patiemment élaborées à partir de fossiles souvent fragmentaires, ces documents ne peuvent que suggérer les grandes lignes de l’évolution d’un habitat dont seules les fondations les plus profondes nous sont parvenues.

37Sur le socle ainsi établi se fondent les développements qui, clôturant l’exposé, mettent les résultats en perspective et mesurent l’apport des fouilles de ce site à la connaissance de l’aristocratie du second âge du Fer.

Notes

1 Ces roches très diverses ont presque toutes été exploitées sur le site comme matériaux de construction ou pour l’outillage.

2 Institut géographique national.

3 La direction des Antiquités préhistoriques et historiques de Bretagne est devenue en 1991 service régional de l’Archéologie (SRA, direction régionale des Affaires culturelles, ministère de la Culture).

4 Devenues Côtes-d’Armor en 1990.

5 Devenue Institut national pour les recherches archéologiques préventives (Inrap) en 2001.

6 Maurice Gauthier est prospecteur aérien bénévole.

7 Archéodunum (Nantes) est un opérateur agréé d’archéologie préventive.

8 La société Art graphique et patrimoine (AGP, Joinville-le-Pont) est spécialisée dans la numérisation et la modélisation 3D, la réalité augmentée et l’imagerie virtuelle.

9 La société G2B (Nantes), filiale du groupe FIT, proposait l’acquisition et le traitement des données laser aéroportées.

Table des illustrations

Légende FIG. 1. Localisation de la commune de Paule (département des Côtes-d’Armor, région Bretagne) et de l’enceinte gauloise dite « le Camp de Saint-Symphorien », et vue du site en 1997. Location of the Paule municipality (Côtes-d’Armor Department, Brittany region) and the Gallic enceinte (enclosure) called “the Camp of Saint-Symphorien,” and a view of the site in 1997.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-1.jpg
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Légende FIG. 2. L’enceinte dans son contexte topographique et géologique (d’après Bos 1997). The enceinte in its topographic and geologic context (after Bos 1997).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-2.jpg
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Légende FIG. 3. Intégration de l’enceinte protohistorique dans le parcellaire : a en 1952 (les vestiges du rempart marquent les contours de l’enceinte quadrangulaire précédée d’une avant-cour à l’est) ; b en 1961 (les traces de l’avant-cour ont disparu) ; c en 1968 (les travaux de remembrement ont arasé la plupart des vestiges, ne laissant subsister que les façades nord et ouest de l’un des remparts, planté d’arbres et de buissons). Integration of the Protohistoric enceinte into the land plots : a in 1952 (the remains of the rampart mark the contours of the quadrangular wall preceded by a forecourt to the east) ; b in 1961 (the remains of the forecourt have disappeared); c in 1968 (the land consolidation work levelled most of the remains, leaving only the north and west facades of one of the ramparts, planted with trees and bushes).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 221k
Légende FIG. 4. Localisation, sur le plan cadastral, des secteurs d’intervention à l’emplacement et à la périphérie de l’enceinte. Location on the cadastral map of the intervention sectors in the location and on the periphery of the enceinte.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 206k
Légende FIG. 5. L’enceinte et ses abords : désignation des ensembles de l’âge du Fer mis au jour, et positionnement des vestiges de l’âge du Bronze sous-jacents. The enclosure and its surroundings: designation of the Iron Age groups discovered, and positions of the underlying Bronze Age remains.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 204k
Légende FIG. 6. Plan général de l’enceinte et méthodes de fouille utilisées pour sa mise au jour. Par « mécanisée » on entend que la fouille a été réalisée à l’aide d’une tractopelle (pour les excavations les plus volumineuses). Par « manuelle » on entend qu’elle l’a été à la pelle et à la pioche, ou à la truelle pour les fosses et trous de poteau. General map of the enclosure and excavation methods employed. The “mechanical” excavation method is realized with a backhoe (for the most voluminous excavations). The “manual” excavation method is realized with a pick and shovel, or a trowel for the pits and postholes.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-6.jpg
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Légende TABL. I. Ratio de récupération du mobilier archéologique selon la méthode de fouille utilisée. L’évaluation a été réalisée sur un tronçon de fossé fouillé pour moitié à la pelle et à la pioche et pour moitié à la tractopelle. Ratio of archaeological artifacts collected per excavation method. The evaluation was made on a ditch section half excavated with a pick and shovel and half with a backhoe.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-7.jpg
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Légende TABL. II. Évaluation des données supplémentaires apportées par le tamisage des terres lorsque la fouille est réalisée à la pelle et à la pioche. Test réalisé sur trois tronçons de fossé : les déblais ont été tamisés à sec puis lavés. Evaluation of the additional data contributed by sediment sieving in association with pick and shovel excavation. The test was made on three ditch sections. The backdirt was dry-sieved and then washed.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/48665/img-8.jpg
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