Chapitre 1. Transformations de la frange littorale de l’âge du Bronze au haut Moyen Âge
1 Transformation of the Coastal fringe between the Bronze Age and the early Middle Ages
1 Transformaciones de la franja litoral desde la Edad del Bronce hasta la Alta Edad Media
1 Trasformazioni del litorale nell’età del Bronzo e nell’Altomedioevo
p. 17‑42
Résumés
À la fin de la Préhistoire, le site correspond à une zone marécageuse que les Grecs ne tardent pas à assécher, deux siècles seulement après la fondation de la cité phocéenne. Le déversement de terre et de branchages près de 200 amphores constitue un aménagement très proche de celui qui a été retrouvé au Jardin des Vestiges, au nord du bassin d’eau douce. Il s’agit sans doute de travaux liés à la création d’une voie destinée à longer le plan d’eau du Vieux‑Port. Un hiatus sépare ces niveaux des vestiges de l’époque romaine. Une grande plate‑forme (une aire de déchargement ?) est alors installée en fond de port. Coupée par un petit caniveau d’orientation N‑S, elle est bordée au nord par un canal ayant peut‑être servi à l’accostage de bateaux de faible tonnage. Cet ensemble n’est abandonné qu’à la fin de l’Antiquité (un fragment de bateau du Bas‑Empire en remploi en atteste), sans doute du fait d’une remontée des eaux. Au cours des ve et vie s., le littoral évolue à nouveau avec l’apparition d’une plage. À la fin du vie s., l’ensemble de la zone est arasé, sans doute pour l’installation de salines. Les niveaux archéologiques conservés semblent correspondre à la base de tables salantes. Les siècles suivants n’ont pas laissé de traces.
At the end of the prehistoric period, the site corresponded to a marshy zone reclaimed for use by the Greeks only two centuries after the founding of the Phoenecian city. Dumping of soil and branches together with nearly 200 amphorae represents work similar to that found on the Jardin des Vestiges site to the north of the fresh‑water basin. This construction work was undoubtedly undertaken in connection with creating a harbour‑side road in the Vieux Port area. A hiatus separates these strata from remains of Roman occupation, during which period a large platform was set up at the far end of the port, most probably to serve as a loading and unloading area. Intersected by a narrow north‑south drain, the platform is bordered on the north by a canal, which may have been used to bring small cargo ships to shore. This area was not abandoned until the end of the Roman period (as attested by the presence of a reused late Roman boat fragment), almost certainly due to a rise in the water level. During the 5th and 6th centuries, the shoreline would change again with the appearance of a beach. At the end of the 6th century, the entire area was razed, probably so that salt‑works could be set up. The existing archaeological layers correspond to the base of the salt‑beds. The centuries which immediately follow have left no archaeological remains.
A fines de la Prehistoria, el yacimiento era una zona cenagosa que los griegos no tardaron en desecar tan sólo dos siglos después de la fundación focense de la ciudad. Los vertidos de tierra, ramajes y más de 200 ánforas constituyen un acondicionamiento muy semejante al hallado en el Jardin des Vestiges (Jardín de los Vestigios) al norte de la alberca. Sin duda, se trata de obras vinculadas a la creación de una vía que bordearía las aguas del Vieux Port (Puerto Viejo). Existía un hiato entre estos niveles y los vestigios de época romana. Al final del puerto se construyó una gran plataforma que bien pudo haber servido de área de descarga. Aparecía cortada por un canalillo de orientación N‑S y, al norte, estaba bordeada por un canal que pudo servir para que atostaran los barcos de escaso tonelaje. Este complejo no se abandonaría hasta finales de la Antigüedad (hecho atestiguado por un fragmento de barco bajo imperial reutilizado), sin duda a causa de una subida de las aguas. Durante los siglos V y VI, el litoral evolucionaría nuevamente con la aparición de una playa. A finales del siglo VI, la zona fue arrasada por la instalación de unas salinas. Los niveles arqueológicos conservados parecen corresponder a la base de los estanques. Los siglos posteriores no dejaron evidencias arqueológicas.
Alla fine della Preistoria, il sito corrisponde ad una zona paludosa ben presto bonificata dai Greci, due secoli dopo la fondazione della colonia focese. Lo scarico di terra, di sterpaglie e di circa 200 anfore costituisce una sistemazione molto simile a quella ritrovata al Jardin des Vestiges, a nord del bacino di acqua dolce. Si tratta senz’altro di lavori legati alla creazione di una strada destinata a costeggiare il bacino del Vieux‑Port. Uno iato cronologico separa questi livelli ai resti di età romana. Una grande piattaforma, forse un’area di scarico merci è a quest’epoca realizzata in fondo al porto. Tagliata da un piccolo fosso orientato in senso NS, questa struttura è fiancheggiata da un canale che forse è servito per l’accostaggio di imbarcazioni di piccolo tonnellaggio. Questo insieme è abbandonato solamente alla finedell’Antichità (un frammento di imbarcazione del basso Impero reimpiegata lo attesta), molto probabilmente a causa di un innalzamento del livello delle acque. Nel corso del v e del vi secolo, il litorale subisce ancora un’evoluzione con la comparsa di una spiaggia. Alla fine del VI secolo, l’insieme delia zona è rasato, con ogni probabilità per l’installazione di saline cui sembrano corrispondere i livelli archeologici. I secoli seguenti non hanno lasciato tracce.
Texte intégral
1Bien que située hors de la ville antique, la fouille a montré l’importance des aménagements du rivage originel du Vieux‑Port dès le ive s. av. J.‑C. Le marécage qui existait à cet endroit depuis la fin de l’époque préhistorique est alors comblé. Un hiatus de quelques siècles sépare ces travaux de la création, à l’époque romaine, d’une vaste aire empierrée. À la fin de l’Antiquité, le niveau de la mer remontant, l’ensemble des structures romaines est recouvert par l’eau puis, progressivement, par une plage. Enfin, le dernier niveau observé, une surface damée de plus de 2 000 m2, fait la transition entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge.
1.1 Substrat, amas coquillier et marécage
2Les niveaux les plus profonds, reposant sur le substrat, ont pu être atteints ponctuellement au nord et au sud de la fouille. Au nord, l’étude d’une coupe stratigraphique complète a révélé la présence d’un amas coquillier semblable à celui découvert sur la fouille de la place Jules‑Verne sur la rive nord du Vieux‑Port. Le milieu laguno‑marin fait place progressivement à un marécage.
1.1.1 Substrat et sédimentation marine
3Des marnes stampiennes jaunes et compactes constituent le substrat géologique du site de la place du Général‑de‑Gaulle. Trois sondages profonds ont permis d’en atteindre le sommet à l’altitude –4,30 m ngf dans la partie nord de la fouille et à –3,40 m ngf à l’extrémité sud (fig. 6). La partie supérieure du substrat est colorée en gris sur une trentaine de centimètres, sans doute par percolation des couches marines qui la recouvrent. Les marnes sont surmontées d’un fin niveau de sable gris de 8 cm d’épaisseur, visible dans les deux sondages pratiqués dans la moitié nord de la fouille. Au sud, une couche plus épaisse de sable argileux recouvre le substrat. Ces niveaux sont ensuite scellés par une abondante succession de sédiments sableux contenant une forte densité de coquilles marines. Accumulées sur une hauteur variant de 1,70 m au sud à 2,10 m au nord de la fouille, ces couches se distinguent entre elles par leur teneur en coquillages, en sable et par leur couleur. Elles culminent à –1,50 m ngf au nord et –1,10 m ngf au sud. Au nord du site, la séquence stratigraphique est coupée en deux endroits, aux altitudes de –2,74 m et –3,11 m ngf, par des épandages de coquilles d’huîtres. Ces niveaux ont livré également un tronc d’arbre de 4 m de long et 25 cm de diamètre, découvert à une altitude de –2,59 m ngf. Cette stratification résulte apparemment d’une sédimentation lente en milieu marin calme (Morhange 1994a : 433). Les datations proposées pour cet amas sédimentaire sont de 4700‑4220 av. J.‑C. (LGQ 943) pour la base et 1410‑1070 av. J.‑C. (LGQ 944) pour le sommet. Nous renvoyons à l’étude de C. Morhange (cf. infra § 9.2.1.1) pour le détail géomorphologique de cette séquence.

FIG. 6 ‒ Relevé stratigraphique des niveaux marins et du marécage sur le substrat en zone sud.
DAO J. Isnard/Afan
1.1.2 Le dépôt de coquilles d’huîtres
4n. weydert
5Alors que durant la fouille, les coquilles d’huîtres retrouvées dans la coupe profonde au nord du site semblaient appartenir à un amas naturel, elles ont acquis un intérêt nouveau après la découverte d’un dépôt coquillier anthropique place Jules‑Verne, à quelques centaines de mètres de la place du Général‑de‑Gaulle (Morhange, Weydert 1995). L’étude de ce dépôt daté de l’âge du Bronze avait mis en valeur l’importance dans le Lacydon –tant par le nombre que par l’origine– d’huîtres d’une variété particulière, Ostrea edulis (Linné) forme « lamellosa » bivalve qui affectionne la pleine eau, entre dix et trente mètres. Sa coquille épaisse indique qu’elle vit dans des eaux richement carbonatées de l’étage circalittoral, contrairement à la forme type, plus fine et légère, assez commune sur les rochers de l’infralittoral. Ces différentes caractéristiques traduisent son origine allochtone dans la calanque‑estuaire du Lacydon, où elles ont été amenées par l’Homme pour être consommées.
6L’analyse des huîtres trouvées place du Général‑de‑Gaulle a rapidement fait apparaître une identité avec celles de la place Jules‑Verne. Les huîtres, en moindre quantité que sur la rive nord de la calanque, sont plus particulièrement restreintes à la couche scellée par celle datée de 1410‑1170 av. J.‑C. (3340 ± 170 BP non calibré : LGQ 944). Elles sont donc antérieures ou contemporaines du début de l’âge du Bronze et indiquent la présence des hommes sur les rives du Lacydon à cette période, ainsi que C. Morhange l’a suggéré après analyse des minéraux argileux des vases. La couche contenant ces huîtres se trouve en effet dans une formation stratigraphique où la smectite est altérée d’une façon typiquement liée à une activité anthropique sur les rives, comme la déforestation des pentes alentour et leur mise en valeur (Morhange 1994b ; Morhange, Weydert 1995 ; cf. infra § 9.2.1). Cependant, il faut souligner que ces données géomorphologiques et la faible proportion de coquilles dans les sédiments indiquent une fréquentation modérée du rivage, contrairement à ce que l’on observe dès le Bronze moyen avec l’énorme dépôt de la place Jules‑Verne.
7Cette présence de l’Homme à des périodes anciennes n’est cependant pas une nouveauté en soi, des vestiges attribués au Néolithique ayant été retrouvés à proximité du site au début du siècle, ainsi que des dépôts coquilliers à divers points de la côte sud de Marseille. Ces données, insuffisamment étudiées et sorties de leurs contextes, rendaient douteuses leur interprétation. Les seules informations récentes dont nous disposons mentionnent toutes des structures attribuées au Chasséen, tant à Saint‑Jean‑du‑Désert (Grenet, Sauzade 1995) qu’au Palais du Pharo (Sauzade 1995). Les huîtres de la place du Général‑de‑Gaulle constituent donc des témoins importants du peuplement du bassin marseillais avant la fondation de Massalia et permettent d’établir un début de continuité entre les restes chasséens et ceux du Bronze moyen de la place Jules‑Verne.
1.1.3 Les outils préhistoriques
8s. renault
9Treize objets en silex ont été retrouvés lors de la fouille, malheureusement hors de leur contexte originel, dans des niveaux d’époque historique (fig. 7). La nature des supports rencontrés est la suivante :
‒ 1 éclat de remise en forme ;
‒ 3 éclats corticaux ;
‒ 1 entame ;
‒ 1 petite lame épaisse ;
‒ 1 petite lame à crête ;
‒ 2 nucléus ;
‒ 1 percuteur ;
‒ 1 plaquette ;
‒ 2 fragments de silex.
10Les produits de plein débitage sont absents. Il s’agit essentiellement des éclats de mise en forme ou de décorticage (certains transformés en outils). Deux nucléus globuleux, en fin d’exploitation, apparaissent dans le décompte, ainsi qu’un fragment de percuteur réalisé sur un bloc de silex qui a sans doute été chauffé (plages mates/brillantes ; mais s’agit‑il d’une action volontaire ou accidentelle ?).

FIG. 7 ‒ Mobilier lithique. 1 radoir ; 2 grattoir ; 3 perçoir.
DAO S. Renault/Afan
11La matière première est variée et l’examen macroscopique des surfaces naturelles révèle des origines différentes. Dix colorations et textures ont été individualisées :
‒ silex noir à fines zonations : 2 pièces ;
‒ silex gris‑vert foncé : 1 pièce ;
‒ silex gris moyen‑noir : 2 pièces ;
‒ silex noir : 1 pièce ;
‒ silex rubané marron‑gris : 1 pièce ;
‒ silex ocre miel : 1 pièce ;
‒ silex marron‑gris translucide : 2 pièces ;
‒ silex gris bleuté opaque : 1 pièce ;
‒ silex marron‑beige translucide : 1 pièce ;
‒ silex blond à fines zonations : 1 pièce.
12Les variations de teintes peuvent ne refléter que des changements ponctuels à l’intérieur d’un même nodule, voire entre des nodules de même origine géologique. Il n’y a donc pas autant de matériaux différents que de couleurs. Il est cependant possible de proposer quelques gîtes d’approvisionnements possibles. Le silex gris bleuté semble correspondre au silex affleurant aux environs de Châteauneuf‑les‑Martigues (Crétacé), tandis que quelques silex à fines zonations ou rubanés pourraient provenir de niveaux oligocènes à rechercher dans le bassin d’Aix‑en‑Provence. Enfin, des affleurements locaux (d’âge éocène ?) ont sans doute livré quelques nodules exploitables de matière première.
13L’outillage est représenté par 4 pièces :
‒ 1 racloir sur bord droit d’éclat cortical ; la retouche est directe, continue, convexe, écailleuse et oblique ;
‒ 1 grattoir mince sur éclat cortical, à front oblique ;
‒ 1 perçoit déjeté sur bord droit d’éclat cortical. La pointe est dégagée par des retouches directes, convergentes, marginales à courtes et écailleuses. Une coche, située à proximité du talon, toujours sur le bord droit, est obtenue par une retouche inverse ;
‒ 1 éclat retouché.
14Bien que retrouvé en contexte historique, l’ensemble de ces objets présente une facture plus ancienne et pourrait témoigner d’un remaniement de niveaux préhistoriques par des occupations postérieures. Malheureusement, aucun élément significatif ne permet d’être plus précis quant à l’attribution chronologique ou culturelle de cette série lithique.
1.2 L’assèchement du marécage à l’époque grecque
15À la fin du ve s. av. J.‑C., les Marseillais entreprennent l’assèchement du marécage. Pour cela, ils apportent une quantité importante de matériaux destinés à drainer la zone (amphores vides, branchages, terre...) et les déposent de façon concentrique afin de gagner progressivement sur l’eau. Cette phase correspond à l’état 1.
1.2.1 La stratigraphie et l’aspect sédimentologique
16Au sommet des couches laguno‑marines, un apport sédimentaire forme un cordon de direction E‑O dont la bordure septentrionale s’incline en pente douce. Il atteint une épaisseur maximale de 90 cm sur son flanc sud où il est amputé par le creusement d’un chenal. Ce dépôt est composé de mottes d’argile stampienne finement litée, prises dans un limon sableux qu’une abondante matière organique colore en brun. Sa surface, sur laquelle reposent de gros galets épais, est tapissée d’une fine et homogène pellicule de sable évoquant un dépôt de fond marin. Cet ensemble a livré des tessons de céramique datés de la fin du ve s. ou du premier quart du ive s. av. J.‑C.
17Au nord de ce cordon et en contrebas de sa pente, des amphores quasi intactes ont été accumulées, inégalement réparties dans le temps et dans l’espace (fig. 8). Ce dépôt se fait en plusieurs temps : trois ensembles successifs, dont le premier est scindé en quatre groupes. À l’extrémité N‑E du site, un premier groupe d’une dizaine d’amphores dessine un arrondi (fig. 9). Un second groupe nettement plus dense l’entoure en un arc de cercle à peu près concentrique, à 1,50 m de distance (fig. 10). Un troisième groupe forme un cordon plus informe vers le sud. Au sein de l’espace ainsi délimité se trouvent quelques amphores éparses, sans organisation particulière. Situé à une dizaine de mètres à l’ouest, un quatrième groupe se rattache stratigraphiquement à ce dépôt ; il est constitué d’une quinzaine d’amphores disséminées.
18Dagand Alain2023-04-10T11:23:00DA
FIG. 8 ‒ Plan du dépôt d’amphores massaliètes (état 1).
DAO J. Isnard/Afan

FIG. 9 ‒ Détail d’amphores formant la partie orientale du premier groupe.
Cliché F. Cognard/Afan

FIG. 10 ‒ Vue partielle du deuxième groupe d’amphores.
Cliché F. Cognard/Afan
19Ces dépôts se sont effectués vraisemblablement en milieu immergé, les amphores étant remplies par le sédiment voisin qui abonde en coquillages. Les quatre groupes d’amphores appartiennent à un premier ensemble homogène mais ils sont scellés par des remblais distincts. Le premier groupe est recouvert par la couche 2‑1193 tandis que l’espace libre entre les autres groupes est remblayé par un sédiment fait d’argile plastique et de sable (2‑1194), mêlé à des branches de pin auxquelles sont encore fixées les aiguilles (fig. 11) et lui‑même surmonté d’un niveau meuble et homogène, de couleur grise (2‑1167). Dans le même temps, le premier groupe reçoit le nouvel apport de mottes d’argile prises dans un sédiment limoneux compact (2‑1186). Cette couche constitue une butte au contour arrondi et à bord pentu. Les second et troisième groupes sont alors scellés par du sédiment argileux homogène gris (2‑1169) (fig. 12).

FIG. 11 ‒ Détail de la couche contenant des branchages de pins.
Cliché F. Cognard/Afan

FIG. 12 ‒ Coupe stratigraphique contre la paroi moulée, dans l’angle N‑E de la fouille (cf. fig. 8, 29, 52, 72 et 107).
DAO J. Isnard/Afan
20Parallèlement à ces remblaiements, un deuxième ensemble d’amphores est déposé sur la couche contenant des branchages (2‑1167), au sud de l’emplacement du quatrième groupe ; il n’a cependant pas l’ampleur du dépôt précédent. La couche 2‑1167 est recouverte dans sa totalité d’un remblai (2‑1168) qui atteint la butte constituée par 2‑1186 en formant un bourrelet à la jonction des deux couches, probablement synchrones. Un même contexte (2‑1166) scelle l’ensemble.
21Le troisième ensemble apparaît sur les niveaux 2‑1186 et 2‑1169. Il forme un cordon très dense en bordure de la butte et s’étale ensuite vers le sud de façon discontinue. Un sédiment sableux marron foncé (2‑1131), contenant de nom breuses céramiques, est installé au‑dessus, ainsi que sur la partie la plus diffuse de l’épandage initial d’amphores. Il semble constituer un prolongement de la butte vers le sud sur une distance d’environ 8 m. Sa bordure occidentale s’incline en pente abrupte. L’ultime remblai associé aux amphores est la couche 2‑1138, constituée d’argile orangée en mottes, qui scelle le niveau 2‑1131 et les amphores restantes situées au sud de la zone d’épandage.
22L’importante concentration de près de 190 amphores dans la partie nord de la fouille obéit à une volonté de remblaiement voire d’assainissement. Le milieu initial dans lequel elles sont installées est vraisemblablement marin. Les amphores, vides au moment de l’immersion, se sont remplies du sédiment environnant, contenant de nombreux coquillages. Le dépôt s’est déroulé par étapes successives d’apports d’amphores et de sédiments. Plus énigmatique est la présence de branches de pin, très denses, apportées en une seule fois. Elles sont sans doute destinées à stabiliser les sédiments rapportés qui devaient avoir tendance à se saturer d’eau. Une découverte assez analogue a été faite sur le chantier de la Bourse, près du bassin d’eau douce. L’examen de la coupe stratigraphique de ces niveaux (Bertucchi 1992 : 82‑83) présente quelques similitudes avec les découvertes de la place du Général‑de‑Gaulle. La volonté d’assèchement, proposée par l’auteur, alliée à la présence d’une couche microlitée sans doute d’origine naturelle séparant les niveaux d’amphores indiquent un milieu aqueux progressivement asséché. Les amphores sont là destinées à stabiliser le terrain en vue de la création d’un espace de circulation gagné sur la mer (Bertucchi 1992 : 78). Les datations de ces aménagements sont concordantes, l’amas d’amphores de la Bourse est daté de 400‑300 av. J.‑C. Celui de la place du Général‑de‑Gaulle est daté par la céramique associée entre 425 et 390 av. J.‑C., ce qui permet de préciser la date des travaux d’aménagement.
1.2.2 Les amphores massaliètes
23j.‑c. sourisseau
24Les 189 amphores massaliètes découvertes sont en général entières, une bonne partie d’entre elles étant cependant brisées sur place. Le mauvais état de conservation de certains exemplaires n’a pas permis leur prélèvement. Néanmoins, 168 exemplaires plus ou moins complets ont pu être préservés et étudiés dans de bonnes conditions. La datation de cet ensemble a été établie à partir des fragments de céramiques fines retrouvées au sein même de la couche dans laquelle ils gisaient. La céramique attique collectée indique une période de constitution du comblement qu’on peut situer aux alentours de 400 av. J.‑C., peut‑être plus précisément dans le dernier quart du ve s. av. J.‑C. (cf. infra § 1.2.3). Les amphores retrouvées peuvent donc être datées, en dehors de tout a priori typologique, de la fin du ve s. av. J.‑C.
1.2.2.1 Pâte et typologie
25Toutes les amphores présentent la pâte caractéristique des ateliers massaliètes d’époques classique et hellénistique, c’est‑à‑dire une argile chamois, devenue grise à la suite du contact prolongé de la vase, fortement chargée en grosses écailles de mica constituant le dégraissant1. La forme générale de toutes les amphores du gisement est rigoureusement la même. Elle correspond au type 3 (89 exemplaires identifiés avec une certitude absolue) de G. Bertucchi2 (fig. 13). Les bords, à profil en quart de cercle souligné par une profonde moulure, correspondent aux types 5 (69 exemplaires) et 6 (18 exemplaires) de M. Py (1978). Parmi les 168 amphores prélevées et étudiées, 4 seulement sont timbrées3 (fig. 13, nos 2 et 6‑8). Les quatre timbres sont identiques et semblent être issus de la même matrice. Il s’agit d’un Ɵ (thêta) en creux, sans cartouche. Ils se situent tous sur le col, entre les anses.

FIG. 13 ‒ Amphores massaliètes et marques sur amphore. 1‑5 amphores massaliètes (1 non poissée, sans défaut de cuisson ; 2 non poissée avec défaut de cuisson) ; 5‑8 timbres (éch. : amphores complètes 1/6 ; détail des bords : 1/3 ; timbres : 1/1).
DAO J.-C. Sourisseau/École française de Rome
26Dans la publication du dépôt identique de la Bourse, G. Bertucchi (1992 : 77‑81) se pose la question de savoir si le gisement est homogène et si les amphores le constituant sont contemporaines. Il propose une réponse positive, estimant, et nous le suivrons dans ce sens, que « la disposition concentrée des amphores d’aspect comparable, l’absence de tout autre matériel de décharge, suggère une opération ponctuelle, originale, visant à résoudre un problème spécifique », celui‑ci étant l’assèchement d’une zone lagunaire. Cependant, si le colmatage constitue bien une action ponctuelle, il reste à déterminer si les amphores employées dans le comblement ont toutes été fabriquées en même temps. Plusieurs observations importantes permettent de répondre à cette question. Ainsi, nous avons remarqué que la plupart des amphores n’étaient pas enduites de poix comme on aurait pu s’y attendre dans un milieu immergé4. L’étude a révélé qu’une grande partie des conteneurs retrouvés n’a jamais joué de rôle commercial car ils présentent des défauts de cuisson plus ou moins importants5. Ils se caractérisent par des fentes généralement situées au niveau de l’épaulement et parfois dans la partie inférieure de l’amphore. Les rares amphores poissées ne présentent pas de défauts et ont donc pu servir avant d’être jetées dans le comblement. Il est donc désormais bien établi qu’outre les quelques amphores poissées qui ont pu être fabriquées à un autre moment, le reste des amphores est issu d’une ou plusieurs fournées ratées et récupérées pour servir dans le remblai. Il est donc probable que tous ces conteneurs ont été fabriqués, si ce n’est la même année, dans un laps de temps très court6.
7.2.2.2 Mensurations générales des amphores de type 3 du gisement
27L’homogénéité du gisement, d’un point de vue chronologique et typologique, ainsi que le nombre important de conteneurs, autorisent une approche morphologique de détail visant à établir avec précision les critères permettant de distinguer la forme 3 de Bertucchi, en particulier grâce à l’étude systématique des mensurations7.
28Hauteur de l’amphore (30 exemplaires mesurés) (fig. 14) : entre 53 et 59 cm ; cependant l’analyse montre que l’écart se situe généralement plutôt entre 55 et 59 cm. Hauteur moyenne : 57,2 cm. À l’exception d’une amphore plus petite que les autres, la hauteur générale des amphores de type 3 est assez constante et régulière avec une variation d’environ 5 cm (variation 8,7 %).

FIG. 14 ‒ Hauteur des amphores (moyenne : 57,2 cm).
DAO J.-C. Sourisseau/École française de Rome
29Hauteur du col (74 exemplaires mesurés) (fig. 15) : entre 12 et 15 cm. Hauteur moyenne des cols : 13,3 cm. Les cols ont donc des hauteurs qui varient peu.

FIG. 15 ‒ Hauteur des cols (moyenne : 13,3 cm).
DAO J.-C. Sourisseau/École française de Rome
30Rapport hauteur du col/hauteur totale de l’amphore (21 exemplaires mesurés) : entre 0,22 et 0,26. Le rapport est très régulier, le col constituant environ un quart de la taille totale de l’amphore.
31Diamètre maximal de la panse (52 exemplaires mesurés) (fig. 16) : entre 34,2 et 39,1 cm. Diamètre moyen : 37,53 cm. À de rares exceptions près, tous les diamètres maximums de panses se situent entre 36 et 39 cm.

FIG. 16 ‒ Diamètre maximal des panses (moyenne : 37,53 cm).
DAO J.-C. Sourisseau/École française de Rome
32Volume : seules 5 amphores ont fait l’objet d’un calcul de capacité8. Les résultats estimés sont les suivants :
‒ amphore no 32 (fig. 13, no 5) : 23,9 1 ;
‒ amphore no 67 (fig. 13, no 2) : 22,2 1 ;
‒ amphore no 97 (fig. 13, no 3) : 22,2 1 ;
‒ amphore no 161 (fig. 13, no 4) : 26 1 ;
‒ amphore no 165 (fig. 13, no 1) : 21,4 1.
33Il est difficile de déterminer un module moyen à partir de 5 mesures qui enregistrent un écart de près de 5 1, entre 21,4 1 et 26 1. C’est cependant dans cette fourchette que se situent les capacités des 3 amphores de type 3 mesurées par Bertucchi, avec 22,9 l, 23,7 l et 24,3 l (Bertucchi 1992 : 62). Le module des amphores de type 3 accuserait donc une variation de près de 20 %.
1.2.2.3 Les bords de types Py 5 et 6
34fig. 17
35Comme on peut le constater, et comme avait pu l’établir par ailleurs G. Marchand (1990), les bords de types 5 et 6 qui équipent les amphores de type Bertucchi 3 présentent un rapport largeur/hauteur généralement supérieur ou égal à 0,63 (ici 81 exemplaires mesurés). Cependant la règle n’est pas absolue car on trouve également quelques exemplaires pour lesquels le rapport est inférieur. Ces derniers ne peuvent cependant pas être plus anciens car ils équipent des amphores clairement identifiées comme des formes 3 de Bertucchi, appartenant au gisement considéré. On notera que le rapport largeur/hauteur de la plus grande partie des bords représentés est compris entre 0,66 et 0,82.

FIG. 17 ‒ Rapport largeur/hauteur des bords de types Py 5 et 6.
DAO J.-C. Sourisseau/École française de Rome
1.2.2.4 Conclusions sur le dépôt d’amphores
36Ce dépôt, daté de la fin du ve s. av. J.‑C., est composé exclusivement d’amphores de type Bertucchi 3, avec des bords de types Py 5 et 69. La plus grande partie de ces conteneurs peut être considérée comme des rebuts de cuisson qui n’ont donc jamais circulé, comme en témoignent l’absence de poix et les défauts de cuisson bien caractérisés. L’homogénéité typo‑chronologique du dépôt, ainsi que le nombre relativement élevé d’exemplaires, nous a permis de préciser les caractères morphologiques propres à ces amphores, pour la période définie : la fin du ve s. av. J.‑C. Cette approche constitue un point d’ancrage important dans la détermination de critères permettant de distinguer ces amphores et de les replacer dans la chronologie. En effet, la forme 3 évolue lentement au cours du temps, par allongement général progressif. Ce phénomène est d’ailleurs à l’origine de la forme 4 de Bertucchi, plus élancée, qui évolue également de la même manière durant tout le ive s. av. J.‑C.
37Les critères qui se sont révélés les plus stables, outre le problème spécifique des bords, sont :
‒ la hauteur générale de l’amphore (entre 55 et 59 cm ; moyenne 57,2 cm) ;
‒ la hauteur du col (entre 12 et 15 cm ; moyenne 13,3 cm) ;
‒ le rapport entre la hauteur du col et la hauteur générale de l’amphore (entre 0,22 et 0,26) ;
‒ le diamètre maximal de la panse (entre 36 et 39 cm ; moyenne 37,53 cm).
38En revanche, le module de capacité ne semble pas très régulier avec une variation de près de 20 % autour du volume moyen (environ 23,2 l). Ces différents éléments permettent, de notre point de vue, de caractériser une amphore de type Bertucchi 3 de la fin du ve s. av. J.‑C.10 Bien évidemment, les résultats obtenus ne prendront tout leur sens que si, dans l’avenir, d’autres dépôts homogènes sont étudiés de la même façon. Ainsi, par comparaison des données morphologiques chiffrées et de la chronologie, il devrait être possible d’établir à la fois le ou les critères les plus significatifs de l’évolution de l’amphore, ainsi que les seuils permettant la distinction typo‑chronologique de ces conteneurs.
39La proximité des fouilles de la Bourse invite à se demander si le gisement de la place du Général‑de‑Gaulle peut être mis en relation avec ceux découverts quelques dizaines de mètres plus au nord. De toute évidence, la fonction de colmatage et d’assainissement d’une zone marécageuse est la même d’un côté comme de l’autre. En ce qui concerne les fouilles de la Bourse, G. Bertucchi montre clairement que deux ensembles doivent être distingués : le dépôt A (nord du bassin d’eau douce) et le dépôt B (N‑E du bassin d’eau douce)11. Le dépôt A est composé d’amphores de type 4, donc a priori plus récentes. Les éléments de datation indiquent une chronologie dans le courant du ive s. av. J.‑C. Ce comblement est donc postérieur à celui de la place du Général‑de‑Gaulle. En revanche, le dépôt B, considéré comme plus ancien que le précédent, est composé d’amphores de type 3, identiques à celles que nous venons d’étudier12. Les conditions de fouille, difficiles, n’ont hélas pas permis de le dégager entièrement et donc d’avoir une idée de son extension. Le seul gisement de la Bourse qui soit donc comparable à celui de la place du Général‑de‑Gaulle est le dépôt B. Ainsi, il est probable que les travaux qu’ils évoquent soient contemporains et qu’ils aient eu une extension assez importante, du moins supérieure à ce qui avait été envisagé avec les seules données des fouilles de la Bourse.
1.2.3 La céramique issue du remblai 2‑1131
40l.‑f. gantes
41Cette analyse du matériel archéologique porte sur le niveau le plus riche en céramiques grecques, la couche 2‑1131. Le matériel majoritairement représenté et le plus récent est datable du dernier quart du ve s. av. J.‑C. mais il existe également quelques tessons plus anciens du vie s. av. J.‑C. en position résiduelle. Ce niveau homogène scellant l’important dépôt d’amphores massaliètes ovoïdes de type Bertucchi 3, sa datation est précieuse pour établir la chronologie des aménagements anthropiques destinés à assainir un espace gagné sur un milieu marécageux.
42Le matériel céramique fin (vaisselle) recueilli dans le remblai apporté pour assécher le terrain est d’origine locale ou importé. Il est composé de vaisselle non tournée, grise monochrome, à pâte claire massaliète, culinaire massaliète, attique et culinaire tournée importée. Le catalogue dressé permet d’esquisser le faciès de la vaisselle recueillie. La céramique non tournée (5 fragments) et la céramique grise monochrome (8 fragments), peu significatives, ne sont pas analysées dans le cadre de ce rapide inventaire typo‑chronologique.
43Les céramiques à pâte claire massaliète comprennent 237 fragments de céramique fine (25 bords, 25 fonds, 22 anses et 165 tessons informes), 3 bords de céramique culinaire et 12 fragments (dont 8 bords) de mortiers. Parmi la vaisselle fine, 25 individus ont pu être distingués dont :
‒ 2 coupes de la forme Bats F 232/233 (Bats 1993 : 206‑ 221) ;
‒ 8 coupes à boire à une anse de la forme Bats F 412/414 ;
‒ 4 coupes à boire à anses de la forme Bats F 429 ;
‒ 1 coupe à boire à anses de la forme Bats F 433/434.
44Dans la forme de la coupe, il faut intégrer deux bords qui, par leur profil, semblent se rattacher à une copie de la coupe‑skyphos attique (forme Bats F 431). Une lékanide de la forme Bats F 435 b provient également du remblai 2‑1131. Les vases fermés à liquide sont représentés par deux cruches de la forme Bats F 541 ou 542 b et par deux autres fragments de la forme Bats F 543 ; deux autres formes indéterminables complètent la liste.
45La céramique attique à vernis noir et à figures rouges est attestée par 81 fragments (17 bords, 15 fonds, 11 anses et 38 tessons). Les vases à boire à anses (kylikes) sont les plus nombreux. Un petit lot de céramique attique à figures rouges a été soumis pour expertise au professeur F. Villard que nous remercions ici. Voici quels en sont les résultats :
‒ un fragment de coupe décorée extérieurement de feuilles nervurées est à placer vers 430 ;
‒ un fragment appartenant à une grande coupe du style fleuri, de bonne qualité, peut être daté vers 420/410 ;
‒ la plupart des fragments de coupes à vernis noir uni ou à figures rouges se rapportent à des coupes sans tige du type de la « delicate class » à décor estampé (fig. 18, no 2 ; Sparkes, Talcott 1970 : 483, fig. 5), à des petits bols à vernis noir (fig. 18, nos 3, 4 ; Sparkes, Talcott 1970 : 876, fig. 9) et à des coupes du type boisal (Sparkes, Talcott 1970 : 541, fig. 6) ;
‒ deux fragments proviennent de couvercles de lékanides.
46Il faut placer dans la période 450‑430 les coupes de la « délicate class », vers 425‑400 les petits bols et vers 420‑400 les coupes du type boisai (Sparkes, Talcott 1970 : 541, fig. 6). Un bord de céramique culinaire tournée importée est attribuable à une marmite (caccabé) à bord en gouttière (fig. 18, no 7).

FIG. 18 ‒ Céramiques grecques. VIe‑Ve s. av. J.‑C. : 1‑5 céramique attique (coupes ; bolsals, lécythe) ; 6 aryballe ; 7 commune grecque (caccabé). IIIe s. av. J.‑C. : 8‑9 amphores rhodiennes ; 10‑11 atelier des petites estampilles.
DAO G. Frommherz, J. Isnard/Afan
47L’examen du matériel datable (tessons attiques) confirme donc que la couche 2‑1131 contient un matériel homogène à placer au dernier quart du ve s. av. J.‑C. Une faible part des fragments de céramique appartient indubitablement à la période précédente (dans le courant du vie s. av. J.‑C.)13 :
– un fragment d’aryballe corinthien (fig. 18, no 6), qui peut dater aussi bien du Corinthien moyen que du Corinthien récent I (vers 600‑550), est décoré sur l’épaule de languettes rayonnantes et filets doubles et sur la panse d’une tête féminine ou masculine tournée vers la gauche ;
– un fragment d’amphore à col attique à figures noires, ornée sur l’épaule d’un guerrier armé du casque corinthien et caché par un bouclier rond, se place vers 530 ;
– un bord d’une coupe à yeux à fond noir (fig. 18, no 1) où subsiste seulement le motif de l’œil est à situer aussi vers 530/510 ;
– un fragment de lécythe attique à fond blanc (fig. 18, no 5), décoré sur l’épaule avec des arêtes rayonnantes et une grecque orientée à droite, porte des losanges en damier sur le corps du vase ; il s’agit d’une production issue de l’atelier du Peintre de Beldam, que l’on peut dater du milieu du ve s. av. J.‑C. ;
– du matériel appartenant au vie s. av. J.‑C. en position remaniée a pu être individualisé au sein du remblai : un fragment de coupe ionienne à vernis noir de type B 2, un tesson de canthare de bucchero nero étrusque et de plat étrusco‑corinthien.
48La mise en place de ce remblai n’est pas antérieure au dernier quart du ve s. voire à la fin du ve s. av. J.‑C. On notera l’absence sur le site de l’urne rhodanienne en catégorie de céramique non tournée régionale, présente dans les faciès urbains massaliètes de la première moitié du ive s. av. J.‑C. et de la céramique pseudo‑attique ponctuellement présente dans ces mêmes milieux chronologiques.
1.3 L’aménagement portuaire romain
49fig. 19
50Après un hiatus de plusieurs siècles, un aménagement de type portuaire est construit (état 2). Il est organisé autour d’une vaste aire empierrée occupant environ les deux tiers de la fouille, limitée au nord par des aménagements de pieux (fig. 20) bordant une zone peut‑être encore marécageuse ; la limite sud est plus fugace. Plusieurs fragments de bateau ont été réutilisés comme renforts dans une construction sur pieux ; ils font l’objet d’une étude à part.

FIG. 19 ‒ Plan général de l’état romain (état 2)
DAO M. Bouiron/Ville de Marseille

FIG. 20 ‒ Vue générale du canal, du mur S 158, des alignements de pieux S 162 et S 164 et de l’empierrement.
Cliché F. Cognard/Afan
1.3.1 La stratigraphie
51L’étude stratigraphique permet de mettre en évidence deux phases successives d’aménagement. Dans un premier temps, un chenal est créé, bordé de deux rangées de pieux. Au sud, un vaste empierrement en est séparé par un petit caniveau en bois, destiné à drainer les eaux. Un second caniveau également parementé de bois, perpendiculaire au premier et de direction N‑S, sépare la calade en deux espaces. Dans un second temps, la partie nord de l’empierrement reçoit de nouveaux aménagements, toujours exécutés avec le secours de pieux qui seuls permettent de compenser la faiblesse d’un terrain gorgé d’eau.
1.3.1.1 Un canal et une aire de déchargement (état 2A)
52Deux rangées de pieux (S 158 au sud et S 164 au nord) délimitent, suivant un axe rigoureusement E‑O, un creusement large de 3,60 m que son remplissage permet d’interpréter comme un canal (fig. 21). Ces pieux, principalement en pin mais parfois en chêne, ont une longueur de 1,50 à 4 m pour un diamètre moyen de 10 cm. Bien appointés, ils sont plantés verticalement et de manière régulière, tout les 25 cm, formant un alignement rectiligne. Ils soutiennent un bourrage de branchages disposés horizontalement afin de contenir les sédiments et de stabiliser les berges (dépl. fig. 1). L’absence de creusement au nord dans la levée de terre d’époque grecque s’explique par la présence d’un sédiment encaissant très plastique dans un milieu riche en eau. Les pieux sont plantés consécutivement au percement du canal, en bordure de celui‑ci. Au sud, où les niveaux sous‑jacents sont de nature différente, la rangée de pieux présente une nette tranchée de fondation. Sa partie supérieure a reçu dans un second temps un mur constitué d’énormes galets en partie basse et de blocs de nature et de taille diverses dans la partie supérieure (fig. 22). Ce mur est large de 80 cm ; sa partie supérieure atteint la cote de ‑0,40 m ngf. En l’absence de liant, la cohésion est assurée au nord par les pieux et au sud par des pans de bois de récupération mis bout à bout de chant parmi lesquels se trouvait un fragment de bateau (cf. infra § 1.3.2). Ce mur a pu servir de quai pour le canal. Il est bâti directement sur un sédiment marin fortement argilo‑limoneux (Cordier 1994), puis il est remblayé au sud sur quelques dizaines de centimètres. Ces remblais, issus du remaniement des couches stériles inférieures, contiennent de la céramique du iiie s. av. J.‑C. Deux tranchées, étudiées plus loin, longent le mur et éliminent tout lien stratigraphique avec l’empierrement S 184.

FIG. 21 ‒ Plan de détail des aménagements romains en zone nord.
DAO M. Bouiron/Ville de Marseille

DEPL. FIG. 1 ‒ Coupe N-S du canal et des niveaux grecs (cf. fig. 8, 21)

FIG. 22 ‒ Détail de la construction du mur S 158. Les pieux au premier plan se sont affaissés sous le poids des structures postérieures.
Cliché F. Cognard/Afan
53Posé également sur les niveaux marins et s’étendant sur une grande partie de la fouille, l’empierrement S 184 forme une vaste surface plane, à une altitude de ‑1 m ngf. Il est constitué de pierres de petite taille (max. 15 cm) disposées à plat : galets éclatés, poudingue ou pierre froide très anguleuse. Cette calade repose sur un radier dense de petits cailloux aux arêtes vives. Bien que largement détruite par le fossé médiéval et de contour irrégulier, l’aire couverte par cette structure paraît rectangulaire, à la perpendiculaire du chenal. À l’est, ainsi que dans le témoin épargné par le fossé de la fortification médiévale à l’ouest, seul le radier subsiste. Intégrés à la calade, de gros galets disposés à plat forment de petites aires circulaires d’environ 1 m de diamètre, légèrement convexes. Deux d’entre elles sont sur la calade, une autre est située à l’est, directement sur le radier. La limite septentrionale est également irrégulière ; elle est matérialisée par des pierres légèrement plus grosses, disposées parallèlement au mur, à 5 m de distance de celui‑ci (fig. 23). En limite orientale de la calade, un caniveau (S 183 au nord et S 218 au sud) est implanté perpendiculairement au canal. Il est constitué de deux alignements de pieux (de 5 à 8 cm de diamètre, espacés de 50 à 70 cm) qui maintiennent des planches disposées de chant, délimitant un conduit large de 50 à 60 cm (fig. 24). Des réfections de la calade ont certainement eu lieu car celle‑ci recouvre le caniveau, ce qui empêche son entretien. Cette grande esplanade a peut‑être servi d’aire de déchargement pour des marchandises d’un certain volume ou de zone de travail (par exemple pour étendre des filets ?).

FIG. 23 ‒ Bordure nord de l’empierrement, près des pieux de la structure S 162.
Cliché F. Cognard/Afan

FIG. 24 ‒ Empierrement de part et d’autre du caniveau sous l’espace médiéval C11.
Cliché F. Cognard/Afan
54Dans un deuxième temps, une tranchée (3‑823) est creusée dans les remblais appuyés contre le mur à environ 1,40 m de distance. Elle a une section en cuvette, une profondeur de 40 cm et une largeur de 1,20 m. Son fond est irrégulier et ne semble pas avoir un pendage global, mais il remonte brusquement vers l’est où ce creusement disparaît. Il est comblé d’argile plastique homogène grise. Une deuxième tranchée (3‑904) est creusée, probablement dans les mêmes remblais et parallèlement au chenal principal, en bordure de la calade S 184. Elle est large de 0,80 à 1 m, profonde de 20 à 30 cm et sa section est en cuvette. Localement et sur une courte distance, elle est renforcée par deux parements de pierres assez grosses non taillées, disposées sur une seule assise, matérialisant un conduit de 30 cm en moyenne. Bien que le fond ne soit pas aménagé, on peut admettre que cette structure (S 186) est une canalisation, en léger pendage vers l’ouest, qui aurait été en grande partie récupérée (il n’est pas exclu qu’il y ait eu aussi une couverture). Son comblement, 3‑807, est très hétérogène, fait d’argile très sombre, de sable grossier et de quelques cailloux. Il a livré quelques céramiques des iiie ou ive s. ap. J.‑C.
1.3.1.2 L’aménagement de la bordure nord de l’aire empierrée (états 2B et 2C)
55Après la récupération de la canalisation S 186, une importante série de pieux est plantée dans son comblement (structure S 162). Ces pieux en pin ou en chêne, assez courts (1 m), sont plus fins que ceux des deux autres structures (diamètre entre 4 et 10 cm) et sont répartis sur une bande de 60 cm de large selon un réseau très dense (environ 30 pieux sur 1 m). La direction générale de cette bande est légèrement oblique par rapport à l’ancienne canalisation. Dans la partie médiane, quelques grosses dalles (3‑936), disposées sur une assise, sont posées sur le sommet de ces pieux, un léger blocage colmatant les interstices entre ces derniers. Compte tenu de la large tranchée tardive qui atteint le sommet des pieux de S 162, on peut supposer que ces aménagements de pierre existaient sur toute la longueur de S 162 et qu’il s’agissait soit d’un mur (base de la fondation à –0,90 m d’altitude), soit plus vraisemblablement d’un passage dallé (altitude de sa surface : –0,80 m ngf). Enfin, 12 pieux minces (entre 3 et 7 cm de diamètre), assez dispersés mais disposés globalement selon une direction perpendiculaire au canal, forment la structure S 185 ; ils dépassent largement de l’aire caladée dans laquelle ils sont implantés. Il est délicat de déterminer le niveau en liaison avec ces pieux, mais il est vraisemblable que cet aménagement soit contemporain de l’utilisation de la calade. Le milieu aqueux expliquerait leur conservation sur une certaine hauteur.
56Le canal est comblé par de l’argile plastique homogène (3‑813) qui présente vers le haut une interstratification de très fines couches organiques (quelques millimètres). Celles‑ci sont déposées selon un profil en cuvette ample, en concordance avec l’axe du canal. Au‑dessus, ces microcouches deviennent de plus en plus nombreuses pour former finalement une couche qui se différencie de la précédente, 3‑781, de couleur marron‑jaune. Ses interstratifications organiques vertes finissent par déborder sur le mur qui limite le canal au sud, ainsi que sur la butte au nord, passant entre les pieux dans la partie supérieure. Ceci indique vraisemblablement une dégradation du treillage avec le temps et une érosion de la bordure. Ainsi le remplissage de ce canal est dû à un dépôt naturel, lequel s’est effectué d’abord durant l’occupation puis l’abandon sans qu’il soit possible de définir exactement le passage de l’un à l’autre.
1.3.2 Fragments de bateau en remploi
57m. moerman
58Lexique
59Can : tranche d’une planche.
Membrure : poutre appartenant à la structure perpendiculaire d’un bateau. Repose à l’intérieur du bordé.
Raccord en sifflet : raccord de deux planches effectué en biais, de façon à augmenter la surface de contact entre les cans des deux planches.
Préceinte : élément du bordé d’épaisseur plus importante que des autres planches, et qui ceinture le bateau, notamment au‑dessus de la ligne de flottaison et sous le plat‑bord.
Maille : espacement entre une série d’éléments identiques, les membrures par exemple.
Œuvres vives : parties immergées du bateau.
Barrot de pont : poutre transversale à l’axe du navire, et soutenant le pont.
Contre‑bauquière : poutre de doublage de la ceinture intérieure d’un navire. Joue un rôle équivalent, mais interne, à celui de la préceinte.
Virure : planche, du bordé, notamment, ou du pont.
60Des planches horizontales, assemblées par un système de clés, tenons, mortaises et chevilles, sont disposées en renforts latéraux à deux endroits du mur du quai. Il s’agit de fragments de coque de bateau. Leur position (l’un est à l’envers) et leur imbrication dans la construction indiquent qu’il s’agit de remplois et non des vestiges d’une épave qui aurait coulé en milieu portuaire. L’étude architecturale permet d’en tirer les caractéristiques principales et des données chronologiques (fig. 25, 26).

FIG. 25 ‒ Fragment de bateau remployé dans le mur S 158. Les pastilles blanches signalent les tenons.
Cliché F. Cognard/Afan

FIG. 26 ‒ Relevé du fragment de bateau (1/20e).
DAO J. Isnard/Afan
1.3.2.1 Caractéristiques architecturales des deux fragments
Le premier fragment
61Découvert sur le parement sud du mur, il se compose de trois planches.
62La planche inférieure, en résineux, a une hauteur de 3,2 à 3,8 cm, pour une largeur de 3 à 3,2 cm. Elle comporte des mortaises sur les deux cans*, à raison d’un rythme double pour le can supérieur. La longueur des mortaises varie entre 4 et 5 cm, avec une largeur de 0,9 cm.
63La planche médiane, également en résineux, a une hauteur de 3,8 cm en moyenne, pour une largeur d’environ 3,1 cm. Elle possède des mortaises sur les deux cans, avec un rythme identique à celui du can supérieur de la planche inférieure.
64La planche supérieure a une hauteur de 6 cm en moyenne, pour une largeur d’environ 2,6 cm. Les mortaises sont présentes uniquement sur le can inférieur, avec un rythme identique au can supérieur de la planche inférieure. Elle se différencie des planches précédentes, à la fois par sa nature, un bois plus foncé, peut‑être du chêne, et par la présence de tenons beaucoup plus épais et larges, implantés horizontalement à sa base en alternance avec les tenons classiques. Ils reposent dans des découpes taillées à cet effet, à la fois dans la planche supérieure et dans la planche médiane. Quatre de ces tenons, ainsi que deux emplacements supplémentaires, ont été retrouvés sur une longueur conservée de 6 m. Leur espacement est très irrégulier, variant de 70 à 90 cm. Ils comportent des trous de chevilles, dont un pour les relier aux planches verticales. Ils présentent un rétrécissement de largeur au passage dans la mortaise, taillée en biais, sans doute pour empêcher un effet de glissement et donc les bloquer. Ces pièces, peut‑être du chêne vert, ont une longueur maximale de 18 cm, pour 7,7 cm de large et 1,7 cm d’épaisseur. Elles sont percées de deux trous de chevilles.
65Les tenons de ce fragment de bordé présentent une alternance d’un tenon en résineux non chevillé, ne s’emboîtant que dans les planches inférieure et médiane, et d’un tenon en chêne vert, traversant les trois planches. Ces derniers possèdent une extrémité aveugle dans la partie supérieure de la planche supérieure, et sont chevillés à deux endroits (une fois dans la planche médiane, cheville avec tête vers le sud et une fois dans la planche inférieure, avec tête de cheville vers le nord).
Le second fragment
66Il se compose de cinq planches d’épaisseur et de longueur différentes.
67La planche inférieure, d’une hauteur de 10 à 15 cm et d’une épaisseur de 3 à 5 cm, est longue de 6 m14. Elle montre une courbure assez prononcée vers le haut, notamment à son extrémité est. Elle comporte des mortaises sur les deux cans. Les trous de chevilles perpendiculaires sont implantés à raison d’un rythme variant entre 18 et 22 cm pour le can supérieur.
68À moins que l’état du bois n’en masque certaines, celles du can inférieur sont implantées beaucoup plus irrégulièrement, les distances variant de 18 à 40 cm. La longueur des mortaises est comprise entre 4 et 5 cm pour une largeur de 0,9 cm. La planche comporte également cinq trous de clous, probablement en fer. Ces trous correspondent à l’implantation des membrures* absentes. L’extrémité est de la planche comporte une mortaise longitudinale, indiquant sans doute l’existence d’un raccord. Il s’agit d’un résineux15.
69La planche suivante est moins longue, 3,48 m, et moins haute, entre 5 et 7 cm. Cette planche se termine à l’est par une extrémité biseautée vers le haut, s’emboîtant dans un décroché pratiqué dans la planche suivante (fig. 27). Il semble que la présence de cet élément est nécessaire pour rattraper la courbure des formes. Le raccord utilisé est dit en sifflet*. L’espacement des clés entre les chevilles est assez régulier, entre 18 et 22 cm. Elle possède une trace de clou de membrure.

FIG. 27 ‒ Détail de la technique d’assemblage du fragment de bateau.
Cliché F. Cognard/Afan
70Au‑dessus se trouve une planche nettement plus large que les deux précédentes, en moyenne 22 cm, pour une épaisseur de 3,1 cm. Le rythme des clés est le même que précédemment et l’on observe le passage de cinq membrures. Deux trous de clous supplémentaires, apparemment sans rapport avec les fixations de membrure, se trouvent près de l’extrémité est. La planche comporte deux raccords en sifflet. Outre celui précédemment cité, son autre extrémité est taillée en biseau pour venir se rabouter sur la planche supérieure, en même temps que sur la planche la plus inférieure.
71La quatrième planche, fort endommagée à son extrémité ouest, est la plus longue et la plus large, 6,78 m, pour une largeur variant entre 11 et 22,3 cm. Elle est nettement moins large à son extrémité est. Le passage des cinq membrures est toujours présent, mais il faut y ajouter quatre autres passages de clous en fer, entre la dernière membrure orientale et l’extrémité est ; peut‑être faut‑il compter une membrure de plus.
72La dernière planche conservée en hauteur est la plus fragmentaire. Sa hauteur est, au minimum, de 13 cm.
73Les membrures ont disparu, peut‑être pour mieux adapter le morceau de bordé contre le reste du mur. Mais leur cloutage permet d’en dénombrer, au minimum, cinq ou six. La maille* est large, en moyenne 1 m d’écart entre les clous. La largeur de membrure peut être déduite des traces retrouvées sur la face interne du bois, et doit varier entre 10 et 12 cm. La fixation est faite par cloutage, un clou en fer par planche, au milieu de chacune d’elle. Les tiges des clous sont de section carrée. Le bois comporte, que ce soit à l’emplacement des membrures, à l’intérieur de la coque, ou sur la partie externe, des tracés à la pointe sèche, qui ont servi à déterminer l’endroit où le charpentier doit travailler.
1.3.2.2 Un témoin d’architecture navale
74Malgré la faible taille de ces vestiges, plusieurs faits sont à dégager. Sur le second fragment, la présence d’une préceinte* indique que l’on se trouve au‑dessus des œuvres vives*. Le rétrécissement de la largeur, avec la présence de plusieurs sifflets, peut indiquer que ce fragment est prélevé à proximité d’une extrémité, mais on ne peut déterminer s’il s’agit de l’avant ou de l’arrière. Il faut également remarquer plusieurs caractéristiques qui peuvent apporter des informations sur la datation de la construction du bateau, à savoir l’espacement et la taille des clés reliant les planches du bordé, ainsi que sur le mode de fixation et l’espacement des membrures. En effet, la taille et l’espacement des mortaises sur le can des planches du bordé varient à travers l’époque romaine, et le nombre de ces mortaises diminue au fur et à mesure que l’on arrive à l’époque tardive, où les languettes d’assemblage jouent un rôle moindre de liaison (Pomey, Gianfrotta 1981 : 242). Ici les mortaises, larges de 9 cm, sont espacées en moyenne de 15 cm. C’est inférieur à l’espacement des mortaises de l’épave de Yassi Ada du ive s. ap. J.‑C. (Pomey, Gianfrotta 1981 : 242 ; Van Doorninck 1976 : 122).
75Sur le premier fragment, les autres tenons utilisés perpendiculairement à la coque attirent aussi l’attention. Ils ne semblent pas correspondre à des éléments déjà observés pour l’architecture navale antique. Mais leur orientation et leur localisation au‑dessus d’une préceinte, et probablement vers une des extrémités du bateau, permettent d’émettre une hypothèse. Lorsqu’on observe une coque de navire antique, pour un bateau de taille petite à moyenne, le seul élément perpendiculaire qui puisse avoir une base insérée dans les virures* est le pont. Peu de ponts sont trouvés sur les épaves antiques, cette partie du bateau étant particulièrement exposée lors du naufrage et de la destruction partielle de la coque qui s’en suit. Quelques découvertes sont effectuées, à Némi (Ucelli 1950 : tav. II, VI, VIII), à County Hall (Marsden 1966 ; 1974), à Punta Ala (Gassend et al. 1984 : 86‑87), sur l’épave du Grand Ribaud D, et surtout sur l’épave II des Laurons (Gassend et al. 1984 : 77‑85). Les relevés de ces épaves montrent des modes de fixation différents, soit des barrots* de pont courant d’un bord à l’autre, comme à Némi ou aux Laurons, ou une possibilité de soutien sur la préceinte haute ou sur une contre‑bauquière*.
76On peut ainsi avancer l’hypothèse de tenons larges et solides s’emboîtant dans la dernière virure du plancher de pont pour l’épave de la place du Général‑de‑Gaulle. Il est évident que ce mode de fixation ne peut être envisagé pour l’ensemble du pont, celui‑ci n’aurait pas présenté alors toutes les conditions de résistance nécessaire à son utilisation. Mais il est envisageable qu’aux extrémités, où le bateau se referme sur lui‑même et où la largeur du pont est faible, on ait pu faire l’économie de barrots de pont et remplacer ceux‑ci par ces tenons.
77Réemployer des fragments de coque pour construire des structures portuaires peut s’expliquer par plusieurs raisons : la disponibilité du bois, le fait que le bois ait déjà été sélectionné pour un usage au contact de l’eau de mer, et les assemblages dont on peut se resservir. C’est exactement le cas ici, où le liaisonnement très particulier entre les planches permet d’en obtenir à la fois cohérence, solidité et souplesse. Cette cohérence inhérente aux assemblages mortaises‑tenons permet de se passer des membrures, sans doute récupérées, elles aussi, pour un autre usage. De plus, la forme de la coque, inclinée vers l’intérieur de la structure, autorise une bonne adaptation au profil même de celle‑ci. Aucun mode de fixation particulier n’est repéré, la fixation ayant peut‑être été faite uniquement par l’enfoncement de la base dans la vase.
78Sur la rive nord du port, sur l’emplacement du chantier Jules‑Verne, un quai comprend également des fragments de coque de bateau, réutilisé en tant que palplanches (Hesnard 1994 : 111 ; Hesnard 1993 : 57, 59) D’autres sont bâtis sur des fondations constituées d’un bateau rempli de matériaux de construction (Hesnard 1994 : 112 ; Hesnard 1993 : 57), comme à Ostie, mais c’est une autre conception, où le bateau réutilisé est plus compris comme un caisson de construction que comme une source de matériaux. En Grande‑Bretagne, des fragments de coque ont été dégagés dans les structures portuaires de Londres. Il s’agit de bateaux remontant au xiiie ou xive s. (Goodburn 1988 : 108‑111). D’autres ont été découverts à Kingston‑upon‑Thames, datant du début du xve s. Les planches y servaient de revêtement de berges, bloquées par des pieux verticaux et provenaient de deux bateaux différents (Potter 1988 : 144‑146).
1.3.3 Interprétation des aménagements romains
79Nous n’avons pas d’élément pour dater l’installation de ces structures. Les couches immédiatement antérieures contiennent du matériel hellénistique16. Il est vraisemblable que la création de la calade a arasé des niveaux plus anciens, voire peut‑être des premiers aménagements. Mais on ne peut pas non plus éliminer l’hypothèse d’une construction remontant à cette période. Les niveaux d’utilisation de cet ensemble, à l’époque romaine, ont livré trop peu de mobilier céramique pour qu’on puisse en tirer des conclusions chronologiques fiables. Seuls les niveaux d’abandon ont fait l’objet d’une étude céramologique (cf. infra § 1.4.3).
80L’ensemble de ces structures est encore en usage durant les iiie et ive s. ap. J.‑C., fait confirmé par la présence du fragment de bateau attribuable à ces périodes. L’abandon se situe avant le début du ve s. (remblai d’abandon 3‑802). Quand les liens stratigraphiques font défaut, ce qui est souvent le cas, la céramique ne permet pas d’ordonner chronologiquement les différentes structures dans le détail. Le caniveau S 183 est consécutif au remblai 3‑804 et antérieur à la calade dans son dernier état. Il témoigne d’un état intermédiaire intervenant au cours de l’utilisation de la calade et est partiellement recouvert par une réfection de celle‑ci. La canalisation S 186, aménagée en pierre, est aussi implantée dans le remblai inférieur et semble contemporaine du caniveau auquel elle est perpendiculaire et qui ne la traverse pas. Elle limite au nord la calade avec laquelle elle semble également liée. Dans l’hypothèse, très probable, où la calade appartient à la même période d’occupation que le canal, la présence de balanes17 dans ce dernier, à –1,07 m d’altitude, permet de restituer le niveau de la mer peu au‑dessous du pavement dont la surface est à –1 m d’altitude. Des balanes ont par ailleurs été trouvées sur la calade ; leur colonisation est peut‑être contemporaine de l’utilisation ou plus vraisemblablement consécutive à son abandon. L’occupation de cet espace a dû cesser lorsque le niveau de la mer est remonté, à la fin de l’Antiquité, parallèlement à un enfoncement de la surface en raison du tassement des dépôts argilo‑sableux sous‑jacents. Il s’agit probablement d’une aire de stockage, siège d’une activité qui n’a pas laissé de traces. Les divers aménagements de galets et les petits pieux S 185 implantés dans la calade seraient des témoignages de cette activité, liée à un canal permettant la circulation de bateaux.
81L’alignement de pieux S 162, à l’emplacement de la canalisation S 186, a été interprété comme étant le support d’un pavement ou d’un mur qui aurait été presque entièrement récupéré. Son sommet à –0,80 m d’altitude le placerait dans une période d’utilisation postérieure à la calade. Mais la surface des remblais argileux qui couvrent cet aménagement, déposés en une seule fois, est à une altitude supérieure à l’arase, ce qui exclut une occupation intermédiaire où S 162 serait visible et la calade enterrée. De fait, dans son dernier état d’utilisation, cette structure semble aussi contemporaine de la calade. Enfin, nous avons vu que le mur qui surélève la bordure sud du canal est implanté sur les remblais qui s’appuient sur cette bordure ; il appartient donc à une deuxième phase de travaux.
1.4 Transgression marine et création du Plan Fourmiguier
82fig. 28
83À la fin de l’Antiquité, le niveau de la mer semble remonter. Les aménagements utilisés précédemment sont progressivement recouverts par un apport de sédiment, puis par du sable. Une plage occupe alors le fond du Vieux‑Port. Au nord, un bâtiment est construit ; le sol des différentes pièces est constitué d’une calade. Plus au sud, des fossés sont attestés, mais il est difficile d’en comprendre le fonctionnement. Enfin, l’ensemble du site est remodelé avec l’installation d’un niveau de sable damé, que l’on interprète comme les vestiges de salines. Ce niveau fait la transition entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge et correspond aux états 3 et 4A.

FIG. 28 ‒ Plan général de l’Antiquité tardive (état 3).
DAO M. Bouiron/Ville de Marseille
1.4.1 Transgression marine, bâtiment à sol caladé et fossés
84Cette phase (états 3a et 3B) qui concerne la fin de l’Antiquité n’a laissé que peu de traces construites sur le site. Elle se déroule entre l’abandon de la vaste aire caladée et l’installation des salines qui arase les aménagements préexistants. De part et d’autre du canal et de ses bordures (qui forment un cordon surélevé), des remblais synchrones mais de nature et de dynamique différentes sont déposés.
85Au sud du canal, la calade antique est scellée par un niveau de 40 cm d’épaisseur (3‑802 = 1‑259). L’étude géomorphologique a montré qu’il s’agissait « d’un dépôt marin en mode calme mais assez nettement pollué par des éléments grossiers terrestres indiquant certainement une forte anthropisation du milieu et un fort envasement du fond de calanque (avec apports de matériaux dus à l’écoulement des eaux en fond de vallon vers la calanque) » (Cordier 1994). Cette interprétation montre que, postérieurement à l’abandon, les aménagements antiques sont immergés, puis remblayés en milieu aqueux. Une courte phase d’occupation est alors marquée par la récupération de l’aménagement de pieux et de blocs S 162 (tranchée 3‑828, comblée par un sédiment très hétérogène à dominante argileuse 3‑827).
86Parallèlement, la cuvette au nord du canal est comblée par l’apport massif, sur une épaisseur à peine inférieure à 1 m, de sédiments argileux issus du substratum, constitués de mottes d’argile finement litées prises dans des limons sableux. Parmi les différentes couches distinguées dans cette phase, seules deux d’entre elles ont livré du matériel : 2‑611 (céramiques du ve s. ap. J.‑C.) et 2‑612 (céramiques du ier ou du iie s. ap. J.‑C. qui, au vu de la position stratigraphique, doivent être considérées comme résiduelles). Succédant à ces remblais, de fines couches observées sur des surfaces assez vastes pourraient être interprétées comme des niveaux d’occupation. Le premier est un épandage de petits éclats de calcaire blanc délité, en réseau assez dense, horizontal, à –0,55 m d’altitude. Ce niveau n’existe que dans la partie N‑E de la fouille et il n’a pas été possible d’en délimiter les contours exacts. Au‑dessus de cette couche se distingue nettement un niveau horizontal, sableux, compact, moucheté de petits charbons, épais d’une dizaine de centimètres, dont la surface est à –0,40 m d’altitude. Il a été repéré dans toute la partie N‑E de la fouille.
87Les vestiges de cette période consistent en un aménagement caladé (S 205) associé, sans relations stratigraphiques directes, à des creusements de canaux. S 205 n’a été que partiellement fouillé car la limite septentrionale échappe à l’emprise du chantier. Il s’agit d’un sol construit de galets soigneusement appareillés (fig. 29), d’un module généralement inférieur à 10 cm, formant deux aires planes et quadrangulaires, avec un seul côté situé dans la fouille, long de 4 m. Son orientation, axée sur les points cardinaux, s’insère dans la trame antique. Les galets reposent sur une fine pellicule d’argile plastique grise incluant de nombreux charbons (2‑1171) ; ils forment deux surfaces caladées bordées par un double parement de pierres et de gros galets contenant un blocage de petits cailloux, pierres et tuiles (fig. 30). Il faut noter que le parement interne des bordures repose sur le pavage. Entre ces constructions est ménagé un petit espace d’une quarantaine de centimètres de large, légèrement creux, qui correspond à l’emplacement de murs disparus certainement en terre. La structure S 205 est comblée par 2‑906, couche d’argile jaune homogène et stérile (fig. 12) ; celle‑ci ne s’étend pas au‑delà des bordures et comble aussi l’emplacement du mur séparant les deux aires caladées. Cette couche a livré quelques tessons de céramique datée du ve s. ap. J.‑C.

FIG. 29 ‒ Détail de l’empierrement S 205 retrouvé au nord du site (état 3).
DAO J. Isnard/Afan

FIG. 30 ‒ Détail de la bordure de l’empierrement S 205.
Cliché F. Cognard/Afan
88Une fine couche de sable marin (2‑1061) en pendage vers l’ouest a été mise en évidence au sommet de la séquence. Il semble que ce niveau soit stratigraphiquement concordant avec la couche 3‑527, également constituée de sable homogène et située plus au sud. L’étude sédimentologique a montré que « le pourcentage de sable et le tri [de 3‑527 constitue] un dépôt typique de bas de plage ou un remaniement de stocks sableux en mode très calme » (Cordier 1994), caractéristique d’une plage. Il faut noter à certains endroits, là où la plage est absente, la présence d’une couche d’argile pure au sommet de la stratigraphie (2‑715), immédiatement antérieure aux salines. Il semble donc que le littoral tout proche reprenne ici momentanément possession des lieux, peut‑être à l’occasion d’un abandon ponctuel, et que le sable vienne s’y accumuler. Au nord, ce niveau est scellé par une poche d’argile dans laquelle est prise une lentille de gravats assez dense (2‑975), qui contenait un abondant matériel céramique daté de la seconde moitié du ve s. ap. J.‑C. et des fragments de décors architectoniques en marbre. La datation est identique à celle du comblement du bâtiment, ces deux couches étant également synchrones stratigraphiquement. Tous ces niveaux sont scellés par la couche 2‑964 présente sur la majeure partie de la coupe nord du site. Celle‑ci, ponctuellement fouillée, a livré de la céramique datée du vie s. ap. J.‑C.
89Trois fossés sont rattachés à cette phase. Au centre du chantier, un creusement de 1 m de large pour une profondeur de 60 cm (3‑605) a une section en cuvette et est orienté N‑O/S‑E (fig. 31). Il est comblé par une couche hétérogène argileuse à passées sableuses (3‑618), contenant de la matière organique et des cailloux, puis par un sable grossier marron (3‑617). Plus au sud, un autre fossé a été reconnu (2‑1180) : d’orientation E‑O, il contenait un abondant matériel céramique (2‑1181). Enfin au sud, un troisième creusement (S 271), contemporain des deux autres, présente un axe E‑O (fig. 32, 44), un profil en cuvette et une profondeur de 30 cm pour une largeur moyenne de 2,40 m. Le comblement est constitué d’argile grise homogène contenant du matériel céramique datant de la fin du vie s. ap. J.‑C. Ce fossé se superpose à la limite approximative de la calade antique ; il correspond également à la limite du niveau des salines immédiatement postérieures, qui le recouvre partiellement.

FIG. 31 ‒ Coupe du fossé 3‑605 (cf. fig. 52, 89)
DAO J. Isnard/Afan

FIG. 32 ‒ Coupe du fossé 4‑688, à l’aplomb du mur M 29 (cf. fiq. 60, 85, 92, 133).
DAO J. Isnard/Afan
1.4.2 Le haut Moyen Âge : des salines ?
90fig. 33
91La fin de l’Antiquité est marquée par la création d’un vaste niveau damé qui correspond vraisemblablement aux vestiges de salines (états 3C et 4A). Celles‑ci séparent distinctement la stratigraphie des phases antérieures des niveaux médiévaux. Il semble que leur utilisation couvre une période allant de la fin du vie aux xe‑xie s.

FIG. 33 ‒ Plan général de l’état 3C‑4A.
DAO M. Bouiron/Ville de Marseille
1.4.2.1 La stratigraphie
92Le principal niveau de ces salines est un sol (3‑526) d’épaisseur variant entre 2 et 10 cm et dont la texture particulièrement indurée lui a valu lors de la fouille la dénomination de « sol dur » (fig. 34). Cette compacité exceptionnelle provient de son tassement et de sa constitution, un mélange microlité d’argile, de sable et de ballast de l’ordre du centimètre, souvent des débris de céramiques antiques roulés. Ce sol a été observé sous les niveaux médiévaux suivants : à l’emplacement de la rue médiévale (au sud de la ruelle), à l’ouest du fossé de la fortification qui l’a détruit, et au sud jusqu’au fossé S 270, soit sur une surface d’environ 1 500 m2. Son originalité réside dans sa parfaite horizontalité (entre –0,25 et –0,30 m ngf), mises à part quelques déformations dues à des surcharges locales. Cette planéité résulte d’un nivellement préalable à l’installation du sol, opéré par arasement des couches sableuses (dépôts de haut de plage) à l’ouest et des remblais anthropiques argileux à l’est, eux‑mêmes percés de fosses et chenaux comblés. Il matérialise le passage de la séquence sédimentaire antique, caractérisée par des sédiments argileux d’origine essentiellement naturelle, aux remblais anthropiques meubles médiévaux.

FIG. 34 ‒ Niveau sableux compact, probablement des salines. Au fond, mur de façade de l’enclos sur la voie médiévale (phase 4B3).
Cliché F. Cognard/Afan
93Il est prolongé par le sol 3‑511 à l’est du fossé médiéval S 275 (cf. infra § 2.1.1). Également horizontal et à –0,20 m ngf, ce niveau est d’une grande compacité, de texture sableuse et riche en graviers et galets. Sa surface n’est pas aussi lissée que celle du sol des salines. Au nord, il est bordé par un fossé dont les limites n’ont pu être toutes définies à la fouille. Ce fossé est situé sous la ruelle médiévale (cf. infra § 2.3.1.2), avec une largeur de 3 m et une longueur observée de 18 m (son extrémité occidentale est recoupée par le fossé médiéval et l’autre sort de l’emprise du chantier). Son fond, à 60 cm de profondeur, accuse une nette remontée dans l’axe du mur médiéval M 103 (cf. infra § 2.3.3) où il est si proche de la surface que le creusement est à peine perceptible (les alignements des bords des fossés 2‑1119 et 2‑787 ont permis de les associer). Plus au nord, un sol composé d’une fine couche de sable (2‑1002) succède à un arasement qui marque, comme pour les salines, le changement dans le mode de sédimentation. En l’absence de céramiques, seuls ces faits permettent de supposer que ces deux surfaces sont contemporaines.
94Cette surface d’arasement est séparée du fossé par une tranchée orientée E‑O (2‑1016) (fig. 35). Large de 90 cm et profonde de 20 à 30 cm, elle traverse le chantier de part en part. Elle est interrompue sur une courte distance (environ 1,50 m), au même endroit que l’interruption du fossé. Son comblement (2‑1013) est composé d’une abondante matière organique, de mottes d’argile pure grise, de nombreux coquillages, de fragments de matériaux de construction, de cailloux de calcaire blanc, de petits galets et de fragments de céramiques attribuables du ve au viie s. ap. J.‑C. Il est scellé par une fine couche de sable (2‑1002). La récupération est sans doute médiévale, mais le mur lui‑même peut être mis en relation avec la phase des salines. Ce mur délimite un vaste espace ouvert au sud sur les salines. Un seul niveau d’occupation, 2‑1108, est perceptible. Il est de texture sableuse, à la cote –0,40 m ngf et n’a pas été fouillé en plan. La liaison entre cet ensemble et le niveau compact est assurée par la lecture d’une coupe stratigraphique (fig. 36) ; la présence de plusieurs tranchées au sud des deux espaces n’a cependant pas permis de retrouver le lien physique entre les couches.

FIG. 35 ‒ Au premier plan, tranchée 2‑1016 en cours de fouille. Elle est recoupée au second plan par les caniveaux postérieurs installés dans la rue médiévale.
Cliché F. Cognard/Afan

FIG. 36 ‒ Coupe réalisée contre la paroi nord de la fouille, à travers l’espace A3 (cf. fig. 8, 52, 72, 107).
DAO J. Isnard/Afan
1.4.2.2 Interprétation
95La grande extension et l’horizontalité volontaire de ce sol font son originalité. La mer étant proche18, seule l’hypothèse d’une saline est plausible. Elle est induite par les textes qui mentionnent leur existence à Marseille peut‑être dès le vie s. ap. J.‑C. et la présence, au xiiie s., des salines de Saint‑Victor au S‑O du Vieux‑Port (cf. infra § 8.2.2). L’analyse sédimentologique menée par L. Cordier (1994 : 415) montre l’importance du limon, une absence de la fraction entre 0,1 et 0,125 mm, une diminution de la fraction sableuse par rapport aux niveaux antérieurs et une relative importance du ballast. L’absence de tri témoigne bien sûr du caractère anthropique de ce sédiment, mais on peut s’interroger sur le hiatus de la fraction sableuse fine qui pourrait ne pas être accidentelle. Il apparaît en effet que c’est le mélange d’argile et d’éléments grossiers qui assure l’extrême compacité de ce sol, mélange utilisé dès l’Antiquité pour le revêtement des voies. Ce remblai contient en outre de nombreuses hélicelles, marqueurs d’un assèchement, qui peuvent correspondre aux périodes qui suivent la récolte du sel. Cette analyse a été complétée par celle de la microfaune. Aucun organisme du type ostracode ou foraminifère caractéristique des milieux salins n’a été détecté, mais on constate tout de même une forte proportion de microfaune marquant les zones supralittorales. Ce résultat n’est cependant pas déterminant car d’une part l’analyse porte sur l’épaisseur du sol (par définition antérieur à son utilisation), et d’autre part les techniques d’exploitation du sel font que la surface est régulièrement nettoyée19, asséchée et reçoit une eau dont la salinité varie d’un extrême à l’autre, facteurs qui ne sont pas propices au développement d’une faune marine caractéristique des milieux hypersalins. Enfin, une analyse des constituants minéraux a été effectuée afin de trouver des éléments concentrés par l’évaporation des bassins d’assèchement. Selon L. Cordier, « il n’a pas non plus été remarqué de concentration excessive de sel ou de gypse dans toute la séquence. Mais il faut bien comprendre que ces deux minéraux ont eu largement le temps de migrer en profondeur vu l’environnement saturé en eau de ce fond de calanque. » (Cordier 1994.)
96Ces analyses ne peuvent donc pas permettre de valider archéologiquement l’hypothèse des salines mais elles ne l’infirment pas non plus. Quelques remarques abondent cependant dans ce sens :
‒ la planéité est volontaire, preuve en est qu’à l’aplomb du chenal antérieur 3‑605, dont le comblement plus meuble se tasse progressivement, le sol est rechargé de multiples fois afin de conserver l’horizontalité ;
‒ son extension est compatible avec la taille des bassins des salines de Péccais au xive s., dont la longueur est environ de 50 m (Villain‑Gandossi 1969) ;
‒ l’isolement de cette éventuelle saline par rapport à la mer, à cause de la présence du plan Fourmiguier, ne pose pas de problème car, toujours dans le cas des salines du Péccais, celles‑ci sont à l’intérieur des terres, reliées à la mer par un canal.
1.4.3 La céramique du Bas‑Empire et de l’Antiquité tardive
97c. richarte, d. pieri
98La masse de céramiques recueillie pour la période du Bas‑Empire et de l’Antiquité tardive est composée de 2 722 tessons. Elle correspond à une subdivision en quatre états (2C, 3A, 3B‑C, 3D) qui se placent chronologiquement entre les années 300 et 600 de notre ère. Les contextes étudiés sont assez pauvres en céramiques fines. En revanche, les fragments d’amphores tardives constituent la part la plus importante du mobilier. Cette répartition du matériel semble indiquer, au vu de l’importance du nombre d’amphores retrouvées, et tout en considérant le fort coefficient de fragmentation de ces dernières par rapport au peu de céramiques fines dénombrées, la proximité, non pas d’un site à vocation domestique mais plutôt d’un entrepôt ou d’une resserre.
99Parmi la céramique recensée, 358 fragments appartiennent à la catégorie des céramiques communes et fines par opposition au mobilier amphorique, composé de 2 364 fragments. Les contextes étudiés correspondent le plus souvent aux remblais perturbés par les aménagements médiévaux à l’exception d’un important contexte (1‑751). Ce sont les seules séquences qui ont livré un matériel d’un intérêt typo‑chronologique évident.
100La phase 2C correspond au remblaiement de structures antiques. Elles sont datées de la fin iiie‑ive s. par des coupes Hayes 50B, des amphores africaines cylindriques de moyenne dimension de type africaine I (de Salakta) et Keay XXV (Keay 1984), des amphores italiques Keay LII (sous‑type 1), ainsi que des conteneurs ibériques (DR 23) et gaulois (type 4) tardifs.
101Un niveau de plage (phases 3A et 3B) recouvre le site, dès le ve s. ; à ce terminus ante quem se rattachent quelques fragments de sigillées claires africaines (Hayes 67), d’amphores africaines (Keay LVII) et de Méditerranée orientale (LRA 1 A, Riley 1981). La céramique fine d’importation est composée de sigillées africaines dont 3 fragments de lampes de type Hayes II A (datées du ve s.) ; quelques fragments de sigillée claire C, dont un bord de forme 50, variante tardive aux parois épaisses. La sigillée claire D est représentée par un bol Hayes 80 A (milieu‑fin ve s.), un fragment de forme Hayes 73/76 (2e quart du ve s.) et un exemplaire de Hayes 68 (fin ive‑ve s.). Les DS. P. (Dérivées des Sigillées Paléochrétiennes) provençales, qui ne représentent qu’une vingtaine de fragments, sont attestées par des formes de plat (R1 ou 8), de bols (R6, 15 et 18) assez classiques (fig. 37, nos 1‑5) ainsi que par des urnes de type R25 et des mortiers à listel R29. Ces pièces sont, dans l’ensemble, assez peu décorées. Les céramiques communes locales et importées regroupent des communes grises avec des formes d’ollae de type Pelletier Al et A2 ainsi que des céramiques culinaires à pâte brune. Ces dernières sont tantôt micacées (une des jattes prélevées porte une trace de lissage et une préhension appliquée horizontalement), tantôt brunes à inclusions de calcite. Elles peuvent être originaires du Languedoc, du Var ou de Méditerranée orientale. D’autres importations, comme le type de mortier à surface blanche, sont sans équivoque de provenance africaine. Les communes à pâte claire, toujours très nombreuses et fragmentées, restent difficiles à distinguer des productions du Bas‑Empire.

FIG. 37 ‒ DS. P. : 1‑3 bols de forme 18 ; 4‑5 fonds d’assiette ; 6‑10 exemples de décors ; 11 bol de forme 6 ; 12 indéterminé.
Dessin Y. Rigoir
102La phase 3C est marquée par la présence d’un niveau de sable horizontal, très compact, qui scelle les séquences antérieures. Ce niveau n’a été que partiellement fouillé (contexte 1‑751). Très homogène, il contient du matériel qui n’apparaît pas avant la seconde moitié du vie s. voire même le courant du viie s. D’une manière générale, les amphores de cet état proviennent majoritairement d’Afrique avec les types I et II et d’Orient avec des Late Roman Amphora 1B, 3, 4B, 5 (Pieri 1998). Figurent également dans ce répertoire des formes tardives, les amphores italiques Keay LII et africaines Keay LXI et LXII dont la datation oscille entre le vie s. et le viie s. (Bonifay, Pieri 1995). Ces contextes, attestés par un mobilier encore mal connu à Marseille (en dehors des récentes découvertes inédites de la place Jules‑Verne et du musée César), mettent en évidence une occupation du secteur vers l’extrême fin du vie s. et le début du viie s. À ce mobilier, il faut associer quelques fragments de céramique de table dont quelques tessons de sigillée claire africaine : forme Hayes 99 variante C (datée des années 560/580‑630), deux préhensions de lampe type Hayes II B (vie‑viie s.) (fig. 38), quelques éléments informes de forme 103 et 105 de Hayes ainsi que deux fragments de céramique commune grise informes à la pâte très grossière et au profil lourd. De la région de Phocée provient un fragment de Late Roman C Ware apparenté à la forme 3 F et daté du courant vie s et au‑delà. Les productions régionales se signalent également par quelques DS. P. provençales, dont des variantes tardives R29/68 de mortier à listel au profil particulièrement anguleux. Les amphores africaines sont représentées par des types assez exceptionnels à Marseille de Keay LXI variante ABD et Keay VIII A, par quelques fragments d’amphores globulaires à pâte sableuse jaune et anses rondes ainsi que par des fragments d’amphores de type Bonifay (Bonifay 1986 : fig. 12 no 55). Les conteneurs orientaux sont illustrés par des LRA 1B, 2, 5, 7 (Égypte, Ballet 1997) que l’on attribue aussi aux vie‑viie s. sans oublier plusieurs fragments d’ungataria (poissés). Ce niveau semble correspondre à une occupation qui se placerait après la période 3 de la Bourse, donc dans le courant du viie s., et qui serait tout à fait comparable à ce qu’on connaît par ailleurs en Ligurie (Murialdo 1994 : 213‑246), à Rome (Parodi, Delogu 1993 ; Sagui et al. 1997 : 35‑48) et à Istanbul‑Saraçhane (Hayes 1992 : 427).

FIG. 38 ‒ Fragments de lampes en sigillée claire africaine (type Hayes IIB).
Cliché Y. Rigoir
Notes de fin
1 La fabrication des amphores à pâte micacée à Marseille est désormais bien établie, en particulier depuis la découverte récente de fours (Conche 1999). En ce qui concerne l’approvisionnement en mica, voir Reille, Abbas 1992.
2 Bertucchi 1992 : 61‑67. Pour une description précise de la morphologie des amphores de type3, voir Bertucchi 1992 : 62‑63, fig. 22.
3 Seules 2,4 % des amphores du dépôt sont timbrées, donc 1 pour 42.
4 L’expérience du matériel de la fouille de la place Jules‑Verne démontre que dans les milieux immergés, les matières organiques, dont la poix, se conservent très bien. Dans la mesure où les amphores ont été retrouvées dans un niveau qui est toujours resté en eau, permettant la conservation des branches de pin, on peut donc affirmer que les exemplaires non poissés de la place du Général‑de‑Gaulle ne l’ont jamais été.
5 Le mauvais état de conservation de certaines des amphores ne permet pas l’observation des défauts de cuisson éventuels. Il reste que toutes les amphores en présentant un ne sont pas poissées. Dans la mesure où sur les 168 amphores récupérées seules 9 étaient poissées, il est fort probable que les conteneurs non poissés, c’est‑à‑dire 159 exemplaires, avaient été mis au rebut suite à un problème de cuisson les ayant rendus inutilisables.
6 Nous noterons que tous les timbres ont été retrouvés sur des amphores non poissées dont 2, au moins, présentent un défaut de cuisson caractérisé.
7 Nous exclurons de notre approche les demi‑modules, absents du gisement de la place du Général‑de‑Gaulle, mais qui existent par ailleurs (Bertucchi 1992 : 150).
8 La méthode de calcul qui a été utilisée est celle préconisée par Y. Rigoir (1981).
9 Les bords de type Py 5 sont beaucoup plus nombreux que ceux du type Py 6, dans une proportion de 4 pour 1.
10 La règle n’est cependant pas absolue car on notera que de très rares exemplaires n’entrent pas dans les limites morphologiques ainsi définies. Ces amphores appartiennent pourtant au même dépôt et sont donc vraisemblablement contemporaines des autres. Il faut donc compter avec ces exceptions qui sont trop rares pour remettre en cause la règle générale.
11 Bertucchi 1992 : 64 (dépôt B), 77‑90 (dépôt A), 80, fig. 31 (carte de localisation).
12 Pour s’en convaincre, on consultera le tableau des dimensions de trois de ces amphores, ainsi que l’illustration (Bertucchi 1992 : 62 et fig. 22).
13 Les déterminations ont également été effectuées par le professeur F. Villard.
14 Les longueurs données ici correspondent à celles des fragments dégagés. Une observation en coupe vers l’ouest a montré que ces planches se prolongeaient, mais elles n’ont pu être fouillées.
15 Les résultats donnés ici proviennent d’une simple observation visuelle.
16 L.‑F. Gantés a identifié dans ces niveaux deux fragments de bols (fig. 18, nos 10, 11) de l’atelier des petites estampilles (vers 325‑250) décorés intérieurement de deux et trois rosettes. On rapprochera pour cette époque les deux cols d’amphore rhodienne hellénistique (iiie‑ier s. av. J.‑C.) retrouvés hors stratigraphie. Ces deux fragments ont une anse coudée à section arrondie, estampillée (fig. 18, nos 8, 9). Un seul timbre rectangulaire est lisible, bien qu’incomplet : e p i d p
17 Petits crustacés accrochés aux rochers ou aux coquillages, vivant dans la zone située de part et d’autre du niveau de la mer.
18 L’étude menée par C. Morhange sur la coupe nord du site assimile les sables qui précèdent immédiatement le remblaiement médiéval à un dépôt de plage proche du paléoniveau moyen de la mer, à –0,45 m ngf. Cette interface, entre les remblais naturels et médiévaux anthropiques, est à peu près synchrone de la surface des salines. Ainsi, la surface de ce sol, à –0,27 m ngf, était lors de son utilisation à une vingtaine de centimètres au‑dessus du niveau de la mer.
19 Villain‑Gandossi 1969 : « Avant d’être disposé sur la courrège, le sel est détaché à la pelle et mis en tas (fascio), afin de faciliter son égouttage [...] ».
Auteurs
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Michel Maurin
Afan
-
Bernard Sillano
Assistant d’études, Afan
-
Marc Bouiron
Conservateur du Patrimoine, archéologue municipal, Atelier du Patrimoine, Ville de Marseille
-
Lucine‑François Gantès
Archéologue municipal,
Atelier du Patrimoine,
Ville de Marseille -
Martine Moerman
Chargée d’études, Afan
-
Dominique Pieri
Chercheur, Institut français d’archéologie du Proche‑Orient
-
Stéphane Renault
Technicien, CNRS, UMR 663
-
Catherine Richarté
Chargée d’études, Afan
-
Jean‑Christophe Sourisseau
Membre de l’École française de Rome
-
Nicolas Weydert
Technicien supérieur, Afan
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