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Chapitre 4. Un quartier de la ville romaine
Martial Monteil, Alain Veyrac, Guilhem Fabre et Jean Pey
p. 199‑234
Résumés
L’urbanisation des pentes sud‑est du mont Cavalier débute plus tardivement que celle du versant méridional ou du Piémont, déjà remaniées ou largement investies dès le changement d’ère. Elle se fait en outre suivant un rythme assez progressif, qui traduit sans doute une pression urbaine modérée. L’impression générale qui se dégage de l’analyse de la trame urbaine reste celle de la tentative de mise en place d’une organisation régulière, contrariée par la topographie et probablement aussi par l’existence d’occupations antérieures. On connaît l’importance de l’eau dans l’apparition et le développement des processus d’urbanisation autour du bassin méditerranéen. Nîmes n’a pas échappé à la règle. À côté des sources et des puits, l’accent est mis sur deux dispositifs jusqu’alors peu étudiés à Nîmes, le drainage des eaux sur terrain en pente et le cheminement et l’agencement d’un tronçon majeur du réseau de distribution d’eau. La création d’une adduction vers la fin du deuxième quart du ier s. ap. J.‑C. amenant les eaux des sources d’Uzès a favorisé techniquement les établissements construits au‑dessous de la cote altimétrique du castellum, ce qui a un poids certain sur les règles de l’urbanisme ultérieur.
The urbanisation of the south‑eastern slope of mount Cavalier is later than that of the southern slope or the plain, already occupied at the beginning of the Christian era. The rhythm increases no doubt because moderate urban pressure. The general impression is that of an attempt at a planned town handicapped by the topography and probably by the existence of previous occupations. The importance of water in the creation and development of urban centres around the mediterranean basin is well known. Nimes is not an exception. Apart from water‑courses and wells, the emphasis is on two measures hitherto little studied in Nimes, soil drainage of the slopes and the organisation of a major part of the water distribution system. The installation of a pipe near the end of the second quarter of the first century AD bringing water from Uzès, was advantageous to buildings under the datum level of the castellum, dearly influencing later urban organisation.
La urbanización de las cuestas sudeste del Mont‑Cavalier empieza más tarde que la de la vertiente meridional o de piedemonte, ya frecuentada o ampliamente modificada desde el cambio de era. Se lleva a cabo además siguiendo un ritmo bastante progresivo, que traduce sin duda una presión urbana moderada. La impresión general que se desprende del análisis del entramado urbano queda en la tentativa de una organización regular, contrariada por la topografía y probablemente también por la existencia de ocupaciones anteriores. Es bien conocida la importancia del agua en la aparición y el desarrollo de los procesos de urbanización alrededor del Mediterráneo. Nimes no escapa a la regla. Además de fuentes y pozos, el acento se ha puesto en unos dispositivos hasta ahora poco estudiados en Nimes: el drenaje de las aguas sobre el terreno en pendiente y la conducción y el acondicionamiento de una parte mayor de la red de distribución de agua. La creación de una derivación hacia finales del segundo cuarto del s. I d. C. trayendo las aguas de las fuentes de Uzès favoreció técnicamente los establecimientos construidos por debajo de la cota altimétrica del Castellum, lo que tiene un peso importante en las reglas del urbanismo ulterior.
L’urbanisme de les costes sudest del Mont Cavalier s’inicia més tardanament que el del vessant meridional o de peudemont, ja modificat o ámpliament investit des del canvi d’era. Es fa a més seguint un ritme bastant progressiu, que tradueix sens dubte una pressió urbana moderada. La impressió general que surgeix de l’anàlisi de l’entramat urbá resta en la tentativa d’una organització regular, dificultada per la topografía i probablement també, per l’existéncia d’ocupacions anteriors. Es coneix la importància de l’aigua en l’aparició i el desenvolupament dels processos d’urbanització a la conca mediterrània. Nimes no va escapar a aquesta regla. Al costat de fonts i de pous, l’accent es posa en dos dispositius fins al moment poc estudiats a Nimes, el drenatge de les aigues en un terreny en pendent i l’avançament i condicionament d’una part més gran de la xarxa de distribució de l’aigua. La creació d’una derivadó cap a la fi del segon quart del s. I després de C, que porta les aigues de les fonts d’Uzès va afavorir tècnicament els establiments construïts sota la cota altimétrica del Castellum, la qual cosa té un pes segur en les regles de la urbanització ulterior.
Texte intégral
4.1 Rues et trame urbaine
1m.m.
2Les sites de La Marseillaise, de La Fontaine des Bénédictins, des Hespérides et des Villégiales permettent, bien que couvrant respectivement des emprises assez moyennes, d’appréhender une surface totale cumulée d’environ 4 000 m2 (fig. 192). Ils autorisent également, grâce à leur relative dispersion, l’analyse plus précise d’une zone d’un peu plus de 2,5 ha. Outre de nombreux vestiges d’habitat, on a pu y reconnaître avec certitude quatre tronçons de rues N‑S, une ruelle de même orientation et quatre rues E‑O. À ces éléments, s’ajoutent également un certain nombre d égoûts ou de galeries techniques susceptibles, nonobstant leur intérêt dans le domaine hydraulique (cf. infra § 4.2), de signaler l’emplacement d’autres voies. On rappellera enfin que le lien qui unit toutes ces opérations est essentiellement d’ordre topomorphologique. Elles sont, en effet, toutes situées sur les pentes S‑E du mont Cavalier, entre 70 et 55 m ngf, et cette position particulière n’a pas été –on le confirmera plus loin– sans effet, toutes périodes confondues, sur l’aménagement de l’espace1.

FIG. 192 – Plan du quartier antique des Bénédictins : habitat, rues et canalisations antiques (1‑10), courbes de niveau, emprise des systèmes mis en évidence par J. Benoit (1981), rues actuelles et limites cadastrales majeures (A‑l).
DAO M. Monteil/Afan
4.1.1 Cadre chronologique et modelé topographique
4.1.1.1 Les rythmes de l’occupation entre les ier et ive s. ap. J.‑C.
3Si l’on passe quasiment sous silence, dès l’abord, la période comprise entre la fin du vie s. av. J.‑C. et le début de notre ère, c’est non seulement parce qu’elle est abondamment traitée par L. Sauvage plus haut dans cet ouvrage (cf. supra § 1.4), mais aussi parce que les modes d’occupation du sol qu’elle recouvre restent, du moins dans le détail de la trame urbaine, assez mal identifiés. Pour mémoire, on rappellera que l’évolution du secteur durant la Protohistoire et l’époque républicaine se caractérise, pour ainsi dire, par une série de flux et de reflux. Les pentes sont investies par l’homme dès la fin du vie s. av. J.‑C., sous la forme, qui ne variera pas jusqu’à la fin du ve s. av. J.‑C., d’un habitat, semble‑t‑il peu dense, étroitement associé à des activités agricoles de proximité (champs, aires d’ensilage, etc.). Durant les ive, iiie et une bonne partie du iie s. av. J.‑C., l’habitat paraît désormais s’établir préférentiellement sur le piémont et le bas des pentes accueille des champs cultivés en terrasses. Le bâti ne reconquiert le secteur que dans le courant du iie s. av. J.‑C. puis accuse peut‑être un nouveau reflux durant une partie du ier s. av. J.‑C. et le premier quart du siècle suivant, comme l’attestent l’extrême rareté du mobilier de cette période et le petit nombre de vestiges bâtis qui peuvent lui être rattachés. Les données de fouille sont cependant trop insuffisantes pour que l’on puisse être vraiment affirmatif.
4Il semble qu’on retrouve toutefois les grands traits de cette évolution sur le site voisin de Villa Roma, fouillé en 1991 sur les pentes sud du mont Cavalier. La réoccupation qui s’amorce dans le courant du iie s. av. J.‑C. y paraît toutefois de plus grande ampleur, ne serait‑ce qu’au travers de l’aménagement d’un réseau viaire, vers la fin du iie s., découpant le sol en îlots de forme et de taille variées (Piskorz 1993 : 64‑66 ; Guillet et al. 1992 : 57‑58). Quoi qu’il en soit, les fouilles récentes du quartier des Bénédictins sont surtout révélatrices d’une phase d’urbanisation progressive du secteur qui s’échelonne pour l’essentiel entre 20‑30 et 50‑60 ap. J.‑C.
5Ces dates, ainsi d’ailleurs que celles des périodes d’abandon, ont posé quelques problèmes de définition. En effet, on a largement vu dans le chapitre 2 combien le mobilier était, en général, rare ou peu caractéristique, hormis aux Hespérides. C’est là le résultat de la diversité des conditions d’interventions ou des choix méthodologiques, on n’y reviendra pas. Notre propos est ici, constatant l’insuffisance notoire des arguments purement chronostratigraphiques, de rappeler l’ensemble des pièces justificatives utiles à la datation –céramiques, mosaïques, enduits peints, relations stratigraphiques entre vestiges...–, puis d’en tirer une proposition d’évolution sur la longue durée pour l’ensemble du quartier, préalable indispensable à une analyse fine de la trame urbaine. Ne pas tenir compte de la dimension chronologique aboutirait en effet à une image pour le moins théorique dont de nombreux exemples, sujets à caution, peuvent être notés dans un ouvrage récemment publié (Bedon et al. 1988).
La Marseillaise
6La rue pavée de direction N‑S, reconnue dans l’axe de l’actuelle rue Rouget‑de‑Lisle, est forcément postérieure aux aménagements hydrauliques qu elle recouvre. Ces derniers sont, par ailleurs, mis en étroite relation avec le castellum divisorium, qui marque l’aboutissement dans la ville de l’aqueduc nîmois (cf. infra § 4.2). La rue, du moins dans la forme sous laquelle elle nous est parvenue, est donc probablement aménagée aux alentours du milieu du ier s. ap. J.‑C. C’est en effet cette date –sous Claude ou Néron– qui est désormais proposée pour la construction de l’aqueduc (Fabre et al. 1991 : 274‑276) et qui a encore été récemment confirmée lors de travaux liés à l’aménagement d’une université à l’intérieur du fort Vauban à Nîmes. À cette occasion, le tracé de l’adduction a pu être reconnu immédiatement en amont du castellum. Dans le comblement surmontant la voûte du canal, les fouilleurs ont recueilli des fragments de sigillée sud‑gauloise, dont une forme Drag. 18 qui ne peut être antérieure à 40 ap. J.‑C. (Fabre, Pey 1993 : 60). Cette proposition de datation de la rue pavée n’exclut cependant pas l’existence d’un cheminement antérieur, mais dont on n’a aucune trace.
7Le mobilier recueilli dans la maison et à ses abords, en petite quantité et hors stratigraphie, est à rattacher, pour l’essentiel, à la seconde moitié du ier s. ap. J.‑C. Une partie des enduits peints, trouvée dans les mêmes conditions, est datée des années 50‑60 ap. J.‑C. La simplicité des sols mosaïqués suggère une datation dans le courant de la seconde moitié du ier s. ap. J.‑C.
8La maison de La Marseillaise ainsi que l’aménagement pavé de la voie N‑S pourraient ainsi être datés des alentours de 50 ap. J.‑C., en liaison avec un aménagement général du secteur peut‑être étroitement dépendant de la mise en place du réseau d’alimentation en eau.
Les Villégiales
9La galerie technique CN73, liée au passage de tuyaux de plomb pour l’alimentation en eau, est également à rattacher aux aménagements hydrauliques partant du Castellum ; cette galerie, ainsi que les deux rues, structure manifestement la partie basse du site. La canalisation, après un parcours E‑O, oblique vers le sud au droit de la voie dallée puis se jette dans l’égout sous‑jacent. Une construction d’interprétation difficile (cf. infra) est aménagée à l’angle nord des deux voies. Elle repose sur des dalles disposées en escalier et sur un hérisson de pierres qui paraît bien ménager un accès vers l’exutoire de CN73. De ces informations, qui montrent l’association étroite des trois axes, ressortent trois hypothèses : soit tous les éléments du réseau sont strictement contemporains, soit la galerie CN73 est légèrement postérieure ou antérieure aux deux rues.
10L’habitat est indiscutablement lié aux rues par l’intermédiaire des murs de façade et des caniveaux qui se jettent dans l’égout sous‑jacent à l’axe N‑S, et ne peut donc être que contemporain ou postérieur.
11Aucune trace de niveaux de circulation antérieurs à ceux marqués par le dallage et les pavés n’a été reconnue. Des cheminements plus sommairement aménagés (simple piste, surface de roulement à même le rocher, etc.) ne peuvent cependant être exclus.
12Le mobilier issu de la fouille est peu abondant. On relève malgré tout que le sol SL9 de la pièce C4 ne peut être antérieur au milieu du ier s. ap. J.‑C. D’autres ensembles, indiscutablement liés à la construction de la maison C, marquent le deuxième quart du ier s. ap. J.‑C. Le dépotoir de la maison B, étudié dans ce même ouvrage, est daté des années 40‑60 ap. J.‑C. Le mobilier et les monnaies de la période – 50/+30 sont rares.
13Une plaque d’enduit peint, découverte dans les remblais d’abandon, est datée de la fin du ier s./début du iie s. Les mosaïques sont stylistiquement datées comme suit : pièce C4 = première moitié du iie s. ; galerie A8 = fin ier/début iie s. ; pièce D2 = fin ier/début iie s. ; pièce B4 = seconde moitié du ier s. On est assuré, au moins dans un cas (galerie A8), que la mosaïque succède à un premier état de sol construit.
14L’ensemble de ces informations peut suggérer, tout comme à La Marseillaise, une installation du réseau viaire et de l’habitat contemporaine de l’arrivée d’eau issue du castellum, soit vers le milieu du ier s. ap. J.‑C. L’abandon définitif est sûrement daté du courant de la seconde moitié du iie s., et sans doute plus précisément du dernier quart. La monnaie la plus récente est d’ailleurs datée de 184 ap. J.‑C. (cf. supra § 2.5.1).
Les Hespérides
15L’installation des rues et de l’habitat s’effectue dans les années 20‑30 ap. J.‑C. On ne peut cependant exclure, comme aux Villégiales, l’existence d’un cheminement antérieur aux voies pavées. L’abandon de la partie haute du site est daté des années 70/80 ap. J.‑C. La partie basse (espaces 5 et 6) est occupée plus longtemps (fin du premier quart du iie s.). Le système viaire, par contre, subsiste sous sa forme originelle jusque dans le courant de la seconde moitié du iie s. ap. J.‑C.
La Fontaine des Bénédictins
16Un fragment de céramique claire A pris dans le sol de la galerie de la maison du Haut‑Empire implique une installation postérieure à la fin du ier s. ap. J.‑C.
17La fouille paraît indiquer une installation en « un seul jet » du bâti et des sols. Les mosaïques sont datées par J.‑P. Darmon comme suit : pièce 2 = antérieure au début du iie s. ap. J.‑C. ; pièce 1 = fin du iie/début du iiie s. ; pièce 4 = iie s. Si le tout est effectivement issu d’une seule phase de construction, il propose une édification vers le milieu du iie s. Si l’évolution, à l’intérieur du bâti, paraît possible, il suggère un premier état daté de la fin du ier/début du iie s. et un second état vers la fin du iie/début du iiie s.
18Les enduits de la pièce 2 bis sont datés de la fin du ier/début du iie s. ; ceux de la pièce 4 montrent, au travers de la diversité des fragments, la durée de l’occupation. Dans cette même pièce, la peinture au félin serait à rattacher à l’époque d’Hadrien, antérieurement au milieu du iies. ap. J.‑C.
19Ces éléments supposent une installation de la maison vers la fin du ier ou le début du iie s. ap. J.‑C., une partie de son décor étant renouvelé entre le milieu et la fin du iie s. Ce constat aboutit également à la mise en évidence d’une période de non occupation bâtie plus longue qu’ailleurs.
20L’abandon est aussi mal daté, mais un foyer livre un fragment de Claire B du ive s. ap. J.‑C. et la monnaie la plus tardive (de l’ensemble des sites d’ailleurs) est de 337‑341 ap. J.‑C. Enfin, une réoccupation de type agricole (zone d’ensilage) est à noter pour les xe‑xie s.
Synthèse sur le quartier
21De cet inventaire « à la Prévert », il faut, semble‑t‑il, retenir l’image d’un secteur de pente progressivement urbanisé entre 20‑30 et 50 ap. J.‑C. La maison de La Fontaine des Bénédictins apparaît plus tardivement, sur un terrain jusqu’alors non bâti, ce qui accentue encore l’impression d’une urbanisation graduelle. L’abandon définitif du quartier est également progressif. Ainsi, l’habitat et le réseau viaire des sites des Villégiales et des Hespérides sont désertés, au plus tard, dans le dernier quart du iie s. ap. J.‑C. Les Hespérides permettent d’ajouter, pour leur cas précis, que les maisons sont abandonnées en deux temps : dernier quart du ier s. et fin du premier quart du iie s. ap. J.‑C. C’est dans cette période qu’il faudrait situer la construction de la maison de La Fontaine des Bénédictins. Cette demeure est également celle qui serait définitivement désertée le plus tardivement, dans le courant du ive s. ap. J.‑C.
22Le site de Villa Roma, fouillé dans de bien meilleures conditions sur l’autre versant du mont Cavalier, témoigne également d’une occupation progressive, même si elle ne s’inscrit pas exactement dans le même cadre chronologique. Les pentes y sont en effet urbanisées en plusieurs temps puisque le réseau viaire, établi en partie dans le courant du iie s. av. J.‑C., est complété à l’époque augustéenne. Les constructions de maisons s’échelonnent tout au long de la première moitié du ier s. ap. J.‑C., et le site est déserté à compter de la première moitié du iie s. (Piskorz 1993 ; Guillet et al. 1993 ; Célié et al. 1996).
4.1.1.2 Un respect des contraintes naturelles et des aménagements antérieurs ?
23C’est bien là, après les problèmes chronologiques, la deuxième question d’importance : la topographie et les modes d’occupation des vie/iers. av. J.‑C. ont‑ils influencé la trame mise en place au Haut‑Empire ou, au contraire, celle‑ci en est‑elle totalement indépendante ?
24Le caractère très lacunaire de la documentation de fouille ne facilite certes pas les réponses à cette question. Ainsi, l’absence de toute trace tangible de rues d’époque préromaine et républicaine manque cruellement même si l’on peut supposer qu’au moins certains grands axes peuvent remonter à cette période (cf. infra). Malgré tout, quelques autres éléments permettent d’aborder le problème.
25Les sites qui nous occupent sont tous localisés sur les pentes S‑E du mont Cavalier (fig. 192). Celles‑ci sont assez raides, de l’ordre de 10 à 20 %, et s’échelonnent entre 110 m –le sommet où domine la tour Magne– et 60 m, altitude à partir de laquelle la pente a tendance à s’adoucir pour entrer en contact avec le piémont entre 55 et 50 m ngf.
26On a pu dire, par ailleurs, que le modelé topographique des pentes des collines nîmoises n’avait pas été fondamentalement transformé depuis la Protohistoire, à l’exception près des sols et des écoulements de surface (Poupet et al. 1993 : 33). C’est effectivement cette impression qui ressort de l’étude des quatre sites fouillés ; encore faut‑il souligner que seul celui des Villégiales bénéficie d’une réelle vision extensive des niveaux anciens et est également le seul, en cela, à renouveler l’image qu’on pouvait en avoir. Ainsi, les cotes d’altitude actuelles et celles prises sur le substrat ou sur les premiers sols anthropisés livrent la même image : celle d’une pente générale N‑N‑O/S‑S‑E comprise entre 7 et 18 %, pente que respectent l’habitat du Haut‑Empire et la voirie qui l’accompagne. On ajoutera toutefois –et là encore les paysages actuels et antiques sont semblables– qu’il s’agit non pas d’une pente raide et uniforme mais bien, du moins pour l’essentiel, d’une succession de plans de terrasses. Ces derniers sont d’origine purement naturelle (cf. supra § 1.1) mais aménagés, et donc ponctuellement transformés, par l’homme dès la fin du vie et le courant du ve s. av. J.‑C. C’est du moins ce qui apparaît nettement aux Villégiales mais aussi, bien que de manière moins tangible, aux Hespérides ou à La Fontaine des Bénédictins.
27Dans le domaine de la microtopographie, et ce dès la plus haute antiquité, le site des Hespérides s’insère dans un petit vallon, dont il respecte l’orientation et qui est encore perceptible de nos jours : le bord oriental en est matérialisé par la limite entre les parcelles DT‑230 et DT‑244 et le bord ouest par un large mur de terrasse, surmonté d’un talus de pierres (DT‑530). Il suit une pente de 7 à 18 % environ, brisée par plusieurs terrasses successives (entre 66 et 62 m ngf). L’aménagement anthropique de ces dernières n’a pu être attesté faute de fouille en profondeur, mais on remarquera que le paléosol observé en sondage dans les espaces 7 et 14, ainsi que les plaques‑foyers du début du ve s. av. J.‑C. de l’espace 9, conservées sous le bâti romain, respectent bien ce profil topographique, sans l’avoir pour autant transformé. Enfin, on notera que le seul mur probablement républicain (MR77, dans l’espace 2) suit également une direction équivalente à celle de la rue N‑S du Haut‑Empire.
28À La Fontaine des Bénédictins, la partie d’habitat du Haut‑Empire reconnue s’installe sur une vaste terrasse de bas de pente où le sistre apparaît à une altitude à peu près constante, autour de 53/54 m ngf ; cette terrasse est encore très visible dans la topographie actuelle. C’est ce même plan que semblent respecter les constructions de l’époque républicaine. En outre, sur les quatre murs de cette période reconnus, trois suivent une orientation comparable à celle du bâti antique (7004, 7007, 8010) alors qu’un seul est nettement divergent (5005/4023). Aucun, par contre, n’est repris dans le plan de la maison romaine.
29Le site de La Marseillaise, fouillé plus anciennement, n’a livré aucune information sur la topographie originelle, mais les altitudes équivalentes des pièces de la maison (le dénivelé entre le nord et le sud n’excède pas 0,50 m –55,90 contre 55,46 m ngf) suggèrent aussi une installation sur un replat préexistant.
30Pour les Villégiales, largement abordées dans le chapitre 2, L. Sauvage souligne qu’au nord de la galerie CN73, qui s’établit sur une rupture naturelle, la pente est forte (env. 18 %) et très érodée dès la Préhistoire ; au sud, par contre, elle n’est plus que de l’ordre de 9 %. C’est d’ailleurs uniquement dans cette partie basse que des terrasses artificielles, datées des ive/iiie s. av. J.‑C., ont pu être révélées. La maison C occupe trois plans de terrasse successifs alors que les domus A et B n’en occupent qu’une seule (respectivement 58,25 et 59,60 m ngf). La fouille a montré les terrassements qui ont précédé l’installation de la maison A, puisque les sols de cette dernière sont à une altitude inférieure à celle restituée pour l’habitat d’époque républicaine qui préexiste. Mais ils sont tout de même de faible ampleur, et les quelques lambeaux de cette même période qui subsistent aux abords, ainsi que ceux reconnus sous la maison C (four, caniveau...) marquent bien deux plans de terrasse distincts qui sont respectés par l’habitat romain. De même, l’implantation de la domus B s’inscrit sur la terrasse qu’occupait antérieurement l’aire d’ensilage des vie/ve s. av. J.‑C. Vers l’est, là où les vestiges du Haut‑Empire ont disparu, les champs du ve s. av. J.‑C. et l’habitat républicain qui s’y superpose s’installent également sur un même plan dont on peut supposer qu’il sera repris plus tard. Enfin, en haut de la pente, marquée par une forte érosion, au contraire, il est probable que l’habitat du ier s. ap. J.‑C. se soit implanté sous la forme de pièces engravées dans le rocher. C’est en tout cas le sentiment que livre une partie des vestiges de l’espace D, les sols d’une des pièces étant établis à 0,80 m en dessous de la surface topographique alentour. En général, et L. Sauvage le signale à juste raison, les orientations des murs du Haut‑Empire sont plus ou moins celles des murs de l’habitat républicain, mais il semble avant tout que ce soient les contraintes de la pente et des plans de terrasse naturels qui aient dicté ces axes.
31Bien entendu, on ne veut en aucune façon signifier ainsi que les plans de terrasses naturelles, ou le rocher anciennement dénudé, figent un parcellaire auquel l’habitat, toutes périodes confondues, sera contraint de se plier. Plusieurs exemples montrent, en effet, que les constructions du Haut‑Empire n’ont pas été édifiées sans quelques terrassements préalables, rectifiant en cela la topographie et détruisant souvent les vestiges antérieurs. Les corrélations sont donc très difficiles à établir avec certitude. On veut simplement suggérer que, d’un point de vue macroscopique, l’allure générale des pentes n’a pas été sensiblement modifiée par l’urbanisation du ier s. qui a dû s’y adapter. Deux opérations récentes et peu éloignées du quartier des Bénédictins ont par contre permis de mettre en évidence de manière indubitable le maintien de limites parcellaires anciennes ou des alignements sur ces dernières. C’est le cas à Villa Roma, où un bâtiment public du début du ier s. av. J.‑C. reprend les axes de terrasses du ve s. av. J.‑C. (Guillet et al. 1992) et à la Zac des Halles, sur le piémont, où le bâti augustéen respecte les limites de terrasses de culture artificielles créées au début de l’époque républicaine (Poupet et al. 1993 : 75).
4.1.2 Les rues : caractéristiques techniques et rapport avec l’habitat environnant
4.1.2.1 Le réseau viaire : rues reconnues et rues potentielles
32On rappellera, pour commencer, l’absence de toute trace archéologique de rues d’époque républicaine ou plus ancienne, même si l’occupation des lieux, attestée dès la fin du vie s. av. J.‑C., suppose nécessairement des axes de communication. Toujours est‑il qu’il est impossible de restituer le réseau antérieur au ier s. ap. J.‑C. Certains axes majeurs, comme la rue Rouget‑de‑Lisle ou la rue de la Tour‑Magne, ont cependant, sans doute, une origine ancienne (fig. 192). La première est en effet particulièrement bien adaptée à la topographie et constitue un itinéraire quasi obligé vers le nord, tandis que l’autre se dirige vers la tour Magne, monument augustéen qui recouvre une tour de l’enceinte préromaine dont l’état le plus ancien est probablement du début du ive s. av. J.‑C. (Py 1992). Plus généralement, le problème des voies préromaines au sein ou aux abords de l’oppidum préromain reste entier. Les axes les plus anciens reconnus remontent, au plus tôt, à la première moitié du iie s. av. J.‑C. (place Jules‑Guesde) ou à la seconde moitié de ce même siècle comme à la Zac des Haltes (Monteil 1993b), au bas du Cadereau (Monteil 1990a : 110‑111) –mais il s’agit dans ces deux cas de tronçons de la voie Domitienne (Monteil 1997)–, ou à Villa Roma (Guillet et al. 1992). Les rues des agglomérations indigènes du Languedoc oriental sont d’ailleurs en général mal connues, à l’exception notable du site de Lattes (Hérault) (Lebeaupin 1996).
33Par contre, les fouilles des Hespérides, des Villégiales et de La Marseillaise ont permis de reconnaître, pour le deuxième quart et le milieu du ier s. ap. J.‑C., trois tronçons de rues orientées N‑N‑O/S‑S‑E (rues 2, 4, 6), une ruelle de même direction (rue 7) et trois autres axes grossièrement E‑O (rues 1, 3, 8). En outre, des observations anciennes et récentes ont attesté l’existence de deux autres axes (rues 9 et 10) (fig. 192).
34Aux Hespérides, seule une partie de la rue 1 (VO22) est conservée à l’est du carrefour, mais son prolongement vers l’ouest semble très probable, comme l’indiquent le tracé de certaines ornières et le raccord avec la voie N‑S (fig. 193). Sa disparition tient au creusement d’une vaste fosse à l’époque moderne. Une rue N‑S (rue 2, VO42) vient se greffer à ce premier axe créant ainsi un carrefour en forme de Y. Elle ne se prolonge pas vers le nord, où un fort dénivelé marque une terrasse supérieure sur laquelle un sol en béton de tuileau et deux murs ont pu être reconnus (espace 3). Toutes deux sont aménagées en petits moellons calcaires, dressés de chant et disposés en assises assez régulières.

FIG. 193 – Les Hespérides. Plan de détail du carrefour des deux rues et coupes.
DAO M. Monteil/Afan
35Aux Villégiales, c’est un carrefour en forme de L renversé qu’il faut restituer. La rue E‑O (rue 3, VO181), également construite en pavés disposés de chant, ne se prolonge en effet pas au‑delà de son raccord avec une rue N‑S (fig. 194). Cette dernière (rue 4, VO180), dont le dallage recouvre un égout, s’interrompt également en ce point et ne franchit pas la forte rupture de pente marquée par l’axe E‑O de la galerie technique CN73 si ce n’est, peut‑être, par l’intermédiaire d’un escalier.

FIG. 194 – Les Villégiales des Bénédictins. Plan de la partie basse (rues et galerie technique) et coupe de la rue VO180.
DAO M. Monteil/Afan
36Sur ce même site, le parement sud de CN73, sur sa portion E‑O, est matérialisé en surface par un muret distant de l’aplomb nord du rocher d’environ 2 m. Ces deux limites définissent un possible passage, au moins piéton et sans doute à vocation technique, dont la nature du revêtement de surface n’a pu être déterminée.
37À La Marseillaise, la voie N‑S (rue 6), observée sous l’actuelle rue Rouget‑de‑Lisle, est pavée à l’image de celles des Hespérides ou des Villégiales (fig. 195). Elle recouvre un canal de même direction qui aboutit à une chambre rectangulaire que traverse également un conduit E‑O, prolongement de la galerie CN73 des Villégiales. Le canal N‑S est pour partie dallé et pour partie conçu en tunnel au travers du rocher. Le revêtement de la rue repose à environ 0,50 m au‑dessus de son sommet, sur de la « terre » (V. Lassalle) ou le rocher. Si son prolongement vers le sud ne fait guère de doute, il n’en va pas de même vers le nord. En effet, en tenant compte des cotes ngf relevées par le géomètre au moment de la fouille, il semble bien que le sommet restitué des dalles qui couvraient la chambre (62,26 m) se place à environ 0,60 m au‑dessus de la surface de la voie (61,63 m) ; ce qui impliquerait, pour que cette dernière puisse franchir l’obstacle, une brusque pente de 24 %, sur moins de 2,60 m de distance. On restituera donc ici soit un escalier, n’autorisant plus la circulation des véhicules, soit, plus vraisemblablement, une légère bifurcation permettant d’éviter la chambre technique.

FIG. 195 – La Marseillaise. Plan et coupe de la rue pavée (rue 6) reconnue sur le site.
DAO M. Monteil/Afan
38Plus loin vers l’est, les deux autres rues reconnues (rues 7 et 8) limitent à l’ouest et au sud la maison (fig. 196). Leur position et leur orientation sont cependant incertaines. L’existence de la ruelle N‑S est suggérée uniquement par le mur de façade occidental de la maison et par la présence d’un dallage assez sommaire recouvrant un petit égout. La rue dallée E‑O n’est mentionnée, sous cette dénomination, que sur un croquis antérieur au dégagement de la maison. Sa position par rapport aux limites parcellaires et au bâti ancien ainsi que les souvenirs de V. Lassalle nous ont amené à proposer de la restituer te long de la maison, mais il s’agit d’une hypothèse assez fragile. On peut supposer, malgré son emplacement imprécis, que son mode de couverture suggère, à l’image de ce qui a pu être observé aux Villégiales, la présence d’un égout collecteur sous‑jacent.

FIG. 196 – La Marseillaise. Maison, rue et ruelle.
DAO M. Monteil/Afan
39À l’extrémité est de la rue Pasteur, face aux nos 8 et 10 (parcelles DT‑192 et 193), à 0,60 m sous le niveau actuel et sur une distance de 30 m, M. Célié a pu observer, à l’occasion de travaux de voirie, une succession de niveaux empierrés (rue 10) (fig. 192). On peut ainsi restituer une rue E‑O plus ou moins à l’emplacement de la rue actuelle. C’est peut‑être également cette rue que limite au nord l’imposant mur de terrasse reconnu par V. Lassalle plus à l’ouest, toujours dans l’axe de cette même rue Pasteur (cf. supra Introduction point 10). Enfin, c’est également là qu’A. Veyrac propose de restituer le passage d’un vaste collecteur récupérant l’eau issue du haut des pentes (cf. infra § 4.2.4).
40Face au castellum à l’angle des rues Ménard et d’Albenas, F. Mazauric a reconnu deux canalisations se croisant, recouvertes « d’immenses dalles juxtaposées qui paraissent marquer le pavé d’une voie dirigée nord‑ouest/sud‑est (rue 9) » (Registre 1909 : 154‑156 ; Registre 1911 : 266). Là encore, le dallage s’impose probablement en raison de la présence sous‑jacente des canalisations auxquelles il sert de couverture. Plus récemment, en 1995, M. Célié a pu relever des niveaux empierrés bien stratifiés au même emplacement.
41Enfin, la galerie technique E‑O (axe 5), reliant le castellum aux Villégiales, dont on a vu plus haut que la portion reconnue aux Villégiales est surmontée d’un passage, a pu, plus largement, marquer l’emplacement d’un cheminement de tracé légèrement curviligne, adapté au profil des courbes de niveau. Sans exclure qu’il ait pu servir, au moins en partie, à la circulation piétonne –par exemple entre le castellum et la voie N‑S découverte sous l’actuelle rue Rouget‑de‑Lisle–, on serait assez tenté d’y voir avant tout un passage technique permettant d’accéder au conduit sous‑jacent et délimitant en surface ce dernier.
42Enfin, l’égout du 11, rue des Bénédictins pourrait, comme le propose A. Veyrac (cf. infra § 4.2.4), marquer une autre rue, mais rien ne le démontre. Il en est d’ailleurs de même pour celui observé à La Fontaine des Bénédictins, dont le prolongement rencontre au nord la maison reconnue.
4.1.2.2 Largeur des chaussées, trottoirs et types de revêtement
43Aux Hespérides, la chaussée de la rue E‑O, observée sur 5,80 m de long, mesure entre 2,50 et 3,10 m de large. Elle est bordée côté nord, dans sa partie la mieux conservée, par des dalles qui servent tout à la fois de couverture à de petits égouts, de trottoir et de premier degré à de probables escaliers, non reconnus mais indispensables pour accéder à la terrasse supérieure. Quelques indices permettent également de supposer la présence d’un bas‑côté au sud. Le revêtement est constitué de moellons calcaires posés de chant, parallèlement à la pente, et bloqués au sud par une série de dalles disposées à la verticale.
44La chaussée N‑S, quant à elle, est également construite en moellons autobloquants, disposés, cette fois‑ci, perpendiculairement au sens de la pente. Observée sur 38 m de long et attestée sur 17 m supplémentaires, elle mesure entre 4,50 et 5,10 m de large. Sa pente générale est très légèrement inférieure à celle de l’axe E‑O puisqu’elle est de l’ordre de 7 %. Son revêtement pavé est disposé sur un fin niveau de réglage (cailloutis, sable, éclats de taille), qui recouvre directement le rocher ou des reliquats de paléosol en partie haute et des remblais préromains, sans doute préalablement nivelés, en partie basse. En haut du site, la chaussée est séparée du mur riverain à l’habitat ouest par un trottoir de terre battue large, en moyenne, de 2 à 2,10 m. Ce trottoir disparaît cependant vers le sud puisque, à l’aplomb de l’espace 15, le mur de façade limite directement le revêtement pavé. On peut également restituer un probable trottoir à l’est mais ce dernier disparaît aussi vers le sud, dès le droit des espaces 5 et 6 au moins.
45Au carrefour de ces deux rues, de profondes ornières sont tellement marquées qu’on a pu proposer dans un premier temps qu’elles pouvaient être le résultat d’un aménagement volontaire, sous la forme de véritables rails conducteurs nécessaires pour emprunter un virage en forte pente (environ 9 %) et proche de l’angle droit. Ce rôle d’ornières créées volontairement pour servir de rails avait également été proposé par J.‑P. Adam pour celles imprimées à la surface de la rue pavée d’Ambrussum (Adam 1984 : 303). Jean‑Luc Fiches a cependant démontré que ces ornières avaient été comblées dans l’Antiquité, ce qui laisse supposer qu’elles avaient fini par constituer une gêne (Fiches 1980 : 142‑145). À Aix‑en‑Provence, sur un decumanus, la régularité et la linéarité des ornières affectant le dallage a également poussé les fouilleurs à proposer cette interprétation en la reliant à la proximité d’un « passage difficile » (Ambard et al. 1972 : 38‑39). Il me semble pourtant que la profondeur et la régularité des ornières doivent surtout être mises au compte de passages répétés sur une même bande de circulation. L’exemple du decumanus principal de Nîmes, tel qu’il a été reconnu à la Zac des Halles (Monteil 1993b), montre en effet des ornières tout aussi marquées que celles signalées ci‑dessus, mais qui ne peuvent s’expliquer par un passage difficile ou un virage prononcé. Comme celles d’Ambrussum, elles sont d’ailleurs comblées lorsqu’elles finissent par devenir gênantes pour les véhicules.
46Ces rues des Hespérides sont également les seules du quartier pour lesquelles on a pu mesurer la distance entre deux ornières, d’environ 1,45 m. Des entraxes identiques ont été reconnus sur un tronçon du decumanus maximus dégagé au xixe s. (Monteil 1993b : 156), mais également à la clinique Saint‑Joseph, sur une voie empierrée longeant la partie sud de l’enceinte augustéenne (Genty, Roux 1982 : 213). On y ajoutera les deux exemples du decumanus dallé d’Aix‑en‑Provence (Ambard et al. 1972 : 38‑39) et de la rue pavée d’Ambrussum (Fiches 1980 : 140‑141).
47Aux Villégiales, la rue E‑O est également construite en moellons disposés de chant parallèlement à la pente. Ces derniers reposent sur une fine strate limoneuse, épandue au contact même du rocher. D’une largeur restituée de 3,50 m pour une longueur observée de 2,50 m, son contact avec la voie N‑S se fait par l’intermédiaire d’une bande, large d’environ 0,50 m, de pavés disposés parallèlement à la pente. Cet axe est également marqué par de nombreuses traces d’ornières, cependant moins profondes qu’aux Hespérides. Côté sud, plusieurs dalles calcaires recouvrent un petit égout et suggèrent un accotement large d’environ 2 m. La rue N‑S, au contraire, est constituée de dalles longues de 1,30 à 2 m qui ont pour fonction de recouvrir un égout collecteur (CN103), large d’environ 0,60 m. Ce dallage est irrégulier, composé de blocs divers dont des remplois, et sa pente est de l’ordre de 9 %. Il est établi dans l’axe médian des murs de façade, distants l’un de l’autre d’environ 4 m. Du côté ouest, un trottoir surélevé de 0,40 m est composé de dalles disposées sur un radier. Ce trottoir, large de 0,70 m environ, était sans doute protégé par une avancée de toiture du mur de façade de la maison B, comme l’atteste la présence d’enduit peint le long de ce même mur. Côté est, une largeur libre équivalente est matérialisée, dans la partie haute, par la couverture dallée du canal CN73, dallage qu’on peut éventuellement prolonger plus au sud.
48À La Marseillaise, la rue N‑S a pu être observée sous l’actuelle rue Rouget‑de‑Lisle sur 2,70 m de long et mesure, au minimum, 4,50 m de large (4,20 m conservés). Cette voie est également constituée de petits moellons calcaires placés parallèlement au relief. Sa pente devait être comprise entre 5 et 10 %. Les deux autres rues reconnues limitent à l’ouest et au sud la maison à cour. Leur pente ainsi que leur largeur sont inconnues. L’axe E‑O est marqué par quelques dalles qui recouvrent un caniveau. On lui a attribué une fonction de ruelle séparant deux habitations. La rue dallée E‑O n’est mentionnée, sous cette dénomination et sans autre description, que sur le croquis déjà évoqué plus haut. La rue reconnue par F. Mazauric non loin du castellum est également dallée, mais les observations de M. Célié tendent à montrer que ce dallage était associé à des niveaux empierrés. Enfin, celle observée dans l’axe de la rue Pasteur, située en bas de pente, est caractérisée par une succession de recharges empierrées. On distingue donc trois types de revêtements : pavage de petits moellons, dallage servant tout à la fois de chaussée et de couverture de canalisation et, enfin, empierrement.
49Le premier est sans aucun doute le plus adapté à la pente –il n’est d’ailleurs pas attesté à ce jour en piémont– pour des raisons d’adhérence mais aussi de résistance aux ruissellements de surface (fig. 197, 198). Les moellons de calcaire froid sont toujours légèrement biseautés sur leurs quatre côtés et disposés en lignes plus ou moins régulières, parallèles ou perpendiculaires à la pente suivant l’axe de la rue. Sa mise en œuvre est sans aucun doute plus longue et difficile que celle d’un dallage d’égout ou d’un simple empierrement et on ne peut s’empêcher de supposer que ce revêtement donnait aux rues un aspect plus esthétique que d’autres. On en connaît d’ailleurs peu d’exemples comparables en Gaule narbonnaise, hormis celui d’Ambrussum (Fiches et al. 1976 : 24‑29 ; Fiches 1980 : 142‑145). Sur ce site, la rue principale est construite ainsi dans le courant du troisième quart du ier s. av. J.‑C. (Fiches 1989 : 269‑270). À Nîmes même, ce type de revêtement est également attesté à Villa Roma, sur les pentes sud du mont Cavalier. Il s’agit, en l’occurrence, d’une rue E‑O établie à mi‑pente et datée de l’époque augustéenne (Darde et al. 1990a). Ailleurs en Gaule, on a pu relever deux exemples assez comparables. Le premier consiste en une chaussée étroite (1,60 à 1,70 m), datée de l’époque préromaine (?), qui suit une pente S‑N et qui est « formée de cailloux grossiers noyés dans un béton très dur, limitée latéralement par des pierres plates dressées de chant dans le sens longitudinal ». La description de cette voie, dégagée en 1943, à Alise‑Sainte‑Reine (Alésia), n’est pas très éclairante mais les figures jointes témoignent bien des similitudes, en plus fruste, avec les voies pavées de Nîmes et d’Ambrussum (Toutain 1944 : 133‑135, fig. 9 et 10). Le second exemple proche concerne une fouille de Mâlain (Côte‑d’Or) où des rues du Haut‑Empire, en pente, sont « empierrées en hérisson » et bordées de dalles de chant (Roussel 1979 : 204).

FIG. 197 – Les Hespérides. Vue de détail des pavés de la rue E‑O.
cl. H. Pomarèdes/Afan

FIG. 198 – La Marseillaise. La rue pavée.
cl. V. Lassalle
50Le dallage reconnu sur d’autres axes n’est pas comparable aux puissants aménagements à caractère monumental mis en évidence, par exemple, sur l’axe majeur E‑O de la Zac des Halles (Monteil 1993b). Le terme même de voie dallée est sans doute utilisé ici de façon impropre. En l’occurrence, ce type de revêtement est d’abord imposé par la présence d’un égout auquel les dalles servent de couverture. Ces dalles, telles qu’elles apparaissent aux Villégiales, sont loin d’être uniformes et leur longueur, comme leur largeur, sont très variables. Leur aspect hétérogène est certes à mettre au compte de fréquentes restaurations, mais aussi vraisemblablement d’une fonction plus utilitaire que véritablement esthétique. Une rue dallée très comparable (largeur de 2 m et égout sous‑jacent), pour laquelle des réfections ponctuelles du dallage sont sûrement attestées, a été reconnue à la Zac des Halles, en plaine (Monteil 1993b : 149‑150, 153), et d’autres encore sur le site de Villa Roma.
51L’empierrement a été observé à proximité du castellum, en association avec un dallage. Il reste toutefois peu présent sur les pentes des collines et est surtout attesté en piémont. C’est d’ailleurs au contact de ce dernier que s’établit la voie E‑O restituée sous l’actuelle rue Pasteur. Il n’y a plus là à craindre les problèmes de forts ruissellements et la désagrégation des matériaux qu’ils entraînent, d’autant que c’est sous ce même axe qu’il faut peut‑être restituer un vaste égout collecteur recevant tous les écoulements venant du nord. La puissance stratigraphique reconnue (1 m de recharges au minimum) témoigne de réfections régulières, et donc de passages fréquents. Quelques exemples pris ailleurs en Gaule montrent toutefois que l’empierrement peut être utilisé de manière plus systématique sur les pentes. Ainsi, les fouilles du quartier de Bagnols à Alba (Ardèche) ont permis de reconnaître des ruelles qui épousent la pente selon une déclivité comprise entre 3 et 8 % et sont empierrées (Béal, Dupraz 1989 : 142). Il en est de même pour les rues entourant un îlot d’habitation dégagé au Clos du Verbe Incarné à Lyon, du moins à l’époque augustéenne, alors que la pente est supérieure à 10 % (Delaval 1994 : 205). Enfin, à Metz, dans le quartier de l’Arsenal, les rues 2 et 3 présentent des déclivités de 12 et 13 % et sont empierrées. Dans le cas de la rue 2, certains empierrements reposent d’ailleurs sur de solides radiers de pierres calcaires disposées de chant (Heckenbenner et al. 1992 : 15‑17).
52On conclura ce tour d’horizon des matériaux employés en citant l’exemple voisin des pentes sud du mont Cavalier qui illustre aussi la variété des choix technologiques. C’est ainsi qu’immédiatement à l’ouest du temple de Diane, A. Pelet a pu dégager une rue S‑S‑O/N‑N‑E « se dirigeant sur la colline par une inclinaison de 4 m 50 sur une longueur de 20 mètres (soit une pente d’environ 22 %). Cette rue est, comme celle de la porte d’Auguste, pavée en larges dalles irrégulières, recouvrant un canal d’écoulement, et sa pente est rachetée par des marches placées de distance en distance sur toute sa longueur... » (Pelet 1854‑1855 : 233). Ici encore, le dallage suggère la présence d’un égout, mais on ajoutera qu’il a pu être plus soigné en raison de la proximité des aménagements monumentaux de l’Augusteum. Quelques années plus tard, un peu plus haut sur la pente, E. Pothier observe un axe N‑N‑O/S‑S‑E « tracé suivant la ligne de plus grande pente du terrain. Cette voie [...] était fondée sur le rocher. Sa chaussée était un simple empierrement, non relié par du mortier, recouvert de sable, large de 2 m 06 » (Pothier 1888 : 11). Non loin de là, dans la même propriété que celle en partie explorée par E. Pothier, la fouille extensive de Villa Roma (6 000 m2) en 1990‑1991, précédée de deux opérations plus ponctuelles en 1981 et 1982, a permis de relever plusieurs informations sur le réseau viaire. Établi sur un terrain à forte pente (entre 15 et 18 %), celui‑ci est déjà en partie créé à la fin du iie s. av. J.‑C., puis complété vers la fin du iers. av. J.‑C. Y coexistent des rues pavées ou installées à même le rocher en partie haute et des rues empierrées ou dallées avec égout sous‑jacent en bas de piémont. La diversité des revêtements de chaussées peut se constater en fait dans la plupart des villes du Haut‑Empire, tout au moins dans les provinces méditerranéennes. Le récent bilan proposé sur la voirie urbaine de l’Aquitaine augustéenne montre, à l’opposé, en plaine comme sur les pentes, l’extrême monotonie des matériaux utilisés pour les revêtements de rue. La plupart sont en effet construites à l’aide de galets ou de grave alluvionnaire et le dallage apparaît exceptionnel (Desbordes, Loustaud 1992).
4.1.2.3 Surface des rues et écoulement des eaux
53Les pentes suivies par l’ensemble des rues reconnues ainsi que la nature de leur revêtement sont bien évidemment propices aux écoulements des eaux de surface. Mais, en l’absence d’égout sous‑jacent, cette évacuation des eaux pluviales se double parfois de celle d’une partie des eaux usées. C’est manifestement le cas aux Hespérides, où la rue N‑S présente un profil volontairement incurvé au centre pour recueillir les écoulements des égouts CN64 et CN68 qui débouchent sur la rue E‑O. Sur ce même axe, une rigole est également aménagée au sein des pavés pour recevoir l’égout CN69 qui provient de l’habitat occidental. Vers le bas du site, le profil incurvé disparaît toutefois, ce qui s’explique par l’apparition d’un petit égout construit à peu près dans l’axe du pavement et sous ce dernier.
4.1.2.4 Un aménagement de carrefour aux Villégiales
54À l’angle des rues 3 et 4 (VO180 et VO181) et du tronçon N‑S de la galerie technique CN73, une petite construction très détruite (SB182), large de 1,20 m et conservée sur 0,90 m de hauteur, se présente sous la forme d’un muret semi‑circulaire appuyé contre un autre mur (fig. 199). Ce bâti est posé au contact de dalles aménagées en escalier qui prolongent la voie N‑S et d’un hérisson soigné de moellons calcaires disposés de chant, tourné en direction de l’exutoire de la galerie technique. Son mauvais état de conservation rend son interprétation exacte difficile. Il pourrait s’agir de la base d’un laraire de carrefour, comme du socle d’une fontaine susceptible d’être directement alimentée par les tuyaux d’eau acheminés par la galerie CN73. La fouille de la Zac des Halles a révélé un angle de carrefour marqué par un bloc monolithique qui a également pu servir de support à un laraire (Monteil 1993b : 150). À Limoges, un socle maçonné entouré, dans un dernier état, par un muret circulaire a également été interprété comme tel (Loustaud 1990 : 61, fig. 8). Enfin, un bel exemple de fontaine de carrefour, alimentée par un aqueduc, a été fouillé récemment à Lyon (Délavai 1989). Mais ces trois constructions ne peuvent guère être comparées aux maigres vestiges de celle des Villégiales.

FIG. 199 – Les Villégiales des Bénédictins. Contact entre la rue pavée, la rue dallée et la construction SB182, pris du sud.
cl. X. Belougne/Afan
4.1.2.5 Les escaliers
55C’est en situation de pente qu’on rencontre généralement le plus grand nombre d’escaliers, soit directement liés aux rues, soit placés aux abords pour permettre l’accès à des terrasses supérieures. Pour le quartier des Bénédictins, aucun n’a été reconnu avec certitude, mais plusieurs indices concourent pour en restituer. C’est ainsi qu’aux Villégiales, les quelques dalles superposées prolongeant la rue N‑S, jusqu’au contact de la construction SB 182, suggèrent un accès vers l’exutoire de la galerie CN73, mais aussi sans doute vers le haut du site. Aux Hespérides, la terrasse située au nord du carrefour rend également indispensable un tel aménagement.
56Dans la ville de Nîmes actuelle, l’impasse des Bénédictins, prolongement vers l’ouest puis le nord de la rue du même nom, est une illustration contemporaine de ce type de rue, puisqu’à une rampe en forte pente, mais encore accessible aux véhicules, succèdent des volées d’escalier réservées aux seuls piétons. À Djemila (Algérie), un cardo dallé est caractérisé par des marches disposées de loin en loin et qui atténuent la pente (Allais 1971). À Vaison‑la‑Romaine, la rue piétonne, dite des Colonnes, s’étend de même en volées d’escalier successives, séparées par des paliers empierrés (Goudineau, Kisch 1991 : 85).
4.1.2.6 Rues et habitat
57Seuls les sites des Hespérides et des Villégiales permettent d’évoquer les relations qu’entretiennent les rues et l’habitat, mis à part le problème des accès traités dans le chapitre consacré aux maisons (cf. supra § 3.7.3).
58Ainsi, aux Villégiales, les sols de la maison C surplombent la rue N‑S de 0,50 m au nord et de près de 1,50 m au sud. La maison B est installée à 0,40/0,50 m au‑dessus du trottoir, qui domine lui‑même la rue d’une hauteur équivalente.
59Aux Hespérides, les sols de l’habitat s’établissent entre 0,20 et 0,50 m au‑dessus de la rue N‑S. Outre le fait que ces quelques chiffres montrent que les risques d’infiltration des eaux de pluie depuis la rue étaient limités, ils sous‑entendent également de nécessaires marches d’escalier (entre une et trois) pour permettre l’accès à l’intérieur des maisons.
60Enfin, aucune des fouilles menées dans le quartier ne révèle d’exemple d’appropriation du sol public des rues, voire de condamnation totale, par des habitations privées.
4.1.3 Du parcellaire actuel au parcellaire antique : essai d’analyse régressive
61Il serait évidemment imprudent de proposer d’emblée une restitution de la trame urbaine uniquement fondée sur le simple prolongement en droite ligne des quelques tronçons de rues reconnues. Aussi, nous a‑t‑il semblé préférable d’associer les limites antiques découvertes à une recherche sur les éléments remarquables fournis par les parcellaires modernes et contemporains (limites fortes, datation relative des rues actuelles...). Sans rentrer dans les nombreux exemples fournis par les recherches sur les cadastres ruraux ou urbains, on relèvera simplement que cette démarche est validée, entre autres, à la Zac des Halles où la rue Nationale actuelle se superpose presque exactement à la voie Domitienne (Monteil 1993b : 163), ainsi qu’à Metz où une étude récente sur la topographie urbaine d’un quartier a été complétée, avec succès, par l’examen du cadastre (Heckenbenner et al. 1992 : 31). Enfin, cette tentative présentait aussi l’intérêt de s’inscrire dans le droit fil de l’étude de morphologie urbaine conduite sur l’ensemble de la ville de Nîmes par Jean Benoit (1981).
4.1.3.1 Les rues actuelles et leur origine
62L’analyse du réseau de rues actuel, également abordée par C. Potay dans ce même ouvrage (cf. infra § 5.2.2.1), peut permettre, sur la base des plans anciens, de classer les rues des plus anciennes aux plus récentes2. Confronté ensuite à d’autres informations –par exemple ici le tracé de l’enceinte–, ce classement peut éventuellement déboucher sur l’attribution d’une origine antique possible pour une partie d’entre elles (fig. 192).
Les rues N‑S
63La rue de la Tour‑Magne emprunte un tracé parallèle à la ligne virtuelle qui sépare les pentes sud et S‑E du mont Cavalier. Elle mène au point le plus haut des collines prises dans l’enceinte augustéenne (environ 110 m) : le mont Cavalier, anciennement mont Excelsus ou Roc de la Font. La rue Rouget‑de‑Lisle –ou rue des Fours‑à‑Chaux– suit, quant à elle, une combe naturelle séparant deux collines : le mont Cavalier à l’ouest et celle de la Lampèze à l’est. Enfin, la rue de la Lampèze traverse la colline du même nom et constitue, depuis le bas Moyen Âge, la limite entre le faubourg de la Boucarié et le faubourg des Prêcheurs. De longue date, elle a toujours été considérée comme étant le prolongement vers le nord du cardo maximus qui, de la porte de France, irait vers le forum. Cette hypothèse est ainsi portée, par exemple, sur un plan de Nîmes antique, assez schématique, d’A. Grenier (1958 : fig. 33). Mais J. Benoit, qui reprend cette idée, note à juste titre que « l’absence de structure rigide dans ce secteur, à cause du relief et de la présence du Fort, ne permet pas de proposer un tracé entre cette rue et la rue Pasteur » (Benoit 1981 : 85).
64Ces trois grands axes existent au moins depuis le xve s. (plans du Chapitre : A.D.G.G. 214) et sont clairement identifiés sur le plan dit d’Anne de Rulman du début du xviie s. (Fiches, Veyrac 1996 : 117). Ils ont également tous un tracé fort sinueux, imposé par la pente. On ajoutera que la rue Rouget‑de‑Lisle et, plus à l’est, la rue Porte‑Cancière constituent, jusqu’au xixe s., les itinéraires privilégiés vers Anduze, Alès et, plus loin, les Cévennes. En outre, P. Varène, en croisant topographie, archéologie, documents d’archives et plans, propose de restituer une porte à l’extrémité nord de la rue Rouget‑de‑Lisle ainsi qu’une tour au bout de la rue Ménard (Varène 1992 : 22‑23, fig. 2 et 5). De même, à la jonction formant patte d’oie des rues de la Lampèze, Porte‑Cancière et des Gazons, une remarquable convergence d’opinions, depuis le début du xviie s, place une autre porte vers les Cévennes (Varène 1992 : 25‑26, fig. 2 et 7 ; Benoit 1981 : 74).
65La rue Meynier‑de‑Salinelles apparaît au contraire de création récente (xviiie s.?). La rue Ménard, sous sa forme actuelle, également, mais une partie de son tracé pourrait remonter à une période ancienne, comme le propose P. Varène (1992 : 23). On ajoutera que la partie basse des rues de la Lampèze et Ménard a, sans aucun doute, été rectifiée et rendue plus rectiligne à l’époque moderne, en liaison avec la construction de la citadelle voisine.
Les rues E‑O
66La rue Poldo‑d’Albenas, petit sentier assurant la liaison entre les rues Rouget‑de‑Lisle et de la Lampèze, est d’origine ancienne sans qu’on puisse la dater précisément. On remarquera cependant qu’elle est présente sur des plans du milieu et de la seconde moitié du xviiie s. (fig. 228, 229) (Anonyme 1750, Clérisseau 1778 et Mareschal 1774 : Fiches, Veyrac 1996 : 123‑125).
67La rue des Bénédictins, du moins pour son tracé E‑O, est un axe qui remonte au moins au début du xviiie s. (plan Lieutier : A.D.G.G. 255, fig. 230). Son tracé N‑S de liaison avec la rue Pasteur est, par contre, tout à fait récent.
68La rue Pasteur, ancien chemin de la Fontaine, marque la limite sud du quartier de la Boucarié et constitue, au moins dès le xve s. (plans du Chapitre : A.D.G.G. 214), l’axe de cheminement privilégié de bas de pente avant la canalisation des eaux de la Fontaine au xviiie s., et la mise en place des quais qui les bordent. La rue Nerva constitue, au moins dès cette même époque, le seul axe de liaison avec la rue des Bénédictins. Enfin, toutes les autres rues voisines (Agrippa, Trajan, etc.), longeant le canal, sont à rattacher aux aménagements de l’Ingénieur du roi Ph. Mareschal en 1740, ou à des percements ultérieurs.
69En définitive, il existe de fortes présomptions pour assimiler, plus ou moins sûrement, les rues de la Tour‑Magne, Rouget‑de‑Lisle et de la Lampèze à des axes antiques, principalement en raison de leur rapport avec des points forts de l’enceinte augustéenne et de leur adéquation à la topographie. On rappellera que cette hypothèse est archéologiquement confirmée pour la rue Rouget‑de‑Lisle. La rue Ménard, aux origines anciennes, pourrait également être interprétée comme telle, du moins en partie, si l’on en juge d’après les observations de F. Mazauric et de M. Célié.
70Une origine antique peut de même être proposée pour les rues Pasteur, Poldo‑d’Albenas, Nerva et des Bénédictins. La première est archéologiquement attestée par les observations de M. Célié tandis que la deuxième pourrait l’être par l’existence du Castellum, auquel il faut bien imaginer un accès direct venant de l’ouest, ainsi que par le tracé de la galerie technique E‑O qui en part.
4.1.3.2 Étude complémentaire sur le parcellaire actuel
71Sur le même principe que pour les rues, les documents cadastraux napoléoniens et surtout un précieux plan dit « Lieutier » daté du début du xviiie s. (fig. 230) permettent, confrontés au cadastre actuel, de faire ressortir les principales lignes de force du parcellaire (fig. 192).
72La première de ces limites fortes (A) est déjà portée sur le plan Lieutier sous la forme d’une limite de parcelle rectiligne. Elle est toujours conservée de nos jours sous la forme d’un talus de pierres (parcelle laniérée DT 530) masquant un puissant mur de terrasse. La limite B, encore partiellement visible aujourd’hui, sépare en 1722 les terres de Pierre Castilhon et de Pierre Nivard (cf. infra § 5.2.5.4). On remarquera qu’elle valide la méthode d’analyse régressive esquissée ici puisqu’elle correspond en tout point à la limite est de la voie antique des Hespérides. Cette correspondance est si remarquable qu’elle doit sans doute sa pérennité à un maintien du cheminement bien après le recouvrement des pavés de la rue. A contrario, on ne peut que souligner que les deux voies des Villégiales n’ont laissé aucune trace dans le parcellaire, ce qui montre les limites de la méthode ou, plutôt, son inadéquation lorsqu’elle n’est pas en partie confirmée par des éléments archéologiques.
73Les limites C, D, E et F transparaissent aussi dès le début du xviiie s. On en retiendra surtout les deux premières qui, placées perpendiculairement à la pente, peuvent indiquer la façon la plus rationnelle d’aborder celle‑ci d’est en ouest. Ces deux tracés en lignes brisées pourraient donc permettre de restituer le parcours qu’adopte, vers l’est, la voie E‑O des Hespérides.
74La limite G existe antérieurement au tracé de la rue des Bénédictins et apparaît comme un axe fort sur le plan Lieutier. La ligne matérialisée en H est particulièrement prégnante dès 1722 et encore aujourd’hui. Succession de limites de parcelles, elle partage l’îlot entouré par les rues Pasteur, des Bénédictins et Nerva, et plus loin vers la rue Rouget‑de‑Lisle, en deux parties quasi équivalentes.
75La forte limite E‑O I qui sépare la fouille de La Marseillaise de l’actuel collège de la Révolution (actuelles parcelles DT‑633 et 181) est également ancienne. On remarquera qu’elle est peu éloignée de la rue restituée au sud de la maison.
4.1.3.3 Analyse générale de la morphologie urbaine du quartier
76Jean Benoit a publié en 1981 le résultat d’une étude archéo‑morphologique du parcellaire urbain actuel de Nîmes et montré ainsi l’existence de plusieurs structures ou groupes de limites, d’orientation et d’ampleur différentes. Attribuant à chacune d’entre elles un code sous la forme d’une couleur, il a ensuite tenté d’en proposer une chronologie relative : système bleu, vert, violet, rouge puis marron (Benoit 1981 : 85).
77Renvoyant le lecteur à son étude (Benoit 1981) et aux diverses utilisations qui ont pu en être faites (Christol, Goudineau 1987‑1988 ; Monteil 1993b ; Fiches 1993 ; Célié et al. 1994 ; Fiches 1996a), on se contentera ici de résumer ses constats pour le secteur qui nous occupe.
78Jean Benoit note l’absence de tout élément coloré sur les pentes sud et S‑E du mont Cavalier, au‑delà de la courbe des 65 m ngf, et ajoute, à juste titre, que c’est très vraisemblablement le relief qui a empêché tout urbanisme rigide et que le parcellaire a, sur toutes les pentes, un aspect plutôt rural comme le démontre la taille des parcelles, plus grande qu’en plaine (Benoit 1981 : 72).
79Quelques éléments structurés ont cependant pu être reconnus au‑dessus de cette ligne des 65 m et enserrent, avec d’autres situés au‑dessous, les sites dont il est question ici (fig. 192) :
– au nord du quai de la Fontaine, dans deux îlots enserrés par les rues Pasteur, Adrien, Vespasien et par le quai de la Fontaine, on repère des traces du groupe bleu (NL‑0° 30’E), ici baptisé B3, « que la structure rouge a conservé en les ceinturant » (Benoit 1981 : 74). L’auteur remarque plus loin que l’ensemble de la structure bleue, située au sud et à l’est du jardin de la Fontaine, « pourrait témoigner d’un urbanisme ancien car elle englobe peu ou prou la source à l’origine de la création de la ville » (Benoit 1981 : 83) ;
– des traces du groupe vert (NL‑33° O), baptisé ici V3, sont visibles immédiatement au nord de la rue Poldo‑d’Albenas et sont limitées à l’est par la rue Meynier‑de‑Salinelles. Cet ensemble ne dépasse pas, sauf pour la rue elle‑même, la courbe des 65 m. J. Benoit ajoute « (qu’il) n’a pas de rapport avec les autres structures colorées. La structure rouge en s’installant l’aurait‑elle séparé du centre‑ville ? ou bien témoigne‑t‑il d’une installation ponctuelle que celle‑ci aurait épargnée ? » (Benoit 1981 : 78) ;
– la structure rouge (NL‑13° O), la plus présente dans le parcellaire urbain actuel, s’étend sur le bas des pentes du mont Cavalier mais ne dépasse que très peu la courbe de niveau des 65 m (Benoit 1981 : 79). Mais, comme on l’a signalé en introduction à cet ouvrage, ce quartier est principalement urbanisé à la suite des travaux de restructuration de l’ingénieur Mareschal, au xviiie s. Or, on a déjà maintes fois signalé que les axes de cet urbanisme avaient été fixés, et revitalisés, par la découverte des vestiges du jardin de la Fontaine, lui‑même appartenant au système rouge. Ce dernier pourrait donc n’être ici qu’un masque posé sur une trame totalement différente, quoique son origine préromaine ne puisse être écartée (Guillet et al. 1992 ; Fiches 1993 : 102 ; Célié et al. 1994 : 392 ; Fiches 1996a) ;
– enfin, la partie basse de la rue Rouget‑de‑Lisle, entre les rues Pasteur et d’Albenas, peut être rattachée au système violet (NL‑30° O) (Benoit 1981 : pl. hors texte).
80Pour en revenir aux sites fouillés dans cette zone, on remarquera que la parcelle occupée par les Villégiales est faiblement structurée, bien que placée au contact du système rouge à l’ouest et au sud, du groupe vert V3 au N‑N‑E, et de l’axe violet de la rue Rouget‑de‑Lisle à l’ouest. Ce dernier longe aussi le site de La Marseillaise, autrement implanté dans un secteur non coloré, au centre du vide séparant les groupes V3 et rouge. Le chantier des Hespérides est également situé dans un espace vide de structures mais est limité au sud par le système rouge. Enfin, celui des Bénédictins est très largement pris au sein du système rouge.
4.1.4 Essai de restitution de la trame urbaine
81À partir de ce dossier et des résultats issus de la documentation archéologique, il paraît possible de tenter une restitution de la trame urbaine du quartier antique des Bénédictins.
4.1.4.1 Les directions de l’urbanisme antique
82L’essentiel des grandes orientations observées sur le parcellaire actuel et les vestiges antiques a été reporté sur le tableau xiv. Il est utile de préciser que les sites des Hespérides et de La Fontaine des Bénédictins ont été relevés au théodolite et rattachés au parcellaire environnant. Leur report initial a été fait sur des fonds de plan au 1/100 ou au 1/200, fournis par les aménageurs, mais rattachés à des systèmes de coordonnées indépendants du système Lambert. Leur positionnement par rapport au quadrillage Lambert n’a donc pu être réalisé que par le biais d’un jeu de réductions et de superposition des limites parcellaires. Les orientations doivent donc toutes être considérées à ± 2° près.

TABL. XIV – Principales orientations reconnues dans le quartier.
83Pour le site de La Marseillaise, le report de la voie N‑S et du réseau hydraulique a été réalisé de la même manière, grâce à un relevé de géomètre relativement précis (1/200) mais également rattaché à un système indépendant. Par contre, la maison et ses abords, pareillement levés par un géomètre, n’ont malheureusement pas été rattachés au parcellaire environnant. Le calage de ce relevé imprécis a été proposé sur la base des croquis, de l’état cadastral de l’époque, de photographies et des souvenirs de V. Lassalle. Si sa position peut être considérée comme relativement exacte, son orientation est bien évidemment assortie d’une réserve d’au moins 5° de part et d’autre de la direction moyenne proposée.
84Par contre, les vestiges du site des Villégiales ont tous été reportés sur un fond de plan rattaché au système Lambert. Les orientations avancées peuvent donc être considérées comme exactes.
85Les axes des rues et limites parcellaires actuelles ont été relevés sur le cadastre au 1/1 000 sur lequel sont reportés un grand nombre de points de repère du système Lambert.
86Enfin, on ajoutera que toutes les mesures sont estimées en degrés et minutes par rapport au nord Lambert, le rapport avec le nord géographique étant facile à rétablir, sachant que, sur Nîmes, le nord Lambert est à 1° 10’ (1 gr) à l’est du nord géographique.
87Le tableau xiv montre bien que toutes les orientations, modernes et antiques, sont contenues dans le tiers supérieur du quadrant N‑O, entre NL‑9° O et NL‑33° O. Ne font exception que les moitiés nord et est des limites parcellaires E, C et D ainsi que les parties des rues Rouget‑de‑Lisle et de la Tour‑Magne situées au‑dessus de la ligne des 60 m ngf. Ces éléments, au contraire des autres, ont tendance à être plus perpendiculaires aux courbes de niveau. Si on se limite aux directions antiques, l’intervalle diminue encore pour s’établir entre NL‑11° O et NL‑27° O.
88Les rues N‑S des Hespérides et des Villégiales sont quasiment parallèles puisqu’elles ne divergent que d’environ 2° (NL‑22° 30’ O contre 19° 20’ O). Par contre, la rue N‑S de La Marseillaise s’écarte de ces dernières d’au moins 5° (NL‑27° O), mais l’imprécision des mesures ne permet pas de considérer cette différence comme étant significative. Pour les rues E‑O, l’écart entre Hespérides et Villégiales est plus grand puisqu’il est de l’ordre de 5° (NL‑11° 30’ O contre 16° 12’ O). De ces premières observations découle également l’absence de jonctions strictement orthogonales entre axes décumans et cardinaux. On remarquera aussi que les axes N‑S sont plus inclinés vers l’ouest que les axes E‑O, ce qui est encore le cas du réseau viaire actuel.
89Au sein de l’habitat des Hespérides, la majorité des orientations s’articule autour de celle de la voie N‑S, à 2° près. Les autres (murs sud et nord de la cour 11) sont à considérer comme des directions intermédiaires (NL‑18° 30’ O et 14° O) permettant de rattraper les contraintes imposées par le croisement non orthogonal –en forme de Y– des deux rues. Aux Villégiales, les murs de façade longeant la rue N‑S sont logiquement parallèles à celle‑ci. Les maisons B et C, dans leurs divisions internes, respectent également cette orientation. Par contre, deux orientations majeures de la domus A (mur mitoyen avec la maison C et mur de limite entre les espaces A4 et A5) s’en écartent sensiblement (NL‑16° 24’ O et 11° O). Elles se rapprochent au contraire de celles de la voie E‑O (NL‑16° 12’ O) et de la canalisation CN73 (NL‑11° 15’ O). Ces deux éléments structurants étant assez éloignés, on supposera que cette inclinaison peut annoncer un point d’inflexion de la voie N‑S ramenant celle‑ci aux environs de NL‑10/15° O. Dans la partie haute des Villégiales (ensemble D) ainsi qu’en bordure de la rue Rouget‑de‑Lisle (ensemble E), les vestiges se placent autour de NL‑13° 30’ O et 11° 42’ O, soit relativement dans le même axe que la galerie CN73.
90La maison de La Marseillaise, faute d’un positionnement précis, flotte autour de NL‑22,5° O, à ± 5°, mais rien n’interdit de basculer l’ensemble vers l’ouest et de le ramener ainsi à une orientation proche de la voie pavée N‑S (27° O) ; ce que pourraient confirmer la limite parcellaire I (NL‑27° 27’ O) et les traces violettes de la rue Rouget‑de‑Lisle (NL‑30° O). La rue pourrait d’ailleurs rejoindre un axe violet par le biais d’un point d’inflexion en définitive peu marqué (angle de 3°).
91La maison de La Fontaine des Bénédictins, quant à elle, est orientée autour de NL‑16° 30’O.
92L’ensemble des orientations reconnues, qu’elles soient antiques ou modernes, ne s’apparente strictement à aucun système structuré reconnu ou non par J. Benoit. La figure 200 confirme cependant qu’elles s’inscrivent dans un faisceau relativement resserré, avec des intervalles réduits, de l’ordre de 2°. Les systèmes définis par Jean Benoit se placent également dans cette même partie de quadrant N‑O. Ce constat permet de supposer que la mise en place des axes urbains s’est faite principalement, en plaine comme sur les pentes, suivant un axe général N‑O, favorisé par la topographie générale de la ville. Le secteur n’est cependant pas pour autant livré à l’anarchie et on note un certain nombre de parallèles ou de perpendiculaires –entre A et la rue E‑O des Villégiales, entre les deux voies N‑S des Hespérides et des Villégiales, entre I et la rue pavée de La Marseillaise – et, moins exactement, entre les rues des Bénédictins, Nerva et Pasteur, la maison de La Fontaine des Bénédictins, H, G, E‑moitié sud et F‑moitié sud.

FIG. 200 – Les orientations antiques reconnues dans le quartier des Bénédictins.
DAO M. Monteil/Afan
93Dans le secteur qui englobe les Villégiales et les Hespérides, les orientations sont assez variées. On remarquera qu’aux Hespérides la voie N‑S s’implante exactement dans l’axe du vallon dont il a été fait mention plus haut. C’est également cet aspect oblique par rapport à la pente que suivent les autres éléments. Certains sont cependant de directions proches du système rouge, mais, au moins dans deux cas, ils sont étroitement liés au relief (A en tant que mur de terrasse et CN73, implanté sur une importante rupture de niveau). En bref, il semble bien que la mise en place de l’habitat et du réseau viaire n’a pu se faire qu’en étroite adéquation avec le relief et, surtout, le microrelief avec ses avancées, ses talus, ses vallons et ses terrasses. Il n’y a donc pas ici trace de trame orthonormée, même si le parallélisme des voies cardinales des deux sites donne le sentiment d’une certaine régularité.
94Dans un deuxième secteur, compris entre la partie immédiatement au nord de la rue des Bénédictins et la rue Pasteur, on note une tendance à la régularité accrue avec des axes compris entre NL‑10 et 17° O, soit de part et d’autre de l’orientation définie pour le système rouge (NL‑13° O) (maison de La Fontaine des Bénédictins, limites parcellaires E‑moitié sud, F‑moitié sud, G et H, rues des Bénédictins, Pasteur et Nerva). Toute cette zone est d’ailleurs abondamment marquée par le système rouge, restitué par J. Benoit, et s’étend sur un terrain relativement plan. On ajoutera que, pour l’essentiel, les limites cadastrales et les rues sont antérieures au projet Mareschal du xviiie s. et n’ont donc pu, en cela, « souffrir » de la revitalisation excessive du système rouge que celui‑ci a provoquée.
95Enfin, vers l’est, on pourrait voir dans les directions reconnues ou restituées (rue pavée et maison de La Marseillaise, limite I), l’influence de la partie basse de la rue Rouget‑de‑Lisle qui est axée suivant le système violet. Cette orientation particulière a fait l’objet d’apports récents. Dans un article consacré à l’amphithéâtre de Nîmes, M. Fincker part d’un relevé précis des portes d’Auguste et de France, des axes de l’amphithéâtre (NL‑30° 45’ O) et de la Maison carrée (NL‑12° 55’ O) pour aborder certains aspects de l’urbanisme nîmois (Fincker 1994). Ce n’est pas le lieu ici de résumer ni d’apporter des nuances à cet article. On se contentera de signaler que M. Fincker souligne l’importance de la porte décorée principale, qui s’ouvre au nord sur le petit axe de l’amphithéâtre. Elle propose que ce dernier ait été fixé volontairement pour être mis en relation avec l’urbanisme alentour et ouvre sur une rue, peut‑être antique, encore marquée par les rues des Arènes et Fresque, « qui aurait relié les abords Au forum à l’entrée principale de l’amphithéâtre ». On remarquera que les rues des Arènes et Fresque sont bordées de nombreux éléments violets et verts, qu’elles débouchent sur la place de la Calade, que cet axe, si on le prolonge encore, longe le forum et rejoint les traces violettes mises au jour dans la partie basse de la rue Rouget‑de‑Lisle (Benoit 1981 : plan hors texte). Il peut donc s’agir là d’un grand axe N‑O/SE mettant en relation les quartiers nord, et plus loin les Cévennes, avec les quartiers S‑E et, plus tard, le monument de spectacle3. On ajoutera que ce secteur de La Marseillaise, placé sur un terrain relativement plan, pourrait donc également avoir été structuré de façon plus régulière.
4.1.4.2 Les îlots
96L’ensemble des informations évoqué ci‑dessus nous amène, en définitive, à une proposition de restitution de la trame urbaine prenant en compte les voies sûrement reconnues, les voies potentielles marquées par des rues actuelles ou des limites parcellaires fortes et les orientations des vestiges. Les distances entre ces divers éléments sont exprimées, d’axe en axe, dans le tableau xv. On remarquera d’ailleurs que la démarche de recherche régressive exposée ci‑dessus est validée par l’absence de régularité des orientations, la présence probable de plusieurs points d’inflexion et la mise en valeur du rôle qu’a pu jouer la topographie, tous éléments qui interdisent d’aboutir à une trame théorique faite de tracés à l’équerre. La proposition de restitution illustrée par la figure 201 n’est bien sûr pas exempte de critiques et son caractère en partie abstrait n’échappera pas au lecteur. Malgré tout, elle est étayée par les arguments présentés ci‑dessus, que viennent encore appuyer quelques modules approximatifs d’îlots.

TABL. XV – Distances moyennes entre les grands axes reconnus ou restitués.

FIG. 201 – Proposition de restitution de la trame urbaine du quartier.
DAO M. Monteil/Afan
97Les données directement issues des fouilles menées dans le quartier, et donc les plus fiables, sont les suivantes :
– la distance d’axe en axe des rues N‑S des Hespérides et des Villégiales, dont on rappellera qu’elles sont quasiment parallèles, est de 102 m ;
– la distance d’axe en axe des rues N‑S des Villégiales et de La Marseillaise est de 65 m, du moins à l’aplomb des deux. En effet, la divergence d’orientation entre ces deux rues entraîne une augmentation de la largeur de l’îlot vers le sud ; elle serait de 75 m au niveau de la rue des Bénédictins. Par contre, la fouille des Villégiales démontre l’absence de tout autre axe N‑S entre ces deux rues ;
– la distance entre les rues E‑O des Hespérides et des Villégiales est également difficile à établir, toujours en raison des divergences d’orientation et de restitution des tracés. Rien n’interdit de prolonger la rue des Villégiales en droite ligne vers l’ouest, auquel cas la largeur s’établit à 55 m au droit de la rue N‑S des Hespérides. Par contre, la rue E‑O des Hespérides ne peut aborder la suite de son tracé vers l’est que sous la forme d’une succession de lignes brisées. Un prolongement en droite ligne rencontrerait en effet les vestiges d’habitat les plus au nord des Villégiales (ensemble D2). Cette dernière fouille a en outre attesté l’absence de toute voie E‑O entre les vestiges déjà cités et le tronçon de galerie technique E‑O CN73. La rue des Hespérides ne peut donc que passer plus au nord. On proposera de la restituer suivant grossièrement le tracé lui‑même brisé, et adapté à la configuration de la pente, des limites parcellaires C et D ;
– d’autres données, tributaires de calages imprécis (cas des rues entourant la maison de La Marseillaise) ou de restitutions de voies sur la base d’écoulements hydrauliques (canalisation E‑O), méritent également d’être citées malgré les doutes qui les entachent : 55 m environ entre la rue pavée et la ruelle nord‑sud de La Marseillaise ; 120/130 m entre la rue E‑O de La Marseillaise et la galerie de même direction ; 55 m entre la rue et la ruelle, toutes deux N‑S, de La Marseillaise.
98Toutes les autres mesures relèvent de l’extrapolation, en liaison avec les rues présumées antiques ou les rues antiques attestées mais ponctuellement observées et/ou mal orientées (rue découverte par F. Mazauric et rue Pasteur). La restitution tient donc également compte des axes proposés sous les actuelles rues des Bénédictins, de la Lampèze, de la Tour‑Magne, Nerva et sous les limites parcellaires fortes A, G et H. La rue N‑S des Hespérides, dans son prolongement vers le sud, ne peut se « redresser » suivant les directions 10/17° O qui semblent animer la partie basse du quartier sans venir percuter la maison de La Fontaine des Bénédictins. La forte limite parcellaire qui la révèle encore dans le cadastre actuel n’allant pas au‑delà de la rue des Bénédictins, on proposera de l’arrêter à ce niveau. De même, la rue N‑S des Villégiales, bien que proposée avec un point d’inflexion, n’a pas été prolongée au‑delà de la rue des Bénédictins pour laisser la place à la rue Nerva.
99Arguments critiquables certes que tous ceux‑là, mais en partie étayés par la configuration générale des éléments du réseau sûrement reconnus ainsi que par quelques données d’ordre métrique. On remarquera en effet, en faisant intervenir toutes les limites, antiques et actuelles, du moins à l’ouest de la ligne matérialisée par la rue des Villégiales et par la rue Nerva, que toutes les distances plaident en faveur d’un module d’îlot évoluant autour d’une moyenne de 50 m et de ses multiples : 100, 150 et 200 m. Vers l’est, autour des rues Rouget‑de‑Lisle et de la Lampèze, les distances semblent plus importantes avec des valeurs situées autour de 60/65 m et de 130/150 m.
100Quoi qu’il en soit, et comme on pouvait s’y attendre d’après la variété des orientations et le poids des contraintes topographiques, les îlots affectent des formes assez irrégulières souvent proches du trapèze avec, cependant, une tendance accrue à la régularité vers le bas des pentes, en dessous de la courbe de niveau des 60 m. On rappellera, pour conclure sur cette restitution du réseau viaire, que les deux rues N‑S des Hespérides et des Villégiales s’interrompent sur des axes E‑O et sont prolongées par de probables escaliers. Il en était peut‑être de même pour celle de La Marseillaise. Il est pourtant nécessaire que certains axes se poursuivent au‑delà vers le nord, ne serait‑ce que pour rejoindre les portes de l’enceinte et, plus loin, se diriger vers les Cévennes. C’est le rôle que nous assignerions volontiers ici aux rues de la Tour‑Magne, de la Lampèze et Rouget‑de‑Lisle.
4.1.5 Conclusion
101L’urbanisation des pentes S‑E du mont Cavalier débute plus tardivement que celle du versant méridional ou du piémont, zones remaniées ou largement investies dès les alentours du changement d’ère. Elle se fait en outre suivant un rythme assez progressif, phénomène qui traduit, selon nous, une pression urbaine modérée. Mais ceci s’explique sans doute par les vastes espaces disponibles en plaine –plus de 80 ha sur les 220 ha enclos par l’enceinte augustéenne.
102L’impression générale qui se dégage de l’analyse de la trame urbaine reste celle d’une tentative de mise en place d’une organisation régulière, contrariée par la topographie et sans doute, même si cela n’est pas vérifiable, par l’existence d’une occupation antérieure. C’est cette tendance à la régularité dont rend compte l’intervalle resserré dans lequel s’insèrent les orientations du bâti et les mesures d’îlots. À l’amorce de la plaine, en dessous de 60 m ngf, il semble que la trame devienne plus régulière encore avec, côté ouest, un ensemble d’orientations proche de l’axe du système rouge, qui régit les quartiers du centre de la vieille ville basse, et, côté est, une influence probable du système violet. Ajoutons d’ailleurs que l’aspect un peu chaotique de notre restitution peut résulter en partie d’une déformation, au cours du temps, de certaines limites parcellaires.
103La correspondance entre l’étude archéo‑morphologique conduite par J. Benoit et l’analyse archéologique apparaît ici assez pertinente (voir aussi Monteil 1999). Il avait bien noté que l’organisation régulière du tissu urbain tendait à disparaître au‑delà de la courbe de niveau des 65 m ngf, cote qui correspond, d’après l’étude archéologique et à quelques mètres près, à la disparition du bâti. Entre cette ligne et le contact avec le piémont, les traces parcellaires qu’il avait identifiées ne trouvent toutefois aucune correspondance exacte avec les orientations des vestiges archéologiques. Elles s’en rapprochent cependant parfois d’assez près et participent d’un même faisceau général largement conditionné par la forme générale qu’adoptent les versants, depuis la colline de Montaury à l’ouest jusqu’au mont Duplan au N‑E. À l’éventail que dessinent les pentes des collines nord, répond en effet celui des orientations définies par J. Benoit et/ou révélées par les fouilles : NL‑40/50° O pour les plus inclinées à Villa Roma ; autour de NL‑10/30° O dans le quartier des Bénédictins ; sensiblement proches du nord sur les pentes des collines N‑E et du mont Duplan. Dans ces secteurs de pentes, l’analyse menée dans le quartier des Bénédictins montre que la recherche des lignes de force du parcellaire actuel et des plans plus anciens est plus féconde pour la restitution des réseaux urbains que celle effectuée par J. Benoit, qui consistait à définir des groupes d’orientations similaires, à condition toutefois qu’elle soit faite en parallèle avec un nombre suffisant d’opérations archéologiques.
104D’autres cas peuvent être comparés à Nîmes du point de vue de l’influence du relief sur la trame urbaine. À Vienne, on note ainsi, sur les collines, le tracé sinueux des rues, ainsi que la présence d’escaliers et de puissants murs de soutènement (Pelletier 1982 : 116‑117). Il en est de même à Haïdra en Tunisie, où N. Duval dresse un plan du quartier central où plusieurs monuments publics et une rue se développent en éventail sur le flanc d’une colline (Duval 1982 : 646, fig. 4). Des îlots de forme trapézoïdale à irrégulière ont également été reconnus sur les pentes de Lyon, au sud de l’Odéon (Desbat 1987 : fig. 12). Il en est de même, toujours à Lyon, rue des Farges (Desbat 1984 ; Desbat, Mandy 1991 : 91 ; fig. 9). Par contre, toujours à Lyon, les îlots du Clos du Verbe Incarné, bien que situés en pente, présentent un plan très régulier (Delaval 1994 : 203‑229). D’autres îlots de forme similaire, avec une partie des rues installées en étroite adéquation avec le relief, ont été restitués à Metz, dans le quartier de l’Arsenal, mais un parti pris urbanistique n’est pas non plus exclu (Heckenbenner et al. 1992 : 32‑33). À Cimiez, le caractère probablement sinueux de certaines rues paraît également bien conditionné par la topographie (Mouchot 1969).
4.2 Les aménagements hydrauliques
105a.v.
106Même si le choix d’un site d’implantation est plus culturel que lié à la satisfaction de nécessités premières (Leveau 1992 : 260), on connaît l’importance de l’eau dans l’apparition et le développement des processus d’urbanisation autour du bassin méditerranéen4. La ville de Nîmes n’a pas échappé à cette logique et il lui a fallu composer tout au long de son histoire avec les possibilités que lui offrait son terroir et les contraintes liées aux exigences des modes de vie adoptés par sa population. De la variété de sa topographie découle une richesse de solutions dans l’approvisionnement et l’évacuation des eaux ; le quartier des Bénédictins nous en offre plusieurs aspects particulièrement intéressants en raison de son appartenance à un secteur encore mal connu, celui de la ville haute. Cette dernière constatation se vérifie également pour les nombreux sites urbains du monde romain implantés totalement ou partiellement sur terrains en pente et dont les aménagements hydrauliques n’ont, semble‑t‑il, jamais fait l’objet d’études systématiques. Pour tous les plans d’ensemble ou de détail ainsi que pour les descriptions archéologiques, on se reportera aux textes analytiques réunis dans le chapitre 3.
4.2.1 L’approvisionnement en eau : sources et puits
4.2.1.1 Les sources
107Les terrains calcaires du Hauterivien supérieur comprennent naturellement des niveaux aquifères pouvant donner naissance à des sources pérennes ou temporaires dont le débit n’est important qu’en période de crue. Rien n’interdit de penser qu’il ait pu exister à l’époque antique, dans ce secteur, quelques griffons de sources abandonnés depuis et qui ont totalement disparu du paysage. La chambre souterraine encore partiellement remplie d’eau observée par V. Lassalle au 11, rue des Bénédictins appartenait certes à l’époque moderne mais, aux dires mêmes de son inventeur, elle était vraisemblablement destinée à conserver ou à recueillir les eaux d’une source (Lassalle 1969b ; 1990a). De tels captages ayant existé ailleurs dans l’Antiquité, on a pu avoir recours à cette technique à Nîmes aussi. Mais, du fait de l’irrégularité de leur débit, ces points d’eau n’ont pu être utilisés que comme approvisionnement d’appoint.
4.2.1.2 Les puits
108Dès l’époque républicaine, grâce à des conditions géologiques très favorables (niveau piézométrique de la nappe phréatique compris en moyenne entre 4 et 8 m), le recours aux puits dans la ville s’est vraisemblablement imposé, juste après celui des sources, comme un des moyens les plus commodes pour se procurer collectivement et surtout individuellement de l’eau. On a pu voir ailleurs (Blétry‑Sébé, Veyrac 1991 : 123, 143‑146, fig. 71), dans un premier essai d’inventaire, que leur nombre était beaucoup plus important qu’on ne le pensait généralement et on sait aujourd’hui que leur usage s’est maintenu, malgré la dégradation de l’état de la nappe, du haut Moyen Âge à la fin du siècle dernier, y compris après la réalisation d’une adduction des eaux du Rhône en 1871. Dans un rapport sur l’assainissement de la ville de Nîmes présenté au conseil municipal en 1893, on pouvait ainsi lire : « Les infiltrations (des fosses d’aisance) polluent le sous‑sol et envahissent les puits servant à l’alimentation d’une partie de la population qui préfère l’eau de puits à celle de la distribution municipale, surtout en été à cause de sa fraîcheur. »
109Le quartier étudié aujourd’hui, qui était appelé du xviiie au xixe s. « faubourg de la Bouquerie », ne constitue pas une exception par rapport au reste de la ville, ainsi que le prouvent les nombreux puits appartenant à différentes époques que l’on y dénombre. Pour atteindre les niveaux aquifères de cette zone accidentée de la ville antique, le creusement de telles structures a dû s’avérer bien plus difficile qu’en aucun autre lieu de la ville. Cependant, certaines découvertes, effectuées intra muros (puits de Villa Roma de 18,40 m de profondeur) ou plus largement dans le monde romain, montrent que les techniciens disposaient alors en ce domaine d’un savoir autorisant des réalisations autrement complexes. Ainsi, l’exploitation de mines, la réalisation de tunnels ou d’émissaires offrent des exemples de creusements de puits très profonds : 80 m en Palestine et près de Poitiers, même si, d’un point de vue statistique, la majorité des puits romains connus ont une profondeur comprise entre 3‑4 et 25‑30 m (Trevor Hodge 1992 : 53‑54).
4.2.1.3 Étude de quelques puits
110g.f., j.p.
111À l’est immédiat du jardin de la Fontaine, entre la rue de la Tour‑Magne à l’ouest et la rue Rouget‑de‑Lisle à l’est, quelque six puits ont été reconnus (fig. 202, nos 3‑8). Inégalement maçonnés, remplis d’eau ou parfois secs, tous n’ont pas été explorés et tous ne sont pas antiques. Leur identification est détaillée, dans les paragraphes suivants, d’ouest en est entre ces deux rues :
112Hespérides haut (fig. 202 et 203, no 3) : X = 762,100 ; Y = 173,245 ; Z = 63,70 m ngf. Section (= St) DT, parcelle (= P. C.) no 230. Prof. totale 15,80 m (0‑7,60 m = clastoïdes anthropiques et du Pléistocène supérieur‑Holocène ; 7,60 m‑fond = Hauterivien supérieur calcaire). Alimenté par plusieurs fissures de raille centimétrique à millimétrique. Section en plan presque carrée ; margelle surélevée d’1 m en petit appareil ; maçonné à l’intérieur sur 8 m ; puits moderne, sans doute du xixe s. NPE à 49,70 m ngf. Il a été entièrement détruit lors de la construction d’habitations et de l’aménagement du jardin.
113Hespérides médian (fig. 202, no 5) : X = 762,070 ; Y = 173,225 ; Z = 64,50 m ngf. St DT, P. C. no 230. Creusé dans le Hauterivien supérieur calcaire surmonté de clastoïdes anthropiques et du Pléistocène supérieur‑Holocène‑Actuel. Margelle ; maçonné à l’intérieur ; puits du xixe s., non étudié ; actuellement conservé dans le jardin des Hespérides. Hespérides bas (fig. 202 et 203, no 4) : X = 762,080 ; Y = 173,230 ; Z = 62,30 m ngf. St DT, P. C. no 230. Prof. totale : 10,20 m (0‑3,50 m = clastoïdes anthropiques ; 3,50 m‑fond = Astien sableux). Section en plan quasi circulaire ; puits moderne du xixe s., sec et partiellement fouillé. Il a également été détruit lors de la construction d’habitations et de l’aménagement du jardin.
114Villégiales haut (fig. 202 et 203, no 7) : X = 762,225 ; Y = 173,270 ; Z = 60,49 m ngf. St DT, P. C. no 256. Prof. totale : 8,41 m (0‑1,30 m = clastoïdes anthropiques et du Pléistocène supérieur‑Holocène‑Actuel ; 1,30 m‑fond = Astien sableux). Section en plan circulaire irrégulière ; margelle en petit appareil ; maçonné à l’intérieur sur 50 cm environ ; puits antique tardif, non fouillé jusqu’à sa base et sec. Il a été détruit lors de la construction d’habitations et de l’aménagement du jardin.
115Villégiales bas (fig. 202 et 203, no 8) : X = 762,220 ; Y = 173,250 ; Z = 57,89 m ngf. Prof. totale : 11,10 m (0‑1,9 m = clastoïdes anthropiques et du Pléistocène supérieur/Holocène‑Actuel ; 1,9 m‑fond = Astien sableux). Margelle ; maçonné à l’intérieur avec des petits moellons réguliers ; puits moderne du xviiie s. Il a été entièrement détruit lors de la réalisation du programme immobilier.
116Bénédictins (fig. 202, no 6) : X = 762,140 ; Y = 173,200 ; Z = 59 m ngf. St DT, P. C. no 546. Section en plan circulaire ; puits antique creusé dans la roche en place (?), non fouillé, vu par Victor Lassalle en 1969.

FIG. 202 – Situation des puits étudiés entre le site de Villa Roma et la citadelle.
dess. G. Fabre/CNRS, J. Pey/musée archéo. de Nîmes

FIG. 203 – Coupes des puits des Hespérides et des Villégiales.
dess. G. Fabre/CNRS, J. Pey/musée archéo. de Nîmes
117L’étude de ces puits, comme le traitement des questions relatives à leur alimentation en eau et à leur fonction peuvent être utilement complétés par les observations faites sur quelques puits voisins présentant des caractéristiques similaires (fig. 202, nos 1, 2, 9, 10). Toutefois, seuls les deux puits de la propriété Solignac (ou de Villa Roma) ont été explorés et levés en détail :
118Citadelle haut, place d’armes, près du logement du major (fig. 202 et 204, no 9) : X = 762,460 ; Y = 173,390, Z = 68,50 m ngf. St DT, P. C. no 126. Prof. totale : 19,30 m, niveau piézométrique à l’étiage (= NPE) : 52 m ngf. Entièrement creusé dans le Hauterivien supérieur calcaire. Section en plan circulaire ; margelle détruite ; parementé régulièrement à l’intérieur sur quelques mètres ; puits moderne de la fin du xviie s. qui servait, entre autres choses, à alimenter les grandes citernes souterraines de la place d’armes. Il a été utilisé jusqu’au début du xxe s.

FIG. 204 – Coupe N‑S sur le fort de Nîmes, puits et citernes modernes. Puits no 9 à gauche, puits no 10 à droite.
dess. G. Fabre/CNRS, J. Pey/musée archéo. de Nîmes
119Citadelle bas, angle des fossés sud et ouest (fig. 202 et 204, no 10) : X = 762,415 ; Y = 173,320 ; Z = 62,84 m ngf. St DT, P. C. no 126. Non exploré à cause du danger lié à la grande instabilité de ses parois. Profondeur supérieure à 13 m, NPE vers 51m ngf, la partie supérieure est creusée dans les clastoïdes anthropiques puissants d’au moins 10 m, le fond dans le Hauterivien supérieur calcaire. Section en plan quasi circulaire ; pas de margelle ; appareillage interne régulier sur 10 m au moins, puits moderne du xixe s. Il a été entièrement comblé lors de l’aménagement de l’université en 1994.
120Solignac haut (fig. 202 et 205, no 1) (Fabre, Pey 1990) : X = 761,659 ; Y = 173,044 ; Z = 68,43 m ngf. St DV, P. C. no 307. Prof. totale : 18,40 m (après enlèvement complet du comblement anthropique), NPE à 50,44 m ngf, entièrement creusé dans le Hauterivien supérieur calcaire, alimentation par microfissures karstifiées millimétriques. Section en plan parfaitement circulaire ; margelle interne en petit appareil conservée sur 45 cm de hauteur ; non maçonné à l’intérieur ; puits antique augustéen dont le comblement est anthropique (petit mobilier, fil à plomb et nombreuses traces de pic sur les parois).
121Solignac bas (Villa Roma) (fig. 202 et 205, no 2) : X = 761,650 ; Y = 173,00 ; Z = 55,49 m ngf. St DV, P. C. no 312. Prof. totale : 9,27 m (après enlèvement complet du comblement), NPE à 49,85 m ngf (0‑6,05 m = clastoïdes anthropiques et du Pléistocène supérieur‑Holocène‑Actuel : 6,05 m‑fond = calcaires du Hauterivien supérieur), alimentation par une fissure karstifiée centimétrique. Section en plan circulaire ; margelle constituée par une unique dalle calcaire de grande dimension percée en son centre d’une ouverture de 40 cm de diamètre ; non maçonné à l’intérieur ; puits antique. Il a été entièrement détruit lors de la construction d’habitations.

FIG. 205 – Coupes des puits antiques de Solignac et de Villa Roma (Solignac bas).
dess. G. Fabre/CNRS, J. Pey/musée archéo. de Nîmes
122Pour aborder la question de l’alimentation en eau de ces puits, deux cas doivent être considérés, en fonction de l’aquifère capté, Hauterivien ou Astien. Tous les puits dont le niveau piézométrique se trouve dans les calcaires hauteriviens sont exclusivement alimentés par l’aquifère karstique de la Fontaine de Nîmes. Ils font partie intégrante de son bassin d’alimentation, comme en atteste l’ubiquité de leur faciès hydrochimique bicarbonaté calcique, parfaitement identique à celui des eaux de la Fontaine, ce qui est confirmé par des simulations de pollution par traceurs colorants, effectuées dans différents secteurs couvrant leurs impluvia comme ceux des Terres de Rouvière et du chemin de Russan (Fabre 1980 ; 1987). La faiblesse relative des débits exploitables révélée lors de pompages indique toutefois qu’ils se trouvent dans une zone marginale de celle des grands axes de drainage karstiques. C’est le même cas à Solignac‑Villa Roma, pour les deux puits augustéens étudiés qui captent l’aquifère hauterivien juste en amont de la source, ou même pour les grands puits modernes creusés dans la citadelle (Fabre, Pey 1990 ; 1997). À Solignac‑Villa Roma, le niveau piézométrique en basses eaux se situe respectivement entre 49,85 m ngf et 50,33 m ngf ; à la citadelle, il est respectivement de 52 m ngf pour le puits haut de la place d’armes, et de 51 m ngf pour le puits bas des fossés. Ces valeurs de niveaux appellent quelques remarques. À Solignac‑Villa Roma, les cotes sont inférieures à celle du plan d’eau habituel de La Fontaine situé à 51,10 m ngf ; elles suggèrent fortement l’existence d’un drainage vers le sud, soit dans les calcaires dénivelés et sous couverture, soit dans les formations situées au toit de ceux‑ci, soit mixte. Le puits haut de la citadelle, quant à lui, présente un niveau conforme aux schémas classiques, légèrement plus élevé que celui de la Fontaine, exutoire/trop‑plein principal du système aquifère karstique.
123Les puits évidés dans l’Astien sableux sont en premier lieu directement alimentés par celui‑ci, c’est évident. Mais il apparaît clairement sur le terrain, au droit des coupes qu’ils représentent, qu’ils drainent également en partie les formations hauteriviennes situées en amont, avant leur ennoyage au mur de l’Astien. En effet, il n’existe aucun contact litho‑structural de type barrière étanche entre ces deux formations perméables dans le secteur. Les cotes altimétriques des niveaux piézométriques plaident parfaitement en ce sens ; celles de l’aquifère astien sont d’ailleurs très proches de celles de l’aquifère calcaire, 50,16 m ngf aux Villégiales bas.
124En fonction de ces quelques caractéristiques et de la localisation en bas de colline, dans un contexte somme toute peu urbanisé durant l’Antiquité, on doit être convaincu de la qualité des eaux puisées dans ces ouvrages de petite hydraulique et, de ce fait, de l’intérêt que leur portaient les Gallo‑Romains, puis leurs nombreux successeurs. En toute hypothèse, et malgré l’absence de données plus précises, leur fonction devait être purement locale et privée. Ces puits sont ainsi à rapprocher de ceux, voisins, de Solignac‑Villa Roma qui alimentaient, eux aussi, des habitations d’un quartier installé au contact de la garrigue et de la racine de son piémont, aux marges nord immédiates du noyau central densément urbanisé.
4.2.2 Problèmes de l’existence d’une adduction d’eau
125Par rapport au quartier étudié, la proximité du castellum, aboutissement de l’aqueduc amenant l’eau des sources de l’Eure, près d’Uzès, dans la ville antique, pose inévitablement la question d’une éventuelle adduction des habitats situés au‑dessous de la courbe de niveau qu’occupe cet aménagement, soit 58,94 m ngf au débouché du canal afférent, ou 59,54 ngf si l’on prend en compte le véritable niveau de départ des eaux à la base des tuyaux de plomb –que l’on calcule en ajoutant la hauteur séparant ces tuyaux du fond du bassin (0,60 m). Cette question est d’importance, même si l’on sait qu’il s’agissait d’installations réservées aux classes aisées de la société gallo‑romaine, donc moins fréquentes qu’on le croit généralement, mais qui sont toujours révélatrices de la géographie sociale d’une ville (Leveau 1992 : 261). Seule la fouille des Villégiales permet une approche pratique du problème, en effet les autres sites remplissant les conditions requises pour une adduction (domus de La Marseillaise et Fontaine des Bénédictins) n’ont livré aucun élément qui puisse lui être attribué.
126Parmi les aménagements hydrauliques nombreux et variés mis au jour sur le site des Villégiales et qui seront analysés plus loin, on ne pouvait manquer de remarquer celui constitué par une importante conduite de direction E‑O (CN73) (fig. 206) dont le tracé partageait à peu près en deux la parcelle fouillée (cf. supra § 2.2.2.1, fig. 57). Nous nous intéresserons donc successivement à l’histoire de cette structure (déjà reconnue par ailleurs autrefois), à ses caractéristiques, à sa nature et à son contexte en faisant appel, lorsque cela sera nécessaire, aux données issues des fouilles voisines de La Marseillaise et du castellum.

FIG. 206 – Implantation cadastrale de la canalisation E‑O depuis le castellum jusqu’au chantier des Villégiales. 1‑3 découvertes anciennes.
DAO M. Monteil/Afan
4.2.2.1 Découverte de la canalisation E‑O dite « des Bénédictins »
127Les deux tronçons de canalisation retrouvés sur les chantiers des Villégiales (CN73) et de La Marseillaise appartiennent à un aménagement hydraulique unique, orienté E‑O, dont l’existence était depuis longtemps connue de certains auteurs nîmois. L’intérêt que cet ouvrage suscita est lié à sa position sur la courbe de niveau de l’aqueduc d’Uzès à Nîmes, à une époque où la construction du bastion ouest de la citadelle (1688) avait entraîné l’ensevelissement des vestiges du castellum (fig. 207). Il fut en effet assimilé à l’aqueduc d’Uzès que l’on imaginait alors aboutir dans deux pseudo‑réservoirs dégagés lors des fouilles de 1738 au N‑E de la source de la Fontaine (Ménard 1758 : 70). Ces derniers et l’aqueduc les alimentant se révélèrent être les vestiges d’un théâtre et d’un égout, méprise tenace qui se poursuivit bien au‑delà de la redécouverte du castellum en 1844.

FIG. 207 – Plan général du fort de Nîmes et de l’aqueduc antique.
dess. G. Fabre/CNRS, J. Pey/musée archéo. de Nîmes
128Au xviiie s., l’accroissement des besoins en eau lié à la prospérité et au développement économiques de la cité, qui subissait d’épouvantables sécheresses durant l’été, amena les consuls à proposer aux états du Languedoc une campagne de travaux visant à augmenter le débit de la source de la Fontaine ; plus tard, jusqu’au moment de l’adduction à la ville des eaux du Rhône et à l’exemple de nombreuses autres villes du pays, divers concours furent organisés, à l’initiative de l’académie de Nîmes ou de la municipalité, pour trouver des solutions. Dans ses opuscules consacrés aux moyens de procurer plus d’eau à la ville alors que cette « Question de l’eau » mobilisait tous les esprits, Delon fut le premier à mentionner la canalisation de la rue Poldo‑d’Albenas. Intéressé d’abord par l’aqueduc d’Uzès à Nîmes qu’il disait se trouver sur l’emplacement de la citadelle, il affirmait ensuite qu’« il y a une continuité de cet aqueduc dans la maison du nommé Denis, travailleur de terre, située au‑dessus des fours à chaux qui sont près de la maison des Bénédictins ; que cet aqueduc a dans la maison de Denis quatre pieds six pouces de largeur (1,44 m), et six pieds neuf pouces de hauteur (2,16 m) ; qu’il s’étend, en partant de cette maison, dans la même dimension pendant l’espace de dix sept toises (33 m), qu’il traverse le jardin des Bénédictins et s’étend bien plus loin sur toute la longueur de cette montagne. Que la largeur et la hauteur que les romains donnèrent à cet aqueduc venant de la porte d’Alais dans la maison du nommé Denis, annonce que dans cet endroit il dût être construit par les romains, pour y former un réservoir immense pour alimenter d’eau toute cette partie de l’ancienne ville de Nîmes ».
129Vers la fin du xixe s., les vestiges de cette canalisation étaient toujours visibles et Albin Michel pouvait ainsi dire : « une branche de l’aqueduc romain partant du Castellum de la rue de la Lampèze, traversait la rue des fours‑à‑chaux (actuelle rue Rouget‑de‑Lisle) et se dirigeait vers la Fontaine. Il existe encore en partie et l’on en trouve des vestiges dans les caves de plusieurs maisons » (Michel 1877 : 153). Enfin en 1892, selon les papiers de L. Estève, conservateur du musée archéologique, la canalisation en question fut retrouvée au no 7 de la rue Poldo‑d’Albenas. Aucun doute n’est permis quant à son identification, car l’auteur précisait que cet aménagement, transformé en citerne ou en fosse d’aisances par les habitants du quartier, était voûté et bâti en moellons et surtout qu’il suivait une direction parallèle à la rue (Espérandieu 1934 : 57).
130Enfin, dans le cadre des enquêtes récentes effectuées pour l’établissement de la carte archéologique de la ville, O. Rappaz a déclaré avoir connu l’aménagement de la chambre en T du site de La Marseillaise, avant sa mise au jour par les travaux de démolition. À l’en croire, en effet, celle‑ci aurait servi dans les années 50 de cave à un petit atelier de cordonnier. Il a assuré que, d’une part, on y accédait par une trappe s’ouvrant sur un petit escalier (fig. 214) et que, d’autre part, elle était en parfait état de conservation, avec notamment les dalles de couverture intactes. Ce témoignage confirme bien toutes les observations effectuées par V. Lassalle, comme nous le verrons plus loin.
4.2.2.2 Caractéristiques de la canalisation E‑O
131NB pour les généralités, cf. supra § 2.2.
132Malgré les deux mises au jour effectuées à un quart de siècle d’intervalle, la canalisation E‑O n’est connue, pour l’essentiel, que sur des points particuliers (regards comblés ou en remploi, chambre sur branchement latéral), alors que la plus grande partie de son tracé devait s’apparenter au tronçon retrouvé rue Rouget‑de‑Lisle. À partir des témoignages anciens déjà cités, nous avons avancé l’idée que les deux portions de canalisation reconnues de part et d’autre de la rue Rouget‑de‑Lisle devaient appartenir à un même ouvrage. Plusieurs ressemblances architecturales viennent corroborer cette assertion. Le gabarit de la conduite tout d’abord, dont on ne peut que constater la régularité tout au long du tracé reconnu. On citera également l’existence de regards attestés à l’est de la rue Rouget‑de‑Lisle où on en dénombre deux, mais des restes de maçonnerie au‑dessus du tronçon des Villégiales semblent indiquer l’emplacement d’un troisième. Il en est enfin de même pour le mode de construction et la nature des matériaux employés (fig. 208, 209).

FIG. 208 – La Marseillaise. Vue d’ensemble de la chambre et des canalisations, prise de l’ouest.
cl. V. Lassalle

FIG. 209 – Les Villégiales des Bénédictins. Vue d’une partie du tronçon E‑0 de la canalisation CN73.
cl. X. Belougne/Afan,
133D’est en ouest, en effet, les hauteurs et les largeurs de la canalisation s’établissent ainsi :
– à l’entrée de la chambre larg. 1,44 m/haut. 1,76 m ;
– à la sortie après rétrécissement larg. 1,24 m/haut. 1,82m ;
– dans le sondage sur le chantier des Villégiales (canalisation CN73) larg. 1,19 m/haut. 1,86 m.
134Sur le chantier de La Marseillaise, la conduite était engravée en U dans la roche calcaire (fig. 210) et, en l’absence de radier, ses piédroits reposaient directement sur celle‑ci ou sur des niveaux de sable astien affleurant suivant un horizon discontinu le long du piémont des Garrigues (cf. supra § 1.1). Ainsi, lorsque le ruissellement parvenait à chasser ce sable, les maçonneries des piédroits étaient déchaussées et se trouvaient alors suspendues, phénomène perceptible notamment dans le tronçon de canalisation N‑S (fig. 211) mais aussi sur la canalisation des Villégiales et également dans l’égout de dégagement du castellum (Veyrac, Pène 1992 : 5).

FIG. 210 – La Marseillaise. La conduite engravée en U, prise du S‑O.
cl. V. Lassalle

FIG. 211 – La Marseillaise. Déchaussement sous le piédroit de la canalisation N‑S.
cl. V. Lassalle
135De l’autre côté de la rue Rouget‑de‑Lisle, la conduite (CN73) était implantée en L dans le substrat du coteau qui faisait ici également office de radier pour la circulation des eaux (fig. 209). Ponctuellement, le passage de la canalisation s’effectuait en tunnel ce qui permettait une économie sur les parties maçonnées, comme dans la conduite N‑S à La Marseillaise (cf. infra).
136Sur tout le tracé de cette canalisation, qui a été reconnue de manière discontinue sur environ 56 m, les voûtes étaient en plein cintre et de module sensiblement identique (hauteur maximale du plan de voûte à l’extrados : 0,54 à 0,64 m). En retombant dans certaines parties légèrement en retrait par rapport aux fruits des piédroits, elles délimitaient une petite bordure ayant servi à soutenir des cintres. Enfin, malgré la distance séparant les divers tronçons mis au jour, on constate, en comparant leurs niveaux d’intrados et d’extrados, qu’il existe une constante pour maintenir la canalisation sur une certaine ligne de niveau.
137Partout, les matériaux mis en œuvre étaient de facture très soignée, ils se composaient de classiques petits moellons smillés en pierre de Roquemaillère ou de Barutel liés par un mortier orangé à rouge.
138Enfin, la présence d’une chambre sur le tronçon de La Marseillaise n’est pas sans importance car, si l’on considère que l’eau devait s’écouler au moins ponctuellement dans le sens E‑O, on constate que la conduite s’élargissait en l’abordant de près de 0,22 m (fig. 212, 213). Les deux interprétations possibles que l’on peut donner à la canalisation sud sont celles d’un départ de conduite latérale de délestage ou au contraire d’une arrivée de canal, disposée perpendiculairement. La chambre a donc pu servir, dans le premier cas, à réduire la vitesse de l’eau ou, dans le deuxième cas, à faciliter la réception d’un surplus d’eau. Elle est apparentée dans sa conception aux chambres polygonale et cylindrique qu’on a pu étudier dans la canalisation souterraine ouest de la Fontaine (Veyrac, Pène 1994‑1995).

FIG. 212 – La Marseillaise. En haut : plan de la chambre et de son escalier ; en bas : coupe longitudinale.
DAO M. Monteil/Afan, d’ap. M. Méger

FIG. 213 – La Marseillaise. Proposition de restitution de la chambre et des canalisations.
DAO J.-M. Pène/Culture-SRA Languedoc-Roussillon, d’ap. M. Méger
139De nombreux détails dans la construction de cette chambre font qu’elle paraît inachevée, comme si le projet avait été abandonné en cours de réalisation. L’escalier, qui autrefois permettait de descendre à l’intérieur, ne peut sans doute avoir été construit que postérieurement à la conduite, sinon quelle aurait été l’utilité de prolonger au‑delà de sa cage l’étroit conduit (fig. 214). Bien plus, contrairement à ce qui a pu être dit, il a toute chance d’être moderne car rien dans l’Antiquité ne justifiait son emplacement. En effet, d’une part l’accès à cette partie de la canalisation était tout aussi possible par le premier regard situé 14 m plus à l’est et, d’autre part, on pouvait effectuer de grosses réparations sur la chambre en retirant simplement ses dalles de couverture. La découverte d’une monnaie de Victor Emmanuel 111 sous l’une des marches va également dans le même sens.

FIG. 214 – La Marseillaise. Vue générale de l’escalier construit dans la canalisation N‑S.
cl. V. Lassalle
140Enfin, la conception de la conduite N‑S rappelle celle qui, dans le terrain des Villégiales, forme un angle droit avec la grande canalisation. On y retrouve en effet les mêmes caractéristiques : passage en tunnel sans grande précaution (fig. 59), jonction à angle droit. D’un point de vue architectural, ce fait ne doit pas surprendre. Les ingénieurs romains savaient en effet adapter avec beaucoup de souplesse la construction de leurs conduites au terrain traversé, pour des raisons techniques ou bien économiques. De nombreux aqueducs, dont celui d’Uzès à Nîmes, en témoignent. Sur un tronçon de l’aqueduc de Pouzzoles, par exemple, Ch. Dubois constate : « Cette section présente de grandes négligences et grossièretés d’exécution. Le canal, tordu et bosselé, décrit les courbes les plus irrégulières ; la hauteur varie de 1,40 m à 2,30 m, la largeur de 0,40 m à 0,60 m. L’aspect barbare du travail porterait à croire que cette section de l’aqueduc n’est pas l’œuvre de ceux qui ont construit les autres parties » (Dubois 1907 : 272).
141Le fait que les murs bajoyers de cette conduite ne soient pas bâtis jusqu’au niveau des dalles de couverture ainsi que la faible profondeur d’ensevelissement (0,50 m) de celles‑ci semblent exclure qu’il ait pu exister un passage charretier à cet endroit ; ce que paraît également indiquer l’absence d’ornières (contrairement aux voies des Hespérides). On pourrait donc restituer ici une rue ou ruelle réservée aux piétons qui devait débuter par un petit escalier afin de rattraper la différence de niveau engendrée par les dalles de la chambre. Les exemples de ruelles ou d’impasses réservées aux piétons sont très répandus dans le monde romain, et même encore de nos jours dans les quartiers des villes méditerranéennes installées en terrain pentu (à Nîmes, la rue de la Poudrière en constitue une illustration contemporaine).
4.2.2.3 Fonction de la canalisation E‑O
142Pour déterminer la nature de la canalisation E‑O des Bénédictins, il convient d’examiner tous les critères qui pourraient participer à son identification, en gardant toujours présent à l’esprit que la réflexion est limitée par une vision très partielle de cet aménagement hydraulique. L’hypothèse d’un aqueduc doit être rejetée d’emblée puisque les deux conditions indispensables au bon fonctionnement d’une telle structure, la présence d’un radier et celle d’un revêtement étanche sur les parois, ne sont pas remplies.
143Peut‑il s’agir d’un égout ? En principe, ceux‑ci se caractérisent par de nombreuses arrivées latérales plus ou moins importantes. Ici, sur la distance reconnue, certes réduite, on n’en observe qu’une seule et encore est‑elle mal disposée puisqu’elle se raccorde à angle droit. Dans les égouts de la Maison carrée ou dans celui de la place d’Assas, leur nombre est important, leur espacement variable (dans tous les cas inférieur à 10 m, mais on peut penser que cela devait dépendre évidemment de la densité des bâtiments à desservir) et ils aboutissent généralement dans la voûte ou les parois. L’absence de radier dans les égouts a été déjà constatée à Nîmes, à l’îlot Grill (Duflot et al. 1994), au chantier du palais de Justice (Dedet et al. 1981 : 153, fig. 14) ou bien encore sur celui de la clinique Saint‑Joseph (Genty, Roux 1982 : 197) ; le fond de la canalisation est alors engravé dans le substrat. Cet usage est semble‑t‑il peu répandu dans le monde romain en général – dans la mesure où les fouilleurs l’on signalé – et ne concerne apparemment que des conduites proches de la surface du sol. À l’inverse, le grand collecteur de la place d’Assas, qui possède pourtant un radier, a été extérieurement rendu étanche par une couche d’argile afin, vraisemblablement, d’éviter sa mise en charge par les infiltrations de la nappe phréatique. Parfois, enfin, des égouts sont intérieurement revêtus d’un enduit hydraulique, ce qui peut amener à les confondre avec les aqueducs. L’usage d’un tel revêtement semble spécifique à chaque site : à Vaison‑la‑Romaine, pour un petit égout affecté à l’émissaire des latrines au nord de la maison des Messii ou, à Rome, pour un autre plus important, de la Vigna Barberini au Palatin (fouilles dirigées par F. Villedieu). On a semble‑t‑il voulu ainsi éviter, en fonction de l’environnement immédiat, les infiltrations et faciliter les travaux d’entretien. Ce souci d’éviter la dispersion de rejets polluants se retrouve également dans une fullonica de Canossa dont un des tuyaux servant à l’évacuation des eaux usées était muni d’un filtre amovible qui arrêtait au passage les impuretés les plus grosses (Malissard 1994 : 44). À Alba, où le même type de revêtement se retrouve notamment dans le secteur de l’aire A (fouilles de J. Dupraz), nous y voyons la conséquence de l’état d’un sous‑sol souvent gorgé d’eau dont on a voulu s’isoler.
144Ainsi, dans ce quartier des Bénédictins aux sols perméables, on est en droit de penser que si les canalisations étudiées étaient dépourvues de radier et conçues selon une faible pente apparente, il s’agissait plutôt de favoriser les infiltrations que les écoulements rapides. Nous ne disposons, à la vérité, pour le calcul de cette pente, que des mesures effectuées sur l’extrados ou l’intrados de la voûte du tronçon du chantier de La Marseillaise, et la démonstration suppose donc que le plan d’écoulement des eaux soit parallèle à celle‑ci comme on le constate généralement sur d’autres canalisations. D’est en ouest, sur une distance d’environ 24 m, l’extrados de la voûte passe de 61,11 à 60,97 m ngf, ce qui correspond à une pente moyenne de 0,0058 m/m soit 0,5 %, valeur relativement faible comparée aux normes modernes qui fixent pour les égouts à 0,002 m/m soit 0,2 % la limite minimale de pente pour des maxima atteignant 0,04 m/m soit 4 %.
145Enfin, à intervalle moyen de 124 m, on constate la présence de regards pour faciliter la parfaite maintenance de l’ouvrage comme sur tous les égouts ou aqueducs voûtés de l’époque romaine. Si l’on en croit les sources antiques, l’implantation de ces regards devait en effet s’effectuer à intervalles réguliers, c’est‑à‑dire tous les 120 pieds (35 m) selon Vitruve ou bien tous les 240 pieds (70 m) selon Pline. La réalité archéologique est toute autre et nous n’avons jamais observé sur les égouts ou sur l’aqueduc de Nîmes une répartition de regards correspondant à ces deux normes. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une exception puisque de nombreuses villes antiques sont dans ce cas (à Bougie, tous les 48 m ; à Boulogne tous les 250 m). En définitive, il ne semble pas qu’une règle ait été suivie en la matière et les intervalles entre regards varient en fonction des tronçons auxquels ils appartiennent : on remarque en effet qu’ils étaient plus réduits dans les parcours sinueux que dans ceux rectilignes (Leveau 1991 : 225).
146A l’évidence, toutes ces constatations rendent peu probable l’interprétation comme étant un simple égout de la canalisation E‑O. Il reste donc deux hypothèses.
147Il pourrait s’agir d’une canalisation qui, disposée suivant une courbe de niveau, était conçue pour drainer les terrains en pente. Pour bien comprendre ce rôle, il faut l’imaginer comme faisant partie d’un système formé de canalisations semblables, régulièrement étagées sur les pentes de la colline et reliées entre elles par de multiples tronçons verticaux. La présence de tels « égouts de palier » a été observée à Solignac‑Villa Roma, mais ceux‑ci étaient d’un plus faible gabarit. Cette option présenterait l’avantage d’expliquer l’irrégularité de la pente, le peu d’arrivées latérales, l’absence de radier. On doit toutefois s’interroger sur l’absence, mis à part les pseudo‑trous de boulins de la chambre en T sur lesquels nous ne possédons que peu d’information, de barbacanes disposées dans les murs de la conduite pour y amener les eaux d’infiltrations, sans que ce soit pour autant un élément indispensable à ce type de dispositif. En effet, il est aisé localement de rapprocher ce type de construction du drain romain de l’étang de Clausonne (Fiches 1991 : 89, fig. 58) près du village de Sernhac qui est, lui aussi, de dimensions assez comparables et dépourvu de radier et de barbacanes. Les eaux peuvent s’introduire dans les canalisations par simple infiltration. Le phénomène a été constaté au siècle dernier sur le parcours de l’aqueduc d’Uzès au pont du Gard dont certains tronçons fournissaient, grâce à des puits à roue, de l’eau à profusion malgré la détérioration générale de l’ensemble du monument. L’exemple type d’aménagement hydraulique conçu pour le drainage des eaux est celui situé à Alba (Ardèche) : les radiers sont là aussi absents (Leglay, Tourrenc 1970 : 158‑175) ; on cite également l’exemple de Pontcharra‑sur‑Turdine (Leglay 1971 : 421).
148La découverte, en différents points (tronçons E‑O et N‑S) de la canalisation du terrain des Villégiales (CN73), de fragments de concrétionnement déposés autrefois dans des tuyaux de plomb constitue une donnée qui permet de prendre en compte une deuxième hypothèse assimilant la conduite étudiée à une véritable galerie technique. La présence de tuyaux de plomb dans la canalisation est un fait incontestable. Comme au castellum tout proche, la récupération du précieux métal a vraisemblablement été effectuée sur place pour éviter des manutentions trop importantes ; et c’est manifestement une partie des rebuts de ce travail de spoliation que nous avons aujourd’hui sous les yeux. Si V. Lassalle n’a pas fait de semblables découvertes dans la chambre qu’il a explorée, c’est en raison de l’aménagement de celle‑ci en cave au cours de l’époque moderne, opération qui a entraîné la disparition de la totalité des déblais antiques (cf. supra § 2.1).
149L’étude minutieuse des fragments de concrétions les mieux conservés montre que les tuyaux appartenaient essentiellement à deux modules différents. Ces concrétions, dont nous avons pu mener l’étude grâce à l’assentiment et l’aide amicale de L. Sauvage, constituent un bel ensemble de plusieurs dizaines de kilogrammes, conservé au centre de documentation archéologique du Gard. Les mesures ont été faites d’après les profils relevés avec un conformateur ; pour plus de commodité, on a admis que la forme des tuyaux d’origine était circulaire alors qu’en réalité ils paraissent plus souvent ovoïdes. Sur le tronçon E‑O, les 7 diamètres que l’on a pu restituer sont : no 1 = 0,18 m ; 0,24 m < no 2 < 0,26 m ; 0,28 m < nos 3 à 7 < 0,30 m. Tous les échantillons de ce secteur proviennent de la base du comblement (US 5003). Sur le tronçon N‑S, les 8 diamètres mesurés sont les suivants : 0,23 m < nos 1 à 3 < 0,26 m ; 0,28 m < nos 4 à 8 < 0,30 m. Il faut noter, qu’au départ du castellum, les tuyaux de répartition avaient, selon la méthode utilisée ici, un diamètre moyen d’environ 0,25 m. Enfin, contrairement à ce qui a été souvent écrit, les diamètres des tuyaux romains ne se limitent pas à 0,20 m (Bedon et al. 1988 : 284), mais atteignaient selon Vitruve 0,56 m (Bonnin 1984 : 161‑162), voire 0,65 m selon Frontin. En ce qui concerne la Narbonnaise, il existe dans la collection de tuyaux du musée de Vienne un exemplaire dont le diamètre intérieur est de 0,62 m (Cochet, Hansen 1986 : 59‑61). À Rome, on a retrouvé, via Cassia, un tuyau de trois palmes de large (0,66 m) et de 0,018 m d’épaisseur (Lanciani 1881 : 465). L’examen des niveaux du radier de la canalisation E‑O (fig. 215), comparés à celui du départ des tuyaux du castellum tout proche, montre par ailleurs que ces derniers pouvaient sans aucune difficulté en provenir. La conduite à couverture dallée et piédroits maçonnés, qui forme dans sa partie N‑S la canalisation CN73, avait ainsi une profondeur permettant le passage d’au moins deux tuyaux de 0,30 m de diamètre.

FIG. 215 – Comparaison des différents niveaux de circulation d’eau dans les conduites principales du quartier. 1 Les Villégiales, canalisation N‑S CN73 ; 2 Les Villégiales, canalisation E‑0 CN73 ; 3 La Marseillaise, canalisation E‑O ; 4 La Marseillaise, canalisation N‑S ; 5 le castellum, égout de dégagement.
DAO J.-M. Pène/Culture-SRA Languedoc-Roussillon
150La notion de galerie technique, au sens de conduite construite pour protéger certaines installations et se prêtant en même temps à la visite d’équipes de maintenance, est une réalité dans le monde antique. Ainsi que nous l’apprend une inscription de Venouse (CIL, X, 4842), la pose de tuyaux de plomb était strictement limitée par la loi, laquelle prescrivait généralement que celle‑ci s’effectue sous les routes et sous les chemins du domaine public (Michon 1877‑1919 : 1149). Dans le cas contraire, l’autorisation du propriétaire des terrains concernés s’imposait. L’habitude d’intervenir régulièrement au même endroit pour réparer une canalisation, la remplacer ou encore la doubler a dû rapidement amener les ingénieurs romains à concevoir la construction d’espaces facilitant la réalisation de ces entreprises tout en réduisant les coûts et la gêne occasionnés. Au siècle dernier, dans le cadre de ses travaux sur Rome, R. Lanciani croyait à l’existence, au moins sous les voies principales, de ces galeries souterraines destinées à contenir des tuyaux de plomb. Il considérait celles‑ci comme plutôt rares et les exemples qu’il en donnait ont été souvent jugés peu convaincants par ses contemporains. À la même époque, C. Germain de Montauzan faisait remarquer que le terme de spatia (« Longa ac diverta sunt spatia, per quae fistulae tota meant Urbe, latente sub silice » : « il y a un peu partout de longues distances sur lesquelles les tuyaux cheminent, dans toute la ville, cachés sous la pierre ») employé par Frontin, très distinctement de celui désignant un égout circulant sous la chaussée (Frontin, Grimal 1961 : 55), aurait pu désigner de telles structures (Germain de Montauzan 1897 : 355).
151En ce qui concerne Nîmes, A. Pelet, sans préciser ses sources, se montrait convaincu que les Romains avaient construit des galeries techniques et il en identifiait deux dans l’épaisseur des maçonneries de la façade du temple de Diane (Pelet 1851‑1852 : 136, note 1 ; 1863 : 96). Les travaux récents sur les aménagements hydrauliques nîmois ont permis, ces dernières années, de reconnaître au moins l’une d’entre elles dans les conduites sillonnant le sous‑sol de l’Augusteum : il s’agit de la canalisation souterraine ouest qui constituait l’un des exutoires du bassin de la source et renfermait au moins un tuyau de 0,16 m de diamètre destiné à alimenter les quartiers bas de la ville (Veyrac, Pène 1994‑1995). D’autres exemples sont aujourd’hui connus en Gaule, comme la galerie G de la citerne Berelle à Lyon (Burdy 1979 : 269) ou encore la conduite ménagée sous un trottoir de Saint‑Romain‑en‑Gal, sur le radier de laquelle reposaient les tuyaux de plomb (Leglay 1971 : 421) et qui, selon les fouilleurs, ne servait pas d’égout mais était destinée à « recevoir et évacuer les eaux d’infiltration menées par les pluies et les crues du Rhône » et constituait « un des moyens de lutte contre l’humidité du sous‑sol imaginé par les architectes viennois ».
152Hors de la Gaule, de nombreux sites doivent également comporter des structures semblables mais leur identification est difficile en raison de la disparition systématique des conduites de plomb. On connaît ainsi un plus grand nombre de galeries techniques dans lesquelles sont aménagées de simples cunettes en lieu et place des tuyaux. Tel est le cas notamment en Espagne sur le captage de l’aqueduc de la ville de Ségobriga (Biernacka‑Lubanska 1989 : 39), à Pouzolles (Dubois 1907 : 282) ou bien encore à Sousse sur la conduite de l’oued Kharroub (Gauckler 1901 : 306).
153En définitive, on constate que le recours à la galerie technique n’a pas tout le temps été adopté, vraisemblablement à cause du coût initial élevé qui devait n’apparaître qu’après coup comme un bon investissement. Le plus souvent, les tuyaux, même de fort diamètre, étaient enterrés ou bien enfermés dans des gaines en maçonnerie sans que l’on puisse préciser entre les deux usages lequel dominait. Les tuyaux de Pompéi étaient enterrés à environ 0,65 m de profondeur, ce qui les protégeait des atteintes extérieures et leur assurait une parfaite isolation thermique (Adam 1986 : 79‑82). Leur diamètre pouvait être important puisqu’on en a retrouvé au fond de tranchées à Saint‑Bertrand‑de‑Comminges et à Ostie mesurant respectivement 0,20 et 0,30 m. À Nîmes, on a reconnu, au cours de fouilles du xviiie s. effectuées à la Fontaine, de nombreux canaux de pierre ayant contenu des tuyauteries (Ménard 1758 : 69) et il existait un système semblable pour les canalisations dérivant du castellum. Cette façon de protéger les tuyaux dans des structures maçonnées semble assez courante et l’on en recense des exemples un peu partout, comme à Balaruc‑les‑Bains (Bonnet 1905 : 158) dont le territoire dépendait de Nîmes, ainsi qu’a Lucus Feroniae (Eck 1991 : 64) ou encore à Cuicul (Allais 1930 : 105).
154Sur le site des Villégiales, selon l’hypothèse la plus vraisemblable, les tuyaux de plomb contenus dans la conduite E‑O tournaient ensuite à 90° pour suivre la voie N‑S. D’un point de vue purement technique, un changement si brutal de direction a forcément dû poser problème, si l’on tient compte de la forme en coude à donner aux tuyaux et des fortes pressions qui, par voie de conséquence, s’exerçaient à cet endroit. Nous savons en effet qu’à cette époque, on maîtrisait mal la torsion des tuyaux en général et plus particulièrement pour les gros gabarits. Lorsqu’on voulait faire tourner selon un angle très fermé des canalisations de plomb tout en réduisant la pression, comme on a dû chercher à le faire ici, il ne restait que la solution de construire une solide petite chambre maçonnée à l’emplacement du changement de direction (Germain de Montauzan 1897 : 354‑355). En raison des éboulements qui s’étaient produits à cet endroit, les observations archéologiques permettant de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse n’ont pu avoir lieu, mais celle‑ci reste cependant la seule réellement possible.
155Après cette chambre, restituée au niveau de la domus B, la paroi ouest de la conduite en tranchée N‑S, destinée à contenir les tuyaux venant de la galerie technique CN73, bifurque à 60° environ en direction de l’égout de la voie. Ce changement de direction pourrait marquer le passage d’un tuyau à travers l’égout pour aller alimenter une autre partie du quartier, mais en l’absence de fouille, on peut également imaginer que c’était simplement un dispositif destiné à verser dans l’égout les eaux drainées par la tranchée (fig. 216). Enfin, selon une hypothèse chère aux érudits du xixe s., on peut supposer qu’un tuyau au moins de la conduite N‑S a pu servir à alimenter les aménagements hydrauliques de la plaine.

FIG. 216 – Les Villégiales des Bénédictins. Vue du tronçon N‑S de la galerie CN73 avec, au premier plan, la bifurcation dans l’égout dallé et, au fond, l’exutoire profitant d’une cavité naturelle.
cl. X. Belougne/Afan
156Si, à l’exemple de Pompéi ou de Cuicul, les conduites principales se trouvaient en bordure ou sous les artères de la cité (Eschebach 1979 : 79 ; Larsen 1982 : 49), on pourrait logiquement en déduire qu’une voie prenait place du castellum à la rue Rouget‑de‑Lisle, ce que justifierait la présence d’un escalier destiné à la relier à la ruelle N‑S mais également expliquerait la couverture de dalles de la chambre reconnue à La Marseillaise. On peut en effet penser que cette dernière était de même nature que la surface de roulement qui constituait autrefois cette voie, si l’on admet sa restitution. Par ailleurs, on sait qu’en 1909, à quelques dizaines de mètres de là, à l’intersection des rues Poldo‑d’Albenas et Ménard, F. Mazauric a également observé de grandes dalles appartenant selon lui à une voie de direction N‑O/S‑E et correspondant sans nul doute à un axe secondaire venant se raccorder sur la rue E‑O plus importante (fig. 217).

FIG. 217 – Plan des découvertes de F. Mazauric aux abords du castellum.
cl. V. Lassalle
157Ainsi on a pu aménager, à proximité d’un castellum d’où sortaient dix imposants tuyaux de distribution d’eau et leurs ramifications secondaires, une ou plusieurs galeries destinées à les protéger et à faciliter leur entretien ; celles‑ci étaient d’ailleurs effectivement présentes au départ du castellum mais, en raison de leur hauteur utile réduite, elles ne pouvaient constituer dans cette partie initiale que des conduits techniques non visitables.
158Au‑delà des deux hypothèses distinctes formulées, il apparaît cependant vraisemblable que la conduite E‑O a été une structure mixte servant à la fois à drainer le quartier et de galerie technique pour loger des tuyaux de plomb.
159Enfin, on signalera que le tracé de l’égout de dégagement du castellum –reconnu sur 15 m en 1844 par M. Carbonnel (Pelet 1846 : 63‑65), puis à nouveau observé en 1909 par F. Mazauric sous le carrefour des rues d’Albenas et Ménard (Blétry‑Sébé, Veyrac 1991 : 129‑132)– se trouve dans l’alignement des tronçons de conduites étudiés ici. Cette même orientation, ajoutée à de fortes ressemblances dans les techniques de construction de ces structures, a laissé penser, avant d’effectuer une fouille sur le monument, qu’il s’agissait d’un même ouvrage. Néanmoins, malgré la distance qui les sépare, la comparaison des niveaux de radier (fig. 215) indique que c’est l’égout de dégagement qui est implanté le plus profondément. Il faudrait donc que son niveau de radier s’élève en allant vers l’ouest pour rattraper celui du tronçon de La Marseillaise, ce qui est inconcevable pour une conduite destinée avant tout à servir d’exutoire au castellum. Selon toute probabilité, elle devait en fait, après le carrefour où on l’a repérée, se diriger vers la ville basse.
4.2.3 Les eaux zénithales
4.2.3.1 La récupération des eaux
160Dans un bilan sur les ressources en eau effectué en 1991 (Blétry‑Sébé, Veyrac 1991 : 123), nous faisions remarquer l’absence à Nîmes de citernes alimentées par les eaux pluviales. Avec le développement des fouilles urbaines, notamment hors de l’aire de distribution possible par l’aqueduc, c’est‑à‑dire dans des terrains en forte pente où le recours aux puits est plus difficile, on aurait pu croire que de telles découvertes allaient se multiplier. Pourtant, peu d’éléments nouveaux sont intervenus pour modifier sensiblement l’état de la documentation. En effet, mis à part un pseudo‑réservoir découvert dans une domus du chantier de Solignac‑Villa Roma dont la capacité ne dépasse pas celle d’un bassin, on n’a pas pu mettre en évidence d’impluvium ou de descentes d’eaux pluviales reliés à une citerne ou à un puits ; cette technique, largement attestée en Tunisie par exemple (observations personnelles), a rarement été signalée en Narbonnaise, si ce n’est tout récemment à Orange (information inédite). En définitive, seul le creusement reconnu sous le bassin BAI du site des Villégiales pourrait être interprété comme étant une citerne (SB96). Malheureusement, l’absence de fouille en profondeur rend la vérification de cette hypothèse impossible.
161En revanche, la présence de conduits verticaux pour la collecte des eaux zénithales est attestée par l’archéologie nîmoise, et on en devine la présence sur le site des Hespérides. Les canalisations CN154 et CN133, qui prennent naissance dans l’angle d’un espace intérieur (cour), ne sont que le prolongement de telles structures dont ils évacuent le produit vers les égouts (fig. 218). L’implantation, dans un deuxième temps, de la canalisation CN154 se justifie par l’existence d’une nouvelle toiture correspondant à la création de l’espace 12. L’aménagement BA98 (fig. 219) n’est, quant à lui, qu’une variante bien connue des dispositifs de réception des eaux zénithales tels qu’on peut en voir notamment en Afrique du Nord. Dans cette contrée, le tuyau de descente est assujetti dans un bloc monolithe en pierre, de forme cubique, formant une petite chambre d’où repart à angle droit un deuxième tuyau de terre cuite. La structure BA98 est rendue aussi étanche que le bloc de pierre d’Afrique par l’adjonction d’un béton hydraulique avec solin sur le fond et les parois. La différence entre les deux dispositifs réside dans le fait que l’eau n’est pas ici recueillie dans des citernes mais rejetée vers les égouts. Cette constatation, qu’il est possible également de faire sur d’autres sites de la Gaule notamment à Narbonne (Sabrié et al. 1987 : 87), est révélatrice du peu d’importance accordée aux eaux zénithales pour l’approvisionnement en eau potable. Un tel désintérêt suppose, en principe, la suffisance d’un autre type d’approvisionnement (proximité d’un point d’eau ou plus généralement développement d’une adduction).

FIG. 218 – Les Hespérides. Plan de détail des égouts secondaires CN154 et CN69 de l’espace 11.
dess. et cl. H. Pomarèdes/Afan

FIG. 219 – Les Hespérides. L’aménagement hydraulique BA98.
dess. et cl. H. Pomarèdes/Afan
4.2.3.2 Les bassins des domus du quartier
162Au moins deux des bassins retrouvés dans le quartier pourraient avoir joué un rôle d’impluvium, même si l’espace auquel ils appartiennent n’est pas, selon le schéma de l’architecture domestique italique, assimilable à un atrium. Ces structures incomplètes et mal conservées sont la preuve évidente de l’omniprésence de l’eau dans les habitations de la ville antique, une eau destinée ici non point à être bue mais à être vue et/ou entendue et qui devait conserver une certaine fraîcheur aux intérieurs. L’alimentation de ces bassins d’agrément et la reconstitution de leur environnement immédiat sont problématiques en raison de l’arasement général des vestiges mis au jour, et nous en sommes, une fois de plus, réduits à conjecturer.
163Le bassin rectangulaire à exèdre de la domus de La Fontaine des Bénédictins a été reconnu sur une longueur de 2,30 m pour une profondeur conservée d’environ 0,50 m, il constitue donc un aménagement hydraulique assez conséquent pour une demeure dont la taille est apparue « petite » aux fouilleurs. Orienté grossièrement E‑O, il indique le sens dans lequel la domus pouvait s’étendre tandis que la position de l’exèdre renseigne sur l’endroit où s’effectuait l’entrée sur l’espace dont il semble occuper une place privilégiée. À juste titre, on le comparera à l’impluvium (1,40 x 0,95 m) mis au jour dans la domus 8 du site de Solignac‑Villa Roma (Piskorz 1993 : 65 ; Célié et al. 1996) ou encore, en plus grand, dans la maison de Pansa à Pompéi (Breton 1855 : 192). Le fond est constitué classiquement d’une épaisseur de mortier de chaux posée sur un hérisson. Le dispositif des deux canalisations (US 8004 et 8015) aménagées dans le sens de la pente semble prévu pour vider le bassin ; ce qui, en fonction de l’importante largeur (0,50 m) de la seule canalisation vraiment reconnue, paraît surdimensionné, une seule suffisant pour la vidange, l’autre servant éventuellement de surverse en direction des égouts. On connaît à Pompéi quelques bassins d’impluvium dont les eaux n’aboutissent pas dans une citerne placée juste au‑dessous, mais vers une autre située latéralement.
164Si on retient l’hypothèse que le sol bétonné de la galerie du péristyle venait mourir sur les côtés du bassin, celui‑ci aurait alors servi d’impluvium, toutes les eaux pluviales s’y déversant naturellement. Par contre, s’il existait une bande de terre à nu pour circuler autour de ce même bassin, les eaux de pluies auraient dû être canalisées par des tuyaux de descente et des caniveaux à la surface du sol dont on n’a pas retrouvé la trace.
165Il est possible qu’à l’origine, le bassin fût orné d’une petite fontaine dont une adduction assurait le fonctionnement. L’altitude à laquelle se situe la domus par rapport au castellum permet théoriquement d’envisager l’existence d’un branchement sur les eaux fournies par celui‑ci, mais l’absence de preuves archéologiques rend vaine la recherche dans cette direction.
166En raison des simples dégagements rapides, suivis d’observations, qui ont été réalisés sur la domus de La Marseillaise, nous ne possédons que peu d’informations sur ses aménagements hydrauliques. Toutefois, selon V. Lassalle, on aurait reconnu une dépression au centre de la pièce A, laquelle, par sa position, pourrait correspondre à l’emplacement d’un bassin encore bordé par les dalles d’un stylobate. Les éléments constituant ce bassin ayant été systématiquement récupérés, on ne peut presque rien en dire sinon qu’ils devaient être en bel appareil et que l’ensemble avait une emprise hors tout de 4 x 4 m environ, ce qui suppose une structure assez imposante. Malgré sa position privilégiée, immédiatement au sud du castellum, la domus de La Marseillaise apparaît au travers de ses éléments décoratifs beaucoup plus modeste que la précédente et il est donc, pour des raisons déjà évoquées précédemment, vraisemblable qu’elle ne bénéficiait pas non plus d’une adduction directe.
167Un troisième bassin, d’un caractère ornemental évident, avec sa forme hexagonale, a été mis au jour sur le chantier des Villégiales (BA1, dans la zone C6). La forme en polygone régulier est très répandue dans le monde romain. On en retrouve de ce type, avec quelques variations dans la décoration, à Balaruc‑les‑Bains, à Saint‑Émilion (Leglay 1971 : 345), au sanctuaire des eaux de la Hillère en Haute‑Garonne (Fouet 1972 : 95‑100) mais aussi à Rome sur le site de la Villa Hadriana ou bien encore à Banassa au Maroc (Chatelain 1935 : 68), pour ne nous en tenir qu’à ces quelques exemples. Dans tous les cas, il s’agissait de bassins d’agrément dont la forme avait une valeur symbolique certaine (Fouet 1970 : 172‑175). Réalisé dans la seconde phase d’occupation du site, le bassin des Villégiales (fig. 76) décorait peut‑être un jardin, ainsi qu’on peut le déduire de la découverte dans ses parages de deux dolia, l’un tronqué (DL12), l’autre presque entièrement détruit (DL11), qui faisaient office de réserve d’eau ; on constate la même disposition de ces éléments dans plusieurs jardins de Pompéi (Jashemski 1979 : 174 et fig. 259, 196 et fig. 290, 286 et fig. 432). Ce bassin, qui d’un angle à un autre mesurait 2,20 m avec des côtés d’une longueur de 1,25 m, avait des parois (haut. 0,40 m) construites de manière assez grossière, en pierres liées au mortier. 11 était revêtu intérieurement d’une couche de béton hydraulique qui formait, à la jonction des parois et du fond, un solin destiné à renforcer l’étanchéité sur ce point vulnérable. Enfin, l’ensemble de cet aménagement était fondé sur un hérisson de pierres reposant sur des dalles calcaires condamnant l’orifice d’une probable citerne (SB96) d’époque antérieure.
168Immédiatement à l’ouest de ces vestiges, au droit de la voie dallée N‑S, il a été mis au jour une tranchée rectiligne dans laquelle était implantée une canalisation (CN58). En raison de la présence sous le bassin d’une citerne appartenant vraisemblablement à un état antérieur et condamnée par son implantation, il est difficile de dire à laquelle de ces deux structures –bassin ou citerne– cette conduite pouvait se rattacher pour évacuer le trop‑plein vers l’égout sous voie. En revanche, ce nouvel élément est très intéressant pour savoir si les aménagements hydrauliques de la domus étudiée bénéficiaient d’une adduction sur le réseau de grosses conduites passant dans le quartier. Pour n’en plus boire l’eau, on ne condamnait sans doute une citerne –alimentée vraisemblablement par les eaux zénithales et pouvant toujours servir, vu son emplacement, à l’irrigation d’un jardin– que si l’on savait disposer par ailleurs d’une quantité d’eau plus importante. Le propriétaire de cette maison devait d’autant plus compter sur une adduction qu’il n’a pas hésité à remplacer une source d’approvisionnement (SB96) par un aménagement consommateur (BAI). Enfin, il est concevable que les grandes dimensions de ce bassin et son originalité étaient en corrélation avec celles de la maison qu’il décorait et le rang social de son propriétaire.
169Plus à l’ouest, de l’autre côté de la voie, il n’est pas impossible que l’habitat, reconnu malheureusement sur une trop faible superficie, ait été également doté d’une adduction.
4.2.4 Drainage des eaux d’écoulement et des eaux usées dans le quartier
170Malgré la distance qui les sépare, l’ensemble des sites étudiés présentent une caractéristique commune : ils sont tous implantés sur des terrains à moyenne ou forte pente. Ceci a notamment eu des conséquences sur l’architecture ou encore sur la structure des voies : les maisons sont construites en effet tout en longueur et le réseau de voirie est en majorité pavé pour supprimer les risques de dérapage. De la même façon, il est vraisemblable, comme nous avons déjà pu le montrer pour la canalisation E‑O de La Marseillaise et des Villégiales, que les solutions adoptées en matière de drainage des eaux usées et de ruissellement sont ici originales. Avant les fouilles de Villa Roma en 1991‑92, c’est dans les vestiges mis au jour dans ce quartier que l’on pouvait espérer trouver les témoignages des techniques hydrauliques mises en œuvre par les ingénieurs romains sur les terrains en pente. Aujourd’hui, l’ensemble de ces recherches portant sur des sites à topographie similaire a aidé à formuler des hypothèses satisfaisantes, car eu égard aux surfaces mises au jour sur l’ensemble du quartier des Bénédictins, il aurait été objectivement difficile de vouloir tout envisager du sujet.
171En région méditerranéenne, le drainage des eaux de ruissellement a toujours constitué un important problème technique en raison des violents orages qui s’abattent régulièrement en été et en automne. Dans la zone concernée, qui était semble‑t‑il essentiellement couverte d’habitats présentant une majorité de sols en terre (cour et jardin) et desservie par des voies pavées, il est probable qu’une grande partie des eaux pluviales disparaissait par simple infiltration. Pour les autres, il existait un réseau plus ou moins dense de petites canalisations faites le plus souvent de parois en petits moellons de calcaire avec un fond dallé (Hespérides : CN69) ou formé de tegulae assemblées (Hespérides : CN68 et CN64), le tout étant recouvert de pierres plates irrégulières. Lors de violents orages, ces canalisations devaient facilement être saturées, provoquant un retour des ruissellements de surface ainsi que l’on peut le déduire de la présence d’un gros solin, à enduit hydrofuge (Hespérides : SB113), plaqué contre le mur 24 de l’espace 13 et destiné à éviter les infiltrations dans l’espace 14, ce qui implique que cette dernière pièce avait une certaine importance. Une structure de même type, mais plus importante, a été repérée le long d’une ruelle sur le chantier de Villa Roma où elle isolait de l’humidité un habitat en terrasse situé immédiatement en contrebas. Cette façon de se prémunir des infiltrations est très ancienne : on en trouve une application dès l’époque punique, notamment sur le site de Carthage. Le long de la rue II du secteur G iii 7‑11, les houilleurs ont mis au jour, en 1976, un solin à revêtement hydrofuge de même aspect que ceux rencontrés à Nîmes (Lancel, Thuillier 1979 : 193, fig. 11).
172Les réseaux qui acheminaient en temps normal les eaux usées étaient généralement assainis par celles recueillies sur les toitures. Leur distribution obéissait, comme de nos jours, à des règles qui peuvent parfois permettre l’identification de certains espaces. On constate en effet, notamment dans les secteurs 7 et 11 des Hespérides, que, pour des raisons évidentes liées à leur entretien, leur présence se limitait essentiellement aux aires ouvertes, qu’il s’agisse de passage, de cour ou bien encore de jardin. Il semble que ce soit sous l’une d’entre elles (jardin ?) que la majorité du réseau de canalisations des Villégiales s’est développé.
173L’originalité de ce dernier vient du fait qu’il recevait apparemment en guise d’assainissement la surverse des eaux recueillies dans une petite structure (SB98) de forme trapézoïdale (1,02 à 1,15 m de large pour 1,66 à 1,85 m de long), assez profonde (1,70 m) et dont les parois, construites en petits moellons liés au mortier et faiblement concrétionnées, servaient d’appui à une épaisse dalle (0,20 m) aujourd’hui partiellement brisée (fig. 220). La forme de son exutoire (CN95), surélevé par rapport au fond (fig. 221), au départ très large puis qui se rétrécit, l’existence de rigoles simplement creusées dans un terrain la surplombant vers le nord, le fait que cette structure n’ait pas de fond maçonné et qu’elle soit isolée dans un recoin d’un espace, peut‑être ouvert, sont autant d’éléments qui font penser qu’il pourrait s’agir d’un puisard destiné à recueillir les eaux de ruissellement provenant d’une terrasse supérieure. Ce type d’aménagement hydraulique difficilement identifiable est cependant attesté dans la plupart des civilisations antiques du bassin méditerranéen (Bedon et al. 1988 : 308). Lors de l’étude du réseau de conduites préromaines mises au jour sur l’emplacement du forum nîmois (fouilles dirigées par Marc Célié), nous avons été amené à en étudier un de très petites dimensions qui était construit en pierres sèches. À l’origine, la construction des Villégiales, qui ressemble à une petite citerne sans en avoir le rôle –en l’absence de revêtement d’étanchéité, les eaux récoltées n’étaient vraisemblablement pas stockées et consommées mais pouvaient servir ponctuellement à l’arrosage–, devait comporter dans sa dalle de couverture un passage pour les conduites drainant les eaux de la terrasse supérieure. Ces dernières voyaient de la sorte leur force brisée et devaient en partie s’infiltrer dans le sol. Lors de violents orages, le trop‑plein du dispositif s’écoulait dans le réseau de petites canalisations dont l’aboutissement pouvait être constitué par l’égout implanté sous la voie N‑S. La datation de cette structure n’a pu être établie par la stratigraphie car elle a été réemployée au xvie ou au xviie s., comme l’indiquaient la nature de son comblement et l’arrachement d’une partie de sa dalle de couverture et de ses parois. En fonction de son emplacement, compris entre deux murs de la domus C, on peut estimer qu’elle a été édifiée en même temps que celle‑ci, c’est‑à‑dire vers la fin du premier quart du ier s. ap. J.‑C. Son existence confirme que la domus en question s’étendait en terrasses vers le nord, ce qui ne doit pas surprendre sur un terrain en pente qui n’offrait pas d’autre possibilité.

FIG. 220 – Les Villégiales des Bénédictins. Le puisard SB98.
cl. X. Belougne/Afan

FIG. 221 – Les Villégiales des Bénédictins. Le caniveau CN95 pris de l’intérieur du puisard SB98.
cl. X. Belougne/Afan
174D’après ce que nous en connaissons, le réseau d’égouts du quartier des Bénédictins ressemblait dans sa conception d’ensemble à celui d’une distribution d’eau, c’est‑à‑dire qu’il était organisé hiérarchiquement et en ramifications, principe qui reste encore valable de nos jours. Les eaux usées des habitations se déversaient dans les canalisations élémentaires, lesquelles amenaient aux conduites secondaires débouchant à leur tour dans un collecteur principal. Dans les zones situées à mi‑pente, comme aux Villégiales ou à La Marseillaise, les collecteurs principaux étaient implantés sous les voies. En revanche, aux Hespérides, secteur sommital, l’eau des réseaux secondaires s’écoulait directement sur les axes viaires dont la forme légèrement incurvée permettait de les canaliser vers le centre. Il devait en être ainsi pour la voie pavée des Villégiales qui rejoignait à angle droit la voie N‑S, équipée quant à elle d’un égout central. Statistiquement, on constate que les réseaux d’assainissement sont beaucoup plus présents sous les rues dallées que pavées. Aux Hespérides, les eaux provenant de la canalisation CN69 étaient récupérées dans une rigole aménagée dans les pavés de la voie (fig. 222).

FIG. 222 – Les Hespérides. La sortie du caniveau CN69 et l’amorce de la rigole en « gondole » aménagée dans la rue pavée.
dess. et cl. H. Pomarèdes/Afan
175La décision des hydrauliciens romains de ne pas implanter un collecteur de voirie vers le sommet de la colline était parfaitement justifiée pour ce secteur où les eaux de ruissellement n’atteignaient qu’un faible volume. Il en allait tout autrement à mi‑pente lorsque, leur quantité et leur vitesse s’étant accrues, elles devenaient problématiques et devaient être rassemblées dans un collecteur central. On observe ce cas au niveau de l’espace 15 des Hespérides où la canalisation secondaire ne s’épanchait plus sur la voie mais dans un collecteur situé au‑dessous. De la même façon, dans le secteur des Villégiales, on a pu constater la présence d’un collecteur (CN103) dont la couverture était constituée par les dalles (épaisseur = 0,20 m) de la voie N‑S. Ce collecteur recevait notamment les eaux des caniveaux CN192, CN92, CN58, CN144 et, peut‑être, de la galerie CN73. Le caniveau CN144 était directement relié à une structure hydraulique (SB 141) difficile à interpréter. En fonction du recoin dans lequel elle se trouve, l’hypothèse de latrines est tentante, mais l’orifice ouvert au‑dessus du conduit est beaucoup trop grand par rapport aux exemples connus et l’on n’a aucune trace de l’écoulement permanent qui, au fond du caniveau, assurait toujours le nettoyage des matières fécales. L’examen de la dalle monolithe, dont la surface présente des traces d’usure, nous invite à penser qu’il s’agit d’une sorte de plan de travail que l’on devait rapidement nettoyer en y projetant violemment un seau d’eau. Dans les fouilles de Villa Roma, nous avons observé une structure similaire, reliée elle aussi directement à l’égout. Une différence existe toutefois : le plan de travail n’est pas situé comme l’autre à hauteur d’homme ; l’usage devait donc en être bien particulier.
176La construction de la canalisation CN103, d’un gabarit moyen (larg. 0,62 à 0,80 m ; haut. 1,20 m), apparaît de prime abord comme rudimentaire comparée à certains égouts voûtés de la ville basse, mais son efficacité ne semble pas pour autant avoir été réduite (fig. 194 et 223). Afin de l’aménager, on a dû creuser une tranchée engravée dans le sable astien –on trouve dans Vitruve (Vitruve, Caillebat 1973 : 27‑28) la façon de procéder pour fonder un aqueduc dans ce type de terrain– qui fait office ici de substrat, puis on a posé les dalles de fond et bâti les piédroits. Ces derniers, dont le fruit légèrement incliné vers l’extérieur donnait une forme trapézoïdale à la conduite, ne comportaient qu’un seul parement de neuf assises de moellons. Des matériaux tout‑venant, jetés dans l’espace restant de la tranchée de fondation, et le poids de la couverture parachevaient la stabilité de l’ouvrage.

FIG. 223 – Les Villégiales des Bénédictins. Vue en coupe de l’égout CN103 avec son comblement intérieur.
cl. X. Belougne/Afan
177On a donc tout lieu de croire que c’est vraisemblablement une conjonction des raisons techniques et économiques qui a motivé le degré de viabilisation du secteur. Si l’on a hésité sur le nombre des aménagements hydrauliques à implanter, on n’a par contre pas lésiné sur la qualité de leur construction. En effet, alors qu’aux dires des fouilleurs le mortier a été peu utilisé pour les constructions établies dans le secteur des Hespérides, certains caniveaux ont pu en bénéficier. L’importance accordée au réseau d’assainissement par rapport à d’autres éléments semble être la preuve de la vigilance des pouvoirs publics en matière de viabilisation. De fait, comme à Rome sur laquelle nous sommes mieux renseignés, il devait sans nul doute exister de nombreux textes pris par les édiles pour le bon respect de la salubrité publique. La galerie E‑O évoquée précédemment, qui s’étendait vraisemblablement de la rue de la Lampèze à la voie N‑S des Villégiales, ne servait pas uniquement de galerie technique pour les tuyaux de plomb. Au même titre que plusieurs autres conduites échelonnées sur la pente, elle devait recevoir les eaux de ruissellement, brisant leur élan et les absorbant partiellement. L’ensemble de ces canaux les répartissaient ensuite vers des conduites implantées dans l’axe de la pente pour les acheminer jusque dans la plaine. D’autres types de systèmes antiques de drainage des pentes sont attestés : on peut citer, par exemple, les deux collecteurs de la montée Saint‑Barthélemy à Lyon qui étaient situés l’un à côté de l’autre, mais à des profondeurs différentes et dont la pente était inverse (Audin 1963 : 738‑740, fig. 2 et Pl. LX).
178Le tronçon d’égout de La Fontaine des Bénédictins et celui du 11, rue des Bénédictins, dont nous ne connaissons aucune caractéristique, étaient implantés à quelques dizaines de mètres l’un de l’autre dans le sens de la pente. Outre que leur présence pourrait indiquer le passage de voies N‑S, elle suppose surtout l’existence d’un collecteur E‑O dans lequel ces égouts pouvaient se jeter. De l’analyse qui précède, il apparaît que dans la zone de piémont comprise entre le boulevard Gambetta et la rue Pasteur devait passer un important collecteur voûté, comme nous avions déjà pu le déduire du tracé théorique des axes majeurs du réseau d’assainissement antique (Veyrac 1991 : 65‑68, fig. 77). Cette conduite pourrait être mise en relation avec une voie se dirigeant vers la Fontaine, peut‑être celle récemment observée par M. Célié lors de travaux de voirie dans l’actuelle rue Pasteur.
4.2.5 Conclusion
179On retiendra que, malgré la qualité très disparate des informations recueillies pendant environ trente ans sur les aménagements hydrauliques du quartier des Bénédictins, on a pu mettre en évidence surtout deux aspects jusqu’alors inconnus à Nîmes. Il s’agit d’une part d’une des techniques utilisées pour le drainage des eaux sur terrain en pente et d’autre part du cheminement et de l’agencement d’un tronçon majeur du réseau de distribution d’eau. Même si les solutions adoptées présentent une certaine originalité, on a pu voir néanmoins qu’elles découlaient généralement d’un savoir largement diffusé dans les grandes villes de l’Empire.
180Malgré de réels avantages liés à sa position, ce secteur urbanisé dès la fin du premier quart du ier s. ap. J.‑C. a primitivement accueilli de modestes habitats de pente dont les aménagements hydrauliques n’avaient rien de remarquable. Avec la création d’une adduction vers la fin du deuxième quart du ier s. ap. J.‑C. amenant les eaux des sources d’Uzès, les édiles ont choisi de favoriser techniquement les constructions établies au‑dessous de la cote altimétrique du castellum. On peut imaginer que ce changement a vraisemblablement permis à de riches notables de s’installer dans le quartier, où le relief constituait certes une entrave à l’urbanisation mais qui bénéficiait naturellement d’une position dominante et d’un ensoleillement sans pareil auquel l’arrivée de l’eau dut donner un intérêt supplémentaire décisif.
Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier ici M. Célié, J.-L. Fiches, P. Garmy, J. Guyon, F. Souq et A. Veyrac pour leur lecture critique, mais néanmoins amicale, du manuscrit initial.
2 Les références aux divers plans ou gravures utilisés sont parfois précédées de l’abréviation A.D.G. : archives départementales du Gard.
3 Dans cet article, M. Fincker met également en évidence le fait qu’un point situé en limite nord de la Maison carrée sert d’intersection à deux lignes théoriques perpendiculaires qui passent par les axes de symétrie des portes d’Auguste et de France (Fincker 1994). Si l’intérêt du report sur plan et du calcul de l’orientation des principaux vestiges est indéniable, on remarquera que l’absence de croisements avec les récentes données archéologiques entraîne un certain nombre d’erreurs dans les conclusions ou restitutions proposées (Monteil 1999).
4 Je tiens à remercier Philippe Leveau, professeur à l’université de Provence, pour les corrections et les remarques qu’il a eu l’amabilité de faire en relisant ce texte, ainsi que tous les responsables de fouilles pour les facilités qu’ils m’ont données pour accéder à leur chantier ou à leur documentation.
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Le quartier antique des Bénédictins à Nîmes (Gard)
Ce livre est cité par
- Luley, Benjamin P.. (2014) Colonialism, Dining, and Changing Strategies of Power: the Example of Iron Age and Roman Mediterranean France at Lattara (ca 150 bc–ad 50). Journal of Archaeological Method and Theory, 21. DOI: 10.1007/s10816-013-9174-7
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