3.1 Présentation générale

1Le gisement paléolithique de Fontvannes/Le Bas du Fort Miroir est situé juste à côté de la source de la Vanne, sur le plateau crayeux crétacé, à la jonction entre l’extrémité est du plateau sénonais, le nord de la forêt d’Othe et la plaine de Troyes (fig. 87).

2Il se situe à une altitude voisine de 160 m ngf sur le versant exposé au nord d’un éperon crayeux qui culmine à 230 m ngf. Cet éperon est bordé au S‑O par un petit affluent de la Vanne et au nord par la Vanne elle‑même. Cette dernière prend sa source au pied du versant du Bas du Fort Miroir à une altitude de 148 m ngf. Sur plus de 800 m de long d’ouest en est, ce versant présente une pente assez régulière descendant du sud vers le nord, alors que d’est en ouest apparaît une succession de dépressions et de points hauts, le site du Paléolithique supérieur se trouvant sur l’un de ces points hauts.

3Le feuillet d’Estissac de la carte géologique au 1/50 000 (Monciardini, Pomerol 1981) nous indique que le substrat est constitué de formations crayeuses crétacées (zone de contact entre le Turonien supérieur et le Coniacien). Ces couches contiennent de nombreux rognons et bancs massifs de silex. Le sommet de la butte où se trouve le site présente un substrat tertiaire résiduel comprenant des formations argilo‑limoneuses et gréseuses.

3.1.1 Conditions d’investigation sur le terrain

3.1.1.1 Historique de la fouille

4Lors de la phase de sondages systématiques à la pelle mécanique sur le tracé de la future autoroute A5 (Paris‑Troyes), des vérifications ont été effectuées à l’emplacement du site, repéré auparavant au cours des prospections de surface. Ainsi, les tranchées effectuées au mois d’avril 1991, sous la direction d’E. Teheux, ont permis la découverte de nombreux artefacts attribués au Paléolithique supérieur et au Paléolithique moyen. En novembre et décembre 1991, la fouille de la partie du site menacée par les travaux de l’autoroute fut réalisée sous la direction de F. Séara (Séara et al. 1992).

3.1.1.2 Méthode de fouille

5L’extension de la partie du site concernée par l’emprise de l’autoroute a d’abord été précisée par des tranchées creusées à la pelle mécanique. Dans un second temps, la surface ainsi délimitée (2 300 m²) a été décapée mécaniquement par passes fines, en relevant les objets en trois dimensions et en préservant les zones les plus denses en vestiges. Ces dernières ont ensuite fait l’objet d’une fouille manuelle fine (sans tamisage). Cette procédure a entraîné une grande différence de représentativité des objets prélevés : dans les secteurs fouillés à la pelle mécanique, les petites pièces sont nettement moins fréquentes que les pièces volumineuses (nucléus), comparativement aux zones fouillées finement (zones 1 à 5). Nous en tiendrons compte dans les approches quantitatives, mais l’ensemble du matériel du Paléolithique supérieur sera étudié dans les approches qualitatives.

3.1.2 Chronostratigraphie

3.1.2.1 Description et stratigraphie des dépôts pléistocènes

6Le contexte stratigraphique favorable des dépôts de bas de versant, ajouté aux indices lithiques des prospections de surface, a conduit à la réalisation de sondages de diagnostic sur le lieu‑dit Le Bas du Fort Miroir. Les décapages peu profonds ont effectivement révélé un site de plein air du Paléolithique supérieur relativement peu étendu en surface, à environ 1,80 m sous la surface du sol actuel. En complément de ces décapages, ont été réalisés tout d’abord trois sondages profonds (CP 001, PM 002 et 003) ; puis, lors de la phase de fouille, une grande tranchée (T 004) a été creusée le long de la limite nord du gisement, cette limite étant tributaire de la limite d’emprise autoroutière (fig. 108). La numérotation des couches a été réalisée après étude et corrélation de toutes les couches de tous les relevés. On obtiendra donc une légende commune pour l’ensemble des relevés stratigraphiques de Fontvannes (fig. 109‑111).

CP 001 fig. 109

7Ce relevé stratigraphique apparaît particulièrement complexe. À la base on observe un substrat crayeux très altéré (17) recouvert d’un limon beige crayeux géliturbé à morceaux de craie et de silex (16), qui s’apparente à une grèze crayeuse. Lui est superposé un ensemble de cailloutis de silex gélifracté dans une matrice limono‑argileuse brun‑rouge à brun‑chocolat (14).

8Les dépôts sus‑jacents (12, 9 et 5) sont imbriqués et perturbés, mais tous sont carbonatés, ce qui n’est pas le cas pour les couches supérieures. Dans l’ensemble limoneux carbonaté, on distingue des couches de limons noirs à graviers épars (12) qui sont des lambeaux de sols humifères, des lentilles de limons rouges et noirs à petits granules de craie (9) et des limons de pente représentés par des limons brun‑beige (5) à gris‑beige à petits granules de craie auxquels se rajoutent parfois des cailloutis.

9Les dépôts limoneux sus‑jacents sont totalement décarbonatés, que ce soient les limons brun‑gris du sol actuel (1), les limons argileux brun‑rouge à graviers épars (2), dont l’épaisseur peut atteindre 1 m, ou le cailloutis d’érosion à matrice limoneuse brun‑rouge (3).

PM 002 fig. 110

10Ce sondage, situé le plus bas sur la pente, montre un fort développement des dépôts carbonates de type limons de pente. En effet, sous les limons brun‑noir du sol actuel (1) et les limons brun‑rouge décarbonatés (2), dont l’épaisseur n’est plus que de 15 cm, apparaissent plus de 2 m de dépôts limoneux brun‑beige à petits granules de craie et éclats de silex gélifs (5 à 7) dans lesquels se distinguent de petits niveaux à grande densité de granules de craie (6) et des niveaux plus foncés à tendance humifère (7).

PM 003 fig. 111

11Ce sondage a été réalisé entre les deux précédents afin de mieux cerner les relations stratigraphiques entre les diverses couches des deux relevés.

12À presque 3 m de profondeur a été atteinte une injection de grèze crayeuse (16). Les couches 14, 6 et 5 qui lui sont superposées sont toutes carbonatées et renferment de très nombreux petits granules de craie. Il s’y distingue, à la base, des limons brun‑rouge à niveaux de cailloutis (14), puis une couche de limon jaune à très nombreux granules de craie (6) et, enfin, des limons brun‑jaune à points d’oxyde de manganèse avec cailloutis (5), puis sans cailloutis au sommet. Au sommet, les couches sont totalement décarbonatées. Les limons de pente passent aux limons brun‑rouge par l’intermédiaire d’une couche brun‑rouge à tendance jaune (4). Les limons brun‑rouge à rares graviers (2) apparaissent avec une épaisseur d’environ 50 cm sous le sol brun‑gris limoneux actuel (1).

T 004 fig. 112

13La tranchée T 004 a été réalisée à l’issue de la fouille du site. Elle se place à la limite nord du décapage à une altitude voisine de 156 m NGF. Elle a permis d’obtenir un relevé détaille de plus de 34 m de long, sur une hauteur variant de 1,50 à 4 m. Ce relevé a été accompagné de la réalisation de trois colonnes de prélèvements réunissant 30 prélèvements palynologiques (Pa), 24 prélèvements sédimentologiques (Sed) et deux prélèvements micromorphologiques (Mi).

14Sur ces 34 m de long, la tranchée 004 peut être subdivisée en trois parties d’après la stratigraphie présente. Il sera distingué une partie ouest (fig. 112a) où prédomine une figure karstique en cheminée, une partie centrale (fig. 112a, b) où le substrat est quasi affleurant et enfin une partie est (fig. 112b) à forte accumulation de dépôts superficiels, du type limons de pente.

15Comme pour les relevés CP 001, PM 002 et PM 003, les couches ont été numérotées dans un ordre purement stratigraphique, après étude et corrélation entre toutes les coupes.

Description de la partie ouest fig. 112a

16À cet endroit, la tranchée révèle la présence vers 153 m ngf du substrat crayeux (17) du Turonien supérieur à micraster leskei (C3c), Sur l’ensemble du relevé, le substrat franc n’a quasiment pas été observé, il apparaît plutôt représenté par un ensemble de gélifract de craie et de silex mêlés (16). Cet ensemble correspond à la partie supérieure du substract crayeux qui a été intensément altérée, gélifractée et géliturbée. Dans ce gélifract de craie avec silex, peuvent se développer des poches de géliturbation à accumulation limoneuse brun clair (15). Une cheminée karstique se dessine parfaitement dans la stratigraphie, faisant plonger les dépôts sus‑jacents. Les premiers dépôts affectés par ce phénomène karstique sont de gros cailloutis de silex à matrice argileuse brun‑rouge plus ou moins abondants (14). Au cœur de la structure karstique ont plongé tout d’abord un horizon limoneux noir décarbonaté à cailloutis (13), puis une poche de limons carbonatés à petits nodules de craie (11). La structure karstique est peu à peu comblée et recouverte par des dépôts (8) et (8b) correspondant à un horizon argilique décarbonaté plus (8b) ou moins (8) compacté.

17À côté de cette cheminée karstique sont retrouvés les mêmes dépôts (14, 13 et 11) mais fortement géliturbés et perturbés dans leur stratigraphie d’origine. Juste au‑dessus d’eux se présente une lentille regroupant des dépôts argilo‑limoneux bruns carbonatés (4) et une mince couche de petits granules crayeux (6). L’ensemble de la cheminée karstique et de ses abords est recouvert par un niveau de cailloutis d’érosion (3), puis par un dépôt limoneux brun foncé décarbonaté (2) et les limons gris‑noir du sol actuel (1). Ces trois derniers types de dépôts ne sont pas affectés par la structure karstique, du moins à cet endroit de la tranchée.

Description de la partie centrale fig. 112a, b, fig. 112b

18La base de cette partie de la tranchée 004 laisse apparaître entre 154 et 155 m ngf les dépôts de gélifracts de craie mêlés à du silex (16), géliturbés et développant une petite structure karstique en cuvette d’environ 1 m de profondeur. Ce gélifract de craie à silex renferme parfois des poches où se sont accumulés des limons brun clair décarbonatés (8). Enfin, l’ensemble de la partie centrale est recouvert par le petit cailloutis d’érosion (3), les limons brun foncé décarbonatés (2) et le sol brun‑noir de labour (1). Ici, ces trois dépôts sont légèrement affectés par les phénomènes karstiques et épousent les formes de la structure en cuvette.

19Il est à noter que la couche 2 de limons brun‑rouge à brun foncé est celle qui renferme par endroits les vestiges du Paléolithique supérieur, les étoiles matérialisant sur le relevé l’emplacement correspondant à l’altitude des pièces.

Description de la partie est

20C’est à cet endroit qu’apparaît la plus forte épaisseur de dépôts superficiels, le gélifract de la craie (16) n’ayant été découvert qu’à 152 m ngf, environ 4 m sous la surface du sol actuel. Cet ensemble « gélifract à silex » décrit néanmoins une grande figure de géliturbation le faisant remonter jusqu’à 155 m ngf dans la partie gauche du relevé. Ces dépôts sont recouverts par une mince couche de cailloutis à horizon noir décarbonaté (13), puis par un horizon noir décarbonaté développé sur des limons (12) dont l’épaisseur varie de 40 cm à 2 m. La couche sus‑jacente (10) est un limon jaune foncé à granules de craie et pseudo‑mycélium, nettement décarbonaté. Au‑dessus apparaissent un niveau argileux noir bioturbé à taches rouges décalcifiées (9), puis une argile rouge décalcifiée (8). Tout comme les dépôts sous‑jacents, ces dépôts sont affectés par endroits par la géliturbation.

21La séquence limoneuse épaisse se poursuit par des limons jaune clair carbonatés à petits granules de craie (5) avec un peu de cailloutis à la base, et par un limon argileux carbonate à granules de craie et léger cailloutis (4). Le petit cailloutis d’érosion (3) retrouvé tout le long de la tranchée s’épaissit légèrement et disparaît avant la fin de la tranchée 004. Les limons brun‑rouge décarbonatés (2) voient aussi leur épaisseur diminuer, Au sommet, la séquence se termine par le limon gris‑noir de la semelle de labour actuelle (1).

3.1.2.2 Synthèse stratigraphique

22Les corrélations stratigraphiques effectuées entre les quatre relevés de coupes du site ont permis de distinguer dix‑sept niveaux stratigraphiqucs différents. Ces derniers ne sont pas retrouvés systématiquement sur le versant du Bas du Fort Miroir, la stratigraphie originelle ayant été fortement perturbée par des phénomènes de géliturbation, mais aussi de glissements en loupes ou en lentilles sur la forte pente de 5,6 %.

23Ces phénomènes de gel et de glissement ont aussi énormément influencé la conservation des niveaux paléolithiques moyen et supérieur, qui n’ont jamais été retrouvés de manière uniforme sur l’ensemble des décapages.

24Il nous semble toutefois possible de rattacher l’horizon noir décarbonaté développé sur limons (12) ou sur cailloutis (13) au Weichsélien ancien (sol humifère ?). De fait, les dépôts de cailloutis sous‑jacents (14) dateraient de l’Éemicn, et les dépôts limoneux du Saalien (15).

25La séquence limoneuse (8‑11) superposée à l’horizon noir Weichsélien ancien semble correspondre au Pléniglaciaire moyen et inférieur, l’horizon argilique décarbonaté (8) dans lequel ont été retrouvés la plupart des vestiges du Paléolithique moyen relevant vraisemblablement d’une pédogenèse tempérée.

26Le Pléniglaciaire supérieur regroupe des dépôts limoneux (4‑7), avec une pédogenèse peu développée de sol froid à la base (7).

27Ces dépôts du Pléniglaciaire supérieur sont séparés de la séquence holocène (1,2) par un petit cailloutis d’érosion de glacis (3).

28Les sondages de diagnostic ont fourni du matériel archéologique du Paléolithique moyen dans les couches (8) et du Paléolithique supérieur ou final dans la couche (2). Ces niveaux se concentrent tous dans les creux des poches de géliturbation qui ont permis leur préservation lors des phases d’érosion postérieures. Le Paléolithique moyen est réparti uniformément sur toute la surface du décapage. L’analyse typologique montre que cet ensemble se rapporte à un Moustérien largement présent dans la vallée de la Vanne (Deloze et al. 1994).

3.1.2.3 Analyse palynologique

29Lors des travaux archéologiques et chronostratigraphiques réalisés sur le site, un échantillonnage palynologique a été réalisé sur la tranchée 004. Les tentatives d’analyses sur les séquences régionales attribuées au dernier glaciaire s’étant révélées fort décevantes (Leroyer 1994b), la réalisation d’un diagnostic préalable sur certains de ces échantillons s’imposait. Celui‑ci consiste en un balayage général des lames au microscope et en l’étude d’un dixième de la surface. La nature pollenifère ou non des sédiments peut ainsi être vérifiée, tout comme la validité d’une étude palynologique sur le gisement. Cette fiabilité des sédiments est appréhendée par l’observation systématique de la nature et de l’abondance du palynofaciès, de l’état de conservation du matériel, de la concentration en stocks polliniques et de l’organisation des spectres.

L’échantillonnage

30Cinq des dix échantillons prélevés ont été sélectionnés pour le diagnostic. L’échantillon 22 correspond à la base de l’horizon noir décarbonaté sur limon (12) et l’échantillon 24 à son sommet. Cette formation sédimentaire pourrait être attribuée au Weichselien ancien d’après les travaux chronostratigraphiques. L’échantillon 26 est issu du haut de la couche 10, caractérisée comme un limon à granules de craie décarbonaté. L’échantillon 27 provient de la couche 8, horizon argilique décarbonaté contenant des vestiges du Paléolithique moyen. Ces deux horizons, 10 et 8, sont rapportés au Pléniglaciaire inférieur et moyen. Enfin, l’échantillon 30 a été prélevé dans la couche 4, niveau argilique développé sur limon carbonaté, rattaché au Pléniglaciaire supérieur. La séquence stratigraphique présente des formations carbonatées dans la partie supérieure, illustrée dans nos prélèvements par l’échantillon 30 (4) et décarbonatées dans la partie inférieure (éch. 27, 26, 24 et 22).

Les résultats tabl. xxviii

31La lecture d’un dixième de la lame n’a permis le décompte d’une somme supérieure à 50 que dans l’échantillon 22. Le nombre de pollens comptés varie de 26 (éch. 24) à 63 (éch. 22). Les concentrations en matériel apparaissent faibles, mais les sédiments sont pollenifères.

32L’état de conservation des stocks polliniques est très médiocre ; nombre de grains sont très altérés et la détermination a été impossible pour quelques‑uns. Une conservation différentielle au sein des Cichorioïdées a été observée dans les échantillons 30, 24 et 22 ; certains grains sont en parfait état alors que les autres apparaissent fortement corrodés. Il semble donc qu’il y ait mélange de cortèges d’époques différentes dans ces sédiments. Enfin, des pollens frais, issus de la pluie pollinique de 1992 ont été reconnus dans les échantillons 30, 27 et 22.

33La liste floristique obtenue, il est vrai, avec de faibles sommes de base, est extrêmement réduite. Un seul ligneux a été identifié (le pin) pour cinq herbacées. Tous les taxons reconnus sont souvent rencontrés dans les spectres pléniglaciaires, mais aucune plante steppique n’a été individualisée. La flore mise en évidence souffre donc d’un manque de diversité certain, mais ne s’oppose en rien aux attributions chronostratigraphiques proposées. Elle ne regroupe malgré tout aucun taxon caractéristique.

34L’incidence de ces différents taxons est fort variable. Les Cichorioïdées représentent l’essentiel des stocks polliniques dans tous les spectres, suivies par les Poacées mais en taux bien inférieurs. Deux échantillons ne comprennent que ces deux familles. Les autres taxons ne sont représentés que par un grain de pollen et ne figurent pas dans tous les spectres. Les cortèges polliniques apparaissent donc relever essentiellement de la présence des Cichorioïdées pour lesquelles une conservation différentielle a été mise en évidence.

35En conclusion, les sédiments de la séquence weichselienne de Fontvannes apparaissent assez peu propices à la réalisation d’une étude palynologique. En effet, outre le fait qu’un mélange de cortèges d’époques différentes semble manifeste dans quelques échantillons, le peu de diversité floristique et la surreprésentation des Cichorioïdées viennent limiter toute interprétation environnementale et paléoclimatique. Les résultats obtenus s’accordent assez mal avec l’enregistrement pollinique des séquences naturelles continues (Woillard 1978 ; Beaulieu, Reille 1984).

3.1.3 Répartition du matériel archéologique

36La fouille a permis de mettre au jour des vestiges lithiques attribuables au Paléolithique supérieur (ou Paléolithique supérieur final) et au Paléolithique moyen. Les vestiges recueillis ne comprennent que des silex taillés (outils et déchets). La faune n’a pas été conservée dans les limons décarbonatés. Aucune pierre chauffée ayant pu appartenir à un foyer n’a été trouvée dans la zone fouillée. Le site n’a livré qu’un percuteur, en silex.

37Le Paléolithique supérieur s’individualise dans les limons argileux brun‑rouge à une profondeur d’environ 50 cm pour la partie nord du site. Le niveau a été démantelé par les labours dans la partie plus élevée du site et devient de plus en plus profond vers le bas de la pente.

38Le Paléolithique moyen se résume à une centaine de pièces éparses. Compte tenu des importantes variations latérales des dépôts et de l’isolement des pièces, il est impossible de parler de niveau ni de définir une position stratigraphique précise. Certaines pièces proviennent du limon argileux jaune, d’autres du cailloutis siliceux de base. Un biface se trouvait dans les limons argileux brun‑rouge, mêlé à l’industrie du Paléolithique supérieur dans une zone où elle a été remaniée (zone 2).

Répartition spatiale du matériel lithique et degré de conservation du site

39Les artefacts paléolithiques se répartissent essentiellement sur une bande de 20 m de large et au moins 40 m de long orientée dans le sens de la pente. Cinq zones principales ont été individualisées (fig. 113). Cette bande se poursuit probablement vers le nord (bas de la pente) au‑delà de l’emprise de l’autoroute. À l’exception de la zone 1 (fig. 114) qui constitue un secteur d’une quinzaine de mètres carrés, les silex taillés étaient épars, avec toutefois des concentrations de formes allongées et orientées dans le sens de la pente. Dans les zones 2, 3, 4 et 5, les objets archéologiques étaient dispersés uniformément sur une épaisseur d’une quarantaine de centimètres (fig. 115‑118). De plus, leur orientation n’était pas déterminée par la gravité (nombreux objets obliques et verticaux) et ils se trouvaient parfois dans un limon graveleux. Ces éléments font penser à des coulées de gélifluxion. Une étude fine de la répartition spatiale des artefacts n’est donc possible que pour la zone 1 qui est en place : les silex y étaient majoritairement en position horizontale et faiblement dispersés verticalement. Toutefois, l’étude du matériel de la seule zone 1 présenterait peu d’intérêt du fait de sa faible surface (15 m²).

40Les pièces du Paléolithique moyen, comprenant des éléments de débitage Levallois et des bifaces, étaient réparties uniformément sur la surface de décapage. Dans les coulées de gélifluxion, des éléments des deux périodes étaient parfois mêlés.

3.2 L’industrie lithique

3.2.1 L’ensemble étudié

41Les silex attribuables au Paléolithique supérieur se distinguent de ceux du Paléolithique moyen par une patine blanche plus prononcée, même dans les zones perturbées où ils sont mélangés. Par ailleurs, l’industrie du Paléolithique supérieur présente des caractéristiques technologiques et morphologiques très typées qui permettent d’attribuer à une même tradition technoculturelle l’ensemble du matériel recueilli, en dépit des mauvaises conditions de gisement d’une bonne partie de celui‑ci.

42La série comprend 2 870 pièces parmi lesquelles 1 772, soit près des deux tiers, proviennent de la zone 1. Elles se répartissent en 2 769 produits de débitage bruts, 81 nucléus et 20 produits retouchés.

3.2.2 Les matières premières

43Le silex local de la craie a été très majoritairement employé (seules 7 pièces sont en silex jaune d’origine non déterminée). Les blocs se rencontrent sous la forme de plaquettes ou de rognons. Le cortex est, dans la majorité des cas, très fin (inférieur à 1 mm). Cependant, certains blocs ont un cortex plus épais (jusqu’à 3 mm) et présentent alors une surface corticale irrégulière. La pâte du silex est translucide et de coloration grise à noire. La totalité du matériel porte une patine blanche marquée. Le grain est fin mais les blocs comportent parfois des zones plus grenues, des fossiles et des fissures qui ont pu gêner le bon déroulement du débitage.

44Par ailleurs, bien qu’aucun objet de ce type n’ait été trouvé, certains stigmates sur les pièces lithiques laissent supposer que le grès a été utilisé comme percuteur et abraseur. Cette roche est présente sur place en position primaire dans les formations résiduelles tertiaires ou en position secondaire dans les dépôts de pente pléistocènes.

3.2.3 Description du matériel lithique

3.2.3.1 Les outils fig. 119‑121

45La série ne comprend que vingt produits retouchés, correspondant seulement à 0,5 % de l’ensemble du matériel lithique. Ce très faible taux rend difficile une comparaison de la composition de l’outillage avec d’autres séries. L’outillage, peu diagnostique dans l’ensemble, a été façonné sur des supports variés : des lamelles, des lames et des éclats. Il comporte 5 lamelles à dos, 8 grattoirs, 2 burins, 1 troncature, 3 lames et 1 éclat retouchés.

46L’outillage se décrit comme suit :
– 5 lamelles à dos, parmi lesquelles on distingue 3 éléments relativement étroits retouchés de façon directe ou inverse sur la majeure partie de leur longueur (fig. 121, n^os 6, 9, 10), et 2 lamelles un peu plus larges retouchées de façon partielle : la première appointée sur sa partie mcsio‑distale (fig. 121, n^os 8) et la seconde, plus irrégulière, reprise seulement sur sa partie proximale (fig. 121, n^o 7) ;
– les 8 grattoirs se répartissent en 4 pièces sur lame épaisse, dont 2 avec des bords retouchés (fig. 119, n^os 1‑4), et 4 autres sur éclat épais, dont 1 grattoir à museau (fig. 120, n^os1‑4) ;
– les 2 burins, sur lames irrégulières, correspondent respectivement à 1 burin busqué et à 1 burin sur troncature oblique convexe (fig. 120, n^os 5, 6) ;
– 1 éclat large et relativement mince a été repris par troncature oblique sur son extrémité distale et par une petite retouche partielle sur son bord proximal (fig. 121, n^o 3) ;
– 2 lames épaisses présentent une retouche uni‑ ou bilatérale irrégulière (fig. 121, n^os 1, 2) et une autre extrémité distale est appointée (fig. 121, n^o 4) ;
– à cela s’ajoute 1 éclat cortical retouché irrégulièrement (fig. 121, n^o 5).

47En dehors de 4 des lamelles à dos, la facture générale de cet outillage paraît très fruste avec un choix extrêmement peu sélectif de la qualité des supports.

3.2.3.2 Les nucléus

48La série des blocs taillés comprend 61 nucléus à lames ou lamelles, 6 nucléus à éclats, 9 blocs mis en forme, 4 blocs dégrossis et 1 bloc testé. En conséquence, toutes les phases d’exploitation des blocs sont représentées sur le site. Ils illustrent 3 types de production : à éclats, laminaires et lamellaires.

Les blocs dégrossis et les préformes

49La phase de dégrossissage, qui consiste à supprimer les excroissances des blocs au percuteur dur, est attestée sur le site par la présence d’éclats corticaux très épais à bulbe marqué. Dans deux cas, l’exploitation des blocs n’a pas été poussée plus loin car ils étaient gélifs. Dans deux autres cas, l’arrêt s’est produit sans raison apparente. Il s’agit de deux rognons cylindriques fort semblables trouvés à proximité l’un de l’autre. Sur les préformes, on constate que la mise en forme a consisté exclusivement dans le façonnage des crêtes et dans l’ouverture des plans de frappe ; il n’y a pas eu de décorticage systématique. L’abandon des préformes est, dans la majorité des cas, lié à la matière première. Une seule préforme sur les neuf permettait le débitage.

Les nucléus à éclats

50La série comporte 6 nucléus à éclats qui ne peuvent être interprétés comme des blocs abandonnés en cours de mise en forme en vue d’un débitage laminaire. Ils sont de trois types : à plans de frappe alternatifs, à plan de frappe préférentiel et à plans de frappe opportunistes. Ils attestent une exploitation faiblement poussée, au percuteur dur, ayant fourni des produits irréguliers et épais.

51La question de la finalité d’un tel débitage est problématique, car si la série comprend des outils sur éclats, des supports de même qualité ont été produits en abondance au cours de la mise en forme des nucléus à lames.

Les nucléus à lames

52La cinquantaine de nucléus à lames correspond exclusivement à des nucléus prismatiques à deux plans de frappe opposés (fig. 122, 123, 124, n^o 1).

53Il n’existe pas de corrélation entre les longueurs et les largeurs des nucléus à lames. À l’abandon, la longueur des nucléus est très variable (répartition uniforme entre 6 et 20 cm) mais les largeurs sont assez constantes : entre 2,5 et 4,75 cm dans 80 % des cas. Compte tenu de la morphologie des blocs de silex locaux, ceci traduit un choix que nous expliquerons plus bas. L’épaisseur des nucléus à lames est aussi variable et dépend du degré d’exploitation du bloc.

54Les plans de frappe sont lisses et résultent d’une succession d’avivages visant à réaménager la totalité de la surface et tirés en général à partir de la table laminaire, plus rarement à partir des flancs. Le dos des nucléus à lames, à leur état d’abandon, est soit cortical, soit aménagé en crête totale ou partielle.

Les nucléus à lamelles fig. 124, n^os 2, 3

55On compte 13 nucléus à lamelles dans la série. La longueur des nucléus à lamelles est comprise entre 6 et 8 cm. La production de lamelles s’est faite à partir de blocs de matière première de natures variées. Il s’agit de cassons, de gros éclats, de petits blocs, d’une lame épaisse et d’un nucléus à lames dont un des plans de frappe a servi à l’extraction de lamelles. Le silex utilisé est, comme pour les autres productions, local et de bonne qualité pour la taille.

3.2.3.3 Les lames et les lamelles

56L’ensemble comprend 532 lames (fig. 125) et 421 lamelles, pièces entières et fragments compris.

57La majorité des lames ne dépasse pas 10 cm. Bien qu’il y ait deux types de production à vocation différente, les caractères morphométriques présentent un continuum de variation et il a fallu fixer arbitrairement la limite entre lames et lamelles à 5 cm.

58Sur le graphique en nuage de points des largeurs et des longueurs (fig. 126, n^o 1), les pièces restent proches de la droite de régression : cela signifie que l’écart‑type de l’indice d’allongement est faible (sa moyenne est de 2,9). La majorité des lames et des lamelles est donc à peu près trois fois plus longue que large.

59La plupart des lames et lamelles ont été débitées sans préparation préalable du plan de frappe (les préparations en éperon sont totalement absentes), mais après abrasion du bord du plan de frappe. Les bulbes des lames ont une morphologie variée (51 % sont marqués, 44 % sont diffus, et 6 % esquillés). Les bulbes des lamelles sont le plus souvent diffus, avec parfois présence d’une lèvre bien marquée.

60La majorité des produits laminaires et lamellaires a un profil rectiligne. Ceci indique la pratique du débitage le long de tables laminaires rectilignes. La conséquence immédiate est le réfléchissement de nombreux produits (17,5 % des lames et fragments distaux) ainsi qu’une fragmentation importante au débitage (87 lames sont entières pour 334 fragments). L’outrepassage est aussi un accident fréquent (5,6 % des lames entières et fragments distaux). Il traduit en général une mauvaise appréciation de l’incidence de la percussion (surdosage du coup porté) et conduit à l’abandon du nucléus ou à un réaménagement important du plan de frappe opposé. 13,9 % des lames présentent une plage corticale contre 8,8 % pour les lamelles. Ce taux relativement important indique que bon nombre de nucléus ont des flancs corticaux.

3.2.3.4 Les lames à crête

61Parmi les lames et lamelles, on compte 50 lames à crête, dont 14 à crête partielle et 16 lames et lamelles en demi‑crête (crête unidirectionnelle). Ces produits sont en général très épais et rectilignes.

62Une quinzaine d’exemplaires présentent une préparation particulière qui consiste en une abrasion très poussée de la crête lui conférant un aspect presque poli (fig. 127). Ce type de préparation a également été observé sur des arêtes d’enlèvements laminaires.

3.2.3.5 Les éclats

63Le nombre des éclats est de 1 816 (pièces entières et fragments compris) dont 61 éclats d’avivage. Ils proviennent essentiellement de la mise en forme des nucléus à lames et 43 % d’entre eux comportent une plage corticale et témoignent de la pratique du dégrossissage des blocs sur le site.

64La majorité des éclats n’a pas de talon préparé et les talons lisses (62 %) et corticaux (13 %) sont majoritaires. Cependant, certains d’entre eux sont préparés par facettage (9,9 %) ou par abrasion de la corniche (16,8 %). Ces modes de préparation visent à améliorer l’angulation du plan de frappe, plus particulièrement dans le cadre du façonnage d’une crête. Les bulbes des éclats sont généralement marqués, mais ne résultent pas toujours de l’utilisation du percuteur dur.

3.2.4 Apports des remontages

65Les remontages des produits de débitage n’ont été approfondis que dans la zone 1, le seul secteur véritablement en place. Les tentatives effectuées sur les autres sections ont révélé un intérêt très limité (remontage de quelques pièces), mais permettent de confirmer l’homogénéité de la série.

66La réalisation des remontages a demandé un investissement en temps estimé à environ 80 heures. 239 pièces sur les 1 772 provenant de la zone 1 ont été remontées (soit 13,5 %). Les débitages lamellaires, compte tenu de l’investissement en temps qu’ils nécessitaient, n’ont pas fait l’objet de remontages très poussés, Les remontages à longue distance n’ont pas été tentés car ils ne pouvaient, en raison du démantèlement d’une bonne partie du site, fournir aucune indication sur l’organisation spatiale.

3.2.4.1 Apports technologiques

67Plusieurs remontages ont donc été effectués, mais nous nous limiterons à la présentation des deux exemplaires ayant permis les observations les plus complètes.

Le remontage 1 (59 pièces) fig. 128

La mise en forme

68La crête avant est réalisée à partir d’une arête naturelle très marquée (rencontre entre la surface corticale et un plan de clivage naturel). Son façonnage se réduit à quelques enlèvements unilatéraux qui entament largement la surface corticale. Leur finalité visait à réduire une irrégularité du profil longitudinal. La crête, légèrement convexe, mesurait 20,5 cm.

69La crête arrière a été façonnée au cours de la mise en forme du bloc. Aucun éclat de réfection des flancs n’en est parti au cours du débitage.

70Les plans de frappe ont été aménagés à l’emplacement d’arêtes naturelles dont l’orientation et la situation par rapport à l’arête naturelle utilisée en crête avant étaient convenables. Pour chacun des plans de frappe, l’enlèvement d’un seul éclat allongé le long de ces arêtes a suffi à créer une surface bien orientée. La crête arrière a été façonnée avant la création des plans de frappe. Sa fonction était d’éviter le réfléchissement des éclats d’ouverture et des ravivages des plans de frappe.

Le plein débitage

71Au cours de cette phase, l’épaisseur du nucléus est passée de 9,5 à 4,5 cm et sa longueur de 20 à 9,5 cm.

7216 lames ont été remontées sur la table. La production manquante est estimée à environ 25 lames. On peut assurer que la plupart des lames manquantes ne se trouvaient pas en zone 1. L’alternance dans l’utilisation des plans de frappe se produit en moyenne toutes les trois lames. Elle est rendue nécessaire par le grand nombre d’accidents de taille liés principalement au faible carénage de la table laminaire. Les avivages des plans de frappe sont fréquents (environ une quinzaine pour l’un et une dizaine pour l’autre). Les deux plans de frappe ont la même fonction. Les tablettes successives présentent toutes une abrasion des corniches, à l’exception de la dernière (les bords de plans de frappe du nucléus ne sont pas abrasés non plus).

Les réaménagements

73Au cours du débitage, un réaménagement en demi‑crête du bord de la table laminaire a été réalisé. Le but était de supprimer une irrégularité liée au réfléchissement d’un enlèvement et d’aménager le cintrage du nucléus.

74Une lame réfléchie a été remise en place par le tailleur et percutée à nouveau afin de prolonger la fracture (l’astuce est bien connue des expérimentateurs).

Le remontage 2 (18 pièces)

75Ce nucléus à lames présente la particularité d’avoir eu sa crête arrière débitée au cours de l’exploitation du bloc. Cette réorientation du débitage, unique à Fontvannes, semble avoir été motivée par des difficultés rencontrées sur la table laminaire initiale en raison de la matière première fissurée.

3.2.4.2 Implications spatiales fig. 129, 130

76Les pièces des remontages les plus importants (RI : 59 pièces, R2 : 18, R3 : 7, R4 : 13) proviennent de l’amas de débitage situé dans les carrés D4 et D 5 de la zone 1. Les nucléus ne se trouvaient pas dans l’amas, mais en périphérie (à quelques mètres). Les éléments manquants des remontages les plus importants ne semblent pas, en général, avoir présenté des caractéristiques particulières qui auraient pu conduire à leur sélection. Il est vraisemblable qu’une bonne partie d’entre eux se trouvait à proximité de la zone 1 et qu’ils ont été emportés par l’érosion (les limites nettes de la zone 1 font penser que ses abords immédiats ont été érodés).

3.3 Technologie du débitage

3.3.1 La production de lames

3.3.1.1 Description de la chaîne opératoire

77Cette description essaie de mettre en évidence le schéma conceptuel de la chaîne opératoire, plutôt que de retracer la succession chronologique des gestes du tailleur. Nous attirons l’attention du lecteur sur les interactions fortes qui existent entre les différents éléments descriptifs de ce « système de débitage » et qui en font une procédure ayant une logique interne très contraignante.

Origine et sélection des blocs

78À l’exception d’une dizaine de produits en silex jaune de provenance inconnue, l’ensemble de la matière première est d’origine locale.

79Toutes les pentes un peu fortes du plateau sénonais, à des dizaines de kilomètres à la ronde, sont des affleurements de craie contenant du silex d’excellente qualité (intensivement exploité dans des minières au Néolithique). Les sources de matière première les plus proches étaient distantes de 500 m du site, la couverture limoneuse ne permettant pas un approvisionnement sur place.

80Le tableau xxix indique la morphologie initiale des blocs abandonnés en cours de mise en forme (au nombre de 16) et des nucléus à lames (47). Les indéterminés correspondent aux blocs trop fortement exploités pour que leur morphologie initiale soit identifiable. On remarque que les blocs choisis sont, dans leur grande majorité, des ellipsoïdes, mais on trouve aussi des cylindres et des plaquettes ; ces dernières permettent au tailleur d’obtenir aisément les mêmes caractéristiques de symétrie qu’un ellipsoïde. Cette forme géométrique est définie par trois axes géométriques orthonormés : P (petit), M (moyen) et G (grand). Elle possède trois plans de symétrie : (P, M), (P, G) et (M, G). Dans le cas du « cylindre », la norme de M est égale à celle de P (fig. 131).

81Les formes des blocs utilisés pour le débitage laminaire sont donc très standardisées. Elles sont minoritaires dans les affleurements de silex des environs du site (dont l’observation a notamment été effectuée lors des fouilles de minières néolithiques proches telles que Villemaur) et témoignent, en conséquence, d’un choix rigoureux de la part des hommes du Paléolithique supérieur de Fontvannes. Cette sélection préférentielle de volumes ellipsoïdes semble parfois avoir été faite au détriment de la qualité du silex. En effet, certains rognons fissurés ont été débités en dépit de la fréquence des accidents de taille qui en a résulté.

La mise en forme

82Le débitage de nombreux nucléus à lames s’est arrêté à un stade précoce de l’exploitation, ce qui permet une étude aisée de leur mise en forme. Dans tous les cas encore lisibles, les deux bords longitudinaux des blocs présentaient, au moment du démarrage du débitage, des convexités transversales prononcées, en général aménagées par deux crêtes (une crête antérieure et une crête postérieure, toutes deux centrales). La crête antérieure est toujours plus soignée et régulière que la crête postérieure. En effet, après son dégrossissage effectué au percuteur dur (comme l’ensemble des opérations de mise en forme), elle a en général été régularisée par abrasion, probablement à l’aide d’un galet de grès, ce qui a entraîné tantôt le détachement de petits éclats, tantôt un émoussé –quand l’angulation locale de la crête était supérieure à 90° (fig. 127). L’emploi de cette technique, visant à donner à la crête antérieure un aspect rectiligne vu de face, confère à certaines lames à crête de Fontvannes un aspect particulier avec une face supérieure très abrasée. En profil, la crête antérieure est toujours très faiblement convexe, voire rectiligne. Les plans de frappe, toujours au nombre de deux et opposés, forment avec la crête antérieure un angle aigu. Ils ont été mis en place, lorsque c’était nécessaire, par l’enlèvement de crêtes façonnées à cet effet (elles se distinguent de la crête postérieure par une angulation marquée).

83La mise en forme des nucléus à lames exploite et conserve les symétries des blocs ellipsoïdes choisis à cet effet, à l’exception d’une partie du plan (P, G) qui n’est plus un miroir aux extrémités du nucléus, du fait de l’angle entre les plans de frappe et la future table laminaire (fig. 131).

La gestion du débitage

84Nous parlerons de débitage frontal pour les nucléus dont la table laminaire est située dans l’épaisseur du bloc –donc grossièrement parallèle à (P, G)– et de débitage semi‑tournant pour ceux dont la table laminaire est située dans la largeur du bloc –donc grossièrement parallèle à (G, M).

85L’étude des types de gestion des nucléus à lames en fonction de leur longueur à l’abandon ou de leur masse montre une forte corrélation entre ces paramètres. En effet, le débitage frontal semble associé, dans plus de 90 % des cas, à des masses comprises entre 550 et 950 g, la proportion avec les débitages semi‑tournants s’inversant à mesure que la masse des blocs est plus faible (jusqu’à 100 g). Deux hypothèses non exclusives peuvent être émises à ce propos : soit le débitage des blocs a été opéré différemment en fonction de leurs dimensions initiales, soit ils ont été exploités frontalement avant de devenir semi‑tournants après réduction de leur taille.

86L’observation détaillée des 14 débitages semi‑tournants révèle effectivement des traces d’une gestion frontale antérieure sur 11 d’entre eux : restes de crêtes postérieures et traces d’avivages orientées dans l’épaisseur du bloc, c’est‑à‑dire grossièrement orthogonaux à (G, M). La crête arrière centrale a, en effet, pour rôle principal à Fontvannes de permettre les avivages compatibles avec une gestion frontale, c’est‑à‑dire orthogonaux à (G, M). Cet objectif est effectivement atteint par l’application de cette méthode, mais cette dernière ne permet pas à elle seule la conservation de l’angle entre la table laminaire et les plans de frappe successifs (son augmentation progressive n’a pas été empêchée par un contrôle suivi de la jonction plan de frappe‑dos, pourtant très facile à réaliser techniquement). Ainsi, la poursuite du débitage frontal s’arrêtait, au plus tard, lorsque cet angle atteignait 90°, rendant difficiles des ravivages de plan de frappe à partir de la table laminaire.

87Pendant l’ensemble de cette phase frontale de débitage, les symétries initiales des blocs ellipsoïdes ont été conservées. Dans seulement un tiers des cas, les débitages ont été poursuivis au‑delà de cette phase, grâce à une série d’avivages à partir de la face large du nucléus (un des flancs de la phase antérieure), entraînant un débitage semi‑tournant qui rompt tout le système de symétrie antérieure : cette transition correspond à une véritable rupture dans la chaîne opératoire.

88En ce qui concerne la technique de percussion, il est possible d’observer un bulbe dans la plupart des cas. Très rarement, des lèvres marquées associées à des bulbes à peine développés, voire « négatifs », témoignent d’une percussion très tangentielle. Dans la plupart des cas, on remarque toutefois une lèvre à la jonction du talon et de la face inférieure, en général invisible à l’œil nu mais sensible au doigt. Sur les 126 lames entières et fragments proximaux, plus de la moitié (64) présentent des stigmates résultant d’une abrasion du bord du plan de frappe avant leur débitage.

89L’observation de ces stigmates nous a amené, sur les conseils de J. Pelegrin, à nous interroger sur l’utilisation éventuelle à Fontvannes de la percussion directe au percuteur de pierre tendre (comme par exemple le grès tertiaire présent sur place). Nous avons procédé à l’examen de deux séries laminaires expérimentales réalisées par J. Pelegrin : l’une obtenue à l’aide un percuteur en bois de renne en pencil holding (c’est‑à‑dire tenu à la manière d’un crayon), l’autre avec un percuteur en grès tendre. Dans le premier cas, les bulbes sont quasi inexistants et on observe, assez systématiquement, une lèvre assez marquée à la jonction du talon et de la face inférieure de la lame. Dans le second cas, les stigmates sont assez variables, avec toutefois l’existence systématique d’une lèvre très peu marquée (généralement invisible, mais sensible au toucher) et un bulbe plus ou moins marqué, parfois esquillé. De plus, la série expérimentale réalisée au percuteur de pierre tendre présente une caractéristique commune avec certains spécimens de Fontvannes : de fines ondulations serrées dans la partie proximale du bulbe. Ces observations nous font considérer comme vraisemblable l’utilisation du percuteur en pierre tendre pour le débitage laminaire de Fontvannes.

90Certaines lames, ayant un bulbe marqué ou esquillé et ne présentant pas de traces d’abrasion du bord de plan de frappe préalable à leur extraction, ont pu être obtenues par percussion directe au percuteur dur. Ces produits, peu fréquents, sont en général de grande taille et semblent provenir de phases précoces du débitage.

91Au cours de la phase de débitage frontal, le profil longitudinal de la table laminaire a souvent été rectifié par des demi‑crêtes réalisées par la technique décrite plus haut pour la régularisation des crêtes antérieures au cours de la mise en forme.

3.3.1.2 Les objectifs du débitage laminaire

92Les deux types de gestion de débitage mis en évidence produisent des lames de morphologies différentes. En effet, la phase frontale permet l’obtention de produits longs, épais et plutôt étroits. L’abandon de deux tiers des nucléus au cours de cette phase indique que la réalisation de tels produits était, au moins quantitativement, l’objectif principal du débitage laminaire. Ils ont été employés pour la fabrication de lames retouchées et de robustes grattoirs, et il semble qu’un certain nombre d’entre eux aient été emportés hors de la zone fouillée. Les lames issues de la phase semi‑tournante, plus courtes et plus fines, ne comptent pas parmi les supports d’outils retouchés (très peu nombreux sur le site, il est vrai) et ne manquent pas dans les remontages de la zone 1.

3.3.1.3 Le degré de variabilité de la conduite du débitage laminaire

93Les interactions fortes qui existent entre les différentes caractéristiques de toutes les phases de la chaîne opératoire (en tout cas jusqu’à la fin de la « phase frontale ») en font un système très rigide, qui ne permet que peu de variabilité. Il en résulte un aspect très stéréotypé des produits et déchets obtenus (notamment les nucléus). Cette « rigidité opératoire » pourrait être le résultat de l’adoption par le groupe d’un système de production contraignant ne permettant, pour des raisons intrinsèques, que peu de variabilité. Une telle homogénéité, dans un système moins contraignant, comme le système magdalénien par exemple, pourrait avoir pour cause le type de transmission du savoir technique d’une génération à l’autre.

3.3.2 La production de lamelles

94La zone 1 correspond à un secteur du site où la production de lamelles était supérieure à la normale et la méthode de fouille ne peut à elle seule expliquer une aussi forte différence de représentation avec le reste du secteur fouillé, dans la mesure où cette même zone a également livré 5 lamelles à dos qui indiquent la finalité du débitage de lamelles.

95La série compte 11 nucléus à lamelles et 5 blocs abandonnés en cours de mise en forme en vue d’un débitage de lamelles. La chaîne opératoire est plus variable que pour la production de lames, mais un stéréotype se dégage avec 8 nucléus sur 11 (les autres sont des débitages opportunistes peu productifs sur supports variés). Il s’agir d’un débitage semi‑tournant qui démarre sur une mise en forme à deux crêtes postéro‑latérales avec, dès le départ, deux plans de frappe opposés orientés vers la face large du bloc.

96Le débitage des lamelles commence en général par l’enlèvement d’une des crêtes postéro‑latérales et tourne immédiatement vers la face large choisie comme table lamellaire : les premières lamelles, trop épaisses pour la fabrication de lamelles à dos, ont donc été abandonnées sur le lieu de débitage.

3.4 Fonction du site

97La seule activité anthropique qui soit décelable dans la partie fouillée du site est la fabrication d’outillage lithique au sens large. Cela ne signifie pas que ce soit la seule activité qui ait été produite : seule une partie de site a été fouillée, la faune ainsi que d’éventuelles structures d’aménagement peuvent n’avoir pas été conservées. Par ailleurs, la patine prononcée des silex interdit, ici encore, une étude tracéologique.

98La proximité d’affleurements de silex de très bonne qualité ainsi que celle de la source de la Vanne, pour l’approvisionnement en eau, peuvent avoir joué un rôle dans l’établissement préhistorique de Fontvannes. Dans la partie la mieux préservée du gisement, un véritable atelier (ou, au moins, un poste important) de taille a été mis en évidence, avec plusieurs nucléus à lames et à lamelles débités exactement au même emplacement. Les pièces, produites sur place et qui manquent, peuvent avoir été soit utilisées dans une autre partie du site, soit emportées ailleurs. Bien que les tailleurs de Fontvannes ne se soient pas directement installés sur un gîte de matière première, on peut imaginer qu’ils devaient être contraints, compte tenu de la grande rigueur de sélection des blocs requise par la chaîne opératoire de production des lames, à des prospections sur un territoire assez vaste pour acquérir leur matière première. Si le très faible taux d’outils (0,5 %) suggère l’existence d’activités liées à un petit séjour, la fonction de site d’approvisionnement en produits finis ou semi‑finis reste néanmoins une hypothèse attrayante même si, en l’état actuel de nos connaissances, elle n’est pas démontrée.

3.5 Comparaisons chronoculturelles

99Le très faible nombre d’outils (20) ainsi que l’absence de données chronostratigraphiques rendent délicate une attribution précise. Le nombre encore restreint de publications d’études technologiques concernant les industries régionales du Paléolithique supérieur en dehors du Magdalénien limite pour l’instant l’utilisation de notre étude à des fins chronologiques.

3.5.1 Comparaisons typologiques

100La série de Fontvannes se compose d’outils sur lamelles (les lamelles à dos), sur lames épaisses (lames retouchées, grattoirs) et sur éclats. Les seuls fossiles directeurs pourraient être le grattoir caréné à museau et le burin caréné – outils généralement associés aux industries aurignaciennes. Toutefois, la bonne représentation des lamelles à dos et les caractères du débitage vont à l’encontre d’un rattachement de l’industrie de Fontvannes à l’Aurignacien.

101L’outillage du site ne permet pas d’attribuer la série étudiée à une tradition précise du Paléolithique supérieur ou de l’Epipaléolithique (au sens strict), mais il présente des caractéristiques générales qui permettent de le classer dans le grand ensemble compris entre 40000 et 10000 BP.

3.5.2 Comparaisons technologiques

102Si l’on compare à présent les caractères techniques du débitage à ceux des principales industries du Paléolidtique supérieur, il est possible d’acquérir quelques certitudes « négatives » et d’autres, plus nuancées.

L’Aurignacien

103Les lames aurignaciennes, produites à partir de nucléus à gestion semi‑tournante, le plus souvent à un plan de frappe, ont tendance à être larges et volontiers arquées. La production laminaire de Fontvannes présente donc très peu de points communs avec celles de l’Aurignacien.

Le Magdalénien

104Dans cette culture bien connue dans le Bassin parisien, le débitage laminaire a pour objectif la production de produits allongés et fins, bien différents des lames de Fontvannes. De plus, dans le Magdalénien régional, la préparation du plan de frappe en éperon est toujours attestée, alors qu’il n’en existe aucun exemplaire dans la série étudiée.

Le Périgordien supérieur ou Gravettien

105Dans les sites du S‑O de la France, on observe plutôt une production de lames fines et rectilignes, bien différentes de celles de Fontvannes, Nous avons eu l’occasion d’observer les séries lithiques des autres sites régionaux attribués au Périgordien, Les Gros Monts à Nemours (Seine‑et‑Marne) et Malay‑le‑Petit (Yonne) –dont P. Bodu a estimé, dans le chapitre précédent, qu’il pouvait être aussi aurignacien. Dans les deux cas, le débitage laminaire, réalisé au percuteur tendre, est très différent de celui de Fontvannes, et aucune lame à crête fortement abrasée n’a été observée.

106Toutefois, à 70 km de Fontvannes, un gisement attribué au Périgordien a plus récemment été fouillé à Chamvrcs (Yonne) (Connet et al. 1992). L’étude de la technologie lithique, réalisée par P. Bodu, a mis en évidence la recherche de lames épaisses et rectilignes, comparables à celles de Fontvannes. La gestion des nucléus semble être plutôt semi‑tournante et la série ne comporte pas ces lames à crête fortement abrasées qui pourraient être une des caractéristiques de l’industrie de Fontvannes.

Le Paléolithique supérieur final de type Belloy‑sur‑Somme

107Dans les séries « belloisiennes », connues pour les plus proches à Donnemarie‑Dontilly (Seine‑et‑Marne) (Bodu, Valentin 1993) et Rilly‑Sainte‑Syre (Valentin 1995a), de grandes lames sont produites par percussion directe au percuteur de pierre tendre, comme à Fontvannes. Toutefois, la gestion des blocs est très différente : il s’agit d’un débitage laminaire semi‑tournant, souvent effectué sur des nucléus à deux crêtes postéro‑latérales. Il reste à savoir dans quelle mesure la morphologie des blocs de matière première peut avoir eu une influence sur la conduite différente des débitages. Une chose est sûre en tout cas, les lames mâchurées que l’on rencontre dans les sites attribués à ce faciès sont totalement absentes à Fontvannes, et des lames à crête fortement abrasées n’ont jamais été signalées dans ce faciès de l’extrême fin du Paléolithique supérieur.

3.5.3 Conclusion

108En guise de conclusion, on peut dire que la série de Fontvannes présente les similitudes les plus satisfaisantes avec certaines industries du Périgordien et du Paléolithique supérieur final, mais que de nettes divergences existent aussi avec ces séries. La région environnante du site est encore mal connue pour le Paléolithique supérieur, et les comparaisons deviennent de plus en plus délicates quand les distances entre les sites augmentent. L’industrie de Fontvannes sera peut‑être intégrée de manière plus satisfaisante à une échelle chronoculturelle lorsque les recherches régionales se seront développées davantage.

109Toutefois, il s’avère que les découvertes récentes dans la vallée de la Vanne, avec les gisements de Lailly/Le Domaine de Beauregard, de Fontvannes/Le Bas du Fort Miroir et de Villiers‑Louis auxquels on peut associer le site aurignacien de Malay‑le‑Petit, fouillé au xix^e s, confèrent à la petite vallée de la Vanne une nouvelle importance dans les modalités de peuplement du S‑E du Bassin parisien au cours du Paléolithique supérieur.