1.1 Le contexte géographique de la région

1Le gisement de Marolles‑sur‑Seine/Le Grand Canton se trouve dans l’interfluve de la Seine et de l’Yonne (fig. 1), dans la vallée à environ 3 km en amont de la confluence de ces deux cours d’eau.

2La confluence de la Seine et de l’Yonne a lieu au niveau de Montereau‑Faut‑Yonne, à quelques kilomètres en amont du site préhistorique de Pincevent. L’interfluve est encadré au nord par le plateau Briard et la cuesta du pays d’Othe, au sud par le plateau du Gâtinais. La Seine sert de gouttière le long de la cuesta du pays d’Othe, alors que l’Yonne coupe orthogonalement cette cuesta. La confluence correspond au prolongement le plus occidental du plateau du Sénonais.

3Les cuestas du pays d’Othe et le bord du plateau du Gâtinais culminent respectivement à 160 m et à près de 110 m d’altitude ngf. Le plateau Sénonais culmine à 220 m. À la hauteur de Marolles‑sur‑Seine, la plaine alluviale de la Seine s’établit entre 49 et 50 m et celle de l’Yonne entre 50 et 51m.

4L’interfluve présente une morphologie très contrastée, marquée le long de la Seine par des buttes de sables culminant à 55,2 m et des creux à 50 m, alors que le relief est plus plat le long de l’Yonne, entre 52,5 et 53 m. Face au Grand Canton, la vallée de l’Yonne a une largeur de moins de 2 km et celle de la Seine, qui était large de 6 km en Bassée, se rétrécit en un goulet de moins d’1 km. Au‑delà de ce goulet, la Seine s’étale de nouveau de Montereau‑Faut‑Yonne jusqu’à la hauteur de Vernou‑la‑Celle où un nouveau rétrécissement est dû au franchissement de la cuesta du pays d’Othe.

5En aval de la confluence Seine/Yonne, le fleuve dépose des limons de débordement sur toute la surface de la plaine jusqu’à une altitude de 49 m ngf, comme il a été observé sur le site de Pincevent (Roblin‑Jouve 1980 ; 1984).

1.2 Le contexte archéologique régional et local

6Depuis la découverte de La Grande‑Paroisse/Pincevent (Seine‑et‑Marne) en 1964, les recherches sur le peuplement tardiglaciaire du centre du Bassin parisien ont connu un essor considérable. Les fouilles programmées conduites sur les gisements de vallée de Pincevent, Etiolles/Les Coudrays (Essonne), Verberie/Le Buisson Campin (Oise) et Marsangy/Le Pré des Forges (Yonne) ont permis de recueillir des données inestimables sur l’identité technique ainsi que sur l’organisation sociale et économique des groupes magdaléniens qui ont fréquenté le Bassin parisien entre le Bölling et le début de l’Alleröd (Audouze 1987 ; 1992 ; Julien 1989b ; Julien et al. 1988 ; Olive, Pigeot 1991 ; Schmider 1989a ; 1989c ; Taborin 1994). Entre ces gisements, on a tenté des comparaisons qui prennent en compte de multiples aspects des activités saisonnières de leurs occupants ; pratiques de chasse, mode d’acquisition du silex, caractéristiques techniques et typologiques de leurs industries, nature des structures d’habitat. Des recherches concernant l’approvisionnement de ces gisements en silex allochtone et en coquillages de parure ont permis de tracer les contours des territoires coutumiers fréquentés par ces groupes.

7Dans l’espace ainsi défini, qui correspond grosso modo aux terrains tertiaires de l’île‑de‑France et à leur bordure crétacée, on peut recenser, à l’heure actuelle, une vingtaine d’autres gisements magdaléniens, connus uniquement par des ramassages de surface, des fouilles anciennes ou des sondages limités (fig. 2) (Schmider 1984 ; 1989 ; Valentin 1995a). Ces occupations, bien que non datées pour la plupart, ont été peu à peu réintégrées, essentiellement par des rapprochements typologiques et technologiques, dans un cadre comparatif général élaboré à partir de l’étude des gisements de vallée. Par ce biais, les conditions d’une approche régionale des groupes magdaléniens sont progressivement réunies.

8Il faut ajouter que, depuis quelques années, à la faveur du recensement systématique des sites magdaléniens, notre attention s’est également portée vers des occupations tardiglaciaires plus récentes (Bodu 1995b ; Bodu, Valentin 1993 ; Bodu et al. 1994 ; Valentin 1995a ; 1999 ; Valentin et al. à paraître). Une approche diachronique comparative éclaire désormais les grandes mutations techniques et économiques dont témoigne l’apparition successive de ces faciès. Par ce jeu de contrastes, l’identité du Magdalénien peut être cernée plus précisément encore.

1.2.1 La région comprise entre la vallée du Loing et la vallée de l’Yonne

9Au sud de l’Île‑de‑France, entre la vallée de l’Yonne et la vallée du Loing, on a pu recenser, à ce jour, au moins 15 gisements de plein air qui ont révélé des occupations s’échelonnant de la fin du Bölling pour le Magdalénien supérieur à la transition Dryas III/Préboréal pour les derniers faciès du Paléolithique supérieur final.

10Les fouilles menées entre la fin du siècle dernier et le milieu de ce siècle dans la vallée du Loing, à la hauteur de Nemours (Seine‑et‑Marne), ont permis de mettre en évidence cinq sites de versant recelant des niveaux d’occupation du Magdalénien supérieur (Leroi‑Gourhan et al. 1976 ; Schmider 1984 ; 1989a). Légèrement en amont de la confluence du Loing et de la Seine, le site de La Grande‑Paroisse/Pincevent, fouillé sans interruption depuis 1964, a livré une quinzaine de niveaux d’occupation magdaléniens exceptionnellement conservés par des limons fins de débordement (Baffier et al. 1992 ; Bodu 1991 ; Leroi‑Gourhan, Brézillon 1966 ; 1972 ; Julien 1989a). Le niveau IV‑20, connu actuellement sur plus de 4 000 m², contient les vestiges d’un vaste campement occupé principalement pendant les mois d’automne et spécialisé dans la chasse au renne. Le dernier niveau d’occupation magdalénien, le IV‑0, exploré plus partiellement, associe aux restes de rennes de nombreux ossements de chevaux (David 1994 ; Orliac 1994). Cette association de faune se retrouve également sur le site de plateau voisin de Ville‑Saint‑Jacques/Le Tilloy (Degros et al. 1994). Ce gisement, connu par de nombreux ramassages de surface et par des sondages limités, a livré une industrie magdalénienne comparable à celle de Pincevent. La plupart des dates radiocarbones obtenues sur ces deux sites placent leur occupation entre 12600 ± 200 et 12000 + 200 BP, soit pendant la chronozone du Bölling. À Marsangy/Le Pré des Forges, près de Sens, un autre gisement magdalénien de plein air a été fouillé sur les bords de l’Yonne (Schmider 1979 ; 1992). L’industrie qui y a été recueillie présente des caractères technologiques et typologiques proches de ceux qui ont été observés sur les sites précédents. Selon B. Schmider, les pointes à dos qui y ont été découvertes sont l’indice d’influences nordiques sur un substrat technique classique pour le magdalénien régional. La présence de quelques restes de faune tempérée (cerf) et des dates ¹⁴C de 12120 ± 200 et 11600 ± 200 BP situeraient l’occupation du site au tout début de l’Alleröd ou juste avant son commencement. Le faciès typologique particulier rencontré à Marsangy pourrait donc correspondre à une évolution tardive du Magdalénien régional. Ce faciès, qui présente également certaines particularités technologiques, est également attesté en face de Marsangy, à Villeneuve‑sur‑Yonne/Le Bois de l’Hôtel Dieu (Soriano 1997) et plus au sud, à Cepoy/La Pierre aux Fées (Loiret), dans la région de Montargis (Allain et al. 1978 ; Allain 1989 ; Valentin 1995a).

11D’autres découvertes ont révélé l’existence d’une occupation tardiglaciaire postérieure au Magdalénien. À Pincevent, les sables qui surmontent les limons magdaléniens et dont le dépôt a été daté de l’Alleröd contiennent, dans le niveau III. 1, une industrie à Federmesser associée à un horizon pédologique (Orliac 1994 ; Bodu et al. 1996). De l’autre côté de la Seine, sur la commune de La Grande‑Paroisse, on a recueilli une abondante série de surface relevant de la même tradition technique (Valentin 1995b). À Donnemarie‑Dontilly/La Fouillotte (Seine‑et‑Marne), des fouilles récentes ont mis en évidence un atelier de taille recelant un faciès technique jusqu’alors inédit en Île‑de‑France. Ce faciès est comparable aux industries « belloisiennes » connues dans la Somme et aux Long Blade assemblages du bassin de la Tamise, datés de la transition Dryas III/Préboréal (Bodu, Valentin 1992 ; Fagnart 1997 ; Valentin 1995a).

12C’est donc dans une région dont le peuplement tardiglaciaire paraît de plus en plus dense et diversifié que le gisement magdalénien du Grand Canton à Marolles‑sur‑Seine a été découvert, en 1990.

1.2.2 La confluence Seine‑Yonne

13Depuis la découverte du Grand Canton, quatre nouveaux gisements tardiglaciaires ont été localisés dans le périmètre plus restreint formé par l’interfluve Seine‑Yonne, à l’occasion d’une intensification des travaux en gravières dans ce secteur (fig. 1).

14Le premier site a été découvert en 1991 sur la même commune, au lieu‑dit Le Tureau des Gardes, à 1,5 km au N‑O du Grand Canton (Alix et al. 1993 ; Gouge, Mordant 1992 ; Gouge et al. 1994 ; Hantaï 1993 ; Lang et al. 1993 ; 1994). Il s’agit d’une vaste occupation magdalénienne qui présente un certain nombre de points communs avec celle du Grand Canton : topographie identique, organisation spatiale comparable, activités de chasse de même nature, industrie lithique présentant des caractères convergents. L’exploitation archéologique de ce site est en cours et les premiers résultats des campagnes précédentes alimenteront notre réflexion sur Le Grand Canton.

15Sur la commune de Barbey (Seine‑et‑Marne), au lieu‑dit Le Chemin de Montereau, à un peu plus d’1 km au S‑E du Grand Canton, une autre occupation magdalénienne a pu être fouillée en 1992 (Lang, Séara 1993). Sur ce gisement dont l’occupation paraît moins dense, la faune n’est pas conservée. L’organisation spatiale diffère un peu de celle des gisements de Marolles et présente beaucoup de similitudes avec celle que l’on observe sur le niveau IV‑20 de Pincevent. On ne sait encore si cette particularité tient à un mode spécifique d’implantation ou si elle résulte seulement d’un séjour plus court n’ayant pas modifié la configuration d’origine. Dans ses grandes composantes, l’industrie lithique recueillie à Barbey s’apparente aux autres industries magdaléniennes de la région.

16À Marolles‑sur‑Seine, les surveillances archéologiques menées en 1994 par le Centre archéologique départemental de la Bassée sur l’extension de la carrière de Barbey, au lieu‑dit Le Chemin de Sens, ont permis la découverte d’un nouveau site fortement érodé aux caractéristiques générales très proches de celles du gisement de Barbey distant de moins d’1 km (Lang 1995a).

17Sur l’autre rive de l’Yonne, à Varennes‑sur‑Seine (Seine‑et‑Marne), la fouille d’un site protohistorique a livré un amas de restes de taille isolé dont le contenu présente de fortes convergences techniques et typologiques avec les industries magdaléniennes de la région (Bridault et al. 1997).

18Les gisements de l’interfluve appartiennent à l’extrémité occidentale de la Bassée, où des travaux de surveillance et de sauvetage archéologique intensifs ont mis en évidence, depuis 20 ans, de nombreuses occupations néolithiques, protohistoriques et historiques. Mais, jusqu’à présent, en amont de Marolles, les seules découvertes antérieures au Néolithique concernent des artefacts du Paléolithique moyen isolés et remaniés ou des restes d’occupations mésolithiques du Boréal, conservés en milieu humide (Mordant, Mordant 1989 ; Mordant 1992).

19La zone de la confluence Seine‑Yonne apparaît donc désormais comme un secteur privilégié pour les recherches sur le Tardiglaciaire. Il est encore trop tôt pour savoir si cette situation est le reflet d’une réalité du peuplement préhistorique ou le simple résultat d’une conservation différentielle. Quoi qu’il en soit, on peut y voir d’ores et déjà le témoignage d’une occupation intense d’un terroir aux ressources naturelles abondantes et diversifiées.