Un quartier antique d’artisanat métallurgique à Autun
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Texte intégral
Les principaux acquis
1Les données recueillies sur le site du Lycée militaire sont d’une importance exceptionnelle : une surface de l’ordre d’1 ha, correspondant à une partie d’un quartier artisanal à dominante métallurgique, a pu être fouillée finement. La documentation collectée, qu’il s’agisse des structures de travail (sols, fours, fosses, etc.) et des mobiliers associés (outils, chutes, déchets et ratés de fabrication principalement), est, en qualité et en quantité, incomparable au sens premier du terme. Pour le seul travail des alliages à base de cuivre, rappelons que le nombre des foyers examinés est supérieur à quarante et que, parmi les vestiges de l’étape de fonderie, les fragments de moules et de creusets sont comptés par quintaux !
2L’importance de la technique de fouille est à souligner. Des sondages à la pelle mécanique avaient permis de mettre en évidence la grande richesse du mobilier lié au travail du métal et la succession des occupations ; en revanche, ils ne pouvaient pas indiquer de façon certaine s’il s’agissait d’ateliers ou seulement de l’épandage de déchets. En effet, pour cette période la grande majorité des structures de l’artisanat du métal sont, contrairement à ce que l’on pense a priori, petites et fragiles. En d’autres termes, un four de bronzier ne pourra pas être reconnu lors de l’exécution d’une tranchée à la pelle mécanique : il n’en subsistera que des fragments d’argile rubéfiée accompagnés éventuellement de quelques pierres brûlées. Lors des choix méthodologiques, il faut être conscient que seule une fouille fine peut permettre de documenter correctement tous les éléments de structure.
3Il n’est pas inutile d’insister sur les conséquences de la fouille en stratigraphie ; elle permet d’isoler des ensembles de structures, voire d’y associer certains mobiliers ; cela conduit à mettre en évidence la succession d’artisanats différents : par exemple, sur un même lieu, un forgeron succède à un bronzier. Dans nombre de fouilles anciennes, ces activités consécutives ont été artificiellement regroupées ; comment est‑il possible, dans ces conditions, de comprendre ce qui a été fait dans tel atelier ? Pour aller plus loin sur ce sujet, compte tenu des observations faites à la Porte du Rebout au Mont Beuvray (Pernot 1998) et au Lycée militaire à Autun, la question se pose de savoir si cette succession des occupations et la stratigraphie qui en résulte ne seraient pas une caractéristique des lieux artisanaux de ces périodes.
4Enfin, l’attention portée à des vestiges peu prestigieux, tels certains déchets comme les scories et les battitures pour le travail du fer, ou bien à des objets non métalliques, les moules en terre ou en pierre ainsi que les autres outils lithiques, alors que le centre d’intérêt est le métal, est une des composantes déterminantes de la méthode d’étude. Lors de fouilles anciennes, ces différents vestiges ont‑ils été vus ? Ont‑ils été compris ? Si oui, ont‑ils été conservés en partie ou en totalité ? Le moule pour la coulée en grappe de fibules, similaire à ceux du site du Lycée militaire, trouvé par Bulliot sur le Mont Beuvray au xixe s. (Beck et al. 1982‑ 1983), et qu’il n’avait pas compris comme tel (Pernot et al. à paraître), devait certainement être accompagné de fragments d’autres moules.
5Il résulte de cette association entre technique de fouille et méthode d’étude que la confrontation entre les informations recueillies sur les structures et sur le mobilier est possible. Ainsi, c’est à partir de ce croisement que l’on démontre (et non que l’on soupçonne ou que l’on décide) que la fonction des locaux mis au jour est relative à telle activité artisanale. Dans l’ordre d’importance, le travail des alliages à base de cuivre, du fer et la poterie sont repérés. Il est bien évident que certains locaux restent d’interprétation très floue, des travaux, ne laissant pas de vestige lisible ou conservé, ayant pu s’y dérouler ; l’achèvement d’objets en cuir ou en bois en constitue un exemple.
6Toutes les questions ne trouvent pas réponse, mais certains points peuvent être éclaircis. Pour la métallurgie, en particulier, la position, dans la chaîne opératoire, du travail effectué dans tel atelier est précisée. Pour le fer, il s’agit de la phase de travail postréduction, plus exactement de la fabrication d’objets à partir de métal déjà raffiné. Pour les alliages à base de cuivre, deux types sont distingués : des ateliers où se déroule toute la partie de la chaîne qui va du métal à l’objet, c’est‑à‑dire les phases de fonderie et de postfonderie, en opposition à des ateliers de travail postfonderie uniquement. Une ébauche de typologie des ateliers de bronziers est ainsi esquissée. Dans quelques cas, certaines des productions d’un atelier (sans qu’il s’agisse d’exclusivités) peuvent être déterminées : des fibules en laiton de type 3, des clochettes en alliage à base de cuivre et des clochettes en tôle de fer bronzée.
7Il ressort des résultats obtenus au Lycée militaire que les artisans travaillent dans de petites unités ; aucun grand « hall d’usine » avec des postes de travail identiques alignés les uns à côté des autres n’a été observé. Ces petites unités peuvent, à certains moments au moins, fabriquer les mêmes objets ; c’est le cas pour les ateliers des pièces 1‑11 à l’état 1b et 1‑13 à l’état 1 qui fabriquent des fibules très probablement au même moment.
8L’existence du quartier artisanal, c’est‑à‑dire d’un vaste espace où des artisans mettent en œuvre leurs talents dans différents domaines, et la pérennité de ce caractère sur plus de deux siècles sont des faits établis. Ce quartier est intégré dans la ville ; ceci montre à l’évidence, mais encore fallait‑il en avoir la preuve, qu’ils n’en sont pas exclus.
9La question de l’habitat de ces artisans reste très ouverte. Les activités métallurgiques, et l’usage du feu qui en découle, n’interdisent absolument pas que les ateliers soient surmontés d’un étage. Dans le cas du Lycée militaire, bien au contraire, l’aménagement en terrasses, dû à la configuration en pente du terrain, et la présence de cages d’escaliers indiquent de façon certaine qu’un étage surmonte une partie des ateliers des îlots A et C. En revanche, nous ignorons quelle surface cela représente et quelles activités s’y déroulent. En effet, les artisans et leurs familles peuvent y vivre leurs activités domestiques ; mais ces étages peuvent aussi être le lieu d’autres activités artisanales, par exemple celles qui consistent à monter sur du cuir ou du bois des pièces métalliques réalisées au niveau inférieur (produire des ceintures ou des coffrets pour donner des exemples très précis) ; ils peuvent encore être, au moins pour la partie qui borde le decumanus, et qui serait de plain‑pied, des espaces commerciaux affectés à la vente des productions.
10Peu de vestiges, comme par exemple une fosse‑dépotoir, peuvent être reliés directement à la vie domestique ; la présence de tessons de céramiques d’usage courant ne prouve rien, car il est certain que la grande majorité des récipients utilisés dans un atelier est extraite de la panoplie domestique ; de même, la présence de peintures murales et de restes alimentaires n’est pas décisive. Ces résultats de terrain associés au peu de connaissance que nous possédons, aussi bien sur les habitats modestes que sur les modes de vie des artisans, ne permettent pas de répondre à la question : les artisans du site du Lycée militaire habitent‑ils sur leur lieu de travail ? En conséquence, il n’est pas envisageable d’argumenter sur l’existence d’une règle générale.
11L’urbanisme de ce quartier résulte, sans aucune ambiguïté, d’un plan général, pensé dans son ensemble jusqu’à un niveau de détail assez fin, c’est‑à‑dire jusqu’à l’intérieur des îlots (fig. 203), et appliqué sans remise en cause. À l’échelle des voies, l’organisation géométrique de l’espace est, comme cela était prévisible, bien réglée par un réseau orthogonal. La mise en accord de ce quadrillage et du rempart est assez bien réalisée ; les deux tours sont centrées sur les axes des cardines ; les façades sud des îlots A et C sont parallèles aux courtines ; seule la façade sud de l’îlot E pose un problème, car elle n’est pas parallèle au rempart sur le segment observé. Rappelons cependant que les fouilles n’ont pas permis d’apporter d’élément décisif pour préciser la chronologie absolue de l’origine du développement urbain.

FIG. 203 ‒ Proposition d’un canevas géométrique de découpage de l’espace. La construction utilise un module principal compatible avec une valeur de 100 pieds, et deux sous‑modules qui le divisent environ en un tiers/deux tiers.
dess. M. Pernot/CNRS
12Au niveau des dimensions de la réalisation de ce canevas géométrique, la figure 203 propose une interprétation, en terme de modules, qui nous semble significative. Elle fait intervenir un module principal (module 1) et deux sous‑modules dépendants (dont la somme est égale au module principal), correspondant approximativement à deux tiers (module 2) et à un tiers (module 3) du module principal. La largeur de l’îlot C, comptée entre les murs des façades (c’est‑à‑dire sans tenir compte des trottoirs ou des éventuels portiques), est égale à trois fois le module 1 ; le module 2 semble déterminer la largeur des voies, toujours considérée entre les murs des façades, ainsi que la distance entre le rempart et la façade sud de l’îlot C ; quand au module 3, il est en bon accord avec la largeur des chaussées considérées entre les caniveaux.
13Pour l’îlot E, dont le mur de façade sud pose problème ainsi que nous l’avons déjà signalé, il semble qu’une partie du tracé (fig. 203, en pointillé) soit reprise sur un repère légèrement décalé par rapport à celui utilisé pour les voies et les autres îlots.
14Ces modules paraissent avoir été également utilisés pour diviser l’espace intérieur des îlots. Particulièrement pour l’îlot C, le rythme des murs perpendiculaires au decumanus n’est pas quelconque. Les divisions données par le module 1 sont en assez bon accord avec le découpage de cet îlot (détaillé au chapitre 2) en trois bâtiments répartis sur trois parcelles ; à l’intérieur même des parcelles, les sous‑modules semblent conserver un sens.
15Au niveau de la métrique, la distance entre les façades est et ouest de l’îlot C est de 89 m ; si l’on admet que cette dimension est égale à trois fois le module 1, ce dernier est ainsi égal à 29,7 m. Le module 1 est donc en très bon accord avec une mesure de 100 pieds (Varène 1992 : 173).
L’artisanat à Augustodunum : bilan des connaissances
16Les données connues à ce jour sur l’artisanat sont rassemblées dans la figure 204 et le tableau xxxiii qui reprennent et complètent le travail de la carte archéologique (Rebourg 1993a : 136‑146) antérieure à la fouille du Lycée militaire. Les éléments nouvellement recueillis et l’analyse qui en découle suscitent plusieurs commentaires.

TABL. XXXIII ‒ Descriptif des découvertes artisanales faites à Augustodunum ; le numéro de site renvoie à la localisation sur la figure 204.
- 1 Rappelons que le musée Rolin est né de la fusion des collections de la Société éduenne et de celles (...)
17À partir du xixe s., à l’occasion de travaux d’urbanisme, des objets liés à des activités artisanales, ou plus rarement des déchets, sont recueillis et déposés au musée Rolin1. Ces vestiges ont été sélectionnés, en général, selon des critères inhérents à leur bonne conservation et à leur rareté ; les contextes de découverte sont plus ou moins bien décrits. Nous avons exclu de cette étude les découvertes portant sur une très faible quantité de matériel, un ou deux objets, ou sur des données peu significatives, par exemple pour la métallurgie « poches cendreuses », « débris de bronze », en privilégiant les associations de mobiliers représentatifs.
18De nombreuses trouvailles, mentionnées dans des rapports de fouilles anciens, ne sont pas rattachées à un contexte stratigraphique précis (remblai, sol, pièce...), ce qui réduit notablement la qualité des informations ; si du mobilier est découvert dans un remblai, son origine reste souvent imprécise. C’est le cas, par exemple, de la construction ou de la restructuration d’un bâtiment antique qui a donné lieu à l’aménagement du terrain en le remblayant avec des sédiments anthropiques contenant du mobilier qui peut provenir de différents secteurs de la ville. Dans les chroniques de fouilles, des indications sont parfois données sur les dépotoirs artisanaux, mais la description des structures d’ateliers est inexistante à l’exception de celles liées au travail de la terre. Il est vrai que certaines activités n’engendrent pas, ou peu, de vestiges (la production de certains objets en matières organiques par exemple) ; les traces de ces travaux sont ainsi difficilement perceptibles.

FIG, 204 ‒ Carte de répartition des découvertes artisanale dans Augustodunum : 1 Jardin lorrain ; 2 Faubourg d’Arroux (jardin Poizeau et caserne Changarnier) ; 3 18, faubourg d’Arroux ; 4 Rue des Pierres ; 5 gare ; 6 43‑45, rue de la Grille ; 7 Institution Saint‑Lazare, 14, rue‑aux‑Raz ; 8 Hôpital, Pavillon Saint‑Louis ; 9 14, rue de la Croix‑Verte ; 10 Promenade des Marbres ; 11 Résidence Le Cardo, 8, rue de la Jambe‑de‑Bois ; 12 14, rue Lauchien‑le‑Boucher, anciennement Petites Sœurs des Pauvres ; 13 Lycée militaire ; 14 Quartier Saint‑Jean, anciens jardins de l’abbaye Saint‑Jean ; 15 Clinique du Parc, 6, avenue du Morvan ; 16 Ateliers d’art, boulevard F. Latouche.
fond de plan d’apr. CEAA 1993, P. Chardron-Picault/Ville d’Autun, L. Vaxelaire/Afan
- 2 Citons entre autres l’inventaire et la typologie du petit instrumentum des collections du musée Rol (...)
19Quoi qu’il en soit, la documentation publiée ou inédite révèle de nombreuses lacunes et des domaines d’études encore inexploités2.
- 3 Il faut signaler l’abondance des déchets retrouvés dans la ville au cours des interventions.
- 4 Une inscription, découverte à Montceau‑le‑Comte dans la Nièvre, confirme la présence d’arsenaux à u (...)
20En élaborant la cartographie des sites artisanaux d’Autun, deux constatations s’imposent : la prédominance de l’artisanat métallurgique3 et la dispersion des sites dans la ville. L’omniprésence de la métallurgie n’étonne guère car les textes antiques (Notifia Dignitatum ; Mangin 1996 : 11), l’épigraphie4, l’iconographie des stèles funéraires donnent une place privilégiée à cet artisanat. Mais la renommée des Éduens dans ce domaine d’activité tire ses origines de la période gauloise, comme en témoignent les vestiges mis au jour depuis le siècle dernier à Bibracte, et que des études récentes mettent en lumière (Pernot 1998).
- 5 À ce jour, aucune installation artisanale extra muros n’est attestée de façon indiscutable bien que (...)
21Si la dispersion spatiale des activités artisanales dans les villes de l’Empire romain apparaît comme un élément déterminant pour caractériser l’insertion de l’artisanat dans le tissu urbain, celle qui est observée pour les découvertes autunoises indique également une localisation des ateliers en périphérie à l’intérieur de l’enceinte5. Cette remarque doit être soumise à réflexion : la concentration des artisanats en périphérie de la ville correspond‑elle à une réalité antique ou est‑elle le fruit hasardeux des recherches actuelles dans des espaces non urbanisés ? Les vestiges trouvés plus au centre, disséminés généralement le long des voies, doivent‑ils être reliés à des locaux dans lesquels les artisans effectuaient principalement des tâches d’entretien et de réparation et dont le commerce aurait été l’activité prépondérante, comme cela se rencontre à Pompéi ? Par ailleurs, on constate une imbrication des pièces artisanales avec des salles spacieuses appartenant soit à une domus (fig. 204, sites nos4, 6 et 11), soit à une habitation à caractère plus modeste. La présence de boutiques près (ou dans) des maisons est un phénomène largement répandu dans les milieux urbains de l’Empire romain.
- 6 Le site de la Rue des Pierres est localisé au N‑E de la ville, intra muros et en bordure d’un decum (...)
22À la périphérie d’Autun, trois grands sites de zone artisanale sont actuellement connus : le Lycée militaire (no 13), la Rue des Pierres (no 4) et le Faubourg d’Arroux (no 3) ; ils se distinguent par la diversification des activités et par la fabrication en série des objets, tout au moins pour les deux premiers sites6. Malgré la richesse des données, les jalons chronologiques précis font souvent défaut ; il est donc impossible de comparer les phases d’occupation des différents sites. Les données du quartier artisanal du Lycée militaire apparaissent comme pionnières dans l’histoire de l’artisanat d’Augustodunum et plus généralement pour la connaissance de la métallurgie en Occident, au cours des trois premiers siècles de notre ère.
- 7 J.‑G. Bulliot relate, dans un article des Mémoires de la Société éduenne (Bulliot 1893), la découve (...)
23Le travail de la corne, remarqué au Lycée militaire et à l’Institution Saint‑Lazare (Chardron‑Picault, Rodet‑Belarbi à paraître), est pratiqué traditionnellement par les Gaulois (Krausz 1992 ; Guillaumet 1996 : 111‑112), notamment pour la fabrication d’objets de parure ; en revanche, il est mal connu en Gaule romaine. À l’opposé, le travail de l’os, qui s’est développé à l’époque gallo‑romaine, est assez bien connu. Ceci confirme à la fois la permanence d’anciennes techniques, et l’assimilation de nouveaux procédés, dans un monde où l’influence de deux cultures est source de richesses et d’échanges artistiques. Du travail de l’argile, attesté sur le site au iie s., des masques7 et des récipients non culinaires (peut‑être des creusets avec leurs couvercles) se distinguent de l’ensemble des productions.
- 8 Des travaux récents, au mois de février 1997, dans la partie sud de la ville, sur le site École, 2 (...)
24La métallurgie des alliages à base de cuivre tient certainement une place de choix dans l’artisanat d’Augustodunum comme en témoigne l’abondance des creusets et des divers déchets récoltés au cours des opérations de sauvetage8.
25À ce jour, les recherches archéologiques n’ont pas permis d’identifier d’atelier d’orfèvre. Cette identification est d’autant plus difficile à effectuer que les locaux, généralement en façade des rues, sont à côté ou dans les mêmes lieux que les artisans bronziers, les déchets étant précieusement récupérés (Guiraud 1993 : 79).
26Augustodunum, à travers les vestiges archéologiques, apparaît comme une métropole de premier plan pour l’artisanat du métal. Celui‑ci était donc certainement un atout économique pour la cité éduenne au cours des trois ou quatre premiers siècles de notre ère. À ce jour, peu de villes de Gaule Lyonnaise, mis à part Lugdunum, ont révélé tant de découvertes liées aux activités de transformation du métal.
Le quartier du Lycée militaire dans la ville d’Augustodunum
27La position de ce site artisanal au sein de l’organisation spatiale de la ville n’apparaît pas anodine ; les éléments forts du cadre urbain font partie de l’environnement des ateliers : l’enceinte, les édifices de spectacles et le réseau des rues avec la proximité du cardo maximus. Ce contexte semble propice au développement des activités avec, d’une part, un débouché commercial potentiel au moment des spectacles dans le théâtre et l’amphithéâtre ; avec, d’autre part, des facilités de transport dues à une bonne accessibilité du site à partir de la porte de Rome.
28Ce qui est remarquable avant tout, c’est l’intégration des ateliers dans l’espace urbain. En Gaule, nombreuses sont les installations artisanales rejetées hors les murs ou repoussées hors des limites de l’agglomération, comme par exemple à Sens (Perrugot 1996b : 275) ou à Jublains (Naveau 1996 : 120). Le cas est assez fréquent en ce qui concerne les ateliers de potiers qui sont situés dans des zones périurbaines afin de pouvoir disposer d’espaces étendus. Mais Augustodunum disposait, dès son origine, d’une vaste superficie à l’intérieur de l’enceinte ; la surface de 200 ha autorisait l’implantation de zones artisanales ; d’autre part, la métallurgie de transformation ne requiert pas de grands espaces.
- 9 Le Digeste, publié en 533, constitue la source essentielle concernant la jurisprudence et la scien (...)
29On peut supposer que ces ateliers de production sont relégués à la périphérie car les activités artisanales comportent en général des risques et des nuisances. Pour les métiers du feu les raisons traditionnellement invoquées sont que les incendies pouvaient se propager rapidement et mettre en péril les maisons voisines, quant aux émissions de fumées, c’est le confort du voisinage qui s’en trouvait alors réduit. À ce propos, nous disposons de deux recueils de fragments tirés d’ouvrages de juristes romains9 ; ils mentionnent l’ensemble des contraintes imposées à certains artisans et les distances requises entre ateliers et habitations. On apprend que, parmi les ateliers écartés volontairement des maisons, il y a entre autres les ateliers des verriers et des forgerons (Saliou 1994 : 269), les nuisances extrêmes pouvant entraîner l’exclusion de certains métiers de l’espace urbain. Il n’existe pas en Gaule, comme en Italie et en Orient, de textes indiquant les règlements juridiques ; néanmoins quelques indices archéologiques prouvent le respect de règles, comme par exemple l’éloignement des artisanats de production des centres urbains.
30La présence des artisans au cœur des villes fut probablement source de conflits permanents, tout au moins le sait‑on à Rome, puisque le pouvoir impérial, à la fin du ier s., tenta sans grand succès de les regrouper dans des marchés et de les installer à la périphérie.
31Dans le cadre tout particulier de la création ex nihilo d’une cité, comme c’est le cas pour Augustodunum, une planification urbaine des implantations des artisanats de production a pu être instaurée par l’administration municipale, celle‑ci proposant, ou imposant, différents terrains périphériques intra muros aux artisans. Si l’occupation urbaine de la périphérie par les artisans est certainement à relier aux conditions de salubrité, de sécurité et de confort, une autre raison peut être évoquée, celle du coût des parcelles viabilisées, probablement moins élevé dans les secteurs jouxtant le rempart que dans le cœur de la ville.
- 10 « Dès l’époque augustéenne, le long des voies, les portiques mis au jour dans les fouilles récentes (...)
32La cartographie des sites artisanaux d’Augustodunum fournit des indications, déjà très lacunaires, sur la répartition des activités dans la cité, mais les données demeurent d’une portée limitée puisque la chronologie y est le plus souvent absente. En effet, hormis quelques sites fouillés à une période récente, nous ignorons les origines, l’évolution, puis l’abandon de chaque secteur où ont été mis au jour des vestiges d’artisanat. Le schéma d’implantation de l’artisanat à partir de l’époque augustéenne proposé par Alain Rebourg10 reste en partie plausible, mais très hypothétique. Rien ne permet, aujourd’hui, d’affirmer que les quartiers spécialisés se constituent à partir du règne des Flaviens : l’exemple du site du Lycée militaire montre que les premiers bâtiments sont en fonctionnement à partir du règne de Claude. Par ailleurs, il n’est pas prouvé que ces ateliers, regroupés à la périphérie, se substituent aux locaux situés le long des portiques, dispersés‑dans toute la ville, qui ont peut‑être une vocation plus commerciale (diffusion et « service après‑vente »).
L’héritage de Bibracte
33Il existe des liens clairs entre la situation de l’artisanat à Bibracte et celle du quartier du Lycée militaire à Autun. Les quartiers artisanaux, où la métallurgie est la dominante, existent certainement déjà au ier s. av. n. è. au Mont Beuvray ; il s’agit principalement des lieux‑dits La Côme Chaudron et Le Champlain. Même si le site précis est à l’extérieur du Champlain, ce qui est observé à la porte du Rebout (Pernot 1998) est certainement représentatif de la vie de ces quartiers. La succession sur un même lieu d’un bronzier à un forgeron y est déjà observée ; la tradition de la fabrication de fibules, d’abord en fer puis en laiton, remonte au moins à ‒80/‒70.
34Si l’on généralise cette comparaison à partir de la documentation existante, il apparaît clairement que dans les ateliers du Lycée militaire les artisans fabriquent les mêmes fibules, avec les mêmes techniques (coulée en grappe en cire perdue et laiton à 20 % de zinc), que sur le site du Mont Beuvray, malgré un « trou chronologique » d’un demi‑siècle. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les fibules de type 3 (c’est‑à‑dire en deux pièces et en laiton) abandonnées en cours de fabrication trouvées au Mont Beuvray (Guillaumet 1993, pl. 49‑52 ; Pernot 1998) et celles trouvées au Lycée militaire (fig. 146) : les différences sont pratiquement indiscernables.
L’artisanat autunois dans le monde gallo‑romain
35L’importance de l’activité dans le domaine de la métallurgie de transformation des principaux alliages non nobles connus dans le monde antique (fonderie et martelage des alliages à base de cuivre et forge du fer) est patente sur le site du Lycée militaire. Ce fait, mis en évidence dans ce quartier à la période du Haut‑Empire, et donc l’existence d’une tradition d’artisans aux compétences diversifiées (dont l’ancrage appartient au fonds technique celte), pourrait expliquer qu’Autun fut le siège de « fabriques » d’armes. La liste de ces « fabriques », installées dans les Gaules, est indiquée, au cours d’une époque postérieure, par le texte de la Notitia dignitatum (Mangin 1996 : 12). Rappelons qu’il est remarquable que dans ce texte Autun soit la seule ville citée deux fois : une fois pour la fabrication de cuirasses, de balistes et de cottes de mailles, et une autre fois pour celle de boucliers. À Mâcon, second lieu d’implantation sur le territoire éduen, la fabrique ne produit que des flèches.
- 11 Des machines comme les balistes comportent naturellement des pièces en fer, mais aussi très certain (...)
36Ce texte est bien postérieur à la période de fonctionnement des ateliers du Lycée militaire. Si nous n’avons aucune preuve archéologique, toutes les conditions sont réunies pour la production d’armes dans certains ateliers, surtout lorsque le travail du fer coexiste avec celui des alliages à base de cuivre11 ; une tradition de cet ordre n’est pas invraisemblable.
37Comparer à d’autres les résultats obtenus sur le site du Lycée militaire est difficile, parce que les quartiers de travail métallurgique publiés sont très rares et qu’ils ne concernent pas encore de capitale de cité. À Alésia, a été publié un quartier artisanal, le Quartier au sud‑est du Forum, comportant à la fois des fouilles récentes et des fouilles anciennes ; des recherches se poursuivent sur les matériaux et objets issus de fouilles (récentes ou anciennes) de dépotoirs. Les publications montrent la difficulté d’intégrer, dans les raisonnements sur les ateliers métallurgiques, les observations faites lors de fouilles anciennes où la stratification des occupations n’a pas toujours été recherchée (Mangin 1981 : 1, 240‑271). En raison de « l’histoire » des fouilles réalisées sur ce site, le croisement entre les études de mobilier et de structures n’a pas toujours pu être pris en compte ; en particulier, si la présence de moules indique la fabrication de pièces de harnachement (Rabeisen 1985), celle‑ci ne peut pas être reliée aux ateliers mis au jour.
L’organisation et le statut des artisans
38L’image des unités de production métallurgiques que l’on peut reconstruire indique que, même à la période la plus florissante, il s’agissait de petites unités distinctes pouvant au même moment produire les mêmes objets (des fibules par exemple). La situation semble donc être celle d’une liberté d’organisation dans une atmosphère de concurrence. Ceci ne nous permet aucune conclusion quant au statut de ces artisans ; la liberté d’entreprendre des activités artisanales ou commerciales ne paraît pas, dans le monde romain tout au moins, réservée aux hommes libres (Morel 1992 ; Thébert 1992).
- 12 Michel Mangin remarque (p. 11) que le seul texte mentionnant des « collèges » dans une ville des pr (...)
39Des organisations d’artisans, en corporation ou en collèges, existent ; mais quel rôle jouent‑elles par rapport aux quartiers artisanaux ? De quelle tradition, gauloise ou romaine, sont‑elles issues ? Un travail récent de Michel Mangin (1996) fait le point sur ces interrogations12. La question sur laquelle il semble utile d’insister est la suivante ; quel sens faut‑il donner aux successions de bronziers et de forgerons sur le même lieu ?
40Deux hypothèses semblent acceptables. Soit l’espace artisanal est géré par la corporation, regroupement de petits artisans éventuellement en concurrence ; ceci impose que bronziers et forgerons appartiennent à la même corporation ; le regroupement sert alors à matérialiser la puissance de cette organisation ; mais la présence de potiers à une certaine période pose un problème. Soit l’espace appartient à un « aristocrate » (il ne faut pas oublier qu’une domus est présente à très peu de distance sous l’actuel bassin de l’esplanade Wagram) qui possède peut‑être aussi une partie des instruments de la production ; cette explication n’est pas en bonne cohérence avec la présence de petites unités concurrentes.
41Il ressort clairement que l’artisanat est un des pôles économiques forts de la ville antique d’Autun et que son évolution est intéressante. La pérennité de la vocation artisanale du site du Lycée militaire jusqu’à son abandon est une de ses caractéristiques ; dans d’autres villes l’évolution de l’urbanisme au cours du temps peut aboutir à de profondes modifications (par exemple le site du Clos de la Tour à Fréjus ; Rivet 1996). La situation n’est cependant pas figée ; à partir de la fin du ier s., les activités se diversifient, des artisanats de tradition romaine apparaissent : le tournage de l’os, la fabrication de clochettes ; parallèlement il semble que l’usage des fibules à ressort soit abandonné. N’y a‑t‑il pas là des indices de romanisation, ou de développement du syncrétisme gallo‑romain (au sens ethnologique du terme), à mettre en regard de ce qui est observé pour l’urbanisme ou l’habitat ?
Notes
1 Rappelons que le musée Rolin est né de la fusion des collections de la Société éduenne et de celles du musée municipal de l’Hôtel de Ville en 1954.
2 Citons entre autres l’inventaire et la typologie du petit instrumentum des collections du musée Rolin.
3 Il faut signaler l’abondance des déchets retrouvés dans la ville au cours des interventions.
4 Une inscription, découverte à Montceau‑le‑Comte dans la Nièvre, confirme la présence d’arsenaux à une époque antérieure au ive s. (Bulliot 1879).
5 À ce jour, aucune installation artisanale extra muros n’est attestée de façon indiscutable bien que de nombreux dépotoirs, comprenant une grande quantité de déchets artisanaux, soient situés hors les murs, au nord et à l’est de l’agglomération antique.
6 Le site de la Rue des Pierres est localisé au N‑E de la ville, intra muros et en bordure d’un decumanus, Des ateliers de potiers et de coroplathes, ainsi que de verriers, étaient établis au contact d’une zone d’habitat (Creuzenet 1996). Quelques structures, des surfaces de travail, de nombreux déchets dans des fosses (creusets, moules) laissent supposer la présence d’un atelier de bronziers (Rebourg 1993b : 171). La monographie de ce site n’a pas été publiée. Sur le site du Faubourg d’Arroux, des déchets liés à la métallurgie des alliages à base de cuivre ont été mis au jour depuis le xixes. En 1989, une parcelle intra muros d’environ 4000 m2, à 50 m de la porte d’Arroux, a fait l’objet d’une étude d’évaluation. Des vestiges sidérurgiques, des scories coulées et des parois de fourneaux, ont été retrouvés dans une grande fosse (Chardron‑Picault 1993‑1994). Les compositions chimiques des scories ont révélé que ces éléments sont issus d’un travail de réduction du minerai (cf. annexe 4). Quant à l’existence d’un atelier de bronziers, l’hypothèse repose sur l’analyse stratigraphique des coupes des sondages et sur quelques vestiges mobiliers. L’habitat est localisé au sud de la parcelle jouxtant la partie dévolue à l’artisanat.
7 J.‑G. Bulliot relate, dans un article des Mémoires de la Société éduenne (Bulliot 1893), la découverte de trois masques en terre cuite ; l’un d’entre eux a été retrouvé dans le cimetière au pied du rempart. Il est permis d’établir un rapprochement entre cette découverte et l’atelier de potier du Lycée militaire situé au‑dessus.
8 Des travaux récents, au mois de février 1997, dans la partie sud de la ville, sur le site École, 2 rue Bouteiller, ont mis en évidence, à une profondeur de 3,50 m, au contact du rempart antique, un épandage de déchets artisanaux dont des fragments de grands creusets utilisés pour la fabrication du laiton par le procédé de cémentation (Chardron‑Picault, Picon à paraître). L’usage de ces grands récipients a pu être précisé très récemment grâce à la publication de creusets lyonnais tout à fait équivalents (Picon et al. 1995), Ces éléments sont maintenant reconnus par ailleurs dans la ville : des tessons existent sur le site du Lycée militaire, il en est de même sur l’emplacement de l’ancien cloître de la cathédrale Saint‑Nazaire (informations inédites de Walter Berry et Christian Sapin).
9 Le Digeste, publié en 533, constitue la source essentielle concernant la jurisprudence et la science juridique romaine des origines à l’époque de Justinien ; « Julien d’Ascolon », extrait d’un ouvrage consacré aux usages juridiques de la Palestine par un architecte originaire d’Ascolon, est une autre source (Saliou 1994 : 7 et 14).
10 « Dès l’époque augustéenne, le long des voies, les portiques mis au jour dans les fouilles récentes ont révélé de nombreux ateliers de petit artisanat, principalement de métallurgie du bronze, dispersés d’abord dans toute la ville. Mais à partir du règne des Flaviens, ce qui paraît correspondre au moment où le programme d’urbanisme est en voie d’achèvement –on place traditionnellement à cette époque la construction du théâtre et de l’aqueduc de Montjeu, par exemple– les ateliers sont relégués dans un quartier spécialisé, au nord‑est de la ville, contre l’enceinte. L’abandon partiel de certaines maisons dans la seconde moitié du iiie s. puis à nouveau à la fin du ives., verra divers ateliers se réinstaller dans des bâtiments du centre de la ville. » (Rebourg 1989 : 251.)
11 Des machines comme les balistes comportent naturellement des pièces en fer, mais aussi très certainement quelques pièces en alliages à base de cuivre (les paliers de roulement des cabestans, par exemple). La possibilité de récupération des tendons, évoquée à partir des traces de découpe de moutons et de chèvres (cf. annexe 6), pourrait être reliée à l’hypothèse de cette fabrication.
12 Michel Mangin remarque (p. 11) que le seul texte mentionnant des « collèges » dans une ville des provinces est relatif à Autun : « En 311 […] Constantin vient visiter Autun […] et le panégyriste précise : "Nous avons orné les rues qui mènent au palais d’une décoration modeste en vérité, mais nous avons fait sortir les bannières de tous les collèges (signa collegiorum).
Table des illustrations
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Légende | FIG. 203 ‒ Proposition d’un canevas géométrique de découpage de l’espace. La construction utilise un module principal compatible avec une valeur de 100 pieds, et deux sous‑modules qui le divisent environ en un tiers/deux tiers. |
Crédits | dess. M. Pernot/CNRS |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/45633/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 150k |
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Légende | TABL. XXXIII ‒ Descriptif des découvertes artisanales faites à Augustodunum ; le numéro de site renvoie à la localisation sur la figure 204. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/45633/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 196k |
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Légende | FIG, 204 ‒ Carte de répartition des découvertes artisanale dans Augustodunum : 1 Jardin lorrain ; 2 Faubourg d’Arroux (jardin Poizeau et caserne Changarnier) ; 3 18, faubourg d’Arroux ; 4 Rue des Pierres ; 5 gare ; 6 43‑45, rue de la Grille ; 7 Institution Saint‑Lazare, 14, rue‑aux‑Raz ; 8 Hôpital, Pavillon Saint‑Louis ; 9 14, rue de la Croix‑Verte ; 10 Promenade des Marbres ; 11 Résidence Le Cardo, 8, rue de la Jambe‑de‑Bois ; 12 14, rue Lauchien‑le‑Boucher, anciennement Petites Sœurs des Pauvres ; 13 Lycée militaire ; 14 Quartier Saint‑Jean, anciens jardins de l’abbaye Saint‑Jean ; 15 Clinique du Parc, 6, avenue du Morvan ; 16 Ateliers d’art, boulevard F. Latouche. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/45633/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 71k |
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