Chapitre 2. Les nécropoles
p. 203‑221
Texte intégral
1Les nécropoles paléochrétiennes et mérovingiennes de Saint‑Just et de Saint‑Laurent forment une séquence chronologique continue qui nous a permis de proposer une typologie des tombes en milieu urbain, du ive s. au viiie s. À Saint‑Just, où les tombes ont été mises au jour essentiellement au sud des édifices religieux, une nécropole suburbaine a été étudiée dans son extension, sinon dans son développement. Enfin, l’étude anthropologique des inhumations de Saint‑Laurent (et d’une partie de Saint‑Just), menée à bien dans le cadre du Centre de recherches archéologiques du CNRS à Sophia‑Antipolis (par L. Buchet et son équipe), précise les caractéristiques de deux noyaux de population, entre le ive et le viie s.
2.1 Les défunts
2Le grand nombre des tombes fouillées (447), la relative abondance des inscriptions funéraires et le bon état des squelettes ont rendu possible une étude sur un groupe assez représentatif de la population lyonnaise.
2.1.1 État des squelettes
3Les squelettes sont en général bien conservés. À Saint‑Just, le lœss qui constitue le sous‑sol s’est la plupart du temps infiltré sous le couvercle, d’où une assez bonne conservation. Rares sont les tombes entièrement vides de terre ou presque : dans deux tombes au couvercle bien scellé, le squelette a été trouvé intact mais, rendu très fragile par une longue exposition à l’air à l’intérieur de la cuve, il n’a pu être conservé. À Saint‑Laurent, les colluvions descendues de la colline se sont souvent également infiltrées dans les tombes, mais les cas de tombes sans infiltration de terre sont plus nombreux, les couvercles étant plus hermétiques et mieux protégés par le dallage de l’église.
2.1.2 Position des corps
4Dans la presque totalité des cas, le squelette est placé en position de décubitus dorsal ; seuls deux individus ont le corps légèrement tourné vers le côté. La position de la tête, qui peut avoir basculé vers la droite ou vers la gauche, ne présente pas d’intérêt. La position des mains et des bras par rapport au corps est significative : ceux‑ci sont la plupart du temps allongés le long du corps (92 cas pour Saint‑Just dans la nécropole nord ; 2 seulement ont les mains sur le pubis dans la nécropole nord et 8 dans la nécropole sud) ; quelques individus ont un bras le long du corps, l’autre replié sur le pubis : bras gauche replié (7) ou bras droit (6) ; dans quelques rares cas, une main ou les deux mains sont placées sous les hanches. À Saint‑Laurent, de même, deux squelettes ont les mains placées sous les hanches, sans doute par suite du manque de place, surtout pour SI 112 où un enfant accompagne un adulte ; une position plus rare a été remarquée dans deux cas, où la paume gauche du mort est tournée vers le sol, la paume droite vers le ciel.
2.1.3 Vêtements, linceuls et lits de chaux
5Les défunts semblent d’abord avoir été déposés dans un linceul. Si à Saint‑Just aucune trace de vêtements ou de parures liées aux vêtements n’a été mise en évidence, à l’exception de la boucle d’argent et du décor de ceinture retrouvés sous le dos d’un défunt en SI 46, à Saint‑Laurent‑de‑Choulans, la présence d’agrafes à double crochet suggère l’utilisation de linceuls. Parfois, comme à Roissard, les agrafes se trouvent dans des tombes immédiatement postérieures aux inhumations habillées alors que des linceuls sont attestés à Vienne dès le ve s. à Saint‑Georges et à Saint‑Ferréol, où l’on a remarqué parfois l’empreinte du tissu conservée dans le mortier scellant le couvercle (Colardelle 1983 : 48).
6À Saint‑Laurent, la trace de bottines est signalée au moins trois fois. Un défunt dans le portique ouest et deux dans le portique nord portaient encore des chaussures à leurs pieds ; l’une d’elles était pourvue de lacets en cuir. Ce type de chaussures est décrit dans la lettre où Sidoine Apollinaire fait le tableau du cortège d’un prince franc (Ep., IV, 20 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970 : 154‑155). La présence de ces bottines, qui suggérerait des inhumations habillées, est cependant à mettre en balance avec l’absence presque totale de matériel métallique, en général associé au vêtement. Ces bottines peuvent également avoir une valeur symbolique, le défunt habillé et chaussé serait prêt pour le Jugement Dernier, si l’on en croit G. Durand, mais pour une époque nettement postérieure (Durand, Barthélémy 1854).
7Les sépultures habillées sont rares dans les nécropoles de la région, à Roissard comme à Saint‑Julien‑en‑Genevois ; à Viuz‑Faverges, les deux seules inhumations habillées (à l’extérieur du chevet de l’église) appartiennent à une catégorie particulière de tombes privilégiées (Colardelle 1982 ; Colardelle 1983 : 48, 82, 108).
8Deux squelettes sont installés sur un lit de chaux partiel, sous le crâne, ou total, en dessous et en dessus du corps.
2.1.4 Le mobilier funéraire
9La rareté de ce matériel associé aux tombes caractérise les nécropoles du haut Moyen Âge à Lyon.
Matériel placé dans les tombes
10À Saint‑Just, le dépôt d’objets, fréquent aux ier et iie s. (SI 72), n’a peut‑être pas totalement disparu au ive s. puisque de petits vases en verre ont été trouvés dans les sarcophages monolithes et dans les coffres de grandes dalles, ainsi que quelques objets de parure ou accessoires de vêtements ; des fragments de vase étaient également associés à une réduction de corps déposée à l’intérieur du mausolée central. Enfin, 7 monnaies ont été inventoriées à l’intérieur des tombes, mais sans localisation prédominante. La relative abondance de monnaies à l’intérieur des tombes et au‑dessus des couvercles dénote seulement une circulation monétaire encore appréciable et résulte de la perte d’une pièce ou d’un dépôt volontaire, à titre de souvenir plus que d’offrande, sauf peut‑être dans les cryptes de Saint‑Just II qui renfermaient des tombes d’évêques.
11À Saint‑Laurent, le matériel placé dans les tombes est également assez rare. Parmi les objets les plus significatifs, rappelons trois boucles d’oreilles, trouvées en 1947, dont l’une peut être datée des vie‑viie s., et de nombreuses agrafes à double crochet.
Matériel trouvé au‑dessus des tombes
12À Saint‑Just, 4 fosses‑dépotoirs installées au milieu des tombes contenaient des ossements d’animaux brûlés, de nombreux tessons de céramique commune et des cendres. Le dépotoir en rapport avec T 52 occupait une vaste zone où les tessons les plus nombreux se trouvaient à l’intérieur de petits cercles de pierre. Il s’agit vraisemblablement d’une zone où le hasard des décapages a conservé la trace de repas funéraires pris sur la tombe du défunt ou à proximité. La trace d’un foyer a été repérée au nord du mausolée le plus méridional.
13Dans le collatéral nord de Saint‑Laurent, des fragments de vases assez nombreux ont été trouvés au‑dessus des tombes, associés à des couches cendreuses1 Les petits vases globulaires à fond plat peuvent être datés, par comparaison, des vie‑viie s. (Reynaud et al, 1975b : 243‑285 ; Faure‑Boucharlat, Reynaud 1986 : 42‑64, fig. 13, note 28). Dans le portique nord, fouillé par A. Audin, les dépôts funéraires sont par contre totalement absents ce qui peut s’expliquer par la technique de dégagement utilisée : en 1947, la fouille a été effectuée par les employés de la voirie et l’on ne s’intéressait pas à la céramique ni aux niveaux surmontant les inhumations. Les tombes semblent cependant avoir été fouillées avec une grande minutie sous la surveillance du préhistorien et anthropologue A. Leroi‑Gourhan.
14Ces fragments de vase mêlés à de la cendre, qui semblent avoir été jetés volontairement au‑dessus de la tombe du mort, seraient un souvenir du repas funéraire ou des libations.
2.1.5 La population lyonnaise du ive au viiie s.
15L’onomastique et l’anthropologie fournissent sur ce sujet des renseignements de nature très diverse.
Onomastique
16Les nombreuses inscriptions trouvées à Saint‑Just et surtout à Saint‑Laurent offrent un échantillonnage de l’onomastique lyonnaise qui semble assez représentatif (Descombes, Reynaud 1978 : 276‑279). À Saint‑Just, pour les ve‑vie s., nous retenons surtout les noms latins de Pascasia, Leucadia, Florinus, Ursus, ou encore Litoria et Venantius, mais certains comme Ursus sont considérés comme appartenant à un contexte celte ou germanique (Wuilleumier et al. 1949 : 28‑29). À Saint‑Laurent, surtout pour le viie s., les noms d’origine germanique semblent au contraire plus fréquents, comme Sigwaldus, Brachio, Fredoaldus, Hedberga. Franconinja, Magencola, ou encore Atto ; les noms latins, comme Fortunella, Viventius, Theodata, Optata, Felemoda, ne disparaissent pas pour autant (Wuilleumier et al. 1949 : 51‑113 ; Descombes, Reynaud 1978 : 284‑302).
Anthropologie
Saint‑Laurent‑de‑Choulans
17● Étude de A. Leroi‑Gourhan (fouilles de 1947)
35 crânes ont été étudiés par Mlle Balfet et A. Leroi‑Gourhan (Wuilleumier et al. 1949 : 51‑113). Leurs conclusions peuvent se résumer ainsi : prédominance d’individus masculins, due au hasard du prélèvement et de la conservation ; la moyenne d’âge de 37 ans diffère faiblement de celle de 33 ans donnée par les épitaphes ; les individus inhumés dans les sarcophages sont en moyenne assez âgés, de 40 à 50 ans ; cette moyenne d’âge est d’autant plus élevée que les quelques squelettes d’enfants alors repérés n’ont sans doute pas été prélevés (même problème pour les épitaphes d’enfants, qui sont peu nombreuses et ne précisent que rarement l’âge) ; la taille varie de 1,50 à 1,75 m, avec 4 individus dépassant 1,70 m, ce qui est assez grand pour l’époque.
Plusieurs groupes peuvent se distinguer, en particulier un groupe nordique « étranger », proche des Franco‑burgondes (forte stature et crânes dolichocéphales) et un groupe alpin, plus proche de la population lyonnaise actuelle. Ces idées doivent bien sûr être nuancées et déjà en 1941, M.‑R. Sauter montrait la difficulté d’une utilisation systématique de critères dits raciaux (Sauter 1941 : 1‑137) ; de plus la topo‑chronologie nous incite à tenir compte de facteurs sociaux plus que raciaux.
18● Étude de L. Buchet et J.‑M. Auclair (fouilles récentes)
Elle a porté sur 178 individus répartis dans 91 tombes et 5 emplacements mal localisés. On a pu déterminer le sexe de 38 hommes (probables) et 34 femmes ; l’équilibre biologique est à peu près assuré. Si l’on étudie maintenant la répartition des sexes dans les différents espaces de l’édifice, on constate dans le portique ouest comme dans le portique nord une « surmasculinité » évidente2. Au contraire, dans le collatéral nord les femmes semblent l’emporter nettement (sur 64 squelettes, 12 hommes et 18 femmes). Enfin, dans la nécropole extérieure, la proportion s’équilibre (6 hommes et 8 femmes). En ce qui concerne les inscriptions, les hommes l’emportent de peu sur les femmes (collatéral nord et portique) ; ils bénéficieraient donc d’une situation privilégiée dans les portiques.
19Un tiers des individus masculins ont plus de 50 ans, alors que l’âge modal de mortalité adulte est de 40‑50 ans. On note la faible représentation de la classe 18‑30 ans, qui laisse supposer soit une sélection à l’inhumation, soit un déséquilibre de la population. Pour les femmes (tous âges confondus), le diagramme est plus normal3. La moyenne des âges fournie par les inscriptions confirme cette appréciation. Si l’on estime que Mercurinus est mort à 75 ans (« ayant quatre fois dix ans d’âge, il est mort à 75 ans » dit l’inscription) on obtient une moyenne de 41 ans sur un total de 14 inscriptions. Les enfants sont en dessous du pourcentage normal : on compte 35 enfants sur un total de 178 et seulement 3 de moins d’un an. Les enfants devaient donc être enterrés surtout en dehors de l’église4.
20La stature est biologiquement équilibrée, avec une différence d’environ 10 cm entre les hommes et les femmes. Les moyennes observées sont conformes à celles des autres individus du haut Moyen Âge. Les hommes sont de stature « sur‑moyenne » avec, malgré tout, une bonne représentation des autres classes5 ; cette diversité se retrouve dans les différentes zones et quel que soit le type des tombes. Les 16 femmes constituent un groupe plus homogène : 14 petites et 2 « sous‑moyennes ». La diversité chez les hommes et l’homogénéité des femmes sembleraient suggérer une population féminine plus homogène (d’origine locale) et l’installation d’hommes allogènes. Les individus les plus robustes viennent des tombes 10, 42, 100, 103, 120. Chez les hommes, 29 % sont robustes, les autres sont graciles ou peu robustes. Ce pourcentage laisserait à nouveau supposer l’implantation de populations masculines étrangères à la région. Chez les femmes, l’absence de robustesse, qui contraste avec le groupe masculin, est notable, ce qui exclut une influence nordique.
21Si l’on considère l’ensemble des indices crâniens masculins et féminins6, la population apparaît en majorité mésocrâne (49 %) avec, chez les femmes, une tendance à la brachycrânie (33 %). Cette observation plaide en faveur d’une certaine normalité de la population ; on sait en effet que les femmes ont tendance, dans une population homogène, à avoir un crâne plus arrondi que celui des hommes. Il ne faut toutefois pas oublier la mauvaise représentativité des données et le faible pourcentage des femmes. Le pourcentage non négligeable de brachycrânes laisse supposer une influence des populations alpines minoritaires sur un substrat dolichocrâne (méditerranéen et nordique).
22Par ailleurs, les anthropologues ont tenté d’apporter des réponses à plusieurs questions posées par les archéologues. Ainsi les tombes doubles ne contiennent pas obligatoirement des couples7. Les tombes d’enfants sont indifféremment rattachées à une tombe de femme (SL 139 et 136) ou une tombe d’homme (SL 32 et 34 – SL 121 et 120). L’établissement de liens de parenté entre les individus enterrés dans une même tombe a donné un résultat dans la tombe 2 où, sur 5 squelettes d’adultes, 3 présentaient une pathologie rare (cribra orbitalia ou perturbation du plafond de l’orbite), liée à une anémie déterminée par des insuffisances alimentaires. Enfin, l’établissement par l’anthropologue d’une ascendance hiérarchique à partir de quinze caractères anthropologiques a permis d’isoler un groupe (SL 2, 23, 8, 7, 15), localisé dans le collatéral nord ; le retour aux sources ostéologiques montre que ces individus se distingueraient par une grande stature et une grande robustesse de leur squelette. Un seconde groupe (3, 16, 4, 5, 12) est plus dispersé.
23La population inhumée à Saint‑Laurent‑de‑Choulans donne donc une impression d’équilibre biologique d’après les histogrammes de stature, d’indice horizontal ou de dysharmonie faciale. Cette population assez homogène comprend toutefois quelques éléments bien individualisés (hommes robustes). Seule l’étude exhaustive des restes osseux permettra d’aller au‑delà de ces quelques observations liminaires.
Saint‑Just
24L’étude anthropologique de la nécropole sud est encore en cours ; elle porte sur 28 individus (sur un total de 187 tombes) choisis de façon aléatoire. On retrouve un certain nombre de traits constatés à Saint‑Laurent.
25Les adultes sont très nombreux par rapport aux enfants (24 adultes) ; parmi les adultes, les hommes dépassent de beaucoup les femmes (17 pour 7). Cette « surmasculinité » n’est peut‑être pas due au hasard de l’échantillonnage mais pourrait s’expliquer par la nature des inhumations. La moyenne d’âge des hommes est légèrement inférieure à celle de Saint‑Laurent, avec un pic de mortalité compris entre 40 et 49 ans.
26La moyenne des tailles masculines s’élève à 1,68 m pour 14 individus et celle des tailles féminines à 1,56 m pour 7 individus. Cette différence est un indice intéressant d’hétérogénéité. Si le groupe des femmes est homogène, les hommes se répartissent en deux groupes : l’un rassemble des individus de taille « sous‑moyenne » (1,60‑1,65 m), l’autre des individus de grande taille (1,70‑1,75 m, dont un de 1,76 m).
27L’indice crânien horizontal est mésocrâne, avec une tendance brachycrâne chez les hommes, et mésocrâne à tendance dolichocrâne chez les femmes, mais les indices diffèrent chez les hommes entre les individus de taille « sous‑moyenne » et « sur‑moyenne ».
28D’autres indices (hauteur au bassin, au porion, indice orbitaire) opposent également les individus de taille « sur‑moyenne » et « sous‑moyenne ». Tous ces éléments plaident en faveur de la présence de deux groupes distincts dans la population masculine, les femmes étant probablement autochtones. Le groupe des individus de stature « sous‑moyenne » et brachycrânes serait apparenté aux populations alpines. Parmi les tombes privilégiées, l’occupant de T 69 (mausolée I) appartiendrait au groupe de grandes statures par sa taille (1,71 m) et par sa robustesse, mais sa brachycranie le rapprocherait des populations du Nord‑Est venues s’installer dans la région dès l’âge du Bronze. L’étude pathologique a montré qu’il souffrait de la goutte, maladie due à une alimentation trop riche.
2.2 Les tombes
29Pour bien situer les tombes dans le temps, il nous faut étudier les rapports des tombes entre elles et les éléments de datation absolue.
2.2.1 Datation
Chronologie relative
30Les chronologies relatives ont été élaborées sur les chantiers complémentaires de Saint‑Just et de Saint‑Laurent, les deux nécropoles se succédant dans le temps.
Saint‑Just
31Si l’on excepte les tombes à incinération, les coffrages de bois, les cercueils et les tombes en pleine terre d’adultes qui, pour certaines, appartiennent à la période gallo‑romaine (ier‑iie s.), on constate que les autres tombes sont contemporaines (ive‑ve s.) : coffres de grandes dalles, caissons de tegulae, sarcophages formés de deux demi‑cuves, sarcophages monolithes, amphores, tombes d’enfants en pleine terre ou en cercueils. À l’intérieur de cette période, les coffres en grandes dalles comptent parmi les sépultures plus anciennes et les tombes en demi‑cuves parmi les plus récentes.
Saint-Laurent-de-Chaulons
32Une série assez complète a pu être établie dans la moitié ouest du collatéral ; elle fournit la chronologie relative suivante (Colardelle 1983 : 356) : sarcophages monolithes de « choin » (calcaire dur du Bugey), sarcophages trapézoïdaux en calcaire blanc et coffres trapézoïdaux de dalles minces, tombes maçonnées, demi‑cuves accolées, tombes construites en murets de pierres sèches.
Chronologie absolue
33Quelques points de repère ont été obtenus par l’étude des monnaies, de la céramique et par les datations 14C. La fourchette de datation est assez ouverte ; les facteurs d’imprécision sont, en effet, nombreux, la céramique commune de l’Antiquité tardive ou du haut Moyen Âge étant encore mal datée dans la région, les monnaies ne donnant que des datations post quem et le 14C offrant une fourchette de plus ou moins 120 ans. En revanche, quelques éléments du mobilier ou un petit nombre d’inscriptions datées ou datables permettent d’atteindre une précision plus grande. Nous les examinerons ici selon un ordre arbitraire.
Agrafes à double crochet
34Ces agrafes, surtout employées au viie‑viiie s., peuvent constituer un élément de datation quand elles apparaissent dans des tombes sans réinhumations (pour le type voir supra fig. 146). Il semble, en effet, d’après les travaux les plus récents (Burgondes 1981 : 80‑82, no 162 ; Colardelle 1983b : 356 ; Jannet‑Vallat et al. 1986 : 59 ; Colardelle, Verdel 1993 : 218), qu’elles ont surtout été trouvées en association avec des objets de la fin de l’époque mérovingienne (fin vie, viiie, voire ixe s.) et dans des tombes de même époque. Ainsi, un sarcophage monolithe à parois épaisses de Saint‑Laurent, où a été trouvée une agrafe, appartiendrait au viie s. (Wuilleumier et al. 1949 : 113). Si cette datation est admise, la présence d’agrafes confirme également l’attribution aux vie‑viiie s. des sarcophages trapézoïdaux faits de deux demi‑cuves accolées et pourvus d’alvéoles et des tombes mixtes en moellons et dalles.
Céramiques et monnaies
35Les sépultures gallo‑romaines sont bien datées grâce à un matériel plus abondant et mieux connu. À Saint‑Just, la céramique contenue dans la fosse à incinération SI 75 remonterait à la seconde moitié du ier s. ap. J.‑C. (cf. supra, Part. II, 2.3.2). Une analyse du 14C contenu dans le charbon de bois de la fosse à incinération T 139 fournit la fourchette suivante : entre 370 av. et 220 ap. J.‑C. (soit : 40 ans av. J.‑C., ± 120 ans) d’après les conclusions de J. Evin (université Claude‑Bernard, Lyon I). Le matériel de la tombe SI 72 appartient à la fin du ier s. ap. J.‑C. puisqu’elle contient une monnaie de Domitien (87 ap. J.‑C.) et de la céramique contemporaine : ainsi, la cruche à col cylindrique évasé et anse en ruban apparaît sur le site de la Muette à Lyon en 60 ap. J.‑C. et de même, la lampe « à bec en enclume » et décor de lion correspond à la fin du ier s. ap. J.‑C.
36Une monnaie du ive s. –Constantin II, Constance II ou Constant (335‑341)– donne une datation post quem pour la tombe en pleine terre (SI 87). Une monnaie de Julien (360‑363), de la sigillée claire D africaine (également du ive s.), et de la sigillée luisante Lamboglia 2 (du iiie au début du ve s.) fournissent une datation post quem pour les sarcophages monolithes SI 29 et SI 168 (fin du ive s.‑début du ve s.). Les sarcophages monolithes utilisés à l’intérieur de l’église II de Saint‑Just doivent être mis en rapport avec des couches en place dans la crypte nord du transept où des monnaies ont été trouvées (monnaies de la seconde moitié du ive et du début du ve s.) et dans la salle souterraine accolée au bras sud du transept (monnaies de la fin du ve s.). Les monnaies fournissent pour ces couches un terminus post quem qu’il faut compléter par la datation des structures de Saint‑Just II que nous attribuons au milieu du ve s. Les sarcophages monolithes rectangulaires seraient donc utilisés jusqu’à la fin du ve s.
37La tombe SI 22 (formée de demi‑cuves accolées) contenant la même céramique que SI 29, ce type pourrait apparaître dès les ive‑ve s. La garniture de ceinture trouvée dans la tombe SI 46 (cf. supra p. 104) est située par les spécialistes (en particulier M. Kazanski) entre la seconde moitié du ive et la première moitié du ve s.
Inscriptions
38Une tombe en demi‑cuve à alvéole céphaloïde de Saint‑Laurent (SL 120) est datée de 619 par l’inscription de Mercurinus. Dans la même église, deux sarcophages trapézoïdaux à parois minces peuvent être placés au milieu du viie s. (époque de Clovis II) grâce aux inscriptions d’Optata et de Theodota (Descombes, Reynaud 1978 : 265‑302).
2.2.2 Typologie
39La typologie que nous présentons s’étend donc du ive au viiie s. (cf. le tableau, fig. 165 et fig. 166 à 175). Elle ne diffère guère des typologies générales établies par Gagnière dans la vallée du Rhône, par C. Bonnet et B. Privati pour la région de Genève (en milieu urbain et en milieu rural), par R. Perinetti dans le Val d’Aoste, par M. Colardelle dans les Alpes du Nord (en milieu rural) (Bonnet 1977 ; Perinetti 1981 ; Privati 1983 ; Colardelle 1983). La typologie des tombes de Saint‑Just et de Saint‑Laurent‑de‑Choulans est surtout très proche de celle des tombes des villes de la région : celles de Saint‑Ferréol et de Saint‑Pierre‑Saint‑Georges à Vienne (Jannet‑Vallat 1987), celles de la Madeleine et de Saint‑Gervais de Genève, celle de Saint‑Laurent de Grenoble et celles de Vaison‑la‑Romaine (Bonnet 1977 ; 1992 ; Colardelle 1986 ; 1995 : 239‑244 ; Carru et al. 1991 : 14‑28). Pour suivre la nouvelle typologie proposée par M. Colardelle au colloque d’Orléans de 1994 (Colardelle et al. 1996 : 271‑303), il faudrait en particulier replacer les tombes maçonnées dans le groupe des sépultures rectangulaires larges et bien distinguer les tombes maçonnées des vie‑viie s. de celles de l’époque romane (à partir des xe‑xie s. à Saint‑Just).

FIG. 165 ‒ Chrono‑typologie des tombes. SI Saint‑Just ; SG Saint‑Georges de Vienne ; SL Saint‑Laurent ; SF Saint‑Ferréol de Vienne ; SLG Saint‑Laurent de Grenoble.

FIG. 166 ‒ Typologie partielle des tombes, a fosses à incinération ; b cordons de pierres ; c coffres de bois ; d cercueils ; e coffres mixtes.

FIG. 167 ‒ Saint‑Just : coffre de tegulae.

FIG. 168 ‒ Saint‑Just : amphores.

FIG.169 ‒ Saint‑Just : a coffres de grandes dalles ; b remplois antiques

FIG. 170 ‒ Saint‑Just : sarcophages de plomb, dessin et reconstitution.

FIG. 171 ‒ Saint‑Just, Saint‑Laurent : sarcophages monolithes.

FIG. 172 ‒ Saint‑Laurent ; a sarcophages monolithes trapézoïdaux ; b coffres de dalles trapézoïdaux.

FIG. 173 ‒ Saint‑Just, Saint‑Laurent : demi‑cuves accolées.

FIG, 174 ‒ Saint‑Laurent : tombes maçonnées.

FIG. 175 ‒ Saint‑Laurent : murets de pierres sèches.
2.3 L’organisation de l’espace funéraire et son évolution
40Les nécropoles de Saint‑Just et de Saint‑Laurent qui, nous l’avons vu, se succèdent, diffèrent par leur organisation et par leur évolution.
2.3.1 L’orientation des tombes et ses variations
41Sur les deux sites, la plupart des tombes sont orientées et les squelettes ont la tête tournée vers l’est (fig. 176), si l’on excepte à Saint‑Just celle qui s’appuie contre le mur de façade du mausolée sud, et à Saint‑Laurent quelques rares tombes installées selon une direction nord‑sud pour occuper une place laissée libre, sous ou près d’un seuil, ou le long d’un mur. L’orientation des tombes est toutefois sujette à des variations.
42Ainsi à Saint‑Just, où les tombes s’alignent surtout dans le sens de la pente et en direction de l’est, mais avec de notables variantes, l’orientation générale varie entre 30° et 40° vers le sud par rapport à l’est, l’orientation la plus fréquente étant proche de 30° vers le sud. Si les tombes étaient orientées en fonction du soleil levant au jour de l’inhumation, comme on l’a prétendu, on devrait avoir une égale répartition entre les extrêmes, soit 36° vers le sud en hiver et 36° vers le nord en été. Les tombes étant toutes tournées vers le sud‑est, il faudrait admettre –ce qui n’est pas possible– que n’étaient enterrées à Saint‑Just que les personnes mortes en hiver. Il faut donc envisager soit tout simplement une orientation tenant compte du relief, ou une orientation en fonction du parcellaire et des voies antiques, ou bien encore une orientation correspondant à celle de l’église de Saint‑Just. En fait, ces trois facteurs coïncidant à peu près, nous retiendrons donc surtout le fait que l’église a calqué son orientation sur celle de l’habitat préexistant et que les tombes installées à proximité de la basilique ont pu l’être selon la même orientation. Pour le groupe situé à 300 m au sud, le parcellaire préexistant et les voies antiques ont dû jouer un rôle déterminant ; seules les légères variations d’axes entre les tombes pourraient éventuellement s’expliquer par la position du soleil sur l’horizon (Mercier, Mercier‑Roland 1974 : 25). Nous avons donc évité de nous appuyer sur cette hypothèse, à la fois fragile et peu déterminante, pour comprendre l’organisation de la nécropole, et avons privilégié l’hypothèse d’un groupement de tombes pour expliquer le choix de certaines orientations (fig. 176).

FIG. 176 ‒ Saint‑Just : nécropole, secteur méridional (groupes de tombes).
43Les problèmes d’orientation sont assez différents à Saint‑Laurent. À l’extérieur de la basilique, les tombes sont soit orientées parallèlement au mur nord de l’église, soit appuyées contre le mur ouest de clôture. Au nord‑ouest, on est frappé par l’alignement de trois tombes d’axe nord‑sud et donc obliques par rapport à l’église, ainsi que par la régularité de la rangée qui les borde à l’est ; cette orientation a sans doute pour origine le respect d’une donnée contraignante, comme la présence d’une voie d’accès menant de la porte de la clôture au portique ouest.
2.3.2 Les areae funéraires
Extension
44Celle de la nécropole de Saint‑Laurent est désormais bien délimitée au nord et à l’ouest ; au sud, aucun sondage n’a été effectué, mais les premières pentes de la colline ont dû servir de butoir. La nécropole était entourée d’une clôture dans laquelle s’ouvrait une porte monumentale, si l’on en juge par les gros blocs servant de seuil ; la superficie de l’ensemble, assez moyenne, ne dépassait pas 0,5 à 1 ha.
45La nécropole de Saint‑Just, où les deux zones fouillées sont distantes l’une de l’autre de 300 m, s’étendait sur une plus grande surface au sud de la basilique. Le seul mur de clôture, retrouvé sur quelques mètres au nord‑est, est remarquable par son appareil de gros blocs, proche de celui du mur des bords de Saône (voir supra fig. 74, 79).
46Pour la France, les comparaisons sont pratiquement impossibles avec d’autres sites, faute de fouilles. Certains textes semblent toutefois apporter des éléments concernant la clôture de la nécropole : ainsi à Tours, nous pouvons tenter une reconstitution de l’atrium de Saint‑Martin (Piétri 1983 : 390‑404). L’espace, bien délimité par une clôture et par une porte fermée la nuit, s’étendait tout autour de la basilique, en façade occidentale et au chevet ; il était pourvu de portiques et abritait la domus basilica et des oratoires, un baptistère, des cellules pour l’abbas martyrarius et pour les autres clercs, un monastère de femmes et les gardiens de l’édifice : on y accueillait les hôtes de passage, les pèlerins, les mendiants et les pauvres.
47On ne connaît guère, sauf à Trêves et à Cologne, à Saint‑Laurent de Grenoble et à Saint‑Victor de Marseille, d’areae semblables associées à des basiliques funéraires ou martyriales ; cette lacune est due à l’absence de fouilles étendues dans les nécropoles antiques, ou à l’urbanisation postérieure d’un quartier initialement extra‑muros. Cette typologie est représentée aussi bien dans les cimetières de surface de Rome que sur divers sites d’Italie (par exemple Cimitile) et d’Afrique (par exemple Tipasa).
Organisation spatiale et chronologie
48À Saint‑Just, la répartition uniforme des sarcophages monolithes rectangulaires, des sarcophages en demi‑cuves et des tombes en amphores, ainsi que l’absence presque totale de superposition des tombes, rendent difficile l’établissement d’une topo‑chronologie semblable à celle de Sezegnin ou de Roissard ; l’organisation de la nécropole semble lâche. On peut toutefois reconnaître (fig. 176), à Saint‑Just comme à Vienne et à Vaison‑la‑Romaine, la présence de quelques tombes alignées ou de groupes organisés autour d’une tombe privilégiée (Reynaud, Jannet‑Vallat : 1984 : 98‑106 ; Carru et al. 1991 : 28‑29). Cette disposition assez aérée des sépultures semble aussi laisser place à des passages dans le sens de la pente. De cet ensemble de remarques on peut déduire que les groupes ou files de tombes coexistent avec des regroupements de types familiaux et que la nécropole s’est constituée de part et d’autre d’une voie nord‑sud, actuellement encore visible à Sainte‑Foy. Une voie nord‑sud secondaire a été repérée au sud‑ouest de la nécropole. Ainsi, celle‑ci a pu se développer en même temps le long de plusieurs voies parallèles, et depuis le nord (de la basilique) vers le sud, les tombes étant plus nombreuses à proximité de la basilique.
49À Saint‑Laurent, les sépultures ont été fouillées en trop petit nombre pour que l’on puisse tirer de leur distribution des conclusions d’ordre général. On constate simplement que les tombes s’alignent parallèlement au mur de clôture nord et sur deux niveaux : un premier groupe de sarcophages ou de tombes maçonnées, surmonté d’un second niveau de tombes en pleine terre ; quelques tombes d’orientation aberrante suggèrent la présence de voies de passage,
50Par la chronologie, la typologie des tombes, et par l’absence presque totale de matériel, ces deux nécropoles seraient à comparer à celles de Saint‑Irénée à Lyon, toute proche dans l’espace et dans le temps, de Saint‑Georges et de Sainte‑Colombe à Vienne, de Saint‑Laurent à Grenoble, de la Madeleine à Genève, de Saint‑Laurent d’Aoste et de Vaison‑la‑Romaine. À Lyon, nous passerons rapidement sur la nécropole de Saint‑Irénée qui nous renseigne sur la typologie des tombes, mais dont la fouille n’a pas été assez étendue pour que l’on puisse en connaître l’organisation ni établir le rapport entre les tombes et les édifices de culte. Rue des Farges, la petite nécropole installée près des thermes en ruines est assez variée sur le plan typologique : tombes en pleine terre, bordures de galets, coffres de dalles, demi‑cuves accolées (Desbat 1984b : 34‑35) ; la typologie ainsi que les variations dans l’orientation suggèrent une utilisation qui ne va guère au‑delà du ve s.
51À Vienne, la nécropole de Sainte‑Colombe, récemment fouillée, est proche de celle de Saint‑Just par la typologie et la topo‑chronologie des tombes, avec une même organisation de l’espace (Le Bot‑Helly 1986 : 93‑94). Ailleurs dans la région, les recherches archéologiques se sont surtout déroulées à l’intérieur des basiliques funéraires, qu’il s’agisse de fouilles anciennes, comme à Saint‑Pierre de Vienne, ou de fouilles récentes, comme à Saint‑Laurent de Grenoble, à la Madeleine de Genève ou à Saint‑Laurent d’Aoste. La fouille menée à l’est de Saint‑Pierre de Vienne concernait une zone où s’élèvent des annexes de l’édifice principal (Jannet‑Vallat et al. 1986 : 48‑61).
52Les nécropoles de Saint‑Just et de Saint‑Laurent s’intégrent donc bien dans le cadre régional des nécropoles de l’Antiquité tardive et de l’époque burgondo‑mérovingienne. Pour l’essentiel, les sépultures de Saint‑Just remontent aux iv‑ve s. L’abondance des tombes en demi‑cuves accolées, qui restent en usage à Saint‑Laurent, au moins jusqu’au vie s., nous incite néanmoins à élargir au‑delà du ve s. sa durée d’utilisation. La nécropole de Saint‑Laurent vient alors prendre le relais jusqu’à l’aube de l’époque carolingienne.
2.3.3 L’inhumation dans l’église
Les églises cimétériales
53Les églises construites extra‑muros dans une zone funéraire préexistante ou spécialement pour abriter la tombe d’une personne vénérée (par exemple un saint martyr ou confesseur) peuvent prendre la suite d’un mausolée : les sépultures d’autres défunts plus ou moins privilégiés viennent s’ajouter aux tombes saintes, selon des critères religieux (vierges consacrées, clercs) ou sociaux (donateurs.., ). Quand elles abritent une ou plusieurs tombes vénérées, elles accueillent naturellement les nombreux fidèles venus prier sur ces tombes lors des pèlerinages annuels (nous connaissons par Sidoine Apollinaire cet usage à Saint‑Just), et elles sont aménagées, ou éventuellement reconstruites, en conséquence. Mais dans un cimetière, il faut aussi tenir compte des cérémonies lors des inhumations ou des anniversaires et des visites auprès des tombes familiales. On peut donc difficilement dissocier l’aspect proprement funéraire de l’aspect cultuel.
54Le problème majeur semble donc être le rapport entre les tombes et l’édifice. Il faut d’abord rappeler que les mausolées martyriaux sont destinés, dès l’origine, à abriter des tombes. De pieux fondateurs se font inhumer aussi tout naturellement à proximité des reliques saintes qu’ils avaient procurées à leur église. Mais si l’on en croit certains textes, l’habitude d’enterrer dans les édifices du culte reste un privilège jusqu’au ve s. (Duval 1982b : II, 512‑513). Ce phénomène paraît mieux cerné en Orient qu’en Occident : ainsi en 381, un édit impérial adressé au préfet de la ville de Constantinople interdit les inhumations dans les martyria ou apostolica, et les martyrs eux‑mêmes s’opposent au libéralisme des évêques qui acceptent des intrus dans leurs sanctuaires (Kotting 1965 : 10‑311 ; Sodini 1984 : 220‑227). En Occident, le concile de Vaison en Gaule en 492, puis celui de Braga en Espagne encore en 563, formulent le même interdit (Vivès 1963 : 75 ; Saxer 1980 : 239‑240). Très tôt toutefois les évêques obtiennent une place auprès des martyrs et sont associés à leur culte, à l’intérieur des églises. On rappellera aussi l’exemple d’Ambroise qui, de son vivant, fait placer sa tombe près de l’autel des martyrs Gervais et Protais.
55À Lyon, le seul critère religieux digne d’attention est l’inhumation d’un prêtre, Osildus, dans le collatéral nord de Saint‑Laurent ; d’après la chronologie relative, cette tombe semble même avoir été la première installée dans cet espace. D’autres critères, peut‑être de caractère plus social, pourraient expliquer l’agencement des tombes dans le portique et dans le collatéral nord où l’âge des défunts et la représentation masculine dépassent nettement la moyenne et où se devinent des regroupements familiaux.
56Le développement de l’inhumation dans les églises est un phénomène répandu dès le ive s. en Afrique mais, on le sait par l’épitaphe de la mère du diacre Tiberinus à Tipasa, soumis au contrôle de l’Église (Leschi 1957 : 373 ; Kotting 1965 : 29 ; Kollwitz‑Herdejurgen 1979 : 88‑102 ; Duval 1982a, II : 14, fig. 6). Au tournant du ve s., Paulin de Nole, d’origine gauloise, pose la question à Augustin : « est‑il bon de se faire enterrer ad sanctos ? [...] utrum prosit cuique post morte, quod corpus élus apud sancti alicius memoriam sepeletur [...] » (De cura pro mortuis geranda ; Augustin, Migne 1895 : col. 591 ; Augustin, Zycha 1900 : 622 ; Duval 1982b : II, 499‑501, 513). Dans les mausolées martyriaux, agrandis et transformés en basiliques cimétériales, de nombreuses sépultures se pressent effectivement autour des tombes vénérées : c’est le cas des basiliques de Marusinac et Manastirine à Salone (Dyggve, Egger 1939 : III, 95). On remarquera dans les églises étudiées en Espagne par T. Ulbert, qui sont des églises rurales, une très grande diversité : les inhumations y sont nombreuses, mais absentes par exemple de l’abside liturgique (Ulbert 1978 : 23, fig. 11 ; 86, fig. 35 ; 99, fig. 38).
Répartition dans l’édifice
57Les tombes peuvent se regrouper soit dans la partie orientale de l’église (ad sanctos) soit dans les nefs. À Saint‑Irénée de Lyon, où reposent les martyrs Épipoy et Alexandre, les sondages trop partiels n’ont apporté de connaissances précises ni sur le mausolée d’origine, ni sur l’évolution du site. À Saint‑Just, l’église cimétériale abritait, d’après Sidoine Apollinaire (Ep., V ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970), les fidèles venus prier sur la tombe du saint confesseur qui, à l’origine, se trouvait sans doute dans le petit mausolée nord. À Saint‑Laurent, l’église, qui n’est pas consacrée à un saint régional, était‑elle destinée à fournir un lieu de culte pour la nécropole voisine ? Ou ce grand édifice a‑t‑il été construit pour abriter des reliques du saint romain, qui à son tour a attiré des sépultures ? On pencherait pour la seconde solution car deux arguments décisifs sont fournis par l’absence de tombes anciennes et par la présence d’une occupation romaine sous la basilique.
Sépultures ad sanctos
58Les exemples lyonnais de Saint‑Just et de Saint‑Laurent se prêtent mal à l’illustration de ce thème. À Saint‑Laurent en effet, les destructions très profondes n’ont laissé aucune trace d’éventuelles sépultures dans le transept. À Saint‑Just, de même, aucune tombe n’a été trouvée dans l’abside ; deux sarcophages étaient par contre installés dans une annexe située au sud de l’abside et la tombe de Flavius Florinus, trouvée au xviiie s. dans la même zone, mais sans doute à l’extérieur, était, d’après le texte même de l’inscription étudiée, « positus (...) ad sanctos » (Lebœuf s.d. : 441 ; Procès‑verbal de la découverte s.d.).
59En dehors de ces exemples peu probants, les cas de Saint‑Pierre et de Saint‑Ferréol à Vienne paraissent assez significatifs. À Saint‑Pierre, la fouille de 1860‑1865 ne semble pas avoir dégagé de sépultures anciennes à l’intérieur de l’abside, mais le petit sanctuaire que M. Jannet‑Vallat a identifié à l’extérieur dans l’axe de l’abside a pu contenir des tombes d’évêque et a en tout cas attiré d’autres tombes. On peut supposer au demeurant un transfert de ces tombes vénérées après la construction de l’église : les évêques se feront enterrer par la suite peut‑être dans l’abside ou dans les annexes latérales du chevet et dans l’oratorium Sancti Georgii construit par Pantagathe au milieu du vie s., ou sous les arcs de la nef (Formigé 1925 : 77‑94 ; Reynaud 1974‑1975 : 45 ; Jannet‑Vallat et al. 1986 : 55‑56). À Saint‑Ferréol, nous n’avons rencontré en 1976 aucun sarcophage dans l’abside, mais on peut supposer un transfert puisque les reliques du saint ont été transportées dans la ville et que les tombes abondaient dans la partie orientale de la nef (Reynaud 1978b : 44‑51). À Saint‑Gervais de Genève (fouilles en cours, sous la direction de B. Privati, depuis 1987), la tombe d’un personnage important était placée dans une crypte sous l’abside, alors que les tombes se pressaient à l’intérieur de l’abside de la basilique Sous‑le‑Scex à Sion (Lehner 1987 : 145‑156 ; Bonnet et al. 1991 : 20 ; Bonnet 1992).
Sépultures dans les nefs
60À Saint‑Laurent‑de‑Choulans, la situation est claire : les tombes s’alignent en grand nombre dans les bas‑côtés, mais la nef centrale en est dépourvue, au moins dans la zone fouillée, soit les 2/5 du total. L’inhumation était donc sans doute interdite dans la nef centrale et sans doute, au départ, dans les collatéraux. Assez rapidement, les tombes ont envahi l’église. Cette hypothèse aurait l’intérêt d’expliquer l’absence d’inscriptions funéraires antérieures à 599. À Saint‑Just, les tombes sont également rares dans les nefs (une seule tombe ancienne), mais une ambiguïté demeure, les destructions tardives ayant pu faire disparaître toute trace de tombes (les destructions ne descendant pas à plus de 0,40‑0,50 m sous les sols paléochrétiens, on devrait pourtant avoir trouvé les traces des fonds de sépultures, ce qui n’était pas le cas). Il est difficile de dire si cette situation résulte d’une interdiction ou d’un usage.
61À Albon (Drôme), la nef de la petite basilique semble dépourvue de sépultures, celles‑ci paraissant se regrouper dans les annexes latérales (Duc 1900b) ; de même, à Viuz‑Faverges, où quelques tombes sont signalées dans les annexes latérales mais aucune dans la nef (Colardelle 1982 : 8, 18). Au contraire, à Seyssel, la nef et le transept de l’édifice religieux, construit près de la nécropole installée sur le site antique, présentent un assez grand nombre de tombes (Helly 1983 : 43‑46 ; Bizot, Serralongue 1988 : 25‑50). À Saint‑Pierre de Vienne, les tombes occupent, d’après les relevés de fouilles, toute l’étendue de la nef ; deux tombes seulement (peut‑être tardives) sont situées dans l’abside ; à Saint‑Ferréol, où la fouille a été partielle, des sarcophages ont été dégagés dans la partie orientale de la nef (Reynaud 1978b : 41‑51 ; Jannet‑Vallat et al. 1986 : 43, 62‑64). À Saint‑Laurent d’Aoste, les tombes sont nombreuses dans la nef –tombes d’évêques et de personnages importants–, mais aussi aux extrémités des bras du transept, dans les annexes latérales ou sous le seuil de l’église (Bonnet 1981 : fig. 183 ; Duval 1982b : 513‑514).
Les églises de la presqu’île
62Faut‑il placer celles‑ci parmi les églises urbaines, alors que l’on ignore presque tout des limites de la ville du haut Moyen Âge ? Avaient‑elles une vocation funéraire ? L’église de Saint‑Nizier semble un bon exemple de cette incertitude, puisqu’à partir de Rusticus (début du vie s.) les évêques de Lyon, abandonnant Saint‑Just, élisent sépulture dans ce lieu sanctifié par les « cendres des martyrs » (Février et al. 1986 : 28, 32). Si l’on sait qu’à Saint‑Michel d’Ainay, à Saint‑Nizier à Lyon et à Saint‑André‑le‑Bas à Vienne étaient enterrés de grands personnages (et peut‑être d’autres), nous ignorons, faute de fouilles exhaustives, l’emplacement de ces tombes privilégiées. À Saint‑Nizier toutefois, subsistait encore au xixe s. un petit édifice construit à l’est de l’abside qui abritait les tombes des évêques. Cet exemple, malheureusement isolé, indique cependant que l’on a évité, là‑encore, les inhumations à l’intérieur de l’église ; peut‑être aussi manquait‑on de place.
63On peut donc en déduire que les églises cimétériales extra‑muros, y compris celles de la presqu’île, étaient conçues à l’origine comme des lieux de culte dont les tombes pouvaient être exclues. L’insistance des conciles à rappeler cet interdit est la preuve que ces prescriptions étaient d’autant moins observées que les évêques et la frange aisée de la population qui pouvait offrir à l’Eglise des bienfaits étaient les premiers à les enfreindre à leur profit. Selon les cas, certaines parties de l’église semblent préservées ; ces mêmes zones centrales accueillent, dans d’autres cas, des tombes privilégiées. Parfois même, l’église ne s’ouvre qu’aux seules sépultures des évêques, mieux à même d’affirmer ainsi qu’ils sont les « patrons » de l’église locale et, par suite, de la ville (Brown, Roussel 1984 : 19‑20). Assez rapidement en général les tombes se multiplient dans la presque totalité de l’édifice en fonction de critères religieux et sociaux.
Notes de bas de page
1 Dans le collatéral nord, des dépôts cendreux ont été repérés au pied de aa2 (SL 16), des fragments de céramique entre SL 15 et SL 16 et dans‑le remblai de SL 59 ; au‑dessus du couvercle de SL 1, un tesson de pichet était mêlé aux cendres. Dans le portique ouest, un vase a été trouvé écrasé au‑dessus du couvercle de SL 121. Dans la nécropole extérieure, près de la basilique, des fragments de céramique s’étaient incrustés dans le mortier du couvercle de la tombe SL 45.
2 Sur 22 squelettes, 8 hommes et 1 femme dans le portique ouest (en additionnant les déterminations sûres et probables) ; sur 21 squelettes, 11 hommes et 5 femmes dans le portique nord. A. Leroi‑Gourhan avait également reconnu une prédominance d’individus masculins dans le portique nord.
3 A. Leroi‑Gourhan avait également constaté que la moyenne d’âge était assez élevée (mais voir nos réserves) (Wuilleumier et al. 1949 : 100).
4 Au cours de la fouille de sauvetage effectuée en automne 1985, nous avons noté l’existence de nombreux squelettes d’enfants au‑dessus des couvercles de sarcophages. Le mauvais état relatif de ces squelettes et les terrassements successifs au‑dessus des tombes pourraient expliquer les proportions assez faibles des enfants inventoriés dans l’église. Les 35 sépultures d’enfants se répartissent également dans les secteurs étudiés.
5 4 petits, 6 « sous‑moyens », 11 « sur‑moyens » (de 1,60 à 1,70 m), 5 grands (supérieurs à 1,70 m) (SL 100, 10b, 42, 120, 10). A. Leroi‑Gourhan avait enregistré 4 individus dépassant 1,70 m.
6 Chez les hommes, l’indice horizontal du crâne, calculé sur 35 individus, est de 30 % de dolichocrânes, 46 % de mésocrânes et 24 % de brachycrânes ; l’anthropologue est frappé par la dysharmonie faciale qui peut être due à l’hétérogénéité du groupe. Chez les femmes, l’indice horizontal, calculé sur 18 individus, est de : 17 % de dolichocrânes, 50 % de mésocrânes et 33 % de brachycrânes ; tout comme pour la population masculine, on observe une nette dysharmonie faciale.
7 Les tombes SL 19, 42, 43, et 60 renferment 2 hommes (plus 1 individu de sexe indéterminé), alors que les tombes SL 20, 30, 95 et 100 renferment un homme et une femme.
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