Chapitre 1. Le site et l’histoire
p. 17‑22
Texte intégral
1.1 Le cadre géographique
1Lyon présente la particularité d’être construite sur les deux collines de Fourvière et de la Croix‑Rousse, séparées par une gorge profonde, et sur les rives de deux cours d’eau, le Rhône et la Saône, qui confluent immédiatement en aval de la ville (Roman 1926 ; Audin, Russo 1964 ; David 1967 ; Demarcq 1973 : 30‑35 ; Mandier 1984 ; Bravard 1985). Après avoir longé la Côtière de Dombes, le Rhône bute contre les premières avancées de la colline de la Croix‑Rousse, et son cours dévie vers le sud. Le fleuve coule parallèlement à la Saône avant de recevoir ses eaux en aval de l’abbaye d’Ainay (confluent primitif). La Saône qui s’écoulait jusque‑là dans un val élargi, le vallon d’Écully, emprunte à Pierre‑Scize un défilé étroit, creusé entre les collines de Fourvière et de la Croix‑Rousse, et mêle ses eaux à celles du Rhône par un goulet ouvert dans les roches dures du Lyonnais après le départ des glaciers würmiens. Cette confluence difficile donne à la Saône un aspect analogue à celui du Rhône, au moment où elle va perdre ses flots dans ceux du grand fleuve pour suivre avec lui la direction fondamentale du couloir nord‑sud, entre les montagnes. Le couloir de la Saône et du Rhône s’inscrit donc en zone déprimée, dans une région d’effondrement, à travers les vieilles masses hercyniennes. Le substrat ancien n’est pas très loin en profondeur, sous les terrains sédimentaires. L’unité de surface est assurée par une sédimentation prolongée à laquelle ont contribué des lacs, des torrents descendus des montagnes voisines et même des glaciers, comme en témoignent les dépôts morainiques alpins qui couronnent la colline de Fourvière.
2À l’ouest de la ville, la colline de Fourvière et le plateau de la Sarra (alt. 290 et 300 m), dominent la Saône d’environ 130 m. Du côté oriental, la pente est extrêmement rapide et constitue parfois une véritable falaise ; au nord, elle est interrompue par un replat vers la cote 220 m. La falaise qui le borde surplombe directement la Saône et se prolonge en direction du nord par une étroite échine ; là, juste à l’entrée du défilé, se détache le rocher de Pierre‑Scize. Au sud, après l’ensellement du col de Trion (alt. 275 m), la colline se rattache aux hauteurs de Saint‑Irénée, puis au plateau de Sainte‑Foy. De ce côté, la pente est donc beaucoup moins raide et le col de Trion constitue un passage facile d’est en ouest. En de rares endroits, quelques accidents de relief sont venus adoucir la pente et, de la nappe phréatique (alt. 246 m), prennent naissance des sources qui ont entamé la colline et déterminé l’échancrure de Choulans et celle du Gourguillon.
3La colline de la Croix‑Rousse, moins élevée que celle de Fourvière (alt. 250 m), se termine également en falaise au sud‑ouest où elle est coupée par le défilé de Pierre‑Scize, dont le rocher de Château‑Gaillard ferme l’entrée. À l’est, le Rhône vient longer les premières pentes. Au sud, un ressaut apparaît nettement à la cote 220 m et le ruisseau des Carmélites s’enfonce légèrement vers l’intérieur.
4Au pied des collines et au confluent s’étendent quelques langues de terre. En contrebas de Fourvière se sont accumulées des alluvions ; d’autres dépôts ont constitué une assez longue presqu’île entre les deux fleuves, qu’un affleurement de roches primaires à Ainay a contribué à étendre vers le sud. À l’est, le Rhône, étalant ses eaux, multipliait ses bras dans une vaste zone inondable, interrompue par quelques buttes insubmersibles dans l’actuel quartier de la Part‑Dieu. En fait, la situation a évolué au cours des siècles (Arlaud et al. 1994 ; Bravard 1996). Aux époques historiques, le paysage est façonné par l’exhaussement du lit du Rhône et par l’étalement de sa charge qui plaquent la Saône contre le bas de la colline de Fourvière ; puis l’assèchement du climat et la réduction du transport des sédiments contribuent à la formation de la presqu’île et à un déplacement des fleuves vers l’est.
5Ce cadre géographique de configuration complexe, avec ses collines aux pentes abruptes, avec ses matériaux meubles et peu sûrs, ses fleuves au régime irrégulier, ses plaines alluviales au sol peu stable ouvertes vers le sud au trafic portuaire, sera différemment utilisé tout au long du développement de la ville de Lyon : l’agglomération protohistorique s’était fixée à Vaise, l’agglomération antique sur la colline de Fourvière, la cité épiscopale sur la rive droite de la Saône et le berceau de la ville bourgeoise dans la presqu’île, entre Rhône et Saône.
1.2 Le cadre historique
6L’essentiel de l’histoire de la ville est exposé dans les ouvrages classiques de A. Kleinclausz, A. Coville, A. Audin, P. Wuilleumier, H. Gerner et E. Demougeot. Nous nous contenterons de signaler ici quelques éléments importants qui ont pu avoir une incidence sur l’histoire et la topographie chrétiennes de Lyon.
1.2.1 Lugdunum : la ville romaine
7Les origines de Lyon restent obscures, mais des fouilles récentes ont reconnu au nord‑ouest de l’actuelle agglomération (Gorges de Loup, à Vaise) les traces d’une occupation à partir du ve s. av. J.‑C. et d’un commerce avec les colonies grecques du sud de la Gaule1 (cf. fig. 2).
8Sous le nom de Colonia Copia Claudia Augusta Lugdunensis, la cité a été fondée en 43 av. J.‑C. par Lucius Munatius Plancus (Goudineau, Mandy 1989) –en même temps qu’Augusta Raurica (Augst, canton de Bâle‑Campagne, Suisse)– sur un terrain qui paraissait vierge de toute occupation antérieure (Rambaud 1958 : 103‑128 ; Février et al. 1986 : 20). Mais des traces de fossés mises au jour en 1983 semblent précéder la fondation primitive (Mandy et al. 1988 ; 1990).
9La colonie, fondée sur le territoire de la civitas des Segusiaui, dispose à l’époque augustéenne d’un atelier monétaire et le commerce y est actif. En 13 av. J.‑C., Drusus dédie le « sanctuaire élevé par l’ensemble des peuples gaulois à César Auguste, devant la ville et à la jonction des deux fleuves » (Strabon, IV, 3, 2). Lyon est donc à la fois capitale d’une civitas de la Lyonnaise –l’une des trois provinces de la Gaule chevelue– et lieu de réunion de l’assemblée de ces provinces dite assemblée des « Trois Gaules ». Le rôle économique de la ville, très lié à l’activité fluviale et au réseau de routes réalisé par Agrippa sous le règne d’Auguste (Strabon, IV, 6, 11), est attesté par de nombreuses inscriptions.
10La ville, qui s’étend alors sur la colline de Fourvière et dans la presqu’île, connaît son âge d’or au cours des deux premiers siècles de notre ère. La connaissance de la topographie de Lugdunum s’est considérablement enrichie ces dernières années : près du forum situé à Fourvière (Forum Vetus) ont été fouillés le théâtre et l’odéon, ainsi qu’un ensemble de citernes. Un deuxième sanctuaire dédié au culte impérial –qui s’ajoute au sanctuaire fédéral– a été dégagé sur le plateau, au Clos du Verbe Incarné (Lasfargues, Leglay 1980 : 394‑414 ; Mandy 1983 : 24‑26). Outre des rues et des maisons d’habitation qui, dans leur état ancien, remontent à l’époque augustéenne, ont été reconnus des thermes, d’autres habitations plus au sud‑est, rue des Farges (Desbat 1984b) et près de la basilique paléochrétienne de Saint‑Just ; ces dernières disparaissent au cours du iiie s. En revanche, la caserne de la XIIIe cohorte urbaine, en garnison à Lugdunum pendant une partie de l’Empire, n’a pas été retrouvée.
11À la Croix‑Rousse « un autel considérable orné d’une inscription énumérant soixante peuples et des statues de chacun de ces peuples » (Strabon) peut être reconstitué dans ses grandes lignes d’après cette description et d’après les représentations monétaires. Un amphithéâtre, dépendant de ce centre fédéral, a été retrouvé sur les premières pentes de la colline (Guey, Audin 1962 : 117‑145 ; 1963 : 125‑154 ; 1964 : 37‑61 ; 1970 : 67‑89). Des traces d’habitat et des ateliers artisanaux (potiers) ont été reconnus en contrebas, ainsi que sur les basses terres du confluent (Kanabae) où résidaient les négociants (maisons à mosaïques et entrepôts). Sur la rive droite de la Saône, au pied de Fourvière, l’occupation du sol est rendue possible par le glissement progressif du lit de la Saône vers son emplacement actuel et par le comblement de l’ancien bras à partir de la fin du iie s. ap. J.‑C. (Villedieu 1990 ; Arlaud et al. 1994).
12Les nécropoles les plus importantes s’étendent au sud de la ville (vallon de Trion, replat de Saint‑Irénée) et le long de la voie d’Aquitaine. Les autres nécropoles paraissent moins étendues : celle de Choulans, sur la rive droite du Rhône (route de Vienne par l’ouest, zone sud), celle de la rue P. Audry et de Saint‑Pierre (rive droite, zone nord), celle de la rive gauche du Rhône (route de Vienne par l’est).
13En 197, après la victoire de Septime Sévère sur Albinus aux portes de Lyon, la ville perd sa cohorte urbaine. Lors de la réforme de Dioclétien, le territoire de la Lyonnaise est subdivisé et Lyon devient capitale de la Lyonnaise Ire. À la fin du ive s., le territoire de cette province comprend, en plus de la métropole de Lyon, les cités d’Autun et de Langres, les castra de Chalon et de Mâcon (Notitia Dignitatum, Seeck 1876 : 262‑263). Un atelier monétaire très actif existe depuis le IIIe s. (Bastien 1972 ; 1976 ; 1980 ; 1982) ; nous avons retrouvé beaucoup de ces monnaies dans les fouilles du groupe cathédral. On sait, d’après la Notitia Dignitatum, qu’à la fin du ive s. cet atelier est dirigé par un procurator monetae ; un praepositus thesaurum dépendant du cornes sacrarum largitionum et un procurator gynaecii –donc un atelier impérial de vêtements– sont également mentionnés (Demougeot 1975 : 1079‑1134).
1.2.2 La christianisation
14Lugdunum est évangélisé dès le iie s. et le développement très rapide du christianisme est marqué par de nombreuses épreuves. Ce phénomène s’explique très bien dans un milieu cosmopolite où se côtoient Occidentaux et Orientaux. Cette présence des colonies orientales, celle de nombreux affranchis employés dans les services impériaux, enfin celle des vétérans qui avaient éventuellement servi en Orient, ont été quelques‑unes des causes du développement précoce des religions orientales dans la vallée du Rhône. Les cultes de Mithra, de Cybèle et d’Attis, comme les cultes syriens, sont attestés (Audin 1965a : 65‑74 ; Turcan 1972 : 70‑72). Cybèle et Attis trouvent à Lyon, où fleurit le culte des Matres, un terrain propice et la ville devient vite la métropole du phrygianisme gallo‑romain. Le terrain lyonnais sera donc favorable à l’implantation et au développement du christianisme. Parallèlement à cette pénétration des cultes orientaux, on constate une évolution générale des usages funéraires (Audin, Burnand 1959 : 320‑330) ; ainsi, dès le iie s., l’inhumation commence à se répandre à Lyon (Veyne 1982 : 189‑190).
15La Lettre des chrétiens de Vienne et de Lyon (Eusèbe de Césarée, Bardy 1955 : 6‑28) constitue le document essentiel pour comprendre à la fois les origines de la communauté chrétienne et les raisons de la persécution de 177. L’origine orientale des fondateurs de l’église de Lyon est évidente : Pothin vient de Smyrne, Alexandre, de Phrygie, et Attale, de Pergame. Attale est un des rares chrétiens mentionné comme parlant latin, mais la moitié des martyrs sont citoyens romains. Tous les âges et toutes les classes sociales sont représentés (Thomas 1978 : 93‑106). Tous sont animés d’une véritable soif du martyre. L’attitude de l’un d’entre eux –Alcibiade– n’est pas sans rappeler les tendances montanistes qui apparaissent à cette époque en Phrygie (Comby 1977 : 18). Parmi les chrétiens, certains meurent en prison, les citoyens romains ont la tête tranchée, d’autres sont livrés aux bêtes à l’amphithéâtre ; les corps sont brûlés et les cendres jetées au Rhône. Le christianisme se développe ensuite sans que l’on sache où se déroulait le culte. La communauté survit à la persécution : Irénée succède à Pothin et la liste épiscopale est complète dans la tradition locale. Les noms des évêques, d’abord grecs (Photinus, Hyreneus, Zacharias, Helius), sont ensuite latins (Faustinus, Verus, Justus) (Perrat, Audin 1956 : 247‑251). On ne connaît pas de tombe certainement chrétienne avant le ive s. et certains estiment que, parallèlement à l’essor du christianisme, disparaissent progressivement les autres cultes orientaux (Turcan 1972 : 98).
16La fin du iiie s. et le début du ive correspondent à de grandes transformations politiques au sein de l’Empire ; c’est aussi l’époque où, à partir de 313, le christianisme est officiellement toléré. Au cours du ive s., Lyon subit un déclin relatif dans les domaines politique, et sans doute économique. On connaît mal l’activité des évêques lyonnais ; sont seulement attestées la présence de Vocius au premier concile d’Arles en 314 et celle de Verissimus au concile de Sardique (343) (Marrou 1960 : 336). La fin du ive s. marque pourtant le début d’une période de grand éclat pour l’Eglise lyonnaise qui se choisit des évêques d’une certaine notoriété, tels Justus (Just) et Eucherius (Eucher). L’évêque Justus participe au concile de Valence en 374, puis à celui d’Aquilée réuni en 381 pour lutter contre l’arianisme (Leclercq 1931 : col. 191‑192 ; AA SS, I, 373), avant de partir pour l’Egypte où il vit en ermite puis meurt (Quentin 1908 : 171).
17Eucherius est un des grands personnages de l’Eglise de Lyon. Né dans le dernier quart du ive s., il épouse Galla dont il a deux enfants, Salonius et Veranus, qui deviendront respectivement évêque de Genève et peut‑être évêque de Vence (Van Der Straeten 1965 : 81‑94). Il se retire avec toute sa famille à Lérins, avant d’être élevé au siège épiscopal entre 432 et 441. Son activité pastorale est mal connue ; on sait toutefois qu’il participe au concile d’Orange en 441. Il a écrit deux ouvrages d’exégèse, Pormulae et Instructions ; on lui a longtemps attribué la Passio Acaunensium martyrum et on connaît quelques lettres de lui (Theurillat 1954 : 32‑42). Il correspond avec Hilaire, Cassien, Honorat et Paulin de Nole, et ses contemporains vantent son éloquence. Il meurt en 449 ou 450 (Étaix 1955).
1.2.3 Lyon, capitale burgonde
18Lyon retrouve cependant son importance politique au cours du ve et d’une partie du vie s. lorsqu’elle devient résidence royale. Les Burgondes, qui franchissent le Rhin au ve s. et obtiennent dès 413 un territoire sur sa rive gauche avec le titre de fédérés, s’établissent en 443 en Sapaudia, c’est‑à‑dire dans le territoire de Genève et dans la partie nord de celui de Grenoble, pour s’étendre ensuite dans la Bresse, le Jura et le Bugey, sans toutefois aller jusqu’à Lyon que l’empereur Majorien tient encore en 458 (panégyrique de Majorien par Sidoine Apollinaire). Le royaume burgonde ne tarde pas à s’étendre sur le sud‑est et le centre‑est de la Gaule. Il englobe alors le Valais, Besançon, Langres, Autun, Lyon, Nevers, Clermont, les Cévennes et Avignon.
19Chilpéric règne sur la Sapaudia et réside à Genève. À la mort de son frère Gundioc, il étend son pouvoir sur tout le royaume. Après la disparition de Chilpéric, Gondebaud et Godegisèle se partagent le pouvoir, l’un à Lyon et Vienne et l’autre à Genève (Boehm 1971 : 41‑68 ; Demougeot 1979 : II, 2, 491‑649 ; Martin 1982 : 1092‑1097). À la mort de Gondebaud, le royaume reste partagé entre Sigismond, à Lyon et Vienne, et Godomar à Genève. Sigismond, battu par les Francs, est fait prisonnier à Agaune et mis à mort en 523. Godomar prend sa revanche à Vézeronce en 524, revanche temporaire puisque le royaume burgonde disparaît en 534, sous les coups des Francs.
20Les Burgondes sont établis dans les campagnes soit sur les terres du fisc impérial, soit sur les grands domaines, selon la règle du « partage légal ». En contact avec le monde romain depuis longtemps, ils apparaissent comme étant déjà à moitié romanisés. Ils se donnent cependant des lois qui les distinguent des Gallo‑romains. La plupart sont ariens, mais Clothilde, fille de Chilpéric, est catholique (de même que la femme de Gondebaud, peut‑être Carétène) et fort pieuse ; Sigismond se convertit grâce aux efforts d’Avitus de Vienne (Avit), et Lyon est témoin de la conversion des deux fils de Sigismond (vers 516). Ces différents exemples constituent un indice probant de la coexistence de catholiques et d’ariens à l’intérieur des grandes familles. Lyon reste une ville importante qui conserve son atelier monétaire ; Sigismond y promulgue des constitutions ; on sait que Chilpéric et sa femme résident dans un praetorium (Ep., IV, 20 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970).
21Dans le domaine de la vie culturelle et religieuse, Viventiolus dirige une école de rhétorique et Constantius écrit une Vita de saint Germain d’Auxerre ; un diacre de l’Eglise de Lyon devient médecin du roi des Ostrogoths. Gondebaud y reçoit dans son palais royal (regia) Épiphane de Pavie et y organise un concile des évêques du royaume, auquel participe Avitus de vienne (MGH, AA, VI‑2, 1883, 163).
1.2.4 Sidoine Apollinaire et les évêques lyonnais (seconde moitié du ve et vie siècles)
22Sidoine Apollinaire (430‑489) est un bon témoin de cette époque où entrent en contact deux civilisations et où le christianisme commence à influencer les mœurs. D’une grande famille de l’aristocratie gallo‑romaine, il suit une carrière sénatoriale et, d’abord préfet de la ville de Rome, devient ensuite évêque de Clermont‑Ferrand ; il meurt vers 489. Ses panégyriques, ses poésies et ses nombreuses lettres nous renseignent sur la vie quotidienne, par exemple la description de la villa de sa femme à Aydat‑Avotacum (Ep., II, 2 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970 : 44‑53), sur les événements politiques, tel le cortège d’un prince franc à Lyon, ou religieux, comme la description de Yecclesia de Lyon et de la basilique où l’on célèbre le culte de Justus (Ep., II, 10 ; V, 17 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970 : 69‑70, 202‑205, Coville 1928 : 31‑76).
23Lyon connaît également d’autres personnalités de premier plan, en particulier l’évêque Patiens, contemporain de l’arrivée des Burgondes (Coville 1928 : 299‑303). Succédant à Eucherius (Eucher) en 449 ou 450, il se distingue par sa générosité. Ainsi lors de l’invasion des Wisigoths en Auvergne et dans la vallée du Rhône, il envoie des provisions à tous ceux qui sont dans le besoin. Mais son activité théologique est aussi attestée en Arles en 474 ou 475, où il prend part à un concile sur le prédestinationisme. Ce même sujet nécessite d’ailleurs un autre concile, qui se réunit à Lyon. Enfin, il embellit la ville de nombreuses églises : « Je ne parle pas [dit Sidoine Apollinaire], des basiliques dont les constructions s’élevaient, celles dont les décorations se sont accrues, en plusieurs endroits grâce à vous » (Ep., VI, 12 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970 : III, 27) – et termine la construction de l’ecclesia pour laquelle Sidoine Apollinaire fournit une dédicace. Il meurt sans doute après ce dernier, et est enterré en l’église des Macchabées de Lyon (Saint‑Just).
24Les évêques Lupicinus (+ 491), Rusticus (+ 501) et Stephanus sont des personnalités pratiquement inconnues. Viventiolus, moine de Condat, dans le Jura, est appelé au siège épiscopal de Lyon sans doute sur la recommandation de l’évêque de Vienne, Avitus (Vita Patrum Jurensium, MGH, SRM, III, 1896, 126). Il prend part à la fondation du monastère de Saint‑Maurice d’Agaune (Vita Abbatium, MGH, SRM, III, 1896, 177) et au concile d’Épaone en 517 (Coville 1928 : 308‑314). Il est surtout connu par sa correspondance avec Avitus (MGH, AA, VI‑2, 1883, 50, 57, 87, 89‑90). Mort en 518, il est inhumé aux Macchabées (Saint‑Just). Un autre évêque joue un certain rôle au début du vie s. : Lupus (Loup), qui succède à Viventiolus2 et assiste au concile d’Orléans en 558. On ne sait rien de son successeur Leontius.
1.2.5 Les Francs, de Childebert à Charles Martel
25De l’arrivée des Francs, en 534, au passage de Charles Martel à Lyon en 733, la ville connaît l’une des périodes les plus obscures de son histoire : le pouvoir central est lointain et elle n’est plus centre de décision ; seule la vie de l’Église garde une certaine clarté (Kleinclausz 1939 : 69‑109). Lyon, passée de la domination des Burgondes à celle des Francs, perd pour longtemps son rôle politique. Certes, on devine au travers des textes rares et imprécis des tentatives de soulèvements, mais on peut se demander s’ils sont le fait d’une aristocratie locale, d’origine d’ailleurs très mêlée (intrigue du comte Syagrius en liaison avec des Byzantins en 585, conflit avec le maire du palais Ebroïn), ou de nobles burgondes (au début du viiie s., conjuration dans le Pagus Ultrajoranus sous la direction du patrice Alethius « de race royale des Burgondes ») (Coville 1928 : 234). Trop peu nombreux pour jouer un rôle politique déterminant, les Burgondes conservent toutefois leurs lois propres et le terme de Burgondes désigne bientôt les habitants de la région. Les Gallo‑romains continuent à occuper de hautes fonctions, comme Alethius de Charmes (Coville 1928 : 224), et Grégoire de Tours prend encore la peine de spécifier que la matrone qui offrait du vin de Gaza à l’église Notre‑Dame, en souvenir de son mari, était de classe sénatoriale (MGH, GC, LXVI, 1885,78).
26Lyon, chef‑lieu de comté, fait partie du royaume de Bourgogne, dont la capitale est désormais installée à Chalon‑sur‑Saône. On connaît un comte de Lyon à l’époque de Nizier, le dux Burgundionum est mentionné sous l’épiscopat de Goduinus, et sous celui d’Ennemond, son frère Dalphinus pourrait avoir été comte de Lyon (Coville 1928 : 215‑217) ou duc. Un praefectus réside à Lyon à l’époque de Charles Martel. Le comte a la responsabilité de l’armée, mais le pouvoir judiciaire lui est disputé par l’évêque. Ainsi, l’évêque Nicetius (Nizier) se plaint qu’une cause, déjà jugée par lui, ait été portée devant la juridiction du comte Armentaire, celui‑ci prétendant juger en dernier ressort (MGH, VP, VIII, 1885, 243‑244). Lyon reste une ville importante où les échanges se maintiennent malgré les difficultés dues à la peste (571 et 588) et aux inondations : Rhodanus cum Arare conjunctus, ripas excidens, grave damnum populis intulit (MGH, HF, V, 1851,237‑238).
27L’essentiel de nos connaissances appartient à l’histoire ecclésiastique. L’évêque vit dans l’ecclesia, entouré d’un certain nombre de prêtres et de diacres ; d’autres sont affectés aux basiliques funéraires, par exemple à l’église Saint‑Nizier ; un abbé de Saint‑Nizier est également mentionné {MGH, VP, IV, 1885, 195). L’Église de Lyon conserve une certaine prééminence : ses évêques ont toujours rang de métropolitain et sont à la tête du collège des évêques de la région « provincialium sacerdotum [...] collegio » (Ep., IV, 25 ; Sidoine Apollinaire, Loyen 1970 : 169‑171). Ainsi, le concile de Mâcon en 585 donne à l’évêque de Lyon le titre de patriarche, et il est prévu que les évêques se réunissent tous les trois ans, l’évêque de Lyon étant chargé, en accord avec le roi, de choisir le lieu de réunion ; enfin, les évêques de Lyon souscrivent les premiers à de nombreux conciles (cinq fois, de 517 à 585) (Hefele, Leclercq 1907‑1938 : 211 ; Coville 1928 : 342, 469‑472). L’évêque de Lyon a autorité sur les diocèses d’Autun, de Mâcon, de Chalon et de Langres, et il intervient dans les affaires ecclésiastiques de ces cités (Nizier à Langres, Genès à Autun) pour y régler des problèmes spirituels. Les conciles s’occupent également des problèmes temporels : ainsi le roi Childebert et sa femme Ultrogothe dotent la ville d’un hôpital et font confirmer cette fondation par les Pères du concile d’Orléans en 549 (Clercq 1963 : 153).
28L’évêque de Lyon a un certain pouvoir judiciaire (aadientia episcopalis). Comme nous l’avons vu, Nizier est en différend à ce sujet avec le comte de Lyon. Ce même évêque s’occupe aussi de questions concernant les évêchés voisins et convoque un placitum, ou conseil judiciaire, pour régler les problèmes de l’évêque de Langres, Tetricus {MGH, HF, V, 5, 1851, 200 ; Coville 1928 : 337).
29Dans le domaine économique, l’évêque de Lyon dispose d’un certain nombre de possessions foncières et Nizier nous est présenté comme un administrateur qui procède à l’inspection de ses biens dans la campagne lyonnaise, à Munsternacum, ou en Provence (MGH, SRM, III, 1885, 522). Plus tard, l’évêque Goduinus procède à un échange entre une villa du Berry et la Villa Urbana aux portes de Lyon, future Villeurbanne. Il semble enfin que l’évêque ait même par moments procédé à des émissions monétaires, en particulier Landebertus (Prou 1969 : no 24, no 97, pl. II). Les rapports entre l’épiscopat lyonnais et le pouvoir laïc sont souvent excellents, mais peuvent aussi passer par des moments difficiles (Coville 1928 : 424‑497). Ainsi, Sacerdos, Arigius et Landebertus sont en très bons termes avec le roi, alors qu’Ennemond et Genès entrent en lutte ouverte contre le pouvoir royal ; de même, seule l’intervention de Bonnet, évêque de Clermont, permet de régler le différend entre le duc de Bourgogne et l’évêque Goduinus. L’influence du roi dans les élections épiscopales paraît primordiale : Childebert, Gontran et la reine Bathilde choisissent respectivement Nizier, Priscus et Genès. L’épiscopat lyonnais est en contact avec l’extérieur, surtout avec les pays anglo‑saxons : le pape Grégoire recommande Augustin, en route vers l’Angleterre, à l’évêque lyonnais Aetherius ; Wilfrid, évêque d’York, accompagne Ennemond lors de son voyage fatal à Chalon‑sur‑Saône en 663, et Goduinus consacre, à Lyon même, l’évêque de Cantorbéry, Bertwald. Enfin Arigius est en correspondance avec Colomban et est envoyé en ambassade en Espagne.
30De 712 à 769, on ne connaît guère des évêques que leurs noms : Adon précise que les provinces ecclésiastiques de Lyon et de Vienne furent à ce point dévastées qu’elles restèrent plusieurs années sans évêques. Malheureusement, il est très imprécis sur les dommages causés3. L’anarchie est en effet presque totale entre la mort de Pépin en 714 et le passage de Charles Martel en 733. Pendant que celui‑ci impose son pouvoir dans le nord, l’évêque d’Auxerre, Savaricus, tente en 715‑717 d’établir le sien sur le sud de la Bourgogne et essaie même de s’emparer de Lyon. Sa tentative est reprise par son successeur Ainmarus ; Charles Martel s’impose ensuite, nomme un préfet en Bourgogne, remet la ville de Lyon à ses fidèles et réduit les mouvements de révolte. En 736, la région est apparemment soumise.
31Les grands personnages de l’histoire de Lyon sont donc les évêques. Leur présence est signalée aux conciles régionaux ou nationaux ; ils construisent éventuellement de nouvelles églises. Sacerdos est un personnage intéressant et assez bien connu grâce à son épitaphe (il meurt en 552) et par l’intermédiaire de Grégoire de Tours (Heinzelmann 1976 : 130‑ 153). De famille noble, il ne fait pas carrière dans l’église comme Nizier, mais bénéficie de l’amitié du roi franc Childebert. Sous son épiscopat, une charte atteste la construction d’un hôpital (Guigue 1886 : 159), alors que celle des églises Saint‑Paul, Sainte‑Eulalie et Saint‑Pierre n’est pas assurée4. La fin de Sacerdos nous est racontée par Grégoire de Tours (MGH, HF, IV, 36, 1851, 168 ; MGH, VP, 1885, 242‑243) : de passage à Paris en 552 pour un concile réuni par Childebert, et se sentant mourir, il fait accepter par le roi la nomination de son neveu Nicetius (Nizier). Son corps, ramené à Lyon, est inhumé dans la future église Saint‑Nizier, près de son fils mort avant lui5.
32Nicetius (552‑579) est un grand personnage de l’Église de Lyon. Sa personnalité attachante nous est restée familière grâce aux récits de son petit‑neveu Grégoire de Tours qui décrit avec complaisance la noblesse de ses origines et ses qualités humaines (MGH, VP, VIII, 1885, 240‑242), grâce aussi à une Vita Sancti Nicetii, sans doute écrite à la demande d’Aetherius, deuxième successeur de Nizier (MGH, SRM, III, 1885, 521‑524). Le père de Nizier, Florentinus, appelé à l’épiscopat de Genève, avait dû y renoncer, sa femme étant enceinte. Nizier est destiné à l’Eglise dès son enfance ; ordonné prêtre, il vit humblement et, comme on l’a vu, est appelé à l’épiscopat à la demande de son oncle Sacerdos, en 552. C’est à ses côtés que Grégoire vient se fixer ; il est vite ordonné et remplit l’office de diacre avant de partir pour Tours. L’activité de Nizier touche de nombreux domaines, en particulier celui des constructions ecclésiastiques. Il agrandit et surélève la domus ecclesiaeet construit des églises (MGH, HF, IV, 1851, 168). On ne sait malheureusement pas s’il fut le constructeur de l’église où il est enseveli et qui prit bientôt son nom. S’il s’occupe surtout des affaires de son diocèse, il a aussi une activité extérieure, en particulier pour remettre des évêques fautifs dans le droit chemin (Coville 1928 : 336‑337). Il meurt sexagénaire, après vingt ans d’épiscopat. Les miracles se multiplient sur sa tombe (MGH, SRM, III, 1885, 523‑ 524) qui devient très vite l’objet d’un véritable culte.
33Arigius occupe le siège épiscopal au début du viie s. Conseiller de la reine Brunehaut (MGH, SRM, II, 1888, 130‑134), il joue d’abord un grand rôle politique à la cour de Thierry et contribue peut‑être à la disgrâce de Didier, évêque de Vienne. Il est en rapport avec Colomban qui s’adresse à lui à propos de la date de Pâques, et participe au concile de Paris en 6146.
34De famille noble et d’origine gallo‑romaine, Ennemond (Duchesne 1907‑1910 : II, 170) semble lui aussi avoir bénéficié de la confiance des rois mérovingiens avant d’être disgracié et tué sur l’ordre de la reine Bathilde (Bède, Migne 1857‑1866, V, 19, col. 264). Son corps est rapatrié à Lyon et sa dépouille est sans doute partagée entre Saint‑Pierre et Saint‑Nizier, si bien qu’au XIIIe s. les deux églises se disputaient le privilège d’abriter le corps de celui qui passait pour un martyr (Coville 1928 : 390‑391).
35L’époque burgonde se distingue donc par d’importantes individualités comme les rois Gondebaud et Sigismond, et l’évêque Patiens. Sous le règne des Francs, les relations entre le pouvoir laïc et l’Eglise ne sont pas toujours excellentes mais les évêques de Lyon comptent encore de fortes personnalités, dont Nicetius.
Notes de bas de page
1 Il n’existe aucun ouvrage de synthèse sur Lyon aux époques protohistoriques. On se reportera donc à Audin 1956 : chap. I, « Topographie de Lyon » avant la fondation. Sur les fouilles de Vaise qui ont fourni des données de tout premier ordre voir op. cit. : chap. I, troisième partie, Burnouf 1984, et Lascoux 1991, 1992.
2 (AA SS, VIII, 76). D’après J.‑C. Picard, l’idée qu’il aurait dirigé le monastère de l’Île‑Barbe viendrait du vocable de l’église sans doute consacrée à un autre Loup.
3 Adon, Migne 1852, CXXIII, col. 122 : « aliquot annis sine episcopis utraque ecdesia uit ».
4 L’Obituaire de l’église primatiale de Lyon (Guigue 1902 : XXV) attribue à Sacerdos la fondation de l’église Saint‑Paul au nord et de Sainte‑Eulalie au sud, cette dernière église étant liée à un monastère de femmes. La Vita S. Sacerdotis et le bréviaire d’Étienne de Vernay attribuent également à Sacerdos la construction du monastère de Saint‑Pierre qui aurait été achevée en un seul automne (Guigue 1880b : XV ; AA SS, IV, 33‑35).
5 Quelques fragments de son épitaphe ont été retrouvés en 1883. Le texte complet était connu (Boissieu 1846 : no 588).
6 Clercq 1963 : G 148‑A, 280, 511‑695, L’Obituaire de l’église primatiale de Lyon fait de lui le fondateur de l’église Sainte‑Croix et du monastère de Saint‑Just : ecclesiam de Sancte Cruce et monasterium Sancti Justi (Guigue 1902 : 111).
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