Résumé
p. 386
Texte intégral
1C’est à l’occasion de travaux de rénovation du quartier Sainte-Barbe, au nord-est de la ville, que furent découverts en 1991 les restes d’un faubourg médiéval de potiers conservé sur 600 m2 grâce au maintien de jardins depuis le xve s. Situé à une centaine de mètres du rempart, sur un terrain occupé par une nécropole gréco-romaine puis par des habitats de l’Antiquité tardive, le bourg des olliers est créé au tournant du xiiie s. à l’époque comtale, comme semble l’indiquer le monnayage (phase 1). Il s’étage sur une colline limitée par le vallon Saint-Martin, au débouché du Portai de la Frache et à proximité de l’aqueduc, confronts qui sont confirmés dans les textes dès 1264. D’autres mentions plus tardives indiquent qu’il relevait de la juridiction de la ville haute épiscopale. Sous le règne de Charles Ier d’Anjou, les premières installations sont modifiées (phase 2A) et le quartier s’étend vers le nord. Les maisons progressivement abandonnées par les potiers (phase 2B) sont réoccupées dans le premier tiers du xive s. par des forgerons et des corailleurs (phase 3). Pour des raisons de sécurité, ce faubourg extra-muros est rasé par ordre du conseil de la ville à partir du milieu du xive s. L’espace, qui n’est plus structuré, devient un terrain vague définitivement transformé en jardins au xvie s. (phase 4). À partir du xviie s. (phase 5), de nouvelles constructions s’organisent le long des chemins. L’urbanisation en îlots implantée par la volonté du Roi Soleil, et dans laquelle s’établit l’hospice des Incurables, est restée sans grand changement jusqu’à nos jours. La structuration et l’évolution du quartier bien lisibles dans les stratigraphies sont d’autre part documentées par un abondant mobilier : les céramiques, les verres, les objets du quotidien, les monnaies et la faune.
2Le faubourg des potiers, organisé selon un maillage régulier de part et d’autre d’un chemin, est construit en belle architecture de pierres (seuils et portes) mélangée à des élévations de terre (mur de refend). Des espaces ouverts, dont une cour occupée par un grand puits, entouraient les zones bâties. Les maisons couvertes en tuiles abritaient des installations de production organisées d’ouest en est. Dans chaque lanière, on retrouve des espaces percés de fosses et de petits bassins qui peuvent correspondre au travail de la terre, au tournage et façonnage des poteries. Ces structures légères sont ténues et le petit outillage rare. Les installations pour la préparation des glaçures ou la cuisson des céramiques sont mieux conservées. Les 9 fours à céramiques retrouvés sont de petites dimensions. Leur conception et leur orientation ont évolué pendant la durée de l’atelier. Les premiers, creusés dans le terrain naturel, sont cylindriques et restitués sans voûte, à tirage vertical, pilier central et arcs rayonnants portant la sole. L’un est chemisé en pierres, tandis qu’un autre a une paroi d’argile ondulée. Un autre encore est tout à fait exceptionnel : sans pilier ni sole, la paroi interne de sa chambre de cuisson enduite d’argile est percée de trous pour ficher des barres cylindriques de terre. Ce four est illustré par des exemples connus surtout le pourtour de la Méditerranée et jusqu’au Proche-Orient. Sa présence à Marseille dès la création de l’atelier renforce l’hypothèse d’un transfert technologique, bien qu’il ait été rapidement modifié. Tous les fours ont subi des réparations avant d’être détruits et comblés pour implanter de nouveaux fours. Ces derniers sont installés sur les précédents mais avec une orientation inverse. À la différence des premiers, ils sont construits en briques d’argile et ont pu comporter un voûtement.
3Les trois petits fours pour la préparation des glaçures et des oxydes fournissent de nouvelles données pour éclairer un savoir-faire spécifique. Le plus ancien a servi à l’élaboration du plomb et peut-être du cuivre. L’installation comportait un four miniature et à proximité un bassin de terre enterré dans lequel on déversait le métal oxydé. Abandonné en même temps que les fours primitifs, il est remplacé par deux petits fours rectangulaires bâtis en briques. L’un, d’une conception proche des fours à réverbère avec un foyer en contrebas, a pu servir pour la préparation de l’étain ; l’autre très complexe et qui se trouvait près de petits creusets remplis de cuivre et d’alambics, atteste de l’esprit de recherche qui devait régner dans ces ateliers. Cette abondante documentation qui renouvelle l’histoire des techniques ne permet cependant pas d’appréhender la structure socioéconomique de ces ateliers, que seuls les textes pourraient éclairer.
4Les productions de cet atelier urbain sont d’une culture étrangère à la région. Contrairement aux céramiques grises contemporaines de l’arrière-pays marseillais, elles sont cuites en atmosphère oxydante et revêtues de glaçure plombifère ou d’émail stannifère monochrome parfois peint de décors verts et bruns. Elles sont bien connues par les dépotoirs constitués dans les fours abandonnés ou dans les remplissages du chemin. Les tris opérés sur des centaines de milliers de tessons ont permis de caractériser et classifier les productions selon plusieurs catégories de pâtes et de revêtements. Ces groupes ont ensuite été validés par les analyses géochimiques ou pétrographiques. Le répertoire des formes élaboré au sein de chaque catégorie confirme globalement la corrélation pâte/forme/fonction. Le catalogue rend compte des divers modèles produits pendant toute la durée de l’atelier. Les comptages permettent de constater la fréquence des types et de percevoir une répartition des productions par espace ou par phase.
5La polyvalence permanente dans l’atelier répond aux besoins quotidiens de la population urbaine. Une cinquantaine de formes différentes servent à la cuisine, au service de table, au stockage, à l’éclairage et à divers usages. La pâte rouge siliceuse est réservée en priorité au service culinaire mais est aussi employée pour la confection de lampes ou d’objets particuliers. Cette production glaçurée au plomb disparaît rapidement et n’existe plus en phase 2B. Les alambics et creusets sont en argile réfractaire. La production dominante en pâte calcaire provient des gisements locaux exploités depuis l’Antiquité. Elle représente 80 % de l’ensemble des productions et se répartit en biscuits sans revêtement (90 %), en céramiques émaillées monochromes (9 %) et décorées en vert et brun (1 %). La masse des biscuits réunit les vases destinés à rester sans revêtement et ceux qui devaient recevoir en seconde cuisson un émail. La production émaillée reste exceptionnelle même si elle totalise 10 % de l’ensemble calcaire.
6Des analyses de glaçures confirment l’emploi de l’étain dans les glaçures monochromes mais révèlent la présence d’antimoine. Ce jaune est aussi utilisé pour les décors. Les productions émaillées concernent le service de table, mais aussi le luminaire et les carreaux. Dans les premiers temps de l’atelier, les vases à liquides ont une glaçure monochrome à l’extérieur, sauf les aquamaniles verts et bruns de style andalou. Les décors peints sur les coupes peuvent évoquer autant le Maghreb que la Sicile. Dans le second temps, les motifs géométriques correspondent déjà au style décoratif languedocien ou provençal de la fin du xiiie s. et du xive s. La même évolution est perceptible dans les formes. Les premières vaisselles de table renvoient à une ambiance méditerranéenne et sont remplacées par des formes nouvelles qui caractériseront les productions régionales. Des tableaux périodisés résument les principaux acquis. La diffusion de l’atelier est restreinte à une centaine de kilomètres. Marseille est le premier consommateur, comme l’attestent les récentes découvertes.
7Pour l’histoire des faïences méditerranéennes, cet atelier précoce et au destin éphémère peut être rapproché d’une tentative similaire en Ligurie. La filiation avec le monde islamique méditerranéen semble évidente au vu des répertoires produits comme des techniques employées. Cette hypothèse est renforcée par la présence d’un four de technologie islamique qui indique nécessairement un déplacement de modèles et d’hommes aptes à le réaliser. La transmission de savoir-faire semble avoir été rapidement intégrée par une population locale. En période de crise, l’atelier marseillais n’a peut-être pas survécu à la concurrence de la cité avignonnaise et les artisans ont pu rejoindre ce nouveau marché ou les autres centres languedociens en activité.
8L’annexe qui clôt cet ouvrage répertorie les découvertes et les indices de fours à barres dans l’ensemble du bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, du xe s. jusqu’à nos jours. L’enquête diachronique favorise la compréhension d’une technique de cuisson complexe disparue en Occident.
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