2.1 Introduction

1h.m., l.v.

2La fouille se situe au centre‑ville de Marseille entre la porte d’Aix au nord et la faculté des sciences économiques Pierre‑Puget (ancien hospice des Incurables) au sud (fig. 4 et 6). L’ancien quartier Sainte‑Barbe s’est implanté sur le versant occidental de la butte Saint‑Charles qui fait face à l’éperon rocheux constitué par les alignements des buttes Saint‑Laurent, des Moulins et des Carmes. Dès l’Antiquité, ce terrain est à l’extérieur du premier noyau urbain cerné par les anses de la Joliette et de l’Ourse à l’ouest et qui s’ouvre au sud sur le bassin du Lacydon. Il en est séparé par une limite naturelle rocheuse qui domine un vallon (vallat) souvent mentionné dans les textes (cf. infra § 2.7). Au Moyen Âge, le rempart est établi en bordure de la falaise des Présentines au pied de laquelle coule le ruisseau de la Frache. Cette zone a été de tout temps le point d’arrivée des chemins venant du nord. C’est encore aujourd’hui l’accès obligé à la ville par l’autoroute d’Aix. Mais c’est aussi le point de départ des chemins qui descendent en pente douce vers le port et permettent l’accès par le Portai de la Frache à la ville épiscopale. La distribution de l’eau se faisait dans ce même secteur pendant l’Antiquité, comme l’atteste la découverte sur le site d’un aqueduc (Moliner 1993a). Celui qui fut bâti au xiii^e s. et qui franchissait le vallon a alimenté jusqu’au xix^e s. la cité phocéenne. Ces terrains en marge, mais qui occupent une position stratégique, ont été occupés de façon intermittente : zone mortuaire jusqu’au iii^e s., puis lieu de travail pour des populations à la fin de l’Antiquité, puis pour des artisans du feu aux xiii^e et xiv^e s. Au xvi^e s., des jardins et vignes représentés sur les vues cavalières de l’époque couvrent cette colline inhabitée (fig. 7). Ce n’est qu’à partir du xvii^e s. qu’apparaissent les premières extensions de la ville le long des chemins (fig. 8). Au xviii^e s., cet ancien espace hors les murs dans lequel s’établit l’hospice des Incurables est définitivement englobé dans la nouvelle ville. Les îlots implantés par la volonté du Roi Soleil sont restés sans grand changement jusqu’à nos jours. Dans le cadre de la rénovation du quartier occupé par une population immigrée, le quartier vétuste est rasé et remplacé aujourd’hui par des bâtiments modernes (bureaux et hôtel) et un parking souterrain.

2.2 L’Antiquité tardive

3h.m., l.v.

4Les niveaux peu visibles de l’Antiquité tardive, qui n’avaient pas été repérés lors du diagnostic (Moliner 1987), furent dégagés très rapidement afin de libérer le terrain et ne pas retarder la fouille des vestiges antiques. Ce choix fut fait au risque de mal comprendre ces structures à première vue peu significatives. Mais les objectifs principaux de l’opération étaient l’étude détaillée de la nécropole gréco‑romaine et des ateliers de potiers médiévaux.

5Dans la moitié ouest du chantier (zone 1), les niveaux de la fin de l’Antiquité tout comme les vestiges médiévaux ont été entièrement détruits par les constructions modernes, à l’exception de structures en creux conservées sous une cave. Dans la partie nord de la zone médiévale (zone 2), d’autres restes des constructions furent mis au jour, tandis que dans la partie sud les niveaux ont été enlevés à la pelle mécanique pour permettre la poursuite de la fouille. Ici, les observations stratigraphiques ont été faites ponctuellement avec un ramassage du matériel.

6L’ensemble découvert, très arasé, a d’autre part été détruit par les fondations des maisons et les fours à céramiques médiévaux. Ainsi, du mobilier antique et de l’Antiquité tardive se retrouve dans la plupart des couches médiévales. Il provient en partie de vestiges sous‑jacents en place, mais aussi des apports de terre mis en œuvre par les artisans médiévaux. C’est le cas notamment de l’élévation en terre du mur 85 qui recelait dans la matière argileuse des céramiques de cette période (céramiques communes grises, dérivées de sigillées paléochrétiennes ou DSP, sigillées claires africaines et amphores).

7L’importante quantité de céramiques et de monnaies de l’Antiquité tardive dans les niveaux en place et les couches postérieures témoigne cependant d’une occupation réelle : 9 285 fragments de céramiques, y compris les tessons résiduels de l’Antiquité, 52 monnaies, des fragments de verre et de creusets, du métal dont un ardillon de boucle de ceinture de type mérovingien ainsi que de la faune et des coquillages.

2.2.1 La stratigraphie

8h.m., l.v.

9Après l’implantation d’une nécropole grecque au iv^e s. avant notre ère, puis d’une nécropole romaine abandonnée à la fin du ii^e ou au début du iii^e s. (Moliner 1993a ; Moliner 1993c ; Moliner 1994), le site n’est plus occupé. Apparaît alors un premier hiatus dans la stratigraphie qui couvrirait les iii^e‑iv^e s. Le site devient probablement une friche ou un terrain vague hors les murs. Des remblais de colluvionnement renfermant des céramiques antiques roulées s’établissent pendant cette période, scellant la nécropole. Ces terres se mettent en place en fonction du relief préexistant. L’extrémité nord‑est du site est occupée par un petit tertre qui correspond à la bordure occidentale de la butte Saint‑Charles. Cette surface en pente douce à l’ouest et au sud vers le vallon est agrandie de quelques mètres dans la même direction par les remblais qui atteignent jusqu’à 2 m de puissance. L’accroissement s’est fait naturellement ou a été réalisé par les occupants de la fin de l’Antiquité. En contrebas de la butte, le site est quasiment plan avec toutefois un léger pendage vers le Vieux‑Port. Cet espace est aussi rehaussé par des remblais de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur à un mètre par endroits.

2.2.2 Les structures

10h.m., l.v.

11Les vestiges, dispersés sur une superficie de 12 m de large et 30 m de long (360 m²), sont difficiles à appréhender de par la rareté des liens stratigraphiques et en raison de leur fort arasement (fig. 9). Ils s’organisent en cinq ensembles du nord vers le sud. Une construction et deux cuvettes occupent la butte, puis, en contrebas, se trouvent un puisard et une dépression isolée. Un peu plus loin vers le sud‑est, un groupe de cuvettes a été découvert et, quelques mètres plus à l’ouest, un sol de gravillons se poursuit vers le sud par une zone d’habitat. Enfin, un fond de cabane en zone 1 se situe à peu près à la même altitude que le sol de gravillons.

12La butte est occupée par un sol de mortier pauvre, ténu et peu épais (252) qui, conservé partiellement, a été dégagé sur une surface de 3,30 x 1,50 m. Sur ce sol, des traces d’aménagement en pierres calcaires et blocs de poudingue, liés à la terre et à l’argile, forment un alignement nord‑sud et deux alignements est‑ouest (258) qui délimitent un espace de 3 à 3,50 m de large orienté est‑ouest, dont la longueur n’est pas connue car il se poursuit hors de la limite du chantier. Ces structures correspondent aux restes d’une construction, peut‑être une cabane. Le mobilier céramique informe ne permet pas de la dater précisément dans l’Antiquité tardive.

13À 3 m à l’ouest de cette construction, deux fosses arasées ont été dégagées. L’une, peu profonde (244), d’une longueur de 2,60 m sur 1,70 m de large, contient de l’argile, des charbons, des pierres, des tuiles plates et rondes et de la céramique : 54 fragments d’amphores orientales et africaines, 3 céramiques communes grises, 4 DSP dont un mortier et une sigillée claire africaine. Le fond était tapissé d’un lit de cailloutis recouvrant aussi les parois en pente douce. L’autre cuvette (250), de dimensions plus réduites, renferme dans son remplissage argileux 2 tessons de céramiques communes grises (rebord A3) et 3 DSP.

14En contrebas de la butte vers le sud, une élévation (567) grossièrement triangulaire est conservée sur cinq assises faites de gros blocs calcaires blancs ou jaunes (fig. 10, 24). Les quatre rangées supérieures reposent sur une assise débordante à l’intérieur. L’emprise extérieure est de 1,50 m de côté. Un petit espace intérieur de 50 cm de large sur 70 cm de long pour 1 m de haut était comblé par un remblai contenant de nombreuses tegulae, 6 fragments de céramique sigillée claire D, dont une queue de lampe et un couvercle Hayes 196, 1 DSP, 5 céramiques communes grises, 30 tessons d’amphores (Keay 8B) et 2 petites monnaies de bronze de la fin du v^e s. (n^os 725‑726). En fonction de sa morphologie et de sa situation, lieu consacré à l’eau durant tout le Moyen Âge et l’Époque moderne (cf. infra § 2.3.2.1, 2.5.2, 3.3.3), cette structure est interprétée comme un puisard destiné à recevoir et à faire écouler des eaux inutiles. Le sol d’utilisation non conservé peut être restitué 20 ou 30 cm au‑dessus de son arasement.

15À l’ouest du puisard, une petite fosse (543) est remplie de pierres, de galets, de céramiques, de coquilles d’huîtres et de moules et d’un élément antique de couronne funéraire en argile cuite décorée. La présence de céramiques plus anciennes, 1 luisante (Lamboglia 3), 2 sigillées africaines (Hayes 67 et 80), 1 DSP et des fragments d’amphores orientales, témoigne peut‑être du début de l’occupation du site au v^e s.

16Vers le sud, une surface (538) vue en limite de chantier est aménagée sur 1 m par des fragments de panses d’amphores africaines, posés à plat. Un groupe de 3 cuvettes (539, 540, 555), orientées nord‑sud et conservées sur une dizaine de centimètres de profondeur, sont creusées dans une couche de limon gris (551). Elles contiennent quelques charbons de bois, 2 DSP, 1 céramique sigillée claire africaine (H 104) et des amphores.

175 m plus à l’ouest, un sol de gravillons (541) orienté nord‑sud a été dégagé sur 8 m de long et 5 m de large (son extension vers l’ouest n’est pas connue car il est détruit par les constructions modernes et coupé au nord par le creusement d’un puits médiéval). La surface sub‑horizontale avec un léger pendage d’est en ouest (12,14 à 12,34 m NGF) est aménagée de petits galets. Cet empierrement contenait un nodule de fer, du verre et quelques tessons de céramiques dont un fond d’assiette en DSP décorée, une sigillée claire D africaine (Hayes 98) et des amphores orientales peignées (LRA1, 2, 3 et 5). Ce sol repose presque directement sur les niveaux de la nécropole antique et se prolonge au sud par un niveau (525) plus organique et riche en mobilier (fig. 24) : 14 DSP dont un marli décoré, 5 fragments de céramiques sigillées africaines (Hayes 91 A, 99), des fragments d’amphores africaines (Keay 61), de la céramique commune grise (2 couvercles et 1 rebord A3), une céramique commune importée africaine (CATHMA type 3) et une petite monnaie de bronze de la fin du v^e‑début du vi^e s. (n^o 730). Le sol de gravillons correspond vraisemblablement à un espace extérieur qu’il assainit en raison du sous‑sol argileux. Le niveau 525 est aussi une surface d’utilisation en relation avec une construction détruite, au Moyen Age, probablement une cabane. Un peu plus au sud, une grande fosse du xiii^e s. (521) contenait de très nombreuses pierres de construction, des tegulae dont une imprimée de rouelles, de la faune, des fragments d’amphores ainsi que deux monnaies de bronze (n^os 675, 772) de la fin du v^e s. (fig. 26). Des lambeaux de niveaux de belle amplitude où se trouvaient une lampe à décor d’agneau crucifère et deux monnaies (n^os 720, 721) subsistaient à proximité.

18Mais c’est au nord‑ouest que l’équipe de fouille travaillant sur la zone 1 a eu à dégager, pour atteindre les niveaux de la nécropole, une série de structures en creux et un sol qui ont livré la plus grande quantité de matériel dont ils nous ont confié l’étude. Un sol en terre battue (695), s’étendant sur environ 30 m², était entaillé sur sa surface par quatre tranchées de fondation arasées d’une dizaine de centimètres de profondeur se croisant à angle droit et par un trou de poteau de 32 cm de profondeur. Cet ensemble pourrait correspondre aux substructions partielles d’une cabane. Sur le sol et dans les tranchées (702) ont été retrouvés de nombreuses coquilles marines, des restes osseux de faune, des tessons de verre et deux creusets ainsi que du métal (têtes de clous, crochets en bronze, des déchets de cuivre et une belle tige de bronze avec un anneau de suspension). Les céramiques importées et régionales très abondantes étaient associées à un lot homogène de 29 monnaies issues probablement d’une bourse et datées du dernier quart du v^e s., voire du début du vi^e s.

2.2.3 Le mobilier

2.2.3.1 La céramique

19j.r., y.r.

20Ces deux derniers ensembles ont livré une belle et importante série de matériel (475 tessons) et présentent les associations de vaisselle en usage à Marseille dans le courant de la seconde moitié du V^e s. et de la première moitié du vi^e qui se retrouvent de façon comparable dans pratiquement tous les autres contextes. Les productions importées de vaisselles fines (17 %) comme de poteries grossières (13 %) sont quantitativement mieux représentées que sur les autres sites marseillais ou apparentés. Les productions locales ou régionales, qui restent toutefois dominantes, peuvent être considérées comme en proportions équivalentes (32 % de DSP pour la vaisselle et 38 % de céramiques communes grises).

21À l’exception de quelques formes anciennes de sigillées africaines et orientales de première génération (Hayes 50, 67, 70, 73), la majorité des pièces se rattache aux séries de seconde génération, très diffusées dans la seconde moitié du v^e s. et qui perdurent au vi^e (Hayes 74, 81, 87, 91, 99). La présence des formes Hayes 103 et 105 témoigne d’une occupation qui se prolonge au vii^e s. (fig. 11). On peut aussi noter deux fragments de lampes exceptionnelles (Atlante X variante tardive) dont l’une est décorée d’agneaux crucifères et l’autre d’une frise de palmettes, demi‑rouelles et triangles (fig. 12) ainsi que deux fragments décorés de Late Roman 3‑C.

22Les céramiques communes importées sont principalement représentées par les séries africaines : mortier CATHMA type 1, pot CATHMA type 3, marmite et couvercle H196 et 197 (CATHMA 1991). D’autres fragments proviennent de Méditerranée orientale, comme la marmite égéenne CATHMA type 5 et la marmite à panse striée ou de Ligurie : le type CATHMA 13 ou les formes trouvées aussi à Saint‑Biaise (Vallauri 1994) (fig. 13).

23Les céramiques communes grises sont de type classique déjà répertorié (Pelletier, Vallauri 1994) : notamment des ollae à rebords simples A1 et A2 ou carré A3, des formes ouvertes B, des couvercles et d’autres, plus rares (fig. 14).

24Un examen rapide du matériel amphorique tardif a permis d’isoler un certain nombre de types (identification Dominique Pieri). Les amphores africaines appartiennent exclusivement aux conteneurs cylindriques de grandes dimensions : les formes Keay VIIIB, XL‑XLI, LXII, LXIA (Keay 1984). Pour les amphores orientales, l’essentiel des formes (Riley 1982) se retrouve ici avec les types LRAIa, Ib, 2, 3, 4b, 5 et 7. La datation de tous ces types se situe à une période avancée entre le milieu du V^e s. et la première moitié du vii^e s. L’ensemble des contextes stratigraphiques sont comparables à ceux identifiés sur le site de la Bourse (Bonifay 1986 ; Pieri à paraître).

25L’étude des dérivées des sigillées paléochrétiennes (DSP) des sites marseillais mérite une attention particulière (fig. 15‑19). En conséquence, il est tenu compte, pour cette catégorie, du matériel provenant des différents contextes. Malgré l’absence de découvertes d’ateliers, l’homogénéité du matériel exhumé et la quasi‑absence de témoins de types extérieurs à la région autorise à considérer Marseille à la fois comme un site de consommation et un site de production, ce que n’infirment pas les analyses physico‑chimiques portant sur une centaine d’échantillons de cette série (Pelletier et al. 1995). Cette constatation se fonde sur de nombreuses découvertes, anciennes et récentes. Dès 1914, le géologue Gaston Vasseur signalait quelques pièces provenant du fort Saint‑Jean avec leur chronologie exacte et en situant l’origine géographique dans la région marseillaise, en parallèle avec les « monochromes grises » produites antérieurement, du vi^e au iv^e s. av. n. è. (Vasseur 1914a : 101), ce qui fut confirmé plus récemment (Arcelin‑Pradclle 1984). Les travaux de reconstruction des vieux quartiers du port ont livré plus d’un millier de tessons qui permirent d’en dresser un premier catalogue des formes et des décors (Rigoir 1960). Dans les années 60, les fouilles de la Bourse, jusqu’à présent très fragmentairement publiées (Bonifay 1983 ; Cavaillès‑Llopis 1986), mirent à la disposition des céramologues un matériel considérable dont l’étude se développe (Bonifay et al. à paraître). Dans les années 70, des fouilles menées dans l’abbaye de Saint‑Victor alimentèrent encore sensiblement les réserves (Démians d’Archimbaud et al. 1995a). La mise en place de l’Atelier municipal du Patrimoine auquel se joignent des chercheurs du CNRS et les archéologues de l’Afan permet maintenant la surveillance des travaux d’urbanisme qui se multiplient, allant de la réfection de petits immeubles au creusement de vastes parkings, comme c’est le cas ici.

Y.R. del.

26Parmi ceux déjà connus, on peut citer :
– les seuls poinçons d’origine extérieure, l’association typique de l’« atelier de Saint‑Julien » ordonnée en arcatures, l’arceau 4088 reposant sur le rectangle en chevrons 4087 et entourant la palmette en losange 2340 (Rigoir, Rigoir 1985 : 98) ;
– l’arceau 200, l’un des trois poinçons les plus usités, généralement imprimé sur des panses de f. 18 (fig. 17, n^o 51 et peut‑être n^o 57) ou de f.6, à l’exception d’un exemplaire sur fond d’assiette ; la rouelle 831, ici sur un col de f.18, plus souvent répétée sur des marlis ; la double rouelle 2708, à rattacher à une série de quatre variantes presque identiques ; la palmette à pastilles 168 dont ne subsiste sur la panse n^o 55 que quelques traces faiblement imprimées mais cependant révélatrices ; malgré son tracé négligé, la triple rouelle 4503 est intéressante, elle est en effet utilisée sur 13 individus de formes variées : plusieurs marlis de bols munis de poignée f. 65, sur un petit pot globulaire, forme numérotée 73 par Florence Mezzoud (Cœur‑Mezzoud 1994) et ici sur une f. 15 (fig. 16, n^o 38).

27Quelques éléments fournissent à présent des indications chronologiques et jalonnent les périodes d’occupation entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Le seul document authentifié comme antérieur au milieu du v^e s. est le petit fragment de panse n^o 52 de l’« atelier de Saint‑Julien ». La triple rouelle apparaît à La Bourse dès le début du V^e s. ainsi qu’une rouelle du type à pastilles cloisonnées (Cavaillès‑Llopis 1986 : n^œ 18, 22, 69) et la palmette à trois pastilles 168 (Bonifay 1983 : n^o 235). La plupart des autres pièces dites classiques sont considérées comme de la seconde moitié du même siècle ; les f.29, elles, peuvent attester une occupation plus tardive, dans le vi^e s.

Y.R. def.

28Le nombre de formes différentes répertoriées dans ce qu’il est permis d’appeler la « production marseillaise » (75) est nettement supérieur à ce qui peut être recensé dans d’autres régions : 8 pour les productions narbonnaises (Rigoir, Rigoir 1991 : 125), 11 pour le groupe Atlantique (Meffre et al. 1973), moins peut‑être pour « l’Atelier de Saint‑Julien » (Guild et al. 1983 : 213 ; Rigoir, Rigoir 1985 : 97) ; mais les caractères utiles à la détermination de séries se trouvent surtout dans des variantes de profils. Les marlis –la forme 1 paraît absente ici, le tesson de grand diamètre (fig. 15, n^o 2) doit être une forme 3c de coupelle ou de bol– sont assez réguliers dans leur épaisseur et leur orientation, proche de l’horizontale. Mais ce sont surtout les formes 18 qui présentent des cols des deux profils « classiques » : l’un à lèvre déversée (OSS AT) (Rigoir, Rigoir 1985) se reconnaît sur les bols n^os 43, 45 et 46 (fig. 17). L’autre type (OLV‑OLX), convexe à l’intérieur, se retrouve sur les petites pièces 42 et 44, comme sur celles du Petit Puits (Reynaud à paraître). Malgré ses dimensions très réduites, on peut reconnaître dans le petit tesson n^o 50 un fragment d’une autre variante de col de forme 18 où le décor se divise en deux registres superposés, l’un composé de motifs imprimés, ici la rouelle 951, l’autre guilloché. Cette particularité se retrouve à Marseille sur d’assez belles pièces (Rigoir 1960 : 86, n^o 170 ; 87, n^o 72 ; 88, n^o 188). Si la composition du vaisselier varie d’une fouille à l’autre, elle comporte systématiquement à l’intérieur de la cité ou dans sa banlieue, et ce en proportion notable, des pots de forme 25 (fig. 19, n^os 85‑89), sorte de petites jarres cylindriques ou légèrement coniques ou pansues, de sept à onze litres de contenance, dont aucun exemplaire n’a jusqu’à présent été signalé sur un site d’une autre région, même lorsque les contextes présentent un faciès analogue. La présence fréquente à l’intérieur des tessons d’une pellicule parfois assez épaisse (0,5 mm) de calcaire semble indiquer que la conservation de l’eau a été la destination de ces récipients. Sous la lèvre du fragment n^o 89 court une rainure circulaire, comme sur l’exemplaire du Bon Jésus décoré au‑dessous d’une onde peignée. Des bords à listel (de mortiers de forme 29 ?) n’appartiennent pas à la première génération (Rigoir, Rigoir 1994 : fig. 94‑96) ; leurs parois sont minces et de dessin irrégulier ; leur diamètre est assez faible (14‑18 cm). Le seul bec verseur conservé (fig. 19, n^o 78) est du type pincé et non pas découpé comme ceux des séries de facture plus soignée,

29Les vases fermés (cruches, etc.) sont attestés par 3 cols (fig. 18, n^os 61‑63), le premier appartenant à une forme 63, ainsi que par 4 fonds. Les 3 petits bords (fig. 18, n^os 70‑72) pourraient appartenir à des formes 36, mais leur diamètre apparaît pour cela un peu réduit. Ainsi que d’autres fragments (fig. 18, n^os 73‑74), malheureusement de peu de surface, ils révèlent des objets non encore catalogués, comme la panse conique (fig. 18, n^o 75) brisée au‑dessus d’un redan et où l’on distingue avec netteté la trace de deux orifices travaillés de l’extérieur à l’intérieur. La cassure érodée ne laisse pas présumer de la hauteur de la partie disparue. Si un orifice fait penser simplement à un récipient servant à verser, plusieurs n’évoquent aucun ustensile contemporain, à l’exception peut‑être des braseros de table comme on en voit encore quelques‑uns à Florence.

30Ces dernières formes montrent l’impossibilité actuelle de figer, même avec une tolérance raisonnable, un catalogue typologique. Il en va de même pour un répertoire des poinçons (fig. 20 et tabl. ii). Comme cela se produit dans d’autres régions, une proportion importante d’inédits peut à chaque découverte être constatée : 49 pour 141 (36 %) pour les sondages DIII et DIV de la Bourse (Cœur‑Mezzoud 1994), ici 12 pour 28, soit 43 %. 33 différents poinçons ont été isolés, mais 5 n’ont pu être identifiés en raison de la trop petite portion conservée, de la mauvaise conservation, défauts ajoutés à leur similitude avec des instruments déjà connus avec lesquels il est possible de les confondre. 14 sont des rouelles dont 2 (831 et 951) appartiennent à des séries bien représentées ; 11 sont assimilés à des palmettes, 4 à des arceaux et 4 à des motifs divers : un X, un rectangle à chevrons, un grand rectangle à pastilles cloisonnées et une figure d’un profil complexe.

Y.R., J.R.)

2.2.3.2 Le verre

31d.f.

32Les fragments appartenant au répertoire de la verrerie de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge forment un lot numériquement peu important mais susceptible d’apporter des informations précises sur la datation de certains contextes et sur la durée de l’occupation du site. De plus, quelques indices révèlent un artisanat du verre dans le quartier ou à proximité immédiate.

33La typologie à laquelle nous renvoyons et les datations avancées ici résultent de la synthèse récemment publiée dans les actes d’un colloque consacré à la verrerie du iv^e au ix^e s. (Foy 1995). On y trouvera les principaux sites provençaux et languedociens ayant livré un mobilier comparable à celui issu du quartier Sainte‑Barbe. Nous ne reprenons pas ici les démonstrations qui ont servi de base à la datation relative ou absolue des divers types.

Verres des contextes 695 et 702

34Cet ensemble homogène provenant d’un sol (695) et des tranchées (702), interprétés comme les restes d’un habitat, comprend des débris de verreries datables entre le v^e s. et le début du vi^e s.

35Les éléments qui nous paraissent les plus anciens sont des fragments de teinte olive (fig. 21, n^os 1‑8) appartenant aux formes les plus communes du v^e s. Deux rebords sans lèvre (fig. 21, n^os 1, 2), un débris de paroi avec une pastille de verre bleu rapportée (fig. 21, n^o 3) et un fond (fig. 21, n^o 4) témoignent de la présence de gobelets tronconiques (Foy 1995 : forme 13d). Un fond épais (fig. 21, n^o 5) pouvait supporter un récipient plus important (cruche ou bouteille). Toujours en verre olivâtre, on note un large rebord ourlé à l’extérieur (fig. 21, n^o 6) (Foy 1995 : forme 9), une embouchure étroite à lèvre épaisse (fig. 21, n^o 7), et un pied forme d’un cordon enroulé à la base du verre (fig. 21, n^o 8) (Foy 1995 : forme 10).

36Les verres, de couleur olive, répertoriés ici, en particulier les gobelets au rebord laissé brut, sont des pièces extrêmement banales en Provence au milieu du v^e s. ; il n’est pas rare de les rencontrer encore à la fin du siècle.

37Deux types de verres sont caractéristiques de la fin du v^e s. et du premier tiers du vi^e s. : les pieds coniques presque incolores, très légèrement verdâtres (fig. 21, n^os 9‑11), et surtout les coupes et les gobelets soufflés dans une matière comparable, très fine, de couleur vert d’eau, d’aspect aujourd’hui irisé. Ils sont décorés de filets blancs fondus dans l’épaisseur du verre. Cette ornementation couvre les rebords sous forme de filets parallèles (fig. 21, n^os 13‑16) ou est disposée en festons sur les parois des coupes (deux petits fragments retrouvés, non dessinés). Bien qu’apparu dès le milieu du v^e s., ce décor est surtout présent dans le dernier quart du v^e et le premier tiers du vi^e s. ; il peut être considéré comme un bon « marqueur » de cette période (Foy 1995 : forme 21). Le rebord 12 se différencie par la teinte bleu pâle des filets rapportés.

38La forme la plus récente est le verre à tige (Foy 1995 : forme 23a). Les débris de rebords (fig. 21, n^os 17, 19) et de pieds (fig. 21, n^o 18) de deux ou trois pièces ont été exhumés. Ce mobilier commun à toute la Méditerranée est abondamment représenté sur tous les sites du vi^e et du vii^e s. Il est cependant encore rare au début du vi^e s.

39La prépondérance de la verrerie à décor blanc rapporté (une dizaine de pièces), l’importance à peu près égale des verres à pied conique (trois pièces) et des verres à tige (deux ou trois pièces) permettent de proposer pour ce contexte une datation dans la première moitié du vi^e s. (premier tiers ?). Ces associations sont, par exemple, comparables à celles notées sur le site de Notre‑Dame à Gardanne (Pelletier et al. 1986) ou à celles de la période 2A 3 du chantier de la Bourse à Marseille (Foy, Bonifay 1984).

40Dans ce même contexte, étaient concentrés des indices d’un artisanat du verre : deux gros rebuts informes, quelques déchets verts ou bleutés, deux tesselles de mosaïque en pâte de verre bleu, utilisables pour colorer la matière en fusion, et des débris d’un creuset (paroi d’un pot en céramique rouge portant sur la surface interne du verre cristallisé). D’autres témoins d’un travail du verre apparaissent dans le contexte suivant, vraisemblablement contemporain.

Verres du contexte 525

41Bien que moins diversifié, l’ensemble des verres provenant du sol 525 peut être attribué à la fin du v^e s. ou au début du vi^e s. On n’y retrouve pas les verres à tige, éléments les plus récents du niveau précédemment étudié, mais la présence de déchets de verre (« larmes » de verre portant la trace des pinces ayant coupé le surplus de matière) et d’un morceau de verre provenant d’un lingot ou du nettoyage d’un creuset constitue un dénominateur commun plaidant pour‑une contemporanéité des deux espaces 695 et 525.

42Le verre olive, toujours minoritaire (quatre fragments) est représenté par deux rebords laissés brut d’un gobelet (fig. 21, n^o 21) et d’une coupe (fig. 21, n^o 20) et par un débris de goulot torsadé d’une cruche (non dessiné). Un pied conique, à peine verdâtre (fig. 21, n^o 23), est tout à fait comparable aux pièces 9 à 11 du contexte 695 ; les verres de coloration vert d’eau, irisés en surface, sont encore prépondérants (une quinzaine de fragments) : huit fragments de rebord possèdent la décoration caractéristique de filets blancs rapportés parallèlement à l’embouchure (fig. 21, n^os 25‑27), trois éléments de coupe ont une guirlande en verre blanc (fig. 21, n^o 24). Hormis l’absence de verre à tige, les proportions des diverses qualités dè verre sont à peu près comparables à ce qui a pu être observé dans le contexte d’habitat 695.

Autres contextes de la fin de l’Antiquité

43En dehors des deux niveaux précédents, très peu de verres des v^e‑viii^e s. ont été retrouvés. Ils sont trop pauvres pour constituer des critères de datation fiables.

44Dans le contexte 554, on note un rebord de bouteille bleutée pouvant provenir du mobilier de la nécropole antique (fig. 21, n^o 29) et un large rebord de coupe à filets blancs rapportés (fig. 21, n^o 28). La même décoration est appliquée sur le rebord d’un gobelet du contexte 540 ; il est associé à un fragment de paroi d’un gobelet olivâtre et à un fond tubulaire de lampe (fig. 21, n^os 31, 33). Un goulot de cruche verdâtre bagué d’un cordon de même teinte a été recueilli dans la fosse 244 (fig. 21, n^o 32) ; des pièces comparables sont fréquentes dans les niveaux des v^e‑vi^e s. Des fragments de pieds de verre à tige sont inventoriés dans les contextes 541 et 359.

Verres résiduels de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge

45Des rebords à décor de filets blancs sont reconnus dans les niveaux 325, 350, 388 et 462. Des verres à tige sont identifiés dans les niveaux 359, 107 (fig. 21, n^os 34, 35), 602, 384 et 514. Le premier a la particularité d’être de teinte bleuâtre, comme les rebords à lèvre repliée formant à l’extérieur un large bandeau. Ces pièces viennent des niveaux 514 (n^o 36), 530 (n^o 37) et 384 (n^o 38). Sans doute appartenaient‑elles à des bols à fond convexe bien connus dans les contextes mérovingiens du nord de la Gaule attribués à la fin du vii^e ou du début du viii^e s. Des formes semblables se retrouvent à la même époque en Provence, aussi bien dans les contextes funéraires que dans les habitats (Foy 1995 : forme 28a). Ces verreries pourraient signifier que le site a été occupé au moins jusque dans les dernières décennies du vii^e s., voire jusqu’au viii^e s. Le dernier verre étudié (fig. 21, n^o 39, contexte 156) est une sorte de tige à ressauts, de coloration verte, altérée en surface : c’est un élément de verre à jambe ou plus vraisemblablement le fond tubulaire d’une lampe d’un modèle oriental en usage jusqu’à l’époque islamique (Crowfoot, Harden 1931 : pl. XXIX, 21 à 23). C’est sans doute une importation.

L’atelier de verrier

46Les indices d’un artisanat du verre du haut Moyen Âge proviennent de divers points de la ville de Marseille. Les traces les plus évidentes apparaissent dans les fouilles de la Bourse (Foy, Bonifay 1984 : 305, 306 ; Bonifay et al. à paraître, ch. 5), d’autres ont été reconnues dans les fouilles des quartiers du Panier, de Saint‑Laurent (Foy et al. 1990), de la Joliette (inédit), le plus souvent dans des contextes de la seconde moitié du v^e s. ou de la première partie du siècle suivant. Les témoignages provenant des contextes 695, 525 et 384 de Sainte‑Barbe renforcent l’image que nous nous faisons de ces petites officines, disséminées dans la ville ou aux portes de la cité (la Bourse et Sainte‑Barbe), peut‑être pour mieux récupérer les matériaux recyclables (combustible et verre), chacune occupant une faible superficie, sans doute comme on peut encore le voir aujourd’hui dans des villes orientales. Il est impossible d’identifier les productions de ces ateliers, peut être y soufflait‑on, entre autres, ces verres fragiles décorés de filets blancs que l’on reconnaît fréquemment à cette époque, dans toute la Gaule au moins, sur les sites de consommation et de fabrication (par exemple sur l’atelier récemment découvert à Issoudun dans l’Indre, Archéologie médiévale 1994).

2.2.3.3 Les monnaies

47c.b.

48fig. 22, tabl iii et iv

49Les monnaies découvertes au cours des fouilles de l’îlot Sainte‑Barbe se répartissent en deux groupes distincts. L’un est constitué par 40 pièces trouvées isolément, l’autre par 29 pièces trouvées groupées et représentant vraisemblablement le contenu d’une bourse. Les monnayages constituant ces deux lots se répartissent selon la distribution du tableau iii.

50Les monnaies isolées couvrent un laps de temps beaucoup plus long que celles de la bourse. Elles vont du i^er s. av. J.‑C. avec les pièces marseillaises, au milieu du viii^e s. ap. J.‑C. avec le denier mérovingien, précédé par une monnaie byzantine du vii^e s. trop corrodée pour être identifiée plus précisément. Les deux pièces n^os 37 et 38 datent des années 536‑538 au cours desquelles la Provence est passée de la domination des Ostrogoths à celle des Francs. Elles entrent dans une série indépendante, très probablement frappée à Marseille. À part un potin au taureau, les deux masses les plus importantes sont d’une part celle des monnaies émises par Marseille, au lendemain de la chute, en 49 av. J.‑C.

CATALOGUE

1 Monnaies isolées

I Marseille

511‑4. Petit bronze
R/Taureau cornupète
ii^e‑i^er s.
n^o 4 ; V ; 110. n^o 40 ; VI ; 16. n^o 42 ; I ; 61. n^o 115 ; X ; 209

525‑6. Petit bronze
R/Caducée
49 ap. J.‑C.
n^o 192 ; 265. n^o 147 ; VI ; 240

537. Petit bronze
R/Galère
49 ap. J.‑C.
n^o 729 ; 525

548. Petit bronze
R/Aigle
49 ap. J.‑C.
n^o 922 ; 590

559‑10. Petit bronze fruste
n^o 1068 ; 153. 156 ; HS. n^o 886 ; 613

II Gauloise

5611. Potin
R/Taureau chargeant à dr. ; au‑dessus M A
ii^e‑i^er s. av. J.‑C.
n^o 10 ; 107

III Romaines

5712. Antoninianus de Gallien.
D/Type de Marti pacifero ? Mars tenant un rameau.
R/Type de l’atelier de Rome, pièce coulée. n^o 191 ; 709

5813. Antoninianus de Tétricus. Illisible n^o 751 ; HS

5914. Nummus de Constant ou Constance II
R/Type de Victoriae dd auggqnn. Deux Victoires face à face.
341. 346, atelier indéterminé.
n^o 681 ; 523

6015. Nummus de Constance II
D/Légende illisible. Buste drapé, diadémé à dr.
R/Type de Spes reipublice. Le prince debout de face, tenant un globe et une haste.
361. 364.
n^o 9 ; I ; 107

6116. Ae 4 de Gratien ?
R/Type de Gloria novi saeculi ? L’Empereur debout à g. tenant le Labarum ?
Arles 7 367. 375. ;
n^o 954 ; 656

6217‑19. Ae 4 petit de Valentinien III
R/Croix dans un cercle dans une couronne.
RIC X, Rome, 440. 450.
n^o 483 ; XIV ; 406. n^o 540 ; XIV ; 406. 445. n^o 772 ; XIV ; 521

6320‑33. Ae 4 (petit), fruste
n^o 135 ; IV ; 241. n^o 137 ; X ; 209. n^o 146 (trouée) ; VI ; 250 (fosse). n^o 157 ; X ; 209. n^o 479 ; XI ; 427. n^o 675 ; XIV ; 521. n^os 720 ; XIV ; 563. n^o 721 ; XIV ; 563. n^o 725, VIII, 566. n^o 726, VIII ; 566. n^o 730 ; X ; 525. 527. n^o 793 ; XI ; 584. n^o 964 ; 655. n^o 981 ; 674

6434‑36. Fragments informes
n^o 192 ; 708. n^o 193 ; 707. n^o 199 ; 702.

IV Franques

6537. Nummus (?) anonyme (fig. 22, n^o 1)
D/Chrisme.
R/Croix dans un cercle.
n^o 835 ; X ; 384. 530

6638. Nummus (?)
D/Traces ? d’une légende.
R/Croix dans un cercle.
n^o 333 ; X ; 359

V Byzantine

6739. Décanummion indéterminé (fig. 22, n^o 2)
R/l, au‑dessus une croix ; étoile dans le champ à dr. et à g.
Carthage ou la Sicile ? 600. 690
n^o 181 ; X ; 265.

VI Mérovingienne

6840. Denier épiscopal de Clermont (fig. 22, n^o 3)
D/Cheval à g. ; dessous une croix.
R/Monogramme de l’Auvergne.
Prou, Cat. BN 1776 ; Belfort, n^o 418.
Frappé entre 740 et 750.
n^o 894 ; XI ; 606

2 Monnaies groupées 695 (« bourse »)

I Marseille

691. Petit bronze
R/Caducée
n^o 152 ; 695

702. Petit bronze
R/Taureau ?
n^o 173 ; 695

II Romaines

713. Ae ¾
R/Gloria novi saeculi ? coulée,
n^o 163 ; 695

724. Deux Victoires face à face
n^o 154 ; 695

735‑6. Victoire à g. ; Rome.
n^o 155 ; 695. n^o 182 ; 695

747‑8. Croix dans un cercle dans une couronne ; Rome
n^o 158 ; 695. n^os 169 ; 695.

759‑10. Cercle de grenetis, type indéterminé
n^os 157 ; 695. n^o 160 ; 695

7611. Monogramme ?
n^o 161 ; 695

7712‑24. Ae 4. Frustes
n^o 153 ; 695. n^os 153a ; 695. n^o 156 ; 695. n^o 159 ; 695. n^o 162 ; 695. n^o 164 ; 695. n^o 165 ; 695. n^o 166 ; 695. n^o 168 ; 695. n^o 174 ; 695. n^o 181 ; 695. n^o 183 ; 695. n^o 184 ; 695. n^o 185 ; 695.

7825‑29. Fragments informes
n^o 167 ; 695. n^o 175 ; 695. n^o 186 ; 695. n^o 187 ; 695.

79(10 ex.), et, d’autre part, celle des monnaies romaines tardives (25 ex.). Ce sont précisément ces deux dernières catégories de pièces qui sont présentes dans la bourse, et il est intéressant de comparer de plus près la façon dont elles se répartissent dans les deux ensembles (tabl. iv).

80Près des trois quarts des pièces de la bourse sont de petites monnaies surmoulées qu’il est impossible de dater avec précision. Il est seulement possible de situer approximativement leur fabrication entre le dernier quart du v^e s. et le début du vi^e. Seuls cinq exemplaires remontent peut‑être au règne de Valentinien III, s’ils ne sont pas eux aussi surmoulés, et un, sûrement coulé, date du iv^e s. À cet ensemble tardif sont jointes deux pièces de Marseille postérieures à 49 dont la présence prouve qu’elles avaient fait de nouveau surface dans la circulation courante. Leur similitude de diamètre avec les Ae 4 tardifs favorisait leur remploi selon un processus dont ce n’est pas l’unique exemple. D’autres cas appartenant à des époques ou des régions différentes pourraient être cités à titre de comparaison. Ce qu’il faut surtout retenir de la présence de ces pièces, vieilles de plusieurs siècles, dans l’ensemble clos qu’est cette bourse, c’est l’éclairage particulier qu’elle porte sur le statut véritable des dix exemplaires semblables qui font partie des trouvailles isolées. Il s’agit bien, en ce qui les concerne, de résurgences tardives. De plus, la proportion dans laquelle elles sont représentées, plus forte parmi les monnaies isolées que dans la bourse, tendrait à indiquer que leur retour dans le circuit de la monnaie courante a été plutôt tardif, à l’extrême fin du v^e ou au début du vi^e s. Il montre en tout cas l’extrême pénurie de monnaie divisionnaire ressentie à ce moment‑là.

81Si ces quelque 70 monnaies recueillies dans l’îlot Sainte‑Barbe n’apportent guère de précision d’ordre chronologique sur les niveaux dans lesquels elles ont été découvertes, elles sont du moins, en dépit de leur indigence, un témoin précieux de la mutation profonde qui s’accomplit alors, en Provence comme ailleurs, dans la fonction et l’usage de la monnaie.

2.2.4 Les coquillages marins

82f.b.‑p.

83Les coquillages marins recueillis dans les couches archéologiques de l’Antiquité tardive représentent, avec 192 exemplaires (NMI), 83,47 % de la totalité (soit 230 exemplaires). Trois espèces ou familles ont un nombre d’exemplaires presque identique, correspondant à environ 28 % des coquillages de cette période : les peignes ou vanneaux (Proteopecten glaber avec 55 exemplaires), les huîtres (famille des ostreidae, Ostrea lamellosa et Pygnodonta cohlear avec 54 exemplaires) et les cérithes (Cerithium vulgatum). L’on trouve derrière eux les coques (Cerastoderma edulte avec 20 exemplaires). Les autres coquilles sont représentées par un ou deux exemplaires : il s’agit de coquillages non comestibles habituellement (cône et très petite telline) ou qui sont consommés fréquemment mais dont on n’a retrouvé qu’un fragment de petite taille (murex, moule, spondyle ou patelle), fragment ayant pu être apporté sur le site avec d’autres éléments. Les peignes et les huîtres sont les coquillages que l’on retrouve couramment à Marseille à la même période, fouilles du Bon Jésus par exemple (Reynaud à paraître), ou en Provence. Dans l’ensemble, les exemplaires retrouvés à Sainte‑Barbe ont été sélectionnés en fonction de leur taille, pour espérer obtenir le maximum de chair. Les huîtres sont de taille normale ou même supérieure à celle‑ci, les Ostrea lamellosa ont des caractéristiques tirant vers la Pygnodonta cocblear avec un umbo assez long et une épaisseur de coquille importante. Les peignes ont eux aussi une taille normale ou même légèrement supérieure. Ces dimensions ne correspondent pas à celles des coquillages consommés sur la plupart des sites de cette période. En effet, l’on voit des coquillages de taille beaucoup plus petite que la norme, ceux‑ci n’ont pas eu le temps d’atteindre leur état adulte et donc de se reproduire, ce qui correspond à une exploitation trop importante des bancs et, à plus ou moins long terme, à une disparition de ceux‑ci. Les coquillages de Marseille Sainte‑Barbe se rapprochent de ceux de Notre‑Dame de Gardanne et de Saint‑Pierre d’Eyguières (site aux structures architecturales assez riches) (Brien‑Poitevin 1993 ; Brien‑Poitevin 1996 ; Pelletier, Poguet 1993 : 239‑240). Cette différence viendrait‑elle du niveau plus élevé de leur population, ville ou habitat plus luxueux, ou bien de bancs fort nombreux (avec ostréiculture) permettant une collecte abondante de coquillages de grande taille sans cesse renouvelés ?

84Rares sont les traces d’ouverture conservées sur les écailles : cinq valves d’huîtres ont le bord latéral de la coquille creusé par une pointe, l’huître étant tenue en main comme par un écailler moderne. Cette ouverture de l’huître (courante dans le Languedoc à cette période) est employée habituellement à Marseille car on la retrouve au v^e s. dans un autre secteur, au Bon Jésus. Dans le reste de la Provence, une autre technique pour ouvrir les huîtres est utilisée : les valves sont posées sur une source de chaleur et s’ouvrent naturellement. Une douzaine de peignes ont l’ailette libre coupée, pour permettre le passage d’un outil entre les valves. Huîtres et peignes ont donc été consommés crus, ouverts au moyen d’un instrument tranchant, selon la technique encore en usage de nos jours pour les huîtres alors que les peignes ou vanneaux sont consommés cuits.

85La présence des cérithes est originale car ils sont de petite taille et coriaces. Ils servent le plus souvent d’appât lorsque l’animal est encore vivant, mais la coquille est très souvent récupérée par le bernard‑l’ermite. Rares sont les populations consommant le bernard‑l’ermite du fait de sa taille très‑petite, même s’il a un excellent goût de crustacée. L’on comprend mal le transport de ce type de coquillage à Sainte‑Barbe, à moins qu’il n’ait été amené avec des algues car le cérithe vit très souvent dans leurs amas sur les rivages. Dans ce cas, l’on aurait le négatif de la présence d’algues dans un habitat.

86Les fouilles de Sainte‑Barbe prouvent, une fois de plus, que les peignes et les huîtres étaient très largement consommés à Marseille à la période romaine, surtout pendant l’Antiquité tardive.

87La très faible quantité de coquillages retrouvés dans les phases 2 et 3 et le fait qu’il s’agisse des mêmes espèces (surtout pour la Pygnodonta cocblear rare dans les fouilles de Marseille) pose la question de la quantité de coquillages remontant à l’Antiquité tardive et résiduels dans les phases du Moyen Age.

2.2.5 Conclusion

88h.m., l.v.

89S’il est difficile de se faire une idée précise des installations découvertes, l’abondance du matériel et des monnaies recueillis sur le site témoigne d’une véritable occupation dans cette zone extra muros. Les importations africaines et orientales tout comme le monnayage permettent de la situer dès le milieu du v^e s. et pendant tout le siècle suivant avec comme terminus le vii^e s. voire le viii^e s. (importations africaines tardives et présence d’un denier mérovingien en argent n^o 894, espace XVI, 606). Les restes de cabanes et de plusieurs cuvettes, de sols empierrés et d’un puisard renforcent l’idée d’un vaste espace à fonction artisanale (fragments de creusets de verrier) et peut‑être agricole. Les premiers habitats hors les murs révélés par les fouilles de la Bourse et situés près de la corne du port ont été interprétés comme des faubourgs liés à l’activité portuaire mais aussi à l’artisanat de la métallurgie, de Los, du cuir et du verre (Bonifay 1991 : 64‑69). L’auteur situe la création d’un premier noyau d’habitat dès la fin du iv^e s. et son extension maximale au cours des vi^e et vii s. sur toute la zone fouillée. Plus au nord, à 200 m de la corne du port, les récentes fouilles effectuées pour l’aménagement de l’îlot Puget III (Gantès et al. 1990 : 55 ; Marseille 1990 ; 93‑96) confirment cette occupation. Elles ont mis au jour une maison du vi^e s., abandonnée au vii s., conservée sur 25 m², qui prolonge les installations portuaires. Plus à l’est, les restes d’un habitat dans le quartier Belsunce, Zac de la Providence (Gazenbeek 1993 : 141), et des témoins de l’Antiquité tardive rue d’Aix, îlot Puget I (Fournier 1994 : 118), sont encore apparus lors de sondages de reconnaissance. On est donc en mesure de dire aujourd’hui que tout le vallon à l’est du rempart est occupé de façon continue depuis le port. Sainte‑Barbe constituerait l’extension la plus septentrionale de ces faubourgs. Avec la multiplication des fouilles de sauvetage sur le pourtour du bassin du port, c’est une toute nouvelle image de la topographie de la ville aux vi^e et vii^e s. qui se dessine. Sur les deux rives s’installent des habitats, en bordure du port envasé : sur la rive méridionale subsistent les traces d’un habitat au bassin de Carénage (Gantès et al. 1990 : 61‑62) ; au fond du Vieux‑Port ce sont les restes d’une plage, de chenaux et peut‑être des salines mentionnées en 558 (Bouiron 1994 : 28). Enfin, sur la rive septentrionale, place Jules‑Verne, des fosses, une canalisation et des habitats se réinstallent sur des comblements du port (Hesnard 1994 ; Hesnard, Pasqualini 1994 : 110).

90Cette extension de l’habitat ceinturant la ville et le bassin du Lacydon –et qui tend curieusement à se généraliser pendant une période d’insécurité et de peste– avait déjà été bien repérée par Michel Bonifay. Elle est une fois de plus confirmée par ces niveaux de la fouille de Sainte‑Barbe qui, réunis aux données archéologiques anciennes et actuelles, prennent tout leur sens. Des niveaux de ruissellement scellent les vestiges de l’Antiquité tardive sur toute la surface du site. Ils contiennent encore du matériel céramique antique et de l’Antiquité tardive.

91Comme dans la plupart des stratigraphies de la ville, un grand vide documentaire suit immédiatement cette période : entre le vi^e s. et le xii^e s., le site ne semble plus occupé. Tout au moins aucune trace n’en a été conservée. Lorsque les potiers s’installent au début du xiii^e s., la topographie héritée de l’Antiquité est alors totalement modifiée par la création d’un nouveau bourg extra muros dont l’organisation est évidente.

2 3 Le faubourg des potiers

92h.m., l.v.

93FIG. A

2.3.1 Le vide du haut Moyen Âge

94Les vestiges de la fin de l’Antiquité sont scellés par des remblais dont l’épaisseur varie, selon les endroits, de quelques centimètres à un mètre. Il est difficile de se prononcer sur la nature de ces couches fortement perturbées par l’installation des potiers. Elles ne renferment que de rares céramiques résiduelles souvent érodées et aucun élément attribuable au haut Moyen Âge. Il s’agit donc d’un deuxième hiatus dans la stratigraphie et tout laisse à penser que le site est resté à l’abandon pendant plus d’un demi‑millénaire. Ce vide noté dans la plupart des stratigraphies provençales tend aujourd’hui à être comble par les recherches récentes menées sur des sites d’habitat dans l’arrière‑pays marseillais, le Luberon et les Alpes (Fixot, Pelletier 1996a ; Pelletier, Poguet 1993 ; Mouton 1995 ; Kauffmann et al. 1987). Pourtant, dans la ville même de Marseille, à l’exception de fosses autour de la corne du port (Pelletier 1983 : 341‑345) et de niveaux attribués à cette longue période sur la rive opposée autour de l’abbaye Saint‑Victor, les zones extra muros semblent avoir été peu occupées. Ceci est confirmé par la fouille récente de la place du Général‑de‑Gaulle (Bouiron 1994 : 28). Marseille repliée derrière ses murs pendant plusieurs siècles ne connaît de réelle extension qu’au début du xiii^e s. (Pernoud 1949) et pendant la première moitié du siècle suivant, comme le démontrent clairement les mises au jour quasiment simultanées de deux faubourgs, l’un au plan Fourmiguier au fond du port, l’autre au nord près de la porte de la Frache,

2.3.2 Un nouveau faubourg (phase 1)

95L’urbanisation de ce nouveau faubourg s’est faite en plusieurs temps, mais selon un maillage régulier, et a entraîné un remodelage du terrain. Celui‑ci présente alors le même profil qu’à la fin de l’Antiquité, bien qu’un peu surélevé par l’apport naturel de terre. Les bâtiments s’installent perpendiculairement à la pente principale tout en s’adaptant à la déclivité est‑ouest de la colline Saint‑Charles.

2.3.2.1 Les bâtiments

96FIG. 23

97On rattache au premier temps de construction un grand bâtiment orienté est‑ouest (espaces X‑XVII et XI‑XVI), dont les murs latéraux nord et sud (10 et 97) servent de soutènement. Il est en fait formé de deux maisons mitoyennes et symétriques, X‑XVII et XI‑XVI, séparées par un mur maître, 37. Chacune est subdivisée en trois espaces par des murs de refend nord‑sud.

98De part et d’autre de ce bâtiment, et dans le même alignement du mur de la façade est, deux maisons sont construites. Au sud, l’espace XIV situé en contrebas jouxte le précédent bâtiment, tandis qu’au nord, la construction XV toujours alignée par rapport à la façade se développe en quinconce vers l’est.

99Il faut peut‑être attribuer à une deuxième campagne de construction, mais très proche dans le temps, l’espace VIII et son puits établis sur la terrasse supérieure dont le mur de façade est décalé légèrement vers l’ouest par rapport à l’alignement général. Ainsi, dans ce premier ensemble défini par cinq modules équivalents est maintenu un espace (IX) de même largeur apparemment vide. Dans la phase 1, ce groupe de bâtiments n’est pas encore desservi par une voie à l’est mais donne sur un espace extérieur non limité, du moins dans l’emprise de la fouille.

100L’extension de ce premier noyau est inconnue dans les quatre directions cardinales. Au nord, le terrain qui remontait a été arasé dès le Moyen Âge. À l’est, on est en limite de chantier, tout comme dans la partie sud détruite par la construction récente de l’amphithéâtre de la faculté de Sciences économiques. Il est cependant possible de restituer une largeur de 5 à 5,50 m à l’espace XIV.

2.3.2.2 Les structures artisanales

101Dans les pièces X, XI et XIV, cinq ou six fours à céramiques sont construits, suivant deux orientations principales : 118 en XIV, 107 en XI et 12 en X sont orientés perpendiculairement à la pièce, avec l’ouverture du foyer tantôt au nord tantôt au sud. 103 en XI, 89 en X et un autre disparu en XIV (dont il ne subsiste qu’une fosse d’accès profonde au centre de la pièce) sont construits à l’inverse, dans l’axe de la lanière, l’ouverture du foyer à l’est.

102Dans l’espace XVI, un petit four 116, situé au centre de la pièce et entouré de bassines fichées dans le sol, est utilisé pour la préparation de la glaçure au plomb. Une fosse (676) implantée dans l’angle de la pièce carrée X‑ouest peut être interprétée comme un emplacement de tour.

2.3.2.3 Les sols

103FIG. 24 à 29

104Les sols de ces premiers bâtiments sont établis directement sur les niveaux de construction souvent jonchés d’éclats de pierres calcaires (627 en XI, ou à la base et le long du mur 10 en X) ou de pierres couvertes de mortier (667 le long du mur 87). Ces sols primitifs ne sont conservés qu’en lambeaux car ils ont été détruits par le creusement des fours postérieurs, en particulier en X, XI et XIV. Ils correspondent au niveau d’utilisation des fours et sont assez pauvres en céramiques. Les sols superposés 577, 514, 510 et la fosse 521, dans l’espace XIV, sont contemporains de l’activité du four 118. Dans la maison XI un seul sol est empierré (438) et correspond à l’utilisation du four 103. Les sols les mieux conservés sont dans les parties ouest de la même maison : des recharges très minces d’argile (607, 608, 614, 618, 619, 623), couvertes de taches de cendres et criblées de tessons à plat et de pernettes (biscuits calcaires sous cuits, corne d’appel) (fig. 259, n^o 1) sont liées au fonctionnement du four 107. Le premier sol d’argile de la pièce XVI (616), correspondant à la base de l’enduit qui couvre la cloison 86, est rapidement exhaussé (surface 606 datée par une monnaie d’Alphonse d’Aragon du début du xiii^e s.) au moment du fonctionnement du four 116. Dans cet espace de travail peu perturbé, des petites fosses dépotoirs ont livré de nombreux tessons de la première production (679, 680, 681, 684, 685). La partie ouest de l’espace X, où aucun four n’a perturbé la stratigraphie, est recouverte d’une succession de sols d’argile (655, 667) et d’un foyer (624) bien datés par la présence de céramique commune grise régionale ou en pâte grossière du xiii^e s. et par deux oboles d’Alphonse I^er d’Aragon (de 1186 au début du xiii^es.).

M. Rodot del. d’ap. H.M./MC, L. V./CNRS

105À l’extérieur des espaces de travail, le premier sol de la cour VIII est un remblai (362‑349) très pauvre en céramique qui a probablement été raclé pour la mise en place du bassin postérieur. En revanche, l’espace I qui deviendra le chemin a très vite servi de lieu de dépotoir et est riche en niveaux de ce premier état. L’étude de cette succession de couches a permis de dresser une chronologie relative des différentes catégories et formes produites pendant toute la durée de l’atelier. Le premier épandage qui se met en place progressivement est continu sur toute la longueur de l’espace I du nord au sud : la couche 256, retrouvée sous le mur 45 au niveau de l’espace IV, se poursuit dans l’espace XV (391) et au‑delà du mur 94 au sud (478, 481, 488, 489).

2.3.2.4 Éléments de datation

106Il est difficile de préciser la date de création proprement dite de ce faubourg. Les textes sont quasi absents pour cette époque. Les seuls éléments de datation sont les céramiques de consommation régionale déjà connues par les stratigraphies provençales et marseillaises : céramiques grises tournées de l’arrière‑pays marseillais, céramiques à pâte brune grossière d’origine indéterminée, attribuées à la fin du xii^e s. et à la première moitié du xiii^e s. Une catégorie inconnue en pâte blanche kaolinitique très fine et à glaçure verte mouchetée apparaît dans ces niveaux d’occupation. Les rares céramiques d’importation associées sont des vaisselles à glaçure plombifère vert foncé d’origine maghrébine (?), des fragments de céramiques engobées et incisées d’origine byzantine et de la vaisselle culinaire en pâte rouge glaçurée ligure attribuables aux mêmes périodes ainsi qu’un fragment de céramique espagnole incisée sur un revêtement de manganèse (cf. infra § 2.6.7.3).

107Les différentes catégories de vaisselles produites dans cette phase des ateliers, si elles ne sont pas datables en elles‑mêmes, sont pourtant par l’association répétitive et caractéristique des formes, pâtes et glaçures, un fossile directeur précieux qui a permis de rattacher certains niveaux entre eux en l’absence de lien stratigraphique. Cette séquence est caractérisée par l’emploi simultané de deux argiles : l’une calcaire employée pour le service de table et différents usages, l’autre plus siliceuse et rouge réservée en priorité à la vaisselle culinaire (cf. infra chap. 4). Plusieurs verres à pied de couleur noire caractérisent ces niveaux anciens (n^os 648, 510, XIV ; 652, dans le trou d’évacuation des eaux sous le mur 37, X ouest, cf. infra § 2.6.2).

108Enfin, les trois monnaies médiévales trouvées dans les premiers sols d’occupation sont toutes des oboles et royal coronat d’Alphonse I^er et Alphonse II d’Aragon (maison de Barcelone), des 1^er, 2^e et 3^e types, en circulation de la fin du xii^e s. à la première moitié du xiii^e s. Le terminus post quem fourni par ces monnaies serait à situer autour de 1240 (cf. infra § 2.6.1). La durée de cette phase est tout aussi imprécise : l’exhaussement des sols et les réparations observées dans les fours sont les seuls éléments dont nous disposons.

2.3.3 La modification des maisons

2.3.3.1 Arasement et comblement des structures (phase 2A)

109fig. 30

110Après un laps de temps difficile à évaluer, des réorganisations importantes interviennent à l’intérieur de la grande bâtisse et dans la maison XIV voisine. Dans toute cette zone sud‑ouest, la stratigraphie et les phénomènes observés sont les mêmes et semblent liés dans le temps. Mais l’organisation primitive du quartier n’est pas extérieurement modifiée. Cette deuxième phase semble succéder à la première sans rupture apparente. Il ne s’agit peut‑être que d’un changement d’artisans ou tout au moins d’une nouvelle conception du travail dans les ateliers. L’abandon des fours s’est fait progressivement comme le confirment les mesures archéomagnétiques : dans l’ordre, les fours 107 puis simultanément 103 et 89. Les fours 12 et 118 ne sont pas datés pâlies mesures archéomagnétiques mais la stratigraphie les rattache aux précédents.

111Cette phase se marque tout d’abord par l’arasement de la plupart des superstructures des fours et par le comblement de leurs foyers et de leurs fosses d’accès. Ces travaux destinés à préparer les nouvelles élévations de fours sont réalisés soit avant les constructions soit en même temps. Rien ne permet de dire qu’il y a eu un abandon brutal des fours ou effondrement au cours d’une cuisson. Nous n’avons retrouvé aucune couche de production en place, et les fours semblent avoir été vidés de leur charge ainsi que les fosses vidangées de leurs cendres dont il ne reste que des lambeaux. Les structures de cuisson sont comblées en une seule fois comme l’atteste la stratigraphie interne des remplissages. Tous les objets rejetés, et ceci est valable pour toutes les catégories produites simultanément, sont soit complets, soit recollent entre les couches qui ennoyent du haut en bas le foyer et les fosses d’accès. Cette observation a été faite surtout à partir de l’étude du matériel du four 107, qui n’a pas été détruit dans ses parties basses par la superposition d’un autre four. Des éléments de paroi et de sole sont mêlés dans ces remplissages. Dans l’espace XIV, le four 118 qui n’a été vu que partiellement a aussi été peu détruit et comblé de céramiques entières dans le foyer. Si l’élévation des foyers des fours 103 et 89 a été en partie enlevée par les nouveaux fours, leurs fosses d’accès, dont le tracé a été retrouvé lors de la fouille, ont été remplies au moment de la construction des nouveaux fours soit par des objets fragmentés voire complets, soit d’éléments plus brisés mais de même typologie. Le four 12 n’a conservé qu’un lambeau de comblement car il a été très mutilé et arasé et sa fosse d’accès a disparu.

112Cette campagne de comblement et de nivellement semble bien avoir été programmée pour permettre une nouvelle organisation du travail. Elle se retrouve également dans les espaces sans fours à céramiques. Une grande fosse creusée dans le dernier temps de la phase 1 dans la pièce X est bouchée par un dépotoir de même nature (602‑436). Sur le dernier sol, des enduits (284) qui se sont décollés des murs sont peut‑être à rapprocher de ceux effondrés en escalier (609) dans l’espace XVI. Ces traces conservées dans deux pièces qui n’ont pas été réoccupées par des installations lourdes dans la phase postérieure sont les seuls indices qui pourraient signaler un temps d’abandon entre les phases 1 et 2.

2.3.3.2 Construction des nouveaux fours (phase 2A)

113La première batterie de fours est réduite à un seul four à céramique par maison. Dans les trois cas ils sont tous situés au fond et orientés est‑ouest, ouverture du foyer à l’ouest : 70 en X, 93 en XI. Le cas du four 98 en XIV est particulier. Par sa typologie, il s’apparente au modèle primitif, mais par sa position stratigraphique, il est postérieur au four 118. Rien ne s’oppose à ce qu’il ait été construit dans une période intermédiaire entre deux phases, à moins que son constructeur se soit encore inscrit dans la tradition technique de la première phase. Les céramiques produites dans ce four renforcent cette dernière hypothèse car elles sont pour la plupart encore dans la tradition islamique de la phase primitive. Les circulations sont maintenues en X et XI mais si les cloisonnements 11, 85 et 86 sont maintenus, ils ne délimitent que des espaces vides de structures lourdes, dont les sols vont être constitués par d’épais remblais de terres et tessons (441, 439, 605) qui couvrent les anciennes installations. Dans la pièce XIV, la situation est différente. Contre le mur nord s’appuient deux petits fours perpendiculaires l’un à l’autre, destinés à la préparation des oxydes (99 et 110) et séparés par un arc diaphragme (100) construit au même moment.

2.3.3.3 Éléments de datation (phase 2A)

114Cette deuxième séquence est datée par les nombreuses monnaies et céramiques retrouvées dans l’abandon et les comblements des premiers fours. Elles ne fournissent qu’un terminus post quem pour la modification des espaces. On retrouve le même monnayage que dans la phase 1 : des oboles du royal coronat d’Alphonse I^er et Alphonse II d’Aragon, des méreaux de plomb et pour la première fois l’apparition du monnayage de Charles I^er d’Anjou du début de règne à partir de 1257‑1301. La monnaie retrouvée dans la fondation de la porte du four 70 est attribuée soit à Charles I^er d’Anjou, soit à Robert d’Anjou, cette dernière hypothèse impliquerait un terminus pouvant occuper le premier quart du xiv^e s. (cf. infra § 2.6.1). Les céramiques de production qui sont les rejets de la phase 1 sont toujours des céramiques calcaires associées à des céramiques culinaires à pâte rouge.

115Les céramiques de consommation sont aussi les mêmes que dans la phase 1 : céramiques grises régionales et à pâte grossière, céramiques à pâte blanche fine et à glaçure verte d’origine indéterminée, céramique rouge glaçurée ligure, céramiques à glaçure monochrome verte du Maghreb, plus quelques rares tessons en pâte glaçurée de l’Uzège et d’Ollières. À côté des verreries de couleur noire, apparaissent des verres transparents à décor de filets bleus.

2.3.3.4 Le second temps des maisons sud (phase 2B)

116La durée de la phase 2B dans les espaces X, XI et XIV peut être située dans la seconde moitié du xiii^e s. et déborder dans le premier quart du siècle suivant. Elle n’est pas contredite par le monnayage du xiii^e s. retrouvé sur les sols de fonctionnement de l’atelier : six oboles ou royal coronat sur les sols du four 93 et de la fosse d’accès du four 70, ainsi qu’une obole du Nivernais (1271‑1296) sur le sol de fonctionnement du four 70. Enfin, une émission posthume de Charles I^er d’Anjou trouvée dans la réparation du four 98 confirme la durée de la phase 2 dans cette zone. Les céramiques de consommation associées dans ces sols ou remblais sont encore les mêmes avec en plus l’apparition de protomajoliques du Latium, des sgraffito ligures et des gros bassins glaçurés catalans. Mais la grande différence qui se note dans les céramiques de production est la disparition quasi totale au cours de la phase 2B des productions en pâte rouge glaçurée, à l’exception de quelques exemplaires dans le comblement du four 98. Les objets en os ou en métal sont encore rares : boucles et pendants de ceintures, cure oreille (fig. 40, n^os 1, 17).

117En résumé, il semble qu’entre la phase 2A (construction des fours) et la durée de fonctionnement de ces nouvelles structures (phase 2B), il ne s’écoule que peu de temps. Mais cette chronologie resserrée ne s’applique qu’aux maisons du sud.

2.3.4 Création du chemin et extension vers le nord (phases 2A‑2B)

118fig. 27 et 31

119C’est au cours de cette deuxième phase que le quartier s’étend au nord et est sensiblement réorienté. La construction XV est supprimée et permet ainsi la création d’un chemin nord‑sud qui dessert de nouvelles constructions plus au nord (fig. 32). Cet ensemble est construit selon une orientation légèrement différente (nord‑ouest/ sud‑est), délimitant au moins quatre maisons de même module que précédemment. Ces espaces III, IV, V et XII, dont on ne connaît que l’extrémité occidentale, sont occupés par des activités de préparation de la terre et de façonnage. Mais on ne rattache aucun four à ce quartier nord (hormis le four 35 découvert encore plus au nord) dont les productions sont connues par ailleurs par des fosses dépotoirs et les derniers épandages dans le chemin (227, 301, 477, 479,481).

120Le mur 92 qui clôt la cour VIII est supprimé et le mur 69 est en partie détruit à l’ouest. Cet espace extérieur agrandi, qui conserve le puits, est aussi utilisé par les potiers comme aire de dépotoir, comme en témoignent les riches comblements de plusieurs fosses (106‑299, 327 en viii‑ix et 236 en vii).

121Très peu d’éléments permettent de dater cette extension d’habitat (phase 2A) dont la surface fouillée, réduite à quelques mètres carrés, a peu d’ampleur stratigraphique. Les premiers sols (phase 2B) –231, 232 en IV et 193 en V– contiennent toujours les mêmes céramiques d’importation (grise régionale, claire glaçurée d’Uzège, rouge italique glaçurée et sgraffito ligure, rouge glaçurée catalane) en usage dans la seconde moitié du xiii^e s. Mais la grande différence dans ce quartier est l’absence des productions locales en pâte rouge glaçurée. Une monnaie très fragmentée dans le sol 193 en V s’apparente au monnayage des xii^e‑xiii^es. Les sols d’argile percés par la cuve carrelée 200 et des fosses 204, 218, 246 liées au travail de la terre sont rapidement exhaussés et les dépressions comblées. Des foyers domestiques sont installés dessus ainsi que sur les nouveaux sols (195, 191) indiquant un changement de fonction des espaces. Des céramiques de l’atelier sont écrasées sur ces sols, en particulier une coupe tronconique émaillée (fig. 200, n^o 3) associée à du sgraffito ligure. Ces faïences bien représentées dans les niveaux d’occupation ou les dépotoirs de la phase 2B du quartier nord sont d’un style nouveau, signe peut‑être d’une nouvelle population artisanale de culture et tradition différentes. Les gros dépotoirs de céramiques dans les espaces nord VII, VIII et IX (236, 299, 106) et les épandages et comblements d’ornières dans le chemin (227, 257, 301, 477, 479) ont permis de dresser le nouveau répertoire des productions en pâte calcaire pendant cette dernière phase.

122Les céramiques d’importation retrouvées dans le comblement des fosses sont toujours de mêmes types que précédemment, à l’exception de plusieurs fragments d’une belle jarre imprimée d’Espagne du Sud ou du Maghreb dans le comblement 202 de la fosse 200 (fig. 54, n^o 5). Enfin, un denier de pariage de Raymond Bérenger de la Fin du xii^e s. est le seul élément de datation retrouvé dans l’espace V et il est sans doute résiduel.

2.3.5 L’abandon des ateliers

123La fin de la phase 2B est clairement marquée par l’abandon et la destruction des fours dans les maisons X, XI‑XVI et XIV, mais est plus difficile à percevoir dans les zones nord qui ne possèdent pas de structures en creux aussi conséquentes. L’étude des comblements des fours 70, 93 et 98, très similaires, fournit un terminus post quem pour l’activité artisanale dans ce quartier sud. Les monnaies, mêlées à des matériaux de construction des fours et des bâtiments, permettent d’affirmer que les fours ne sont plus en activité à la fin du premier quart du xiv^e s. Dans le comblement supérieur (296 et 265) du four 70, à l’exception d’une petite obole marseillaise et d’une monnaie de Charles I^er d’Anjou, les cinq autres monnaies sont du siècle suivant et s’échelonnent entre 1322 et 1340 : monnaie royale, double parisis de Charles IV le Bel, monnaie catalane du xiv^e s., monnaies de la principauté d’Orange Raymond III‑IV des Baux. Ce dernier monnayage est aussi présent dans la recharge du chemin 479.

124Ces éléments absolus ne datent cependant pas l’arrêt de l’activité artisanale qui a pu se produire quelques années avant, entre le tournant du xiii^e s. et 1340. L’absence de monnayage intermédiaire, tout comme l’absence d’importations caractéristiques de la première moitié du xiv^e s. dans les niveaux des potiers (majoliques catalanes, Valenciennes et pisanes), plaiderait en faveur d’un abandon de tous les fours à situer dans la première ou deuxième décennie du siècle. Les céramiques d’importations encore présentes en nombre dans ces comblements d’abandon sont caractéristiques de la fin du xiii^e s. : les jarres imprimées (fig. 54) et les majoliques du Maghreb sont associées aux traditionnelles catégories en usage pendant toute la phase 2.

125Les analyses archéomagnétiques effectuées sur les fours à céramique 93, 98 et 70 et les fours à oxydes 99 et 110 font apparaître un abandon progressif. Les fours 98 et 70 arrêtent de fonctionner en même temps. À cette époque, le petit four à oxyde 99 n’existe plus car des éléments de sa paroi servent à la réparation du four 98 daté du tournant du xiv^e s. Le four à céramique 93 et le four à oxyde 110 sont abandonnés ensuite avec un écart dans le temps difficile à préciser, mais de toute façon antérieur à 1340.

126Dans la partie nord, l’arrêt de la production n’est pas connu en l’absence de fours, mais il est proche dans le temps et la production s’est peut‑être prolongée quelques années de plus sur le versant nord‑est de la colline Saint‑Charles plus éloigné du rempart.

2.4 L’arrivée des forgerons (phase 3)

127h.m., l.v., m.‑c.b.‑m.

128Après l’extinction des fours des potiers, le faubourg est rasé. Le nivellement des structures est particulièrement bien lisible dans le secteur sud où l’écrêtement des fours à la hauteur de la sole correspond à des changements d’appareil dans les élévations des maisons. Dans le secteur nord, il est plus difficile de le percevoir en l’absence de structures lourdes, mais il est confirmé par les mêmes reprises dans les murs. La réoccupation des espaces s’est effectuée rapidement après l’arasement. Le faubourg conserve une vocation artisanale mais la population est nouvelle. Toujours spécialisés dans les arts du feu, les nouveaux artisans travaillent en priorité le métal. Tous ces niveaux de réoccupation sont marqués par des épandages de charbons, scories, ou par la présence d’outils spécifiques du travail du métal (pierres à aiguiser) (fig. 34, 37b) associés à des chutes de taille du corail. Ce quartier industrieux est aussi un lieu d’habitation, comme en témoignent les nombreux objets de la vie quotidienne et les céramiques de consommation.

2.4.1 Le secteur nord

129fig. 28, 31 et 33

130Les maisons nord (fig. 31) sont partiellement détruites et leur réoccupation n’est connue que par des fonds de fosses. L’arasement postérieur ne permet plus de lire les éventuelles reconstructions. Le mur 46, mitoyen des espaces IV et V, est en partie récupéré (tranchée 189) et contre lui, au sud, une grande fosse (190) de 2 m de large est comblée de pierres, de sable et de mortier, de tuiles, de déchets de l’atelier de potiers mais aussi de scories. Le mur de façade 45‑47 de ces espaces est lui aussi coupé par une tranchée (196‑197) orientée nord‑ouest/sud‑est, qui traverse l’espace IV et se prolonge vraisemblablement dans l’espace III en cassant également le mur mitoyen 81. Cette tranchée de canalisation, qui se poursuit en diagonale dans le chemin, fait 12,60 m de long. Profonde de 20 à 25 cm, pour une largeur de 40 à 60 cm, elle présente un profil en U et une pente de 2,6 % du nord‑ouest vers le sud‑est (15,42 à 15,09 m NGF). Sur le fond, les restes d’une canalisation en bois de chêne vert (identification François Guibal) ont été retrouvés sur six double‑manchons (largeur : 6 cm, épaisseur : 4 mm) et une plaque en fer qui reliaient entre eux les tuyaux. Les manchons, distants les uns des autres de 2,50 m à 2,30 m, permettent de restituer la longueur des tuyaux de bois de 9 cm de diamètre externe pour un diamètre interne de 4 cm. Cette canalisation, qui ne peut être datée précisément, assure une évacuation des eaux du nord‑ouest vers un collecteur situé dans le vallon plus au sud‑est. On ne connaît actuellement pas d’exemple de canalisation en bois foré au Moyen Âge.

131Le chemin créé au xiii^e s. est toujours utilisé et rehaussé par des remblais (198). Il est aussi percé plus au sud et en bordure est par une fosse (387) en limite du chantier. Celle‑ci a un fond plat et des bords convexes, une profondeur d’une trentaine de centimètres pour une longueur 1,40 m et une largeur inconnue. Une épaisse couche de scories et de charbons mêlés à du corail, des tuiles rondes et de nombreux galets la recouvre.

132De l’autre côté du chemin, l’espace extérieur VII, VIII, IX est réaménagé. Les murs qui le bordent (68, 24, 22), détruits par l’arasement, sont reconstruits sous la forme d’une murette qui sépare la voie de l’espace à l’ouest. Il n’est occupé que par une fosse‑dépotoir (226) écornée à l’Époque moderne (2 x 1,16 x 0,08 m) et remplie de fragments de corail, de scories, de charbon, de pierres et de fragments de tuiles brûlées. La cour en terre battue et son puits sont toujours utilisés. Dans l’angle et à la jonction du mur 24 et de l’angle de l’ancien mur 69 conservé ou repris ici partiellement en élévation, un bassin est installé (fig. 35, 28). Celui‑ci, conservé sur 2,40 m de long et 1,20 m de large, est adossé contre le mur 24. Les limites ouest et sud du bassin ont disparu, mais il est possible de restituer une surface approximative de 6 m². Il doit être alimenté manuellement par l’eau du puits voisin et servir à des activités domestiques (lavage ?). Il est soigneusement bâti sur un hérisson de pierres (293) de 24 cm d’épaisseur fait de deux lits de galets et de blocs irréguliers de pierres très serrées, liés à la terre. Ce radier est couvert par un lit de mortier (291) sur lequel reposent des dalles (73) de calcaire blanc liées au mortier gris et petits galets noirs. Les dalles, qui sont en fait des pierres de seuil réemployées, identiques à celles des maisons des potiers, mesurent de 50 à 60 cm de côté et 9 cm d’épaisseur. Elles sont rebouchées et posées en diagonale par rapport au parement du mur 24. D’autres dalles verticales (72) sont plaquées contre le même mur et enduites d’un mortier de tuileau rose (146). L’étanchéité est assurée par un quart de rond à la base.

133Les éléments de datation dans ces zones qui n’ont pas livré de monnaie sont fournis par les nombreuses céramiques retrouvées dans les fosses. S’il n’est pas étonnant d’observer encore en abondance des productions de l’atelier et des céramiques de consommation du xiii^e s., les majoliques de Catalogne, de Valence et de Pise associées à de grandes quantités de vaisselle glaçurée de l’Uzège du milieu du xiv^e s. caractérisent ces niveaux.

2.4.2 Réoccupations des maisons sud

134fig. 27, 29, 33 et 36

135La stratigraphie bien conservée dans cette zone a permis d’avoir une connaissance plus précise de cette nouvelle occupation et de retrouver des installations, aussi sommaires soient‑elles, des artisans forgerons.

136Divers indices attestent une première présence des forgerons, peut‑être plus sporadique et ayant, de toute façon, laissé peu de traces sur le terrain, avant une installation plus structurée, particulièrement dans la maison XI. Les nouveaux artisans s’installent directement sur les niveaux d’occupation des potiers. Les fours détruits jusqu’au niveau de la sole sont comblés, et tous les murs des bâtiments sont repris en élévation, comme l’attestent les coups de sabre ou les changements de matériaux observés aussi bien sur les murs maîtres nord‑sud (21, 23, 19, 86 et 87) qu’est‑ouest (10, 37). Dans un premier temps, le mur sud 97 semble toujours exister. Les seuils donnant sur le chemin sont exhaussés alors que le seuil du mur 87 est bouché. Des sols de terre sont mis en place sur les trois espaces nivelant les niveaux antérieurs. Du nord au sud : 209 espace X, 310‑300 espace XI et 382‑356 dans l’espace XIV. Tous ces remblais sont caractérisés par l’abondance de charbons, de scories, de mâchefer et de corail, ainsi que par la présence, très caractéristique, de pierres gréseuses rainurées de sillons parallèles destinées à aiguiser les objets forgés. Cette première occupation des forgerons‑corailleurs n’a livré que quelques structures artisanales dans la maison X. La cuvette charbonneuse 271 occupe grossièrement le centre de l’espace. Près d’elle se trouve une petite plaque d’argile rubéfiée (360) et une petite fosse d’une dizaine de centimètres de diamètre remplie de clous.

137Ces premiers niveaux d’habitation sont riches en matériel et objets de la vie quotidienne (boucles, pendants et chapes de ceintures, dés à jouer, pince à épiler, etc.). Le monnayage est encore du xiii^e s. (marquisat Raymond VII, denier médiéval), mais la présence d’une monnaie pontificale de Clément VI (1342‑1352) confirme la date du début de la phase 3 qui suit immédiatement la destruction des fours, datée aux alentours de 1340. La présence de céramiques communes glaçurées de l’Uzège associées aux céramiques importées ligures et aux majoliques catalanes, pisanes, valenciennes et du Maghreb, corrobore cette réoccupation dès le milieu du xiv^e s. Rapidement, l’ensemble de ces sols est exhaussé par des remblais (207 dans la maison X, 309 en XI et 326 en XIV) qui permettent la mise en place de nouveaux sols en terre battue liés aux murs est‑ouest par des semelles de mortier qui indiquent que les murs sont recrépis. À ce moment, le mur 97, mitoyen des espaces X et XIV, est entièrement démonté afin de réunir ces deux espaces. La tranchée d’épierrement (355) est comblée par le même remblai que précédemment. Presque sur le même alignement, une murette (50) est construite pour de nouveau délimiter partiellement les deux surfaces, ceci probablement afin de séparer des zones d’activités différentes. Cette construction plus légère s’appuie sur le mur 23. Elle mesure 4 m de long pour 0,50 m de large. C’est un mur mal appareillé fait de petites pierres enduites de mortier qui débordent sur les sols de part et d’autre. Il n’est conservé que sur 0,60 m de haut.

138À partir de ce nouveau sol, des installations spécialisées sont mises en place dans l’espace XI, formant un véritable atelier de forgeron. Ce deuxième état suit immédiatement le précédent. La céramique et les objets du quotidien ne permettent pas de différencier chronologiquement ce deuxième temps très proche du premier et daté par une monnaie de Raymond IV d’Orange, de 1335‑1340, et par un bronze islamique de Méditerranée orientale du milieu du vii^es. de l’Egire (xiii^e s.). Les pierres à aiguiser, les charbons, les scories et le corail se retrouvent dans ces niveaux ainsi qu’un moule de poids en pierre (fig. 41, n^o 3) et des objets en os, en plomb et en cuivre.

2.4.3 La maison XI et ses installations

139fig. 36

140La maison XI est caractérisée par des aménagements regroupés en un ensemble cohérent composé de fosses, de zones d’épandage de déchets et, peut‑être, de stockage de combustible. Les vestiges liés au travail du fer se trouvent principalement au contact des niveaux 208 et 309, percés à partir du premier dans le second. La fosse 302, à peu près circulaire (0,60 m de diamètre) et fortement rubéfiée, est interprétée comme la base du foyer de forge. Le fond du trou contient une petite plaque d’argile de 2 cm d’épaisseur destinée à caler la structure d’un foyer dont on ignore la forme.

141À proximité immédiate, un ensemble de trous de piquets (303) de 11 cm de diamètre marque l’emplacement du bâti du soufflet. La fosse 312, quasiment circulaire (0,30 x 0,25 m de côté et 0,15 m de profondeur), possède des parois renforcées par de petites pierres et le rebord supérieur est marqué par un cordon discontinu de pierres. Sa situation par rapport au foyer et sa morphologie désignent cette fosse comme l’emplacement du billot supportant l’enclume. Il est très difficile de mettre en évidence une aire de battitures autour de l’enclume, mais l’aspect du sol permet de confirmer l’interprétation. Placées immédiatement de l’autre côté du foyer, quatre pierres plates, sises dans une petite fosse de 0, 40 m de diamètre (308), forment un calage plat qui a peut‑être reçu le baquet de trempe.

142Plus difficiles à interpréter sont les fosses 304 et 322. La fosse 322, ronde elle aussi (0,46 m de diamètre), contient du charbon de bois mêlé de terre et de petits cailloux. Elle est bordée sur son flanc nord par un alignement de pierres, vestige d’un aménagement. S’agit‑il d’un foyer secondaire destiné à conserver au chaud certaines pièces en cours de fabrication pendant que le forgeron en travaille d’autres ? S’agit‑il d’un ancien foyer abandonné au profit de 302 ? La fosse 304, de dimension supérieure aux précédentes (0,80 x 0,65 m), paraît avoir subi l’action du feu. Son remplissage (305) est fait d’une concentration de pierres, de charbon de bois, de morceaux de briques pilées, le tout mêlé d’argile. Une pierre à aiguiser s’y trouve, ainsi qu’un palet. Cette structure n’est pas interprétée, Enfin, la fosse 316, de forme indéfinie, contient du charbon de bois pulvérisé presque pur et quelques éléments de mobilier, une aiguille en os, une pierre à aiguiser. Elle pourrait être le lieu de stockage du combustible plutôt qu’une aire de rejet du nettoyage des fours, en raison de l’absence de cendres. Le mur en terre 85, appartenant à la phase précédente, est partiellement recouvert par cette fosse.

143Plusieurs zones d’épandage de déchets entourent ces structures. Certaines sont bien individualisées, comme la fosse 313 avec des scories parfois en plaques et des culots de fonds de fours bien formés, le tout mêlé d’une terre très brune et de céramiques. Au contraire, la cuvette 321‑325 est un immense dépotoir de potier à la limite du niveau d’abandon de l’alandier du four 93 remanié par les forgerons. À la base se trouvent des déchets de cuisson des premiers occupants, puis, dans les niveaux supérieurs, les déchets du travail métallurgique (scories, culots de fonds de four), des débris de corail et des pierres à aiguiser, un palet, des fragments de cuivre et autres objets du quotidien.

144Le dépotoir 321 a conservé au nord plusieurs pierres (314) disposées de façon à constituer un niveau plat correspondant probablement à un calage de poteau ou un support de baquet.

145Des déchets de métallurgie ont également été dégagés dans l’angle nord‑ouest de la maison XI. Il s’agit d’une grande cuvette au contact du mur arasé 86 (317 et 324) qui contient des scories, de l’argile rubéfiée, des nodules de cuivre, du charbon de bois. Une tuyère en céramique en provient. Un alignement de gros blocs (315), en partie pris dans le remplissage de 317, vient buter contre l’arase du mur 86 et le remontage du seuil. Cet ensemble a manifestement subi l’action du feu, mais il n’est pas certain qu’il s’agisse d’une structure de production. Peut‑être est‑ce une aire de dépotoir symétrique à la fosse 439, située à l’opposé, au sud, dans laquelle on a trouvé des scories et une pierre à aiguiser.

146Il a ainsi été possible d’observer un ensemble de structures très complémentaires puisque tous les équipements nécessaires au travail du fer sont réunis sur une petite surface. La nature des vestiges, leur organisation spatiale, l’aspect des déchets sont tout à fait comparables aux forges mises au jour sur le site de Brandes (Alpe‑d’Huez, Isère), datées du xiii^e‑début du xiv^e s. (Bailly‑Maître 1992). Il est très probable que le travail réalisé était du forgeage et non de la réduction ou de l’affinage. L’analyse des scories et des culots prélevés sur le site fournit des indications précieuses.

147Il est à souligner que les forges sont toujours des ateliers très noirs, dont les sols sont fortement imprégnés de charbon de bois, souvent d’assez petite taille et mal entretenus, les forgerons se contentant de rejeter leurs déchets autour d’eux ou devant la porte de l’atelier. La forge de l’espace XI n’échappe pas à la règle.

148Le sol 309 est constitué d’une couche très charbonneuse avec des fragments de corail. La datation avancée est confirmée par le mobilier de la fosse 344, très charbonneuse, riche en déchets d’atelier de potier et de scories, d’objets du quotidien (bouterolle). Lors de la fouille, la zone 344 a été dissociée de la fosse 354, mais la surface de ce remblai appartient au même ensemble. Cette dernière contient des déchets de métallurgie ainsi que deux pierres à aiguiser.

2.4.4 Analyse des scories

149m.‑c.b.‑m.

150fig. 37a

151Des scories provenant des niveaux de dépotoir des forgerons ont été remises à Alain Ploquin, chercheur au centre de Recherches pétrographiques et géodynamiques de Nancy (CRPG) du CNRS, pour être analysées dans le cadre du programme PalSid1.

152Quatre échantillons proviennent des niveaux de remblais du quartier Sainte‑Barbe et un cinquième du chantier voisin, Puget III. La détermination des principaux éléments et des éléments‑traces contenus dans les scories permet de distinguer deux types de produits.

153Les échantillons numérotés par le CRPG 1388, 1389 et 1390 (contexte 313) présentent une morphologie caractéristique de culots. Les analyses « rebouclent » mal car les scories contenaient du fer métal qui ne s’est pas mis en solution et a donc échappé à l’analyse. La composition chimique de ces trois scories les classe dans la catégorie des déchets de forge2. Une scorie de réduction contient généralement, en héritage chimique, des indices du minerai, des cendres et des ajouts. Or les résidus métallurgiques de Sainte‑Barbe sont pauvres en silice (Si), en vanadium (Va), en bérylium (By), en alumine (Al), en chrome, scandium, etc. La scorie provenant du chantier Puget III numérotée 1392 est identique aux trois précédentes et également identifiée comme reliquat d’un travail de forgeage. Le fer métal utilisé était très pur. Deux des échantillons, 1389 et 1390, ont une teneur anormale en cuivre. Cela peut s’expliquer par une possible pollution liée à un travail du cuivre à proximité immédiate. Les observations de terrain avaient montré la présence de ce matériau dans les niveaux de forgerons.

154En résumé, morphologie et composition chimique permettent d’identifier les scories 1388, 1389 et 1390 comme des culots de forges.

155Il en va autrement pour l’échantillon de Sainte‑Barbe numéroté 1391 (contexte 344)3. Sa morphologie est celle d’une scorie coulée, très siliceuse. Elle est, de par sa composition, plus proche du déchet de haut‑fourneau. Compte tenu du contexte de découverte, cette hypothèse ne peut pas être retenue. Il peut s’agir d’une paroi de four fondue, mêlée de cendres et de scories, de type mâchefer. Sa nature très calcique peut résulter du charbon de bois employé. Cependant, la teneur en potasse est trop faible pour parler de mâchefer. Ce résidu reste à revoir, peut‑être l’identification sera‑t‑elle possible si d’autres analyses viennent compléter les premières.

156Les vestiges archéologiques décrits ci‑dessus ainsi que les scories analysées témoignent d’une activité de forgeage certaine.

2.4.5 Les pierres à aiguiser

157m.‑c.b.‑m.

158fig. 34, 37b et tabl. v

159La fouille des niveaux de forgerons a également livré un nombre assez important de fragments de pierres à aiguiser ou à affûter. Au total, 2 affûtoirs entiers et 46 fragments ont été récupérés. On peut penser que ces objets étaient liés au travail des forgerons, probablement pour aiguiser des lames de couteaux ou autres pièces métalliques. Ces pierres, en molasse à grains assez abrasifs, sont striées d’étroites rainures parallèles, creusées par le passage répété de l’objet à aiguiser. Certains de ces affûtoirs semblent être « neufs », les saignées étant encore peu marquées en creux. D’autres ont beaucoup servi. Les sillons les plus profonds ont 5 mm de profondeur pour 8 mm de largeur maximale. La plus importante des pierres à aiguiser entières, n^o 246, pèse 23 kg. Elle mesure 32 x 27 x 10 cm. La seconde, n^o 116, pèse 2,5 kg et mesure 20 x 14 x 4 cm. Les autres éléments ont une épaisseur moyenne de 2 cm mais il ne semble pas qu’il y ait eu de modèle « standard ». Le nombre des rainures varie d’un fragment à l’autre. Sur la pièce entière n^o 246, on dénombre 19 rainures espacées de façon irrégulière (fig. 34, n^o 1). Dans la majorité des fragments, les « gorges » sont rectilignes, mais pour trois fragments, elles suivent une trajectoire courbe (fig. 34, n^os 2, 3). On distingue quatre types d’affûtoirs :
– type 1 – les pierres sont striées sur une seule face, le « dos » étant rectifié pour être très plat, comme en témoignent des traces d’outils (fig, 34, n^os 3, 5) ;
– type 2 – les pierres sont striées sur une seule face, le dos est plat mais dépourvu de trace d’outil (fig. 34, n^o 6) ;
– type 3 – les pierres sont striées sur les deux faces larges, les rainures étant dans le même sens sur les deux côtés (fig. 34, n^o 7) ;
– type 4 – les pierres sont striées sur les deux faces, les rainures du recto étant de 45 à 90^o de celles du verso (fig. 34, n^o 4).

160L’étude de ces objets n’est pas achevée, mais des recherches sont menées pour retrouver des pierres à aiguiser comparables. Une piste mène à Villedieu‑les‑Poêles, en Normandie, où les taillandiers utilisaient des affûtoirs en pierre. Une autre comparaison intéressante peut être faite avec un objet semblable trouvé lors de fouilles de sauvetage sur l’autoroute A5, identifié comme un polissoir néolithique (Augereau, Labriffe 1994 : 27).

161En même temps que les structures de forges, les déchets métallurgiques et les affûtoirs, les niveaux de forgerons ont livré une grande quantité de corail. On sait l’importance du commerce du corail à Marseille au Moyen Âge (Baratier, Reynaud 1951 : 787‑788). Dans le cas des quartiers Sainte‑Barbe et Puget III, on peut imaginer que ce corail servait à décorer les manches de couteaux et que les affûtoirs étaient aussi des polissoirs, pour travailler le corail. Des analyses sur ces pierres pourraient apporter des informations sur la nature des matériaux traités.

2.4.6 Conclusion

162h.m., l.v., m.‑c.b.‑m.

163L’installation d’artisans du feu n’est pas étonnante dans ce faubourg extra muras. Leur présence est également attestée à la même époque, plus au sud, jusqu’au fond du Vieux‑Port. Des vestiges d’installations métallurgiques probablement identiques à celles mises au jour sur le site de Sainte‑Barbe avaient été dégagés lors des fouilles réalisées en 1990 sur le chantier tout proche de Puget III. Elles n’avaient pas été interprétées alors. À la lumière des découvertes récentes, il est possible de replacer ces structures dans un contexte plus général d’occupation artisanale, au nord‑est du rempart, immédiatement après l’abandon des potiers, regroupant à la fois des forgerons, des ouvriers du cuir et des corailleurs (Moliner et al. 1990a : 53‑58 ; Bouiron 1994).

164Quelle est la durée de cette réoccupation ? Peu d’éléments sur le terrain permettent de répondre à cette question, mais les monnaies et les textes confirment leur installation dès 1320 et jusqu’en 1350 (cf. infra § 2.7). Les remblais de destruction qui recouvrent les niveaux d’activité des forgerons sont datés du début du xv^e s. Mais il y a eu dans cette zone une discontinuité de l’occupation à partir du milieu du xiv^e s., comme le confirme l’absence de monnayage de la reine Jeanne. Le quartier est progressivement abandonné puis rasé dans cette période de trouble et d’épidémie de peste, ainsi que les textes le précisent clairement.

2.5 De la destruction du quartier à l’urbanisation moderne

165h.m., l.v.

2.5.1 La seconde destruction et les jardins du xvi^e s. (phase 4)

166Cette nouvelle phase est d’abord marquée par un arasement des élévations des bâtiments presque jusqu’aux sols d’occupation des forgerons, suivi d’un remblaiement important effaçant tout souvenir des maisons médiévales.

2.5.1.1 Les maisons sud

167fig. 26, 27 et 29

168Les niveaux de démolition n’ont pu être observés que dans la moitié est des maisons X, XI et XIV. La construction d’un mur moderne nord‑sud, dégagé en 1989, a en effet coupé tous les niveaux postérieurs à la forge et le terrain a été enlevé pour établir une terrasse devant les maisons du XVII^e s. qui se prolonge aussi en contrebas des espaces VII, VIII et IX. Dans la partie orientale conservée, d’épais remblais se succèdent et recouvrent progressivement la zone sur près de deux mètres de haut.

169Le dernier niveau des forgerons est recouvert par une démolition (160 en XI) riche en tuiles, mortier, scories, et dont la surface forme un sol de terre, localement chaulé. Ce sol, qui résulte du nivellement du remblai sous‑jacent, bute contre le seuil du mur 23 dans la maison XI, encore en utilisation à ce moment. On retrouve ce même niveau dans l’espace XIV à la surface de 326. Il correspond à un réaménagement sommaire après le départ des forgerons et ne semble pas avoir été longtemps utilisé. La céramique de l’atelier est encore présente et associée à du sgraffito ligure, des majoliques catalanes, pisanes et du Maghreb, à un petit reforciat de Robert d’Anjou (1318‑1320) et à un méreau. Ces éléments de datation ne permettent pas de préciser plus tard dans le xiv^e s. l’abandon de ces espaces avant leur arasement.

170Ce sol est scellé par un nouveau remblai de démolition (159), plus épais, formé notamment de tuiles et de moellons de calcaire à la base. On retrouve les mêmes céramiques que dans le remblai précédent, avec l’apparition de majoliques Valenciennes tardives. Ce niveau, qui bute contre le bouchage (49) du seuil du mur 23 alors abandonné, est à mettre en rapport avec l’exhaussement du chemin. Le sommet de ce remblai correspond aussi à un sol tassé de jardin ou plus probablement de passage. À ce moment, les maisons X, XI et XIV sont devenues des ruines inhabitées.

171Le remblai 105, 150‑156 rehausse encore les trois espaces de 70 cm environ. Il se retrouve également sur le chemin au sud et couvre l’arase du mur 23, mitoyen de celui‑ci et de la maison XL C’est encore un niveau de démolition avec des tuiles, du mortier et des pierres, riche en objets (dé à coudre, épingle, corail) et en céramiques de la fin du Moyen Age (majoliques provençales avignonnaises, majoliques pisanes à la croix verte et brune, majoliques Valenciennes bleues et à lustre métallique). Dans les remblais 105 et 156, deux patacs de Louis 11 ou Louis III de Provence (1389‑1417 ou 1417‑1434) associés à une monnaie pontificale de Clément VI d’Avignon, une monnaie médiévale de Gênes et une de Sicile, deux oboles de Charles et Robert d’Anjou confirment la mise en place de ces remblais de démolition à partir du premier tiers du xv^e s. Cet épisode de destruction est soit lié à un nouvel arasement pour la réfection des remparts soit en rapport avec le célèbre épisode du sac de la ville par Alphonse d’Aragon en 1423. Les matériaux de ce remblai, en grande partie rapportés, proviennent probablement de constructions détruites aussi, qui devaient se trouver à l’est de la fouille, indiquant une extension fort probable du faubourg médiéval dans cette direction.

172La topographie du terrain autrefois pentue est alors totalement modifiée. Ce remblaiement annule toute trace d’urbanisme et rehausse les anciens espaces construits X, XI et XIV au même niveau que la cour, le puits et le chemin. L’ensemble devenu quasiment plan se prête bien à la mise en culture et correspond aux représentations des jardins et enclos sur la gravure de G. Braun en 1582 (fig. 8).

2.5.1.2 La cour, le chemin et le secteur nord

173fig. 24, 26 et 28

174Au nord des maisons, dans l’espace ouvert VIII‑IX, le bassin est probablement abandonné puis détruit dans le courant du xv^e s. par le creusement d’une fosse (140) qui contient des fragments de béton de tuileau, provenant du solin du bassin, et de la céramique Valencienne tardive. Cette cour est ensuite nivelée (surface 132) au même niveau que les maisons (sommet du remblai 105) et le puits est toujours utilisé.

175Les niveaux postérieurs au xiv^e s. ne sont pas connus dans la partie nord du chantier, à l’exception d’un lambeau de remblai dans les espaces IV et V contenant de la céramique des xv^e‑xvi^es.

176Durant ces phases successives de destruction et de nivellement du quartier, le chemin, toujours existant, reçoit des apports constants de terres qui le rehaussent progressivement (133, 134, 107, 138). Ces remblais sont riches en majoliques florentine, Valencienne et catalane, et en sgraffito tardif ligure. Une monnaie de Charles VI ou Louis XI (1368‑1422 ou 1423‑1483), un jeton à compter de Vérone du xiv^e s. et un douzain à la croisette de la fin du règne de François I^er confirment l’usage du chemin pendant les xv^e et xvi^e s. pour desservir les jardins. Il reste bordé par les arases des anciens murs des maisons médiévales ou par des murettes remontées sur le même alignement. Au sud, le chemin est limité par une banquette 36 qui tourne à angle droit vers l’est. La surface de circulation est aménagée par endroits à l’aide de galets (116‑153‑205).

2.5.2 L’urbanisation aux xvii^e et xviii^e s. (phase 5)

177fig. 24 et 28

178Cette dernière phase a laissé peu de traces sur cette parcelle car depuis la Renaissance et pendant la période d’urbanisation moderne elle est restée non bâtie au cœur des îlots. Transformée successivement en jardin, en cour de l’hospice des Incurables en 1711, puis en cour d’une caserne au xix^e s. et, enfin, en terrain vague jusqu’à nos jours, cette parcelle centrale du triangle Sainte‑Barbe a été préservée en scellant de ce fait les vestiges médiévaux.

179L’iconographie et les archives éclairent mieux que l’archéologie cette séquence. L’agrandissement de la ville hors les murs s’est fait progressivement pendant la première moitié du xvii^e s. La limite de la ville fortifiée, qui a conservé encore sa première enceinte modifiée par endroits, n’est plus aussi tranchée. Les jardins cèdent progressivement la place à des constructions. Des maisons s’implantent le long des principaux chemins, en simple alignement de part et d’autre du chemin d’Aix au‑delà de l’aqueduc, et, en deçà, au croisement des chemins des Chartreux et de Saint‑Bazile qui remontent du rempart vers l’est. La vue cavalière de Maretz. (xvii^e s. non datée précisément) illustre ces premières constructions encore entourées de vergers mais qui sont rapidement transformées en îlots bâtis, comme le montre le plan de J. Auger de 1652. L’agrandissement de la ville englobant les faubourg à l’est est en fait notifié par la publication des lettres patentes de Louis XIV en 1666. Le plan de Nicolas de Fer daté de 1702 permet de voir alors le nouvel aspect de la ville agrandie à l’aube du xviii^e s. En 1711, l’œuvre de bienfaisance des Paralytiques Incurables est déplacée du faubourg Saint‑Lazare et réinstallée, place de la Halle‑Neuve, dans quatre maisons préexistantes réunies autour d’une cour et un puits telles que l’on peut encore les voir de nos jours dans l’actuelle faculté des Sciences économiques (Durousseau 1990 : 11‑21, 75).

180Excepté les cinq caves de l’îlot de la rue des Chapeliers retrouvées en bordure ouest de la zone 2, les données de terrain dans la zone centrale se réduisent à quelques constructions, des alignements de pieux de bois au nord (soubassements des maisons arasées de l’îlot nord de Sainte‑Barbe) et à des remblais qui se répartissent entre les deux phases d’urbanisation. À la première phase correspondent probablement les aménagements observés dans les espaces VIII et IX. Ils reçoivent dans un premier temps un mauvais sol de terre, chaulé localement et daté par de la céramique pisane incisée des premières décennies du xvii^e s. (sol de travail ? 230‑143). Il est recouvert rapidement par un remblai (144, 145, 149) qui contient toujours de la céramique pisane incisée et des céramiques engobées régionales de la vallée de l’Huveaune. Deux contreforts 25 et 26 sont ensuite construits pour contrebuter le mur 24‑22 qui sert encore de limite au chemin. Orientés est‑ouest, les contreforts ont les mêmes dimensions et une facture grossière (1,80 m de long et 0,65 m de large). Les six assises conservées sont faites de blocs calcaires plus ou moins équarris et liés au mortier. Ils ont pour fonction de soutenir les remblais du chemin qui dessert encore les jardins subsistant partiellement à l’est des nouvelles maisons. Le mur est‑ouest 62, mitoyen des espaces VI et VII, est construit sans doute un peu plus tardivement. Il ferme au nord l’espace qui deviendra une cour entre les îlots de la rue des Chapeliers et de la rue d’Aix. Il est encore représenté sur le cadastre de 1820.

181Dans l’espace VIII, un puisard de 1,70 m de diamètre (298) creusé à la même époque ou antérieurement est recoupé par une tranchée de canalisation (524) qui descend de l’est (altitude dans la berme 13,37 m NGF). Cinq tuyaux de canalisation de 63 cm de long sont encore emboîtés au fond de cette tranchée. L’extrémité ouest de la tranchée correspond à un trou et à un tuyau aménagés dans la paroi du puits (altitude 13,10 m NGF) qui est recouverte de calcite déposée par les chutes d’eau.

182Les remblais 100‑101, épais de 0,50 à 1 m, scellent l’ensemble de la zone. Ils contiennent des céramiques incisées pisanes et communes marbrées et engobées de la vallée de l’Huveaune, caractéristiques du milieu du xvii^e s. Ces mêmes céramiques se retrouvent dans les remblais (145, 166, 239) des espaces VI et VII qui correspondent au même nivellement pour l’urbanisation du quartier. Dans la partie nord‑est du chantier (espaces III, IV, V et XII), les remblais du xvii^e s. avaient été enlevés avant l’intervention des archéologues. Visibles dans la berme limitant le chantier à cet endroit, ils avaient environ 2 m d’épaisseur et semblaient pauvres en céramique. Ils ont été mis en place probablement en plusieurs fois au cours des différentes étapes de l’urbanisation du quartier de la rue d’Aix.

2.6 Le mobilier

2.6.1 Les monnaies

183j.‑l.c.

184fig. 38

185Sur les trente‑huit monnaies identifiables, quatre sont de la fin du xii^e s., deux du tournant des xii^e‑xiii^es., seize du xiii^e s., une du tournant des xiii^e‑xiv^e s., onze du xiv^e s., deux de la fin du xiv^e s. ou plutôt du début du xv^e s., une du milieu du xv^e s. et enfin une du milieu du xvi^e s., qui correspond à la phase 4 (aménagement d’un jardin). La présence d’une monnaie de Raymond‑Béranger et de plusieurs monnaies d’Alphonse d’Aragon du premier type (à partir de 1186) conduit à ne pas exclure que la première phase d’occupation ait commencé dans les dernières années du xii^e s. On note une concentration des monnaies du xiii^e s. et de la première moitié du xiv^e s. L’absence de monnaies de la reine Jeanne marque une coupure. On trouve ensuite deux exemplaires du patac au nom de Louis. H. Rolland attribue tous les patacs de ce type à Louis II (Rolland 1956 : 175‑178, n^o 111), après la réouverture de l’atelier de Tarascon (à partir de 1389 ?). Mais il mentionne (Rolland 1956 : 180) une ordonnance du règne de Louis III (1417‑1434) qui prescrit la frappe du patac, et il reconnaît (Rolland 1956 : 181) que les monnaies frappées sous Louis III se distinguent difficilement de celles du règne précédent : pour les sols coronats, son classement se fonde sur le poids et le titre des exemplaires. Aussi peut‑on supposer que les patacs au nom de Louis peuvent appartenir à l’un ou l’autre règne et que leur répartition devrait se faire en fonction, sinon de leur poids, du moins de leur titre : les deux documents mentionnés par H. Rolland pour le règne de Louis II (Rolland 1956 : 176‑177) mentionnent respectivement pour le patac un titre de deux deniers 12 grains et demi (210/1 000^e), puis deux deniers 6 grains (187/1 000^e). Or l’ordonnance du règne de Louis III prévoit des patacs à un denier 20 grains (152/1 000^e). Sous réserve d’une analyse du titre de ces monnaies, il est d’autant plus tentant de les attribuer à Louis III que la phase 4 à laquelle ils appartiennent semble postérieure à l’incendie et au sac de Marseille par la flotte aragonaise en 1423. Leur poids plaide en faveur de cette datation basse, puisque M 40 (n^o 20) pèse 0,85 g et M 41 (n^o 38), 0,88 g : le premier document cité par Rolland, qui concerne le monnayage antérieur au 15 décembre 1411, mentionne un poids théorique d’environ 1,21 g, et l’ordonnance du 8 mai 1414 prévoit des patacs de 198 au marc, soit environ 1,12 g (1,07 d’après Rolland).

186Du point de vue géographique, ces monnaies sont très majoritairement d’origine provençale, comme on pouvait s’y attendre : seulement cinq du royaume de France (trois royales et deux féodales : Nevers et le Puy) et trois « étrangères » (une de Gênes, voisine ; une provençale de Naples et une arabe, ce qui ne surprend pas dans un tel contexte archéologique) contre trente‑huit monnaies provençales. Mais, à la différence de ce que j’ai pu observer à propos de monnaies trouvées à Aix ou à Digne, la proportion de monnaies marseillaises est naturellement beaucoup plus forte : vingt‑trois monnaies des comtes de Provence, dont quinze marseillaises, une du marquisat de Provence, deux d’Avignon et quatre d’Orange.

187Du point de vue numismatique, on notera l’obole de Robert de Dampierre (M 22 = n^o 292 ; 0,53 g), que Poey d’Avant ne répertorie qu’en denier. Un autre exemplaire, de flan un peu plus large, trouvé en surface dans la région avignonnaise, pèse 0,64 g.

CATALOGUE

2.6.2 Le verre

188d.f.

189fig. 39

2.6.2.1 Verres du xiii^e s.

190Le verre dans les niveaux médiévaux est peu fréquent. On note cependant que les fragments provenant du premier état d’occupation de l’atelier des potiers ont un aspect noirâtre et sont très altérés ; ils ont perdu toute transparence. Cette apparence est souvent révélatrice de la nature du fondant utilisé pour la fabrication de la matière. Ainsi, bien qu’ils n’aient été soumis à aucune analyse, ils sont probablement de composition « potassique ». Composition qui est la règle pour tous les verres du Midi datés entre le ix^e s. et le premier tiers ou le milieu du xiii^e s.

191Les bases des verres à boire recueillies s’apparentent aux rares formes que l’on attribue grossièrement à la période xii^e‑xiii^e s. Ces pieds coniques trapus (fig. 39, n^os 5‑9) ou plus élevés (fig. 39, n^os 2, 4) sont plus nombreux dans les phases 1 (contextes 510 et 349) et 2 (contextes 161, 299, 441) ; de rares fragments sont encore identifiés dans la phase 3 (contexte 389). Il est impossible de restituer la forme générale des verres auxquels appartiennent ces pieds. Ces supports sont assez proches des verres dits « caliciformes » reconnus, dans leur profil complet, uniquement par les découvertes funéraires (Foy, Démians d’Archimbaud 1996). Ils se caractérisent par leur coupe évasée et leur pied conique formé d’une double épaisseur de verre (Foy 1988 : 195‑196). De manière générale, on peut dire que les pieds coniques ou tronconiques, aux proportions très variables, parfois décorés de fines nervures, peuvent appartenir à plusieurs types de verres à boire le plus souvent datés des xii^e et xiii^e s. ; de nombreux exemples proviennent de diverses régions (Foy, Sennequier 1989 : 161‑166 ; aux références citées dans cet ouvrage, il faut ajouter les trouvailles encore inédites de la place Camille‑Jullian à Bordeaux). Un autre fond se distingue par son pourtour élargi et ondulé (fig. 39, n^o 12, contexte 457). Appartiennent aussi au premier temps de l’atelier quelques débris de paroi décorés de pastilles de verre appliquées ; la matière est toujours noirâtre (fig. 39, n^o 10, contexte 652), cette ornementation était jusque‑là inconnue avant la seconde moitié du xiii^e s.

192Le contexte 106 (phase 2B) contenait les fragments de trois pièces (fig. 39, n^os 13‑15) : le col à lèvre ourlé et le fond d’une petite fiole, un fond concave faisant vraisemblablement partie d’un vase à pharmacie ou d’un urinai et la base d’une sorte de tube qui pourrait être celui d’une lampe selon un modèle largement répandu en Orient.

193Le second lot de verres se caractérise par sa matière beaucoup moins oxydée : elle a assez bien conservé sa couleur d’origine, incolore ou bleutée, ainsi que sa transparence. Les types identifiables sont les verres à tige massive (fig. 39, n^o 18, contexte 296) ou creuse (fig. 39, n^o 19, contexte 210). Cette dernière forme est l’une des principales productions des ateliers provençaux de la seconde moitié du xiii^e s., ainsi que l’ont révélé les fouilles de l’atelier varois de Planier (Foy 1988 : 204‑205). Cette même officine fabriquait des gobelets décorés de petites pastilles rapportées sur le corps de l’objet (Foy 1988 : 209‑210, Fig. 56) ; ces pièces se rencontrent en petite quantité dans des habitats et les sites religieux attribués à la seconde moitié du xiii^e s. (par exemple à Montpellier, Rougiers, motte de la Grande‑Bastide, Saint‑Symphorien‑de‑Buoux, synagogue de Carpentras...) ; nous en trouvons aussi à Sainte‑Barbe (Fig. 39, n^os 16‑17).

194Les deux derniers fragments provenant de la réparation de la porte du four 103 (fin de la phase 1) et du comblement du four 107 (2A) (fig. 39, n^o 20, contexte 572) (fig. 39, n^o 21, phase 2A) sont des gobelets étroits décorés de filets de verre bleu rapportés ; bien que cette ornementation apparaisse dès la seconde moitié du xiii^e s., elle est surtout caractéristique des productions du siècle suivant (Foy, Sennequier 1989).

195Parmi les verres de l’état 1, une pièce détonne : c’est un rebord de goulot à peine bleuté. Un cordon bleu d’outremer entoure l’embouchure de manière à former une lèvre épaisse ; au‑dessous, un filet de teinte bleu pâle bague le goulot sur trois rangs au moins (fig. 39, 1, contexte 676). Ce verre, très probablement résiduel, est sans doute du haut Moyen Age, voire carolingien (?) ; il rappelle, par sa teinte et son cordon outremer, une découverte faite dans les fouilles de la place Camille‑Jullian à Bordeaux (publication en cours), dans un contexte daté des x^e‑xii^es.

2.6.2.2 Verres du xiv^e s.

196Dans les niveaux des phases 3 et 4, les verres incolores ou légèrement bleutés appartiennent aux formes les plus fréquentes du répertoire de la verrerie du xiv^e s. Les gobelets sont identifiables par les fonds portant toujours la marque du pontil. Certains ne sont pas décorés (fig. 39, n^os 26, 27, contexte 198), mais la plupart sont ornementés de motifs obtenus en soufflant l’objet dans un moule : on observe des côtes épaisses, en S, qui, sur les parois du verre, se transformeront en spirales (fig. 39, n^os 22, 23, contextes 209 et 159), des nervures fines (fig. 39, n^o 24, contexte 382) ou un pastillage (fig. 39, n^o 25, contexte 382). Un fond plus haut peut être une partie d’une fiole (fig. 39, n^o 29, contexte 102), un autre, convexe, est attribué à un vase à pharmacie ou un urinai (fig. 39, n^o 28, contexte 326). Un rebord de goulot et un fond (fig. 39, n^os 30, 31, contextes 160 et 310) appartiennent à des bouteilles en verre vert bleuté, assez épais ; le fond et la panse sont couverts de pastilles hexagonales ; le goulot est bagué à sa base ; c’est le récipient le plus commun du xiv^e s. (Foy 1988 : 241‑250). Les trois dernières pièces ont en commun le cordon pincé rapporté autour du fond ; des filets de verre bleu rayonnent parfois à partir du centre du fond et remontent sur les parois (fig. 39, n^os 32‑34, contextes 344, 310, 134) : ce sont des bases de coupes servant vraisemblablement de lampes (Foy 1988 : 231‑236).

197Bien que fort ténues, des traces de fusion du verre sont perceptibles mais difficilement interprétables. Des tesselles de mosaïque en pâte de verre bleue, servant pour la coloration, pourraient provenir de contexte de l’Antiquité tardive et donc être résiduelles (trouvées en 453). Mais d’autres pièces nous paraissent contemporaines de l’atelier de potier. Nous trouvons des déchets infimes et des gouttes de verre en 605 et 514 (phases 2A et 1) ; les deux éléments les plus convaincants sont deux surplus de matière vitreuse coupés à la pince. Leur aspect allongé en forme de larme est caractéristique des rebuts de verre habituellement présents sur les officines médiévales. À ces rares témoignages, on pourrait ajouter un fragment de céramique dont la surface interne vitrifiée fait penser à un rebord de creuset (fig. 269).

198Ces maigres indices ne suffisent pas pour affirmer qu’il y a eu sur ce site, parallèlement à la production de céramiques, une fabrication de verres. Aucun four ne semble avoir été réservé à cet usage. On a pourtant maintes fois retrouvé, ou cru repérer, dans des fouilles d’ateliers antiques (par exemple à Autun) ou médiévaux ces deux artisanats implantés sur le même lieu. Ainsi, sur le site de Bayyana (Alméria) occupé au début de l’époque islamique, une grosse officine de potier a été révélée. Outre les nombreux fours pour la céramique, on a décelé un four de verrier, identifié comme tel en raison de sa forme générale, bien que la fonction réelle de cette structure ne paraisse pas évidente à la lecture de la publication (Acién Almansa et al. 1990). Aucun des rebuts habituellement liés à l’art du verre ne sont mentionnés. Ce four n’aurait‑il pas fait partie de l’officine principale de céramique en servant à la fabrication, ou seulement à la refonte, de verre nécessaire à la glaçure des céramiques ?

199La dépendance de ces deux artisanats est admise à Fostat. Les fours servaient à fabriquer, selon l’interprétation des fouilleurs, des lingots de verre (retrouvés en très grand nombre) destinés à confectionner la glaçure des poteries (Scanlon 1965 : 18‑19 ; Scanlon 1967 : 73‑77 ; Kubiak, Scanlon 1980 : 84 ; Scanlon 1981 : 59‑61).

200Les rares témoignages retrouvés à Sainte‑Barbe sont vraisemblablement liés à la fabrication de la glaçure des céramiques mais ne signifient pas pour autant que l’on ait produit du verre sur place ; les artisans ont pu tout simplement faire fondre des lingots de verre ou plutôt des débris de verre récupérés à l’extérieur de leur atelier. Cette pratique de recyclage est attestée aussi bien pour les artisans verriers que pour les céramistes dès le milieu du xiv^es., au moins, en Italie (Biavati 1981 : 629 ; Biavati 1982).

2.6.3 Les objets du quotidien

201l.v.

202fig. 40 et 41

203Les objets de la vie quotidienne en pierre, en os, en bronze, en tôle de cuivre ou en fer sont très peu représentés dans les niveaux anciens des potiers, à l’exception d’une chaînette (fig. 40, n^o 22), d’un fermoir de ceinture en bronze doré à double chape et d’une chape fixe à décor incisé (fig. 40, n^os 1, 2). Quelques‑uns proviennent de la phase 2B (fig. 40, n^o 4, 11, 16, 24, 25) mais la plupart étaient concentrés en phases 3 et 4 dans les contextes du milieu du xiv^e s. et du xv^e s. Ils font partie du répertoire classique des objets retrouvés en Provence au bas Moyen Âge (Démians d’Archimbaud 1981a : 411‑527). Les outils ou pièces en fer sont assez rares et sans doute récupérés selon une coutume constatée à Rougiers dans les périodes les plus anciennes. Des clous, des lames, un fer à équidé de petite taille, des boucles de harnachement et un pic et une fourche issus des remblais de l’atelier ont pu être identifiés (fig. 41, n^os 1, 2). Les objets confectionnés en pierre ou en tuile sont des palets, des broyeurs, un mortier, un jeu de mérelle gravé sur une tegula (fig. 42) (Fixot, Pelletier 1996b) et un moule en calcaire gréseux pour un poids fleurdelisé octogonal (fig. 41, n^u 3). On trouve également des dés à jouer en os (fig. 40, n^o 24), une perle en corail et une coquille contenant un pigment rouge de vermillon pur, bien conservé, qui a pu servir de godet à couleur pour un peintre4. Les objets les plus nombreux sont réalisés en tôle de cuivre ou en bronze moulé. Ils concernent l’habillement (fig. 40, n^os 1‑11 : boucles, chapes et pendants de ceintures, bouton), la couture (fig. 40, n^os 20, 21, 27, 28 : épingles et dés à coudre), la toilette (fig. 40, n^os 17, 18 : cure‑oreille et pince à épiler). Un anneau en or bien ouvragé et aux extrémités zoomorphes (fig. 40, n^o 3), sans doute d’époque hellénistique, est à signaler comme un objet réemployé au Moyen Âge. Des bouterolles pour des couteaux ou dagues (fig. 40, n^os 12‑15), un poids (n^o 23), des bossettes et autres éléments décoratifs (fig. 40, n^os 25, 26, 16, 23) complètent ce répertoire d’objets du quotidien bien spécifiques des modes d’une époque et de l’évolution des goûts. Leur datation s’accorde avec les quelques études de matériel effectuées sur des habitats contemporains.

2.6.4 Les céramiques de consommation

204l.v.

205tabl. vi et vii

206Leur présence sur un site de production est importante et bien attestée pendant toutes les phases de l’atelier. Ces poteries utilisées par les artisans constituent certes un petit lot par rapport à la masse écrasante des céramiques produites sur place, mais elles n’atteignent cependant pas moins de 1 % de l’ensemble, soit 2 082 tessons. Dans les phases suivantes, elles sont trois fois plus nombreuses. Comme on a pu le voir auparavant (cf. supra chap. 2), leur identification a contribué à affiner la chronologie, mais leur étude précise aussi le répertoire des céramiques consommées sur un site urbain qui constitue un marché potentiel important. Si la plupart des catégories avaient été jusque‑là repérées dans les stratigraphies provençales, il en est apparue de nouvelles qui sont aujourd’hui mieux quantifiées (Démians d’Archimbaud, Picon 1980 ; Démians d’Archimbaud, Lemoine 1980 ; Mannoni 1975 ; Berti et. al. 1986).

207Tout au long du xiii^e s. et jusqu’au début du xiv^e, pendant les phases 1, 2A et 2B, il est évident que les céramiques communes grises de l’arrière‑pays varois représentent la moitié de la consommation. Elles restent encore présentes en nombre pendant la phase 3. Mais leur importance décroît au profit des céramiques claires de l’Uzège qui dominent au xiv^e s. Deux nouvelles catégories de céramiques communes font désormais partie des vaisseliers urbains du xiii^e s. : ce sont les céramiques culinaires à pâte rouge glaçurée de Ligurie et les grands bassins glaçurés catalans (fig. 59) repérés depuis plusieurs années en petit nombre dans les villes et sur la côte. À Marseille, ces vases concurrencent les céramiques à pâte claire glaçurée d’Ollières qui reste le site pourvoyeur de l’arrière‑pays. La première grande série de céramiques fines arrive toujours de Ligurie (fig. 58) mais est accompagnée d’une poussière de produits venus de tous les horizons méditerranéens : Méditerranée orientale (fig. 53), Sicile, Italie centrale et méridionale (fig. 56), Maghreb et Espagne du Sud (fig. 53‑55, 57). Compte tenu de leur rareté ou de leur chronologie haute, certaines céramiques seront plus spécialement développées ci‑dessous. Leur présence n’est cependant pas exceptionnelle dans ce grand port d’arrivée mais aussi de redistribution. Dans la période 2B, les catégories se diversifient avec l’apparition des majoliques catalanes (fig. 60, 61) et pisanes (fig. 62, n^os 1‑4) qui contrebalancent les importations encore massives de sgraffito ligure. Au milieu du xiv^e s., pendant la phase 3, on constate encore la même triade. La part des importations Valenciennes est encore minime. Leur faible représentation tout comme celle des majoliques de la vallée du Rhône et des céramiques à pâte rouge glaçurée d’Ollières s’explique en partie par l’interruption de l’occupation du site pendant toute la seconde moitié du xiv^e s. qui constitue la période de leur plus grande diffusion. À la fin du Moyen Âge et au début de l’Époque moderne, le faciès céramologique change. Dans la phase 4, Pise et Valence (fig. 62, n^os 2‑3 ; fig. 63) se partagent le monopole des exportations de vaisselles émaillées au détriment de Florence, de Barcelone et des productions engobées ligures et régionales. La dernière phase (phase 5) bien connue par les stratigraphies marseillaises n’est pas exploitable sur ce site. Mais on constate dans les remblais du xvii^e s. conservés l’apparition des céramiques pisanes incisées et de celles reproduites localement dans la vallée de l’Huveaune (Abel, Amouric 1991 ; Abel, Aniouric 1993).

2.6.5 Les céramiques communes régionales en pâtes brune et grise

208j.‑p.p.

209fig. 43 à 49

210Les céramiques communes régionales, bien différenciées des productions de l’atelier avec leurs pâtes réfractaires dépourvues de glaçure, n’ont été retrouvées qu’en faible quantité mais sont typiques de la fin du xii^e s. et du xiii^e s. On distingue un petit lot d’une vingtaine d’objets en pâte brune, et un groupe plus important, que l’on peut estimer à une centaine de formes environ, en pâtes grises cuites en atmosphère réductrice. Seules les pièces les plus intéressantes ou les plus significatives seront présentées ici.

2.6.5.1 Les céramiques en pâte brune

211fig. 43

Les pâtes

212Ces productions bien particulières sont caractérisées par des pâtes dont les teintes varient du brun‑rouge au gris‑brun. Les textures sont assez grossières et peu homogènes, avec de nombreuses inclusions aux arêtes vives en calcaire, calcite ou quartz, argile ou céramique broyée, et mica en particules fines. Il faudra procéder à des analyses pétrographiques et géochimiques afin de mieux caractériser les composants et déterminer leurs origines géologiques. Les cassures, parfois relativement franches, sont le plus souvent irrégulières, parfois délitées ou feuilletées. Ces pâtes ne sont pas sans rappeler un type de production observé à Fréjus dans des niveaux des xi^e s. et xii^e s. (fouilles de l’ancien hôpital dirigées par P.‑A. Février et M. Fixot, publication en préparation), et dont l’origine paraît plutôt locale par opposition aux céramiques grises régionales « classiques ». Des exemplaires comparables ont été retrouvés à Aix, dans des niveaux du xiii^e s. de l’enclos de la Seds (Fixot et al. 1990 : 72), à Marseille, près du rempart médiéval (Gantés et al. 1990 : 55‑56), dans le comblement d’un puits bien daté de la seconde moitié du xiii^e s. par des monnaies et des céramiques importées avec quelques tessons de l’atelier de Sainte‑Barbe (Moliner 1990 : 210), dans les fouilles de la place du Général‑de‑Gaulle (Richarté 1994 : 309‑312) et du futur musée César (Parent 1997 : 7, fig. 16), à Fos‑sur‑Mer (fouilles J.‑Ph. Lagrue en 1994), et en quantités notables à Arles, notamment, dans les fouilles des thermes effectuées en 1971‑1973 (renseignement J. Piton) ainsi que dans le port de Lattes (près de Montpellier, fouilles C. Landes, identification L. Vallauri).

213La cuisson est parfois homogène, mais on observe souvent dans les cassures un début de cuisson en atmosphère réductrice donnant une teinte grise ou gris‑brun foncé dans le cœur et une fin de cuisson en atmosphère oxydante colorant les franges et la surface en brun ou brun‑rouge.

214La surface est souvent rugueuse, avec des raies de tournage peu marquées à l’intérieur ; à l’extérieur, un façonnage grossier ainsi que des rectifications manuelles et à l’outil, plutôt localisées dans la partie inférieure des objets, ont effacé la plupart des traces dues au tournage. La technique du tournage semble mal maîtrisée ou s’est mal accommodée du type d’argile utilisé : les formes ne sont pas régulières, et leur aspect semble souvent plus apparenté au modelage en raison des nombreuses rectifications effectuées après tournage.

Les formes

215Les formes retrouvées ici sont toujours des pots. La présence probable d’un bec pincé entraînant une déformation de grande amplitude sur la plupart des objets rend difficile ou imprécise la mesure du diamètre des rebords pour nombre d’entre eux. Aucune trace d’anse ou d’autre mode de préhension n’a été retrouvée. Les rebords sont toujours de profil très simple, « mou », déversé à l’extérieur. Les fonds sont nettement bombés. Les formes sont lourdes, plus larges que hautes, et pour autant que l’on puisse en juger, le diamètre maximal semble situé aussi bien aux deux tiers de la hauteur qu’au milieu ou même vers la partie inférieure. L’épaisseur des parois assez importante dans les parties hautes (5 à 7 mm) devient plus mince (3,5 à 4,5 mm) à proximité du fond.

216On peut distinguer trois types de vases : les grands modèles (fig. 43, n^os 2‑8, 15), ceux de taille moyenne (fig. 43, n^os 1, 9‑11) et les petits (fig. 43, n^os 12‑14), proches des pégaus.

217Les grands pots ont un diamètre moyen au rebord de 19 à 22 cm ; avec 24 cm le n^o 4 semble exceptionnel. Les fonds bombés sont assez évasés, formant un angle de 50 à 55 degrés avec l’horizontale ; ils présentent souvent les traces d’un contact direct avec le feu, impliquant une fonction culinaire qui ne peut exclure celle de conservation. Les contenances sont importantes, de l’ordre de 5 à 7 litres. Le dessin n^o 7 est un montage effectué à partir de deux objets différents pour restituer la silhouette d’une forme complète. Les vases moyens ont un diamètre de 13 à 15 cm au rebord, et leur contenance peut être estimée entre 2 et 2,5 litres. Le n^o 9 présente un décor d’incisions régulières sur la frange externe du rebord, et le n^o 11 un décor de deux raies horizontales faites à l’outil lors du tournage.

218D’autres fragments sont plus apparentés aux techniques de la céramique commune grise qu’à celles utilisées pour les autres pots. La section du rebord n^o 12, bien qu’il comporte l’amorce d’un bec pincé, est comparable à celle de certains pégaus ; il en est de même pour les fonds pourtant nettement bombés n^os 13 et 14 où l’angle de 60 degrés entre la base de la panse et l’horizontale est plus proche de la verticale, donnant une silhouette plus élancée.

Datation et origine

219Ces poteries ont été le plus souvent retrouvées dans les contextes les plus anciens, en phase 1 (fig. 43, n^os 3, 5, 8, 9, 11‑14) ou 2A (fig. 43, n^os2, 7, 10, 15). Leur utilisation s’est peut‑être poursuivie au cours de la phase 2B (n^o 6), où elles sont déjà rares, mais elles n’apparaissent plus qu’à titre résiduel dans les niveaux postérieurs. Il semble donc logique de les attribuer à la fin du xii^es. et au début du xiii^e s.

220En raison de son caractère rustique, cette production semble être plutôt régionale. À l’heure actuelle, elle a été mise en évidence de façon ponctuelle sur les franges côtières languedociennes et provençales, ainsi que dans le port rhodanien d’Arles. Cette diffusion limitée, sans doute par cabotage, pourrait inciter à ne pas lui attribuer une origine locale, d’autant que la nature des pâtes rappelle non seulement les exemples médiévaux de Fréjus déjà évoqués, mais aussi les céramiques antiques modelées (1^er‑ vi^e s.) de la région de Toulon (Bérato et al. 1986 : 159‑ 164) dont « les composants non plastiques de la pâte tendraient à situer les ateliers dans les massifs anciens des Maures ou à leur périphérie dans la vallée de l’Argens ». Les premières observations de lames minces faites par M. Picon vont dans ce sens.

221Quelques éléments présentant des caractères très comparables à ceux des objets marseillais ont été retrouvés en 1994 dans des niveaux des xii^e et xiii^e s. de la basilique de Saint‑Maximin, dans le Var (fouilles dirigées par M. Fixot et J. Guyon), à une quarantaine de kilomètres de la vallée de l’Argens, ce qui ne représente guère qu’une journée de transport, et donc une commercialisation possible.

2.6.5.2 Les céramiques en pâte grise

222Le type de cuisson des poteries en atmosphère réductrice, ou plutôt le mode B défini par M. Picon (Picon 1973 ; Picon 1995), a été pratiquement exclusif en Provence occidentale depuis l’Antiquité tardive et a perduré jusqu’à la fin du xiii^e s. Les ateliers connus restent rares. Pour la région marseillaise le seul exemple médiéval précis se trouve à Mimet (Pelletier, Vallauri 1992). Dans le Var, les productions des ateliers d’Ollières ont été largement diffusées (Démians d’Archimbaud et al. 1985), et un four a été mis en évidence en 1965 à Cabasse par M. Bérard (Pelletier, Bérard 1997). Dans le Vaucluse, un autre four a fourni des marmites et des pégaus (Bonhoure, Marchesi 1993).

Les marmites et couvercles décorés à la molette

223fig. 44 et 45

224Cette série d’objets a été fabriquée dans la région d’Ollières (Var). Les caractéristiques des pâtes dures, assez grossières, avec de nombreuses inclusions, ont été mises en évidence avec le matériel des fouilles de Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 281), et les analyses géochimiques ont confirmé l’homogénéité de cette production (Démians d’Archimbaud et al. 1985 ; Démians d’Archimbaud, Picon 1986 ; Démians d’Archimbaud, Picon 1987). Le répertoire des formes et des décors renvoie directement à celui obseivé à Rougiers, et certains objets sont à l’évidence issus du même atelier.

225Les teintes des pâtes grises d’Ollières, plus claires à l’intérieur qu’à l’extérieur, varient généralement du gris clair ou gris souris (fig. 44, n^os 29‑30) au gris très foncé, voire presque noir (fig. 44, n^os 21‑26, 28). Certaines pièces ont subi des recuissons oxydantes (cf. § 2.6.5.3).

J.‑P.P./ CNRS del.

Les formes

226La plupart des marmites (fig. 44, n^os 16‑22, 26, 27) correspondent au type a de Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 297‑300), avec le rebord incliné vers l’intérieur au‑dessus d’un col de section arrondie. Les anses horizontales sont rubanées, donc sans cannelures, assez épaisses, avec sur la face interne un bourrelet toujours placé vers le haut. À Rougiers, la moyenne du diamètre des rebords est située autour de 15 à 16 cm, et c’est le cas ici des n^os 20 et 21, tandis que les autres, compris entre 18 et 21 cm (fig. 44, n^os 17, 18, 26, 27) sont sensiblement plus larges. Le n^o 28, avec une lèvre plus aplatie proéminente à l’intérieur et des anses plus fines avec des cannelures, appartient au type b (Démians d’Archimbaud 1981a : 299‑300).

227Les fragments de deux couvercles (fig. 44, n^os 29‑30) qui devaient comporter un bouton central de préhension appartiennent aux mêmes productions varoises. La forme quelque peu tronconique du n^o 30 n’avait pas été observée à Rougiers.

Les décors à la molette

228À l’exception du motif simple n^o 19 formé de deux rangs d’incisions obliques opposées en chevrons, les décors à la molette sont assez complexes. Les motifs géométriques les plus répandus sont obtenus par combinaison de traits rectilignes et parallèles horizontaux, verticaux et obliques, parfois subdivisés de façon à former des petits triangles ou un alignement de points quadrangulaires (fig. 44, n^os 16‑18, 20‑22, 29, 30). La section de la molette qui a servi pour les marmites n^os 16 et 17 est restituée en haut à droite du n^o 17. Large de 12 mm et de 35 mm de diamètre, elle a imprimé un motif long d’une dizaine de centimètres. Ce même outil a été utilisé pour décorer une marmite de Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 298, fig. 247, n^o 23), ce qui prouve de façon indubitable qu’il s’agit du même atelier.

229Une autre forme plus élaborée d’ornementation (fig. 44, n^os 23‑28) renvoie directement aux motifs curvilignes, « à pétales » et rares observés à Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 313‑315). L’emploi des courbes et des plages en creux, nécessitant un travail plus recherché dans la façon de tailler les molettes, permet d’obtenir des décors figurés : fleur de lys (n^o 23), fleurs et pétales (fig. 44, n^os24, 27, 28), ou étoile (n^o 25). Le n^o 26 présente encore une certaine parenté avec les motifs géométriques.

Datation

230Les marmites de type a ont été retrouvées à Rougiers dans les niveaux profonds de la période Al, datée par les monnaies de 1177 à 1246, et on peut considérer qu’elles existent à la fin du xii^e s. Dans l’atelier de Sainte‑Barbe, elles sont attestées en phases 1 (fig. 44, n^os 16, 23), 2A (fig. 44, n^os 19, 26, 27), et naturellement dans les phases postérieures en raison des remaniements multiples. Par exemple, la marmite n^o 17, recueillie dans le comblement du four 98, en phase 2B, a été fabriquée en même temps que la n^o 16 provenant des sols de la phase 1.

231Les marmites de type b ont été produites vers le milieu et la seconde moitié du xiii^e s. (période Bl, 1246‑1285), et on en retrouve ici en phase 3 (n^o 28). Peu nombreux, les couvercles comparables sont en période B1 à Rougiers, c’est‑à‑dire le milieu et la seconde moitié du xiii^e s. : on les retrouve ici en phases 2A‑B (n^o 29) et 3 (n^o 30).

232Le même phénomène est constaté à propos des décors géométriques réguliers et des motifs rares, les plus anciens, en période À à Rougiers et ici en phase 1 (fleur de lys n^o 23, décor géométrique n^os 16‑17). Les motifs curvilignes appartiennent à la séquence plus tardive, période Bl à Rougiers ou phases 2A‑B dans l’atelier de Sainte‑Barbe.

Les marmites d’origines diverses

233fig. 46

234Un deuxième groupe de marmites est plus hétérogène. Celles comportant un fond plat étaient très rares à Rougiers. La petite forme n^o 31 (13 cm de diamètre au rebord), remarquable aussi par la minceur des parois (2 mm), est en pâte fine kaolinitique, gris très clair dans les cassures et noire en surface ; le décor est limité à une incision horizontale faite à l’outil sous un rebord dont on ne connaît pas d’autre exemple. La nature de la pâte pourrait faire penser à des productions de la basse vallée du Rhône, mais il est certain que les petits gisements d’argiles kaolinitiques sont nombreux, même si on ne peut cerner des centres précis. Le fond bombé, apparenté à celui des pots fabriqués du haut Moyen Âge au xi^e s, (Fixot, Pelletier 1983 ; CATHMA 1986 ; Pelletier, Poguet 1993 ; Fixot, Pelletier 1996a), pourrait témoigner d’une survivance, ou encore de la méconnaissance des techniques de tournage du fond globulaire.

235La forme n^o 32, avec des parois particulièrement minces (1,5 mm au niveau du col), comporte des anses horizontales fixées sur le rebord. Ce type d’attache n’est pas connu dans notre région. La pâte comporte des nodules ferrugineux mais semble moins grossière que celle d’OIlières.

236En revanche, l’origine d’Ollières ne fait pas de doute pour les fragments de grand diamètre (19 à 25 cm au rebord) n^os 33‑37, sur lesquels il faut imaginer des anses horizontales. La marmite n^o 33, avec un rebord de type a, est décorée par une molette au motif très simple, constitué de cinq rangs de points ; un seul exemplaire comparable a été observé à Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 298, fig. 247, n^o 4). Le bord n^o 34, variante des rebords de type a, est décoré à la roulette ; ce type d’instrument plus simple et plus petit que les molettes, ne comportant qu’un seul rang d’incisions, a été peu employé sur les marmites : à Rougiers on le retrouve sur seulement 16 % d’entre elles (Démians d’Archimbaud 1981a : 298‑299 et 312, fig. 245, n^o 2, fig. 247, n^o 3, fig. 248, n^os4, 5, 8, fig. 251, n^o 3). Les bords n^os 35‑37 sont de type b ou c avec un col rigide et une lèvre proéminente à l’intérieur (Démians d’Archimbaud 1981a : 300‑302) ; le n^o 35 est décoré de stries faites au peigne, une simple rainure à l’outil anime le col du n^o 36.

237L’objet n^o 38 pourrait être une marmite, mais le rebord ne correspond pas aux types connus ; en outre, parmi les 30 tessons attribuables à cette poterie, tous retrouvés dans la démolition des fours 99 et 110 et le comblement du four 98 (phase 2B), figure un fragment de fond plat mais aucun élément de fond globulaire. Plusieurs tessons présentent des dépôts de pâte additionnels, faits après tournage sur certaines zones de la face externe, qui évoquent des défauts dans le façonnage ou des traces de collage à d’autres objets. Enfin, la pâte, comparable à celle d’Ollières, semble avoir été directement cuite en atmosphère oxydante plutôt que rougie après coup. Il s’agit peut‑être d’une fabrication de l’atelier de Sainte‑Barbe, utilisant la terre réfractaire importée d’Ollières, au même titre que les alambics par exemple (cf. infra fig. 265).

238La marmite à fond plat n^o 31 provient de remblais anciens de la phase 1. Les autres ont été retrouvées dans des contextes des phases 2A (n^os 33‑34), 2B (n^os 32‑38), ou sont résiduels en phases 3 (n^o 35) et 4 (n^o 36). À Rougiers, les types b et c de grand diamètre sont les plus tardifs (Démians d’Archimbaud 1981a : 302), de même que l’ornementation linéaire. Par exemple, le décor de stries sera assez répandu sur les marmites en pâte claire du xiv^e s.

Les pégaus

239fig. 47

240Les pégaus étaient les poteries les plus couramment utilisées aux xii^e et xiii^es. A Rougiers, ils représentaient près de 43 % des objets en céramique grise, suivis de peu par les marmites avec 37 % du total (Démians d’Archimbaud 1981a : 292‑297). Mais la finesse des parois, cause d’une importance fragmentation, ne permet guère de retrouver des restes significatifs en proportion comparable à celle de leur fréquence, et il n’a pas semblé utile de retenir ici les petits tessons isolés de fonds, de rebords, ou de départs d’anses, d’un intérêt très secondaire, recueillis dans les niveaux des phases 3 ou 4 et qui correspondent au type plus tardif c de Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981a : 295‑296).

241Le pégau provençal est défini par sa taille réduite, le plus souvent entre 10 et 12 cm de hauteur, rarement plus de 14 ou 15 cm, pour un diamètre équivalent ou légèrement supérieur ; il comporte toujours une anse verticale fixée sur le rebord ; le col est inexistant, avec le rebord situé au sommet de la panse ; le fond plat ou légèrement bombé est assez large (près des trois quarts du diamètre maximal), d’un diamètre supérieur ou égal à celui du rebord, lequel ne comporte que très rarement un bec pincé (Pelletier 1995 ; Démians d’Archimbaud, Pelletier 1995). La légèreté des exemplaires entiers que l’on retrouve fréquemment dans les sépultures est surprenante et témoigne de la dextérité et de la maîtrise du tournage des potiers de l’époque ; à titre d’exemples, un pégau de taille moyenne, d’une contenance de 0,6 litre, ne pèse que 300 g, et 500 g pour un modèle un peu plus gros, de 1,35 litre, alors que les bouteilles en verre de 1 litre que nous utilisons actuellement pèsent environ 700 g (Pelletier 1995).

242On retrouve dans les phases 1 et 2 de l’atelier de Sainte‑Barbe deux types définis à Rougiers et qui correspondent aux productions d’Ollières. Ceux comportant un rebord « à poulie » ou « en bandeau », de type a2 (fig. 47, n^os 39‑41), sont décorés sans trop de soins à la roulette, comme la plupart des exemplaires connus. L’attache de l’anse se fait en incluant le rebord, et une empreinte de doigt se trouve souvent à la base. Les formes à rebord court comportant une gorge interne perpendiculaire au sommet de la panse, de type b (fig. 47, n^os 43‑45), sont décorées de raies horizontales plus ou moins marquées, ce qui est le cas pour la moitié des vases de ce type à Rougiers. Les anses sont pratiquement toujours rubanées (dans une proportion de 95 %), et le fragment n^o 42 constitue un des rares exemples d’anse cannelée.

243Un autre pégau, en pâte gris clair très fine, comporte un rebord épais, de section rectangulaire, avec attache de l’anse rubanée du type incluant le rebord (n^o 46). Ces caractères l’apparentent à première vue au matériel de l’atelier de Mimet (Pelletier, Vallauri 1992 : 233, fig. 5, n^o 6, notamment), mais une analyse géochimique n’a pas permis de retrouver les similitudes attendues, de même que pour les grands pots de fabrication comparable.

244Les éléments présentés ici proviennent pour la plupart de la phase 1 ou 2A (fig. 47, n^os 40‑43, 45‑46), et la présence dans le comblement du four 98 des mêmes formes (fig. 47, n^os 39, 44) semble être résiduelle. On les retrouve dans les niveaux les plus anciens de Rougiers, en période A1‑A2, et les rebords de type a2 en poulie sont qualifiés de « production d’origine certainement antérieure mais peut‑être déjà partiellement archaïque » (Démians d’Archimbaud 1981a : 295) ; le déclin des rebords de type b est moins rapide au cours de la seconde moitié du xiii^e s.

Les formes ouvertes : jattes, écuelle et bols

245fig. 48

246Alors que les formes ouvertes étaient couramment utilisées durant l’Antiquité tardive, elles ont pratiquement disparu au cours du haut Moyen Âge et ne représentaient plus que 1 % des vases en commune grise de Rougiers, où il faut attendre le xiv^e s. pour les retrouver en nombre significatif avec 10 % des objets (Démians d’Archimbaud 1981a : 303‑304).

247En raison de cette rareté, les quelques éléments de Sainte‑Barbe ont été tous représentés, malgré leur état fragmentaire et parfois l’incertitude de leur attribution à cette catégorie. C’est le cas du rebord n^o 47 dont la section peut rappeler certaines marmites : il comporte un type de départ d’anse que l’on ne retrouve pas sur ces dernières, et son diamètre est supérieur à la moyenne. De même, le rebord n^o 53 ressemble aux marmites de type b, mais la présence d’un bec pincé l’apparente plutôt à celui d’une jatte. Par contre, les tessons n^os 49‑52 appartiennent de façon certaine à des jattes ; outre le profil des rebords parfois comparable à celui d’objets de la seconde moitié du xiii^e s. en pâte claire glaçurée (Démians d’Archimbaud 1981a : 326, fig. 286, n^os 2, 3, 10 pour les n^os50, 52 et 51 de Marseille), les diamètres importants (21 à 30 cm), la présence de becs verseurs ou de décors en relief sur les panses constituent des critères suffisants.

248L’écuelle décorée à la roulette n^os 54, à la forme très lourde, comporte sous le fond un graffiti représentant des motifs végétaux exécuté dans la pâte encore fraîche. Le rebord n^o 57, bol ou minicoupelle à épices –ou peut‑être lampe apode ? (fig. 230)–, est comme tous les précédents en pâte grise du type d’Ollières. Ce n’est pas le cas des deux bols « à tétons » n^os 55 et 56, forme non répertoriée, dont la pâte plus fine, grise dans les cassures, est brune en surface.

249Ces formes ouvertes proviennent de contextes contemporains du fonctionnement de l’atelier, en phase 1 (fig. 48, n^os50, 57) ou 2A‑B (fig. 48, n^os48, 49, 52‑55), ou sont résiduels en phase 3 (fig. 48, n^os47, 50, 56).

Les gros pots et les formes rares

250fig. 49

251Les éléments de trois grands pots d’un type inconnu à Rougiers sont tout à fait semblables à ceux découverts à Aix (Fixot et al. 1986 : 47, fig. 75 ; Fixot et al. 1989 : 57, fig. 31) et à Mimet (Pelletier, Vallauri 1992 : 234‑235, fig. 6, n^os3‑4) par les détails bien particuliers de la forme. Le rebord épais, carré, se trouve directement au sommet de la panse : il n’y a pas de col ; l’attache des anses larges et peu épaisses, diamétralement opposées, se fait sous le rebord ; le bec tubulaire est simple, cylindrique. Les dimensions sont importantes : sur ces pots aussi larges que hauts, le diamètre maximal est égal à une fois et demie ceux du rebord et du fond, voisins de 17 cm. La contenance de l’exemplaire d’Aix est de 8,8 litres. Des détails dans la fabrication les distinguent : les anses, simplement rubanées pour ceux d’Aix et Mimet, comportent un ressaut médian sur ceux de Marseille où par ailleurs la fixation des becs est moins soignée que sur le pot aixois. Les analyses géochimiques ont montré des différences que l’on retrouve dans la qualité des pâtes : celle des objets marseillais est très fine, de teinte gris clair, alors que pour les échantillons de l’atelier de Mimet elle est sensiblement plus grossière, plus granuleuse, mais toujours avec des inclusions blanches.

252On peut affirmer que les grands pots de Sainte‑Barbe sont issus d’une même production, à laquelle appartient aussi le pégau n^o 46. Les analogies que l’on retrouve avec les autres découvertes amènent à poser des questions concernant les processus de fabrication : s’agit‑il du même ouvrier, d’ateliers différents ou simplement de l’utilisation d’argiles d’origines diverses, ou encore de copies de modèles dans l’esprit du temps ?

253La datation de ces pièces s’avère identique. Le pot d’Aix provient du comblement d’un silo alors daté un peu trop tardivement de la seconde moitié du xiii^e s., mais qui en fait n’est pas postérieur au milieu du xiii^e s. Avec les tessons recueillis à Mimet se trouvait une monnaie de Guillaume de Forcalquier, des années 1209‑1220. Le fragment de fond associé au n^o 60 pour suggérer la forme complète a été découvert dans une tranchée de la phase 3, mais les objets 59 et 60 sont issus de contextes de la phase 1, et avec les vingt tessons composant le second pot, brisé sur place dans le foyer 624 de la maison X, se trouvait une obole de la fin du xii^e s. Le bec n^o 58 provient d’une fosse de la phase 2A.

254Les fragments de formes rares sont en pâte de type Ollières. Deux becs tubulaires (fig. 49, n^os61, 62), dont les profils à ressauts témoignent d’une recherche certaine, présentent des analogies avec les becs complexes des gargoulettes de Rougiers datant de la seconde moitié du xiii^e s. (Démians d’Archimbaud 1981a : 303 et fig. 259, n^os 5, 6) ; ils sont issus de contextes de la phase 2B. Les poêlons, dont on a retrouvé un manche en phase 2B (n^o 63), n’étaient jusque‑là connus qu’en pâte claire ou rouge glaçurée (Démians d’Archimbaud 1981a : 323, 343). Les cordons simples animant la panse de marmites, comme sur les tessons du n^o 64 (résiduels, en phase 4), sont fort peu représentés en céramique grise à Rougiers, et de façon tardive (Démians d’Archimbaud 1981a : 316‑317, fig. 273, n^os 14‑17).

255De la phase 2B encore proviennent trois pièces qui évoquent une fabrication locale, utilisant la même argile, importée dans l’atelier de Sainte‑Barbe. Une anse de grand vase, en forme de boudin, de couleur beige (n^o 65), n’a aucun caractère des anses provençales habituelles, mais son façonnage renvoie aux cruches et pichets 1 en pâte calcaire (fig. 206). Le rebord à gorge n^o 66, semblable à ceux des alambics du four 98 (fig. 265, 266) est pourtant en pâte grise dépourvue de glaçure. Enfin, le goulot de bonbonne ou grosse bouteille n^o 67, renflé en forme de bulbe, correspond au type abondamment produit en pâte calcaire glaçurée dans l’atelier (fig. 219).

2.6.5.3 Les recuissons et utilisations non culinaires

256Certaines pièces ont subi des recuissons oxydantes et leur teinte a viré le plus souvent au beige rosé (marmites, fig. 44, n^os 17, 18, 27 et fig. 46, n^os 30, 32‑34). C’est aussi le cas pour quelques‑uns des fragments du n^o 19 découverts près du four à céramique 98, tandis que d’autres provenant du même objet, inclus dans la maçonnerie du petit four à oxydes 110 ou dans le sol de l’autre petit four 99, sont devenus rouge vif orangé.

257D’autres tessons de marmites (fig. 44, n^os 17, 20) présentent une coulée d’oxydes de cuivre sur les cassures, donc effectuée sur des fragments isolés. Ils proviennent de l’espace XIV, où se tenait la préparation des oxydes et glaçures pour laquelle d’autres poteries en même pâte grise aux qualités réfractaires, des pégaus, ont servi de creusets, ce qui ne semble pas être le cas pour les marmites, sans doute en raison de leur taille trop importante. Plusieurs de ces pégaus, brisés sur place avec leur gangue d’oxydes, n’ont pu être dessinés. Le n^os 39, en pâte grise à l’origine, a été recuit dans un four, devenant brun orangé. Des coulures de glaçure verte sur des cassures ainsi que sur les deux faces de certains tessons montrent, comme pour les marmites, qu’il a été brisé près des zones où les oxydes et glaçures étaient préparés. On retrouve encore des dépôts métalliques de plomb ou de cuivre à l’intérieur du poêlon n^o 63, qui a donc servi à ces préparations dans l’espace XIV et a, lui aussi, été découvert dans le comblement du four 98.

2.6.5.4 Conclusion

258Le site urbain qu’est Marseille n’avait pas jusque‑là donné lieu à de véritables fouilles concernant cette période, et hormis quelques sondages (Gantès et al. 1990 : 55‑56) aucune étude ne concernait le matériel céramique de ce grand centre consommateur pour le xiii^e s. Les rapports sur les fouilles récentes de la place du Général‑de‑Gaulle et du futur musée César mentionnent des marmites, pégaus et décors à la molette en pâte grise (Richarté 1994 : 311‑312 ; Parent 1997 : fig. 13‑16), et leur publication est en cours.

259L’apport de la fouille de Sainte‑Barbe reflète l’évolution et la diversité des approvisionnements en céramiques régionales par les productions peut‑être varoises de poteries culinaires brunes, celles des ateliers de l’arrière‑pays marseillais et surtout de la région d’Ollières pour les ustensiles quotidiens en pâte grise. En ce qui concerne les marmites et pégaus, les types anciens dominent, et ceux, plus récents, de la seconde moitié et de la fin du xiii^e s. sont moins nombreux, peut‑être à cause de la concurrence des poteries plus attrayantes en pâte claire glaçurée, de l’Uzège notamment, alors que cela était moins sensible sur le site rural de Rougiers, référence essentielle mais qui n’a fourni que des types principaux. La fouille de Sainte‑Barbe a permis de compléter le répertoire des formes, en montrant une plus grande variété, et de mieux percevoir les contacts entre les potiers, les échanges de matériaux et de techniques, au cours d’une période riche en modifications profondes et durables, notamment dans la fabrication et la fonction des ustensiles de la vie quotidienne.

2.6.6 La céramique commune en pâte claire glaçurée

260m.l.

261fig. 50 à 52

2.6.6.1 Les céramiques en pâte blanche réfractaire et glaçure vert moucheté

262fig. 50 n^os1‑7

263Cette série, inconnue jusqu’ici sur les sites provençaux, est attestée surtout dès la phase 1 et la phase 2A, et plus rarement en phase 2B dans le remblai couvrant le four 107 et dans la couche d’occupation de la fosse d’accès au four 70. Elle est représentée par près de soixante‑dix tessons très fragmentés mais bien identifiables par leur pâte très blanche de type réfractaire, d’origine indéterminée, et par leur glaçure vert moucheté, En réalité deux sous‑groupes sont dissociés en fonction de la taille des inclusions et de la composition du revêtement. Dans le premier (cinquante tessons) la pâte contient de nombreuses inclusions blanchâtres de taille supérieure à 1 mm et la glaçure est plombifère, colorée en vert par le cuivre : les six objets identifiables (fig. 50, n^os 1‑6) se rattachent aux vases à liquide et aux plats de service. Les vingt‑deux tessons du second groupe ont une pâte de texture bien plus fine et une glaçure vert pâle et laiteuse évoquant les glaçures stannifères monochromes des productions à pâte calcaire de l’atelier ; parmi eux, un seul objet est reconnaissable (fig. 50, n^o 7) et il s’agit d’un vase à filtre dont la forme renvoie aux objets semblables de la civilisation Al‑Andalus (Rossello‑Bordoy 1991 : 165, n^o 28).

264Les six objets du premier sous‑groupe sont remarquables à plus d’un titre. Le couvercle creux à collerette (n^o 1) est une réplique de ceux en pâte calcaire (fig. 218, n^os 1, 4), mais il se distingue aussi par deux déformations dans sa partie supérieure et par plusieurs traces de collage en surface externe, le tout suggérant qu’il pourrait s’agir en fait d’un déchet de fabrication de l’atelier. Les autres types, qu’il s’agisse du fond de coupe à pied annulaire (n^o 6) ou des petits pieds en disque des cruches (fig. 50, n^os 2‑4), rappellent aussi les vaisselles de table et de service fabriquées à Sainte‑Barbe (fig. 214, 215). Mais il faut surtout noter le caractère exceptionnel du fragment de cruche dont la panse globulaire est rehaussée de bandes verticales brunes sous glaçure verte : l’observation attentive a montré en effet que ce décor est peint au manganèse. Or dans le monde méditerranéen, le manganèse est généralement réservé au décor des majoliques à revêtement stannifère. Son apparition ici sur une pâte réfractaire et en association avec une glaçure plombifère nous invite à nous interroger : se trouve‑t‑on en présence d’un essai réalisé par un des potiers de l’atelier ? Maîtrisant déjà l’utilisation du manganèse pour les décors sur pâte calcaire, a‑t‑il cherché à étendre cette technique à d’autres pâtes et risqué une tentative sur une argile de type réfractaire issue de l’arrière‑pays varois (Cabasse ?) ? Ou, à l’inverse, est‑ce un potier de cette zone qui, ayant eu connaissance des techniques innovantes des potiers de Sainte‑Barbe, leur a emprunté un échantillon de manganèse pour faire quelques essais sur ses propres productions ? Des analyses de laboratoire seraient seules efficaces pour préciser l’origine de cette argile très blanche, mais elles ne suffiraient pas forcément pour trancher entre ces deux hypothèses. À vrai dire, la similitude déjà signalée des objets identifiés dans cette catégorie avec les vaisselles produites dans l’atelier comme la présence d’un vase à filtre, si caractéristique des vases de tradition islamique, jointes à cet emploi exceptionnel du manganèse appuieraient plutôt la première supposition, c’est‑à‑dire celle d’une fabrication au sein même de l’atelier. Mais par prudence et faute de preuve il a paru préférable de classer ces quelques pots parmi les céramiques de consommation. Quelle que soit l’hypothèse finalement vérifiée, ce groupe de céramiques témoigne de relations et d’échanges fréquents entre les potiers de la région (cf. infra § 4.4.5).

2.6.6.2 Les céramiques en pâte claire glaçurée de l’Uzège

265fig. 50 n^os8‑29, fig. 51

266Déjà bien repérées sur la plupart des sites provençaux occupés à la fin du xiii^e s. et au xiv^e s. (Démians d’Archimbaud 1981a : 324‑326 ; Parent 1991 : fig. 10 ; Richarté 1991 : fig. 18‑22 ; Leenhardt 1995b ; Leenhardt 1996 ; Piton et al 1995 ; Carru 1995a ; Garni 1997), ces vaisselles culinaires languedociennes sont facilement identifiées par leur pâte réfractaire à surface souvent violacée, leur glaçure jaune, miel ou brun clair. Présentes dès les premiers temps de l’atelier (phases 1 et 2A) mais rares, elles deviennent beaucoup plus fréquentes en phase 2B, restant pourtant encore moins bien représentées que les céramiques grises régionales (tabl. vi). C’est seulement au xiv^e s., pendant la réoccupation du site par les forgerons (phase 3), qu’elles constituent la catégorie prépondérante au sein des céramiques communes. Parmi les types représentés, les vases à liquides, cruches et pichets, demeurent exceptionnels pendant toute la séquence et sont attestés par des tessons trop fragmentés pour être figurés ici, à l’exception des gargoulettes (fig. 51, n^os 22, 23). Dans la vaisselle culinaire, le groupe des marmites domine largement. Les formes sont trop incomplètes et trop peu nombreuses à chaque période pour permettre de proposer une évolution chronologique des types d’anse : tout au plus peut‑on noter que les anses verticales fixées sur le col constituent le type majoritaire pendant toute la période, alors que les anses horizontales fixées sur le bord (fig. 50, n^o 11) ou sur l’épaulement (fig. 50, n^o 27) sont exceptionnelles et antérieures à la phase 4. L’étude des bords apporte davantage d’informations. Les bords rectangulaires figurent dès la phase 1 (fig. 50, n^o 10) et perdurent en phase 2B (fig. 50, n^os 14, 22), mais ils sont alors associés aux bords triangulaires (fig. 50, n^os9, 12).

267Ces derniers restent dominants en phase 3, phase durant laquelle ils coexistent avec les bords en amande (fig. 51, n^os 1, 5, 6). Pendant la phase 4, les bords restent triangulaires mais sont soulignés par un petit bourrelet (fig. 51, n^os 10, 14, 15) ou forment même un véritable bandeau (fig. 51, n^os20, 21). Parmi les autres formes recensées il faut noter que les pégaus sont rarissimes. Leur absence avant la phase 3 ne peut surprendre puisque cette catégorie de vaisselle était produite en masse par les potiers de Sainte‑Barbe. Les jattes, mieux représentées, figurent à l’état de petits fragments de bords très rentrants dès la phase 2A ; en phase 3 et 4 les bords rentrants (fig. 51, n^os25, 28, 29, 36) et les bords verticaux (fig. 51, n^os 30, 34) coexistent. Là encore il est donc difficile de déceler une évolution nette. Enfin, les poêlons à manche creux (fig. 51, n^os 37, 38) ne sont présents qu’à partir de la phase 3.

268Ainsi l’étude des céramiques de ce groupe confirme la commercialisation et la diffusion lointaine des produits de qualité de l’Uzège, modestement durant la seconde moitié du xiii^e s. (phase 2B) puis de manière envahissante au xiv^e s. (phase 3), comme le signalent si bien les textes (Amouric 1995b).

2.6.6.3 Autres céramiques communes à glaçure plombifère

269fig. 52

270Sont groupées ici au moins trois catégories de céramiques communes régionales toujours faiblement représentées.

271La plus ancienne attestée dans les premiers temps d’activité de l’atelier (phases 1 et 2A) pourrait être d’origine varoise : elle est en effet caractérisée par une pâte claire à nodules bruns, de type kaolinitique, et une glaçure jaune moutarde souvent mouchetée de points bruns. Quatre objets seulement sont identifiés (fig. 52, n^os 1, 3‑5) : pégau, grande forme tronconique à tenons de préhension –peut‑être attribuable aux activités d’alchimie ou de distillation–, tuyau de canalisation et panse de marmite globulaire. Comme la catégorie à pâte blanche précédemment étudiée, ils ont été classés avec les céramiques de consommation. Pourtant leur position stratigraphique et leur similitude de forme avec les produits de l’atelier n’excluent pas une autre hypothèse : ces objets peu fréquents pourraient fort bien résulter d’une tentative faite par les potiers de Sainte‑Barbe à partir d’un échantillon d’argile réfractaire qu’ils se seraient procuré dans un atelier varois voisin tel que Cabasse ou Ollières.

272La deuxième catégorie, plus rare encore, est caractérisée par une pâte beige rosé de texture fine et compacte et par une glaçure interne jaune moutarde. Son origine reste indéterminée. La seule forme identifiée est une coupe dont le bord forme collerette (fig. 52, n^o 2). Les deux exemplaires conservés proviennent des phases 2A et 2B.

273Facilement repérées par leur pâte réfractaire rouge truffée de nodules ferrugineux et leur glaçure interne, les céramiques issues des ateliers d’Ollières sont représentées de manière exceptionnelle en phase 2B et surtout 3. Outre quelques tessons, seuls trois cols de marmites, très fragmentés, ont été repérés (fig. 52, n^os6‑8). Il faut rappeler ici que l’abondance des céramiques grises produites dans ces ateliers varois avait été constatée dans les niveaux d’occupation des phases 1 et 2A (cf. supra § 2.6.5.2), prouvant la relation privilégiée existant entre les potiers de Sainte‑Barbe et ceux d’Ollières durant le xiii^e s. Faisant contraste avec ces observations, l’extrême rareté des vaisselles culinaires de ce dernier atelier au milieu du xiv^e s. témoigne cette fois d’une faible commercialisation à Marseille de ces productions pourtant apparues dans la première moitié du siècle (Démians d’Archimbaud 1981a). Il est vrai que lors de la réoccupation du site par les forgerons (phase 3) la fréquence des céramiques en pâte claire glaçurée de l’Uzège (tabl. vi) contrebalance la rareté du groupe d’Ollières et manifeste une modification dans les approvisionnements, voire les circuits d’échanges, par rapport au siècle précédent.

2.6.7 Les céramiques importées

274l.v.

275Seules seront développées ici les catégories plus rares ou indéterminées de Méditerranée orientale et occidentale encore mal connues en Provence et dont la présence répétée, à Marseille en particulier, permet de mieux cerner l’origine et les périodes de diffusion.

2.6.7.1 Les céramiques à décor incisé : sgraffito byzantin

276fig. 53 n^os 1‑6

277Cette catégorie, jusque‑là absente ou non repérée en tant que telle dans les stratigraphies provençales, est représentée par une petite série de six pièces issues des phases 1, 2A et 2B. Elles sont identifiables par leur qualité technique et la finesse des profils et du décor. Toutes sont caractérisées par une pâte fine très compacte de couleur rouge ou gris‑rouge, dure et cuite à haute température. Celle‑ci est recouverte par une sous‑couche d’engobe blanc à l’intérieur, qui déborde à l’extérieur dans les parties supérieures du vase. Le décor incisé très soigneusement à la pointe fine et au compas (Vogt 1993) est sous une glaçure plombifère jaune clair ou verdâtre, rehaussée parfois de coulures d’oxydes de fer. Les formes identifiées les plus anciennes trouvées dans les sols de l’atelier sont des coupes à marli aux parois très minces sur lesquelles se développent des décors géométriques de cercles, de quadrillages et de motifs en chevrons. L’une (fig. 53, n^o 4), au profil caractéristique et orné d’une frise d’entrelacs, se rattache à la classe II définie par A.H.S. Megaw (Megaw 1968 : fig. 3, n^os 20‑22, plate 14, b2) tandis que d’autres, à glaçure plus claire et sans coulures de fer, pourraient se rattacher à la classe I. Une coupe sur pied annulaire et à décor quadrilobé incisé avec traces de glaçure dans les creux est sans doute à rapprocher de ce groupe (fig. 53, n^o 5). Cette pièce, surcuite et déformée, a été dans un premier temps difficile à décrypter. Elle provient d’une fosse des forgerons établie sur le comblement du four 93 et a la particularité de comporter un décor incisé très semblable à celui du répertoire byzantin (Berti, Gelichi 1993 : 169, 183, fig. 29, 38, 42). Elle pouvait être interprétée en toute logique comme un déchet de production, mais cette technique est totalement inconnue dans l’atelier marseillais. Il pourrait s’agir soit d’une imitation soit d’une production orientale qui aurait subi l’action du feu. Cette seconde hypothèse est renforcée par la présence, dans le même contexte, d’une jarre d’Espagne du Sud qui a elle aussi subi l’action du feu (fig. 54, n^o 1). Seule une analyse de pâte permettrait de résoudre l’origine de cette pièce exceptionnellement conservée malgré la carburation de l’argile. Un dernier pied de coupe, issu du dépotoir 106 (phase 2B), présente un profil nerveux et relevé sur le pourtour annulaire bien caractéristique (fig. 53, n^o 6). En pâte gris‑rouge, il est recouvert à l’intérieur d’un engobe et d’une glaçure verdâtre qui portent la trace du collage d’une pernette. Il vient d’être reconnu par D. Papanikola‑Bakirtzis comme une production chypriote des ateliers de Paphos, en activité à partir du début du xhi^e s. jusqu’à la fin du xiv^e s., et pourrait appartenir à une coupelle plus creuse (Papanikola‑Bakirtzis 1996 : 213, 218, fig. IV, VII, IX). Enfin, un fond en disque, d’aspect semblable (fig. 260, n^o 3), classé dans les productions rouges de l’atelier en type exceptionnel, se rattacherait peut‑être à ce groupe.

278Si les productions de Méditerranée orientale sont aujourd’hui de mieux en mieux étudiées et répertoriées, leur identification et la localisation précise des divers ateliers soulèvent encore de nombreuses interrogations.

279Les premiers exemples ont été répertoriés très tôt à Constantinople, à Corindre et à Athènes (Talbot‑Rice 1930 ; Waagé 1933 ; Frantz 1938 ; Morgan 1942). Les classifications effectuées par A.H.S. Megaw sur le matériel issu des thermes de Zeuxippus, à Constantinople, ont permis de les séparer en différents types qui ne cessent de s’enrichir par les nombreuses découvertes effectuées en Grèce, en Crimée, à Chypre et dans le Levant (Megaw 1968 ; Megaw 1989 ; Pringle 1984 ; Amstrong 1993 ; François 1993 ; Papanikola‑Barkirstzis 1996). Les différentes observations tendent à prouver qu’il ne s’agit pas d’une production unique et homogène mais plutôt d’une large famille. L’hypothèse d’un premier centre à Constantinople n’a toujours pas été corroborée par des preuves archéologiques d’officines. Imitations et « productions dérivées » sont d’ailleurs confirmées par les rebuts d’ateliers et par les analyses des argiles (Megaw, Jones 1983 ; Boas 1994). La diffusion des principaux types, et plus particulièrement du Zeuxippus Ware, est bien mise en évidence en Italie à partir des céramiques insérées sur les édifices religieux ou retrouvées dans les fouilles récentes (Gelichi 1993 : 15‑20 ; Berti, Gelichi 1993). Leur commercialisation est attestée dès le milieu du xii^e s. jusqu’au milieu du xiii^e s., période à laquelle elle est concurrencée par les ateliers locaux vénitiens produisant à leur tour des produits incisés.

280En Provence, ces fragments ont été les premiers exemplaires identifiés dans des niveaux du xiii^e s. Une coupe à marli décorée de quatre lobes et cercles incisés, avec au revers un décor de bandes d’engobe, avait été relevée dans le matériel de Saint‑Pierre‑de‑l’Almanarre à Hyères (Parent 1991 : 40, 41, vol. I et fig. 31, n^o 5, photo 18, vol. II). Récemment un fragment de coupe de la classe I a été reconnu en Corse, au fort d’Aléria (Vallauri 1995 : 70‑71, fig. 1, 2). À ce jour, la liste ne cesse de s’allonger, en particulier à Marseille (fouilles des Pistoles, Jules‑Verne, musée César) et à Aix‑en‑Provence, où de nouveaux Zeuxippus Ware, sgraffito en champlevé monochrome ou polychrome, et vase chypriote peint à l’engobe se décomptent dans les niveaux de la fin du xii^e s. jusqu’au début du xiv^e s. (Richarté 1991 ; Parent 1997 : 2, fig. 2 ; Démians d’Archimbaud, Vallauri à paraître : fig. 47, n^o 9). Si la circulation de ces productions décorées reste encore marginale, elle s’accompagne aussi de céramiques glaçurées brunes plus communes, moins faciles à identifier mais dont la qualité des pâtes laisse peu de doute sur l’origine. Leur présence renforce ce premier panorama d’importations de Méditerranée orientale mises en lumière depuis peu dans nos régions.

2.6.7.2 Les céramiques à glaçure monochrome verte

281fig. 53 n^os 8‑14

282Cette série, mieux conservée que la précédente, avait déjà été repérée dans les niveaux provençaux du xiii^e s. Elle regroupe un lot homogène de quinze coupelles ou coupes et de deux petits vases globulaires.

283Les formes ouvertes sont caractérisées par une pâte rouge brique parfois brune au cœur, dure et très cuite, parsemée de petites paillettes jaunes. Les pièces tournées avec soin ont un profil élégant et portent des traces de tournassage à l’extérieur. Une épaisse glaçure plombifère couvre tout le vase et même le dessous du pied. Elle est colorée généralement en vert bouteille sombre à l’intérieur. La couverte extérieure est plus transparente ou verdâtre. Une seule coupelle est intégralement vert foncé (fig. 53, n^o 8). Autre élément particulier : la présence de traces de pose de pernettes tripodes au centre des coupes dont l’écartement est de 6,7 cm. Les formes à marli bien calibrées sont présentes dès la phase 1 et perdurent en 2A‑2B (fig. 53, n^os 8‑10). Elles ont un diamètre à l’ouverture de 18 cm pour une hauteur sensiblement égale au diamètre de base, Des coupes incomplètes, de plus grand diamètre (22 cm) et moins profondes, ont la lèvre du marli souligné par une gorge (fig. 53, n^os 11‑12).

284L’origine de ces céramiques bien répertoriées sur les sites italiens (Cabona et al. 1986 : 454‑482), dans des niveaux de la fin du xii^e s. et du xiii^e s., n’est pas encore clairement attribuée. Les analyses de pâte effectuées sur cinq groupes issus du Palazzio Ducale de Gênes confirment l’existence de plusieurs centres producteurs situés soit en Sicile, soit au Maghreb, sans exclure l’Italie où les mêmes formes sont ensuite fabriquées à Bise et en Ligurie jusqu’au xiv^e s. En Corse, dans le ramassage subaquatique effectué à proximité de Bonifacio, une série de coupelles glaçurées a été trouvée en association avec des jarres d’Espagne du Sud ou du Maghreb (Istria 1993 : 142‑143, pl. 30 ; Istria 1996 : fig. 1‑2). Une autre série provient aussi d’une épave de la fin du xiii^e s. sombrée au large de la Catalogne (Nieto Prieto et al. 1989 : 266, fig. 162, n^o 10). Sur la façade de l’église Saint‑Véran‑d’Utelle, dans les Alpes‑Maritimes, une coupelle verte est encadrée par des bassins maghrébins à décor vert et brun sur fond jaune (Vallauri, Nicolaï 1988 : 32‑33 ; Vallauri, Nicolaï 1993). À Marseille, la plupart des fragments proviennent de contextes du milieu et de la seconde moitié du XIII^e s. bien datés par les céramiques régionales et les importations de proto‑majoliques d’Italie centrale et méridionale, de Sicile et du Maghreb, de céramiques culinaires ligures et de bassins catalans glaçurés (Richarté 1994 : 316, fig. 128).

285C’est dans des contextes analogues que l’on retrouve aussi des petits vases à liquides toujours en pâte rouge et recouverts de glaçure verte (fig. 53, n^os 13‑14). Certains ont de petites inclusions jaunes de même type que dans l’argile des coupelles, d’autres une pâte rose clair avec des inclusions blanches et rouges. Leur panse très globulaire est systématiquement rythmée de stries profondes de tournage. Les exemplaires découverts dans des niveaux du milieu et de la seconde moitié du xiii^e s. à Marseille (Moliner 1990 : 209 ; Moliner 1993b : 15, fig. 3), Hyères‑Olbia, Gémenos ainsi qu’à Lattes et Saint‑Marri d’Ampurias (Catalogne) confirment la datation haute des premiers exemplaires trouvés à Rougiers dont les analyses avaient révélé des origines diverses (Démians d’Archimbaud, Picon 1980 : 28‑29, n^o 2 ; Démians d’Archimbaud 1981a : 353, fig. 1, 11‑13).

286Ces coupelles et petits contenants forment désormais de nouvelles séries diffusées en petit nombre mais dans une aire géographique assez large, sur les côtes ligure, catalane, provençale et languedocienne et dans la vallée du Rhône. En outre, leur présence attestée dans deux chargements, l’un en Corse, l’autre en Catalogne, suggère un commerce à longue distance, par cabotage, depuis le Maghreb, la Sicile ou l’Espagne du Sud. Les analyses en cours permettront d’en préciser l’origine.

287Des fragments de vases et coupes à pâte siliceuse, peints en bleu sous glaçure alcaline (fig. 53, n^o 7) et retrouvés en phases 2B, 3 et 4, complètent cet inventaire de produits exceptionnels venus cette fois du Proche‑Orient et dont la présence est bien reconnue en Provence comme en Languedoc au xiii^e s. et surtout au xiv^e s. (Thiriot 1991 ; Thiriot 1995a).

2.6.7.3 Les jarres glaçurées à décor estampé

288fig. 54

289Huit fragments aux parois épaisses en pâte rouge contenant des nodules ferrugineux présentent à l’intérieur des traces de doigts caractéristiques d’un montage ou d’un assemblage au colombin. Ce sont des cols, des oreilles ou des éléments de panse de gros vases de stockage à décor estampé sous une glaçure le plus souvent verte. La forme bien connue de ces jarres de tradition islamique peut être reconstituée à partir d’un beau fragment de col tronconique vert orné d’un décor de godrons incisés sur deux registres encadrant une frise de palmettes imprimées (fig. 54, n^o 1). Des cordons verticaux, sur lesquels des pastilles sont appliquées, se terminent en enroulement sous le col. Ils rigidifient le pourtour de l’ouverture du vase. Ce modèle se retrouve en Espagne du Sud, en particulier dans le répertoire des jarres de l’Alhambra (Dodds 1992 : 354, 356, 358, n^os 110‑112). De gros morceaux de panse et d’une oreille de préhension verticale à section plate appartiennent à cette même jarre brisée et brûlée retrouvée en phase 2B dans le comblement du four 93. Sur une seconde (fig. 54, n^o 5), des motifs en losanges étoilés (Navarro Palazon 1986b : 67, 76, 126, 127) alternent avec une frise épigraphique coufique sous une glaçure blanche. Cette jarre, réutilisée dans la réfection de la fosse de préparation de l’argile dans l’espace V, a conservé à l’intérieur un dépôt de calcaire blanc qui témoigne de sa fonction primitive. Les derniers morceaux de col, oreille et panses issus des phases 2B (fig. 54, n^o 3) et 4 (fig. 54, n^os 2, 4, 6) montrent la diversité du répertoire décoratif estampé : rosette sur le dessus de la lèvre (Navarro Palazon 1986b : 69, 325), motifs cordiformes ou frise d’un cerf en fort relief imprimé à l’aide d’un tampon carré.

290De tradition islamique ancienne, les motifs estampés décorent à l’origine les margelles de puits et les parois de gros vases (Marçais 1913 : pl. VIII, IX et X ; Bel 1914 : 46‑53). Aux xii^e et xiii^e s., la production des jarres semble très standardisée et des modèles analogues sont présents au Maroc (Redman 1980 : 257, fig. 3) au Portugal (Correia 1991 : 379‑382 ; Varela Gomez 1991 : 397‑398) et dans toute l’Espagne du Sud. L’un des centres de fabrication pourrait se situer dans la région de Malaga. La circulation de ces belles pièces solides et conservées sans doute avec soin est attestée dès la fin du xii^e s. jusqu’au xiv^e s. en Italie septentrionale (Berti, Tongiorgi 1972), en Corse (Istria 1993 ; Istria 1996 : fig. 1) et sur les franges provençales et languedociennes (Vallauri, Leehnhardt 1995 : fig. 115‑116). Il n’est pas étonnant que la plus grande concentration se situe dans la ville de Marseille, comme en témoignent de nombreux fragments (Gourvest 1961 ; Moliner 1990 : 209 ; Hesnard et al. 1993) et un exemplaire ayant conservé son fond, enfoui dans un sol d’habitation du xiii^e s. (Richarté 1994 : 318, vol. 2, fig. 131). En nombre plus faible à l’intérieur des terres, elles proviennent toujours de contextes abbatiaux ou laïcs du xiii^e et du xiv^e s. et sont aujourd’hui bien reconnues à Silvacane, au Thoronet, à Saint‑Martin‑de‑la‑Brasque et dans la cité pontificale (Cartron, Doray 1992 : 54, fig. 22, n^o 67 ; Vallauri 1995a : 72, 73, fig. 4 et 5 ; Carru 1995b : 49, 50, fig. 6, 47, 49).

291Sont aussi attribués à l’Espagne des fragments de petits vases à paroi fine recouverts de manganèse trouvés en phases 1, 2A et 3 (fig. 55, n^os 1‑3). La technique d’origine islamique du décor incisé (esgrafiada) au stylet sur fond noir, en usage dans la première moitié du xiii^e s. dans la région de Murcie (Navarro Palazon 1980 ; Navarro Palazon 1986a), se perpétue après la reconquête dans les ateliers Valenciens. Sur le plus tardif est associée une bande verte d’émail. Il est plus difficile d’interpréter d’autres fragments peints au manganèse sur pâte calcaire seulement biscuitée. Certains ont des formes qui les séparent nettement des productions de l’atelier marseillais (vase à filtre, petit vase ou jarre : fig. 55, n^os4‑8). Les bassins qui proviennent de la phase 4 (fig. 55, n^os 10, 12) renvoient à des modèles espagnols fabriqués encore dans les ateliers Valenciens au xv^e s. (Amigues, Mesquida Garcia 1993).

2.6.7.4 Les proto‑majoliques d’Italie centrale et méridionale, de Sicile et du Maghreb

292fig. 56 et 57

293Très fragmentées, les petites formes de bols et coupelles à marli retrouvées dans les contextes des phases 2B et 3 ont une pâte claire fine. Le décor est bleu et brun dans un cas (fig. 56, n^o 1), tandis que les autres associent trois couleurs : le vert, le brun et le jaune (fig. 56, n^os 2‑3, 5‑6). L’un se rattache par le décor de tresse pointée aux productions siciliennes du type Gela (Ragona 1990 ; Ragona 1991 ; Berti, Gelichi 1995), et se différencie par sa pâte des productions marseillaises qui portent un décor analogue (coupelles 2, cf. infra § 4.4.2.2). Les autres trouvent leur origine en Italie du Sud où divers centres sont pressentis, en particulier dans les Pouilles. C’est à Brindisi que sont attribuées les plus grandes séries de plats diffusées en Méditerranée orientale, en Grèce, en Albanie ou dans le Royaume Latin de Jérusalem (Pringle 1984 ; Patitucci Uggeri 1990 ; Williams, Zervos 1995). Le bol décoré d’écailles pointées (fig. 56, n^o 5), dont le pied annulaire est percé, est particulièrement proche des productions attribuées à Lucera. Quant à la cruche (fig. 56, n^o 4), elle se rattache par son profil caractéristique aux productions du Latium (Molinari 1990).

294Les majoliques du Maghreb à décor bleu et brun (fig. 57) se différencient bien des précédentes par leur pâte jaune clair, sableuse. Elles apparaissent dans les mêmes contextes de la fin du xiii^e s. et du début du xiv^e s. Attribués aux ateliers tunisiens de l’époque hafside (Couleurs de Tunisie 1994), les grands bassins carénés aux parois épaisses et les coupelles à marli sont bien connus quant à leur diffusion par les bacini italiens (Berti, Tongiorgi 1981) et les récentes fouilles provençales (Vallauri 1989 ; Moliner 1990 ; Démians d’Archimbaud, Vallauri à paraître). La présence d’un couvercle (fig. 57, n^o 1) est ici plus exceptionnelle.

2.6.7.5 Les céramiques culinaires ligures et les bassins catalans

295fig. 59

296Ces vaisselles de facture grossière, couvertes à l’intérieur par une glaçure plombifère transparente qui prend la couleur rouge brique de la pâte, ont un usage culinaire certain. Leur revers est souvent noirci par le feu. Elles arrivent de Ligurie au début du xiii^e s. et perdurent au xiv^e s. (Mannoni 1975 : type 43, 58‑60). Les formes de jattes basses à rebord simple (fig. 59, n^os 1‑4, 6, 8) sont caractérisées par des tenons de préhension, soit de simples tétons, soit des boudins d’argile appliqués de façon à former une double anse. Tous ces appendices ont conservé les traces en creux d’outils ayant servi à faire adhérer le rajout de la pâte lors de la pose. Certains cols de jattes et de marmites à lèvre bifide étaient sans doute associés à des couvercles (fig. 59, n^os9‑11).

297Les bassins originaires de Catalogne (fig. 59, n^os 12, 13) ont une pâte rouge avec des nodules ferrugineux. Ils sont remarquables par leur grande taille, l’épaisseur des parois et la lèvre en bourrelet et crochet. Les glaçures sont le plus souvent jaune miel, opaques, ou plus rarement vertes. Elles ne comportent jamais de décor, à l’exception parfois de motifs très simples et lâches peints soit sur la glaçure transparente, soit sur un revêtement opacifié à l’étain comme le n^o 13. Le plus fréquent se compose sur le bord d’une frise de spirales peintes au brun de manganèse ou, le plus souvent, en vert bleuté comme sur les exemplaires découverts à Marseille, Hyères, Arles, Beaucaire, Collioure, etc. (Moliner 1990 ; Moliner 1993b ; Piton et al 1995 : 53, fig. 54 n^o 3). Destinée aux usages multiples pour la préparation des pâtes et de la semoule ou pour le lavage, cette forme de girell, lebrillo est dérivée de l’alcadafe islamique dont l’extérieur est parfois décoré de plusieurs bandes rapportées et incisées (Hurst 1977 ; Bassegoda Nonell 1978 ; Nieto Prieto et al. 1989 : 272, n^o 1). Ces deux catégories de vaisselle commune glaçurée de Ligurie et de Catalogne sont présentes dans les stratigraphies provençales dès le début du xiii^e s. Elles précèdent puis coexistent avec les importations de vaisselles fines de même origine mieux connues (sgraffito archaïque [fig. 58] et majolique catalane verte et brune [fig. 60‑61]) qui se multiplient à la fin du xiii^e s. et au début du siècle suivant, comme en témoignent les nombreuses découvertes dans la ville et sur la côte languedocienne et provençale (Parent 1991 ; Brien‑Poitevin et al 1992 ; Richarté 1991 ; Richarté 1994 ; Vallauri, Leenhardt 1995).

2.6.8 La faune

298f.a.‑r.

2.6.8.1 Introduction

299La faune recueillie dans les ensembles clos (fours et fosses) du site s’élève à 1 233 restes, compte non tenu des restes de mollusques et de crustacés. Celle issue des dix‑neuf contextes des niveaux du chemin, qui peut être considéré en lui‑même comme une unité stratigraphique cohérente sinon close, se compose de 374 restes. C’est donc sur un modeste ensemble de 1 607 restes que se fonde l’analyse archéozoologique du site, dont les niveaux incomplets de sols et les remblais, contenant tous de faibles ou de très faibles échantillons, ont été exclus.

300Au sein de cette faune sélectionnée, deux ensembles seulement fournissent un nombre de restes supérieur à 300. Il s’agit des comblements du four 107 (568 restes) et de la fosse 106 (342 restes). Les autres ensembles se rangent loin derrière eux en termes quantitatifs, présentant de 1 à 97 restes (en moyenne 25 restes par contexte). Cette disposition stratigraphique du site en ensembles multiples (32) et pauvres en restes osseux grève évidemment la portée de l’analyse archéozoologique. En deçà d’un seuil d’au moins 1 000 restes osseux déterminés, la pertinence d’un échantillon faunique devient nécessairement aléatoire, le hasard l’emportant sur la validité statistique.

301Aussi ces deux structures 107 et 106 n’offrent‑elles pas un nombre de restes suffisant pour pouvoir être tenues comme des témoins très fiables de la situation économique et alimentaire des artisans du bourg. Ce d’autant que les opérations de fouille ayant dû le plus souvent être menées rapidement, le tamisage des sédiments n’a pu être effectué. C’est donc avec prudence qu’il convient d’interpréter les données disponibles.

302Ce sont cependant ces deux structures qui serviront de guide analytique et c’est sur elles que l’on s’appuiera pour aborder et comprendre le reste de la faune examinée. Elles présentent l’avantage d’être, l’une, représentative de la fin du premier temps de l’occupation des potiers (phase 2A), l’autre de la fin du deuxième temps (phase 2B). Les échantillons provenant des autres ensembles clos, beaucoup plus réduits, seront donc examinés à la suite en regard des informations qu’auront livrées le four 107 et la fosse 106.

303Le chemin nécessitait une analyse privilégiée. Unité d’occupation bien particulière, passage exposé à l’air libre, aux piétinements, à une érosion plus active, à des rejets moins contrôlés qu’au sein des habitats, à une action plus intensive des chiens, de maison ou errants, ou d’autres prédateurs, espace mieux prédisposé aux introductions d’espèces ne pénétrant pas à l’intérieur des habitats, il semblait intéressant d’en confronter le contenu à celui des ensembles clos domestiques afin de juger si, même en ces proportions réduites, des différences significatives pouvaient apparaître entre des contextes archéologiques aux situations et aux fonctionnements si différents.

304Le contenu détaillé de l’ensemble des données fauniques5 concernant les structures étudiées est présenté dans le tableau viii (à l’exception des niveaux 547 et 427 du four 103, ayant livré 2 et 3 restes, et du four 12, de tradition islamique, n’ayant fourni que 3 restes). Les nombres de restes de bœufs, caprinés et porcs contenus dans chacun de ces contextes sont représentés dans les figures 64 et 65.

2.6.8.2 Le four 107 : témoignage de la fin du premier temps des potiers

305Le remplissage de ce four est l’un des plus anciens comblements opérés sur le site, avec celui, contemporain, du four 103 (phase 2A : seconde moitié du xiii^e s.). 11 a livré 568 restes dont 453 ont pu être déterminés (soit 79,8 %).

306La faune y est dans l’ensemble abîmée et esquillée, et les techniques bouchères particulières ainsi que l’intense activité des chiens font que le nombre de restes intacts est rare ; les os longs entiers de mammifères sont inexistants. Ces facteurs, joints à la faible quantité de restes disponible, ont grandement limité les possibilités de l’étude, voire rendu impraticables certaines analyses (métriques par exemple) et il convient de garder ces faits en mémoire afin de relativiser les résultats présentés.

La prépondérance de la triade de base

307La triade de base qui domine systématiquement l’alimentation médiévale, c’est‑à‑dire les bœufs, les caprinés (moutons et chèvres) et les porcs, représente à elle seule dans ce remplissage 93,3 % des restes des espèces consommées. Ce chiffre n’a rien pour étonner mais il est malgré tout lourd, et il figure parmi les taux les plus importants relevés sur les sites médiévaux européens : une analyse de plusieurs centaines de contextes médiévaux et modernes de toute nature et de divers pays d’Europe a montré qu’en effet, les restes osseux de bœufs, de caprinés et de porcs constituent en moyenne à eux seuls 66 % à 94 % de la masse des restes des animaux consommés (Audoin‑Rouzeau 1993). C’est dire la place écrasante que semblent tenir ces espèces dans l’alimentation des potiers, au détriment des viandes d’appoint qui viennent usuellement diversifier la composition du régime carné médiéval. Notons que parmi les caprinés, les chèvres, bien que faiblement représentées en nombre de restes, ne sont pas négligeables en nombre d’individus estimés. Mais seule cette structure a permis d’entrevoir leur place non marginale sur ce site. Au total, neuf espèces seulement sont représentées dans le remplissage du four 107, mollusques exceptés (tabl. ix).

308Hormis l’apport minime des volailles domestiques et peut‑être d’un ou deux oiseaux sauvages, aucun gibier ne vient compléter l’alimentation de base fournie par le bœuf, les caprinés et le porc, et l’apport de la basse‑cour est minime. Il faut cependant noter que l’absence de restes de lagomorph.es pourrait être mise au compte d’une conservation ou d’une collecte ayant défavorisé les petits éléments, hypothèse que conforte le très faible nombre de restes d’oiseaux domestiques recueillis. La même remarque doit s’appliquer à l’absence de restes de poissons, qui étonne dans un site maritime. Les cinq restes qu’on en retrouvera en d’autres structures du site sont en effet de grande taille, alors que les petites espèces n’ont semble‑t‑il pas été retenues, soit par le processus de comblement des fours, soit par la maille de fouille. Cette faible conservation des restes de petite taille comme le grand nombre de parties manquantes dû à des contraintes de fouille en urgence (cassures fraîches ne trouvant pas de recollage) doivent inciter à la plus grande réserve dans l’interprétation des absences des espèces de petit format.

Le bœuf (Bas taurus)

309Les restes de bœuf livrés par le four 107 sont fort peu nombreux. Par rapport à la triade de base Bœuf‑Caprinés‑Porc, ils représentent seulement 7 % des restes et 11,7 % des individus. Cette faible part du bœuf est inhabituelle en contexte médiéval mais en revanche bien caractéristique du régime particulier au midi de la France. Elle avait déjà été notée sur le site paléochrétien de Gardanne (Audoin‑Rouzeau 1991) où les bœufs ne composaient que 14,2 % des individus (la fosse de Gardanne avait pourtant livré un nombre total de restes plus élevé, de 2 272). La distribution squelettique fait en outre apparaître un déséquilibre puisque seuls les bas morceaux sont ici représentés : fragments de tête, de rachis, de plats de côtes et de bas des membres. Deux fragments mésiaux de fémur viennent seuls témoigner de la consommation de parties à viande. Il peut certes s’agir là d’un indice de niveau social modeste comme d’un hasard de conservation, puisque l’on ne raisonne ici que sur 30 restes de bovinés.

310En l’absence de parties squelettiques représentatives, l’âge des deux bêtes est difficile à estimer : l’une d’elle est certainement subadulte, l’autre subadulte ou adulte.

311Les possibilités d’analyse des techniques de découpe bouchère se trouvent également réduites. Un point important peut être cependant relevé : une vertèbre cervicale semble bien attester que la coupe de la colonne vertébrale a été effectuée par une fente sagitale médiane unique.

312Cette question de technique de fente du rachis n’a rien d’anecdotique. Elle peut en effet s’effectuer au couperet de deux manières : la première consiste à raser de part et d’autre les vertèbres par deux coupes parallèles longitudinales, sectionnant au passage les têtes des côtes ou les apophyses transverses des vertèbres, technique exclusive longtemps employée soit pour sa bonne adéquation à des couperets peu lourds ou peu tranchants, soit pour récupérer, par ce « déséchinage », le tronçon entier de la colonne vertébrale et l’utiliser en bouillon. La seconde méthode, qui exige pour les bovins des couperets efficaces et qui implique sans doute un moindre souci de récupérer toute matière consommable, consiste à couper le rachis par une seule fente médiane passant par le milieu des corps vertébraux, laissés attenants à chacune des moitiés de la carcasse (c’est la technique pratiquée de nos jours, mais à la scie). Il entre aussi dans cette alternative entre deux manières de faire des questions de maniabilité des morceaux selon la taille des bœufs à découper. Cette technique de la fente médiane unique, absente semble‑t‑il de l’Antiquité, ne s’impose que tardivement en Europe médiévale pour le bœuf et plus tardivement encore pour le porc, alors qu’elle pourra apparaître plus tôt pour le mouton (Audoin‑Rouzeau 1986). Il semble en effet que ce ne soit réellement qu’à partir du xiv^e s. voire du xvi^e s., selon les sites et les pays, qu’elle se systématise pour les bovins. Mais sur le site de Marseille Sainte‑Barbe, au xiii^e s., la découpe sagitale simple paraît déjà en vigueur. Non que les potiers en aient nécessairement été les auteurs, car il est tout à fait envisageable qu’il s’agisse là d’un système de découpe de gros mis en place à la vaste échelle du marché urbain, auquel peuvent s’approvisionner les artisans du faubourg.

313À Marseille au v^e s., cette technique n’était pas encore adoptée : L. Jourdan note l’emploi de la fente double du rachis pour la découpe de gros des bovidés (Jourdan 1976). En revanche, sur le site proche de Gardanne, dès les v^e‑vi^es., on notait déjà deux cas de vertèbres de bœuf présentant la fente sagitale médiane unique. À Digne également (Alpes‑de‑Haute‑Provence), et au xii^e s. cette fois, la technique de la fente unique semble déjà adoptée (Audoin‑Rouzeau à paraître).

314Hormis ce nouvel indice régional, non sans importance, à apporter au dossier de l’évolution de la découpe des bovins et de la « répartition culturelle » de cette technique dans le temps et l’espace, les quelques restes fragmentaires du four 107 n’apportent guère de renseignements sur le traitement du bœuf (on peut simplement noter une désarticulation classique sectionnant les condyles distaux du fémur et une incision au couteau sur un métatarsien).

315La taille au garrot du bœuf n’est pas restituable à l’aide de ces fragments : une première phalange témoigne d’un individu de petit gabarit.

Le mouton (Ovis aries)

316Ce sont de loin les ovins qui dominent la triade de base, tant par leur nombre de restes (86 % des restes de bœufs‑caprinés‑porcs) que par le nombre de têtes (64,7 % des individus). En termes de poids de viande, ils tendraient presque à égaliser l’apport du bœuf. C’est là un trait rare de l’alimentation médiévale, en moyenne toujours largement dominée par l’apport de la viande bovine, les ovins ne fournissant que 28 % à 38 % environ des restes fauniques de la triade de base et constituant la part minimale du régime carné (Audoin‑Rouzeau 1993). Dans ce tableau général pourtant, on relève les exceptions notables fournies par les sites italiens où les ovins se taillent la meilleure part en nombre de restes et par les sites de la France méditerranéenne.

317C’est donc sans surprise que l’on retrouve à Marseille ce trait caractéristique de l’alimentation des habitants du Sud, aux sols pauvres et propices, comme on le sait, à l’élevage des caprinés. À Gardanne aux v^e‑vi^e s., ovins et caprins fournissaient 67,5 % des restes de la triade et constituaient de la même façon 66,6 % des individus, similitude quantitative entre les deux sites déjà notée pour les bœufs. On retrouve donc, à six siècles d’intervalle, des équilibres comparables en nombres d’individus entre Gardanne et Marseille Sainte‑Barbe, tous deux lieux d’activités artisanales. L’exemple de Marseille vient donc, aussi modeste soit‑il en nombre de restes, apporter un nouvel élément pour corroborer la puissance de l’influence de l’environnement et des habitudes culturelles sur l’économie pastorale et les modes alimentaires de cette région.

318À la différence des bœufs dont toutes les parties ne sont pas représentées dans cet échantillon, c’est très certainement la carcasse entière des ovins qui est consommée sur place : la distribution squelettique montre une répartition équilibrée entre les diverses parties de l’animal.

319Les mandibules sont cependant rares et font donc défaut pour apprécier avec précision l’âge des animaux : la présence, sur sept individus estimés, d’un agneau, d’un jeune subadulte, et de trois individus de moins de 3 ans‑3 ans et demi indique qu’on ne consomme pas là des bêtes de réforme. Mais deux individus de plus de 3 ans‑3 ans et demi (et deux vertèbres et quelques parties proximales de côtes épiphysées évoquant des animaux, caprins ou ovins, de plus de 5 ans) signalent l’aspect composite de l’approvisionnement en ovins. À ceci, ajoutons que la présence de chèvres témoigne généralement d’une alimentation plutôt modeste. Mais si ce trait est valable de manière générale, il faut en relativiser la signification en contexte méditerranéen où la chèvre se fait plus commune.

320Sur les 362 restes de caprinés, la découpe bouchère est assez lisible, mais sa technique bien particulière complique son interprétation. En effet, le couperet est particulièrement employé dans la découpe de gros et de quartiers et ne semble pas affecter la découpe de détail plus proprement culinaire. Son emploi se lit parfaitement sur la colonne vertébrale : les caprinés sont tous fendus sagitalement par une seule coupe médiane, ce qui n’est donc pas, on l’a vu, une méthode encore systématisée dans l’Europe médiévale. Le couperet intervient aussi dans la fente du train de côtes, très classiquement travaillé en « section‑pression », le coup étant porté depuis l’intérieur de la cage thoracique, à environ un tiers de la tête costale, séparant ainsi la partie charnue du plat de côte proprement dit. Parfois, une section à la partie distale de la côte, quand celle‑ci s’est conservée, signale la séparation d’avec le sternum. Les sections au couperet interviennent également aux quatre points majeurs de désarticulation des membres : à la partie crâniale de la scapula, détachant l’épaule de l’humérus, à la partie proximale du fémur, tranchant la tête articulaire, ou à la cavité cotyloïde du bassin, à la base de l’humérus, tranchant la poulie distale, à la base du fémur, rasant les condyles.

321En revanche, le traitement des parties des membres s’effectue semble‑t‑il sans l’aide du couperet (à de très rares exceptions près rencontrées dans les autres contextes) : les fractures enregistrées sur les diaphyses des os longs ne sont jamais franches, ne laissent voir aucune amorce de tranchant de couperet, et montrent des types très divers tant dans leur emplacement que dans leur aspect ; tout laisse croire que l’os n’a pas été tranché, pas même par un coup de couperet émoussé, qui aurait au moins porté aux mêmes emplacements, mais qu’il a été éclaté, cassé, le point d’impact étant très variable. Les humérus, radius‑ulnas, fémurs, tibias et métapodes semblent avoir été frappés encore enrobés de leur viande, par un coup du plat du couperet, de sorte que la moelle se diffuse à l’intérieur du morceau pendant la cuisson et qu’il n’en soit rien perdu. On pourrait aussi proposer que les membres aient été désossés puis les os brisés après coup pour en récupérer systématiquement la moelle, mais aucune incision au couteau, assez inévitable en cas de désossage à cru, ne se laisse voir. Une autre possibilité consisterait à désosser les morceaux une fois cuits, mais dans un tel cas les emplacements des points d’impacts sur les os auraient été plus cohérents, semble‑t‑il.

322Sans certitude bien entendu, ces aspects de la fracturation laissent donc plutôt croire à un éclatement des os à travers la masse de viande. Cette dernière hypothèse trouve des appuis textuels, certes beaucoup plus récents, dans des ouvrages de cuisine ou d’agronomie : ainsi, La Cuisinière Bourgeoise suivie de l Office (1767) donne une recette de pieds de mouton où il est spécifié « battez‑en le gros os ». On trouve encore dans L’Agronome ou Dictionnaire portatif du cultivateur (Agronome 1803), des recettes de gigot qui précisent : « ne laissez que l’os du manche, après l’avoir bien battu » ou bien « battez‑le avec le plat du couperet, cassez‑en les gros os ». Quelle que soit la solution adoptée à Marseille, cet éclatement systématique des os longs montre le prix accordé à la récupération de la moelle (ce type d’éclatement de l’os visant assez clairement la moelle, qui s’extrait ou se diffuse beaucoup plus facilement ainsi que si l’on sectionne l’os d’un coup transversal, laissant la moelle prisonnière de la cavité médullaire). Il est intéressant de noter que sur le site de Digne à la même période (Audoin‑Rouzeau à paraître), on constate une fragmentation tout à fait similaire des os longs des caprinés, encore que çà et là se remarquent quelques amorces de tranchant de couperet. Cette technique de boucherie particulière présente bien entendu le regrettable désavantage de ne laisser à l’archéozoologue aucun os entier apte à servir une analyse métrique des animaux.

La chèvre (Capra hircus)

323Rares en nombre de restes (16 restes identifiés pour 362 restes de caprines), les chèvres ne doivent pas pour autant être considérées comme quantité négligeable : la difficulté de différenciation des os de mouton et de chèvre est assez connue pour ne pas avoir à insister sur l’évidente sous‑représentation du nombre de restes de chèvres, difficulté encore aggravée à Marseille par la fracturation systématique des os longs. Néanmoins, 5 fragments de chevilles osseuses, 1 fragment de scapula (et un autre probable), 3 fragments d’humérus, 4 de radius et 3 os tarsiens témoignent d’une représentation probablement complète de la chèvre, et non pas de l’acquisition de quelques « morceaux choisis ». On compte 4 chèvres dans cet ensemble faunique pour 7 moutons (dont 1 agneau), présence assez marquée donc, et qui est sans doute plus à rattacher à l’influence du contexte environnemental et culturel du pourtour méditerranéen qu’aux contraintes d’une alimentation pauvre. Les os longs des chèvres sont fracturés de la même manière que ceux des moutons.

Le porc (Sus scrofa domesticus)

324Conséquence de cette prépondérance des caprines, le faible taux de porc. Avec 6,9 % des restes par rapport à l’ensemble bœuf‑caprinés‑porc, il représente 23,5 % du nombre minimal d’individus et constitue la part mineure, en termes de poids de viande, de la triade de base. Malgré les pertes de petits cléments (carpiens, tarsiens, phalanges...), sa carcasse est représentée de façon équilibrée et il ne s’agit pas ici d’un achat sélectif de morceaux. Les porcs arrivaient probablement entiers sur le site, soit qu’il fussent acquis à la ville, sur pied ou abattus, soit qu’ils fussent issus d’un élevage sur place.

325Les âges d’abattage constatés sont classiques pour cet animal uniquement destiné à la consommation bouchère, encore qu’ils révèlent un choix de jeunes bêtes n’ayant pas atteint leur plein potentiel pondéral : sur 4 individus estimés, on relève un jeune de 7‑13 mois, deux de moins de 18 mois, et un seul subadulte de plus de 2 ans et moins de 3 ans et demi. Pas de porcelet ni de reproducteur tardivement abattu. Mais ce trop faible nombre d’individus n’autorise pas d’interprétation : la présence de trois jeunes bêtes ne signale pas forcément un régime aisé, mais peut plus simplement résulter d’un hasard de collecte comme d’une nécessité d’abattage.

326Le four 107 ne livre qu’une seule vertèbre de porc, un axis, fendu en long par le milieu : elle indique, non pas une coupe médiane du rachis, mais la préparation classique de la tête de porc en deux moitiés, et donc la fente des deux premières cervicales le plus souvent restées attenantes au crâne. Pour le reste de l’échine, des restes vertébraux, issus d’autres contextes du site et non du four 107, attestent que le porc est soumis à la double fente et au « déséchinage ». Marseille ne fait pas exception en cela à la règle générale : la fente de la carcasse du porc, contrairement à celle du bœuf ou des caprines, est restée beaucoup plus longtemps fidèle à l’ancienne technique de la double coupe. Au xvii^e s. encore, la colonne vertébrale du porc est attaquée par deux fentes rasantes, y compris sur des sites où bœufs et caprinés sont fendus par le milieu depuis plusieurs siècles. Cette « résistance » de la découpe du porc à l’uniformisation des techniques a tenu jusqu’à nos jours : on la trouve encore (rarement) pratiquée dans les villages où l’abattage du porc est resté artisanal, et la colonne vertébrale, salée, se rencontre encore sur certains marchés provinciaux. C’est probablement pour la qualité de cette échine de porc salée, utilisée en bouillon, que la technique de la double fente a ainsi perduré. Le cas de Marseille apporte le nouvel exemple d’un site où, en dépit d’une adoption précoce de la fente unique pour bovins et caprines, le porc reste traité différemment. I.es 29 restes de suidés livrés par le four 107, fragmentés et rongés par les chiens, ne permettent pas, comme pour le bœuf, de restituer plus avant le traitement boucher de leur carcasse.

La volaille

327Seuls quelques restes d’oiseaux viennent apporter quelque diversité à ce régime d’aspect monolithique. C’est dans ce remplissage de four que le coq est le mieux représenté, bien que faiblement, par 21 restes témoignant pour 5 individus (3 jeunes et 2 adultes). Loin derrière, selon une hiérarchie habituelle en contexte médiéval, vient l’oie domestique, avec 3 restes témoignant pour 1 individu. Cet apport de la volaille, on l’a dit, est sans doute sous‑estimé dans cet ensemble faunique soumis à forte érosion et perte de petits éléments.

Les espèces sauvages

328Un reste d’anatidé et deux restes peut‑être attribuables à du faisan viennent attester une petite consommation de gibier, à caractère exceptionnel. Les mammifères sauvages, eux, sont tout à fait absents. On en trouvera quelques témoins erratiques dans d’autres contextes du site. L’absence de grand gibier n’a rien ici pour étonner, les cervidés et sangliers se rencontrant essentiellement dans les milieux seigneuriaux ou dans de riches maisons urbaines. En contexte artisanal périurbain, leur absence était prévisible.

329En revanche, la discrétion du lapin peut surprendre, surtout dans cette région méditerranéenne où il est implanté depuis bien plus longtemps qu’en France du Nord. Dans ce remplissage qui a malgré tout retenu 21 restes de coq, il est difficile de savoir si cette absence du lapin est à mettre au compte d’une monotonie réelle du régime ou bien d’une destruction des petits éléments.

Les ressources maritimes

330L’absence de restes de poissons est, elle, sans‑doute à attribuer à la conservation ou à la collecte différentielle, puisque quelques grandes vertèbres de poisson se rencontrent ailleurs sur le site. Plus résistants, 9 restes de coquillages témoignent dans ce remplissage de la consommation, apparemment marginale, de mollusques marins.

Les équidés

331Non consommés, les restes d’équidés ne sont pas rares à Marseille. Leur présence, plus accusée sur ce site que d’ordinaire, est sans doute liée au caractère spécialisé de ce faubourg, qui, fonctionnant un peu comme un microcosme isole, échappe au système urbain qui draine généralement les carcasses d’équidés vers des lieux de traitement spécialisés. En outre, le transport des productions des potiers vers la ville rend nécessaire l’entretien d’équidés sur les lieux, et d’équidés choisis pour cette fonction, ce qui rend leur étude d’autant plus intéressante. Il est en effet difficile ordinairement d’attribuer une fonction aux équidés rencontrés sur les sites médiévaux. Ici, on peut sans trop de risque présupposer la fonction de bât. On verra plus loin quelles informations ce site a pu apporter sur ce point, le seul four 107 n’ayant livré que deux phalanges, de petite taille, non rapportables à l’âne ou au cheval. L’une de ces phalanges (ph. II) porte sur sa face latérale des incisions au Couteau. C’est là l’indice classique de la récupération de la peau, une activité qui n’a donc pas été négligée et qui fut effectuée sur place, soit par les artisans eux‑mêmes, soit confiée à des tanneurs de la ville.

Les espèces intruses

332Nulle trace de parasite des habitats humains dans cet ensemble faunique, mais l’on sait que le tamisage est nécessaire à la récupération de leurs restes. La présence de la souris, très probablement, est cependant attestée par la marque de ses dents sur un fragment d’astragale de porc.

2.6.8.3 La fosse 106 : la fin du deuxième temps des potiers

333La fosse 106 appartient au deuxième temps de l’activité des potiers et c’est le remplissage de plus tardif de cette occupation (phase 2B : fin du xii^e‑début du xiv^e s.). Il s’agirait alors d’occupants nouveaux, différant dans leur technologie de ceux qui ont contribué au remplissage du four 107. Coïncidence peut‑être, le spectre alimentaire paraît subir une légère modification par rapport à la première période : une hausse de la participation de la viande de bœuf, au détriment, semble‑t‑il, de celle de porc, mais aussi une quasi‑disparition de la viande de chèvre, sous toute réserve, vu le faible nombre de restes des échantillons. Mais, avant tout, de grandes constantes demeurent avec la prédominance des caprinés et, au plan des habitudes culturelles, avec le maintien d’une découpe bouchère parfaitement similaire à celle examinée dans le premier temps de l’installation des potiers.

334Le matériel livré par cette fosse est encore plus esquillé que celui du remplissage du four 107. Il est aussi moins important encore, se limitant à 342 restes (compte non tenu des mollusques et des crustacés) dont 232 seulement ont pu être déterminés.

335Le spectre faunique de la fosse 106 n’est pas plus étendu que celui du four 107. Le matériel a souffert des mêmes effets destructeurs : fracturation intense, crocs des chiens (et donc exposition à l’air libre avant l’enfouissement), cassures fraîches. Cette situation invite là aussi à considérer la part des oiseaux ou des poissons comme plus faible que ce qu’elle devait être à l’origine. Mais, comme pour le four 107, la place occupée dans le régime par la triade bœuf‑caprinés‑porc est écrasante, formant 97 % des restes d’animaux consommés. Le régime présente ainsi le même aspect monolithique, privé d’espèces sauvages ou de produits d’appoints de la basse‑cour. Neuf espèces seulement sont représentées, en excluant mollusques et crustacés (tabl. x). Le contenu de cette fosse met en valeur les caractéristiques du régime méditerranéen déjà signalées, et donc assez puissantes pour laisser leur empreinte sur des échantillons même faibles.

Le bœuf

336Le bœuf ne se signale que par deux individus, l’un probablement subadulte, l’autre, plus âgé, ayant dépassé les 5 années. Il ne s’agit pas à proprement parler de viande de boucherie. De manière relative, cette part du bœuf paraît un peu plus conséquente que dans la phase 2A. En nombre de restes, il compose 19,3 % de la triade de base et 20 % du nombre minimal d’individus. Une hausse similaire s’observe dans la fosse 299, de la phase 2B également. Mais il faut se garder d’attribuer trop de sens à cette modification : il se peut que ce ne soit là qu’un hasard non pertinent et induit par la faiblesse du nombre de restes recueillis. À travers ces 43 restes, quelques éléments de la découpe du bœuf se confirment ou viennent s’ajouter à ce qui a pu être déjà observé : permanence des techniques de gros avec une fente sagitale médiane unique du rachis, usage du couperet pour la section des chevilles osseuses, du bassin, pour la désarticulation huméro‑radiale, ou pour la séparation des bas des pattes (section des os tarsiens). Pour le reste, des fragments d’os longs montrent une découpe où l’impact du couperet n’est plus visible : il semble qu’on rencontre là aussi, mais sans certitude, une découpe bouchère contondante qui fracture les os longs, les éclate, très probablement pour en récupérer la moelle.

337Cette technique, jointe à la faible représentation du bœuf, ne laisse guère de moyens d’approcher la biométrie de l’animal. Un fragment distal non épiphysé de tibia témoigne d’un animal de grande taille (largeur distale transverse de 60,8 mm). Mais le fort gabarit de cet os encore jeune et sa patine particulière laissent penser qu’il est probablement intrusif et provient des niveaux antiques sous‑jacents (cet individu n’a donc pas été pris en compte dans le NMI). Aucun des restes du site de Marseille ne permet de mesure de grande longueur. L’examen des quelques parties transverses bien conservées montre simplement une coexistence sur le site de bovins de petite et de plus forte taille, qui témoigne sans doute du dimorphisme sexuel.

Les caprinés

338Avec 76,2 % des restes de la triade de base et 60 % du nombre minimal d’individus, les caprinés maintiennent dans des proportions identiques leur prééminence observée dans la phase 2A de l’occupation. Seule différence notable, les 169 restes de caprinés ne livrent qu’un seul fragment attribuable à la chèvre (cheville osseuse). Le matériel est moins abondant et les restes encore plus abîmés, mais cependant, aucun des autres fours de la phase 2B ne fournit de vestige probant de chèvre. En cela, le four 107 fait exception.

339De même que pour le bœuf, l’esquillement du matériel ne permet de prendre aucune mesure de grande longueur, dans cette structure comme dans toutes les autres. Parfois, quelques restes indiquent un gabarit assez grand, mais le mélange possible de chèvre et de mouton en rend l’interprétation délicate. Dans cette fosse 106, une vertèbre cervicale frappe par sa forte taille : mais, de même que pour le fragment de tibia de bœuf mentionné plus haut, elle présente une patine rousse qui la rend suspecte au sein de ce remplissage ; il est plus que probable qu’elle provienne des niveaux antiques sous‑jacents.

340Si le taux de consommation des caprinés apparaît tout à fait similaire à celui constaté dans le premier temps de l’occupation, on retrouve une même continuité dans la sélection des bêtes selon l’âge : sur 6 individus, on compte un agneau (chevreau ?), un animal de moins de 18‑24 mois, deux sub‑adultes de plus de 24 mois, un autre ayant dépassé les 5 années. Une consommation composite donc, associant viande de qualité et viande d’animaux peut‑être réformés.

341Continuité également dans l’application des techniques bouchères qui se poursuivent rigoureusement selon les mêmes principes : les ovins sont fendus en deux moitiés par le milieu de la colonne vertébrale. Le couperet est utilisé pour la découpe de gros (décapitation, fente, coupe du train de côtes, fracture du bassin en deux ou trois parts) mais non pas pour le traitement de détail : les os longs sont tous cassés ou éclatés, sans trace d’impact d’un outil tranchant, et ce jusqu’aux métapodes qui ne sont pas laissés intacts. Les phalanges seules échappent à cette intense fracturation.

342Si l’arrivée de nouveaux occupants est attestée sur le site dans ce second temps d’occupation, l’analyse de la faune met surtout en valeur la continuité du régime alimentaire et du savoir‑faire boucher de ce deuxième groupe d’artisans. Ici, malgré l’oscillation peut‑être aléatoire de la consommation du bœuf, le modèle se poursuit sans rupture culturelle décelable, bien au contraire.

Le porc

343Représenté par seulement 10 restes et témoignant de 2 individus (1 femelle de 20‑22 mois ou plus et un jeune mâle subadulte), le porc se dérobe à l’analyse. Il ne compte que pour 4,5 % des restes de la triade de base (mais 20 % en nombre d’individus), une baisse qui n’est pas nécessairement significative. Ces quelques restes permettent au moins de confirmer le maintien de la double fente de la colonne vertébrale pour la découpe de gros de l’animal.

Les autres espèces consommées

344Les autres espèces occupent une place encore plus marginale que dans l’assemblage livré par le four 107. Le coq, l’oie et le canard sont négligeables. Le poisson est représenté par deux vertèbres attribuables à un thon rouge d’environ 1,50 m de longueur6. C’est le seul indice, avec 11 restes de mollusques et 1 reste de crustacé, d’un recours aux produits de la mer qui diversifie ce régime.

Les équidés

345Deux restes d’équidés seulement ont été trouvés en fosse 106, dont une prémolaire inférieure à attribuer très probablement au cheval.

2.6.8.4 Ensembles clos

346L’analyse des autres structures closes du site ne vient en rien modifier l’image globale donnée par le four 107 et la fosse 106, sinon témoigner ponctuellement de quelques espèces attendues mais non rencontrées en ces deux contextes. L’étude de ces structures est à mener avec précaution puisque les restes y sont en de plus faibles quantités encore. Cinq structures livrent entre 40 restes et moins de 100 restes osseux : il s’agit du four 103 (niveaux 390 et 354 phase 2A), du four 93 (niveaux 321 et 325 phase 2B), du four 98 (phase 2B) et des fosses 436‑602‑599 (phase 2A) et 299 (phase 2B). Les niveaux 547 et 427 du four 103 ne livrent respectivement que 2 et 5 restes, le four 70, 8 restes, de même que le four 110, le four 12, 3 restes, le niveau 388‑ 350 du four 93, 13 restes.

347L’analyse des cinq structures présentant plus de 40 restes fournit évidemment des images contrastées, car déformées par les effets du hasard qui pèsent lourdement sur les faibles échantillons. Notons pourtant que toutes présentent un pourcentage de restes de caprinés allant de plus de la moitié aux trois quarts du nombre total de restes fournis par la triade de base, confirmant la prééminence déjà observée. La chèvre ne se rencontre, à raison d’un reste, que dans le four 103 et la fosse 436. Aucun des ensembles n’est dépourvu de porc. Rien dans ces structures ne vient donc démentir les aspects du régime alimentaire révélés par le four 107 et la fosse 106 : écrasante majorité de la triade de base, présence quasi insignifiante des compléments tels coq, oie, canard, poissons, coquillages (moules, coques, patelles...) ou crustacés. Un reste de lapin en fosse 299 vient tout de même attester la présence de l’espèce sur les lieux. Un reste de cerf dans le four 103 constitue la seule originalité notable. 11 s’agit d’une deuxième phalange et ce reste unique de bas de patte n’implique pas qu’un cerf ait été consommé sur place. Pour les oiseaux, ces structures n’apportent aucun élément nouveau, sinon en fosse 436‑602 un fragment distal d’humérus de columbidé (Columba cf livia).

348Parmi les espèces non consommées, pas de rongeurs ni d’insectivores. On relève un reste de chat dans le four 70 (niveau 269). Le chien, si présent par la marque de ses crocs sur les restes osseux, apparaît par un reste dans le four 103, une PM4 inférieure qui se rapporte à un animal de taille moyenne, et, dans le four 70, par une vertèbre cervicale appartenant à un animal de petite taille.

349Des restes d’équidés erratiques se rencontrent également dans ces petits échantillons : une phalange II dans les niveaux 390‑354 du four 103, un fragment costal dans le four 12, un fragment de métatarsien en fosse 299, un semi‑lunaire dans le four 93, des phalanges I et II appartenant au même individu en fosse 436‑602‑599 ainsi qu’une phalange III évoquant un très petit âne. Le four 98 livre 7 restes d’équidés (fragments d’incisif, de bassins, de radius, de tibia, et un naviculaire) pour 2 individus. Cette faible mais quasi permanente présence des équidés dans les remplissages n’est pas un phénomène si fréquent dans les dépotoirs d’habitat médiéval urbain : elle indique bien sûr une forte implantation des équidés sur le site et un traitement des carcasses non loin des lieux d’habitation. L’activité des chiens suffit à expliquer que de petits fragments en soient rapportés dans les aires d’habitats et mêlés aux comblements des fours abandonnés.

2.6.8.5 Les potiers à table

350L’analyse des ensembles clos du site met en évidence l’aspect monolithique du régime des potiers, pratiquement privé de la diversité qu’apportent les viandes d’appoint des lagomorphes, des oiseaux et des poissons, et dépourvu de tout indice de recherche d’un « luxe » alimentaire propre aux maisons urbaines aisées. Cette simplicité maximale est cependant difficile à affirmer de manière catégorique : la carence en petits animaux de complément peut être en partie mise au compte des érosions assez intenses ayant affecté les dépôts. Outre les facteurs de conservation et de collecte différentielles, les traces de crocs de chiens sur les os, démontrant l’abandon préalable des déchets sur des aires extérieures, peut aussi expliquer l’absence des éléments les plus fragiles. Aussi convient‑il de rester prudent dans l’interprétation de ce régime d’apparence si monotone, sinon austère.

351Bien qu’évidemment modeste, la table des potiers ne témoigne pas pour autant d’un niveau de pauvreté contraignant à ne consommer que des animaux de rebut : si les bêtes âgées ne sont pas exclues de la table, il est vrai, on trouve aussi de la viande de bovin et d’ovin de meilleure qualité bouchère, y compris de l’agneau. Une table modeste, où s’accusent les traits régionaux, avec un recours massif à la viande des caprinés, la plus immédiatement accessible, une table simple, répétitive, mais non pas défavorisée, ainsi pourrait‑on décrire le régime des artisans du bourg des olliers.

352Entre les phases 1‑2A et 2B, la continuité sociale et culturelle est manifeste, tant dans les aspects quantitatifs et qualitatifs du régime que dans le maintien du savoir‑faire boucher. Les derniers artisans appartiennent à un milieu social et culturel comparable à celui de leurs prédécesseurs.

Des « potiers venus d’ailleurs » ?

353La spécificité des productions céramiques originales des ateliers du bourg des olliers comme le type particulier de certains fours ont permis de proposer l’hypothèse de la présence d’artisans rompus à une technologie venue d’autres rives de la Méditerranée, du Maghreb, de la Sicile ou de l’Andalousie.

354La faune ne présente pas cependant les traits caractéristiques d’un régime musulman. Pour comparaison, le site de Madrid, aux ix^e‑x^e s., a livré en cinq fosses un ensemble faunique de 5 123 restes où les caprinés, sur un total de 4295 restes de bœuf‑caprinés‑porc, représentent 93,9 % des restes et 88,6 % des individus, et où le porc, présent dans une seule structure, ne compte que pour 0,2 % (soit 9 restes seulement). Les auteurs (Chaves Montoya et al. 1989) interprètent cette « présence » du porc comme le possible signe de consommateurs étrangers à Madrid ou bien d’une légère altération des normes religieuses pour « razones adaptativas ». Ils signalent que Madrid n’est pas le seul site musulman à avoir livré des restes de porc : on en a trouvé sur le site de Recopolis à Guadalajara (Morales Muniz et al. à paraître) et dans le niveau IV du site de Cerro de la Virgen à Grenade, (Driesch 1972), où le porc représente jusqu’à 13,6 % des restes identifiés. Aussi, bien que le fait relève de l’exception, la présence du porc sur le site de Marseille n’exclurait donc pas, en théorie, la présence d’artisans musulmans. Mais à Marseille, le porc est non seulement présent en quantité assez forte pour un contexte où les céramiques sont encore dans la tradition islamique (6,9 % des restes dans le four 107, 4,5 % dans la fosse 106 mais 23 % et 20 % en nombres minimaux d’individus), mais surtout il se rencontre dans tous les niveaux, et non pas de manière ponctuelle et anecdotique. Il ne s’agit pas d’une anomalie : sa présence est faible mais elle est systématique.

355La comparaison des proportions des espèces rencontrées à Marseille Sainte‑Barbe avec celles du site provençal contemporain de Digne (Notre‑Dame‑du‑Bourg) ou du site proche de Gardanne a montré une prépondérance équivalente des caprinés, en contexte chrétien. Dans les deux cas, certes, le porc atteint des chiffres plus élevés qu’à Marseille en nombre de restes, mais offre des pourcentages identiques en nombres minimaux d’individus. Des cas régionaux peuvent à l’inverse dépasser les taux atteints à Marseille Sainte‑Barbe : c’est à Marseille même, au v^e s., que les caprinés forment 86 % du nombre minimal d’individus, le porc n’en composant que 10 %. On est donc bien là en face d’un trait typique de la région méditerranéenne et provençale qui n’autorise pas à conclure à une influence musulmane ayant pu infléchir le nombre de restes de porc.

356Ces faits ne permettent donc pas d’envisager que des artisans musulmans soient à l’origine de ces dépôts de restes alimentaires. Deux hypothèses se présentent pour expliquer l’apparente contradiction entre les données archéozoologiques et le caractère islamique des productions de l’atelier. Rien n’interdit de penser que des chrétiens andalous ou siciliens, maîtres des techniques islamiques, aient pu s’installer à Marseille des la fin du xii^es. ou au début du xiii^e s. (on sait que les chrétiens n’avaient pas été anéantis dans les terres conquises par les musulmans, où ils bénéficiaient d’une grande tolérance). Mais, le site ayant été partiellement fouillé, il est également fort possible que des potiers musulmans aient habité des maisons proches mais distinctes et que leurs déchets domestiques ne nous soient tout simplement pas parvenus.

2.6.8.6 Le chemin

Des proportions différentes

357Les restes fauniques issus des divers contextes du chemin (ou du passage) qui sépare les habitations et les installations artisanales des potiers forment un ensemble de 374 restes dont 285 ont pu être déterminés. Mais ces restes sont dispersés entre dix‑neuf contextes différents (phases 1 à 3), dont dix contiennent moins de 10 restes, 5 moins de 30 restes et dont le plus riche contient 75 restes. C’est dire que, pris isolément, aucun de ces contextes ne saurait être signifiant. Pourtant, l’étude des niveaux du chemin est loin d’avoir été inutile : elle a montré combien cet espace de circulation et de plein air « réagissait » différemment en comparaison des espaces intérieurs.

358La faune y présente des spécificités caractéristiques des lieux de passage intensif et d’accès non protégé, où les éléments les plus fragiles disparaissent et où la présence de restes d’équidés se marque plus nettement (si l’on envisage qu’une zone dépotoir proche ait servi à l’équarissage des carcasses d’équidés, il est naturel que les chiens en aient rapporté des fragments épars et que ceux‑ci se retrouvent bien plus fréquemment en extérieur qu’à l’intérieur des habitats).

359Les figures 66, 67, 68, 69, présentant les proportions de restes de bœuf, de caprinés et de porc de sept des fours et fosses et des dix‑neuf contextes du chemin, en nombre de restes et en nombres minimaux d’individus, montrent clairement les différences d’homogénéité et de composition des deux types d’assemblages : le chemin a conservé plus que les autres contextes les restes solides des bovins qui se trouvent ici surreprésentés, mais dans des proportions très variables d’un contexte à un autre, compte tenu de l’effet de hasard induit par les très faibles nombres de restes. En additionnant les données de ces dix‑neuf contextes, on obtient une image de « l’alimentation » où le bœuf tient une plus grande place que dans les ensembles clos, vision faussée par la conservation différentielle. Malgré tout, les caprinés, bien que défavorisés dans un tel contexte, se maintiennent en première place en nombre de restes, le porc conservant sa place marginale.

360Quant aux petites espèces, elles disparaissent des niveaux du chemin : pas un seul os d’oiseau sur les 374 restes recueillis, 5 restes de mollusques (dont un gastéropode) et 2 restes de poisson seulement. À noter cependant dans le niveau 288, 1 reste de lièvre (1 coxal gauche). C’est l’unique espèce nouvelle que l’analyse de la rue, très réductrice en ce qui concerne le spectre faunique, permet d’ajouter à la liste des produits consommés par les artisans potiers.

Les chiens

3613 restes de chiens, livrés par les niveaux 477, 485 et 512, complètent les rares informations qui précèdent en témoignant de deux individus de très petite taille (dont un d’une hauteur au garrot maximale de 33 cm lfacteur Koudelka 1885]) et d’un troisième de taille petite à moyenne. Le four 70 avait également livré un reste d’un individu de petite taille. Parmi les quelques éléments préservés sur le site, il semble que les petits ou très petits chiens dominent.

Les équidés

362L’intensification de la présence des restes d’équidés dans les contextes du chemin est le fait le plus évocateur des contrastes révélés via les ossements entre espaces intérieurs et passages extérieurs : il se lit bien dans la figure 70 où sont rapportés, aux proportions de la triade de base (données sur 100 %), les pourcentages de restes d’équidés par rapport au nombre de restes déterminés total (NRD). Hormis le contexte 221 (12 restes) et les sept contextes qui contiennent moins de 5 restes, tous présentent des quantités relatives importantes de restes d’équidés, formant 5 % à 53,6 % du NRD (22 % en moyenne). Dans les fours et les fosses, au contraire, les restes d’équidés, présents dans toutes les structures livrant plus de 40 restes, constituent une part de seulement 0,4 % à 6,1 % de l’ensemble du NRD (2,4 % en moyenne).

363Cette meilleure représentation des équidés dans les contextes du chemin (mais qui ne fournissent en tout que 60 restes) a permis d’en étudier quelques aspects. Parmi ces restes, 19 ne sont pas rapportables à l’espèce. Les équidés sont adultes, et l’état d’usure des dents indique des animaux âgés. Bien que les os soient pour l’essentiel fragmentés, aucune trace de découpe n’est observable, à l’exception des incisions au couteau sur une phalange qui ont été mentionnées plus haut.

364Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre dans cette région où l’âne est privilégié, un seul reste est rapportable à cette espèce (contexte 481 : une dent jugale inférieure), tandis que 40 restes appartiennent au cheval, dont 22 avec certitude, issus des contextes du premier temps (phases 1 et 2A) comme du second temps (phase 2B) (contextes 478, 492, 488, 489, 485 pour le premier temps, et recharge le long du mur 82, tranchée est, datée de la phase 2B). Pour 6 individus analysables d’après les dents jugales récoltées dans les divers contextes du site, on compte 1 âne pour 5 chevaux. En contexte 488, il s’agit d’une molaire inférieure fortement usée, en contexte 485, de 3 dents jugales, très usées, appartenant à des individus différents. La recharge le long du mur 82 a livré les fragments gauche et droit des maxillaires inférieur et supérieur d’un individu assez âgé, d’environ 8‑11ans, et sans aucun doute caballin.

365Deux métapodes (les seuls os de grands mammifères retrouvés entiers sur tout le site de l’îlot Sainte‑Barbe) permettent de reconstituer la taille de ces animaux. En contexte 489, un métacarpien est très probablement rapportable à un cheval (analyse morphométrique effectuée selon la méthode de V. Eisenmann lEisenmann 1986]). Il s’agit d’un individu adulte de 129 cm de hauteur au garrot (facteur Kiesewalter 1888). Dans le même contexte, un fragment distal de métacarpien, malheureusement cassé de frais à mi‑hauteur de la diaphyse, apparaît d’une taille équivalente, bien qu’un peu plus robuste, et signale donc un second individu tout à fait comparable. Le contexte 485, situé immédiatement au‑dessus de ce niveau, a livré un métacarpien gauche entier, que l’analyse métrique incite également à ranger dans le groupe caballin. Il appartient à un animal d’une taille encore plus réduite, de 124,5 cm au garrot, D’autres métapodes, malheureusement fragmentés, sont de gabarits comparables et à rapporter très probablement au cheval (en contexte 478, un fragment proximal de métatarsien, en contexte 492, un fragment distal de métapode, qui pourrait, en comparaison, appartenir à un individu de plus de 129 cm au garrot).

366On aurait ainsi à Marseille deux « groupes » de chevaux, de petits individus d’environ 124 cm de hauteur et d’autres de quelque 129 cm. Ce sont des animaux de petit gabarit en comparaison des chevaux médiévaux d’autres pays d’Europe occidentale qui atteignent 137 cm de hauteur au garrot en moyenne7 (Audoin‑Rouzeau 1994). Le cheval de Marseille de 124,5 cm figure parmi les petits formats répertoriés. Ces deux mesures livrées par le site présentent l’intérêt d’apporter quelques éléments au dossier quasi vide concernant la question de la taille des équidés en France médiévale.

367L’âne est également attesté sur le site, on l’a vu, par une dent jugale. Il faudrait sans doute aussi lui rapporter la très petite phalange III observée dans la fosse 436‑602‑599, mais rien n’interdit l’existence de très petits chevaux ayant pu servir au transport (de rares témoignages archéologiques et textuels attestent pour le Moyen Âge et jusqu’au début du xx^e s. l’existence de chevaux d’un mètre environ de hauteur au garrot). La tendance à ranger les plus petits éléments équins au sein du groupe asinien, pour simple raison de taille, peut risquer de masquer des populations de petits chevaux de bât, que de plus amples travaux archéozoologiques devront se charger de mettre ou non en évidence. En l’attente, on préférera classer la petite phalange découverte à Marseille parmi les équidés non spécifiés.

2.6.8.7 Conclusion

368En dépit des incertitudes nombreuses et des impasses analytiques qui ont entravé l’étude de ces restes dispersés en de multiples unités stratigraphiques, l’examen de la faune du bourg des potiers a permis de mettre en place quelques‑uns des traits sociaux et culturels des artisans du site au xiii^e s. et au début du xiv^e. Elle a pu également apporter des éléments supplémentaires à divers dossiers encore en attente de données ou de confirmations, tels celui des équidés en France médiévale, celui des techniques bouchères (évolutions, immobilismes, spécificités culturelles), ou bien encore celui de l’empreinte environnementale sur une économie alimentaire : celle du régionalisme méditerranéen, aisément décelable en dépit des insuffisances quantitatives, apparaît décidément lourde et décisive.

2.7 Le Burgus Oleriorum au travers des sources écrites

369Notes de topographie marseillaise

370h.a., p.b.

371Rares sont les études consacrées à la topographie marseillaise. A. de Ruffi, sans doute sensible aux transformations importantes que subit alors la ville, aborde la question dans son Histoire de la ville de Marseille... publiée en 1696 (Ruffi 1696). Il faut cependant attendre le xix^e s. pour, après quelques travaux sur des points particuliers (Canebière, remparts...) (Bouillon‑Landais 1856 ; Fabre 1861 : 437‑460), voir publier, avec Les Rues de Marseille d’Augustin Fabre (Fabre 1867‑1869), une première somme sur le sujet. Cet ouvrage fait le point, comme son nom l’indique, sur l’histoire, parfois légendaire des principales rues de la cité. Appuyée en grande partie sur les travaux d’archives de Fabre, elle reste une source importante pour les chercheurs mais manque passablement d’une analyse d’ensemble des données. Ce n’est qu’au début du xx^e s., dans l’encyclopédie des Bouches‑du‑Rhône (Masson 1920‑1935 : t. XIV), que pour la première fois une histoire de la topographie marseillaise est tentée. Bénéficiant, entre autres, des publications de R. Busquet (Busquet 1914‑1919), E. Duprat y développe ses vues sur l’évolution de la ville médiévale. Vues sur lesquelles P.‑A. Février émit à juste titre quelques réserves, soulignant que « l’étude proprement dite de la topographie de Marseille serait à reprendre dans son ensemble » (Février 1964 : 123). Le constat reste d’actualité et toute recherche sur la ville de Marseille se heurte à un fatras d’affirmations dont certaines ne doivent leur légitimité qu’au fait d’avoir été maintes et maintes fois répétées jusqu’à ce que l’origine s’en perde.

372En matière de recherches topographiques, les archives marseillaises se caractérisent par deux choses : d’une part l’absence de cadastres anciens, ou de tout autre document fiscal général8, qui interdit d’espérer suivre avec précision l’évolution du parcellaire ; d’autre part, un fonds notarial d’une exceptionnelle richesse (quoique perdu aux trois quarts lors du sac de 1423), dont les registres les plus anciens remontent au milieu du xiii^e s., où sont consignées de nombreuses ventes, locations et autres transactions relatives aux habitations comme aux bâtiments publics.

373Pour aborder cette masse documentaire énorme et lacunaire, nous disposons des diverses citations faites dans les susdits ouvrages (quand on peut en retrouver et vérifier l’origine), d’un ensemble de textes publiés (Méry, Guindon 1841‑1848 ; Guérard 1857) et de quelques fichiers d’érudits (fichier Roberty, Bertas, notes de l’abbé Mortreuil...), qui composent notre corpus de base.

374Dans le cas de la zone touchée par le chantier archéologique Sainte‑Barbe, les données de départ sont étiques. Situé hors de l’enceinte médiévale, ce faubourg n’a pas attiré l’attention des historiens de Marseille. G. Rambert n’y fait, après A. Fabre (Fabre 1867‑1869 : t. 1, 77‑78), qu’une simple allusion dans l’encyclopédie des Bouches‑du‑Rhône (Masson 1920‑1935 : t. XIV, 119).

375La fouille ayant permis de circonscrire la période d’occupation du quartier, nous avons tenté de compléter ces renseignements par des sondages effectués dans les registres de notaires contemporains. Mais la complexité de la tâche ne permet guère de proposer ici qu’un point sur l’ensemble des données d’archives réunies à partir des études précitées, de nos propres sondages et de recherches que nous avons menées, de manière plus large, sur l’histoire marseillaise.

376Abordant la question de l’agrandissement de Marseille au xvii^e s., A. Fabre note qu’alors « entre la porte de la Frache et celle de l’Annonerie s’étendait le faubourg des oliers », En 1935, G. Rambert écrit, quant à lui, qu’en 1666 : « On remarquait ainsi au nord‑est, dans le vallon de Saint‑Martin, les faubourgs des Oliers et de Sainte‑Claire la Vieille. » Cette localisation au débouché de la porte de la Frache (ouverte, jusqu’à sa destruction, au sud de la rue Sainte‑Barbe) (Rambert 1931 : 122) ne paraît pas devoir être remise en question et plusieurs mentions médiévales situent déjà ce faubourg « supra fontem de la Fracha »9, une propriété étant dite « circa arcus ante portale Frachie, in burgo Oleriorum »10. Dans ce deuxième cas, la mention de l’arc qui fait référence à l’aqueduc de l’Huveaune donne une indication de confront supplémentaire qui rend toute polémique vainc. Ajoutons, pour faire bonne mesure, qu’en 1350 les délibérations du conseil de la ville font mention d’une porte des oliers qui pourrait bien être le Portai de la Frache lui‑même et que deux textes au moins indiquent que le bourg des oliers relevait de la juridiction de la ville haute11. Contrairement à ce qu’écrit A. Fabre, le bourg des oliers ne doit probablement pas son nom à une ancienne famille marseillaise. Ce patronyme, assez courant au demeurant, est d’ailleurs bien souvent lié à une activité artisanale réelle. À ces dates hautes, il est en effet fréquent qu’un individu X, dont le nom de famille est olerius, exerce effectivement le métier de potier, nous en citons un exemple ci‑dessous. Il est encore plus commun que l’individu en question ait un patronyme différent et un surnom tiré de son travail. Ainsi le trouve‑t‑on mentionné indifféremment sous son nom de famille, sous son pseudonyme professionnel ou encore, et ce genre d’occurrence est ici capital, sous son vrai nom, accompagné de la mention du métier excercé. Quel qu’ait été le détail de la genèse du bourg des oliers de Marseille, il n’est pas douteux que sa dénomination rende compte de sa destination principale et moyennant quelques précautions dans l’interprétation ce toponyme peut être tenu pour généralement assez sûr dans des contextes anciens12.

377La plus ancienne mention retrouvée à ce jour de l’existence d’un « bourg des oliers » remonte au 10 avril 1264, date à laquelle il est fait mention du « viridarium Johanni Ferieri in carreria burgi Oleriorum »13. Cependant, aucun texte ne permet de préciser la date de création de ce quartier périurbain. Il est néanmoins probable que l’implantation médiévale fût d’une durée assez courte, car les troubles de la seconde moitié du xiv^e s. semblent en avoir sonné le glas. Dès 1352, les autorités ordonnent de rabaisser les maisons situées « devant et à proximité (sinon au contact) des remparts » (ante barria et juxta menia)14.

378En 1357, il est ensuite délibéré de les raser « jusqu’aux fondations si nécessaire » (usque ad fundamenta si requisierint)15. Cette disposition est complétée par le conseil de ville du 18 janvier 1358 qui décide que toutes les maisons contiguës aux fossés et placées en avant des remparts seront détruites (quod domus omnes contigue vallatis et posite ante menia ipsius civitates dirntentur)16. Comme toute mesure extrême, il est possible que celle‑ci n’ait pas été entièrement exécutée ne serait‑ce qu’au regard de son coût. Quelques bâtiments ont ainsi pu survivre quelque temps à cet arrêt, ainsi qu’en atteste, par exemple, la vente, le 30 septembre 1358, d’un casal « in burgo oleriorum » confrontant deux maisons (domus) pourtant proches du fossé (vallat)17. Combien de temps cette situation a‑t‑elle pu perdurer ? Nous l’ignorons, mais jusqu’en 1359 des maisons sont encore mentionnées dans ce faubourg. Le 27 août et le 3 septembre 1359 deux maisons sont dites « in burgo Oleriorum »18 et le 26 avril 1361, une certaine Alasacc Maysola est encore désignée comme « mordns in burgo Oleriorum »19.

379Dès la fin du xiv^e s., toutefois, il n’y a plus selon toute apparence d’habitat structuré dans la zone, où l’on ne trouve plus mention que d’aires et de suelhes. Une belle série d’actes précise que chacune de ces installations « erdt antiquitus luega hospicii »20. Le toponyme, quant à lui, surviT aux destructions au moins pendant trois siècles (Fabre 1867‑ 1869 ; Rambert 1931).

380Les textes retrouvés n’apportent aucune précision sur la nature des habitations de ce quartier. Tout au plus peut‑on noter la présence, en 1264, 127821 et 130022, de jardins qui indiquent, au moins en certains endroits, un parcellaire assez lâche. Outre ces jardins, on note la présence d’une fontaine23 et d’un abreuvoir rond (peut‑être lié à cette dernière) porté par ailleurs sur les plans anciens de la ville24

381Si l’étendue du faubourg reste à préciser, il est en revanche établi que, contrairement à ce qu’affirme A. Fabre, elle excède « un chemin bordé de quelques maisons ». La fréquence des mentions d’habitations sises dans le bourg des oliers comme, par ailleurs, l’existence prouvée de traverses et de plusieurs voies publiques indiquent une relative extension de l’habitat25. Au regard de la problématique archéologique de cet ouvrage, les références les plus précieuses que nous avons pu réunir ont trait aux deux activités structurantes de ce quartier. La mention de la présence d’au moins encore un olier en 1332 dans le faubourg est capitale, non parce qu’il y avait lieu de douter de la vocation du quartier, mais parce qu’elle permet d’en préciser la chronologie26.

382Petrus Raynaldi, olier, désigné aussi simplement comme Petrus ollerii est à ce jour le plus ancien potier marseillais connu par les sources écrites, mais paradoxalement il est sans doute un des derniers à avoir œuvré dans le bourg des oliers. Antérieurement à cette date, deux autres indices évoquent de façon très probable l’activité qui a donné son nom au quartier. L’un vient d’un acte qui mentionne, en 1299, P. Olerii dans un confront et il pourrait bien ici s’agir de P. Raynaldi ci‑dessus nommé, l’autre d’une transaction dans laquelle apparaît en 1320 la maison de « Plendose Ollerie », très probablement une veuve de potier (cf. ci‑dessous note 29). La série de reconnaissances des biens fonciers dans laquelle intervient P. Raynaldi nous apprend également l’existence d’une Bermunda Olleria qui tient un « patuum » et une maison « in burgo olleriorum », dont rien n’interdit de penser, au vu de son nom, qu’elle était femme ou plutôt veuve de potier. Les autres emphytéotes ne semblent pas avoir d’implication dans la production céramique. Mais ils sont au total nombreux à jouir de propriétés bâties ou non dans ce secteur, constat qui suppose un habitat encore assez organisé à cette époque. Clés mêmes actes et un autre plus ancien de quatre ans nous confirment aussi une mutation, peut‑être récente, intervenue dans l’activité du quartier. En 1328, Thomasius Anglici, fabre, c’est‑à‑dire forgeron, réside « in carreria oleriorum de civitate superiori ». En 1332, sa veuve tient toujours la même maison, et au moins deux autres fabres résident dans le voisinage, G. Martelli et Paulus Cruel. Ces indices ne permettent pas à eux seuls de préjuger exactement de la date réelle d’installation des premiers artisans du métal. 11 n’est pas impossible en effet qu’elle soit un peu plus ancienne27.

383En revanche, à compter des années 1330, la population du quartier semble différente de ce qu’elle fut à la fin du xiii^e s. au vu des preuves archéologiques. Entre 1328 et 1361 on trouve de fait parmi les propriétaires et résidents, outre les métiers susmentionnés, un trompettier28, un arbalétrier29, un bâtier30, un peyrier31, un lapicide32, des « laboratores »33, un charretier34, un boucher35, un maréchal‑ferrand36, un avocat37 et des individus sans mention de profession. À l’issue de la campagne de destruction entreprise sur ordre du conseil dans les années 1350, le destin de ce quartier est scellé et il est, pour l’essentiel, alors déserté et transformé en lieux vagues.

384En l’état des recherches qui est aussi pour une bonne part un état des sources, la documentation marseillaise permet au premier chef de nommer et situer le bourg encore en activité, et en second lieu d’appréhender assez exactement les derniers stades d’évolution d’un quartier d’habitat assez structuré ; c’est‑à‑dire la fin de l’activité céramique, la présence des forgerons et les destructions des périodes troublées. Seules des recherches extrêmement poussées pourraient éventuellement permettre de préciser ces données et peut‑être de retrouver trace de la présence tardive des corailleurs.

2.8 Évolution et permanence d’un quartier marseillais

385h.m., l.v.

386tabl. xi

387Marqués par de nombreuses vicissitudes, ces terrains en marge du noyau urbain depuis la plus haute antiquité ont toujours constitué, de par leur situation à l’est immédiat de la ville, une zone naturelle de l’expansion de la cité. Ainsi, tout au long des siècles, cette colline pentue à l’entrée de la ville a servi tour à tour de lieu pour les morts, les artisans pollueurs et au trop plein de population. Malgré sa position stratégique proche des remparts, elle a été intensément occupée avec un souci constant de remodeler le relief naturel afin de le rendre plus commode à l’implantation humaine. Ces installations temporaires et sans cesse renouvelées ont été scandées par de nombreuses ruptures de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge et au début de l’Époque moderne. Ce n’est qu’à partir du xvii^e s., après de longues périodes d’insécurité, que ce lieu hors les murs est définitivement approprié par les citadins et intégré pleinement à la ville. Si l’empreinte du faubourg médiéval n’est pas restée gravée dans l’urbanisme actuel, il est pourtant étonnant de constater la permanence des orientations des maisons à l’Époque moderne, installées perpendiculairement à la pente sur les mêmes emplacements. C’est dire combien le poids du cadre naturel a dû peser pendant des siècles. Depuis le xix^e s., seul l’arasement du sommet de la colline pour la mise en place de l’Arc de la porte d’Aix a sensiblement atténué ce souvenir.