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    Plan détaillé Texte intégral 1.1 Généralités 1.2 Exploitation de l’or1.3 Le temps des placers1.4 Une entreprise omniprésente : la sneav Notes de bas de page

    Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane)

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 1. Une nouvelle Californie

    p. 71‑108

    Résumés

    L’or est découvert en 1854 en Guyane. Il faut attendre 1866 pour que sa présence soit attestée dans le bassin du Sinnamary. La ruée vers l’or peut commencer, elle se poursuivra pendant près de 70 ans. Artisanale à ses débuts, l’exploitation devient rapidement industrielle ; quatre dragues aurifères ont fonctionné dans le bassin du Sinnamary à partir de la fin du xixe s., l’une d’elles est en grande partie conservée (cf. annexe 3). Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les placers (gisement d’or) relèvent de nombreuses entreprises d’exploitation, la plus importante étant la Société Saint‑Élie qui deviendra la sneav. L’or est aussi l’affaire des « bricoleurs », travailleurs plus ou moins bien organisés agissant pour le compte de ces sociétés. La SNEAV, dans les années trente, emploie près d’un millier de personnes de nationalités variées (Chinois, Anglais, Brésiliens...). Mais globalement l’industrie aurifère en Guyane n’a jamais connu l’essor que l’on en attendait.

    Les prospections et fouilles archéologiques dans les villages d’orpailleurs ont surtout livré du matériel d’exploitation, des pièces détachées de dragues en particulier, et plus rarement du mobilier usuel (des bouteilles essentiellement) ; par ailleurs la configuration de ces villages est connue par le récit de Savaria (1933). Au placer d’Adieu Vat, exploité de 1866 à la Seconde Guerre mondiale, ont été observées de nombreux vestiges de l’exploitation : voie ferrée, wagonnets, chaudières, broyeurs, etc.

    Gold was discovered in Guyane in 1854, but only in 1866 in the Sinnamary basin. The following gold‑rush was to last for nearly seventy years. A cottage‑industry at the beginning, it rapidly became a major industry ; four dredgers operated in the Sinnamary basin from the end of the 19th century. One of these is, for the most part, preserved (cf. annexe 3).

    Up until the Second World War, the « placers » or gold deposits were the domaine of several mining companies. The most important of these, « La Société Saint‑Elie » was to become the sneav. Gold was also an affair for independant workers, more or less organised, who worked at the behest of these companies. The sneav, during the 1930’s, employed nearly one thousand people of differring nationalities (Chinese, English, Brazilians…). Globally, however, the gold industry of the Guyane never reached the proportions that had been hoped for.

    The field‑walking and excavations in the gold‑panning villages yielded above all artefacts associated with extraction : spare parts for the dredgers in particular and, more rarely, everyday objects (mainly bottes…). In addition, the layouts of these villages are known from the accounts of Savaria (1933). The site at the deposit of Adieu Vat, worked from 1866 to the Second War, produced many remains of gold extraction : rail‑tracks, wagons, boilers, crushers, etc.

    El oro en Guayana fue descubierto en 1854. Hay que esperar 1866 para que su presencia sea confirmada en la cuenca del Sinnamary. La riada por el oro así puede comenzary continuará durante casi 70 años.

    Artesanal al principio, la explotación se transforma rápidamente en « industrial » : cuatro dragas auríferas funcionaron en la cuenca del Sinamary desde fines del siglo XIX, una de ellas esta conservada por la mayor parte (cf. anexo 3). Hasta la Segunda Guerre mundial, los placers (yacimientos de oro) dependen de numerosas empresas de explotación, la más importante es la Sociedad Saint‑Élie que se transformara en la sneav. El oro es también el négocie de chapuceros, obreros mas o menos bien organizados trabajando por la cuenta de esas sociedades. La sneav, en los años treinta, emplea cerca de mil personas de nacionalidades diversas (chinos, ingleses, brasileños, …). Pero generalmente la industria aurífera en Guayana nunca conoció la expansion que se esperaba. Las prospecciones y excavaciones arqueológicas en los pueblos de buscadores de pepitas de oro revelaron sobre todo material de explotación, piezas sueltas de dragas principalmente y, más raramente, material usual (botellas esencialmente) ; por otra parte la configuración de esos pueblos es conocida por las narraciones de Savaria (1933). En el placer de Adieu Vat, abierto desde 1866 hasta la Segunda Guerre mundial se observaron numerosos vestigios de la explotación : vía férrea, vagonetas, calderas, trituradores, etc.

    O ouro foi descoberto em 1854 na Guiana, mas só em 1866 sua presença foi atestada na bacia do Sinnamary. A corrida do ouro começou então e prosseguiu por cerca de 70 anos. A exploração, artesanal no início, tornouse rapidamente industrial : quatre dragas auríferas funcionaram na bacia do Sinnamary a partir de fins do século XIX, sendo que uma delas esté em grande parte conservada (cf. anexo 3). Até a Segunda Guerra Mundial, os placers (jazidas de ouro) eram geridos por numerosas empresas de exploração, a mais importante das quais foi a empresa Saint-Elie, que se transformou na sneav. 0 ouro atrai também os « bricoleurs », trabalhadores mais ou menos bem organizados que agiam por conta destas empresas. A sneav, no decorrer dos anos 30, empregou cerca de mil pessoas de diversas nacionalidades (chineses, ingleses, brasileiros, etc.), mas globalmente a indústria aurífera na Guiana jamais registrou a expansão esperada. As prospecções e escavações arqueológicas nos vilarejos de garimpeiros revelaram sobretudo material de exploração, em particular peças sobressalentes de dragas, e mais raramente mobiliário usual (essencialmente garrafas). Por outra lado, a configuração desses vilarejos é conhecida através da narrativa de Savaria (1933). No placer de Adieu Vat, explorado de 1866 até a Segunda Guerra Mundial, foram observados numerosos vestígios da exploração : via férrea, vagonetes, caldeiras, trituradores, etc.

    Texte intégral 1.1 Généralités 1.1.1 Cadre géologique 1.1.2 Les prémices1.1.3 La ruée vers l’or du Sinnamary (1866‑1940)1.2 Exploitation de l’or1.2.1 Types de gisementsL’or filonienL’or éluvialL’or alluvial en berge et en rivière1.2.2 Les dragues1.2.2.1 Les dragues aurifères en Guyane1.2.2.2 Description et fonctionnement des dragues à godets1.2.2.3 Rendement des dragues1.2.2.4 Les dragues à godets utilisées dans le bassin du SinnamaryLa drague FloraLa drague Sursaut ou EspéranzaLa drague Courcibo1.3 Le temps des placers1.3.1 Présentation des grands placers et des compagniesCompagnie des dragages aurifères de la Guyane françaiseSociété anonyme des gisements d’or de Dieu MerciCompagnie des mines d’or du Sinnamary. Placers Dieu Merci & Eldorado réunisSociété des mines d’or d’Adieu Vat et Bonne AventureSociété de Saint‑ÉlieSociété française d’exploitations aurifèresSociété du placer Courriège1.3.2 Un bilan économique vers 18901.3.3 Le temps de la bricole : l’inévitable complément des placers ?1.3.4 Aspects économiques et fiscaux : la rentabilité des placers1.3.4.1 L’évolution de la législation1.3.4.2 Le rapport de production1.3.4.3 L’évolution de la situation des années 1920 à 1940Permis de rechercheConcessions de minesLa production1.3.4.4 L’ampleur du phénomène aurifère jusqu’à la Seconde Guerre mondiale1.4 Une entreprise omniprésente : la sneav1.4.1 Un patrimoine important1.4.2 « l’or attire mais ne fixe pas »1.4.2.1 Une population variée1.4.2.2 Les villages d’orpailleursRécits de voyage1.4.3 Une entreprise aurifère dans l’avant‑guerre1.4.3.1 Maîtriser la concurrence, dominer les conflits1.4.3.2 Un matériel technique approprié1.4.4 L’évolution des placers de la sneav dans les années 19301.4.4.1 Adieu VatHistorique du siteChronologieÉtude archéologiqueLes vestiges de la voie menant de Filon Rocher à la crique Bonne NouvelleLa zone des broyeursLes briques en terre cuite1. 4.4.2 Le placer Saint‑Élie1.4.4.3 Le placer Dieu Merci Notes de bas de page

    Texte intégral

    1.1 Généralités

    1.1.1 Cadre géologique

    1Les études géologiques menées sur le plateau des Guyanes ont montré l’étroite concordance entre la présence de gîtes aurifères et les formations de la série volcano‑sédimentaire du Paramaca. Il s’agit d’ensembles de roches volcaniques et sédimentaires qui se sont mis en place à une période très ancienne mais bien définie dans les temps géologiques. E. Lezy (1989 : 129) résume très bien les caractéristiques principales de ces zones aurifères :
    – 1, granit fondamental à la base, gneiss et roches feuilletées au‑dessus ;
    – 2, enrichissement des zones de contact en matières minérales ;
    – 3, nombreuses intrusions dioritiques dans cet ensemble ;
    – 4, absence totale des calcaires et de terrains secondaires et tertiaires ;
    – 5, décomposition rapide des roches.

    1.1.2 Les prémices

    2En 1786 et 1788, Jean‑Baptiste Leblond, médecin naturaliste du roi, est l’un des premiers explorateurs « scientifiques » (après Fusée‑Aublet et en même temps que Chapel) à parcourir le bassin du Sinnamary. Ses expéditions le long des rivières du Sinnamary et du Courcibo sont importantes pour l’avenir, dans la mesure où il rapporte des observations très précises sur la géologie des lieux visités. En particulier, il remarque la présence de différentes variétés de « faciès de granites, leurs types d’altération, la rareté de filons de quartz à l’intérieur de ceux‑ci »1. Il n’ose pas avancer l’hypothèse de l’existence de filons de quartz aurifère, bien qu’à travers ses propos il semble l’avoir devinée.

    3Les remontées du fleuve se poursuivent dans la première moitié du xixe s. sur un rythme moins soutenu. La recherche de l’or, à vrai dire, n’est pas la seule préoccupation ; le fer, le manganèse, la terre et surtout le bois peuvent, à terme, donner lieu à une utilisation industrielle. La relation de voyage de Banon, datée de 1819, apparaît comme le seul document qui nous soit parvenu. Malgré l’absence de carte, les descriptions qu’il nous donne sont suffisamment précises pour situer avec exactitude les noms de sauts et de montagnes. Banon se réfère, en de nombreuses occasions, à la carte de J.‑B. Leblond parue quelques années plus tôt à Paris (1814). L’explorateur remonte le Sinnamary jusqu’à Saut Dalles (Toconeritango ou Tonoritango). Il décide alors de visiter l’intérieur des terres pour rejoindre la crique Galibi (affluent du Kourou). En chemin, il relève la présence d’anciens établissements de Noirs marrons ainsi que de vieilles trappes entre Saut Dalles et Saut l’Autel. Quelques années plus tôt, en 1806, le lieutenant Sirdey, avait été chargé par le gouverneur Victor Hugues de détruire les établissements de Noirs marrons installés vers la tête de la rivière Galibi. L’expédition, composée de militaires et de miliciens, parcourt pendant quatre mois les rivières de Sinnamary jusqu’au chemin de l’Oyak (emprunté en 1770 par Dessingy), de Sapourana, d’Avigari (Arigaraie) et Galibi. Sirdey en profite pour dresser une carte sur laquelle il indique les établissements des Noirs marrons et l’ensemble des ruisseaux que reçoivent ces rivières. Cette carte semble avoir été remise au dépôt terrier de Cayenne d’où elle disparaîtra par la suite2.

    1.1.3 La ruée vers l’or du Sinnamary (1866‑1940)

    4Il faut attendre la découverte de l’or (1866) dans ce bassin et la ruée sur les placers d’Adieu Vat et de Saint‑Élie pour que la ferveur supplante l’apathie des populations. Cette découverte transforme les esprits comme elle modifie et enrichit progressivement la toponymie générale du bassin du Sinnamary, restée inchangée depuis la fin du xviiie s.

    5En Guyane, l’or a été découvert en 1854 par Paoline, dans la région des criques du bas Approuague. L’histoire de son exploitation dans le bassin du Sinnamary et de son affluent principal, le Courcibo, commence en 1866. Cette année‑là, Paul Isnard obtient sa concession de Bonne Nouvelle (plus tard Adieu Vat), après d’autres exploitations ouvertes antérieurement plus à l’est et avant celles de la Mana et du Maroni (depuis une dizaine d’années). C’est une ruée humaine qui commence. Cette aventure, tâtonnante dans la première décennie, connaît un fort développement à partir de 1875 environ et, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, mêle les chercheurs, les commerçants et les financiers qui ouvrent des puits et draguent des rivières. Le Sinnamary, le Courcibo, les criques Tigre et Sursaut deviennent le lieu d’expérimentation de machines et de techniques avancées, sinon déjà performantes en Californie par exemple. L’activité aurifère, déclinante dans les années 1950, semble repartir depuis une dizaine d’années.

    6Si les cartes de cette fin de siècle (Vivet, Eutrope, Hansen, Carpentier...) semblent encore presque totalement imprégnées par des noms amérindiens, on voit apparaître progressivement les premiers noms français (Petit Saut, Saut du Banc de Sable), qui vont peu à peu prédominer sur les nouvelles cartes, avec le développement de l’exploitation aurifère dans la première moitié du xxe s. La multiplication des concessions nécessite de plus en plus des plans précis pour éviter les conflits de délimitation entre les exploitants. De nombreuses petites criques reçoivent alors des noms pour faciliter les repérages. Certains orpailleurs n’hésitent pas à donner leur propre nom ou surnom à des sauts (Alphonsin, Bérard et Morol) et des criques (Latidine et Lamarillère…). D’autres encore préfèrent donner un nom imagé aux sauts les plus périlleux (Sauts Impossible, Lucifer, Niagara, du Péril…). On constate également l’apparition de noms créoles (roche Zozo Fou, criques Bœuf Bois et Bacove). Seuls quelques rares noms amérindiens de sauts (Taparoubo, Arouapabo, Yaparou‑apabo…) et de criques (Camaoïbo, Ataparoubo) ont persisté.

    7Sur les cartes IGN actuelles, toute une nouvelle toponymie voit le jour. En effet, on constate l’apparition d’un grand nombre de noms de sauts (Bois Blanc, Aristide, Équerre…) et de criques (Yolande, Parasol, Triton...) inconnus jusqu’alors. Des tous premiers noms attribués par Préfontaine, Dessingy, Bonne et Leblond, il n’en subsiste pour ainsi dire aucun à l’exception du Saut Mociban devenu Saut Nacibo. Ce renouvellement de toponymes peut s’expliquer par l’arrivée des chercheurs d’or qui veulent marquer de leur empreinte les territoires qu’ils ont prospectés et habités.

    1.2 Exploitation de l’or

    8Adieu Vat apparaît comme l’un des principaux placers découvert en Guyane. On y trouve toutes les caractéristiques exposées ci‑dessous. Ce placer présente également la particularité d’avoir les trois types de gisements existants en Guyane : l’or filonien, alluvial et éluvial.

    1.2.1 Types de gisements

    L’or filonien

    9Les premiers gîtes filoniens ont été découverts à Saint‑Élie en 1881 (Filon Joyeuse) et à Adieu Vat en 1882 (Filon du Rocher et Filon Madame). Le filon du Rocher compte plus de 8 000 m de galeries avec deux puits qui descendent respectivement à 80 et 120 m de profondeur. L’or apparaît sous la forme de veines prises dans le quartz. Il a fallu utiliser des broyeurs et des pompes mus par un groupe électrogène de 500 ch.

    L’or éluvial

    10Dans la région de Sinnamary, les éluvions se nomment « terre de montagne ». On prépare un front de taille et l’on récupère la terre qui est lavée par sluice (doc. 8) alors que les roches sont déversées dans les broyeurs à quartz. La seule condition technique impérieuse réside dans la nécessité d’avoir une réserve d’eau importante pour abattre les pans de terre de la montagne.

    L’or alluvial en berge et en rivière

    11En berge, les alluvions sont normalement exploitées par sluice pour les chantiers comprenant plus de deux ouvriers, par longtom (doc. 8) pour les mineurs isolés. En rivière, les alluvions sont exploitées par dragage.

    1.2.2 Les dragues

    12« Dans d’autres pays aurifères le dragage a donné et donne de bons résultats. En Guyane, les exploitations par dragages n’ont donné même, après une période de rendement intéressant, notamment pour les dragues du Courcibo et de la crique Ipoucin, que des déboires3. »

    1.2.2.1 Les dragues aurifères en Guyane

    13L’utilisation de dragues dans l’exploitation aurifère apparaît tardivement, dans la seconde moitié du xixe s. (1865). En 1875, on en trouve plusieurs fonctionnant en Nouvelle‑Zélande. La première drague à godets et à vapeur date de 1882 et fut construite dans ce même pays (Bordeaux 1906 : 107). Par la suite, les dragues sont munies de moteurs électriques qui permettent de contrôler tous les appareils : organes de mouvement de la drague et de ses câbles (papillonnage), de la chaîne de godets et de son support ou élinde, du trommel (doc. 8), de l’élévateur de queue, des pompes...

    14En Guyane, les premières dragues à godets semblent avoir fait leur apparition, à défaut de date précise, à la fin du xixe s. Sur la dizaine de dragues amenées en Guyane, quatre d’entre elles ont fonctionné dans le bassin du Sinnamary. D’après les informations fournies par les orpailleurs ayant travaillé dans la zone d’Adieu Vat et à la suite des diverses prospections que nous avons menées sur le Sinnamary et ses principaux affluents, seuls les vestiges de trois dragues ont été repérés. D’après Édouard Levat, une quatrième s’est échouée dans la crique Tigre, mais nous n’avons pas plus de précision.

    15En 1927‑1928, une drague « suceuse‑broyeuse » fut amenée dans le secteur de Petit Saut par un ingénieur civil des mines, Julien Wack, mais on n’en connaît ni la forme, ni la destination finale. Mais d’après une autre source4, il semble que M. René Muguerot, entré à la sfea (Société française d’exploitations aurifères) en 1926, ait été chargé, sur les indications d’un ingénieur belge de la société, M. Vermeer, de faire les plans d’une drague suceuse. Les plans agréés ont été construit par five‑lille. Le matériel est embarqué sur le trois‑mâts La Suzanne \e 8 avril 1927. Arrivée un mois plus tard à l’embouchure du Sinnamary, la drague est assemblée en plein village de Sinnamary. M. René Muguerot abandonne la sfea en 1929 et liquide le chantier. En 1930, Edmond Savaria, lors de sa remontée du Sinnamary (Savaria 1933 : 184‑188), l’aperçoit peu avant d’arriver à la crique Chapeau : « une grande usine flottante abandonnée... Cet assemblage, qui a coûté des millions s’appelle une suceuse. » Albert Bordeaux donne la description d’une drague suceuse qui pourrait s’approcher de celle de la crique Chapeau : « composée d’une pompe centrifuge et d’un tuyau d’aspiration muni d’une crépine qui plonge dans le sable à extraire ».

    1.2.2.2 Description et fonctionnement des dragues à godets

    16Les dragues à godets introduites en Guyane fonctionnent selon le même principe. La description présentée ci‑dessous correspond plus particulièrement aux dragues « Levat » :

    « Elles sont composées de deux coques en tôle d’acier qui peuvent se démonter pour être transportées en plusieurs colis de 150 kg. La chaîne de godets (ou élinde) passe entre les deux pontons. Au point de renversement des godets se trouve un trommel percé de trous, irrigué par une pompe, dans lequel s’opère la séparation des cailloux et de l’or et le classement des gros et des fins. Suivant les cas, il faut faire varier dans des rapports différents le nombre des tours du trommel et la vitesse des godets. À la sortie du trommel se trouve le sluice‑box, au dessus duquel s’embranche un double sluice pour les déblais. Quant au sluice de sortie (celui du dessous), il conduit à un second sluice, à la tête duquel est disposé un undercurrent formé d’une toiture à double pente dont les barreaux sont écartés de 5 mm. Ces barreaux retiennent toutes les parcelles qui ont plus de 5 à 6 mm. Seules les parcelles les plus fines passent sur le sluice de sortie, muni de rifle d’une grande puissance d’absorption : par exemple des tapis en fibres de coco recouverts d’une plaque métallique perforée ou d’un réseau de fil de fer. La drague peut être munie d’un élévateur pour tailings et aussi d’une pompe à compression analogue aux « monitors » californiens. En effet, pour le travail « en butte » dans les berges ou les placers secs, on combine souvent (par exemple en Guyane) le dragage et la méthode hydraulique : un jet de lance désagrège le front d’attaque et les boues ainsi formées sont ensuite draguées. Il suffit en moyenne de cinq hommes (dont un ouvrier laveur) pour manier la drague, sans compter les bûcherons pour le chauffage de la machine etc. Une drague peut élever, suivant les modèles, 50, 80 ou 100 m3 par heure. On fait également des dragues de prospections. Celles de M. Levat se composent uniquement d’une chaîne de godets et d’une machine à vapeur qu’il faut transporter avec soi. Tout le reste peut être fait en bois sur place. La drague est installée sur deux ou quatre pirogues accouplées. Au renversement des godets on lace une grille de débourbage de 10 mm à la suite de laquelle se trouve un sluice.
    « Une fois en place, la drague papillonne, c’est‑à‑dire que fixée à deux pieux enfoncés dans le lit de la rivière, elle se meut de droite à gauche avec « l’élégance d’un canard qui barbotte » ; à chaque papillonnage, elle gagne un peu en avant ; on déplace alors les pieux et le papillonnage recommence. » (Hauser 1906 : 72.)

    1.2.2.3 Rendement des dragues

    17Dans une étude sur le dragage de mai 1907, Georges Nègre évoque des dragues traitant 12 000 m3 d’alluvions et produisant une moyenne de 13 kg d’or par mois (Nègre 1907). La même année, une étude sur la Compagnie minière et de dragages de Guyane soulignant la nécessité d’adapter les dragues aurifères aux conditions propres à chaque pays (en l’occurrence, en Guyane, les difficultés matérielles de communication), cite le cas de deux dragues. La drague Élysée no 1, adoptée à partir de 1902, atteint une production mensuelle de 6 kg d’or. La drague Élysée no 2 (fig. 21) a une capacité de traitement de 600 m3 environ par 24 h (soit trois fois plus que la première) ; plus robuste, chacun de ses godets pèse 225 kg (au lieu de 86 kg pour la no 1), elle peut produire 20 kg d’or par mois. Trois équipes de sept hommes tournent toutes les huit heures. Chaque équipe est composée d’un chef d’équipe au treuil, d’un chauffeur, d’un mécanicien, d’un plongeur, d’un laveur et de deux manœuvres. En outre, l’apport de combustible nécessite quinze coupeurs de bois et dix hommes à son transport ; enfin deux hommes sont affectés à l’entretien et aux réparations. Au total, ce sont près de quarante personnes qui travaillent directement pour une seule drague5.

    Image 10000000000003F80000020E0B098B4C3691AE82.jpg

    FIG. 21 – Drague no 2, placer Élysée.

    OP del./Afan d’apr. plan AN, cote 65 AQL 1234

    1.2.2.4 Les dragues à godets utilisées dans le bassin du Sinnamary

    La drague Flora

    18L’ingénieur Edouard Levat est l’un des principaux concepteurs et initiateurs de l’introduction de dragues à godets en Guyane (mais également en Transbaïkalie). L’une de ses dragues, appelée Flora, a été découverte échouée dans la rivière Courcibo par 4° 57’ 38" de latitude nord et 53° 00’ 28" de longitude ouest, à moins de quelques centaines de mètres de la drague Courcibo.

    19Comme l’attestent une photographie (fig. 22) et un plan en coupe de cette drague (Hauser 1906 : 70, 71), sa construction a été réalisée par É. Levat dans les entrepôts de Gustave Detombay et Maurice Delance, de la Compagnie des forges et chantiers de l’Escaut en Belgique, vers la fin du xixe s. Comme toutes les dragues construites par Levat, Flora est entièrement démontable pour faciliter son acheminement par bateau depuis la métropole jusqu’à la zone d’exploitation qui lui serait dévolue. Il s’agit probablement d’une drague dite de prospection, mais avec des dimensions malgré tout assez conséquentes. Sa conception lui permet d’obtenir de hauts rendements pour l’époque. À titre d’exemple, en 98 h de travail, elle produit 6 kg d’or, ce qui représente 60 g par heure. Pour cause de maladresse, la drague coule en 1901 après quatre à cinq mois de fonctionnement.

    Image 100000000000029E000001F8971A7E110C470F55.jpg

    FIG. 22 – La drague Flora en activité sur la rivière Courcibo en 1901. BNF, d’apr. Levat 1905).

    © Bibliothèque Nationale de France, Paris

    La drague Sursaut ou Espéranza

    20La drague Espéranza est localisée sur la crique Sursaut, affluent de la crique Tigre par 4° 58’ 18" de latitude nord et 53° 10’ 33" de longitude ouest (secteur 6).

    21Cette drague a été conçue par le baron Herre Wyn (doc. 7), capitaine d’infanterie de la marine. Certains éléments tels que la chaudière ont été fabriqués à Düsseldorf par la compagnie Dürr & Co, comme l’atteste une plaque datée de 1898, retrouvée sur place. D’après Jean Petot, la fabrication est l’œuvre d’une entreprise hollandaise qui, sur l’exigence de son inventeur, construisit une drague entièrement démontable, comme celles d’Édouard Levat. L’ensemble de l’ouvrage dépasse les 120 t pour un prix total de 18 000 F. Peu adaptée au milieu naturel, la drague Sursaut ne fonctionne que deux années.

    Document 7
    Lettre au Secrétaire général de la société de Géographie par le baron Herre Wyn, 3 mai 1900

    Source : BNF, Soc. Géo. colis 15 bis no 2723.

    Monsieur le Secrétaire Général et cher collègue,

    J’ai l’honneur de vous informer de mon retour en France, revenant de la Guyane française où je viens de séjourner 20 mois dans l’intérieur des forêts à plusieurs kilomètres de la rive gauche de la crique Tigre, grand affluent du Sinnamary.

    La mission qui m’avait été confiée en 1898 avait pour but d’organiser et diriger dans ces régions lointaines une exploitation des alluvions aurifères à l’aide d’une puissante drague laveuse d’or pouvant laver 50 m cubes à l’heure de ces alluvions. Les machines de cette drague sont actionnées par la vapeur en employant comme combustible les arbres gigantesques de la forêt vierge qu’il s’agit de défricher avant d’y engager la drague.

    Tout d’abord il m’a fallu surmonter de grandes difficultés d’accès en raison de nombreux et difficiles rapides à faire franchir à mes pirogues Saramacas portant les pièces divisées de mes machines dont le poids total était de 120 000 kg. Les difficultés se sont encore considérablement accrues lorsque, quittant la crique Tigre, il nous a fallu nous engager dans la petite crique Saut dont le lit entièrement encombré par ces arbres tombés depuis des siècles ne permettait plus le passage de nos pirogues. Enfin, après des efforts d’environ 8 mois, secondés par des équipes de nègres saramacas et guyanais auxquels s’adjoignaient des condamnés Blancs en cours de peine prêtés par l’administration pénitentiaire, la drague Speranza était montée et mise en fonction dans les alluvions aurifères du placer Sursaut.

    La drague Speranza qui appartient à la Compagnie des Dragages Aurifères de la Guyane française est la première importante machine de ce genre qui fonctionne en Guyane, car tous les essais tentés jusqu’alors à l’aide de petites dragues étaient restés infructueux.

    Le problème du dragage des alluvions aurifères si riches et si abondants dans notre colonie du Sud Amérique me semble donc résolu et dans plusieurs mois plusieurs dragues actuellement en construction seront montées en différents points de notre Guyane où elles remplaceront en le centuplant, le travail effectué jusqu’ici par la pioche et la pelle jetant dans le sluiss rudimentaire les graviers aurifères.

    Cette transformation de la main d’œuvre ordinaire en travail mécanique sur les placers s’ajoutant aux découvertes aurifères qu’amènera nécessairement la pénétration dans l’intérieur à l’aide du chemin de fer des mines dont le projet vient d’être adopté par le Conseil Général de Cayenne, rendra, je n’en doute point, à cette colonie tant délaissée et si riche, sa prospérité d’antan sous Colbert et Richelieu.

    Salutations (signé) baron G. Herre Wyn

    Document 8
    Vocabulaire aurifère
    Nous présentons ici quelques définitions de termes les plus couramment employés dans le domaine de l’orpaillage.

    Batée
    La batée ou « batée nègre » est une sorte de plat circulaire en bois léger – découpée généralement dans un arcabas, c’est à dire une excroissance de racines de certains arbres formant une sorte d’arc‑boutant – dans les premiers temps puis en métal. Elle se présente sous une forme conique, de 0,50 m de diamètre environ et de 0,08 à 0,10 m de profondeur. Bien chargée, elle contient 20 kg environ de terre aurifère humide, poids bien suffisant pour apprécier la valeur réelle des terres. Il s’agit avant tout d’un outil de prospection (Mam‑Lam‑Fouck 1987 : 100).

    Coui
    Le coui est une calotte sphérique (en métal ou en calebasse d’écorce) qui sert à finir les batées ou à tester les alluvions. Il est utilisé également pour manger et boire.

    Longtom
    Le longtom se compose de deux parties. La première est constituée d’une longue caisse rectangulaire de 4 m de long, terminée par une plaque de tôle percée où se fait le débourbage des terres au moyen du courant d’eau, et la séparation de l’or par la grille. L’or et le sable fin passent à travers les trous de la plaque. La seconde partie est une caisse plate à rebords peu élevés, divisée en deux compartiments, destinés à recueillir l’or, le sable noir et les quartz fins passés à travers la grille. La séparation définitive de l’or s’opère à la fin de la journée par un lavage à la batée (Hardouin 1859 : 344).

    Sluice
    Le sluice est composé de canaux de planches, que les Créoles appellent « dalles », emboîtés l’un dans l’autre. Ils ont 4 m de longueur, 0,30 m de largeur. Il y a en général 5 dalles, toutes portées sur des piquets où elles sont suspendues par des crochets qui servent à régler leur hauteur. La dalle inférieure porte des « rifles « ou tasseaux en bois et une plaque perforée maintenue par un rifle en fonte, pour recueillir l’or au‑dessous (Bordeaux 1906 : 136). Pour se servir de l’appareil, on charge le gravier à la pelle vers la tête du sluice. On verse du mercure à l’aide d’une passoire ou en le projetant en gouttelettes, de façon à le diviser finement, et on laisse agir le courant d’eau. Le courant entraîne les sables, à l’exception de l’or gros qui reste à la tête du sluice. Le mercure qui s’arrête derrière les tasseaux ou dans les trous, amalgame au passage l’or plus fin. Pour retirer l’or, il suffit d’enlever les tasseaux. L’amalgame recueilli est filtré dans une peau. Il reste une masse pâteuse que l’on distille (Hauser 1906 : 54).

    Trommel
    Le trommel (terme allemand signifiant tambour en français) est un tronc de cône en tôle de 3,60 m de long, ayant 1,10 m de diamètre à une extrémité et 1,40 m à l’autre. La tôle, qui a 9 mm d’épaisseur, est percée de trous dont le diamètre varie, suivant la nature des graviers, de 9 à 17 mm. L’intérieur de la tôle est garni de lames de fer dentelées. Le trommel est mû par une roue hydraulique. Sous le trommel se trouve un sluice à trois compartiments. Les sables passent dans le trommel où ils sont désagrégés par les lames, avant d’arriver au sluice et de là sur les tables de lavage (Hauser 1906 : 58).

    La drague Courcibo

    22D’après l’ingénieur civil des mines Bordeaux, « le dragage du Courcibo qui va prochainement commencer servira d’expérience (et de démonstration) des résultats à attendre des criques Leblond et Céïde ». Et un journaliste spécialisé annonce en septembre 1910 : « Une autre société, après de multiples et courageux travaux terminera le montage d’une drague sur le Courcibo dans quelques mois6. »

    23Localisée par 4° 53’ 07" de latitude nord et 53° 00’ 38" de longitude ouest, la drague Courcibo (fig. 23 a, b) est aujourd’hui une masse de ferraille d’acier, de 25 m de longueur sur 10 m de largeur, dont les flotteurs et la structure inférieure ne sont plus visibles, échouée sur un banc de sable près de la berge du Courcibo7. De par son caractère monumental, unique en Guyane, et en l’absence de plan d’origine, cette drague a fait l’objet d’une étude archéologique menée par M. Régis Picavet (cf annexe 3). Certains éléments représentatifs de la drague ont été démontés et récupérés peu avant la mise en eau du barrage (roues dentées, ballon de la chaudière, moteur...).

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    FIG. 23 – Relevés de la drague Courcibo, octobre 1992. a Vue de face, b vue latérale.

    HH del./Afan

    24La drague à godets Courcibo est, en effet, l’une des plus grandes constructions de ce type jamais assemblées en Guyane : 30 m de longueur par 10 m de largeur et un poids estimé à 250 t. Elle a été construite par la Société française d’exploitations aurifères. Une plaque commémorative atteste de l’achèvement de sa construction en 1912. Peu avant la mise en eau du barrage de Petit Saut, ce qui avait dû être l’atelier de montage et l’entrepôt des pièces de rechange de la drague a été découvert au lieu‑dit Pointe Pinot (bsp 95, secteur 7). En ce lieu subsiste encore un amas de pièces éparses, bien conservées pour certaines d’entre elles (roues dentées, chaudières, groupes électrogènes…). La découverte de plusieurs photographies, où l’on peut identifier l’ancien village d’orpailleur de Pointe Pinot et qui datent probablement des années d’assemblage de la drague (entre 1908 et 1912), permet de bien se rendre compte de l’extrême difficulté et complexité de construction d’un tel ouvrage d’art dans un contexte aussi particulier que celui de la forêt. Certains profilés upn et ipn ont gardé les marques de fabrication qui semblent indiquer des origines diverses : écossaise « lanakshire co – scotland » (pour Lanarkshire) ; anglaise (?) « … eary of dudley steel… » et allemande « siemens acid process ». À l’exception des photographies de montage de la drague, on ne possède aucune information précise sur son lieu d’origine (fig. 24). En 1912, lors de sa première année d’exploitation, la drague Courcibo ne produit que 47 kg d’or. Jusqu’en 1919, la production annuelle évolue autour de 50 kg (68 kg en 1919) avant de retomber à 28 kg en 1921 et moins encore au début de 1923, année de son arrêt définitif. Durant environ 120 mois d’existence, elle produit au total 522 kg, soit la faible moyenne de 4 à 5 kg par mois, en raison de nombreuses pannes... et du manque de bois (tabl. xii) (Petot 1986 : 230‑231). Pour E. Savaria (1933 : 225), « elle n’a été arrêtée que par une avarie à la coque ».

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    FIG. 24 – Assemblage de la drague Courcibo à Pointe Pinot dans les années 1910‑1912.

    cl. archives SRA Guyane

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    TABL. XII – État récapitulatif de la production de la drague Courcibo.

    MP/Afan

    25Comme le pressentait G. Nègre dès 1907, les exploitations par dragage en Guyane n’ont donné que de maigres satisfactions ; l’expérience des dragues à godets, qui marque le début de l’industrialisation de l’orpaillage en Guyane sera décevante malgré quelques résultats ponctuellement satisfaisants. Cette expérience arrêtée vers 1926, il faudra attendre l’arrivée des barges « brésiliennes » au début des années 1970 pour revoir des recherches alluvionnaires sur l’ensemble des rivières de Guyane, et en particulier sur le Sinnamary.

    1.3 Le temps des placers

    26L’histoire des placers –c’est‑à‑dire des gisements d’or– guyanais du Sinnamary relève, très rapidement, d’entreprises dont les intérêts financiers se lient, d’un site vers un autre, et dont les restructurations dues à des problèmes de gestion recomposent, entre deux liquidations de sociétés, l’organisation de ces placers. Deux entreprises dominent l’exploitation aurifère jusqu’à la Seconde Guerre mondiale : la Société française d’exploitations aurifères et, surtout, la Société de Saint‑Élie (puis Société nouvelle Saint‑Élie Adieu Vat [sneav]), dans laquelle Clément Baudin, son mandataire à Cayenne, joue un grand rôle à la fin du xixe s.

    27Les sociétés de placers prennent le relais, à partir des années 1880, d’entreprises familiales plus ou moins importantes (Cléobie, Vitalo, Maisier et Rousseau Saint‑Philippe, Lupé puis Bérard, Coüy, Romieu, Céïde, Isnard…) qui avaient accompagné les débuts de l’exploitation de l’or dans cette région.

    1.3.1 Présentation des grands placers et des compagnies

    Compagnie des dragages aurifères de la Guyane française

    28Elle est constituée en 1898 autour de la famille Franconie, de la veuve Romieu et du baron Herre Wyn qui exploite notamment le placer Sursaut à la fin du xixe s.8.

    Société anonyme des gisements d’or de Dieu Merci

    29Créée en 1874, cette entreprise, qui compte Couy père parmi ses administrateurs, avec MM. Céïde et Vitalo, existe au début des années 1880. En 1883, elle déclare une production d’or de 167,711 kg. Voici la composition de ses effectifs (tabl. xiii), telle qu’elle est présentée cette année‑là par le conseil d’administration à l’assemblée générale : Elle est associée sur Dieu Merci avec la Société de Saint‑Élie, à raison de 3/4 pour la première et 1/4 pour la seconde (même si Saint‑Élie contribuera en fait pour 5/8). Elle possède des voies Decauville et une pompe Bazin. En 1885, les deux associés conviennent de partager par moitié les frais de dépense d’un petit chemin de fer qui desservira leurs placers, avec aussi le projet d’acquisition d’embarcation à vapeur devant servir à remorquer les canots. Un an plus tard, la Société de Saint‑Élie assure mal sa part de financement de la construction du chemin de fer. Dieu Merci doit doubler sa participation9.

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    TABL. XIII – Effectifs de la Société anonyme des gisements d’or de Dieu Merci en 1883.

    MP/Afan

    Compagnie des mines d’or du Sinnamary. Placers Dieu Merci & Eldorado réunis

    30Fondée en 1888 autour de M. de Saint‑Quentin notamment, elle comprend les placers Dieu Merci, La Victoire et Eldorado10. Les trois établissements de Dieu Merci ont une superficie respective de 2 800, 4 320 et 3 120 ha (total 10 240 ha). Celui de la Victoire (2 160 ha) s’est vu accorder un permis d’exploitation de 1881 à 1890. M. de Saint‑Quentin y joint en 1888 le placer Eldorado (environ 1 250 ha) avec un permis d’exploitation pour 9 ans accordé en 1881, et des droits de concession définitive du placer en date du 15 avril 1886. M. Chaumier et la Banque de l’Ouest qui apportent le placer Dieu Merci lors de la constitution de la société (Assemblée générale des 24 novembre et 1er décembre 1888), disposent de concessions à perpétuité, à l’exception de la propriété de Maman‑Pian, dite Bordeaux‑Station, qu’ils proposent d’abandonner pour favoriser la construction du chemin de fer.

    Société des mines d’or d’Adieu Vat et Bonne Aventure

    31C’est une émanation, ou plus exactement la continuation de la Société des gisements d’or de Saint‑Élie11. Constituée en 1878, la Société des gisements d’or de Saint‑Élie exploite pendant environ vingt ans des gisements alluvionnaires qui laissent un bénéfice appréciable, sans être toutefois spectaculaire. Dix ans plus tard malheureusement, les bénéfices tombent à 15 000 F : les gisements des deux placers de Saint‑Élie et Dieu Merci sont épuisés.

    32Prévoyant cette échéance fatale, la Société de Saint‑Élie a tenté, dès 1884, de mettre en valeur une autre concession dont elle est propriétaire, celle d’Adieu Vat. Le 10 octobre 1884, M. Duvignau cède à la Société de Saint‑Élie une parcelle de terrain dépendant de sa concession aurifère (placer Bonne Aventure) en vue de lui faciliter les recherches de filons aurifères sur sa concession d’Adieu Vat. Nous en avons gardé un plan (fig. 25)12. Elle consacre aux recherches plus d’un million de francs sans résultat appréciable.

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    FIG. 25 – Plan du placer Adieu Vat enregistré le 12 décembre 1885, signé A. Naudot.

    CAOM, cote TP 466,1re série

    33La société espère être plus heureuse avec une concession voisine, Bonne Aventure, qui appartient à M. Duvignau. Elle est payée 90 000 F en espèces et celui qui apporte les capitaux conserve une part dans les bénéfices. Mais le filon, très irrégulier, affecte une forme en chapelet et son exploitation paraît précaire. De nouvelles dépenses de prospection sont effectuées jusqu’en 1898 à Adieu Vat et à Bonne Aventure. Les dépenses s’élèvent à 1 713 000 F et la production d’or de ces deux gisements atteint péniblement 685 g d’or. La société continue ces dépenses jusqu’en 1903, date où elle décide de passer la main. L’assemblée du 6 juillet vote la vente des gisements d’Adieu Vat et de Bonne Aventure à MM. Levat et Reitlinger.

    34Le 20 juin 1904 est constituée la Société des mines d’or d’Adieu Vat et de Bonne Aventure, au capital de 7,5 MF. Il y aurait eu volonté de spéculation boursière de la part des racheteurs qui bluffèrent totalement les actionnaires sur le potentiel aurifère des deux placers13.

    Société de Saint‑Élie

    35La Société de Saint‑Élie obtient en mars 1876, de Vitalo et Céïdes frères, la concession du placer Saint‑Élie. Fondée officiellement en 1878, elle fera l’objet de rapports de Paul Lévy (1883) et de Babinski (1888)14.

    36C’est en 1889 qu’un arrêté promulgue les décrets du 9 février 1889 portant concession à M. Baudin, représentant de la Société anonyme des gisements d’or de Saint‑Élie des mines d’or connues sous le nom de placer Saint‑Élie (9 900 ha). Comme nous l’avons vu précédemment, M. Duvignau apporte les mines d’or du placer Bonne Aventure (1 544 ha 60 a 80 ca) et M. de Saint‑Quentin, celles du placer Renaissance (ancien placer Eldorado, 1 250 ha).

    Société française d’exploitations aurifères

    37Fondée le 27 mars 1911, la société anonyme française a pour objet la vente et l’affermage de concessions et de mines aurifères et autres, en métropole, dans les colonies françaises et à l’étranger, ainsi que leur exploitation, principalement au moyen de dragues et, d’une façon générale toutes opérations industrielles, commerciales et financières. Elle obtient trois concessions fluviales sur le Sinnamary et la rivière Leblond, couvrant près de 600 ha. Quant aux permis fluviaux sur le Sinnamary et le Courcibo, ils s’étendent sur 3 000 ha (fig. 26). On lui doit la mise en place, à partir de 1912, de la drague Courcibo15.

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    FIG. 26 – Permis d’exploitation fluviale de placer sur un terrain de 200 hectares à la SFEA, en date du 7 mars 1914.

    cl. ADG

    Société du placer Courriège

    38La concession de mine Courriège est instituée en application du décret du 19 avril 1907. L’acte de concession (décision du gouverneur en conseil privé du 5 août 1902) stipule que celle‑ci est accordée à douze personnes nommées dans l’acte et formant la société dite du « Placer Couriege ». Suivant une adjudication du 18 février 1909, le placer a été adjugé à : Mme Veuve Morel pour 16/32 ; M. Horace Lupé pour 8/32 ; M. Eugène Bassières pour 4/32 ; M.F.P. Beaujois pour 1/32 ; M.J. Agénor pour 1/32 ; la Société Saint‑Élie pour 2/32. Par un acte du 21 janvier 1935, les nouveaux propriétaires du placer ont loué à la Société nouvelle de Saint‑Élie Adieu Vat ledit placer, pour une durée de 20 ans, au loyer annuel de 1 500 F. Si bien que la société exploite non seulement en qualité de locataire mais en celle de propriétaire indivis16.

    1.3.2 Un bilan économique vers 189017

    39Malgré la constitution de placers solidement établis sur des fonds bancaires et administrés à la fois par des hommes d’affaires et de terrain, la situation et la production de l’industrie minière guyanaise ne se présentent pas de manière encourageante. Nous reprenons les principaux aspects d’un courrier adressé en 1889 par le gouverneur au ministre.

    40L’exploitation alluvionnaire ne fait que décliner depuis près de dix ans. À côté d’autres entreprises implantées dans d’autres secteurs de la Guyane, Saint‑Élie et la Compagnie des mines d’or de Sinnamary ont peine à rentrer dans leurs frais. Pour fusionner, les placers Dieu Merci et Eldorado cherchent à vendre ; le placer Saint‑Élie se trouve réduit, pour prolonger son existence, à repasser des terrains qui ont été précédemment exploités... Quant aux petites exploitations, de beaucoup les plus nombreuses, elles végètent et assurent simplement le pain quotidien à la majeure partie de la population guyanaise qui a déserté l’agriculture pour les mines. Les causes en sont, en premier lieu, l’épuisement accentué des zones aurifères connues et leur éloignement. Sur l’ensemble de la Guyane, la surface exploitée en 1890 comprend 196 parcelles de 100 à 5 000 ha formant au total une surface de 420 368 ha. Des tentatives d’exploitation filonienne sont entreprises, notamment au placer Adieu Vat. Celui‑ci, par le placer Saint‑Élie, dont il était socialement parlant une dépendance, a employé des sommes relativement considérables au fonçage d’un puits ; depuis plusieurs mois les travaux sont suspendus. Il semble qu’on doive utiliser les résultats obtenus pour arriver à la constitution d’une société spéciale d’exploitation.

    41Les concessions aurifères accordées par décret en Guyane concernent :
    – le placer Adieu Vat, concédé à la Société de Saint‑Élie par décret du 28 février 1887, pour 4 464 ha 39 a ;
    – le placer Saint‑Élie concédé à la Société de Saint‑Élie par décret du 9 février 1889, pour 9 900 ha ;
    – le placer Renaissance concédé par décret du 9 février 1889, à M. de Saint‑Quentin, pour 1 250 ha ; cédé depuis à la Société du Sinnamary ;
    – le placer Bonne Aventure, concédé à Duvignau par décret du 9 février 1889, cédé depuis à la Société de Saint‑Élie, pour 1 544 ha 60 a.

    42Les concessions permettant aux bénéficiaires d’exploiter tous les gisements aurifères dans les terrains concédés, n’ont en réalité été l’objet que d’un genre d’exploitation : l’exploitation alluvionnaire. Quant au placer Adieu Vat, on se trouve en présence, non d’une exploitation filonienne, mais d’une simple prospection ayant pour but de s’assurer de l’existence de filons susceptibles d’être exploités.

    43L’or doit être déclaré en douane (tabl. xiv), soit pour la perception d’un droit d’entrée à Cayenne, soit pour celle d’un droit de sortie. Ces droits ne peuvent être considérés comme l’expression réelle de la production. La difficulté de surveillance résultant de l’éloignement des lieux de production ainsi que l’extrême facilité pour les fraudeurs de transporter l’or en se servant des sentiers à peine tracés dans les immenses forêts vierges de la Guyane, ne permettent pas à l’administration de déterminer avec une exactitude scrupuleuse le véritable rendement annuel. Elle ne peut que s’appuyer sur les déclarations des exploitants et des chercheurs d’or, lesquelles, malheureusement, sont par la force des choses trop souvent sujettes à caution18.

    1889

    1890

    Or fondu
    Or non fondu
    Total

    892,441 kg
    604,242 kg
    1496,683 kg

    812,705 kg
    529,461 kg
    1342,166 kg

    TABL. XIV – Déclarations totales de production pour la Guyane données pour 1889 et 1890.

    MP/Afan

    1.3.3 Le temps de la bricole : l’inévitable complément des placers ?

    44Le début du xxe s. est moins favorable à l’exploitation de l’or que les dernières années du siècle précédent ne le laissaient prévoir pour la région en raison des conditions conjoncturelles de l’économie mondiale, des problèmes de structures financières des entreprises aurifères, de la concurrence des grandes compagnies américaines et de bassins voisins tels Mana et Maroni. La situation en décembre 1905 est la suivante pour la principale société d’exploitation aurifère de la région, la Société de Saint‑Élie (plus tard Société nouvelle Saint‑Élie Adieu Vat, sneav) : ses représentants MM. Reitlinger et Levat sont dans l’impossibilité de verser la moitié des 20 000 actions souscrites. Des négociations sont en cours avec un groupe qui reprendrait leurs engagements. S’étant rendu compte que le mode d’exploitation jusqu’alors pratiqué pouvait être amélioré, la Société de Saint‑Élie cherche à réduire progressivement le nombre des ouvriers engagés directement et à les remplacer par des ouvriers permissionnaires qui, sous le nom de travailleurs libres, se transporteraient aux placers par les moyens de la société mis à leurs frais. Et là, sur des emplacements qui leur seraient assignés par elle, ils travailleraient à leurs risques et périls en payant une modeste redevance sur l’or qu’ils extrairaient et en finançant à la société, grâce à cet or, tous les vivres et approvisionnements qui leur seraient nécessaires. À partir de 1906, la société va tirer ses bénéfices, non plus de la vente de l’exploitation de l’or, celui‑ci devant appartenir en propre aux ouvriers, mais de la vente des produits alimentaires (contre l’or). Elle s’interdit de gros bénéfices mais elle n’encourt plus d’aléas dans l’avenir. Du moins le pense‑t‑elle19. Il s’agit d’une politique résolument « frileuse ».

    45Ainsi, les bricoleurs, autrefois appelés maraudeurs, s’installent dans les grands placers dans les premières années du xxe s. en remplaçant les ouvriers mineurs. Ce sont en quelque sorte, des « maraudeurs établis, ou officiels », par opposition aux autres, nomades. Leur rôle devient capital, à l’exemple de la production d’or de cette entreprise durant l’exercice 1910‑1911 (tabl. xv). Cette production avant fonte provient des ventes aux ouvriers permissionnaires (158,287 kg), des transports effectués pour leur compte (2,921 kg) et des achats d’or effectués par la société (33,101 kg). Un peu plus de 80 % de la production sont donc assurés par les bricoleurs, dans l’un des plus gros placers du Sinnamary.

    Production d’or avant fonte
    Production d’or après fonte
    Rappel 1909‑1910

    194,310 kg
    183,006 kg
    160,044 kg

    TABL. XV – Production d’or des maraudeurs (1910‑1911).

    MP/Afan

    46Ce rôle se vérifie aussi au niveau des effectifs de l’entreprise (tabl. xvi), lesquels se répartissent ainsi :
    – effectifs moyens : 221 ;
    – employés : 6 ;
    – ouvriers réguliers (hommes) : 14 ;
    – ouvriers permissionnaires : 201.

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    TABL. XVI – Répartition de l’effectif des permissionnaires (ou bricoleurs) dans les différents chantiers de la SNEAV (1910‑1911).

    MP/Afan

    47Des travaux sont entravés par des retards dans l’arrivée du matériel et l’absence de fonds suffisants. Soixante‑seize kilos d’or sont seulement recueillis. Les ouvrages se poursuivent afin d’améliorer la rentabilité (tabl. xvii) de la production mais, faute de main‑d’œuvre et de résultats probants, l’administration reste fort circonspecte. À travers les tableaux qui suivent, on perçoit des efforts tant dans l’investissement en capital technique que dans l’avancée des percements de galeries (tabl. xviii et fig. 27). Mais la dernière année marque un terme à ces tentatives.

    1908
    1909

    1910
    1911

    St‑Élie/Central
    Dieu Merci/Central
    Dieu Merci/ République
    St‑Élie/St‑Auguste
    Courriège

    89 g
    66 g
    56 g
    60 g
    50 g

    76.5 g
    65 g
    41.5 g

    TABL. XVII – Rendement mensuel du permissionnaire.

    MP/Afan

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    TABL. XVIII – Évolution des travaux dans les galeries des filons Rocher, Wears et Madame.

    MP/Afan

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    FIG. 27 – Filon Rocher : cubages et teneurs en or dans les différentes galeries de la mine.

    OP del./ Afan, d’apr. Bordeaux 1906

    48Monsieur Petot critique sévèrement l’aptitude au travail de ces bricoleurs. Il insiste particulièrement sur leur manque de méthode et sur les gâchis dans l’extraction. C’est l’antithèse du travail des dragues. Surtout, cela ne fait pas très sérieux car ces bricoleurs n’ont généralement guère de qualifications, disposent de peu de moyens techniques et ne sont pas légalisés.

    49Une législation plus rigoureuse, mais surtout la forte taxation de l’or vont, selon lui, mener à la fin des placers. En revanche, elles n’empêcheront pas la pérennité de ce système de la bricole qui, à l’instar de la sneav, fonctionne toujours dans les années 30 (trente bricoleurs travaillent sur la concession de mines Adieu Vat)20.

    Document 9
    Évolution des « Travaux extérieurs » de la SNEAV de 1906 à 1911

    1906
    – installation de la chaudière Débarde et de la chaudière Niclausse ;
    – achèvement des voies pour le transport des quartz et du bois de chauffage et du petit atelier de 10 pilons (avec moteur activant seulement 5 pilons) auprès du filon du Rocher.

    1907
    – recherches de surface fort peu importantes en raison de la rareté de main‑d’œuvre ;
    – montage d’une chaudière Babcock et Wilcox de 70 m2 de surface de chauffe ;
    – démontage, transport et remontage du petit bocard d’essai (3 pilons) à côté de l’usine de 10 pilons, près du point d’extraction du filon du Rocher ;
    – terrassements et pose de voies de roulage ;
    – construction d’un réservoir d’eau pour l’usine et d’un hangar pour la chaudière ;
    – installation de la scierie près des chaudières.

    1908
    – recherche de nouveaux gisements exploitables ;
    – poursuite de l’installation de l’atelier de cyanuration pour pouvoir traiter les tailings accumulés et en provenance de l’usine ;
    – traitement de l’usine évalué à 25 t/jour ; – complément de personnel (chimiste).

    1909
    – exécution d’un canal de 315 m de long pour amener à l’usine l’eau de la crique Dévouée ;
    – montage de l’ancienne machine Corliss pour actionner les 10 pilons qui ont fonctionné sans interruption pendant le dernier exercice ;
    – montage d’une machine Davey‑Paxman de 100 ch de force nominale pour actionner le gros compresseur Ingersolt‑Sergeant et permettre l’emploi d’un plus grand nombre de perforatrices ;
    – installation de 10 nouveaux pilons Krupp (doc. 10. p. 91)21.

    1910
    – mise en marche en décembre 1909 de 10 nouveaux pilons Krupp ;
    – réparation de l’usine Fraser (doc. 10) ;
    – construction d’un nouveau bassin de 240 m3 de capacité pour alimenter les chaudières ;
    – travaux de prospection (Daniels et Montagne Félice).

    1911
    – projet de minéralisation du filon du Rocher mais interruption de Daniels et de Montagne Félice, de la crique Georgette, et de celle allant vers Saut Vata.

    1.3.4 Aspects économiques et fiscaux : la rentabilité des placers

    1.3.4.1 L’évolution de la législation

    50« La législation minière en Guyane a toujours été ambiguë, tant dans son énoncé que dans son application. » (Lezy 1989 : 158.)

    51Au xixe s., il y a superposition de deux lois. La loi française, datant du 21 avril 1810 et appliquée dans son intégralité en Guyane en 1858, ne prévoit l’octroi par le gouverneur que de permis d’exploration. Seul le décret impérial autorise l’exploitation sur les concessions. Dans un premier temps, jusque vers 1875, plus d’une centaine de permis d’exploration, plus ou moins fictifs, sont attribués et se transmettent de titulaire à titulaire. La loi est modifiée en 1881. Le gouverneur délivre lui‑même des permis de recherche et d’exploitation, ceux‑ci étant valables neuf ans et renouvelables à vie. Il suffit d’adresser une demande au gouverneur, accompagnée d’un plan dressé par un arpenteur agréé et de payer annuellement une taxe de cinquante centimes par hectare, ce qui au fil des temps et des demandes apportera une ressource substantielle au budget de la colonie. Cette loi est critiquée car on n’est jamais sûr, après avoir exploité neuf ans un placer productif, de pouvoir conserver sa concession ; par ailleurs, elle creuse un fossé profond entre la situation légale et l’état de fait, en ignorant totalement la foule des petits orpailleurs, peu au courant des règlements et difficiles à atteindre dans la forêt. Plus profondément, cette loi a contre elle de ne pas pouvoir être véritablement appliquée, faute d’arpenteurs agréés en nombre suffisant pour délimiter les concessions. L’État seul reste gagnant sur le plan fiscal. Un nouveau décret, en 1906, fixe la réglementation générale et détermine les droits d’occupation d’un terrain par la matérialisation d’une priorité d’occupation sur celui‑ci et une enquête publique. Mais il est détourné par l’achat de témoins et la falsification de documents... Plusieurs fois modifié, il n’aboutit jamais à légaliser effectivement les maraudeurs et bricoleurs22.

    1.3.4.2 Le rapport de production

    52L’année 1911 correspond à la fin d’une époque et à la liquidation de la sneav, avant sa restructuration. Elle illustre les difficultés latentes après des progressions tant en profondeur qu’en longueur, des réalisations d’infrastructures (canaux, ateliers, réservoirs d’eau) et l’acquisition de machines performantes. D’autres machines se mettent en place dans les mêmes années. D’après ce qu’elles ont réalisé dans de grands chantiers aurifères, comme en Californie, elles ouvrent de belles perspectives.

    53La figure 28 nous présente le compte d’exploitation des alluvions des placers Saint‑Élie, Dieu Merci et Courriège pour l’exercice 1911‑191223. La part des « impôts etc. » compte pour 25 % des dépenses, soit davantage que la part « solde, frais adjoints et salaires ». C’est énorme. Malgré tout, le bénéfice reste confortable : 133 000 F (soit 20 % des recettes).

    54La figure 29 montre quatre années de la production de la sneav à partir des rapports du conseil d’administration à l’assemblée générale24.

    55Au‑delà de l’évolution de la production d’or durant ces quatre années, nous insistons ici sur deux aspects particuliers : le maintien de la part moyenne d’or produit autour de 3,7 % et la baisse de la qualité des minerais, du filon Madame d’abord, puis de celui du Rocher (teneur moyenne par tonne voisine de 15 g, puis de 10 g avant son arrêt, à Madame ; celle du Rocher, supérieure à 30 g en 1907, diminuant jusqu’à 11 g en 1911). Visiblement, l’échec de la société repose sur le non renouvellement de ses filons d’approvisionnement, plus que sur un manque d’adaptation de son capital technique. L’avenir réserve, on le pense encore, d’agréables surprises...

    1.3.4.3 L’évolution de la situation des années 1920 à 1940

    56Malgré l’intermède de la Première Guerre mondiale, et l’effort de reconstruction des années 1920, l’exploitation de l’or paraît toujours marquer le pas en Guyane.

    57Entre 1927 et 1928 (tabl. xix) on perçoit le malaise économique au nombre croissant de permis abandonnés ou retirés, mais surtout le pessimisme ambiant (ou l’absence de dynamisme économique) à la baisse du nombre des permis délivrés et des demandes de permis de recherche à l’échelle de la Guyane. En 1928, l’industrie minière compte au total 3 150 ouvriers, dont 150 Blancs. Trois compagnies se partagent les exploitations d’alluvions aurifères, sur une superficie d’environ 29 000 ha, soit près de 3 300 km2 sur toute la colonie25. Malgré de vastes terrains mis en exploitation, la situation économique est en crise. Enfin, si l’or constitue, en valeur, de très loin le principal produit exporté, sa quantité diminue régulièrement chaque année. En voici un exemple pour les années 1933 à 1941 dans le tableau xx26.

    58Un rapport dresse en 1940 un bilan encore plus sombre des années précédant la guerre (1938 et 1939). La population d’origine étrangère dans l’industrie minière est dominante, notamment celle en provenance de Sainte‑Lucie et de la Dominique. Sur 2 799 licences délivrées, 594 proviennent de la zone Sinnamary, la plus importante de toutes après la zone Maroni (784). Viennent ensuite Cayenne (76), Kaw (6), Approuague (375), Iracoubo (55), Kourou (37), Mana (399), Oyapock (162) et Roura (371).

    Permis de recherche

    59Pour l’or, sur huit permis accordés, seule la Société française d’exploitations aurifères en a obtenu un dans la région du Sinnamary : 100 ha sur 6 695 ha (zone Inini) et pour la Guyane côtière, un seul permis sur dix autorisé à Alexandre Karam, à raison de 1 000 ha sur 6 700 ha accordés cette année.

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    FIG. 28 – a Résultats des opérations, b compte d’exploitation des alluvions des placers Saint Élie, Dieu Merci et Courriège, exercice 1911‑ 1912 (AN, cote 65 AQ L1481, fol.  19).

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    FIG. 29 – L’évolution de la production de la sneav de 1907 à 1911 (AN, cote 65 AQ L1002).

    Concessions de mines

    60Pour le Sinnamary, 17 concessions ont été accordées selon le régime minier du décret du 16 octobre 1917, à cinq concessionnaires (sfea, sneav, Léon Mine, John Bishop et le placer Courriège), pour une superficie couverte de 39 954 ha 74 a. Le tableau xxi donne un récapitulatif au 31 décembre 1939. À l’époque, la zone Mana‑Maroni domine toujours les autres régions pour la production aurifère. Le rapport rappelle la permanence des permissionnaires dans certaines entreprises telles la sneav, à côté d’ouvriers salariés pour certains travaux industriels. Cette même société est la seule de la région à pratiquer l’exploitation filonienne (filons du placer Adieu Vat, travaux entrepris en 1936) et celle des gisements éluvionnaires à l’aide de pompes à eau sous pression. Toutes les autres exploitent les gisements alluvionnaires à bras par sluices et longtoms (doc. 8).

    La production

    61L’exploitation par les permissionnaires n’a pas permis jusqu’ici de contrôler la production de chaque concession. Aussi, le chiffre de la production n’est‑il connu que par les quantités d’or déclarées aux postes de douane où se fait la perception du droit de circulation sur l’or natif. Globalement, la production d’or déclaré a encore diminué, passant de 1 320 kg (chiffres arrondis au chiffre supérieur) à 1 230 kg. La part de la région du Sinnamary est de 102 kg, loin derrière le Maroni (302 kg), Cayenne (278 kg) et Mana (208 kg). La raison avancée est la désorganisation des chantiers en septembre et octobre 1939 en raison de l’ordre de mobilisation générale. Mais celui‑ci touche également toutes les zones d’exploitation27.

    1.3.4.4 L’ampleur du phénomène aurifère jusqu’à la Seconde Guerre mondiale

    62Pour apprécier cette ampleur nous présentons ici, de façon non exhaustive28, un tableau chronologique des demandes de permis et des concessions dans la vallée du Sinnamary (tabl. xxii), jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (sources diverses).

    63L’évolution des entreprises familiales vers les placers s’effectue jusque vers 1880. Le milieu du xxe s. est marqué cependant par la permanence de ces grandes entreprises et des concessions individuelles de taille plus modeste (Mine, Bishop…). Ce tableau nous sert de transition pour imaginer l’évolution de l’exploitation aurifère de la région depuis 1866. Paraphrasant Serge Mam‑Lam‑Fouck (1987 : 160), le « cycle de l’or » né au moment de l’abolition de l’esclavage et symbole du développement de la Guyane « s’achevait dans des difficultés économiques que la guerre aggrava. La Guyane, privée de sa principale production, sombra dans une durable dépendance qu’inaugurait la réforme politique (la départementalisation) de 1946. »

    1927

    1928

    Permis en vigueur
    Demandes de permis
    Permis délivrés
    Permis abandonnés ou retirés

    203
    138
    121
    105

    219
    6
    98
    131

    TABL. XIX – Les permis d’exploitation aurifère dans les années 1927‑1928.

    MP/Afan

    Année

    Quantité d’or

    1933
    1934
    1935
    1936
    1937
    1941

    1592 kg
    1415 kg
    1470 kg
    1416 kg
    1417 kg
    1264 kg

    TABL. XX – La masse aurifère exportée de Guyane, de 1933 à 1941.

    MP/Afan

    Rivières

    Concessionnaires

    Concessions

    Superficie (ha)

    Approuague
    Mana
    Maroni
    Oyapock
    Roura
    Sinnamary
    Total

    8
    24
    11
    1
    12
    5
    61

    17
    84
    23
    1
    15
    22
    162

    18 765,4
    54 636,89
    38 243
    2 345
    11 582,93
    39 954,74
    165 527,96

    TABL. XXI – Les principales régions de production aurifère en Guyane, au 31 décembre 1939.

    MP/Afan

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    TABL. XXII – Demandes de permis et concessions aurifères dans la vallée du Sinnamary jusqu’à la Seconde Guerre mondiale D = Demande R = Renouvellement P de R = Permis de Recherche D à p = Demande de concession à perpétuité SAGO St‑Élie et SGO St‑Élie = Société anonyme des gisements d’or de St‑Élie SCFG = Société commerciale de factories de Guyane CCAF = Compagnie commerciale des Antilles Françaises SFEA = Société française d’exploitations aurifères SNEAV = Société nouvelle de St‑Élie et Adieu Vat CDA = Compagnie de dragages aurifères (de la Guyane)

    MP/Afan

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    TABL. XXII (suite)

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    TABL. XXII (suite et fin)

    Document 10
    Les principales entreprises

    Nous présentons les principales firmes présentes à Adieu Vat et sur lesquelles nous disposons de quelques informations.

    Fraser & Chalmers
    Firme américaine de Chicago à laquelle la Société de Saint‑Élie Adieu Vat a commandé en 1882 une usine de broyage de 20 pilons. L’installation s’est faite en 1888. Il s’agit « d’un moulin qui comprend une machine Corliss, deux concasseurs et quatre batteries de cinq pilons chaque, alimentés par des chargeurs automatiques. Deux sluices se succèdent, un en cuivre, l’autre à fond de moquette pour récupérer les particules les plus fines. Les pilons pèsent 750 livres anglaises chacun et la machine représente une capacité de broyage de une tonne vingt cinq à trois tonnes de quartz par 24 heures. » (Lezy 1989 : 152.)

    Krupp
    Firme allemande à laquelle la Société des mines d’or d’Adieu Vat et Bonne Aventure a commandé vers 1907‑1909 une usine de 20 pilons.

    Huntington
    Arme anglaise (?) à laquelle la Société nouvelle de Saint‑Élie et Adieu Vat a commandé une usine de 8 broyeurs en 1935.

    Denver
    Firme américaine à laquelle la Société nouvelle de Saint‑Élie Adieu Vat a commandé une usine complète Denver de 1t/h qui fut mise en place en 1942. En 1945, nouvelle commande qui comprend 1 groupe électrogène de 500 ch, 1 usine de broyage Denver de 5t/h, 1 usine de broyage de It/h, 2 scrapers actionnés par des treuils électriques, du matériel pneumatique d’abattage et du matériel routier sur chenille (Choubert 1949).

    1.4 Une entreprise omniprésente : la sneav

    1.4.1 Un patrimoine important

    64En 1937, le groupe dit de Saint‑Élie est constitué des placers Saint‑Élie, Renaissance, Dieu Merci et La Victoire. Les deux premières concessions de mines ont été créées par un décret du 9 février 1891. Par ailleurs, le placer Courriège, institué par décision du 5 août 1905, a été adjugé en 1909 à des propriétaires indivis parmi lesquels la Société de Saint‑Élie.

    65Dans une note adressée au gouverneur, le 2 septembre 1937, le chef du bureau des mines Baudin définit les droits de la Société nouvelle Saint‑Élie Adieu Vat (tabl. xxiii). Les droits miniers pour l’exploitation des métaux précieux et des minerais portent sur le fonds (alluvions et éluvions) et le tréfonds. Ils distinguent deux groupes de concessions régies par le décret du 16 octobre 1917 (art. 81, § I). En vertu de celui‑ci, le concessionnaire dispose :
    – de l’occupation des terrains sur les terres libres du domaine, à l’intérieur de sa concession, gratuitement après autorisation pour la recherche et l’exploitation de la mine, la préparation mécanique des minerais et le lavage des combustibles ; de l’établissement des rigoles, canaux et de toutes voies de communication, ainsi que de la plantation des bornes nécessaires pour la délimitation des concessions ;
    – de l’utilisation des chutes d’eau et de leur aménagement pour son exploitation ;
    – de la coupe des bois indispensables à ses travaux, gratuitement.

    66Il n’a aucun droit de propriété sur les terres du domaine situées à l’intérieur de sa concession. En revanche, la Société de Saint‑Élie possède en toute propriété divers terrains qui lui ont été vendus directement par l’administration. Cet immense patrimoine foncier et immobilier, au centre de la région du Sinnamary, en est le poumon économique. Vaste chantier de recherche et d’exploitation, il voit circuler toutes sortes de marchandises (vivres, matériaux, voire d’autres produits d’exploitation tels le balata et le bois de rose).

    1.4.2 « l’or attire mais ne fixe pas »29

    1.4.2.1 Une population variée

    67En 1938, les villages de Plomb, Deux Branches et Adieu Vat sont des lieux de ravitaillement facile, aux coûts de transport modérés. Les prix sont plus élevés dans ceux de Patawa, Nelson, Dégrad Pierre, Sursaut Drague. Près de dix ans auparavant, les agglomérations le long du fleuve concentraient 100 à 200 indigènes et 3 ou 4 Européens. Dans le voisinage de Saint‑Nazaire, où se trouvent les chantiers du placer Sursaut et le long de la crique Tigre, on compte de 75 à 100 personnes (et en 1937 : 75 mineurs, 25 mécaniciens, 20 transporteurs, 4 libérés). Le centre de Saint‑Élie abrite 360 personnes ; dans la région de Sainte‑Anne, de la crique Leblond et du Courcibo, 100 à 150 mineurs et balatistes ; dans la zone d’Adieu Vat : 150 à 200 indigènes pour l’or et le bois de rose. L’installation, à partir de 1934‑1935, du camp de Saut Tigre amène un groupe de 250 Annamites, une cinquantaine de tirailleurs sénégalais et des officiers européens. Au total, près d’un millier de personnes occupent la moyenne et basse vallée du fleuve dans les années 1930.

    68Le long de la crique Tigre, le Chinois Julien Chong Kong a installé un établissement commercial, à hauteur du PK7 (point kilométrique 7) de la voie ferrée. De là, il ravitaille en vivres les bricoleurs des placers Latidine, des criques Aïmara, Sursaut et Franconie. Un document fait état d’une licence « casino‑buvette‑bals publics » de Saint‑Élie en 193730. Toutes ces activités sociales et ludiques sont condamnées à terme.

    69Malgré de faibles effectifs, cette population est coûteuse (tabl. xxiv). Dans un bilan financier de la société daté de 193231, la part représentée par le coût de la main‑d’œuvre ouvrière, soit 641 ouvriers, s’élève à 26 francs par jour (pour 56 660 journées de travail), et constitue près de 41 % des dépenses. Par ailleurs, la société fait de plus en plus appel, pour la réalisation de travaux d’infrastructures (ponts, routes, nettoiement de criques...), à une main‑d’œuvre extérieure : prisonniers annamites de Saut Tigre en particulier32 mais aussi ouvriers arabes, pour la route du dégrad du Tigre à Saint‑Élie centre, en 1936.

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    TABL. XXIII – Les deux groupes de Saint‑Élie en 1937. Droits miniers pour l’exploitation des métaux précieux portant sur le fonds (alluvions et éluvions) et le tréfonds (filons)

    ADG, fonds Drire 60

    Ouvriers
    Vivres, marchandises
    Gros matériel
    Droits et colonie
    Frais généraux, assurances
    Constructions nouvelles
    Appointements européenns et frais de voyage

    1 474 000 F
    1 028 000 F
    575 000 F
    320 000 F
    50 000 F
    28 000 F
    157 000 F

    40,70 %
    27,50 %
    16,00 %
    9,00 %
    1,50 %
    0,80 %
    4,50 %

    TABL. XXIV – Coût de la main‑d’œuvre dans le bilan financier de la sneav, année 1932.

    MP/Afan

    70La population des mineurs et des bricoleurs est très cosmopolite : Chinois (Mine), Anglais (Bishop) ou anglophones s’ajoutent aux Brésiliens, Créoles et Européens. Plusieurs tournées effectuées vers 1933 dans les villages et les chantiers permettent une vision précise de la situation économique et morale de cette population33.

    71Il faut dire que les années 1930 correspondent au début d’une longue tourmente pour l’exploitation de l’or qui frappe toutes les entreprises. La crise économique, déjà perceptible aux malaises des restructurations et des reconsidérations du capital technique (dragues), se traduit pour la sneav par une baisse de l’approvisionnement de ses magasins. Après des révoltes à Sursaut en 1932, la baisse de l’approvisionnement engendre des grèves, partielles ou totales, dans les placers Adieu Vat et Saint‑Élie, dans la dernière semaine de février 1937 (avec des incidents sur le placer Saint‑Élie), peut‑être aussi en avril, enfin début juin 1937. La direction du placer tente de minimiser ces mouvements aux yeux de l’extérieur. À chaque fois, le manque de vivres dans le magasin ou bien le non‑paiement des « avances » effectuées traditionnellement aux ouvriers en sont la raison. Ces malaises sociaux sont ainsi expliqués par le capitaine Martinet, chef de la circonscription du Centre, dans une lettre du 12 juin 1937 adressée au gouverneur :

    « Les ouvriers perçoivent un salaire horaire, les heures supplémentaires, afin de les encourager, étant nettement plus rémunérées. Le paiement des salaires s’opère en principe deux fois par mois. Chaque ouvrier possède un carnet sur lequel s’inscrit en crédit la somme qui lui est due et en débit les achats effectués au magasin de la société. Il perçoit en numéraire une “avance” qui ne représente qu’une fraction de la somme qui devrait lui revenir. Les avances sont de l’ordre de 100 à 200 francs et sont proportionnées à la somme globale dont dispose la SNEAV à chaque paiement de salaires. Il n’obtient le règlement définitif de son compte que s’il désire quitter la société. »

    72Ces mouvements gagnent le personnel administratif puisqu’un ancien comptable en est, selon la direction, tantôt « l’instigateur », tantôt « l’agitateur »34 .

    1.4.2.2 Les villages d’orpailleurs

    73Le bassin du Sinnamary a donc connu une forte implantation de population le long du Sinnamary, du Courcibo, des criques Tigre et Plomb, pour ne parler que des principaux cours d’eau. À l’exception d’Adieu Vat, dont il subsiste encore de nombreux vestiges visibles depuis les berges du Courcibo, le repérage des anciens lieux de vie s’est fait, dans un premier temps, par le biais de l’étude cartographique. Les cartes ign et les plans de permis de recherche ont livré de nombreux renseignements qui permettent de dresser un inventaire de ces établissements (tabl. xxv). La carte ign de 1983 indique la présence de 15 anciens villages d’orpailleurs, sans plus d’indication.

    74Les plans du bagne des Annamites offrent également quelques indications sur Village Plomb (bsp 217) localisé en aval du bagne. Sur le plan de 1933 (carte liasse 60 adg, fonds Drire), on relève 7 constructions en rive droite et 2 en rive gauche. Sur celui de 1936 (plan du bagne no 206), 8 constructions sont indiquées en rive droite. Enfin sur un plan des terrains de la circonscription du Centre daté de 1937, on passe à 9 constructions figurées.

    75Plusieurs sites ont été repérés uniquement par la cartographie, postérieurement aux prospections inventaires :
    – sur un plan du cours de la crique Tigre (fonds Drire, paquet 14, document no 30) sont indiqués un carbet « 1881 » (bsp 105) et un second carbet indiqué « 1883 » (bsp 303) ; un cimetière (bsp 304) et un dégrad (bsp 305) apparaissent également à proximité immédiate de l’ancien village de Franconie (bsp 100) ;
    – sur une carte de la Société française d’exploitations aurifères, datée de 1950, sont localisés trois sites (bsp 277, 278 et 279) et un dégrad (bsp 284).

    76À la suite de l’établissement de l’inventaire des villages, plusieurs prospections archéologiques se sont déroulées afin de vérifier leur localisation et de tenter de découvrir des restes matériels.

    77Le village de Sainte‑Anne (bsp 90) est localisé en berge rive gauche de la rivière Courcibo, au droit du Saut Impossible (secteur 14). La prospection n’a révélé la présence d’aucun mobilier en superficie.

    78Le village de Deux Branches (bsp 91) est placé en berge rive droite de la rivière Sinnamary, à la confluence avec la rivière Courcibo (secteur 12). Le site est signalé par des bambous le long de la berge. En saison sèche, de nombreuses bouteilles affleurent le long de la rive. Sur le site même, on peut voir plusieurs amas comprenant plusieurs centaines de bouteilles.

    79Le village de Saint‑Eugène (bsp 92) apparaît en berge rive droite de la rivière Courcibo, en amont de la crique Pénitencier (secteur 11). La prospection des berges au mois de janvier 1993 a permis la collecte de mobilier : 3 bouteilles et 1 chaudron métallique bas et caréné (forme ouverte, mauvais état de conservation du fond).

    80Lors de la mission de prospection, une structure a été observée à environ 50 m du Courcibo, en amont de la crique Pénitencier et en aval de la crique Araï. Il s’agit d’un aménagement formé de bouteilles plantées en terre par le goulot et délimitant un espace quadrangulaire. La végétation qui recouvre en partie cette structure a joué un rôle important dans le déchaussement des bouteilles. Ce type de structure est connu par la tradition orale et interprété comme sépulture d’orpailleurs. À proximité, se trouve une zone de 4 m x 6 m qui correspond à l’emplacement d’un petit bâtiment (carbet ou autre). On peut également indiquer le don fait en 1992, par un orpailleur, de deux spatules (?) en bois.

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    TABL. XXV – Liste des sites de la période de l’orpaillage.

    OP/Afan

    81Le village de Chatonet (bsp 93) est en berge rive gauche de la rivière Courcibo (secteur 11), en amont de la drague Courcibo (Saut Génipa). Il n’a été découvert aucun objet en raison de la repousse de la végétation empêchant toute observation sur l’emplacement du site.

    82L’ancien village Pointe Pinot (bsp 95) se trouve en rive droite de la rivière Sinnamary, en aval de la crique Pointe Pinot (secteur 7). Le site a fait l’objet d’une prospection au mois de décembre 1993, peu avant la mise en eau du barrage. Un important matériel aurifère s’y trouvait, confirmant ainsi ce qu’avait vu Savaria (cf infra) il y a 60 ans. Le site s’étend sur environ 25 à 30 m de profondeur depuis la berge et sur 80 m de long. Parmi le nombre impressionnant d’objets jonchant le sol, on a remarqué tout particulièrement la présence d’une dizaine de godets identiques à ceux équipant la drague Courcibo, de deux groupes électrogènes, de bittes d’amarrage, chaudières, tuyaux d’aspirations avec leur crépine, poulies diverses... Une petite partie de ce matériel a été récupérée et ramenée à Petit Saut. Il fera l’objet d’une étude spécifique ultérieure.

    83Le village de Mont Valérien (bsp 96) est localisé en berge rive gauche de la rivière Sinnamary, en amont de Roche Génipa (secteur 7) et en aval de la crique du Mont Valérien. Quatre bouteilles y ont été trouvées dont une de section carrée (grande taille) et une autre, de section quadrangulaire, portant l’inscription « MONTYON ».

    84Le village Embouchure (bsp 97) se trouve en berge rive gauche de la rivière Sinnamary, en aval de la crique Tigre et en amont de Saut Tigre (secteur 7). La prospection a permis de récupérer une dizaine de tessons amérindiens. On a observé également la présence d’un four qui semble construit avec des traverses de voies Decauville. Il n’a pas été possible d’en déterminer sa fonction.

    85Le mobilier récupéré se répartit comme suit :
    – 1 bouteille vert clair, portant l’inscription « Martini », de 100 cl, d’une hauteur de 325 mm ;
    – 1 bouteille vert sombre, portant l’inscription « Pernod », cul avec étoile, en périphérie 58,8 CX, hauteur 308 mm ;
    – 1 lave‑main de métal émaillé, extérieur blanc moucheté bleu, intérieur blanc contenance graduée de 2 1, anse et perforation pour la suspension, hauteur du réservoir 210 mm ;
    – 1 dessous de bouteille en verre transparent, portant l’inscription « Le meilleur, made in France », hauteur 18 mm, diamètre 105 mm ;
    – 1 plat ovale en faïence, 260 mm x 172 mm, hauteur 86 mm ;
    – 1 bol de métal émaillé, intérieur blanc, extérieur bleu décoré de fleurs, réparation à la soudure au plomb de quatre perforations, hauteur 42 mm ;
    – 1 seau métallique galvanisé, fond réparé d’une toile goudronnée (?), hauteur 288 mm ;
    – 1 casserole à deux anses de métal émaillé blanc, hauteur 133 mm.

    86Le village de Franconie (bsp 100) est placé en berge rive gauche de la crique Tigre, en amont de la crique Franconie (secteur 6). Aucun indice de mobilier n’est visible sur place. Cette absence de matériel peut sans doute s’expliquer par la mauvaise indication du lieu d’implantation du village. Si l’on observe un plan de la fin du xixe s., les carbets, dégrad et cimetière se trouvent plus en amont sur la crique Tigre (fig. 30).

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    FIG. 30 – Plan du cours de la crique Tigre du dégrad Franconie à La Villette, vers 1883.

    OP del./ Afan, d’apr. plan ADG, fonds Drlre, paquet 14

    87Le village de Sursaut (bsp 101) se trouve en berge rive gauche de la crique Tigre (secteur 6), en amont de la Gare Tigre (Saint‑Nazaire). Le mobilier récupéré lors de la prospection se compose de :
    – 1 haut de bassine ou marmite identique à celui découvert à Village Plomb (bsp 217) et à Embouchure (bsp 97) ;
    – 1 fond de bouteille verte, sans marque ;
    – 1 col de marmite de tôle à deux anses rabattables, hauteur conservée maximum de 165 mm et minimum de 75 mm, diamètre à l’ouverture de 470 mm.

    88On observe également la présence d’anciens poteaux de carbets et d’un four construit à l’aide d’anciennes traverses de voies Decauville. D’autres traverses sont plantées les unes à côté des autres et décrivent des alignements avec des décrochements. Il n’a pas été possible de donner une explication à ce type de structure.

    89Le village de La Villette (bsp 102) est situé en berge rive droite de la crique Tigre, au droit de la voie ferrée de Saint‑Élie (secteur 5). Aucun indice ne marque le village au sol.

    90Sur la carte ign de 1983 est indiqué le village Drague (bsp 104) ; il s’agit plus spécifiquement de l’emplacement de l’ancienne drague aurifère Espéranza localisée en berge rive droite de la crique Sursaut (secteur 6), affluent de la crique Tigre (cf. supra § 1.2.2.4). Un seul objet a été découvert, un fer de pioche de 320 mm de longueur par 75 mm de hauteur et 39 mm de diamètre intérieur.

    91Village Plomb (bsp 217) est localisé en berge rive droite de la rivière Sinnamary, en amont de l’îlet Bagatelle et en aval du bagne des Annamites de Saut Tigre (secteur 7). La prospection réalisée sur place a révélé l’existence de rares vestiges : en deux endroits on observe la présence de poteaux encore verticaux (5 au total). On note également celle d’un fût pour collecter l’eau ainsi qu’une vieille marmite. Le sol semble avoir été nivelé à l’emplacement probable des anciens carbets.

    92Deux anciens villages d’orpailleurs repérés sur la carte ign de 1983 n’ont pu faire l’objet d’une prospection‑inventaire. Il s’agit d’une part de Village Coq, installé en berge rive droite du Courcibo, en aval de Saut l’Autel 2 (secteur 14), et, d’autre part, de l’Ancien village Central (bsp 103) situé en aval de l’embranchement des criques Filon et Découverte (secteur 5).

    93Aux abords immédiats du barrage, en berge rive gauche du Sinnamary, une prospection des berges a révélé la présence d’un mobilier constitué de briques (non estampillées), de céramiques en terre cuite et de porcelaines. Localisé en face du site bsp 277 (cases), il est probable qu’il s’agit également d’un ancien établissement d’orpailleurs.

    94Plusieurs sites d’habitat d’orpailleurs se trouvent à l’emplacement même d’anciens villages amérindiens :

    95Une bouteille de couleur verte de 238 mm de hauteur dont le fond est marqué d’une croix a été découverte à Amont Saut Saint‑Jacques (bsp 105) localisé en amont de l’ancien village de Franconie et en aval de la crique Lamarillère.

    96Le site de Merelle 2/Saut Caca (bsp 231) est placé en amont de Saut Caca et en aval de la crique Foucault (secteur 14). Entre les sondages 1 et 2, on note la présence d’un indice d’occupation contemporaine sous la forme d’un amas d’objets (dépotoir) bien organisé, composé de nombreuses bouteilles et éléments métalliques rouillés. Quatorze bouteilles représentatives des types constituant l’amas ont été collectées. Trois d’entre elles portent des inscriptions, l’une datée, ce qui permet une attribution chronologique :
    – « Paterson Ridgewood Pomptoniakes. N.J.1915 Davis Boyle Co » ;
    – « Registered Trademark A. Hesselbaum Co. Prov. RI. This bottle not to be sold » ;
    – « Breweries NE Wark NJ Ballantines ».

    97Enfin, il faut citer les découvertes isolées de deux bouteilles collectées en surface sur le site de Crique Plomb 2 (bsp 241) localisé sur la rive gauche de la crique Plomb, en amont de Village Plomb (bsp 217) et d’une grosse plaque métallique observée en limite du bagne des Annamites (bsp 243).

    98Les vestiges qui témoignent de l’activité aurifère dans le bassin du Sinnamary sont de deux ordres. Il s’agit du matériel lié directement au travail des orpailleurs (dragues et pièces de rechange, broyeurs à quartz, voie ferrée...) qui a été repéré tout au long des rivières Sinnamary et Courcibo, et tout particulièrement à Adieu Vat et Pointe Pinot. S’il n’a pas été possible de dresser un inventaire complet de ce matériel, c’est principalement en raison de sa grande dispersion dans la forêt, de son enfouissement partiel et parfois de sa détérioration avancée. On peut également souligner qu’il s’agit de pièces détachées et que seul un spécialiste en la matière aurait pu avancer des descriptions précises. Certains de ces objets peuvent atteindre jusqu’à plusieurs tonnes. La récupération de certaines pièces extraites de la drague Courcibo et du placer aurifère d’Adieu Vat devrait permettre de connaître un peu mieux le fonctionnement de ce matériel. On remarque par ailleurs que les objets usuels sont plutôt rares, à l’exception des bouteilles que l’on rencontre, généralement en tas ou formant des tombes, dans les différents villages recensés par le biais de la cartographie.

    Récits de voyage

    99Si les sources cartographiques et les prospections‑inventaires ont permis d’obtenir une vision assez complète de la répartition spatiale de l’habitat des orpailleurs, l’apport des récits de voyages est une source d’informations complémentaires appréciable. Le principal récit historique à notre disposition qui fournisse des descriptions précises sur certains de ces villages est le récit de Savaria (Savaria 1933) qui remonte le Sinnamary, le Courcibo et la crique Tigre en 1930.

    100Il fait étape à Deux Branches (bsp 91) et précise que « sur la rive droite du Sinnamary se trouve un village d’une vingtaine de cases. De là on aperçoit, sur la rive gauche du Sinnamary, par où nous sommes venus, un cimetière lugubre caché par la brousse. » (Savaria 1933 : 224‑225.)

    101À Pointe Pinot (bsp 95), il indique « qu’il s’agit de la base d’une société aurifère autrefois florissante ». Il note également la présence de quelques hangars et ateliers abritant un matériel qui paraît important : « J’ai néanmoins aperçu un moteur d’automobile Ballot tout neuf. » (Savaria 1933 : 219, 220.)

    102À Bœuf‑Bois (bsp 98), il précise que le village est formé « d’une dizaine de cases reliées par des sentiers boueux et glissants » (Savaria 1933 : 206).

    103À Dégourdi (bsp 99) (ou Dégroudi d’après Savaria), le village est situé « sur la rive gauche de la crique et formé de quatre à cinq cases » (Savaria 1933 : 206).

    104À Village Plomb (bsp 217), Savaria (1933 : 204, 205) précise que le village est constitué « d’une quarantaine de cases. Pour y accéder, des gradins ont été taillés dans le limon de la berge […] À droite du village : le cimetière, remarquable par les bouteilles qui délimitent les tombes ; des saints dans une petite niche gardent probablement les morts seulement. Le village de la crique Plomb ne produit rien : on ne peut même pas s’y procurer des bananes : c’est un simple pied‑à‑terre pour les mineurs libres. »

    1.4.3 Une entreprise aurifère dans l’avant‑guerre

    1.4.3.1 Maîtriser la concurrence, dominer les conflits

    105Une note confidentielle d’avril 1932 établit qu’en novembre 1931 la concession s’est agrandie de 10 000 ha dans le bassin de la crique Tigre, alors que jusqu’à présent le Sinnamary et le Courcibo occupaient davantage la sneav (Deux Branches, Adieu Vat…). Ce bassin de la crique Tigre est « infesté d’individus se livrant au commerce illicite de l’eau. Dans la même crique, au milieu de nos concessions de Sursaut, depuis longtemps le permis Civet no 91, tel un îlot est gardé par l’intéressé uniquement pour permettre à d’aucuns l’accès de la haute région. On a accordé dans le bassin du haut Sinnamary un permis de 500 hectares (no 185) dans la région de la crique Aïmara, un permis de 500 hectares (no 522) englobant tout le Saut Bérard, un permis de 520 hectares (no 233) dans la zone Courcibo, un permis de 500 hectares (no 226) couvrant la crique Fourca et le Saut Morel. La Société française d’exploitations aurifères, actuellement en état de faillite, par un permis de 2500 hectares sur le Courcibo a entouré d’une vaste ceinture de terrains le saut Taparoubo. » Il paraît cependant difficile de s’y reconnaître tant certaines concessions se coupent, voire se recoupent entièrement35. Ailleurs, une enquête révèle que la crique Tigre a été volontairement obstruée en plusieurs points par les agents de la sneav pour combattre la concurrence gênante d’un petit traitant36.

    106Pour protéger les exploitants, un projet de réglementation de police de zone minière dans le bassin du haut Sinnamary comprend quatorze articles. Il prévoit notamment la création d’une zone minière dans le territoire de l’Inini, bassin du moyen et haut Sinnamary, au profit de la sneav, comprenant la zone dite d’exploitation et de police minière et une zone de protection englobant ou couvrant la première. Il délimite les zones d’exploitation et de protection, fixe les postes de contrôle et indique les endroits d’entrée et de sortie des deux zones37. Ceci explique les commentaires pessimistes du gouverneur écrivant le 3 décembre 1935 au ministre : « Aussi sommes‑nous loin des productions de 80 kilogrammes/mois annoncées à plusieurs reprises, puisque la moyenne des dix premiers mois de 1935 dépasse à peine 20 kg et que les totaux des années précédentes sont respectivement 174 kg, 163 kg et 235,5 kg. C’est avant tout dans les magasins de vente installés sur les placers que l’or est recueilli. » Ces magasins, les principaux exploitants de la région tels Mine ou Samuel en possèdent. Le premier est bricoleur. Il vend à des concessionnaires forestiers le balata qu’il est censé avoir récolté dans sa concession, à savoir du bois d’œuvre et du bois de luxe. Il possède aussi une distillerie. La sneav, quant à elle, tient en 1939 avant la guerre quatre magasins à Saint‑Élie, Tonkin, Gare Tigre, et à la Montagne de Fer (fig. 31). Durant un temps, elle met gratuitement à disposition ses bâtiments de Sinnamary pour aider à l’installation rapide d’un magasin de transit pendant la construction du chef‑lieu de la circonscription du moyen Sinnamary38.

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    FIG. 31 – Le dégrad Saint‑Nazaire : débarcadère et magasins du placer Saint‑Élie, fin XIXe‑début XXe s. (ADG, cartes postales, album classé no 1/2 : 2 Fi St Élie 1).

    cl. ADG

    107La société lance cependant quelques projets économiques ambitieux. Ce sont avant tout des projets de travaux pour faciliter l’accès aux placers qu’elle exploite sur le moyen Sinnamary (fig. 32). Nous verrons le rôle qu’y joueront les transportés indochinois. Elle a aussi des projets d’électrification dans la région, peut‑être pour les placers. Un premier projet répond à une demande par la Société de Saint‑Élie, en 1904, de concession de prise d’eau sur la crique Céïde. Il s’agissait déjà d’un projet d’usine hydroélectrique à Saut Vata, à proximité du placer Dieu Merci39. Un avis favorable avait été rendu malgré des réserves.

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    FIG. 32 – Petit Saut sur le Sinnamary, fin XIXe‑début XXe s. (ADG, cartes postales, album classé no 1/2 : 2 Fi Sinnamary 1).

    cl. ADG

    108Ce projet semble renaître le 1er novembre 1933 dans une lettre sur la « construction d’un barrage hydroélectrique à Saut Vata ». Des courriers du directeur Foissy demandent de la main‑d’œuvre annamite pour des travaux impérieux de mise en état de la route devant permettre de remonter le matériel pour la construction d’une centrale de 1 000 ch40. En fait, dès mai 1935, un vaste programme d’industrialisation, requérant deux millions d’immobilisations financières nouvelles, est prévu par la société. Il s’agit de la construction de trois centrales électriques de 350 ch chacune, deux à Saint‑Élie et une à Adieu Vat. La force motrice doit permettre de disposer de 150 m3 d’eau/h pour le lavage des terres de montagne et le broyage des minerais ; douze broyeurs sont acquis à cet effet. Depuis 1927, la société traite l’or filonien et l’or d’alluvions de l’ancienne concession Saint‑Élie, soit 29 600 ha. Le broyage des quartz s’y fait par des moyens mécaniques avec des broyeurs actionnés par des moteurs à gaz pauvre de la Société vierzonnaise41 : « Nous pensons pouvoir traiter un minimum de 25 à 30 000 m3 par mois et broyer 10 000 tonnes de minerais […] » annonce le directeur de la sneav à l’ingénieur‑inspecteur du service des Travaux publics et des Mines42. Par ailleurs, du gasoil, nécessaire au fonctionnement des moteurs, a été acheté à bas prix à l’île de la Trinité, même s’il sera revendu trop cher sur les exploitations. La société envisage d’acheter pour 10 000 l de Diesel Oil, soit 500 fûts par mois.

    1.4.3.2 Un matériel technique approprié

    109Les dragues aurifères du début du siècle ont un temps stimulé les énergies. Dans les années 1930, elles ne relèvent plus que du domaine archéologique. Un agent de la Lloyds et des Assureurs maritimes écrit : « Après une halte d’une heure à la drague suceuse abandonnée de la Société française d’exploitations aurifères du Sinnamary, à la crique Chapeau. » En juin 1932 est reconnu le tracé de route Sursaut/Bordeaux‑Station : « Terrain travaillé par la société des Dragages de Sursaut en 1895 et repris depuis des dizaines et des dizaines de fois par des bricoleurs qui habitent autour de notre magasin situé à quelques centaines de mètres de la drague à godets montée là en 1900 et dont il ne reste plus qu’un gros amas de ferraille43. » À les voir aujourd’hui, on se demande comment ces monstres mécaniques pouvaient ne pas entamer les berges ni gêner la navigation !

    110D’autres matériels sont acquis dans les années 1932‑1933 : des sluice‑boxes ou gouttières métalliques, deux motopompes système semi‑diesel, de fabrication mixte Renault‑Rateau, et, pour les transports, un sea‑horse de 12 ch pour sa rapidité entre le bourg de Sinnamary et Saint‑Élie/Adieu Vat ; en 1936, on souhaite même utiliser un tracteur à chenille pour tirer les wagonnets de la voie Decauville44 .

    111En même temps, certains bricoleurs recourent à leur expérience avec de plus maigres moyens, à l’exemple de Philistin Béchet : « Par des tranchées perpendiculaires d’une profondeur moyenne de 1,50 mètre et 0,75 mètre de largeur, nous avons recueilli de l’argile mélangée de sable et quartz que nous avons lavé et dans lequel nous avons aperçu des grains d’or en petite quantité, ce qui nous a permis d’évaluer approximativement le gisement et espérer une exploitation rémunératrice45. »

    1.4.4 L’évolution des placers de la sneav dans les années 1930

    1.4.4.1 Adieu Vat

    Historique du site

    112De la découverte de l’or en Guyane –vers 1854– jusqu’aux prospections dans le bassin du Sinnamary, plus de 10 ans se sont écoulés. L’exploitation a connu des succès et des échecs. Elle se poursuit aujourd’hui encore dans le futur bassin de retenue notamment à Adieu Vat (fig. 33) et à sa périphérie à Saint‑Élie. Parmi les traces innombrables de cette activité, il nous a fallu. faire des choix. Un travail a été fait à Adieu Vat, placer particulièrement important pour l’histoire de l’or. Ce site présentait plusieurs avantages :
    – techniquement, c’est un des rares sites pour lesquels l’exploitation a été industrielle et artisanale et où l’on trouve l’or exploité sous quatre formes (filonienne, éluviale, alluviale dans les rivières et alluvial en berges) ;
    – son cadre historique est assez bien cerné (Petot, Mam‑Lam‑Fouck, Choubert…) ;
    – le BRGM a repéré et topographie au 1/5 000 les anciens aménagements en rive droite ;
    – de nombreux chercheurs d’or (M. Daniel Novak par exemple entre 1989 et 1993) l’ont exploité jusqu’à la mise en eau du barrage avec des pelleteuses, draguelines, bulls… sur les deux rives, en découvrant de nombreux vestiges recouverts par la végétation dans la forêt secondaire.

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    FIG. 33 – Plan des installations industrielles d’Adieu Vat/Filon Rocher, réalisé par M. Matheus et Trehin (BRGM) en 1987.

    OP del./Afan, d’apr. plan Matheus et Trehin 1987

    Chronologie

    113Certains détails chronologiques sont discordants d’une source à une autre (doc. 11) ; l’histoire du site suit à peu près ce schéma :
    – 1866 : découverte du gisement d’Adieu Vat par Paul Isnard ;
    – 1873 : la vallée du Sinnamary reçoit des chercheurs d’or sur la crique Tigre et la crique Leblond ; ouverture des placera de Saint‑Élie, Eldorado, Courriège et Joyeuse ; dans un premier temps l’or est surtout exploité par des sociétés, puis se met en place un système où l’orpailleur est lié par contrat au concessionnaire ;
    – 1880 : la Société de Saint‑Élie, intéressée par 113 coolies encore sous contrat, achète Adieu Vat ;
    – 1883‑1886 : après une reconnaissance de l’ingénieur Babinski sur le Filon Californie (Adieu Vat), achat pour l’exploitation d’une motrice, de deux concasseurs, et de quatre batteries de cinq pilons de marque Fraser & Chalmers (doc. 10) ; l’installation ne fonctionne pas très longtemps et produit 100 kg d’or ; le filon est développé sur une longueur de 200 m, une profondeur du puits de 46 m (ou 60 m selon les sources) et deux niveaux de galeries à 21 et 35 m ;
    – 1896 : reconnaissance par Wears de Filon Rocher ; acquisition d’un moulin de trois pilons (envoyé par la suite à Saint‑Élie) ;
    – 1901 : la drague Flora fonctionne 4 ou 5 mois dans le secteur d’Adieu Vat (elle coule à la suite d’un mauvais amarrage) ;
    – 1904 : la nouvelle société des mines d’or d’Adieu Vat et Bonne Aventure approfondit le puits du Rocher avec des galeries à différents étages. Achat d’une deuxième usine de vingt pilons chez Krupp (doc. 10) ; seule la laverie est mise en service en 1909 ;
    – 1911 (16 avril) : liquidation de la mine de Filon Rocher, les teneurs étaient tombées de 200 g la tonne à 40 g ; le puits a atteint 119 m de profondeur, il employait 170 ouvriers et employés ; en cinq ans 625 kg d’or filonien y furent produits ;
    – 1911 : à partir de cette date Adieu Vat est exploité par des bricoleurs qui produisent en moyenne 200 kg d’or par an ; ils procurent des bénéfices à la compagnie en achats de vivres et de matériel ;
    – jusqu’en 1916 la production d’or de la Guyane ne cesse d’augmenter, puis la chute est brutale : les exportations diminuent de moitié en quatre ans ; dès le début du xxe s. la population créole abandonne l’or ; jusqu’en 1927, le rhum, le balata et le bois de rose diversifient la production de la Guyane à l’exportation ;
    – 1912‑1924 : la drague Courcibo (de la Société française d’exploitations aurifères) exploite les alluvions aurifères dans le secteur d’Adieu Vat ;
    – 1919‑1923 : bien que la société ait été mise en liquidation, Adieu Vat connaît toujours une certaine activité ;
    – 1923 : création de la Société nouvelle de Saint Élie Adieu Vat ; pendant quatre ans l’or est produit par des permissionnaires ; en 1925 Adieu Vat est loué.

    114L’avenir du placer Adieu Vat repose en 1933 sur l’acceptation d’un projet de centrale de 1000 HP (ou ch) au Saut Vata. En novembre 1933 ont commencé les travaux préparatoires à l’ouverture d’une mine importante à base de trois stations de pompage. D’ici fin avril 1934, le poste doit être doté de groupes motopompes.

    115À la même époque, un extrait du rapport de la mission de Léveillé, agent contractuel des mines dans la zone de Sinnamary, du 20 décembre 1932 au 30 janvier 1933, est relatif aux concessions de mines Adieu Vat et Bonne Aventure ; il indique ceci : « Si les permis de recherche de la région sont désertés, l’on ne peut en dire autant des placers Adieu Vat et Bonne Aventure que la sneav exploite par le procédé de la bricole. L’on peut dire que la totalité des mineurs établis au village des Deux Branches qui comprend environ 30 bricoleurs travaillent sur la concession de mines d’Adieu Vat. »

    116La production d’or des années qui suivent semble redécoller : 30,589 kg en 1934, 45,609 kg l’année suivante. On note un regain d’optimisme. Le ministre des Colonies Rollin écrit le 8 octobre 1935 au gouverneur de la Guyane : « Le service des mines de l’inspection générale des travaux publics estime que cette société qui produit, à l’heure actuelle, 30 kg d’or par mois, et qui semble susceptible d’augmenter considérablement cette production est des plus intéressantes. » Cette moyenne, espérée même à 80 kg/mois, atteint à peine 20 kg dans les dix premiers mois de 193546.

    117L’année 1936 marque le retour des espérances et des investissements. « Après avoir installé à Adieu Vat un moteur Diesel de 500 CV qui doit fournir l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement des pompes et broyeurs, la société continue à mener de front prospection et exploitation. Huit broyeurs installés en octobre dans des conditions précaires n’ont pour ainsi dire presque pas fonctionné jusqu’ici […] Les filons de quartz dont on ignore jusqu’à l’importance et la direction sont loin d’avoir donné tout ce qu’on en attendait […]47. »

    118En 1937, seuls deux broyeurs sont en action. La production d’or paraît insuffisante. Par ailleurs, dans un rapport d’août 1937, M. Lannuzel précise que l’exploitation du filon l’Américain (crique Leblond) vaut 2 kg/mois. La société qui envoie 40 000 F pour combler le déficit, souhaiterait reprendre l’exploitation du filon Rocher abandonnée depuis environ 15 ans48. L’année suivante, le filon est suivi jusqu’à plus de 80 m de descente, et certaines galeries atteignent 800 m de longueur. La Société de Saint‑Élic a installé à grands frais le groupe électrogène avec le moteur Diesel de 500 ch, cité plus haut, pour alimenter broyeurs et pompes. Mais les résultats ne semblent pas satisfaisants49.

    119L’installation est fermée durant la guerre. Le matériel récupérable est amené à Saint‑Élie. Jusqu’en 1952, l’entreprise maintiendra des gardiens sur le site.

    Étude archéologique

    120Compte tenu de la richesse de l’histoire de ce site, nous avons choisi d’étudier deux points :
    – la concentration des vestiges liés au transport du minerai de quartz aurifère depuis la mine de Filon Rocher jusqu’aux installations industrielles en bordure du Courcibo ;
    – l’organisation d’un groupe de broyeurs n’ayant été démonté qu’en partie.

    Les vestiges de la voie menant de Filon Rocher à la crique Bonne Nouvelle

    121Des plates‑formes aménagées pour recevoir une voie ferrée sont encore très distinctes dans le paysage. Elles passent le long de la crique Bonne Nouvelle puis d’un de ses affluents sur plus de 1 800 m. Divers vestiges, dont l’interprétation est parfois délicate, jalonnent ce parcours. Nous les avons repérés avec un topofil, en suivant le plan fourni par le brgm (fig. 33), puis nous en avons fait l’inventaire photographique en effectuant certaines mesures complémentaires. De retour à Cayenne, les photographies ont été reprises au calque, les dimensions principales ont été reportées sur les dessins. Pour chaque vestige, ou concentration de vestiges, on dispose donc de sa situation en plan, d’une ou plusieurs photographies et d’une description succincte.

    122Sur 19 points que comprend l’inventaire on distingue :
    – des wagonnets de transport du quartz aurifère et d’autres matériaux circulant sur la voie (fig. 34) (inv. 1, 3, 5, 6, 18, 19) ;
    – des chaudières dont on ne connaît pas la fonction précise, pompage de l’eau, traction des wagonnets ? (fig. 35) (inv. 10 [2 pièces], 11, 12 et 12’) ;
    – des concentrations d’objets métalliques, portiques, roues de transmission, des tôles et autres vestiges non identifiés (fig. 36) (inv. 2, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 18’) ;
    – de rares traces de la voie ferrée (inv. 16, 17) ;
    – l’entrée d’une petite mine qui suit un filon de quartz d’environ 40 cm d’épaisseur. La galerie suit le pendage de la couche sur une longueur de 7,50 m pour un dénivelé de 2 m environ ; elle a été abandonnée à ce niveau, à cause du pendage important de la couche compris entre 15 et 20 grades, ou de la faible épaisseur du filon, ou encore de la faible teneur en or (d’après le concessionnaire actuel qui a fait des prélèvements de ce quartz) (inv. 4).

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    FIG. 34 – Différents types de wagonnets de transport du quartz aurifères abandonnés le long de la vole menant de Filon Rocher à la crique Bonne Nouvelle.

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    FIG. 35 – Différents types de chaudières inventoriés le long de la voie menant de Filon Rocher à la crique Bonne Nouvelle.

    DS de/./Afan

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    FIG. 36 – Portique, roue de transmission… inventoriés le long de la voie menant de Filon Rocher à la crique Bonne Nouvelle.

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    123La répartition des vestiges est parfois difficile à interpréter. On remarque néanmoins que les wagonnets ont été retrouvés à trois endroits : au départ du chemin près de la crique Bonne Nouvelle, juste après la première crique traversée à proximité immédiate d’une fosse d’extraction (exploitation d’éluvions), et près de la fosse d’exploitation que l’on trouve en arrivant à Filon Rocher. Tous sont près des lieux d’exploitation ou avant des passages de criques.

    124Les chaudières et beaucoup d’objets métalliques sont dispersés sur une longueur de 100 m environ près de la fosse d’extraction déjà mentionnée. Ces vestiges semblent avoir été démontés avant leur abandon ce qui peut signifier qu’il s’agit :
    – du rebut d’installations démontées et dont les pièces intéressantes ont été récupérées, pour Saint‑Élie par exemple ;
    – d’installations déjà démontées et qui se sont retrouvées bloquées par la destruction d’un petit pont ;
    – d’objets abandonnés « en panne » alors que l’exploitation fonctionnait encore.

    125Selon le cas il n’est pas possible de savoir si ce matériel est près de son lieu d’utilisation ou non.

    126Sur la rive gauche, parmi les nombreux vestiges dégagés à l’aide de la pelleteuse, on note la présence de deux machines, une foreuse (de marque Excelsior) (inv. 1), un tour (inv. 2), et deux fours (inv. 3 et 4) dont on ne connaît pas la fonction, domestique ou industrielle (fig. 37). Dans le cas du four (inv. 4), il s’agit peut‑être d’une forge utilisée soit pour évaporer le mercure, soit pour la fonte de l’or. Daniel Novak, orpailleur, nous a remis une ancienne bouteille à mercure trouvée à proximité.

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    FIG. 37 – Fours à fonction domestique ou industrielle.

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    La zone des broyeurs

    127À une centaine de mètres au nord de l’usine électrique, on trouve huit broyeurs de quartz aurifère. Sur une terrasse située au‑dessus de celle des broyeurs subsiste une installation de pompage d’eau, et l’arrivée de la voie ferrée qui amenait le minerai jusqu’à cette zone. Des longtoms (doc. 8, p. 78) devaient se trouver sur une terrasse située au dessous des broyeurs. Le plan schématique montre huit broyeurs installés en ligne, groupés deux par deux (fig. 38 et 39). Des tôles en partie encore étayées prolongeaient, semble‑t‑il, la terrasse supérieure jusqu’aux broyeurs, pour charger le quartz par le dessus, c’est à dire au niveau d’arrivée des wagonnets. Les broyeurs sont composés de deux parties, la base en béton et une partie cylindrique en métal riveté. La base est aménagée de façon à permettre la transmission de l’énergie du moteur électrique placé au‑dessous, grâce à des engrenages assurant la rotation d’un axe central vertical qui traverse cette base par son milieu. Elle forme un plan horizontal ; soixante goujons métalliques étaient noyés dans le béton en décrivant un cercle pour assurer une fixation solide de la partie supérieure. Cette dernière, cylindre de 1,87 m de diamètre, reçoit l’eau et le quartz par le dessus. L’axe central transmet la rotation à une sorte de grande pièce métallique située en haut de ce cylindre. Cette pièce comporte trois étriers à sa périphérie ; dans chacun d’entre eux se trouve un axe qui descend jusqu’à la base du cylindre et se termine par une masse ronde de 0,47 m de diamètre. C’est cette masse qui broie le minerai en tournant contre la circonférence intérieure du cylindre (fig. 40).

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    FIG. 38 – Adieu-Vat : plan de la zone des broyeurs installés en 1935/1936.

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    FIG. 39 – Adieu Vat : prise de relevés dans la zone des broyeurs.

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    FIG. 40 –Adieu Vat : plan du broyeur no 4.

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    128On découvre au sol devant quatre broyeurs de larges gouttières de tôles à proximité desquelles se trouvent des parties de moteurs abandonnés ; ces gouttières étaient à l’origine soudées aux parties supérieures des broyeurs, et conduisaient le quartz broyé à la station de lavage.

    129Un sondage à la base du broyeur no 2 a livré du matériel, des pièces métalliques (clous, écrous, chevilles), un peu de quartz ; des plots électriques ont été trouvés dans le même secteur.

    Document 11
    « Note sur le placer Dieu Vat »
    Source : extrait de ADG, Drire 60, circa 1938.

    L’exploitation du Placer Dieu Vat a commencé en 1934 à la suite d’une prospection effectuée sur la crique Georgette. En 1936, la Société a procédé à l’installation d’une centrale électrique de 500 CV avec un moteur Diesel et alternateur triphasé. Les chantiers de Georgette et du Rocher étaient ouverts en même temps et les travaux de l’usine de broyage commencés.

    Les travaux préparatoires des chantiers et des installations demandèrent environ 2 ans. Actuellement devant les résultats obtenus la Société procède à l’électrification totale de la mine.

    L’installation définitive comprendra donc :
    1 groupe électrogène de 500 CV
    1 usine de broyage composée de 8 broyeurs genre Huntington traitant 500 kgs de minerai par heure
    2 concasseurs avec les tables d’amalgamation et de récupération correspondantes
    il existe en outre en annexe :
    1 atelier mécanique permettant de faire toutes les réparations urgentes
    1 atelier de tôlerie
    1 atelier de soudure électrique avec installation indépendante du moteur Diesel et transportable sur toute la mine
    1 atelier à bois
    1 atelier pour le service électrique
    1 magasin d’outillage

    En ce qui concerne les transports terrestres, une voie de chemin de fer partant de l’usine, permet l’accès aux chantiers de Rocher et de Georgette.

    Chantier de Rocher – on y exploite les filons suivants :

    filon du Rocher : Direction sensiblement est‑ouest à pendage Nord, puis rance (?) 0m80 à 1m20, est exploité à l’est et à l’ouest.

    filon Wearth : parallèle au premier avec pendage nord. Il est exploité à l’est (et) à l’ouest.

    Il y aura donc ouverture de 4 chantiers distincts.

    Il existe actuellement une station de pompage sur la crique Dévouée d’une puissance totale d’environ 100 CV. Elle permet l’exploitation à ciel ouvert du toit des terres du filon sur une hauteur de 15 m environ avec abattage direct et lavage. Les roches du filon sont sorties de la tranchée par des wagonnets remontés par un treuil mécanique. Les wagonnets sont ensuite amenés à l’usine par la voie ferrée signalée ci‑dessus.

    L’exploitation actuelle du Rocher constitue donc une prospection de surface qui pourra plus tard servir pour la mise en exploitation directe du filon en profondeur.

    Chantier de Georgette – On y exploite un filon de direction sensiblement est‑ouest et comportant des apophyses nombreuses. L’exploitation se fait par lavage des terres et contrairement à ce qui se produit pour le filon du Rocher, la terre de lavage permet une rémunération directe de l’or.

    La station de pompage comporte une pompe de 280 CV installée directement sur le Courcibo. Elle permet l’ouverture de 3 chantiers à Georgette.

    Développement de la Mine –

    1°) – Sur la ligne de chemin de fer conduisant au filon du Rocher, la Société procédera d’ici quelques mois à la mise en exploitation du filon de Madeleine en utilisant l’eau de l’étang situé en aval de la crique Mouché.

    2°) – La tuyauterie de montée d’eau pour le lavage du filon de Georgette permettra de commencer l’exploitation du filon Christian dont les effleurements sont actuellement reconnus sur une longueur de 2 à 300 m.

    Actuellement la Mine comporte environ 70 ouvriers, mais elle est encore dans la période des travaux préparatoires. En pleine exploitation elle emploiera 200 à 300 ouvriers.

    La Société espère que la production mensuelle de cette mine atteindra dans l’avenir 15 à 20 kgs.

    130On peut sans doute identifier cette installation comme étant le groupe de huit broyeurs Huntington (doc. 10, p. 91) installés à Adieu Vat en 1935, et qui n’ont, selon B. Choubert, que peu fonctionné. Il est probable, tout comme l’usine électrique, que les crues importantes inondaient régulièrement cette installation mal située.

    131Les broyeurs semblent appartenir à la dernière étape d’industrialisation, tentée par la Société nouvelle de Saint Élie Adieu Vat, avant l’abandon du site en 1939. Les augmentations de capital très importantes de cette époque ont permis l’électrification de l’installation ; ce trait est un élément important du développement industriel de la société depuis la seconde moitié des années 1920.

    Les briques en terre cuite

    132L’inventaire régional des briques en terre cuite est loin d’avoir été réalisé à ce jour. Si l’on commence à connaître celles qui sont fabriquées pendant la période du bagne, on ne connaît pratiquement rien de celles qui sont associées à l’orpaillage. Les rares spécimens découverts dans le cadre du programme archéologique de Petit Saut peuvent toutefois contribuer à déterminer éventuellement leurs fonctions et de reconstituer les réseaux commerciaux existant en Guyane entre 1870 et 1940 pour ce type d’objet. Toutes les briques ont été découvertes dans la région d’Adieu Vat. Parmi les six spécimens différents répertoriés, on peut distinguer les briques importées des briques fabriquées localement (fig. 41).

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    FIG. 41 – Les différents modèles de briques découvertes dans le secteur d’Adieu Vat.

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    133Briques importées : elles proviennent toutes de la même région métropolitaine, l’Indre‑et‑Loire, et plus particulièrement des villes de Langeais et de Cinq‑Mars (fig. 41a‑d) (Amoureux du vieux Langeais 1987). En ce qui concerne la ville de Langeais, deux types de briques découvertes à Adieu Vat portent les noms des fabriquants : Pierre Desouches et Paul Gasnier.

    134Pierre Desouches : il s’agit de l’un des principaux fabriquants de Langeais et dont le nom est associé au travail de l’argile depuis le xviiie s. À la fin du xixe s. (avant 1895), il fait construire une « grande usine » à la Rouchouze qui comprend « trois niveaux au rez‑de‑chaussée, quatre fours reliés à une grande cheminée et une machine à vapeur avec bouilleur. La vapeur servait, par l’intermédiaire de tubes à sécher les briques l’hiver. En outre, elle entraînait courroies et poulies et permettait ainsi une mécanisation à tous les niveaux : monte‑charges élevant la terre dans les étages et descendant les pièces achevées, broyeur clerot, malaxeur, et enfin, mouleuses. De celles‑ci sortaient des ballons de pâte ferme dirigés vers les presses actionnées par les femmes. La brique ou le carreau prenait sa forme définitive après impression de la marque du fabriquant. » (Amoureux du vieux Langeais 1987.) Gustave Desouches, son fils (?), reprend la gestion de la « Grande usine » après la Première Guerre mondiale.

    135P. Gasnier : le nom de Paul Gasnier apparaît, au même titre que P. Desouches, dans l’annuaire d’Indre‑et‑Loire qui leur attribue la spécialité de fabriquants de carreaux et briques (les autres fabriquants sont Chauveau, Jean Landry, Lubin, Théodore Busson et De Boissimon). Si la brique de Cinq‑Mars (fig. 41d) ne présente pas le nom du fabriquant, il est malgré tout possible de connaître son origine assez précisément. En 1858, Thomas Sertier et Jean Lebert créent la première usine qui comprend un four, un magasin et un atelier. À la suite de la séparation des deux associés, l’usine est rachetée par la famille Castellan en 1876. En 1890, M. Sturmy installe le premier four à usage continu dans la région. En 1907, cette fabrique de « briques et faïence » comprend une machine à vapeur, trois broyeurs, deux malaxeurs, deux paires de meules, deux machines à bras, un four de 8 m3 de capacité et 40 ouvriers et ouvrières. L’usine sera rachetée en 1914 par M. Prince qui avait en location la grande usine Desouches. Il est donc intéressant de noter les liens étroits ayant existé, à la veille de la Première Guerre mondiale, entre les usines de Langeais et de Cinq‑Mars. Il n’est donc pas étonnant de les retrouver dans le même lieu à Adieu Vat. La reprise de l’usine par Gustave Desouches, après 1918, permet également de situer l’arrivée probable de ces briques en Guyane entre 1895 et 1917.

    136Toutes les briques découvertes proviennent d’Adieu Vat. Les briques de Langeais ont été extraites du four (inventaire no 4) alors que celle de Cinq‑Mars a été découverte par un orpailleur (J.‑P. Delanfranchi). Dans au moins deux cas, les briques Langeais ont été chanfreinées pour servir de faîtage (dans une cale de bateau).

    137Briques locales : on en trouve deux types (fig. 41e, f).

    138L.M.K. : découvertes sur la drague Courcibo (en contrebas de la chaudière), leur présence est tout à fait intéressante puisqu’il s’agit de l’estampille d’un orpailleur, Léonce Melkior, qui découvrit, en 1875, les placers Élysée et Enfin.

    139H.R. : aucune signification de ces initiales n’a pu être avancée.

    1. 4.4.2 Le placer Saint‑Élie

    140La mine est exploitée à partir de 1927 (fig. 42, doc. 12) et le chantier Devis à partir de 1934. En 1936, deux groupes électrogènes de 500 ch formant une centrale électrique de 1 000 ch, qui doit produire 750 g d’or par jour, sont achevés. Deux ans plus tard, à Devis, se trouve un chantier de terre aurifère mêlée de différentes roches non encore décomposées. La colline, haute de 300 m, est attaquée par un front de terre. Les roches sont envoyées à l’usine où elles passent dans deux broyeurs. Un premier groupe électrogène fournit l’énergie électrique. Le second, de même type, doit être monté cette année mais les ressources en eau semblent encore insuffisantes50.

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    FIG. 42 – Mine d’or de Saint‑Élie Adieu Vat : vue du poste de Saint‑Élie montrant une partie des logements du personnel, s.d. (caom, agence des colonies, 1re série, Guyane 1, cliché 04).

    Cl. Archives Nationales, CAOM. Tous droits réservés

    Document 12
    Courrier d’information sur l’état de la circonscription de Saint‑Élie
    Source : ADG, Drire 60.

    Gendarmerie Nationale Saint‑Élie le 1er Août 1933

    Le Gendarme mauclair (Emmanuel), commandant le Poste de Saint‑Élie

    à monsieur le Gouverneur de la Guyane‑Française et du territoire de l’Inini, à Cayenne

    Des tournées ayant été effectuées dans tous les villages et chantiers de la Circonscription de Saint‑Élie et en exécution des prescriptions contenues dans la lettre no 588 de Monsieur le Gouverneur de la Colonie, en date du 6 Octobre 1932, (Détachement no 484/2 du 12 même mois, (lettre jointe), j’ai l’honneur de vous rapporter ce qui suit :

    Tous les étrangers résidant aux Placers Saint‑Élie et Dévis ont été identifiés et sont actuellement en possession de leur fiche d’identité d’étranger. Cette catégorie de travailleurs fait l’objet de nos recherches permanentes au cours de ses mouvements.

    Une grande partie des ouvriers ne sont pas encore en possession de leur licence personnelle, 2eme catégorie et, en ce qui concerne les étrangers, de leur certificat d’immatriculation. Ces personnes profitent généralement d’un déplacement au chef‑lieu pour satisfaire à ces obligations.

    Les terrains des Placers Saint‑Elie et Devis sont exploités par la Société nouvelle Saint‑Élie et Adieu Vat. Les ouvriers sont salariés et travaillent au compte de la Société précitée, à l’exception de quelques bricoleurs dont les chantiers, disséminés dans la brousse, deviennent de plus en plus rares.

    L’extraction de l’or est la seule industrie de la région, sa prospérité semble aller décroissante et, partant, la main‑d’œuvre diminue sensiblement.

    Cette main‑d’œuvre est répartie par équipes à divers travaux : usine, chantiers, coupe de bois, transports.

    L’usine installée pour le broyage des quarts aurifères et le lavage des terres alluvionnaires distribue l’eau aux dalles des chantiers, dans lesquelles s’effectue le lavage des terres de montagne. Elle occupe quelques ouvriers spécialisés : mécaniciens, forgerons, électriciens et chauffeurs.

    Des renseignements recueillis, il résulterait que les terrains alluvionnaires sont presque épuisés et la terre de montagne exigerait des procédés d’exploitation plus puissants et plus modernes.

    Le bois est uniquement destiné à la marche de l’usine et à l’alimentation des charbonnières.

    La culture est inexistante.

    Les services de transports sont assurés par la Société dans la mesure de nos besoins propres.

    On accède au Placer de Saint‑Élie par une voie de (chemin de fer qui) offre de grosses difficultés. Un wagon, tiré par une mule, est principalement affecté au transport des voyageurs et de la correspondance. Les denrées et matériels divers sont acheminés à l’aide de wagons à plate‑forme dont la traction est opérée par les hommes.

    Les magasins des agglomérations de la région sont ravitaillés quotidiennement à dos d’homme, par de vagues sentiers très accidentés.

    L’organisation sanitaire est presque nulle. Les médicaments les plus usuels font défaut et toute la population, en général, se plaint de cet état de choses.

    Cependant, la mortalité n’est pas très élevée et le climat n’apparaît malsain que pendant les périodes de transition.

    dieu‑merci – courriege – tonkin – republique – latidine – saint‑auguste – sursaut‑drague – deux branches

    Tous ces Placers sont exploités par les bricoleurs exclusivement. D’après la réglementation adoptée par la Société Saint‑Élie, ces mineurs doivent échanger l’or qu’ils extraient contre les denrées vendues par les magasins de la Société et vendre l’excédent à cette dernière au prix fixé.

    Depuis quelques années, les bricoleurs se plaignent de l’appauvrissement des terrains alluvionnaires et cet état de choses va en s’accentuant. Certaines (régions) ont été, de ce fait, abandonnées, exemple : dégourdi – degrad sursaut ;

    L’établissement du degrad‑pierre, appartenant à Monsieur Léon mine, de Sinnamary, a provoqué l’abandon partiel des hameaux avoisinants, la vie y étant plus aisée et plus libre.

    La majeure partie des bricoleurs habitant ces régions sont étrangers, anglais pour la plupart. Vivant dans les bois depuis plusieurs années, une assez forte proportion de ces personnes ne possèdent pas les pièces d’identité afférentes aux lois et décrets en vigueur, (sursaut‑drague – degrad pierre – région crique tigre).

    Les mineurs travaillent dans la brousse à des distances très éloignées et ne rentrent parfois qu’à la fin de chaque quinzaine, voire même de chaque mois. Une grande partie de leurs chantiers, disséminés sur tous les points, n’ont jamais été visités.

    Malgré plusieurs déplacements consécutifs, (mission, tournées externes), les fiches d’identité d’étranger n’ont été que partiellement établies et un déplacement ordonné n’est d’aucune utilité. Nous sommes donc contraints d’attendre les occasions de rencontre fortuite avec ces personnes pour les identifier.

    Ce travail même n’est pas toujours aisé car certaines d’entre elles ignorent leur véritable nom.

    Pour les raisons précitées au troisième paragraphe, des difficultés ont fréquemment surgi entre les propriétaires des magasins du Dégrad‑Pierre et de la Société Saint‑Elie.

    Contraints de se soumettre aux règlements de la Société les mineurs de Sursaut‑Drague et environs ont préféré quitter définitivement ces lieux et se sont réfugiés au Dégrad‑

    Pierre. Mis en demeure d’abandonner leurs chantiers habituels, ils ont obéi mais sont toujours revenus les exploiter par la suite. Des contestations se sont élevées au sujet de la délimitation des propriétés et persistent toujours.

    La même situation se présente dans la région d’Adieu Vat (deux‑branches – saut‑vata – pointe chatournay).

    Ces contrées paraissent plus favorisées. Le gibier et le poisson sont plus abondants et quelques abattis privés fournissent les légumes nécessaires. En outre, le ravitaillement est plus régulier et moins onéreux ; le terrain alluvionnaire semble également plus riche.

    Peu de travailleurs économisent, ils sont le plus souvent en débet avec les magasins de ravitaillement.

    Leur vie matérielle est assurée tant que leur santé leur permet le rude travail des bois. Dans ces conditions, les enfants naissent et grandissent sans connaître d’autres centres et sans fréquenter aucune école ; à l’exception du travail de l’or, dans l’ignorance de tout.

    Dans toute la circonscription, y compris crique‑plomb et crique chapeau, l’exploitation de l’or est l’industrie unique. Les habitants des villages, en bordure de la Rivière Sinnamary, se livrent aux cultures maraîchères, mais le commerce en résultant est insignifiant.

    Les moyens actuels d’exploitations sont rudimentaires et l’accès des terrains aurifères offre de nombreuses difficultés. De plus, les alluvions superficielles sont travaillées depuis plus de 50 ans et n’offrent que des teneurs restreintes. Les productions sont en régression invariable et la population émigre.

    D’une façon générale un bon état d’esprit règne. Les habitants sont dociles et calmes. Les quelques infractions relevées sont plutôt dues à l’ignorance des lois et décrets en vigueur ou à la négligence.

    Les différents survenants entre ouvriers sont sans importance.

    (signé) mauclair

    141L’année de la déclaration de guerre, douze chantiers de lavage sont installés. La terre de montagne est abattue à ciel ouvert, à la barre à mine. Le front de taille atteint jusqu’à 40 m. La terre abattue tombe à la tête des sluices composés de dalles de fer fabriquées sur place. L’or s’y dépose. On le recueille deux fois par mois. Les quartz recueillis en queue de dalles ou au filon même sont envoyés à une usine comportant les deux broyeurs à boulets pouvant traiter jusqu’à 500 kg à l’heure chacun. Les chantiers sont alimentés en eau par trois stations de pompage, une quatrième servant d’appoint en saison sèche. À l’époque, tout le monde attache beaucoup d’intérêt à la piste de Kérenrock qui doit désenclaver la région51.

    1.4.4.3 Le placer Dieu Merci

    142La mine Dieu Merci, à 7 km de Saint‑Élie, est inaugurée le 11 mai 1936. Elle reprend une exploitation abandonnée (fig. 43). Il existe alors sur la crique Filon un barrage de retenue d’environ 70 m de long. La force motrice sera fournie par l’excédent de Saint‑Élie. L’exploitation doit commencer fin mai 1939 ou 1940. La récupération de l’or s’effectuera par lavage des terres de la montagne de Kerouani et dégagement et abattage des filons de Kerouani52.

    143Après une histoire riche mais chaotique, l’exploitation aurifère a repris depuis quelques années dans le bassin du Sinnamary. Au moment de la crise économique, dans les années 30, l’arrivée de la main‑d’œuvre pénale contribua grandement à développer les moyens d’accès aux placers. Cette histoire est devenue indissociable de celle du bagne des Annamites de Saut Tigre (cf. infra chap. 2).

    Image 1000000000000140000001A2BC7D63F7242ADE57.jpg

    FIG. 43 – Plan d’une concession de prise d’eau dans la commune de Sinnamary, Cayenne le 18 janvier 1904 (ADG, X 615 : Saut Vata, cartes et plans, 1906‑1907)

    cl. ADG

    Notes de bas de page

    1 Rappelons également l’hypothèse avancée par Bassières, selon laquelle les jésuites auraient, dès le xviie s., secrètement exploité des gisements d’or, aidés par les Amérindiens (Bassières 1936 : 14).

    2 AN, 3JJ 308, lettre de Sirdey datée du 18 avril 1833 et adressée au ministre de la Marine et des Colonies.

    3 CAOM, SG Guyane 148 IN3 (10), rapport de Bourgeois‑Gavardin du 1er août 1938 rapportant une note du chef du bureau des mines Baudin.

    4 Lettre du 31 mai 1995 de M. Roger Muguerot (fils de René Muguerot) à M. Laurent Heulot, directeur régional de Affaires culturelles de la Guyane.

    5 AN, 65 AQ L 1234.

    6 AN, 65 AQ L 1234, compte‑rendu de la mission de Bordeaux de septembre à décembre 1908 ; et article La Revue Minière du 15 septembre 1910 citant la Dépêche coloniale du 11 septembre.

    7 Visite effectuée le 2 juillet 1992 par M. Heulot, directeur régional des Affaires culturelles, et signée par M. de Saint‑Jouan, architecte en chef des Monuments historiques.

    8 AN, 65 AQ 1235. Voir doc. 4.

    9 AN, 65 AQ L 1151 et CAOM, TP 756, dossiers 5 et 8.

    10 AN, 65 AQ L 1509.

    11 AN, 65 AQ L 1002.

    12 CAOM, plan TP 466.

    13 AN, 65 AQ L1002, d’après Le bon sens financier, octobre 1905.

    14 AN, 65 AQ L 1481 et CAOM, TP carton 756 dossiers 6 et 7. Voir à ce sujet ADG, Drire 21. Dès les années 1878, sous la direction de Georges de la Bouglise et de Clément Baudin, la société établit des voies de communication entre Cayenne et le placer Saint‑Élie, crée un magasin d’approvisionnement et s’affirme par des préoccupations humanistes : maison pour les travailleurs malades à Sinnamary, présence d’un médecin au placer.

    15 AN, 65 AQ L 1664.

    16 ADG, Drire 60, note du 8 avril 1935.

    17 CAOM, SG Guyane 174/11.

    18 CAOM, SG Guyane 174/11, lettre du 2 juin 1891.

    19 Société des gisements d’or de Saint‑Élie et AN, 65 AQ L1481 ; article La petite côte de la Bourse, 27 janvier 1917.

    20 ADG, Drire 60, extrait du rapport de la mission Léveillé, du 20 décembre 1932 au 30 janvier 1933 (Petot 1986).

    21 Nous avons ici du matériel, des machines à vapeur et des machines‑outils de qualité. Les chaudières Babcock et Wilcox –et dans une moindre mesure Niclausse qui s’en inspirent– sont renommées à la fin du xixe et au début du xxe s. Les machines à chaudière horizontale Davey‑Paxman sont employées dans les petites centrales électriques. Les machines à vapeur Corliss et leurs distributeurs – souvent faits aux ateliers Schneider du Creusot ont été rendus célèbres lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1867. Sans parler de la célébrité du matériel de sidérurgie lourde et de construction mécanique allemand Krupp. Nota, pour Ingersolt‑Sergeant, peut‑être faut‑il lire « Ingersoll », dont les machines‑outils sont connues au milieu du xxe s. (Daumas 1984).

    22 Sur toute cette partie cf. Petot 1986 : 164‑167 ; et Lezy 1989 : 158 ; Bourgeois‑Gavardin, rapport sur la situation actuelle de l’exploitation aurifère en Guyane, 6 août 1938, dans ADG, IX 57 ; et sur la période contemporaine (Plat 1988).

    23 AN, 65 AQ L 1481, fol. 19.

    24 AN, 65 AQ L 1002.

    25 CAOM, FOM Guyane, carton 287 dossier 30.

    26 CAOM, SG Guyane, carton 62, dossier G1 (10) et FOM, carton 287 dossier 28.

    27 caom, fom Guyane, carton 300, dossier 72.

    28 Cf. annexe 4.

    29 CAOM, 12 PA 1, extrait d’un rapport de 1937.

    30 Idem.

    31 Ibidem.

    32 Cf. chap. 2 relatif à ce sujet.

    33 Rapport du gendarme Mauclair, commandant le poste de Saint‑Élie, au gouverneur, 1er août 1933 ; cf. doc. 6.

    34 ADG, Drire 60.

    35 ADG, Drire 60, note du 14 avril 1932. Sur ce sujet, voir le tableau chronologique des concessions (tabl. xxii).

    36 ADG, Drire 60, 3 décembre 1935, lettre du gouverneur au ministre.

    37 ADG, Drire 60,14 avril 1932.

    38 ADG, Drire 60, 3 décembre 1935, lettre du gouverneur au ministre. CAOM, 12 PA I, Papiers Hurault, rapport annuel de 1937 et rapport annuel de la même année pour la circonscription du Centre. La Compagnie générale de Tanon fait la même chose. Voir également ADG, Drire 60, courrier du 21 juin 1934.

    39 ADG, X 788.

    40 ADG, Drire 60, 6 février 1936.

    41 Idem, rapport du lieutenant Baratier, commandant le détachement de gendarmerie à la SNEAV, 11 avril 1929.

    42 Ibid., lettre du 6 mai 1935 et lettre de Debeve Jaspar au gouverneur, 13 août 1935.

    43 Ibid., reconnaissance du 19 au 24 juin 1932.

    44 Ibid., lettres du 6 décembre 1932 ; du 6 avril 1933 ; du 5 décembre 1932 ; et note de 1936.

    45 ADG, Drire 14, dossier de Philistin Béchet.

    46 ADG, Drire 60, lettre du gouverneur au ministre, 3 décembre 1936.

    47 Idem, extrait du rapport annuel de 1936. Situation économique et commerciale. Saut Tigre, 14 janvier 1937.

    48 Idem, rapport Lannuzel du 21 au 25 août 1937.

    49 CAOM, 148 IN3 (10), extrait du rapport de Bourgeois‑Gavardin, 1er août 1938.

    50 CAOM, 148 IN3 (10), extrait du rapport de Bourgeois‑Gavardin, 1er août 1938.

    51 CAOM, 12 AP I, papiers Hurault, visite du gouverneur, Kérenrock‑Saint‑Élie, 1939.

    52 Idem.

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    1 Rappelons également l’hypothèse avancée par Bassières, selon laquelle les jésuites auraient, dès le xviie s., secrètement exploité des gisements d’or, aidés par les Amérindiens (Bassières 1936 : 14).

    2 AN, 3JJ 308, lettre de Sirdey datée du 18 avril 1833 et adressée au ministre de la Marine et des Colonies.

    3 CAOM, SG Guyane 148 IN3 (10), rapport de Bourgeois‑Gavardin du 1er août 1938 rapportant une note du chef du bureau des mines Baudin.

    4 Lettre du 31 mai 1995 de M. Roger Muguerot (fils de René Muguerot) à M. Laurent Heulot, directeur régional de Affaires culturelles de la Guyane.

    5 AN, 65 AQ L 1234.

    6 AN, 65 AQ L 1234, compte‑rendu de la mission de Bordeaux de septembre à décembre 1908 ; et article La Revue Minière du 15 septembre 1910 citant la Dépêche coloniale du 11 septembre.

    7 Visite effectuée le 2 juillet 1992 par M. Heulot, directeur régional des Affaires culturelles, et signée par M. de Saint‑Jouan, architecte en chef des Monuments historiques.

    8 AN, 65 AQ 1235. Voir doc. 4.

    9 AN, 65 AQ L 1151 et CAOM, TP 756, dossiers 5 et 8.

    10 AN, 65 AQ L 1509.

    11 AN, 65 AQ L 1002.

    12 CAOM, plan TP 466.

    13 AN, 65 AQ L1002, d’après Le bon sens financier, octobre 1905.

    14 AN, 65 AQ L 1481 et CAOM, TP carton 756 dossiers 6 et 7. Voir à ce sujet ADG, Drire 21. Dès les années 1878, sous la direction de Georges de la Bouglise et de Clément Baudin, la société établit des voies de communication entre Cayenne et le placer Saint‑Élie, crée un magasin d’approvisionnement et s’affirme par des préoccupations humanistes : maison pour les travailleurs malades à Sinnamary, présence d’un médecin au placer.

    15 AN, 65 AQ L 1664.

    16 ADG, Drire 60, note du 8 avril 1935.

    17 CAOM, SG Guyane 174/11.

    18 CAOM, SG Guyane 174/11, lettre du 2 juin 1891.

    19 Société des gisements d’or de Saint‑Élie et AN, 65 AQ L1481 ; article La petite côte de la Bourse, 27 janvier 1917.

    20 ADG, Drire 60, extrait du rapport de la mission Léveillé, du 20 décembre 1932 au 30 janvier 1933 (Petot 1986).

    21 Nous avons ici du matériel, des machines à vapeur et des machines‑outils de qualité. Les chaudières Babcock et Wilcox –et dans une moindre mesure Niclausse qui s’en inspirent– sont renommées à la fin du xixe et au début du xxe s. Les machines à chaudière horizontale Davey‑Paxman sont employées dans les petites centrales électriques. Les machines à vapeur Corliss et leurs distributeurs – souvent faits aux ateliers Schneider du Creusot ont été rendus célèbres lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1867. Sans parler de la célébrité du matériel de sidérurgie lourde et de construction mécanique allemand Krupp. Nota, pour Ingersolt‑Sergeant, peut‑être faut‑il lire « Ingersoll », dont les machines‑outils sont connues au milieu du xxe s. (Daumas 1984).

    22 Sur toute cette partie cf. Petot 1986 : 164‑167 ; et Lezy 1989 : 158 ; Bourgeois‑Gavardin, rapport sur la situation actuelle de l’exploitation aurifère en Guyane, 6 août 1938, dans ADG, IX 57 ; et sur la période contemporaine (Plat 1988).

    23 AN, 65 AQ L 1481, fol. 19.

    24 AN, 65 AQ L 1002.

    25 CAOM, FOM Guyane, carton 287 dossier 30.

    26 CAOM, SG Guyane, carton 62, dossier G1 (10) et FOM, carton 287 dossier 28.

    27 caom, fom Guyane, carton 300, dossier 72.

    28 Cf. annexe 4.

    29 CAOM, 12 PA 1, extrait d’un rapport de 1937.

    30 Idem.

    31 Ibidem.

    32 Cf. chap. 2 relatif à ce sujet.

    33 Rapport du gendarme Mauclair, commandant le poste de Saint‑Élie, au gouverneur, 1er août 1933 ; cf. doc. 6.

    34 ADG, Drire 60.

    35 ADG, Drire 60, note du 14 avril 1932. Sur ce sujet, voir le tableau chronologique des concessions (tabl. xxii).

    36 ADG, Drire 60, 3 décembre 1935, lettre du gouverneur au ministre.

    37 ADG, Drire 60,14 avril 1932.

    38 ADG, Drire 60, 3 décembre 1935, lettre du gouverneur au ministre. CAOM, 12 PA I, Papiers Hurault, rapport annuel de 1937 et rapport annuel de la même année pour la circonscription du Centre. La Compagnie générale de Tanon fait la même chose. Voir également ADG, Drire 60, courrier du 21 juin 1934.

    39 ADG, X 788.

    40 ADG, Drire 60, 6 février 1936.

    41 Idem, rapport du lieutenant Baratier, commandant le détachement de gendarmerie à la SNEAV, 11 avril 1929.

    42 Ibid., lettre du 6 mai 1935 et lettre de Debeve Jaspar au gouverneur, 13 août 1935.

    43 Ibid., reconnaissance du 19 au 24 juin 1932.

    44 Ibid., lettres du 6 décembre 1932 ; du 6 avril 1933 ; du 5 décembre 1932 ; et note de 1936.

    45 ADG, Drire 14, dossier de Philistin Béchet.

    46 ADG, Drire 60, lettre du gouverneur au ministre, 3 décembre 1936.

    47 Idem, extrait du rapport annuel de 1936. Situation économique et commerciale. Saut Tigre, 14 janvier 1937.

    48 Idem, rapport Lannuzel du 21 au 25 août 1937.

    49 CAOM, 148 IN3 (10), extrait du rapport de Bourgeois‑Gavardin, 1er août 1938.

    50 CAOM, 148 IN3 (10), extrait du rapport de Bourgeois‑Gavardin, 1er août 1938.

    51 CAOM, 12 AP I, papiers Hurault, visite du gouverneur, Kérenrock‑Saint‑Élie, 1939.

    52 Idem.

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    Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane)

    Ce livre est cité par

    • Courtney, Paul. (2009) International Handbook of Historical Archaeology. DOI: 10.1007/978-0-387-72071-5_10
    • Waselkov, Gregory A.. (2009) International Handbook of Historical Archaeology. DOI: 10.1007/978-0-387-72071-5_33

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    Puaux, O., Philippe, M., & Picavet, R. (1997). Chapitre 1. Une nouvelle Californie. In Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane) (1‑). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42768
    Puaux, Olivier, Michel Philippe, et Régis Picavet. « Chapitre 1. Une nouvelle Californie ». In Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane). Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42768.
    Puaux, Olivier, et al. « Chapitre 1. Une nouvelle Californie ». Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane), Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42768.

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    Puaux, O., Philippe, M., & Picavet, R. (1997). Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane) (1‑). Éditions de la Maison des sciences de l’homme. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42638
    Puaux, Olivier, Michel Philippe, et Régis Picavet. Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane). Paris: Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997. https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42638.
    Puaux, Olivier, et al. Archéologie et histoire du Sinnamary du xviie au xxe s. (Guyane). Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, https://doi.org/10.4000/books.editionsmsh.42638.
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