Dans ce premier chapitre, mausoleum et basilica, notre intention n’est pas d’aborder de manière exhaustive tous les domaines de la recherche en cours sur l’église abbatiale, mais d’insister plus particulièrement sur les aspects archéologiques. La large part réservée à la documentation concernant les travaux de restauration du xix^e s. vise à étoffer un dossier intéressant plus particulièrement l’étude architecturale du monument.

1.1 Saint‑Denis, mémoire de la nation France

1La France et les Français entretiennent avec Saint‑Denis, depuis la fin du xix^e s., des rapports difficiles. La remarquable publication des « Lieux de mémoire », maintenant achevée, en témoigne avec éloquence en ne lui consacrant que douze pages (Beaune 1986 : 58‑70). Comment expliquer l’abandon de ce qui a été avant bien d’autres le lieu de mémoire par excellence de la monarchie ? L’abbatiale témoignait des liens noués au cours des siècles entre la nation, le roi et la religion. Depuis le xii^e s., elle était le lieu de vénération des souverains qui y trouvaient leur dernier repos. Des tombeaux à gisant en rappelaient le souvenir aux fidèles et aux religieux. Les événements se sont conjugués au cours du xix^e s. pour marginaliser un monument qui avait été conçu par les différents pouvoirs monarchiques comme légitimateur. La République en hérita et ne sut que faire d’un lieu évocateur d’un passé dangereux, détesté dans son radicalisme antireligieux. Elle préférait récupérer Notre‑Dame‑de‑Paris, la cathédrale gothique que Viollet‑le‑Duc s’était efforcé de laïciser en la vidant de sa substance. Cette défiance s’accentua au xx^e s. en raison d’un panorama politique jugé extrémiste. Elle subsiste aujourd’hui et explique pour partie le refus des pouvoirs publics de donner suite à la demande de la ville de reconstruction de la flèche nord, sous un prétexte financier.

2Cette défaveur concerne également la recherche historique. Il est frappant de constater, jusqu’à une époque extrêmement récente, l’absence de l’érudition française. Elle est d’autant plus visible que le monument a tenu dans l’histoire de l’art une place privilégiée, pour ne pas dire exceptionnelle, au viii^e s. lors de la reconstruction par Charlemagne et Carloman, au xii^e s. par l’abbé Suger, à partir de 1231 sur l’initiative d’Eudes Clément conseillé par Saint Louis. Les trois monuments qui se sont succédé apparaissent comme de véritables révolutions stylistiques : à l’époque carolingienne par l’adoption de formes romaines ; au xii^e s. par la création de ce que l’on appellera plus tard le style gothique ; en 1231 par le style rayonnant qui s’imposera bientôt à l’ensemble de l’Europe occidentale. Ce renouvellement architectural est lié à celui du décor qui s’affirme dans sa profonde modernité : le vitrail, les statues‑colonnes qui meublent la façade et le cloître, la porte des Valois, tous conçus par Suger ; le trésor, considérablement amplifié par le célèbre abbé ; le bras sud du transept, au cours des années 40 du xiii^e s. ; enfin le « cimetière des rois » qui réunit depuis les années 60 les gisants des rois de France, la plus grande nécropole occidentale. Ce sont les chercheurs américains et allemands qui, grâce à un travail attentif, ont rendu à Saint‑Denis sa véritable place dans l’histoire de la création. Ce constat négatif va pouvoir être révisé. Une équipe de chercheurs, réunis dans l’Unité d’archéologie de Saint‑Denis, s’est mise à la tâche. Après l’étude si riche du centre urbain, elle se penche sur l’ancienne abbatiale. Deux études (Wyss 1992 ; Johnson, Wyss 1992) ont été consacrées aux vestiges sculptés, récemment découverts, les uns romans, les autres contemporains de l’abbé Suger. Avec les trois têtes provenant des statues‑colonnes de la façade occidentale, récemment acquises par le Musée national du Moyen Âge, le panorama sculpté prend forme et s’impose par sa qualité (Erlande‑Brandenburg 1992a). Aujourd’hui, c’est l’« Atlas » qui est livré au public. À la suite d’une longue enquête menée dans les fonds publics, l’équipe a pu réunir une documentation très abondante, certains documents étant inédits. Le commentaire qui les accompagne permet de saisir leur importance pour une meilleure connaissance d’un édifice insigne. On le sait, le monument a terriblement souffert. Ce long martyre a commencé en 1771 lorsque les statues furent arrachées des colonnes, à la façade occidentale ; il s’est poursuivi jusqu’après la Seconde Guerre mondiale avec la destruction du caveau impérial. Les restaurations de Debret, de Viollet‑le‑Duc ont été très médiocres, si l’on excepte la remise en état des tombeaux et des vitraux du chevet. Les documents graphiques, le « Journal des travaux... » rédigé par Ménage en 1847 (doc. 10, 17, 18), apportent des témoignages irrécusables sur l’état du monument, sur les réincrustations de pierres, sur le démontage de la tour nord. Au‑delà de cette information historique pour une meilleure connaissance du monument, l’« Atlas » devrait permettre d’élaborer la « charte » des opérations à réaliser sur la longue durée, après achèvement d’un nettoyage indispensable. La reconstruction de la tour nord, si elle était finalement réalisée, devrait s’accompagner de la mise à niveau de la façade, écrasée depuis que le sol a été remonté au début du xix^e s. Elle retrouverait puissance et élégance d’origine.

1.2 La légende de saint Denis durant le Moyen Âge

FIG. 4 – Les saints Denis, Rustique et Eleuthère, d’après un graduel du début du XI^e s. provenant de Saint‑Denis. Bibliothèque Mazarine, ms. 384 : f^o134v.

3Centre cultuel de la Gaule mérovingienne puis carolingienne, Saint‑Denis doit cette position insigne à la présence des reliques de saint Denis, considéré comme le premier évêque de Paris. C’est pourquoi il est essentiel de présenter un abrégé de la littérature hagiographique consacrée au saint.

4Il faut attendre le début du vi^e s., soit deux cent cinquante ans environ après sa mort, vers 250, pour trouver les premiers écrits relatant les actes de cet évangélisateur des Parisii. Aussi les renseignements concernant le personnage sont‑ils bien maigres.

La « Vie de sainte Geneviève »

5Vers 520, l’hagiographe de la « Vie de sainte Geneviève », la Vita sanctae Genovefae (Krusch 1896), présente Denis comme un évêque ordonné à Rome par le pape saint Clément (90‑100) et envoyé par ce dernier évangéliser les Parisii pour être martyrisé et inhumé à quatre lieues de la capitale, au viens Catulacensis, autrement dit à Saint‑Denis (doc. 2). Geneviève aurait eu l’idée de construire sur la tombe, avec l’aide des prêtres parisiens, une basilique, vers 451‑459 selon la chronologie du récit, vers 475 selon la datation traditionnelle (Heinzelmann, Poulin 1986). L’auteur avoue ne pas connaître les motivations de la vénération de Geneviève pour saint Denis et dit avoir puisé son information dans deux sources écrites relatives à l’évêque martyr : une Passion de saint Denis et un récit sur la carrière du pape Clément (doc. 2). Les historiens pensent que l’épisode dans lequel Clément est l’instigateur de la mission de Denis serait « une invention de l’époque de Clovis et de Childebert pour justifier les prétentions politiques des rois et leur choix de Paris comme résidence » (Beaujard, Picard 1992 : 16). Geneviève, membre de l’aristocratie parisienne, aurait contribué de manière fondamentale au développement du culte du premier évêque de Paris.

Le témoignage de Grégoire de Tours

6Denis, évêque martyrisé, apparaît à la fin du vi^e s., dans l’« Histoire des Francs » (livre I, chapitre 30) de Grégoire de Tours (Grégoire de Tours, Krusch, Levison 1951 : 23). L’auteur donne Denis comme membre d’une mission en Gaule, composée de sept évêques (saint Gatien de Tours, saint Trophime d’Arles, saint Paul de Narbonne, saint Saturnin de Toulouse, saint Denis de Paris, saint Austremoine de Clermont et saint Martial de Limoges), qui aurait eu lieu plus tard, du temps de l’empereur Dèce (249‑251). Grégoire de Tours rapporte également un miracle qui eut lieu dans la basilique de Saint‑Denis (doc. 5).

Le martyrologe hiéronymien

7Vers 600, le martyrologe hiéronymien mentionne pour la première fois les deux compagnons de Denis : le prêtre Eleuthère et le diacre Rustique (Dubois 1971).

La Passion dite Gloriosae

8La première Passion de saint Denis, dite Gloriosae d’après l’incipit de son prologue, nous est parvenue sous la forme d’un texte du début du ix^e s. Depuis L. Levillain, les historiens pensent que sa conception pourrait remonter au début du vi^e s. et que c’est cette première forme de la Passion qu’aurait connue l’auteur de la « Vie de sainte Geneviève » (cf. supra) (Levillain 1921 ; Heinzelmann, Poulin 1986). De l’aveu même de son auteur, le Gloriosae aurait été rédigé d’après la tradition orale.

9Saint Denis aurait reçu sa mission évangélisatrice d’un pape anonyme. Il serait venu à Paris accompagné de Rustique et d’Eleuthère, ce dernier étant ici qualifié d’archidiacre. Denis y aurait construit la première église pour subir ensuite, avec ses deux compagnons, le martyre par décollation. Les bourreaux, ayant résolu de jeter les corps à la Seine, les auraient mis dans un bateau mais Catulla, une femme pieuse quoique encore païenne, aurait réussi à les dérober pour les inhumer, à six milles de Paris, dans un champ labouré. Pour la première fois, la légende établit une distinction entre le lieu du martyre et celui de la sépulture. Au‑dessus, elle aurait érigé un mausolée ; par la suite, à l’initiative de chrétiens anonymes, une première basilique aurait été construite (doc. 3).

La Passion dite Post beatam et gloriosam et Denys l’Aréopagite dAthènes

10C’est durant le premier tiers du ix^e s. que la légende évolue de façon décisive.

11Raymond Loenertz pense pouvoir situer la rédaction de la deuxième Passion dite Post beatam et gloriosam (Bueo 1780) entre 817 et 833 et, plus précisément, en 826 soit peu après le concile de Paris (825) qui rapprocha les empires d’Orient et d’Occident (Loenertz 1951). Pour la première fois, on identifie Denis, premier évêque de Paris, à Denys d’Athènes, converti par l’apôtre Paul sur la colline de l’Aréopage d’Athènes et qui est cité dans les « Actes des Apôtres » (Actes, 17, 16‑34).

12Au cours du récit, le prestige du saint se renforce. Après avoir rappelé le martyre des apôtres Pierre et Paul, l’auteur raconte la conversion. Puis Clément l’aurait nommé évêque et lui aurait confié la mission d’évangéliser la Gaule. Denis aurait fait étape au port d’Arles d’où il aurait envoyé deux de ses disciples, Saturnin et Marcel, l’un en Aquitaine et l’autre en Espagne. Denis, Rustique, le prêtre, et Eleuthère, le diacre, se seraient rendus ensuite à Paris, tandis que Lucien, un autre disciple, serait parti pour Beauvais. Sous l’empereur Domitien (81‑96), les trois évangélisateurs de Paris auraient subi le martyre, sur un monticule anonyme, à un mille de la ville. Après la décollation, saint Denis se serait relevé et aurait porté son chef sur plus de deux milles – c’est le miracle de la céphalophorie. Puis Catulla aurait dérobé les corps pour les inhumer.

13Par rapport au Gloriosae, cette deuxième Passion constitue une amplification. La légende est remaniée pour les besoins de l’aréopagitisme ; en introduisant les deux princes des apôtres, elle pose les fondements de la prétention de l’abbaye à l’apostolicité du saint titulaire de son église.

Les Areopagitica et la diffusion en Occident de l’œuvre du pseudo‑Denys l’Aréopagite

14En 835, Louis le Pieux demande à l’abbé Hilduin de composer une synthèse de la légende utilisant à la fois des sources grecques se rapportant à Denys, l’Aréopagite d’Athènes, et des sources latines relatives à Denis, premier évêque de Paris (Louis le Pieux, Migne 1851 : col. 1326). Parmi ces documents on compte de nombreux textes apocryphes dont la Descriptio Visbii. Avant 840, l’abbé rédige la troisième Passion, dite Post beatam ac salutiferam ou Areopagitica sive sancti Dionysii vita (Hilduin, Migne 1851).

15Nous connaissons les enjeux de cette nouvelle Vie. Le 8 octobre 827, Louis le Pieux avait légué au monastère un manuscrit grec (BNF, ms. grec 437) que lui avait offert l’empereur byzantin Michel le Bègue et qui renfermait un traité sur la hiérarchie céleste (fig. 5) attribué à Denys l’Aréopagite. Ce traité appartient à une oeuvre ésotérique désignée aujourd’hui sous le nom de Corpus dionysiacum ; son auteur, du début du vi^e s., probablement d’origine syrienne, est couramment appelé pseudo‑Denys l’Aréopagite (Gandillac 1943). Entre 832 et 835, l’abbé Hilduin fit effectuer la première traduction latine de ce texte grec, aujourd’hui perdue (Théry 1932). Elle devait être assez médiocre et comporter des passages incompréhensibles, aussi vers 860 demanda‑t‑on une nouvelle traduction à l’Irlandais Jean Scot Erigène appelé à la cour de Charles le Chauve (Jean Scot Erigène, Migne 1853).

FIG. 5 – Denis compose son traité sur la hiérarchie céleste, d’après la « Vie de saint Denis » du moine Yves, vers 1317. BNF, ms. fr. 2090 : f^o107v.

16Dans une lettre adressée au roi, Hilduin réfute ouvertement l’épisode de la mission des sept évêques rapporté par Grégoire de Tours (Hilduin, Migne 1864 : col. 18). La nouvelle Passion rédigée par l’abbé soutient l’identité entre Denys l’Aréopagite et Denis, premier évêque de Paris. Elle affirme que celui‑ci aurait été ordonné évêque d’Athènes par Paul lui‑même et, qu’à Rome, il aurait reçu du pape Clément la mission de christianiser la Gaule. Avec ce développement visant à placer Denis avec les apôtres, Hilduin cherche à justifier la place éminente de l’abbaye de Saint‑Denis au sein de l’Empire carolingien (Büchner 1936‑1937).

17Arrivé à Paris, Denis aurait acheté un terrain à un certain Lisbius, le père de Visbius, pour construire une église. L’empereur Domitien, inquiété par de nombreuses conversions, aurait ordonné au préfet Sisinnius d’engager une persécution. Lisbius, dénoncé par sa femme Larcia, aurait été pris et décapité. Tout comme lui, Denis, Rustique et Eleuthère furent arrêtés et auraient subi de nombreux supplices. Emprisonnés dans l’île de la Cité, ils auraient reçu la communion de la main du Christ. Leur lieu de détention y sera plus tard identifié à l’église Saint‑Denis‑de‑la‑Chartre (ecclesia sancti Dyonisii de Parisiaco carcere) située à l’angle nord‑ouest de l’actuel Hôtel‑Dieu (Christ 1947 : 22). Tous trois auraient été décapités sur la colline appelée autrefois « Mont de Mercure (...) et maintenant Mont des Martyrs » (cf. infra § 5.3 Montmartre). C’est très probablement la présence d’une église en ce lieu qui incita Hilduin à y fixer l’emplacement de la décollation. Puis, en faisant marcher Denis jusqu’à sa sépulture, l’auteur accrédite la thèse de la céphalophorie.

Les Miracula sancti Dionysii et les Gesta Dagoberti regis

18Hincmar, futur archevêque de Reims mais, sous l’abbatiat d’Hilduin, encore écolier à Saint‑Denis, est l’auteur présumé de deux ouvrages contemporains qui s’intéressent aux origines du monastère et à ses liens avec la royauté : les « Miracles de saint Denis » et l’« Histoire du roi Dagobert ».

19Les Miracula sancti Dionysii (Hincmar, Mabillon 1672), rédigés vers 834, comprennent un prologue qui renferme une esquisse de l’« Histoire du roi Dagobert ». Il y est plus particulièrement question de l’invention des reliques. Pour la présentation de ce recueil nous renvoyons à l’article d’Alain Stoclet (cf. infra § 1.7).

20Hincmar fonde les Gesta Dagoberti regis (Hincmar, Krusch 1888) sur le témoignage d’écrits plus anciens. Il utilise notamment les Vies de sainte Geneviève (vers 520) et de saint Eloi (viii^e s.), la « Chronique de Frédégaire » (milieu du vii^e s.) et l’œuvre de Grégoire de Tours. Il transcrit, de plus, des diplômes conservés dans le chartrier de l’abbaye. À ce propos, notons l’intérêt spécifique de ce texte qui permet aux historiens de prendre connaissance d’un certain nombre de chartes perdues (Atsma 1982).

21Le récit développe des faits légendaires liant le monastère à Dagobert I^er et à son père Clotaire, les deux premiers rois qui prirent Denis comme saint patron particulier (particularis patronus noster). À l’occasion d’une chasse au cerf, Dagobert, qui n’avait pas encore connaissance de l’existence des trois martyrs, aurait redécouvert leurs reliques à l’intérieur d’un misérable édicule abandonné. Il les aurait fait transférer en un autre lieu du bourg, in alium eiusdem vici locum (…) transtulit, dans l’église, ecclesia, qu’il aurait construite, quam ipse afundamine construxerat (Hincmar, Krusch 1888 : 406). Cette tradition qui voit en Dagobert un grand bâtisseur à Saint‑Denis se trouve déjà dans la « Chronique de Frédégaire » (Levillain 1909a : 156) et dans la description de la basilique en 799 (doc. 7). Rédigées environ soixante‑dix ans après la destruction de l’église mérovingienne et la construction de l’église de Fulrad, les Gesta Dagoberti regis offrent une description de l’édifice attribué à Dagobert dans laquelle Hincmar décrit ce qu’il avait sous les yeux : il est le premier à nous parler du tronc pour les offrandes ou gazofilacium ; il cite également la grande croix d’or de saint Eloi qui s’élevait derrière l’autel principal (fig. 75) et les tentures tissées d’or et ornées de perles dont étaient parés les murs, les colonnes et les arcs. Selon lui, l’abside était couverte d’argent et le reste de l’édifice, de plomb.

22Le récit s’achève par la vision de l’ermite Jean de l’île de Lipari, qui aurait vu l’âme du roi délivrée de l’enfer par l’intercession des saints Denis, Maurice et Martin. Vers le milieu du xiii^e s., c’est cet épisode qui est choisi pour illustrer le tombeau de Dagobert (fig. 53 et 75).

Les objections à propos de l’aréopagitisme

23L’œuvre élaborée par Hilduin n’est pas acceptée partous et, très tôt, quelques intellectuels relèvent la présence d’anachronismes dans les Areopagitica. Ainsi, Jean Scot Erigène est dubitatif quant à l’identification de Denis de Paris comme auteur des écrits qu’il a traduits. De même, dans son martyrologe, Adon de Vienne (vers 870) reste fidèle au texte de Grégoire de Tours ; il distingue Denys, l’Aréopagite d’Athènes, et Denis, l’évêque de Paris. En 1121 Abélard, se fondant sur un commentaire de Bède le Vénérable qui avait identifié Denys l’Aréopagite à Denys l’évêque de Corinthe, relève à son tour une autre contradiction (Abélard, Monfrin 1978 : 89‑90). Pourtant l’abbaye bénéficiant désormais d’une protection royale, ces objections ne sont pas prises en compte (Beaune 1988). Suger découvrit dans les écrits du pseudo‑Denys l’Aréopagite une esthétique qui fonda son attitude vis‑à‑vis de l’art et justifia le faste qu’il déploiera dans les travaux d’embellissement de l’église (Panofsky 1967 ; Panofsky, Panofsky‑Soergel 1979).

24On conteste également à l’abbaye le fait de détenir les reliques du saint. Vers le milieu du xi^e s., les moines de Saint‑Emmeran de Ratisbonne, en Bavière, dirent avoir découvert le corps de saint Denis. Indignés, les religieux de Saint‑Denis firent procéder le 9 juin 1053 à la reconnaissance solennelle des reliques. Le moine Haimon nous relate le déroulement de cette cérémonie, la Detectio corporum (Félibien 1706 : CLXV‑CLXXII). Pour la première fois, sont citées les reliques du saint clou et de la sainte épine, une donation que la légende attribuait à Charles le Chauve. Plus tard, les moines cisterciens de Longpont dans l’Aisne et les chanoines de Notre‑Dame de Paris prétendirent aussi posséder les reliques de saint Denis.

25Enfin, en 1216, le pape Innocent III envoya à l’abbaye le corps de Denys de Corinthe afin que les moines aient en leur possession les reliques des deux Denys et qu’« on ne puisse plus désormais douter que celles de l’Aréopagite ne soient dans vostre abbaye » (Félibien 1706 : 219).

Les et actus beati Dionysii

26Entre 1233 et 1238, l’abbaye entreprend une nouvelle rédaction de l’histoire du saint, du monastère et de ses reliques. Cette mise au point, rédigée en latin (Vita et actus), fut immédiatement popularisée par sa version française, la « Vie de saint Denis » (Liebman 1942) richement illustrée (Bahr 1984) (fig. 6).

FIG. 6 – Le martyre des trois saints et le miracle de la céphalophorie, d’après la « Vie de saint Denis », manuscrit du milieu du XIII^e s. écrit à l’usage de l’abbaye. BNF, Nouv. acq. fr. 1098 : f^o44.

27L’ouvrage comprend deux parties. Dans la première, la légende du saint se trouve notamment amplifiée par des épisodes secondaires, tels que le récit de saint Rieul, évêque d’Arles et de Senlis, et de saint Saintin et saint Antonin, les deux premiers évêques de Meaux qui auraient été chargés par Denis d’envoyer au pape le récit de sa vie et de son martyre.

28La seconde partie débute par un résumé des Gesta Dagoberti regis. Suit la consécration miraculeuse de l’église par le Christ. Suger rapporte ce récit pour la première fois, mais il se réfère à des « écrits vénérables » (doc. 14) et au « témoignage d’anciens auteurs ». Plus tard la légende dira que le Christ serait entré par une fenêtre au milieu d’une lumière céleste, accompagné d’une multitude d’anges et de saints, parmi lesquels Pierre, Paul, Denis et ses compagnons. La dédicace accomplie, le Christ aurait guéri un lépreux, seul témoin du miracle. A. Lombard‑Jourdan a fait le point sur les supports matériels de cette légende : la « verrière par où entra le Christ », la « rafle du ladre » et, dans la chapelle Saint‑Lazare (fig. 84), le « trou du lépreux » et « le tombeau de saint Ladre » (Lombard‑Jourdan 1985b). Le récit continue avec la délivrance de l’âme de Charlemagne par l’intercession de saint Jacques et saint Denis –un épisode qui fait le pendant à la libération de l’âme de Dagobert– ; il se poursuit par un traité sur les origines des reliques conservées à l’abbaye et s’achève sur l’histoire de la perte du saint clou en 1233.

29Des versions abrégées de la « Vie de saint Denis » se multiplient dès le xiii^e s., la plus célèbre se trouvant dans la « Légende dorée » de Jacques de Voragine (vers 1255).

La « Vie de saint Denis » du moine Yves

30Les œuvres d’Hilduin, d’Hincmar et de Suger (les Vies de Louis VI et de Louis VII) sont à l’origine du profond intérêt de l’abbaye pour les études historiques. Parmi les représentants les plus remarquables de l’atelier historiographique, il faut citer les moines‑chroniqueurs Rigord († 1209), Primat († 1277) et Guillaume de Nangis (J 1300) (Spiegel 1978). Vers 1317, l’abbé Gilles de Pontoise commanda au moine Yves un recueil sur la vie de saint Denis. L’ouvrage, somptueusement illustré (fig. 5, 7), est dédié au roi Philippe V. La Vie du saint est suivie d’une histoire de la protection accordée par Denis aux rois de France justifiant les relations étroites qui unissaient la royauté et le monastère.

FIG. 7 – Catulla fait bâtir une église audessus de la tombe des trols martyrs (en bas) et saint Rieul la consacre (en haut), d’après la « Vie de saint Denis » du moine Yves, vers 1317. BNF, ms. fr. 2092 : f^o75v.

31La tradition des chroniqueurs de Saint‑Denis se poursuit aux xiv^e et xv^e s. avec Richard Lescot († 1400), Michel Pintoin († 1421) et Jean Chartier († 1464). L’histoire de l’abbaye se mêle à l’histoire de la nation comme en témoigne un texte de 1517 (doc. 20) qui n’hésite pas à faire de Clovis I^er, « quatrième roi des Francs » mais premier roi chrétien, le fondateur de Saint‑Denis.

1.3 Chronologie des recherches archéologiques dans le sous‑sol de la basilique

En 1137, Suger sonde l’abbatiale à la recherche d’un emplacement pour inhumer le roi Louis le Gros (doc. 19). En 1683, des ingénieurs, en aménageant le caveau des Bourbons, signalent des tombeaux sous la croisée du transept (cf. infra § 1.11.2).

32Ces témoignages que l’on pourrait multiplier ont une faible valeur archéologique et il faut attendre le xix^e s. pour que le sous‑sol de l’église fasse l’objet de recherches dans une perspective plus scientifique. Les premières interventions sont étroitement liées aux travaux de remaniement et de restauration de l’édifice. La liste présentée ci‑après rassemble quelques notes relatives aux structures et mobilier mis au jour.

331793 – Entre le 18 et le 25 octobre, des fouilles sont entreprises pour rechercher les cercueils royaux, principalement dans la nef (emplacement du tombeau de Charles le Chauve [fig. 84]), sous la croisée du transept (emplacement des tombeaux de Marguerite de Provence, Philippe le Bel et Mathieu de Vendôme), et dans le collatéral oriental du transept (chapelle Notre‑Dame‑la‑Blanche, emplacement des tombeaux de Philippe le Long, Philippe de Valois, Dagobert I^er, chapelle de Saint‑Jean‑Baptiste dite chapelle des Charles). François de Guilhermy donne un résumé succinct du « Journal historique de l’extraction des cercueils royaux dans l’Eglise de Saint‑Denis fait par le citoyen Druon, ci‑devant Benedictin » (Guilhermy 1848 : 55‑83).

341812 – Lors des fouilles exécutées pour la fondation du nouveau perron, une tombe est découverte au‑devant du portail central, dans l’axe de l’église (fig. 8). La cuve mise au jour ainsi que les sarcophages découverts en 1793 sont exposés un certain temps dans la crypte (Gilbert 1815).

FIG. 8 – La prétendue tombe de Pépin le Bref. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93 t. 7. ; papier, encre, aquarelle ; 45 x 28 cm.

351814 – Dans l’attente de l’arrivée des restes de Louis XVI et de Marie‑Antoinette, François Debret rétablit le caveau des Bourbons ; le 22 septembre, Durand consigne dans le « Journal des Inspecteurs... » une fouille nécessaire pour une reprise en sous‑œuvre de la paroi ouest de ce caveau, soit à l’emplacement des absides carolingiennes et probablement mérovingiennes (BHVP, NA ms. 84 : 131). Cette intervention révèle pour la première fois la présence de la nécropole et de maçonneries réemployant des éléments d’architecture antique. À ce propos, Debret relate dans les « Notes historiques... » :

36« En faisant la reprise d’un mur à peu près placé au droit du maître‑autel, je reconnus qu’il était adossé à un terre plein contenant une grande quantité de tombes en pierre dont quelques unes avaient été tranchées lors de la construction de ce même mur, à l’effet d’allonger le caveau qui probablement à certaine époque était devenu insuffisant (en 1793 le caveau contenait 52 cercueils et n’offrait presque plus de vide).

37« L’une de ces tombes de pierre qui formaient le parement du mur fut défoncée par un ouvrier qui la prenait pour une assise. Ainsi ouverte par l’une de ses extrémités nous reconnûmes les restes d’une momie que les éclats de pierre venaient de déranger. Sa substance ne présentait plus qu’une pâte grasse et molle d’un brun foncé. Quelques fragments retirés avec soin et séchés au soleil, nous firent bientôt reconnaître le tissu des bandelettes imprégnées de bitume et parfums qui s’évaporisèrent sur des charbons allumés. La tête d’un os de la jambe, qui se présentait à l’ouverture de la tombe, était d’une couleur carminée, la plus brillante. Quelques parcelles de fils d’or, indiquaient des vestiges de broderies. L’impossibilité d’extraire cette tombe prise dans le terre plein nous décida à y renfermer de nouveau les fragmens qui en avaient été retirés et à la reboucher par nos nouvelles constructions. Nous restâmes bien convaincus que ce massif était rempli de tombes semblables, et que celle qui s’était présenté inopinèment à nous, devait contenir le corps d’une femme, ce que nous crûmes reconnaître à la délicatesse de ses ossemens. En relevant le dallage, nous trouvâmes des constructions romains, faites en béton et tegolones (tuiles de 20 cm à 22 cm carré). » (AN, F²¹1451 : 14.)

Enfin A.P.M. Gilbert, qui relate la découverte de la tombe presque dans les mêmes termes, ajoute : « En continuant les fouilles, on trouva plusieurs tombes mutilées, sur lesquelles avoit été bâti le mur du fond de ce caveau. Ces tombes, qui ne contenoient aucune inscription, étoient disposées régulièrement et coïncidoient parfaitement avec un mur demi‑circulaire, qui a paru être d’une haute antiquité, et dont les fondations avoient été établies avec des fragmens de construction romaine. L’ancienneté et la disposition de ce mur font présumer qu’il avoit servi originairement de base au chevet de l’église construite par les ordres de Dagobert ; et cette conjecture paroît d’autant plus vraisemblable, que ce mur se rattache à deux autres portions circulaires, qui sont en évidence, et dont l’ensemble décrit un demi‑cercle, comme celui du chevet d’une église. » (Gilbert 1815 : 83.)

381816 – Avant le remontage des tombeaux à catafalques, dans le bras nord du transept, Debret sonde le sous‑sol :

39« Dans les fouilles de la chapelle Saint‑Hippolyte (...) où sont en ce moment [1832] les monumens de Louis XII et de Henry II nous trouvâmes au droit des fondations des pilliers qui forment la croisée, le parement d’un ancien mur de face extérieur avec gargouilles et conduits d’eau, d’où résulterait que ce bas côté n’avait pas de chapelle dans son origine, ou que vers ce point existait la façade du monument avant que Suger construisit la grande nef.

40« Le 29 juin, cette même fouille offrit la moitié d’une très‑belle tombe en pierre à oreilles, présumée du temps de la 2^e race. Elle paraissait avoir été tranchée lors de la fondation du pillier qui divise en deux parties la chapelle Saint‑Hippolyte, vers la croisée de l’église. Elle ne portait pas d’inscription, son intérieur était rempli d’une argile verdâtre très pure et sans aucune trace d’ossemens.

41« La plus grande partie de la surface de la chapelle offrit un lit de tombes en plâtre, ou cloisonnage de même matière contenant probablement les restes des religieux de l’abbaye. » (AN, F²¹1451 : 20‑21.)

42Quant à l’ancien mur, il s’agit probablement du mur gouttereau nord de la nef inachevée, commencée par Suger après 1144, que redécouvrira en 1947‑1948 Crosby au même endroit (fig. 9, lettre E).

FIG. 9 – Localisation des interventions dans le sous‑sol de la basilique.

431833 – « Lors de l’élargissement du fossé qui contourne la crypte on découvrit plusieurs cercueils en pierre renfermant des débris d’armes et petits vases de terre. Parmi ces cercueils, il y en avait un d’enfant, un autre contenant un poignard et un anneau. » (BNF, Nouv. acq. fr. 6121 : f^o14v^o.) Voir également : « Rapport adressé à Monsieur le Ministre des Travaux publics par F. Debret architecte de l’église royale de Saint‑Denis à l’occasion des fouilles faites en juillet 1833 dans la cour dite de la Madeleine derrière le chevet de l’église. » (AN, F¹³1296.)

441838 – « En fouillant au pied du clocher, on trouve plusieurs squelettes, dont un avait le crâne fendu. » (BNF, Nouv. acq. fr. 6121 : f^o17.)

451847 – Sondages pour inspecter les fondations du massif occidental (fig. 52, 54).

461859 – « En faisant les fouilles nécessaires à l’établissement du caveau de la sépulture impériale, nous avons découvert, sous l’aire de l’ancien chœur de l’église de Dagobert [fig. 9, lettre B], un certain nombre de sarcophages en pierre de Saint‑Leu, assez bien conservés, et qui ne contenaient que des ossements réduits en poussière, quelques fragments d’étoffe de laine, du fil d’or, quelques grains d’ambre jaune, de menus objets déposés au musée de Cluny, tels que anneaux de cuivre, agrafes, plaques de ceinturon. » (Viollet‑le‑Duc 1861 : 348.) L’auteur reproduit le dessin d’un sarcophage découvert et signale « un figuré très‑exact de leur position dans le chœur de Dagobert » (Viollet‑le‑Duc 1861 : 350). Ce relevé n’a pas encore été retrouvé. De même, une épitaphe consacrée à la mémoire d’une certaine Furia Valentina Eustathiola fut perdue peu après sa découverte (Guilhermy 1875 : 109‑110 ; Duval 1961b : 125).

471868 – Viollet‑le‑Duc publie dans son « Dictionnaire raisonné de l’architecture » un plan de fouille de l’église abbatiale (fig. 15). Malheureusement, ce document est le seul relevé de ces fouilles actuellement connu.

481938‑1939 – Sumner McK. Crosby, ancien élève d’Henri Focillon et de Marcel Aubert, entreprend la fouille systématique de l’édifice. Il faut souligner que cet érudit américain organise à ses frais des campagnes de fouilles durant les vacances universitaires et que le clergé lui impose des délais d’investigation extrêmement courts. Les premières campagnes de fouilles archéologiques de Crosby ont lieu sous le massif occidental, sous la nef, le collatéral sud et dans la crypte (fig. 9, lettres A, D, C). Le chercheur reconnaît l’angle sud‑ouest de l’église carolingienne, la nef de raccordement à l’aide de laquelle Suger relia en 1140 l’église au tout nouveau massif occidental et le mur gouttereau sud de la nef inachevée. Il étudie les fondations de la crypte (Crosby 1942 ; Crosby, Blum 1987).

491942 – Jules Formigé est nommé architecte du monument jusqu’en 1959.

501946‑1948 – La deuxième série de campagnes de Crosby a lieu sous la nef, le collatéral nord, le bras nord et le bras sud du transept (fig. 9, lettres F, E).

51Les vestiges d’un édifice antérieur, à savoir l’agrandissement de l’église mérovingienne, sont mis au jour.

52Le plan de l’église carolingienne est complété par un vestibule et une contre‑abside polygonale. Dans la nef sont découvertes les bases des deux colonnades.

53La façade sud du transept est également reconnue (Crosby 1953 ; Crosby, Blum 1987 ; Rowe 1969).

541950 – Crosby voit son autorisation de fouille supprimée.

551952 – Dans la crypte, Formigé démolit l’abside du caveau des Bourbons que Viollet‑le‑Duc avait construit sous le rond‑point du chevet (fig. 30), et dit avoir retrouvé la fondation semi‑circulaire correspondant à l’abside de la chapelle de l’abbé Hilduin (Formigé 1960 : 169). Par la suite, Formigé excave l’intérieur du caveau et découvre un puits associé à un puisoir (fig. 9, lettre G).

561953‑1954 – À la suite de la découverte fortuite de tombes à riche mobilier dans le bras nord du transept, E. Salin dirige trois campagnes de fouilles portant sur une douzaine de tombes (fig. 9, lettre H et fig. 11). Sous le massif occidental, Formigé élargit, en sape sous le dallage, le sondage de Viollet‑le‑Duc (fig. 9, lettre A). Salin y examine également une tombe (Salin 1957 : 124‑126).

571957 – Formigé démolit le caveau impérial de Viollet‑le‑Duc et dégage la paroi intérieure de la crypte‑martyrium carolingienne (fig. 9, lettre B). Salin examine, au cours des mois de janvier et de février, quarante‑quatre sépultures et reconnaît les fondations de l’édifice primitif « paléochrétien » (Salin 1958) (fig. 9, lettre I et fig. 10). Formigé pousse deux sapes le long des colonnades de la nef carolingienne.

FIG. 10 – Fouille de la nécropole sous la croisée du transept par Edouard Salin en 1957 (Salin 1958 : pl. XXVII).

581957‑1960 – L’extension vers l’ouest (fig. 9, lettre J) de la fouille des tombes est confiée à Michel Fleury, qui complète l’agrandissement de l’église mérovingienne et découvre une base de l’église carolingienne. Une cinquantaine de sépultures sont fouillées, dont celle de la reine Arégonde, épouse de Clotaire I^er (Fleury 1962 ; Fleury, France‑Lanord 1979 ; Fleury 1984).

591967‑1971 – Crosby complète ses recherches par une série de sondages (fig. 9, lettre K) sous la nef (nef de raccordement de Suger) et sous le collatéral nord (église mérovingienne, église carolingienne et nef inachevée de Suger) (Crosby, Blum 1987).

601973 – Violation d’une dizaine de sarcophages.

611976 – Dernière campagne de fouilles de Michel Fleury dans la nécropole.

621977 – Dernière campagne de fouilles de Crosby sous le collatéral sud (fig. 9, lettre L).

1.4 Un mausoleum du Bas‑Empire ?

63Le réexamen des sources archéologiques concernant le site de la basilique de Saint‑Denis ne permet plus d’accréditer aujourd’hui l’existence d’un cimetière du Haut‑Empire où la tombe de saint Denis aurait été placée. En effet, la seule sépulture alléguée en ce sens par E. Salin (Salin 1958 : n^o 19) (fig. 10) n’est pas datable par sa céramique du i^er ou du début du ii^e s. ap. J.‑C., mais au plus tôt de la seconde moitié du iii^e s. (Périn 1991a : 609). En revanche, la présence d’un cimetière du Bas‑Empire, reconnu par E. Salin à l’emplacement même de la basilique (Salin 1957 ; Salin 1958), demeure parfaitement fondée, les types de tombes et les usages funéraires étant tout à fait analogues à ceux que l’on rencontre dans le Bassin parisien, notamment en milieu urbain, à partir de la fin du iii^e et jusqu’au cours du v^e s. (sarcophages rectangulaires de pierre dont certains offrent une paroi intérieure concave du côté de la tête, cercueils de bois assemblés avec de grands clous de fer, absence quasi générale de mobilier funéraire) (Petit 1980). Les fouilles menées récemment par l’Unité d’archéologie (aire 17) ont par ailleurs permis la mise au jour de sépultures de la même époque (dont l’une contenait une fibule cruciforme de bronze) à une cinquantaine de mètres au nord‑est du chevet de la basilique et en bordure d’une voie (fig. 12). Dans l’état actuel des connaissances archéologiques, l’appartenance des deux groupes de sépultures à la même nécropole ne peut cependant être affirmée.

64Bien qu’elle soit évidente, la relation existant entre les tombes du Bas‑Empire reconnues à l’emplacement de la basilique et les puissantes fondations (distantes de 9 m et suivies sur 20 m), attribuées depuis les travaux de J. Formigé (Formigé 1960 ; Crosby, Blum 1987) à l’église que sainte Geneviève aurait édifiée vers 475, n’a pas été notée à notre connaissance jusqu’ici (Périn 1991a : 611). L’analyse des plans publiés par E. Salin (Salin 1957 [fig. 11] ; Salin 1958 [fig. 10]) montre pourtant de façon claire que ces tombes sont postérieures aux murs par rapport auxquels elles sont alignées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur (au nord) de l’édifice primitif. Il faut donc admettre que celui‑ci n’a pu être construit par sainte Geneviève à la fin du v^e s., mais qu’il est antérieur à la série de sépultures du Bas‑Empire qui lui correspondent, sans que celles‑ci puissent fournir un terminus ante quem suffisamment précis pour sa date de construction.

FIG. 11 – Fouille de la nécropole sous le bras nord du transept par Edouard Salin en 1953‑1954 (Salin 1957 : 95, fig. 1).

FIG. 12 – Saint‑Denis au Bas‑Empire, état des connaissances actuelles.

65Ces constatations, sous réserve des progrès des connaissances archéologiques (publication des fouilles encore inédites, fouilles futures), pourraient corroborer le témoignage de la première Passion de saint Denis ou Gloriosae (cf. supra § 1.2 et doc. 3). Selon ce récit, une pieuse femme aurait inhumé le corps de saint Denis (dont on situe le martyre vers 250) dans un champ lui appartenant, avant d’élever sur sa tombe un mausolée qu’une basilique remplaça par la suite. Ce mausolée n’ayant guère pu être édifié avant la « paix de l’Eglise » (édit de Constantin en 313), il faudrait admettre que le souvenir de l’emplacement de la tombe du martyr ait pu se conserver un peu plus d’un demi‑siècle durant, ce qui n’a rien d’invraisemblable si, comme la chose est probable, elle fit l’objet d’une vénération locale continue.

1.5 La basilique de sainte Geneviève à l’époque mérovingienne

66Les fouilles de S. McK. Crosby ont permis d’établir que la première église Saint‑Denis avait été agrandie (Crosby, Blum 1987 : 30 sq.) : dotée à l’est d’un chevet en abside, sa nef fut prolongée d’environ 28 m vers l’ouest et reçut deux bas‑côtés de 3,10 m de largeur intérieure, le nouvel édifice étant précédé d’un vestibule. S’appuyant davantage sur des textes (la « Chronique de Frédégaire » et la Vita sancti Eligil) que sur une démonstration archéologique, le savant américain attribua ces agrandissements à Dagobert (629‑639), sous le règne duquel saint Eloi fut amené à réaménager et à embellir le tombeau de saint Denis (doc. 4).

67La mise au jour, dans le prolongement de la nef de l’église primitive, de plusieurs sépultures dont l’état de conservation des matières organiques prouvait qu’elles avaient toujours été préservées des eaux d’infiltration (dont la célèbre tombe de la reine Arégonde, épouse de Clotaire I^er [n^o p49, fig. 14]) conduisit M. Fleury (Fleury, France‑Lanord 1979 : 42) à proposer l’existence d’un augmentum (en bois selon S. McK. Crosby) dès la seconde moitié du vi^e s., la tombe royale étant alors datée des années 565‑570 (Fleury 1979a ; Périn 1991b, pour une datation de celle‑ci vers 580‑590). En fait, d’autres sépultures voisines (Fleury 1984 : n^o p50) (fig. 14) (Fleury 1979b pour les sarcophages pillés en 1973), comme nous l’avons montré (Périn 1991a : 619 sq.), fournissent pour la construction de cet augmentum un terminus ante quem plus ancien encore puisque leur mobilier funéraire date du dernier tiers du V^e ou du tout début du vi^e s. Rien ne s’oppose donc à l’attribution à sainte Geneviève de cet augmentum dont on peut se demander s’il ne constitua pas déjà un véritable agrandissement de l’église primitive, ce qui correspondrait davantage au rôle de bâtisseur que la tradition a prêté à la vierge parisienne (doc. 2). La connaissance du contenu, encore inédit, de plusieurs sarcophages mérovingiens (fig. 14, n^os p 9, p 10, p 12, p 13, p 14, p 16bis et 23) recoupant le mur de façade occidental de la première église devrait fournir un précieux terminus ante quem pour sa date d’arasement et, par conséquent, pour celle du prolongement de la nef primitive. Dans l’état actuel des connaissances, l’attribution à Dagobert, considérée comme acquise par S. McK. Crosby, des murs en petit appareil prolongeant la nef primitive ou correspondant aux bas‑côtés et à la façade de la seconde église demeure donc sujette à caution d’un strict point de vue archéologique. Ainsi, seule la publication, attendue, des tombes fouillées à l’ouest du mur occidental du monument primitif permettra de préciser la chronologie de ces travaux et de décider si un augmentum précéda ou non la seconde église.

FIG. 13 – Reconstitution de la basilique mérovingienne.

FIG. 14 – Fouille de la nécropole sous la nef par Michel Fleury, depuis 1957 (Fleury 1984 : 50‑51, fig. 1).

68Dès l’époque de Clovis (481‑511), celle‑ci servit de lieu de sépulture à l’aristocratie franque (la tombe n^o 23 [fig. 10] étant apparemment la plus ancienne) (Salin 1958) avant de devenir, à partir de Dagobert (†639) et de son fils Clovis II (†657), l’une des nécropoles royales de la dynastie mérovingienne (Krüger 1971).

1.6 L’église de Fulrad, de l’époque carolingienne au xii^e s.

69Les plus récents travaux d’érudition reconnaissent en l’abbé Fulrad (vers 750‑ 784) le maître d’œuvre de l’église qui succéda à l’édifice mérovingien. Fulrad, qui fut étroitement associé à la conclusion de l’alliance franco‑pontificale, effectue entre 750 et 757 plusieurs voyages à Rome, en tant que représentant de Pépin le Bref (Stoclet 1993b). Aussi, l’abbé, qui semble avoir longuement préparé son projet de reconstruction, s’inspire‑t‑il des églises romaines, notamment pour la crypte annulaire more romano, la première de ce type qui fut construite au nord des Alpes (Heitz 1993 : 135).

70Les travaux débutent vers 768‑769 ; l’église est consacrée le 24 février 775, en présence de Charlemagne (Atsma, Vezin 1986 : n^o 615). Ce dernier dote l’édifice d’un agrandissement, augmentum, construit vers 800 au‑dessus de la tombe de Pépin le Bref, qu’une lettre de Louis le Pieux localise en 835 devant l’église, ante limina basilicae (Louis le Pieux, Migne 1851 : col. 1327). En 832, l’abbé Hilduin ajoute une chapelle au chevet (cf. infra § 1,8).

71Les vestiges matériels de cette église ont été principalement dégagés par S. McK. Crosby et J. Formigé. Les deux chercheurs s’accordent sur le plan général de l’édifice –une nef séparée des deux collatéraux par des colonnades, un transept et une abside– mais divergent en ce qui concerne la position du mur est du transept. À ce propos, Viollet‑le‑Duc dit avoir vu « l’amorce d’un transept devant l’abside semi‑circulaire » et son plan de fouille indique un mur oriental presque aussi long que celui du transept de l’abbatiale gothique (fig. 15). Le tracé de ce mur semble aujourd’hui confirmé par le plan de la crypte‑martyrium dont les corridors courbes longent intérieurement l’abside et se retournent en équerre vers le nord et vers le sud pour monter dans l’église, en suivant le mur oriental du transept. En 1946 Crosby avait découvert le mur occidental et la façade du bras sud du transept. En conséquence, Formigé restitue un transept plus petit mesurant dans l’œuvre environ 26 m de long sur 12 m de large (fig. 16). Ce plan, accepté par la plupart des chercheurs (Vieillard–Troïekouroff 1965 ; Heitz 1993), pose cependant problème, particulièrement en ce qui concerne la restitution de la tour de croisée que nous signalent les textes (doc. 7). Curieusement, Crosby ne prend en compte ni les accès de la crypte dégagés par Formigé ni l’observation de Viollet‑le‑Duc. Aussi le transept carolingien, selon le chercheur américain, serait‑il moins large et l’abside étonnamment allongée (Crosby 1953 ; Crosby, Blum 1987).

FIG. 15 – Le plan de fouille de VIollet‑le‑Duc (Viollet‑le‑Duc 1854‑1868, t. IX : 228, fig. 9).

FIG. 16 – Plan de l’église carolingienne d’après Jules Formlgé. Archives des Monuments historiques.

72L’extrémité occidentale de l’édifice reste également problématique. Traditionnellement, elle est identifiée à l’agrandissement de Charlemagne. Suger, qui a démoli cette construction, la décrit comme un « porche étroit (…) rétréci par des tours jumelles » (doc. 11). Deux retours de fondation attestent en ce lieu l’existence d’un vestibule. Au milieu, deux murs obliques ont été attribués par Crosby à une abside occidentale, de plan polygonal, ouvrant directement sur la nef et par Formigé à une porte axiale à ébrasement intérieur. La facture de cet ensemble est médiocre ; elle se distingue nettement de l’exécution soignée des autres parties de l’édifice. De plus, la très complète publication de Crosby fait état d’autres tronçons de fondations, antérieurs aux constructions de Suger, qui s’étendent jusqu’à 7 m à l’ouest de la façade. Il est donc possible, dans l’attente d’un réexamen des vestiges encore accessibles, d’envisager une plus large extension de la partie occidentale de l’église carolingienne.

73À l’extrémité orientale des bas‑côtés, deux portes ouvertes dans les murs gouttereaux donnent respectivement au nord sur le cimetière (il s’agit pour Suger de la porte du cimetière ou porte d’airain, doc. 11 et 12) et au sud sur les bâtiments monastiques (il s’agit pour Suger de la porte Saint‑Eustache que le Liber ordinarius, rédigé vers 1234, qualifiera de porte d’ivoire, doc. 12 et cf. infra § 1.11.1). Toutes deux comprennent des marches qui montent à l’église et sont flanquées extérieurement de niches plates, creusées dans l’épaisseur du mur. Crosby a restitué au‑devant de la porte nord la tour construite entre 1075 et 1087 aux frais de Guillaume le Conquérant (doc. 8). Toutefois, aucun autre vestige significatif de cette construction n’a pu être reconnu plus au nord. L’examen de la maçonnerie révèle que ce dispositif symétrique est un remaniement secondaire.

74Plusieurs sources écrites se rapportent à l’édifice, dont la description de la basilique en l’an 799 (doc. 7) et les deux premiers livres des « Miracles de saint Denis » datant de 834 (doc. 9). Comme nous venons de le voir, l’abbé Suger nous fournit vers 1145 de précieux renseignements sur l’édifice qu’il était en train d’agrandir. Persuadé que l’église qu’il avait sous les yeux n’était autre que la basilique construite par Dagobert, il décrit l’ancienne construction en reprenant textuellement la description des Gesta Dagoberti regis, mais précise toutefois que les colonnes étaient de marbre. Deux autels sont cités : devant l’abside l’autel majeur, surmonté d’un ciborium offert par l’abbé Fardulfe (797‑806) et, à l’ouest, l’autel de la Sainte‑Trinité fondé par l’abbé Hilduin vers 832.

75L’église est remaniée aux xi^e et xii^e s. : côté chevet, les fenêtres de la crypte‑martyrium sont dotées de châssis et, vers 1130, une crypte romane se substitue à la chapelle d’Hilduin (cf. infra § 1.8) ; à l’entrée, des remaniements ont pu avoir lieu vers 1125 (fig. 32).

FIG. 17 – Plan schématique des différentes étapes de l’église abbatiale avant la reconstruction, vers 1137.

FIG. 18 – Plan d’ensemble des fouilles de l’église abbatiale par Sumner McK. Crosby (Crosby, Blum 1987 : pl. 2).

FIG. 19 – Élévations nord et sud de la nef par Crosby.
a – Elévation nord (Crosby, Blum 1987 : 312, 338 et 369 complété par M.W.).
b – Elévation sud (Crosby, Blum 1987 : 364, 338 et 313 complété par M.W.).

1.7 Les Miracula sancti Dionysii, commentaire et données topographiques12

76Dans leur forme la plus complète, les Miracula sancti Dionysii comprennent une longue préface intitulée Inventio beati Dionysii sociorumque ejus et trois livres. Le dernier de ceux‑ci ne fait pas partie de l’ensemble primitif : il y a été rajouté en 877 et nous raconte les prodiges survenus alors que les saintes reliques de Denis, Rustique et Eleuthère reposaient à Concevreux non loin de Laon, où on les avait transportées pour les soustraire au péril normand. Dans l’état actuel des connaissances, huit manuscrits seulement nous ont transmis ce recueil en tout ou, plus souvent, en partie. La plupart sont bien sûr de provenance et/ou d’origine parisienne ou francilienne sinon dionysienne à l’exception du plus ancien qui, lui, est rémois.

77Léon Levillain a consacré une longue étude à ce texte aux fins d’en déterminer la date et d’en identifier l’auteur (Levillain 1921). Les données chronologiques y sont relativement nombreuses : la dernière phrase de l’Inventio situe la rédaction sous le règne de Louis le Pieux (Luchaire 1899 : 24 ; Levillain 1921 : 62) ; la translation de Rome à Saint‑Médard-près‑Soissons des reliques du martyr Sébastien, mentionnée au chapitre 15 du Livre II, eut lieu en 826 (Levillain 1921 : 63) ; l’autel de la Sainte‑Trinité « que l’abbé Hilduin fit construire » (II/32*)13 est de la fin de l’année 832 au plus tôt (Levillain 1921 : 64‑ 65) ; le mandat comtal de Lambert dans le Nantais et en Anjou (II/33) s’acheva au plus tard en 834 lorsque ce personnage fut contraint de partir pour l’Italie dans l’entourage de Lothaire (Levillain 1921 : 65‑69) ; contrairement à ce qu’affirme Levillain (jd. : 69‑70), les quatre derniers miracles sont bien d’une seule et même année (II/35 : tempore quadragesimae ; II/36 : eodem quadragesimae tempore ; I/37 : procedente paullulum tempore, scilicet praesentis anni Letania majore [soit le 25 avril] ; II/38 : instanti etiam anno), vraisemblablement 834, compte tenu de la progression chronologique des miracles et de l’augmentation relativement constante de leur fréquence annuelle (Levillain 1921 : 64). On peut donc résumer ainsi ces indices :
– II/32 fin 832
– II/33 9 octobre 833
– II/34 833 ou 834
– II/35 carême 834
– II/36 idem
– II/37 25 avril 834
– II/38 834, après le 25 avril.

78Deux données que n’a pas vues ou n’a pas connues l’éminent chartiste confirment ce résultat. Les Miracula sancti Dionysii figurent au catalogue que Reginbert, moine et bibliothécaire de Rcichenau, dressa des livres écrits et/ou acquis par ou pour lui entre 835 et 842 (Stoclet 1981b : 18‑19). D’autre part, ils contiennent une référence à la mense conventuelle instituée par Hilduin en 832 : le pré du pont de Trecine, où se déroule l’action de I/10* « appartient à saint Denis et, de plus, a été délégué aux frères et il n’est pas juste de mépriser la renommée de saint Denis, ni d’occuper sans plus les biens appartenant aux frères ».

79Si la rédaction finale –la « mise en forme », ce que l’auteur désigne par les termes accurato (...) illustrare eloquio (I/Prologue)– date donc de 834, il n’est pas exclu que les faits aient été notés bien plus tôt, peut‑être sous une forme assez fruste, au moment où ils se produisaient ou peu après (Delehaye 1910).

80L’auteur est un lettré (I/Prologue in : Levillain 1921 : 88, n. 4) auquel on doit également les Gesta Dagoberti regis (Levillain 1921 : 72‑87). Il fut témoin oculaire d’un des miracles (II/35). C’est donc vraisemblablement un moine de Saint‑Denis (Levillain 1921 : 88) et l’on est en droit de supposer qu’il y assurait le service et la garde de la tombe des saints martyrs. Or il se fait que, de 834 au plus tard à 840, Hincmar, le futur archevêque de Reims, qui n’était alors que moine, à Saint‑Denis, y faisait office de martyrarius ou d’aedituus, c’est‑à‑dire qu’il était chargé de la garde des reliques (Flodoard, Historia Remensis ecclesiae III/1, in : Levillain 1921 : 90, n. 3). En outre, on constate de nombreuses similitudes entre plusieurs œuvres dont Hincmar est l’auteur avéré, telle en particulier la Vita Remigii, d’une part, et les Miracula sancti Dionysii et les Gesta Dagoberti regis de l’autre (Levillain 1921 : 93‑102). Enfin, Reims figure de manière éminente dans la tradition manuscrite des Miracula sancti Dionysii et des Gesta Dagoberti regis (Levillain 1921 : 92‑93). Selon Levillain (id. : 102‑114), l’Inventio, préface des Miracula sancti Dionysii, est une allégorie sur « les graves événements qui se déroulèrent entre 830 et 835 » et qui mirent aux prises Louis le Pieux, ses fils et leurs partisans respectifs, parmi lesquels Hilduin, abbé de Saint‑Denis et son « protégé » Hincmar.

81Il y aurait beaucoup à dire sur les Miracula sancti Dionysii. Signalons ici, à titre d’exemple, les différences essentielles entre les Livres I et II, notamment du point de vue des lieux et personnages mis en scène : là, on semble insister sur la renommée « internationale » du monastère et de son saint patron, jusqu’en Angleterre, en Bavière, en Espagne, en Italie et en Saxe (1/9, 18*, 19*, 20, 21) ainsi que sur la qualité éminente des individus qu’affecte le pouvoir de saint Denis (rois, reines, comtes, milites, nobili homines, évêques, prêtres, abbés, clercs et leurs entourages : I/1, d’après Grégoire de Tours [doc. 5], 3*, 4*, 6*, 10‘, 11, 14*, 16*, 17*, 20, 21, 23, 24) alors qu’ici ces préoccupations ont disparu (exceptions : II/5 : Aquitaine ; II/15 : Doda quaedam clara materfamilias ; II/33 : prêtre, judex, comte, viguier, satellites du comte). La nature des miracles change (les guérisons, rares au Livre I, deviennent très largement majoritaires au Livre II) de même que l’ampleur donnée à la narration (les chapitres du Livre II sont à ceux du Livre I un peu dans le même rapport que la notitia l’est à la carta ; on pourrait utilement étendre à d’autres particularités des Miracula sancti Dionysii cette analogie avec la diplomatique). Bien d’autres aspects sont dignes d’attention : ils feront prochainement l’objet de travaux plus amples. Contentons‑nous ici de rassembler en les commentant brièvement les principales données intéressant la topographie du monastère et de ses environs.

82Commençons par le cœur même de cette vénérable institution, à savoir le tombeau (tumba, memoria, sepulcra, sepulcrum). Au vi^e s., il est recouvert d’un « drap en soie pure sertie d’or, de pierres précieuses et de perles » (I/1, d’après Grégoire de Tours [doc. 5]. Une colombe en or est suspendue à sa verticale et sans doute se présente‑t‑il sous la forme d’un sarcophage (surélevé ?) avec couvercle à double pente sur lequel le sacrilège glisse, chutant brutalement à califourchon sur l’arête de sorte que « ses testicules furent broyés » (1/2, d’après Grégoire de Tours [doc. 5]. À l’époque carolingienne, la tombe était illuminée en permanence (II/32*). Son aspect avait sans doute changé, comme l’indique l’expression sepulcris prostrata (II/36), encore qu’il faille admettre une structure complexe à plusieurs niveaux. Des objets insignes rehaussent l’espace alentour : une ou des crosses épiscopales attribuées à saint Denis (I/3*, mais ce peut être une allusion à une pratique plus générale), un reliquaire en forme de main contenant un morceau du doigt de saint Denis (I/23) et alia praecipua ornamenta (I/23).

83D’autres éléments de l’architecture intérieure et du mobilier de la basilique sont mentionnés et d’abord les autels : celui du Sauveur, altare quod primum ! primo [c’est‑à‑dire « jadis » ou « principalement »] in honore (m) Domini Salvatoris dicatum est (I/5, 19*) et celui de la Sainte‑Trinité (II/32*) dont il a été question plus haut ; parfois le nom de l’autel n’est pas spécifié (1/17", 26). Une des guérisons a lieu dans la crypte en présence de Herbert, l’évêque monastique, et des moines qu’il y a convoqués (I/6*). Le dallage de la basilique est de marbre, marmoreum pavimentum (II/32). Bien sûr, de très nombreux miracles se produisent à l’intérieur de l’édifice, sans plus de précisions (basilica, domus, templum, aedes, aula). L’accès s’y fait par des portes, fores : (1/8*, 19* ; II/36), qu’on peut verrouiller (obex ferreus, vectis : I/19* ; claves ecclesiae, plus symboliques que fonctionnelles : 1/10*) et qui communiquent vraisemblablement avec le vestibulum (I/7*, 8*). Parmi le personnel de la basilique, ce sont les custodes qu’on rencontre le plus fréquemment (I/1, d’après Grégoire de Tours [doc. 5], 8*, 10*, 19*) et leur rôle de portiers est bien souligné (I/19*, surtout mais aussi I/10*, et, dans une moindre mesure, I/8*). La construction de la basilique, sous l’abbé Fulrad, et plus spécialement la phase finale des travaux (toit, clocher) sont évoquées dans deux miracles (1/14*, 15*).

84Le sanctuaire est précédé d’un vestibulum aux murs duquel sont exposés, sans doute au milieu de centaines d’autres ex‑voto, les « pièces à conviction », preuves d’un miracle : une gerbe d’avoine, merges deinde ante vestibulum appensus (1/7), une poire, persicum in vestibulo domus de pariete suspensum (1/18*) et la corne d’un bélier, cornu ante fores basilicae appensum (I/8‘). C’est aussi là que rend l’âme une des victimes de la vindicte divine, ante vestibulum basilicae (1/4*) avant d’être inhumée à Saint‑Pierre. Les termes porticus et vestibulum semblent interchangeables (I/3*, église de Bernegium). Celui d’atrium n’apparaît qu’une seule fois (I/19*) avec, sans doute, la même acception.

85Des « bâtiments conventuels », nous n’entrevoyons guère que le réfectoire où les frères s’assemblaient pour leur generalis refectio (1/27). La seule pièce de mobilier décrite dans les Miracula, une lourde table en bois, lignea mensa, est disposée près de l’entrée de cette salle, ante fores refectorii. On notera que d’autres agapes sont mentionnées sans qu’on en précise le cadre : celle des custodes autour d’un bélier (I/8*) et celle qu’offre l’abbé, le jour de la Saint‑Denis, à la foule des clercs, clericorum cœtus (1/22).

86L’archéologie a établi l’existence, dès avant la fin du viii^e s., du chapelet d’églises intra‑muros situées au nord de l’abbatiale (cf infra chap. 2). Seule Saint‑Pierre figure, à deux reprises, dans les Miracula (1/4*, 15* ; sur le deuxième de ces passages, voir Stoclet 1980a : 110‑111). Le miles sacrilège que saint Denis réduisit en cendres y est inhumé « parce qu’il était de famille noble », propter generis nobilitatem (I/4*). Est‑ce à dire que le sol de Saint‑Pierre fût réservé à la sépulture d’une certaine catégorie de personnes ? Remarquons que le comte Bertrandus, quant à lui, trouvera son dernier repos extra‑muros, à Saint‑Marcel (I/10*). Avait‑il des liens privilégiés avec l’église de Paris, dont dépendait Saint‑Marcel (cf. infra § 4.1.1.5) ? Pourquoi nous précise‑t‑on que la mise en terre se fit avec le consentement exprès des moines, concedentibus fratribus ? Parce qu’il avait rendu l’âme sur leur terre ? À moins que les fratres n’aient été ceux de Saint‑Marcel ?

87C’est indubitablement à l’intérieur du même périmètre, intra‑muros, qu’il faut situer le séjour de la reine Bertrade, mère de Charlemagne, Betrada clarissima regina maire magni Karoli vitam in monasterium beatorum martyrum degente (I/16*, curieusement ignoré de Krüger 1971, et surtout de Brühl 1975 : 27‑33). Mais où ? S’agissait‑il d’un bâtiment distinct, précurseur du palais qu’édifierait Fardulfe (797‑806) (Brühl 1975 : 32) (doc. 35) ? D’une suite dans les « bâtiments conventuels », celle peut‑être qu’aurait occupée le pape Etienne II en 754 ? Ou alors, hypothèse plus hardie, Saint‑Denis était‑il un monastère double ? À propos de Bernundis, miraculeusement guérie à Saint‑Denis sous l’abbatiat d’Hilduin, Hincmar nous apprend qu’« elle se fit moniale et vit encore parmi ses consœurs » (II/2). N’est‑il pas également significatif que les Miracula sancti Dionysii s’intéressent tant aux femmes, qui sont, par exemple, héroïnes de la moitié des prodiges recensés au Livre II ? Il faudrait voir si ce n’est pas là une caractéristique du genre, liée à sa nature didactique et au rôle social de la femme, agent principal de l’éducation religieuse au sein de la famille. D’autre part, on sait que, pendant tout ou partie de la période traitée par notre texte, Saint‑Denis eut sous sa dépendance un certain nombre de couvents : à partir de Louis le Pieux, les diplômes confirmatifs de l’immunité dionysienne y englobent expressément monasteria virorum et puellarum eidem monasterio S. Dionysii subjectis (Stoclet 1993b : 15, n. 2) et l’on peut citer nommément Argenteuil, dont trois moniales recouvrent la santé à Saint‑Denis (II/24 et 25) et Saint‑Denis de Dugny, qualifié de monasterium en 832 (Tardif 1866 : n^o 123) et où la protagoniste de II/15 prend le voile suite à une guérison miraculeuse. La question de la résidence dionysienne de Bertrade reste donc posée. De même, les éléments qui nous permettraient de situer la maison de bois où étaient hébergés les hôtes de marque et leur suite (I/4*) font défaut.

88On relèvera enfin la présence d’un puits d’eau potable à proximité de la basilique, puteus qui ecclesiae est vicinus (1/14*).

89Près d’un siècle avant Charles le Chauve, l’abbé Fulrad (vers 750‑784) avait déjà fait construire une enceinte en bois au pourtour du monastère, ligneus murus quo Fulradus abba ambitum monasterii porrexerat (1/13*). Outre une fonction défensive (moins évidente qu’à l’époque de son lointain et royal successeur, que préoccupaient les incursions des Normands), elle servait à séparer abbaye (cœnobium, locus, limina martyrum) et vicus. Cette structure était davantage qu’une simple palissade puisque Hincmar qualifie de colonne, columna, et non de poteau l’élément emporté par le larron, acteur du drame (I/13*).

90L’agglomération qui s’étend aux portes du monastère est le plus souvent désignée du seul terme vicus (I/6*, 16*, 17*, 18*, 19*). Au Livre II, on adjoint à celui‑ci le nom de Catulliacus (II/3, II/4, II/36). Dans I/11 on trouve la forme : vicus sanctorum martyrum, dont nous admettrons qu’elle s’applique à la même réalité.

91Les habitants sont des paysans (1/6*, battage/criblage du blé ; I/17*, moisson) et/ou des artisans (II/36 : Elisana occupée à tisser) ; l’un d’eux est non libre (II/36). Peut‑être les « médecins » que Frambold consulte y résident‑ils comme lui (II/4). Plusieurs routes traversent la bourgade et convergent sur le monastère : vers le sud, celle de Paris, via (I/11 ; I/19*) ; vers l’est, celle de Merville (I/16*). Celle qu’emprunte le chevalier bavarois pour se rendre au saint lieu passe aussi par le vicus, où elle coupe en leur milieu les jardins des moines, via, fratrum horti (I/18*). D’autres éléments de la voirie locale sont mentionnés sans qu’un rapport soit établi avec le vicus : le pont de Trecine (1/10*), un autre pont/ponton étroit, situé dans le prolongement d’un chemin, pons qui in ulteriorem partent continuabat iter (I/28*) et, non loin de là, un troisième (?) pont, beaucoup plus important puisqu’il est qualifié de publicus subliciusque (1/28*), le second de ces termes pouvant se référer soit au matériau (bois) soit au type de construction (sur pilotis). Ces deux derniers ouvrages étaient vraisemblablement jetés sur le même cours d’eau, lequel entraînait dans ces mêmes parages les roues d’un moulin (I/28). La Seine n’intervient qu’une seule fois comme voie de communication (I/1, d’après Grégoire de Tours [doc. 5].

92On aura à peu près fait le tour des données topographiques lorsqu’on aura rappelé la mention de Saint‑Marcel extra‑monasterium (I/10*).

1.8 La crypte

FIG. 20 - « La violation des caveaux de Saint‑Denis en 1793 » par Hubert Robert. Musée Carnavalet, n^o inv. P. 1477 ; huile sur toile.

93La continuité de l’occupation de cet espace exige un autre angle d’approche consistant à prendre en compte, de façon systématique, les plans anciens et la documentation qui se rapportent aux nombreux remaniements architecturaux. Vers 832 l’abbé Hilduin édifie une crypte aux pieds des saints martyrs, criptam ante pedes sanctissimorum martyrum (Félibien 1706 : lvi). La chapelle est dédiée à la Vierge, à saint Jean‑Baptiste, aux apôtres et à plusieurs saints martyrs. L’abbé ordonne que huit religieux y célèbrent l’office jour et nuit selon le rituel romain.

94Le récit de la reconnaissance solennelle des reliques en 1053 (cf. supra § 1.2) nous fournit une description un peu ambiguë de cette construction où l’on conservait les reliques de la Passion. Les coffrets d’argent renfermant les corps des saints étaient placés « derrière l’autel, dans une crypte si profonde que si quelqu’un voulait en soustraire quelque chose, il lui faudrait s’y introduire jusqu’aux genoux. Bien plus, avant qu’on ne parvienne aux corps des saints, il y a une petite crypte, criptula, décorée extérieurement de pierres dorées, dans laquelle, diligemment défendues par deux serrures, on conserve les reliques de la passion du Seigneur, un clou et un morceau de la couronne. » (Levillain 1907 : 239). Selon ce témoignage, on accédait à la crypte‑martyrium en traversant cette autre crypte.

95On distingue aisément sur les plans de la fin du xviii^e et de la première moitié du xix^e s., le massif correspondant à l’abside carolingienne. En 1806, l’architecte Legrand indique pour la première fois (fig. 27) les deux corridors courbes qui suivent la paroi intérieure de l’abside de la crypte annulaire que nous avons déjà évoqués (cf. supra § 1.6). L’existence d’une confessio axiale, destinée à abriter les trois reliquaires, est très probable, mais sa forme architecturale reste conjecturale. Les plans figurent à son emplacement l’extrémité ouest du caveau des Bourbons. Selon les architectes du xix^e s., il s’agirait du prolongement tardif de ce caveau (cf. supra § 1.3, année 1814). Les vestiges de la crypte annulaire sont détruits en 1859 par le caveau impérial de Viollet‑le‑Duc (fig. 30).

96Tous les plans laissent reconnaître en outre, à l’est de l’abside carolingienne, englobé dans le chevet gothique, un troisième édifice, constitué de trois nefs parallèles, sensiblement désaxées par rapport aux autres constructions. En 1868, Viollet‑le‑Duc désigna les quatre murs de cette construction comme un agrandissement qu’il attribua à l’époque carolingienne (fig. 15) et que l’on a tenté d’identifier, depuis, à la crypte de l’abbé Hilduin.

97Il subsiste en élévation des vestiges de cette construction dans la crypte actuelle, mais leur étude est particulièrement délicate. Les architectes Cellérier et Viollet‑le‑Duc ont restauré les arcatures aveugles qui caractérisent les élévations intérieures de cet agrandissement (doc. 10 et fig. 24, 26).

98Depuis 1683 le vaisseau central, ou chapelle Saint‑Démètre, est occupé par la sépulture des Bourbons et se trouve relié au caveau dit des cérémonies –ancien caveau d’Anne de Bretagne († 1514), destiné depuis 1610 aux Bourbons– par un corridor indiqué sur tous les plans. C’est au plus tard à ce moment‑là que l’on mura les deux portes, rouvertes par Viollet‑le‑Duc, qui ménageaient un passage entre le vaisseau central et les deux vaisseaux latéraux, immédiatement à l’est de l’abside carolingienne.

99Les investigations de Crosby sur les deux vaisseaux latéraux ont permis de connaître l’extrémité orientale de cette crypte fermée par des murs droits. Celles de Formigé ont porté sur le vaisseau central. Les plus anciens plans indiquent pour ce dernier une abside formée par un mur droit (fig. 21). En 1952, en démontant l’abside voûtée en cul‑de‑four de Viollet‑le‑Duc, Formigé identifie deux états successifs : le premier est formé par une petite abside semi‑circulaire, le second est constitué par un mur droit (fig. 16).

FIG. 21 – « Plan de l’église souterraine de Saint‑Denis et du caveau tels qu’ils existent en 1781. » AN, 0¹1904 ; papier, encre ; 59 x 81 cm.

100Selon W. Jacobsen, les élévations actuellement visibles correspondent à une crypte hors oeuvre construite sur le plan d’une chapelle à trois nefs (Dreikammernkrypta) caractéristique du xi^e‑xii^e s. (Jacobsen 1989). Avec ses trois vaisseaux, la crypte englobait l’abside de l’église carolingienne et se raccordait à l’ouest au transept, où l’on peut supposer l’existence de portes d’accès. Quant aux chapiteaux qui décorent les arcatures, ils ont été attribués par leur style à des ateliers de l’époque de Suger (Blum 1981).

101En définitive, il semble bien que de l’extension de l’abbé Hilduin ne subsiste que l’orientation d’une construction désaxée. Les données archéologiques concernant la chapelle primitive sont extrêmement ténues, voire contradictoires. Les chercheurs hésitent actuellement entre le vaisseau unique, proposé par Formigé (Formigé 1960 ; Jacobsen 1989), et la nef triple, défendue par Crosby (Crosby 1942 ; Crosby, Blum 1987 ; Heitz 1987).

FIG. 22 – Projet de chapelle funéraire destinée aux Bourbons, plan et coupe, Marie‑Joseph Peyre, 1781. AN, 0¹1904 ; papier, encre, aquarelle
a – 87 x 44 cm.
b – 60 x 69 cm.

102En 1781, le surintendant des Bâtiments du roi, le comte d’Angiviller, envisagea de supprimer le caveau des Bourbons et d’ériger à son emplacement une chapelle funéraire. Marie‑Joseph Peyre soumit un projet qui prévoyait une rotonde à l’emplacement du caveau et l’habillage de l’architecture gothique du reste de la crypte. Faute de moyens financiers, ce projet ne put être réalisé (Mc Clellan 1988).

FIG. 23 – Croquis du caveau central effectué le 23 juin 1849 (doc. 10). AMH, fonds de contrôle des travaux, ct. 38 ; papier, encre.

FIG. 24 – Deux attachements relatifs aux restaurations de l’arcature nord de la crypte romane, par Mezière vers 1812.
a – AMH, n^o Inv. 56678² ; papier, encre ; 17 x 16 cm.
b – AMH, n^o inv. 56678¹ ; papier, encre ; 48 x 19 cm.

FIG. 25 – Vue du collatéral nord et du déambulatoire de la crypte, attribuée à Joseph Nash (1808‑ 1878). Musée de l’Île‑de‑France à Sceaux, n^o Inv. 72.29.1 ; papier, crayon, lavis ; 23 x 15 cm.

FIG. 26 – Deux relevés de l’arcature sud du vaisseau septentrional de la crypte (situé vis‑à‑vis de l’arcature précédente, fig. 24), par Viollet‑le‑Duc.
a – « 14 juin 1848 » ; AMH, n^o inv. 21754 ; papier, encre ; 52 x 37 cm.
b – « 31 juillet 1848 » ; AMH, n^o inv. 21755 ; papier, encre ; 26 x 37 cm.

FIG. 27 – « Plan des caveaux et sépultures qui existoient autrefois dans l’église de Saint‑Denis » par Rossignol en 1806. Musée de l’Île‑de‑France à Sceaux, n^o inv. 71.23.242 ; papier, encre, aquarelle ; 65 x 89 cm.

FIG. 28 – « Travaux exécutés dans les caveaux de l’église royale de Saint‑Denis » par Debret vers 1817. CRMH, n^o inv. 4710 ; plan gravé, encre, aquarelle ; 26 x 40 cm (plaque).

FIG. 29 – Projet d’aménagement de la crypte dans les années 1810, par Debret. AMH, Album Debret, n^o inv. 21733 ; papier, encre, aquarelle ; 62 x 86 cm.

FIG. 30 – Caveau Impérial de VIollet‑le‑Duc et projet de restitution de l’aménagement, 1859.
a – « Plans superposés des cryptes et du rez‑de‑chaussée ». CRMH, n^o Inv. 1194 ; papier, encre, aquarelle.
b – Coupe longitudinale des cryptes. CRMH, n^o inv. 1195 ; papier, encre, lavis ; 63 x 48 cm.

1.9 L’œuvre de Suger

FIG. 31 – Détail de la porte de bronze de Suger ; croquis de Roger de Gaignières (1642‑1715). BNF, ms. lat. 17111 : 365 ; papier, crayon, sanguine ; 18 x 21 cm.

1.9.1 Suger, abbé de Saint‑Denis (1122‑1151)

103Suger est à l’évidence la figure la plus emblématique de l’abbaye de Saint‑Denis. Sa grande originalité est d’avoir été l’artisan de son renouveau et de sa reconstruction, en même temps qu’il fut le support essentiel du redressement de la royauté. Enfin, fait unique, il fut l’historien de sa propre œuvre, dans l’un et l’autre domaine.

104Né en 1081 d’une famille de condition modeste de la région de Saint‑Denis ou d’Argenteuil, peut‑être orphelin de mère, il fut confié dès l’âge de dix ans par son père, Hélinant, à l’abbaye de Saint‑Denis. Il y passa dix ans, à Saint‑Denis‑de‑l’Estrée, école de l’abbaye, où il étudia en compagnie du prince Louis, fils du roi Philippe I^er, le futur Louis VI, et devint aussitôt son familier. Après avoir complété pendant deux ans ses études dans une abbaye du centre de la France (Fontevrault, Saint‑Benoît‑sur‑Loire ou Marmoutiers ?), Suger revint à Saint‑Denis. Dès 1106, il fréquenta les maîtres parisiens et surtout Joscelin, futur évêque de Soissons, qui fut son ami et, comme lui, l’un des conseillers les plus écoutés du roi.

105Ayant acquis la confiance de son abbé Adam, par son intelligence, sa vivacité et son éloquence, il participa à l’administration de l’abbaye, pour laquelle il accomplit les plus hautes missions diplomatiques : il rencontra le pape Pascal II à la Charité‑sur‑Loire, participa au concile de Poitiers (juin 1106) et à la rencontre du pape et des représentants de l’empereur à Châlons‑sur‑Marne. L’année suivante il fut envoyé par son abbé comme prévôt du prieuré de Berneval en Normandie puis de Toury en Beauce, où il fit preuve d’un grand talent d’administrateur. À ce moment, le prince Louis montait sur le trône et Suger l’accompagna dans ses expéditions militaires contre les seigneurs rebelles d’Île‑de‑France, au Puiset et à Toury, où il se comporta comme un chef d’armée. Plusieurs fois ambassadeur du roi auprès du Saint‑Siège, Suger se lia d’amitié avec le pape Callixte II et plaida en même temps pour les intérêts de son abbaye. Suger voyagea donc beaucoup. Ses séjours en Italie furent les plus décisifs.

106C’est au retour d’une ambassade en Calabre, le 11 février 1122, que Suger apprit la mort de son abbé et sa propre élection à la tête de son abbaye. Depuis deux ans déjà il tenait auprès du roi les rênes du pouvoir ; cependant il sut mener pleinement les deux charges de front. Une réforme morale, spirituelle, économique s’imposait au monastère : Suger l’accomplit et lui rendit son éclat d’abbaye royale par excellence, chère au cœur du roi, emblème de la royauté et de la France. Il fallait aussi répondre aux attaques des réformateurs, Abélard sans doute mais surtout saint Bernard, pour qui l’abbaye n’était plus que la synagogue de Satan, l’officine de Vulcain. Dès 1127 les sujets de critique furent effacés et l’abbaye connut une vie régulière, fidèle à la règle, suivant une juste mesure. Suger améliora aussi matériellement le sort des moines : il remplaça les stalles de marbre et de cuivre par des stalles de bois, il restaura le réfectoire et le dortoir, améliora l’ordinaire, augmenta les revenus de l’hôtellerie et de l’infirmerie. En même temps il faisait fructifier les biens de l’abbaye au point de les tripler et quadrupler, grâce à une administration remarquable : récupération et acquisition de biens, mise en valeur des terres, augmentation des revenus, grâce à l’appui du roi et du pape, grâce aussi à une connaissance approfondie des archives de Saint‑Denis qu’il avait étudiées dès sa jeunesse.

107Dès son enfance, Suger avait acquis aussi le goût des belles choses : il avait pu contempler les merveilles du trésor, les objets précieux offerts ou déposés par le roi. Il avait pu également méditer sur l’état de son église, belle, certes, et richement dotée, mais vétuste et devenue surtout trop étroite pour la foule des fidèles. Son rêve d’enfance fut de pouvoir un jour l’agrandir et l’embellir. Bientôt il put le réaliser, grâce au bénéfice de sa gestion, grâce aussi à un probable éloignement du pouvoir qui lui en donna le loisir : en 1138 en effet le nouveau roi, Louis VII, semble l’avoir provisoirement écarté au profit de l’ancien chancelier Raoul de Vermandois. Quoi qu’il en soit, Suger sut mettre merveilleusement à profit ces quelques années de répit pour réaliser sa grande œuvre architecturale.

108Déjà en 1125 les habitants de Saint‑Denis, moyennant certaines libertés, allouaient à l’abbé deux cents livres pour la reconstruction de la façade de l’église (doc. 53). C’est donc par la façade que Suger entreprit son œuvre de transformation. L’église carolingienne, construite par l’abbé Fulrad (775), ne présentait en effet qu’une entrée exiguë, encombrée de plus par une construction aménagée pour la sépulture de Pépin le Bref. Suger les fit abattre et fit édifier une avant‑nef monumentale, celle que l’on voit aujourd’hui, pourvue de trois grandes portes (symboles de la Trinité) surmontées de deux tours et d’œuvres de défense, puis il relia ce bâtiment à la nef ancienne par une colonnade à grandes arcades. La consécration de cet ensemble fut célébrée le 9 juin 1140 par trois prélats, avec la bénédiction de trois nouveaux autels : expression du culte de la Trinité, chère à Suger. Nourri dès sa jeunesse de la lecture du pseudo‑Denys l’Aréopagite et des idées de transfert du visible à l’invisible à travers la lumière, imprégné d’architecture antique qu’il avait admirée lors de ses voyages, à Rome où il put se pénétrer de la vue des grandes basiliques ornées de marbres et de mosaïques, au mont Cassin où il dut être impressionné par l’œuvre de Didier, abbé mécène et constructeur du xi^e s., Suger était à la fois un mystique et un humaniste, mettant la splendeur et la richesse au service de la foi et du culte divin. La construction du chevet, commencée dès 1140, fut achevée en 1144. La première pierre fut posée le 14 juillet 1140 en présence du roi : agrandissement de la crypte, rehaussée avec collatéral et chapelles rayonnantes capables de supporter l’étage supérieur ; celui‑ci était couronné d’un déambulatoire distribuant tout autour des chapelles éclairées par une succession quasi continue de splendides vitraux. Son sens de la synthèse et de la « mise en scène » liturgique permit à Suger d’allier le goût de l’antique aux innovations technologiques, les sculptures et les vitraux aux mosaïques et pavements en marqueterie, de relier le passé au présent, les morts aux vivants. Réunissant les artistes « de toutes les parties du monde », il inaugura une grande synthèse de tous les styles qui aboutira au style gothique et sanctionna le professionnalisme urbain alors naissant. La consécration très solennelle du chœur eut lieu le 11 juin 1144, en présence de la famille royale, des grands du royaume et des principaux prélats ; elle fut suivie par la translation des reliques des saints patrons, Denis, Rustique et Eleuthère, de la crypte de Fulrad au nouveau chœur.

109Mais Suger, homme d’Église et d’État, eut à cœur de servir l’un et l’autre par la plume. C’est en effet pendant les grands travaux de la basilique qu’il prit la plume. Son œuvre est essentiellement celle d’un homme d’action, non de lettres : bon connaisseur des auteurs antiques, Horace, Juvénal, Ovide et surtout Lucain dont il imite le style concis et tranchant, son écriture est un curieux mélange d’emprunts poétiques et bibliques, parsemé de gallicismes et de fautes de langue mais pittoresque et vivant. Sa « Vie de Louis VI », composée entre 1137 et 1144, avec le début de celle de Louis VII, interrompue par la mort, est à l’origine du grand mouvement historiographique des « Grandes Chroniques de France ». Son livre sur la consécration de l’église abbatiale et surtout son mémoire sur son administration abbatiale, écrit à la demande de ses moines entre 1145 et 1149, sont en grande partie consacrés à l’œuvre de reconstruction de la basilique, d’embellissement et de décoration intérieure : décoration somptueuse, dans un goût flamboyant, ostentatoire, qui correspondait à ses idées théologiques. On a dit de Suger qu’il était vaniteux, car il fit inscrire son nom ou son image sur des objets, sur les murs et les vitraux, mais cette ostentation dépassait sa personne : il s’identifiait en effet à son abbaye comme il s’identifiait à la France, au service de l’une et de l’autre et mécène pour la gloire de Dieu. Quand, au départ du roi pour Jérusalem, en 1147, Suger dut assumer la régence de la France, il semble n’avoir plus écrit que des lettres : avec ses chartes et son testament (1137), elles révèlent l’élévation de son esprit, son dévouement à sa mission, sa sollicitude pour le destin du roi et du pays. Mettant, avec une grande intelligence des choses et des êtres, sa personne au service de l’Église et surtout de la France, il mérita d’être acclamé, à la fin de sa vie, par le roi et le peuple, « Père de la Patrie ».

FIG. 32 – Chapiteau historié provenant des fondations de l’église Saint‑Michel‑du‑Degré et peut‑être lié à la décoration de l’entrée de l’abbatiale vers 1125. H : 33 cm.

FIG. 33 – Les statues‑colonnes (xii^e s.) de l’ébrasement nord du portail nord en 1718‑1719.
a – « Première » statue. BNF, ms. fr. 15634 : f^o63 ; papier, encre ; H : 15 cm (personnage).
b – « Première » statue. BNF, ms. fr. 15634 : f^o60 ; papier, crayon ; H : 29 cm.
c – Les trois statues de l’ébrasement nord (Montfaucon 1729‑1733, t. I : pl. XVI). Gravure ; 14 x 15 cm.

1.9.2 La reconstruction de l’abbatiale à travers les écrits de Suger

110D’un point de vue archéologique, la recherche devra donc réexaminer les vestiges préservés des augmenta de l’église carolingienne : à l’ouest, l’agrandissement de l’édifice pose un problème complexe resté jusqu’alors ignoré ; à l’est, le chevet gothique englobe les vestiges d’une crypte qui, dans sa structure, est pour les uns carolingienne et pour les autres romane. À ce propos, l’éclairage des écrits de Suger dont nous publions de larges extraits, est intéressant.

FIG. 34 – Coupe, vue vers l’ouest, de la première travée du massif occidental d’après les photogrammétries de l’institut géographique national (Crosby, Blum 1987 : 178, complété par M.W.).

FIG. 35 Vue de la façade de Suger dessinée par Martellange en 1641. BNF, Cabinet des Estampes, Ub 9 res. Format 5, pl. 12 ; papier, crayon ; 28 x 42 cm.

FIG. 36 – La façade en 1780, gravée par F.‑N. Martinet (Beguillet, Poncelin de la Roche 1780 : entre p. 124 et 125). BNF, Cabinet des Estampes, Va 93 t. 6 ; gravure ; 9 x 15 cm.

FIG. 37 – Plan schématique des trois campagnes de construction de Suger.

FIG. 38 – La mosaïque d’Albéric (XII^e s.) relevée par Debret en 1842. AMH, n^o inv. 65202 ; papier, aquarelle ; diamètre : 75 cm.

111.

FIG. 39 – La porte des Valois (XII^e et XIII^e s.) dessinée par Charles Percler vers 1794‑1795. Album du musée municipal Antolne‑Vivenel de Compïègne, f^o46 ; papier, crayon, lavis.

1.9.3 L’inscription d’Airard à la porte nord de l’abbatiale

112Jusqu’à la fin du xviii^e s., on pouvait voir, sur la porte nord de la façade occidentale de l’église abbatiale de Saint‑Denis, une représentation du saint patron –sanctits Dionisius– auquel un moine, Airard –Airardus mondais–, offre la porte (fig. 40c). Au‑dessus on pouvait lire le distique suivant :
Hoc opus Airardus caelesti mimere fretus
Offert ecce tibi, Dionisi, perfore miti.
« Fort de la faveur céleste, voici qu’Airard t’offre, Denis, cette œuvre, d’un cœur plein de douceur. »

FIG. 40 – L’inscription d’Airard sur les vantaux de la porte nord.
a – Relevé de Nicolas‑Claude Fabri de Peiresc en 1605‑1606. Bibliothèque de Carpentras, ms. 1791 : f^o492 ).
b – Relevé de Roger de Galgnlères vers 1700. BNF, ms. lat. 17111 : 367‑368 ; papier, encre ; 50 x 23 cm.
c – Représentation d’Airard (Mabillon 1704 : 254) ; gravure ; 19 x 27 cm.

113L’érudit Arnold Van Buchel, d’Utrecht, avait, en 1585, vu cette inscription, à laquelle il n’avait « rien compris », et il en avait laissé un dessin, incomplet, qui a été reproduit en 1899 (Van Buchel, Van Langeraad, Vidier 1899 : 131). Au début du xvii^e s. Nicolas Peiresc fournit un relevé complet et plus précis, en indiquant que le texte se trouvait « au milieu des valves de bronze qui sont à la porte qui est à main gauche en entrant » (fig. 40a). Une troisième copie, de meilleure qualité, réalisée par Gaignières (fig. 40b) a été publiée récemment (Polonovski 1990 : 355). Les historiens de Saint‑Denis, dom Jacques Doublet en 1625 (Doublet 1625 : 241), dom Michel Félibien en 1706 (Félibien 1706 : 534), l’historien de l’ordre bénédictin dom Jean Mabillon, en 1704 (Mabillon 1704 : 253), ont rapporté ce texte qu’ont également cité les érudits contemporains, Léon Levillain (Levillain 1909a : 163‑164), Erwin Panofsky (Panofsky, Panofsky‑Soergel 1979 : 159) ou Sumner McK. Crosby (Crosby, Blum 1987 : 188, 488, n. 51).

114Le distique est composé de deux hexamètres léonins. Connu dès l’Antiquité, le vers léonin est rare au Moyen Âge avant le xi^e s., époque au contraire où il va devenir très fréquent. Il est difficile à composer puisque au respect de la quantité des syllabes il ajoute l’obligation de la rime entre l’hémistiche et la fin du vers, d’où de fréquents emprunts aux expressions déjà utilisées. Le hoc opus du premier vers se trouve, dans les inscriptions recensées en France, en même position initiale dans sept autres exemples, tous compris entre le début du xi^e et le milieu du xiii^e s., à une exception près, fort intéressante puisqu’il s’agit de l’inscription rappelant la construction par l’abbé de Saint‑Denis Fardulfe, en 804, du ciborium de l’autel majeur de son abbatiale (Fardulfe, Dümmler 1881 : 354 [Hoc opus egregium Fardulfus fecerat opus]). C’est un incipit que l’on trouve chez Virgile, Ovide, Lucain, Juvencus, Fortunat, Alcuin, Théodulfe, Raban Maur, etc. (Schumann 1980, t. II : 509‑510), et dont les répertoires de Schaller‑Kônsgen et de Walther donnent plusieurs dizaines d’exemples (Schaller, Könsgen 1977 : 315‑316 ; Walther 1959 : 419‑420 ; Walther 1964 : 337‑338). Le caelesti munere se trouve chez Alcuin (Favreau, Michaud 1974 : 56) et est repris dans l’épitaphe de l’évêque de Paris Guillaume en 1248 (Adhémar, Dordor 1974‑1977, t. I : 43) ; l’expression munere fretus est employée par Paulin de Nole et, à sa suite, par Aldhelme de Malmesbury et Angilbert (Schumann 1980, t. III : 461). Les inscriptions métriques de la France médiévale offrent quatre autres exemples de offert pour les xi^e‑xiii^e s., et l’expression miti pectore se lit chez Hrotsvitha de Gandersheim (Schumann 1980, t. III : 383). Les emplois des emprunts métriques se trouvent particulièrement pour les xi^e‑xiii^e s., et le vers léonin simple est surtout employé aux xi^e‑xii^e s. ; il est beaucoup moins utilisé au xii^e s. que le vers léonin riche, et il disparaît après le premier quart du xiii^e s.

115Le comte de Montesquiou‑Fezensac a étudié l’écriture de cette inscription et a retenu comme datation le xi^e s., et même plus précisément « vers la fin du deuxième tiers de ce siècle » (Montesquiou‑Fezensac 1950). Jean Hubert a abondé dans ce sens et proposé de voir dans cette porte nord la reconstruction effectuée aux frais de Guillaume le Conquérant, au temps de l’abbé Yves, entre 1075 et 1087 (Hubert 1950a). L’état des relevés manuscrits ne permet guère d’aller plus loin, sauf à observer que la forme du second A de Airardus et du U de Dionisius renvoie plutôt à ce que l’on connaît de l’écriture du xii^e s.

116On ne peut savoir avec certitude qui est le moine Airard qui offre la porte à saint Denis. Félibien, Mabillon y ont vu le moine de ce nom chargé par l’abbé Fulrad de démonter les échafaudages de la tour du clocher alors construite ; Airard (Airradus) aurait fait une chute d’une si grande hauteur qu’il ne pouvait que se tuer, mais il en est sorti indemne par la vertu de Denis qui n’avait pas voulu que la construction de son église fût cause de mort pour quiconque (doc. 9, 1/15). Félibien (doc. 16) et Mabillon ont identifié le moine de l’inscription au moine miraculé (Hincmar, Mabillon 1672 : 253). Montesquiou‑Fezensac s’est montré réservé, car le vieux nécrologe de Saint‑Denis ne cite pas moins de huit Airardus (Montesquiou‑Fezensac 1950 : 131). Panofsky s’est prononcé pour l’Airard des « Miracles de saint Denis » (Panofsky, Panofsky‑Soergel 1979 : 159‑160). Je crois que c’est l’hypothèse la plus plausible, car on ne trouve pas, de façon quasi générale, dans les inscriptions, de simple moine en situation de donateur –ceci revient à l’abbé–, et l’on doit tenir compte de l’inscription elle‑même, où il est dit qu’Airard est « fort de la faveur céleste », ce que l’on peut interpréter comme un rappel du miracle dont il a été le bénéficiaire. Rien n’ empêche pour autant que la porte elle‑même soit du xi^e s., l’inscription étant alors une glorification de la puissance du saint patron de l’abbaye, bien plutôt que la mise en valeur du moine qui fait l’offrande de la porte.

1.9.4 L’évolution du massif occidental et de ses tours

117Comme nous l’avons vu précédemment, Suger n’a pu élever qu’une seule des deux tours de la façade ; selon S. McK. Crosby il s’agirait de la tour sud, toujours conservée. Par conséquent, la tour nord fut construite durant la seconde moitié du xii^e s. Guillaume le Breton nous raconte qu’en l’an 1219 la foudre tomba sur le clocher de Saint‑Denis qui était d’une « merveilleuse hauteur », in campanariam turrim Beati Dionysii, que mire erat altitudinis. Elle renversa le coq et la pomme dorés placés à son sommet. Pendant deux jours, « le feu consuma les pierres et le bois de la tour » (Guillaume le Breton, Delaborde 1882 : 319‑320). Il est possible que ce sinistre ait entraîné une reprise de la tour nord qui s’acheva par la construction de la flèche (fig. 41).

FIG. 41 – Vue de l’abbatiale par Victor Poterlet, 1832. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93 t. 6. ; papier, crayon ; 32 x 45 cm.

118La sonnerie de l’abbatiale était répartie sur trois tours : les deux tours de la façade et le clocher du Triangle, à l’angle sud‑ouest du transept (fig. 139). Les comptes de la commanderie recensent, pour les années 1295‑1296 (doc. 39), 1320‑1321 (AN, LL 1241 : f^o7) et 1338‑1339 (AN, LL 1241 : f^o185), les dépenses liées à la suspension des cloches : construction des beffrois, achat de cordes, montage d’échafaudages et percement de voûtes au moment du levage des cloches. Malheureusement, la tour concernée n’est jamais précisée. En 1625, Doublet nous signale dans la tour sud le gros bourdon qui fut donné par Charles V en 1373 (doc. 15) et qui dut être refait en 1503 par l’abbé Antoine de La Haye. Refondu en 1758 sous le règne de Louis XV et en 1820 par l’architecte Debret, il est toujours en place dans le beffroi de la tour sud (Guilhermy 1875 : 142). Selon Félibien, le second bourdon datait de l’abbé Gui de Monceau (1363‑1398) (doc. 16). Refondu en 1618 par l’abbé Louis [IV] de Lorraine, il disparut à la Révolution. De plus, la tour sud était dotée de la cloche dite « Jean Cale » et des trois timbres de l’horloge (fig. 35 et 36). Quant à la tour nord, elle abritait depuis 1656 les quatre « Mazarines », données par le cardinal qui fut abbé de Saint‑Denis. La même année, les comptes de l’abbaye signalent que l’on a relevé le beffroi de l’église de dix pieds. La plupart de ces cloches furent envoyées en 1793 « à la fonte des gros sous ».

119Quant aux remaniements qui affectent le massif occidental durant le xviii^e s., nos principales sources d’information sont les ouvrages de Doublet et de Félibien, ainsi que le manuscrit de Ferdinand‑Albert Gautier, organiste de l’abbaye (cf. infra § 1.11.3). À la veille de la Révolution, dom Germain Poirier commença à écrire les annales de l’abbaye en dépouillant les actes capitulaires et les registres d’inventaires (BNF, ms. fr. 20851).
1652 – Le 12 mai, les royaux, assiégeant les frondeurs réfugiés dans les tours de l’église, mettent le feu aux vantaux du portail central (doc. 74).
1656 – « Fonte des quatre cloches de la flèche de pierre dites Mazarines, des petites du clocher de la sacristie, de la cloche de la confrérie et de deux appaux de l’horloge. La fonte des quatre grosses avoit manqué la veille de la Pentecôte. Elles furent fondues dans la cour Plâtrière entre le dortoir et le logis de Bourbon près la chapelle Saint‑Clément. » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o218.)
1663 – « Rétablissement des portes de l’église on a fait remettre dessus le bronze et les figures qui étoient sur les vieilles » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o218).
La même année, l’« Etat des réparations… » signale : « Au serrurier pour les ouvrages de serrurerie par luy faits et fournis pour les deux grandes portes de l’église et autres endroits (…) 542 1.
(...)
A maistre Jean Oudard masson pour les ouvrages par luy faits dans le monastère au mur du parvis, refait des pilliers, des marches devant les grandes portes et autres ouvrages (…) 1 333 1. 15 s. » (AN, S 2384).
1686 – « Réparations de la grande tour » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o219).
1771 – Les religieux font réaliser d’importants travaux de restauration : en façade, la maçonnerie est renouvelée par des incrustations ; au portail, les statues‑colonnes sont supprimées. À ce propos, Gautier raconte : « Le nouveau parvis fut fait en 1771. Les bornes dont j’ai parlé étoient traversées de barres de fer qui communiquoient d’une borne à l’autre de chaque côté de l’entrée du parvis de l’église. L’entrée fut en forme circulaire en face de la porte du milieu de l’église, formée de deux marches en pierre pour entrer dans le parvis. (...) Ce qu’il y eut de fait cette dernière année fut la réparation du portail qui fut échafaudé dans toute son étendue, tant dans sa hauteur que dans sa largeur, et fut regratté en plein : dessous la flèche étoient deux grandes ouvertures ou espèces d’arcades fort hautes et étroites, lesquelles furent bouchées en pierres pour faire symétrie avec celles de la tour des bourdons qui étoient bouchées, les unes et les autres furent peintes en grisaille comme elles sont aujourd’hui. C’est de cette époque qu’on fit quatre petites croisées au dessous de ces arcades, il n’en fut faites que trois pour figurer avec celle de ma chambre qui étoit seule alors, mais les chassis et le vitrage furent uniformes, deux sont placées sous la tour des bourdons et deux sous la flèche. Ce sont les premières arcades au rang des croisées.
Au milieu de la principale porte de l’église qui étoit ainsi que celles des côtés revêtues de bronze, mais infiniment plus riche, étoit une figure en pierre appliquée sur un pilier, je crois que cette figure représentoit saint Denis ; le pilier fut abbatu : et l’on substitua à sa place un pilastre canelé en bronze, dont l’extrémité représentoit des feuillages, et la base étoit, je crois, de l’ordre ionique ou corinthien, lequel pilastre étoit joint à la porte de droite, chaque porte étoit à deux venteaux. Le susdit pilier de pierre empêchoit qu’on ne puisse sortir le dais à la procession de la Fête‑Dieu ; on étoit obligé de le sortir d’avance par la porte de côté ; sous la flèche, vu que celle cy et celle de dessous la tour des bourdons n’avoient pas de piliers comme celle du milieu, et le dais attendoit la procession en dehors de la première porte du mur [du parvis] (…), vu que les aigrettes du dais se replaçoient après coup, à cause que cette première entrée qui étoit couverte d’un massif en pierre, étoit trop basse pour le passage du dais garni de ses plumes ou aigrettes, et surtout étant élevé. Pour rentrer on faisoit de même.
Les saints en pierre qui étoient entre les colonnes du ceintre des trois portes ont été aussi retirés dans le même temps, ce qui évita aux révolutionnaires de 1793 de les jeter bas comme ils eussent faits.
Au mois de septembre même année 1771, ont été refaites entièrement les portes des côtés du grand portail, elles furent recouvertes extérieurement en bronze ou cuivre en façon de vermicelle pour remplacer les anciens bronzes qui étoient en partie détruits par vétusté où pillés par les voleurs. Ce fut M. Godille, père, fondeur à Paris, rue des Arcis, qui eut cette entreprise. Il fut nourri à la maison, au réfectoire, le temps que durèrent les travaux. Le bas‑relief en pierre, à la porte [du] collatéral, sous la flèche, fut aussi refait dans le même temps pour conserver la mémoire de cet Airard dont il est parlé dans dom Félibien dans son histoire de l’abbaye de St. Denis. » (Gautier : 67‑68.)
1772 – « Le 15 ou 16 juillet (...) l’on échafauda la flèche ou grand clocher de l’abbaye pour raccommoder le dommage fait par le tonnerre au mois de janvier dernier, dont une barre de fer qui soutenoit en partie l’un des petits clochetons fut emporté.
Le vingt juillet idem, on descendit le coq du grand clocher, il fut promené dans la ville, et on le replaça le lendemain vingt‑un susdit. Ce fut Tollu le maître sonneur qui se chargea de le déplacer (…) Personne ne fut assez hardi depuis la Révolution de le descendre comme l’on fit par tout dans le temps de la Terreur : de sorte qu’il est resté ainsi que la croix ; c’est, peut être, l’une des seules églises de France où les signes extérieurs soient restés en place (...) : de sorte que la croix et le coq s’y voyent encore. À la basse tour le coq et la croix ont été retirés. » (Gautier : 71.)
1794 – « Le 20 mars 1794 ou le décadi 30 ventose an deux, je vis la grosse Mazarine, l’une des cloches de l’abbaye dans l’église ayant été dessendue tout ressemment de la flèche ; les mouffles y étoient encore. Ensuite elle partit pour la fabrique des gros sous. La sonnerie de cette majestueuse église étoit composée de onze cloches (...) » (Gautier : 249.)
« Dans l’intervalle du 14 au 20 avril 1794 vieux style, ou du 25 germinal au 1er floréal an second, les trois portes de bronze du grand portail de l’église de l’abbaye furent dégarnies, pour les bronzes être portés, dit on, à la fonte (…) » (Gautier : 250.)
1837 – Le 9 juin, la foudre frappe la flèche.
1838‑1840 – Après réparation de la flèche, Debret effectue le ravalement et la décoration de la façade.
1846 – Le 6 mars commence le démontage de la flèche qui menace ruine.
1847 – Démontage de la tour nord (doc. 17).
1888‑1889 – Restauration de la tour sud.

FIG. 42 – « Élévation générale de l’église royale de Saint‑Denis », par Legrand et Cellérier, avant 1812. AM H, Album Debret, n^o inv. 5787 ; papier, encre, crayon ; 50 x 93 cm.

FIG. 43 – « Vue de la façade principale », par Chapuy vers 1823 MAHSD, n^o inv. na 3072 ; lithographie de Delpech ; 19 x 28 cm.

FIG. 44 – Mesures‑étalons placées à l’entrée de l’abbatiale et dessinées par Philippe Buache vers 1740. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93 t. 7 ; papier, encre et collage ; 24 x 16 cm.

FIG. 45 – Relevé de la flèche endommagée le 9 juin 1837, par Debret. AMU, Album Debret, n^o inv. 5857 ; papier, encre, aquarelle ; 64 x 99 cm.

FIG. 46 – Attachement de la réparation du clocheton oriental de la flèche, 1838. AMH, n^o inv. 603 50⁶ ; papier, encre, aquarelle ; 51 x 66 cm.

FIG. 47 – La flèche en 1845 par Janniard (Janniard 1845 : pl. 26) ; gravure de Muguet ; 20 x 28 cm.

FIG. 48 – Tour nord ; projection des quatre plans pris respectivement au niveau du rez‑de‑chaussée, de la chapelle haute, de la base de la tour et de la base de la flèche par Eugène Cabillet en 1846. AMH, n^o inv. 52546¹² ; papier, encre, aquarelle ; 42 x 31 cm.

FIG. 49 – Coupe de la tour nord par Cabillet en 1846. AMH, n^o inv. 56711⁶ ; papier, encre, aquarelle ; 42 x 71 cm.

FIG. 50 – Deux croquis relatifs au démontage de la tour nord. AMH, fonds de contrôle des travaux, et. 38 ; papier, encre.
a – Croquis du 25 mars 1847, montrant un détail de l’arcature.
b – Croquis du 25 mars 1847, montrant la pince découverte dans la maçonnerie.

FIG. 51 – Quinze relevés des arases successives et détails de la tour nord par Cabillet et Destor, du 14 janvier au 21 avril 1847. AMH, n^o inv. 60375¹ à 60375¹⁵ ; papier, encre, 56 x 36 cm chacun.

FIG. 52 – Sondages au sud du portail latéral nord, par Cabillet, 1847. AMH ; papier, encre ; 56 x 36 cm chacun.
a – Sondage fait au pied du pilier intérieur, le 21 mai 1847.
b – Fondation du contrefort extérieur, le 23 juin 1847.

FIG. 53 – Tombeau de Dagobert dans le collatéral nord du massif occidental, d’après un dessin anonyme de la première moitié du XIX^e s. MAHSD, n^o inv. na 397 ; papier, crayon ; 10 x 13 cm.

FIG. 54 – Relevés des fondations des tours, par Cabillet, 1847. AIVIH ; papier, encre, lavis ; 51 x 35 cm chacun,
a – Fondation de la tour nord, face nord, en mai 1847. AMH, n^o inv. 21752,
b – Fondation de la tour sud, face sud, le 6 mai 1847. AMH, n^o inv. 21753.

1.9.5 L’évolution du déambulatoire et des chapelles rayonnantes de Suger

120Il existe de nombreux travaux concernant le chœur de Suger. De plus, le De administratione nous livre clairement les intentions de l’abbé à son propos : « cette extension, élégante et appréciée, distribuant tout autour des oratoires, par laquelle [l’église] toute entière brillerait de la lumière admirable et continuelle des vitraux resplendissants, illuminant la beauté intérieure » (doc. 13).

121Depuis leur création, les vitraux de ces chapelles ont provoqué l’admiration. Afin d’assurer l’entretien des verrières, Suger instaura un office de maître‑verrier qui sera reconduit jusqu’au xvii^e s. (doc. 39, 40).

122Lorsque en 1231 l’abbé Eudes Clément décida de surélever le rond‑point du chœur, une reprise en sous‑œuvre très habile lui permit de préserver une bonne partie de la construction de Suger, à savoir le déambulatoire avec ses voûtes d’ogives et les chapelles rayonnantes. À partir de 1232, on procéda à la nouvelle dédicace des chapelles. La plupart conservèrent leurs vocables d’origine, excepté les chapelles Saint‑Firmin (anciennement Saint‑Innocent et Saint‑Maurice), Saint‑Maurice (anciennement Saint‑Eustache) et Saint‑Romain‑de‑Blaye (anciennement Saint‑Jean‑Baptiste et Saint‑Jean‑l’Evangéliste) (fig 84).

123Dans les comptes de la commanderie qui couvrent les années 1284‑1303 (AN, LL 1240) et 1320‑1342 (AN, LL 1241), il est fait mention de dépenses pour le pavement des chapelles du chevet et la peinture des différents autels. Pour se faire une idée de la splendeur de cette ornementation, il faut se rapporter aux fameux croquis et aquarelles que Charles Percier effectua entre 1793 et 1794 (Formigé 1960).

124Puis survinrent les bouleversements révolutionnaires et les restaurations du xix^e s. Dès 1797, Alexandre Lenoir fit enlever les retables pour les transporter au musée des Monuments français. En 1799, il démonta les vitraux des chapelles. À partir de 1805, l’histoire du monument se complique : affectée à la sépulture de Napoléon I^er et de sa dynastie, l’église fut dotée d’un budget considérable qui permit aux architectes Legrand et Cellérier d’entreprendre le remaniement complet de l’édifice. Dans les chapelles, les fenêtres furent garnies de « vitraux blancs » (Gautier : 260) et huit fûts de marbre noir, provenant du musée des Monuments français, remplacèrent les colonnes de « marbre » situées entre les chapelles (cf. infra § 1.12). Quant aux colonnes monolithes du déambulatoire, elles furent « tondues d’un pouce de diamètre » pour être revêtues de stuc noir (AN, F²¹ 1451 : 7). Simultanément, le sol du chœur fut surélevé d’une trentaine de centimètres.

125Une deuxième série de travaux, concernant surtout la décoration du sanctuaire (fig. 56 et 60), fut menée par l’architecte Debret. Guilhermy a relaté par écrit ces transformations tout en soulignant le « caractère déplorable » de ces travaux (Guilhermy 1848 : 22‑23). Ses critiques furent entendues puisqu’en 1848 Viollet‑le‑Duc entame la remise en état de l’église par la « dérestauration » du chœur (doc. 18).

126Les relevés photogrammétriques qu’a fait réaliser S. McK. Crosby constituent aujourd’hui les fondements indispensables à une analyse architecturale plus approfondie du chevet de Suger (Clark 1986). Louis Grodecki a consacré aux vitraux des études exemplaires, publiées dans le Corpus Vitrearum Medii Aevi (Grodecki 1976 ; Grodecki, Grodecki 1995). D’autres études ont porté sur le décor sculpté (Clark 1994), les retables (Joubert 1973 ; Dietl 1995) et les carreaux de pavage (Norton 1981).

FIG. 55 - Escalier nord et déambulatoire vus du transept, par Percier en 1794‑1795. Album du musée municipal Antoine‑Vivenel de Compiègne, f^o43 ; papier, aquarelle.

FIG. 56 – Le déambulatoire et la chapelle de la Vierge dans les années 1830, par T. Allom. MAHSD ; papier, lavis ; 19 x 12 cm.

FIG. 57 – « Vue prise derrière le chœur » vers 1823, par Chapuy. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93 t. 6 ; lithographie de Delpech ; 13 x 22 cm.

FIG. 58 – Chapelle de la Vierge, par Percler en 1794‑1795. Album du musée municipal Antoine‑Vivenel de Compiègne, f^o43 ; papier, crayon, lavis.

FIG. 59 – Croquis de la chapelle de la Vierge exécuté le 18 janvier 1848. AMH, fonds de contrôle des travaux, ct. 38 ; papier, encre.

FIG. 60 – Coupe et élévation de la chapelle de la Vierge en 1833 par Debret. AMH, Album Debret, n^o inv. 9685 ; papier, encre, aquarelle ; 35 x 43 cm.

FIG. 61 – « Église impériale de Saint‑Denis, plan du chœur, abaissement du sol, fragments trouvés dans les déblais » par Viollet‑le‑Duc, dans les années 1850. AMH, n^o inv. 21608 ; papier, encre, lavis ; 97 x 66 cm.

FIG. 62 – Carrelage de la chapelle Saint‑Grégoire, ancienne chapelle Saint‑Hilaire, découvert par Viollet‑le‑Duc dans les années 1850. CRMH, n^o inv. 2663 ; papier, encre, aquarelle ; 45 x 29 cm.

FIG. 63 – Carrelage de la chapelle Saint‑Cucuphas par Viollet‑le‑Duc (Viollet‑le‑Duc 1857 : pl. 18) ; gravure de F. Penel.

FIG. 64 – Croquis des carreaux découverts dans la chapelle Saint‑Cucuphas le 8 février 1848. AMH, fonds de contrôle des travaux, et. 38 ; papier, encre.

1.10 L’abbatiale des xiii^e et xiv^e s.

127Avec sa reconstruction au cours du xiii^e s. et les adjonctions qui lui ont été apportées durant le xiv^e s., l’abbatiale se hisse au rang des édifices majeurs de l’architecture gothique. Innombrables sont les auteurs qui ont traité de ce chef‑d’œuvre dont la chronologie est relativement bien établie. Du point de vue de l’approche méthodologique, on est cependant gêné par l’absence d’une critique d’authenticité approfondie des maçonneries abondamment restaurées.

128L’œuvre de Suger est restée inachevée et l’on peut supposer que l’ancienne nef carolingienne, vieille de plus de quatre siècles, menaçait définitivement ruine (Félibien 1706 : 227). En accord avec le roi Louis IX et sa mère, Blanche de Castille, l’abbé Eudes Clément du Mez décide en 1231 d’entreprendre la reconstruction de l’abbatiale (Guillaume de Nangis, Géraud 1843, t. 1 : 183). Son objectif est de surélever le chevet, de donner au transept à collatéraux une dimension exceptionnelle et de raccorder le tout au massif occidental.

129Les textes qui se rapportent à cette reconstruction sont peu nombreux et le plus ancien registre des comptes de la commanderie de l’abbaye (AN, LL 1240) comporte malheureusement une lacune correspondant aux années 1230‑1283. Les rares sources écrites concordent toutefois avec la chronologie relative des campagnes de construction proposées par des études récentes (Bruzelius 1985 ; Bouttier 1987).

130Les travaux progressent du chevet vers l’entrée. Nous avons déjà évoqué la première opération consistant à remplacer les supports originaux du rond‑point par des piles maçonnées (cf. supra § 1.9.5). La nouvelle élévation comprend trois niveaux : grandes‑arcades, triforium et verrières. Les annales de l’abbaye attestent que l’abbé commença par le chevet de l’église (capitium ecclesie), qu’il mena les travaux jusqu’à la hauteur du cinquième pilier de la nef, incluant la totalité du chœur liturgique (ad finem chori), mais laissa inachevée la tour des cloches à côté de la sacristie, hoc excepta quod turris ubi sunt cinbala a parte revestiarii non erat perfecta (Berger 1879 : 290), soit la tour du Triangle. Dix années après le début du chantier, la reconstruction a déjà coûté 30 000 livres (Félibien 1706 : 235).

131C’est sous l’abbatiat de Guillaume de Massouris (1245‑1254) que l’on achève le transept et le voûtement du chœur. Il est très probable que la crise économique subie par l’abbaye sous l’abbé Henri Malet (1254‑1258) ait entraîné l’interruption des travaux jusqu’en 1270 environ. En 1281, les annales signalent leur achèvement par l’abbé Mathieu de Vendôme (1258‑1286) (Berger 1879 : 293).

FIG. 65 – Deux vues de l’église abbatiale avant 1805, gravées par B. Hewlett d’après des dessins de G. Anderson (Hewlett 1812) ; gravures ; 25 x 18 cm chacune.
a – Planche IV : vue du nord‑est de l’abbaye royale de Saint‑Denis,
b – Planche III : vue du nord de l’abbaye royale de Saint‑Denis.

FIG. 66 – Façade du bras nord du transept, par Chapuy, vers 1823. MAHSD ; lithographie de Delpech ; 18 x 27 cm.

FIG. 67 – Façade du bras nord du transept vers 1794‑1795 par Percier. Album du musée municipal Antoine‑Vivenel de Compïègne, f^o46 ; papier, crayon, lavis.

132L’analyse des élévations et du fenêtrage en particulier permet de reconnaître les étapes de la construction, mais l’identification des architectes est une question toujours débattue. Par convention, l’architecte anonyme de la première tranche est appelé Maître de Saint‑Denis (Branner 1965) ou Maître de 1231 (Erlande‑Brandenburg 1992b). On sait que le maître Pierre de Montreuil est nommé cementarius de Sancto Dyonisio dans un acte de 1247 relatif à l’achat d’une carrière à Conflans, près de Charenton‑le‑Pont (Val‑de‑Marne), copié dans le « Cartulaire blanc de Saint‑Denis » (Stein 1902 : 81‑82, d’après AN, LL 1157 : 117). A. Erlande‑Brandenburg lui attribue la rose sud. M. Bouttier propose de reconnaître l’architecte Jean de Chelles comme l’auteur de la rose nord et du fenêtrage du bras sud du transept (Bouttier 1987).

133Entre 1299 et 1303, la construction de la chapelle Saint‑Louis coûte en moyenne 1 135 livres par an (doc. 39) (Brown 1984 : 310, n^o 11). Elle est construite entre la chapelle Saint‑Romain‑de‑Blaye (ancienne chapelle Saint‑Jean‑Baptiste et Saint‑Jean l’Evangéliste) et le mur pignon du dortoir des moines (fig. 146).

134Entre 1320 et 1324, la dépense de 5 924 livres pour de nouvelles chapelles (AN, LL 1241 : f^o7, 17, 25v^o, 34v^o) (Brown 1984 : 323‑324, n. 77) pourrait se rapporter aux six chapelles édifiées le long du collatéral nord de la nef, entre les contreforts (fig. 68 et 69).

FIG. 68 – Façade nord après 1805, par Debray. MAHSD, n^o inv. na 2259 ; papier, lavis ; 33 x 21 cm.

FIG. 69 – Détail de la façade nord de l’église vers 1845. AMH, n^o inv. 2637 ; papier, encre.

FIG. 70 – Dégagement du bras sud du transept par l’architecte Denis Darcy en 1897. AMH, n^o inv. 12380 ; papier, encre, aquarelle ; 101 x 69 cm.

FIG. 71 – Le portail du bras sud du transept dégagé par Viollet‑le‑Duc dans les années 1860. AMH, n^o Inv. 21609 ; papier, encre, lavis ; 54 x 98 cm.

FIG. 72 – Vue du transept dans les années 1840 ; Chapuy et Bachelier. MAHSD ; lithographie de Villemin, imprimée par Lemercier, Paris ; 28 x 37 cm.

FIG. 73 – Fragment de carrelage découvert en septembre 1838 par Debret dans le rond‑point de l’église. AMH, Album Debret, n^o inv. 21739 ; papier, encre, aquarelle ; 52 x 33 cm.

1.11 L’espace liturgique

135Ce paragraphe aborde l’espace intérieur. L’histoire complexe des aménagements liturgiques est retracée par des sources écrites et iconographiques que nous classons dans l’ordre chronologique. En mettant un terme au service du culte, la Révolution a définitivement scellé le sort de ces installations.

1.11.1 De l’abbatiat de Suger à 1610

136Viollet‑le‑Duc a publié dans son « Dictionnaire raisonné de l’architecture française » une restitution du chœur gothique (Viollet‑le‑Duc 1854‑1868, t. III : 232‑233) s’inspirant fortement de la description de Doublet de 1625 (doc. 21). Depuis, les importants travaux de L. Levillain (Levillain 1909a), S. McK. Crosby (Crosby, Blum 1987), E. Panofsky (Panofsky, Panofsky‑Soergel 1979), G.S. Wright (Wright 1974), A. Erlande‑Brandenburg (Erlande‑Brandenburg 1975), E. Brown (Brown 1984), A. Walters (Walters 1986 ; Walters‑Robertson 1991) et E.B. Foley (Foley 1990) ont cherché à restituer le dispositif originel. Ils se fondent principalement sur l’œuvre de Suger, relativement explicite sur la distribution des autels et autres objets mobiliers et sur les livres liturgiques à l’usage du service ordinaire. Pour se rendre compte de l’aspect somptueux de l’ameublement et du mobilier liturgique, il faut se référer aux études pertinentes de B. de Montesquiou‑Fezensac et D. Gaborit‑Chopin (Montesquiou‑Fezensac, Gaborit‑Chopin 1973‑1977 ; Gaborit‑Chopin 1991).

137Nous avons vu que dans l’abbatiale gothique le chœur des religieux comprenait les trois dernières travées de la nef (cf. supra § 1.10), la croisée du transept et le chœur élevé. Dans la nef, il était délimité par un jubé dont l’emplacement, depuis le xiii^e s., est parfaitement connu (fig. 18, 19, 79, 82). En ce qui concerne les états antérieurs du jubé attestés par les sources écrites, de mauvaises interprétations archéologiques ont induit la recherche en erreur : J. Formigé reconnut en effet dans le mur de façade du mausolée (cf. supra § 1.4) les fondations d’un jubé situé entre la septième et la huitième travée de la nef de l’église de Fulrad (Formigé 1960 : 54, 62). Cette assertion est erronée puisque nous venons de voir (cf. supra § 1.5) que ce mur, recoupé par des sarcophages mérovingiens, est bien antérieur à l’église carolingienne. En revanche, il est intéressant de noter qu’entre ce mur et les fondations du jubé gothique le sous‑sol ne semble pas receler d’autre mur de refend susceptible de correspondre à une clôture du chœur. Jusqu’à preuve du contraire, nous proposons de restituer un jubé à l’emplacement de celui du xiii^e s., soit entre la troisième et la quatrième travée de l’église carolingienne (entre la septième et la huitième travée si l’on y ajoute les quatre travées de la nef de raccordement de Suger [fig. 74]). Les fondations puissantes du jubé gothique auraient, dans ce cas, fait disparaître les vestiges de l’état antérieur. S. McK. Crosby envisagea la même hypothèse pour expliquer la présence d’une base de colonne isolée située dans le collatéral nord au niveau de la quatrième travée carolingienne (Crosby 1970).

FIG. 74 – Reconstitution de l’espace liturgique dans l’église du début du XIII^e s.

138Antérieurement au jubé gothique, l’abbatiale semble avoir connu au moins deux clôtures du chœur. Un « mur sombre » divisant la nef carolingienne fut abattu par Suger (Suger, Lecoy de la Marche 1867 : 204, De administrationè). Le deuxième jubé comportait une porte centrale et deux portes latérales ou « portes rouges ».

139Rappelons brièvement la succession spectaculaire d’autels, de croix monumentales et de tombes qui marquèrent l’axe de ce chœur liturgique. Selon la tradition dionysienne, c’est le pape Étienne II qui aurait consacré le 28 juillet 754 l’autel majeur ou grand autel, dédié aux apôtres Pierre et Paul. Dans l’église carolingienne, il s’élevait directement à l’ouest de l’abside dont la crypte abritait les reliques des martyrs ; il a été identifié à l’autel du gazofilacium (cf. supra § 1.2) des sources écrites. Suger le désigne comme autel des Saints‑Martyrs, sanctorum martyrium altaria (doc. 19), autel du saint Sauveur, sancti Salvatoris altare (Suger, Lecoy de la Marche 1867 : 234, De consecratione) ou autel principal, principale beati Dionysii altare (Suger, Lecoy de la Marche 1867 : 196, De administrationè). Charles le Chauve l’avait orné par devant du fameux panneau d’or repoussé et gemmé que Suger fit compléter sur les trois autres côtés. Au‑dessus de la table d’autel s’élevait la croix dite de « saint Eloi » (fig. 75).

FIG. 75 - « La messe de saint Gilles » par le Maître de saint Gilles, vers 1500. Londres, National Gallery ; 45,5 x 61,5 cm .

140À l’ouest de l’autel majeur se trouvait l’autel de la Sainte‑Trinité, sancti Trinitatis altaria (doc. 19) surnommé, à partir du xiii^e s., autel matutinal, altare matutinale, car on y célébrait la première grand’ messe, après prime (Foley 1990 : 191). La tradition l’attribuait à l’abbé Hilduin (cf. supra § 1.7). Entre les deux autels se trouvait la tombe de Charles le Chauve (doc. 19) qui, depuis 1223, était signalée par une dalle de bronze (Erlande‑Brandenburg 1975 : 153). Entre l’autel matutinal et ce tombeau, Suger avait fait placer une autre grande croix attribuée à Charles le Chauve. L’étude d’A. Erlande‑Brandenburg a souligné l’importance de l’autel de la Sainte‑Trinité à proximité duquel furent aussi inhumés Carloman (doc. 19), Hugues Capet, Robert I^er, Constance d’Arles, Henri I^er, Louis VI et son fils Philippe, Philippe Auguste, Louis VIII et Louis IX (doc. 29). S’élevant au milieu de ce « cimetière des rois », il constitua une pièce maîtresse dans les relations qui liaient l’abbaye à la monarchie (Erlande‑Brandenburg 1975).

141À l’ouest se dressait le lutrin en forme d’aigle que Suger avait fait redorer. C’est également dans cette partie du chœur que nous pouvons supposer la présence des stalles de marbre et de cuivre, que l’abbé remplaça par des stalles en bois (Suger, Lecoy de la Marche 1867 : 204, De administrationè).

142Avec la construction du chevet de Suger, le chœur reçut une extension significative vers l’est. C’est là, à la hauteur du deuxième pilier, que l’abbé fit ériger le célèbre autel des Corps‑Saints (fig. 78, 80). Il s’agissait d’une construction en trois parties : devant, la table d’autel ; derrière, le « cercueil » qui abritait les trois châsses d’argent extraites par Suger de la crypte‑martyrium ; au‑dessus, le tabernacle de charpenterie où, pendant la durée des campagnes militaires, restaient exposés les reliquaires sortis du « cercueil » (Montesquiou‑Fezensac 1974 ; Verdier 1982). C’est également auprès de l’autel des Corps‑Saints, ou autel des Saints‑Martyrs, que les rois recevaient l’oriflamme, l’un des insignes les plus sacrés de la royauté, rappelant que le souverain était considéré comme feudataire de saint Denis (Contamine 1975). Devant l’autel s’élevait la croix d’or de Suger qui, avec son pied de cuivre émaillé, mesurait environ 5,50 m de haut (Montesquiou‑Fezensac 1959) ; derrière se trouvait la baignoire de porphyre (fig. 78, 80) qui pourrait être le tombeau primitif de Charles le Chauve (Montesquiou‑Fezensac 1965).

143On se souvient qu’en 1140 Suger avait dédié à saint Hippolyte une chapelle du massif occidental (fig. 34). Moins d’un siècle plus tard, les sources écrites, dont les Vita et actus beati Dionysii de 1233‑1238, nous apprennent que ses reliques reposent dans la nef, en un oratoire situé à l’extérieur du chœur (Liebman 1942). Les annales nous rapportent qu’en 1236 ces reliques furent transférées dans le bras nord du nouveau transept.

144La reconstruction de l’abbatiale au xiii^e s. entraîna le remaniement de la plupart des sépultures. L’ordre séquentiel du tombeau de Charles le Chauve et de l’autel matutinal fut inversé ; désormais, la dalle de cuivre se trouvait à l’ouest de l’autel. Vers le milieu du xiii^e s., on édifia le tombeau de Dagobert I^er (fig. 75) au sud de l’autel majeur, là où le roi, en 639, avait été inhumé sous une arcade, in eadem sancti Dionisii basilica sub arcu in latere dextro (Krusch 1902 : 689). En 1259, les annales de l’abbaye consignent la translation des corps des abbés Adam, Pierre d’Auteuil, Suger (fig. 76b), Henri Troon, Yves et Hugues, dans le bras sud du transept nouvellement construit. Puis, en 1263‑1264 ou en 1267 selon deux sources écrites différentes (Berger 1879 ; Guillaume de Nangis, Géraud 1843), les gisants de seize rois, huit carolingiens et huit capétiens, furent installés entre les piliers de la croisée du transept.

FIG. 76 – Tombeaux de Suger et de Gui de Monceau, abbés de Saint‑Denis, dessinés vers 1700 pour Gaignières.
a – Dalle de cuivre du tombeau de l’abbé Gui de Monceau (1363‑ 1398). BNF, Cabinet des Estampes, Pe 11 a : f^o88.
b – Le tombeau de l’abbé Suger. BNF, Cabinet des Estampes, Pe 11a : f^o83.

FIG. 77 – Croquis de Roger de Gaignières (1642‑1715) montrant la disposition des sépultures entre la chapelle Saint‑Benoît, la porte du cloître et l’entrée du chœur. BNF, ms. lat. 17111 : 377 ; papier, encre ; 28 x 25 cm.

FIG. 78 – « Le vif Portraict de la grand’Eglise saint Denis » (Belleforest 1575 : 285‑286). MAHSD ; gravure sur bois ; 33 x 25 cm.

145Entre 1285 et 1293, on clôtura le chœur d’un nouveau jubé en pierre (Baron 1985) (fig. 79). Il était surmonté, côté nef, d’un pupitre. En 1287, les stalles furent refaites (AN, LL 1240 : f^o 65). Elles étaient au nombre de 100 (50 de chaque côté) dont 58 hautes et 42 basses (doc. 43 et fig. 86). Le siège de l’abbé, au sud de l’autel majeur, et la chaire à prêcher mobile, en bois, ne seront attestés qu’à l’Epoque moderne (Lombard‑Jourdan 1979c). De 1302 à 1303, on refit le pavement entre les deux autels (AN, LL 1240 : f^o284 et 297). À la veille de l’occupation anglaise, Charles VI offrit à l’abbaye la châsse de Saint Louis qui fut montée en 1398 sur un ciborium, derrière l’autel majeur (fig. 75).

FIG. 79 – Vue de l’intérieur de l’abbatiale, par Martellange en 1641. BNF, Cabinet des Estampes, Ub 9 res. Format 5, pl. 12 ; papier, crayon ; 28 x 42 cm.

146Parmi les chapelles ouvertes sur le collatéral nord, signalons celle de la confrérie Saint‑Denis. Elle était infestée de souris en raison du blé qui y était entreposé (BNF, ms. fr. 20851 : f^o214v^o).

147.

FIG. 80 – Planta dalla chlesa di San Dionigi, plan de l’église de Saint‑Denis, par Vincent Scamozzi en 1600. Museo Civico, Vicence, ms.c. 42.

1.11.2 De 1610 à 1792 et les déprédations de la Révolution

148Lors des pillages des xv^e et xvi^e s., ce sont surtout les monuments inamovibles de l’église (autels et gisants) qui subissent les plus grands dommages. De plus, l’espace liturgique est considérablement remanié en 1610, à l’occasion du couronnement de Marie de Médicis. Cet événement inaugure, en quelque sorte, deux siècles pendant lesquels le nombre des cérémonies ira croissant et se traduira par d’autres changements et dégradations, avant que l’édifice tout entier ne subisse les déprédations de la Révolution.

149Il existe à ce sujet d’abondantes sources écrites, dues principalement aux historiens de l’abbaye tels que Jacques Doublet, Michel Félibien, Ferdinand‑Albert Gautier et Germain Poirier. Aussi avons‑nous choisi d’exposer les transformations qui affectent le chœur sous la forme d’une liste de repères chronologiques comportant principalement des citations empruntées à ces auteurs.

1501610 – Démolition de l’autel majeur. L’autel matutinal est également démonté pour lui être substitué ; il devient le maître‑autel ou grand autel (doc. 21).

1511626‑1628 – Démolition de l’autel des Corps‑Saints ; il est remplacé par un nouvel autel (fig. 82, 88a), œuvre du sculpteur Thomas Boudin. « La résolution prise de faire un autre autel, on en dressa d’abord des modeles, avant que d’arrester le dessein de celuy que l’on voit aujourd’huy dans le fond du chevet. Le Prince de Joinville frere aisné de l’abbé Henry de Lorraine fut prié de mettre la premiere pierre du nouvel autel. Il vint à cet effet à Saint‑Denys le seizième d’Avril 1627. L’autel fut consacré le huitiéme d’Avril de l’année suivante par Simon le Gras évêque de Soissons. Dans l’épaisseur du mur par derrière à la hauteur d’environ six pieds on a pratiqué une espece d’armoire où sont enfermées les trois châsses des saints Martyrs. Mais quoique l’autel soit presque tout de marbre & bien exécuté, il faut avouer que la vûë d’un mausolée distingué de l’autel, comme il estoit auparavant, avoir quelque chose de bien plus vénérable. » (Félibien 1706 : 447‑448.)

1521659‑1660 – L’« Etat des réparations... » signale des dépenses pour des travaux de maçonnerie et de marbrerie pour le maître‑autel ou grand autel (AN, S 2384).

1531660 – « Le grand autel refait et le sanctuaire allongé, pavé de marbre noir blanc et decoré d’une balustrade de même matière soutenu de pilastres de cuivre. On a allongé le maître autel de deux pieds et demi et on l’a reculé de six pieds dans le fond de l’église. On a aussi fait deux petits escaliers de pierre derrière le rideau de l’autel pour monter au chevet. » (BNF, ms.fr. 20851 : f^o218.)

1541677 – Pose de la première pierre de l’autel Saint‑Benoît dans le bras sud du transept qui est symétrique à l’autel des pèlerins dédié à sainte Anne dans le bras nord (fig. 84).

1551683 – « (…) le caveau [dit des cérémonies] destiné [depuis 1610] à la sépulture des princes du sang de la branche royale de Bourbon, se trouvant trop rempli pour y pouvoir placer le corps de la Reine [Marie‑Thérèse, épouse de Louis XIV], on fut obligé de travailler à l’agrandir : ce qui ne se put faire sans beaucoup de peine & de risque. Les ingenieurs du Roy qui furent envoyez pour en donner les moyens, firent percer par dessous le chevet à l’endroit où estoit une ancienne chapelle de S. Démetre, un petit corridor de la largeur de trois pieds sur sept de haut. Les ouvriers voutoient à mesure qu’ils avançoient : & dans la poursuite de leur ouvrage ils découvrirent quelques tombeaux dont on ne reconnut que celuy de l’abbé Antoine de la Haye par une inscription qu’on y trouva. Enfin après avoir poussé environ sept toises & demie, les ouvriers arriverent à l’ancien caveau : de sorte qu’il a esté aisé d’y joindre par ce corridor de communication, un caveau spacieux qui occupe aujourd’huy dessous le chevet l’ancienne crypte où estoient autrefois les corps des saints Martyrs. La place est de neuf toises de long sur environ deux toises & demie dans sa plus grande largeur. » (Félibien 1706 : 517.)

156La même année on commence à repaver le chœur élevé (Félibien 1706 : 532‑533) et « on achève en 1692 » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o219v^o).

1571684 – Installation du tombeau de Turenne dans la chapelle Saint‑Eustache (fig. 81).

1581689 – Réparations et ornementation des chapelles de l’église (Félibien 1706 : 533).

1591689‑1693 – « Orgue rétabli presqu’à neuf » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o219‑219v^o).

1601690 – « Poutre qui traverse le chœur ôtée à cause quelle gênoit pour passer le catafalque de Madame la Dauphine » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o219).

1611698‑1709 – Le jubé de pierre est abattu et le chœur entouré d’une grille, réalisée par le ferronnier frère Denis (1658‑1733). Dom Poirier précise la progression des travaux : 1698 « grille de la croisée du côté du cloître » ; 1701 « grille de la croisée du côté nord » ; 1708 « jubé de pierre abattu ; porte en grille chapelles basses du chevet réparé » ; 1709 « grilles du côté de la nef finies elles avoient été commencées en 1702 » (BNF, ms. fr. 20851 : f^o220).

1621710 – Agacé par la présence des armoiries des Bouillon dans la chapelle Saint‑Eustache, le roi ordonne à Robert de Cotte de les supprimer (BNF, Cabinet des Estampes, Hd 135b).

1631721 – À l’occasion de la démolition du mausolée des Valois, les religieux « ont été obligez de faire reconstruire et de parer plusieurs parties du mur de l’église qui avaient été endommagées par le dépérissement des murs de la chapelle des Valois. Et notamment le gros pillier tenant à droite en sortant de la chapelle Notre‑Dame‑la‑Blanche qu’il a fallut reconstruire de toute son épaisseur de pierre dure par assise », rapport de R. de Cotte, N. de Lespine et J. Beausire à la Chambre des Comptes, 25 octobre 1721 (BNF, Cabinet des Estampes, Hd 135b).

1641771 – La même année que l’on effectue le ravalement de l’extérieur de l’église, les frères italiens Pierre et Dominique Borrani entreprennent une restauration de l’intérieur de l’édifice. Gautier dit : « Le trois avril 1771 l’église de l’abbaye fut commencée d’être blanchie par des Italiens, gens très adroits, ils ne se servent que d’échafauds volans, et sont très prompts dans leurs ouvrages. Ils finirent le susdit blanchissage au mois d’août suivant. Ils placèrent aussi à plusieurs endroits qui étoient lézardés des pierres qui manquoient. À la suite du blanchissage de l’église, on retira des côtes de baleine qui étoient d’une grosseur et d’une longueur prodigieuses, elles avoient, je crois, douze à quinze pieds de longueur. Elles étoient placées dans cette église par curiosité, elles étoient posées sur deux boulins ou espèce de tasseaux audessus de la porte de l’orgue à l’entrée de l’église, à droite. Elles furent mises dans ce temps dans les chapelles soutéraines sous le chevet de l’église24. Après le blanchissage de l’église les piliers furent peints en gris, à la hauteur d’environ 3 pieds et demi, 4 pieds. Les grilles du chœur, tant celles de face que des côtés, celles des chapelles du chevet, et celles de la nef furent repeintes en noir, de même que les balustrades de la chapelle St. Denis du chevet, et celles de la chapelle St. Benoît dans la croisée de l’église, au midi, au bas de l’escalier du chevet. » (Gautier : 64.)

1651781 – La multiplication des cérémonies entraîne la forte dégradation des anciennes stalles et du pavement de marbre du chœur. « Dans le cours de février 1781, c’est à dire, pour parler avec plus de précision, le mercredi quatorze susdit mois on commença de travailler à la démolition des anciennes stales, où chaises de choeur, lesquelles disoit on, étoient du temps de Saint Louis, elles paroissaient bien être de ses temps là en effet. Dans l’espace de quatre jours elles furent toutes jetées bas, ayant fini la démolition le samedi 17 février. Ces anciennes stales avoient au dessus de chaque siège une espèce d’arcade dans le goût gothique en forme de mitres, lesquelles arcades étoient saillantes, et elles se trouvoient au dessus de la tête de chaque religieux. La boiserie des dossiers étoit approchant au niveau des grilles du chœur, je crois, si je ne me trompe, un peu plus basse, elle se prolongeoit également le long du chœur jusqu’à la croisée de l’église, elle se terminoit tout droit, et elle reprenoit tout droit en retour devant la grille faisant face au chœur. Cette menuiserie des dossiers des stales ne fesoit pas comme la nouvelle un ceintre ou partie circulaire. La place prieurale qui avoit servi anciennement aux abbés de St. Denis étoit distinguée par une arcade plus grande et plus ornée : il y en avoit une pareille dans le bas des hautes stales côté du midi près la grille. Divers animaux, tels que lions, chiens et autres étoient représentés à différents endroits des susdites stales. L’usage de ses temps là étoit de placer des animaux et des figures mayotines pour décorer les ouvrages en menuiserie ainsi que les tombeaux de marbre. » (Gautier : 128.)

1661792 – Le 14 septembre, les religieux célèbrent le dernier office ; l’édifice devient église paroissiale.

1671793 – « Le lundi suivant 14 octobre, ou le 23 vendémiaire an deux de la République, les portes de l’église de l’abbaye furent fermées, et n’ont plus été ouvertes pour le culte catholique. Les basses messes se sont dites, ainsi que les offices des dimanches et fêtes jusqu’au samedi 16 novembre suivant, inclusivement à l’Hôtel‑Dieu. Il n’y eut par conséquent pas d’office à l’abbaye le jour de l’octave St. Denis, 16 octobre vu les circonstances ci dessus, et d’ailleurs, il n’auroit pas été possible d’habiter l’église dans ces jours, vu la mauvaise odeur qui s’étoit répandue dans toutes les parties de l’église, laquelle fut occasionnée par l’exhumation des différents corps. Plusieurs corps ont été retirés entiers de leurs cercueils, entr’autres Henry IV et M. de Turenne, de manière même à être reconnus. Louis XV et autres furent enterrés dans l’une des fosses communes le mercredi seize octobre 1793, vers les neuf heures du matin. Je suis entré dans l’église ce jour là, peu après que son inhumation définitive fut faite, ainsi, sur cet article, comme sur plusieurs autres, je suis témoin oculaire. » (Gautier : 230.)

1681794 – « Le décadi 20 germinal an deux, ou le 9 avril 1794 (…) attendu les ordres du Comité de Salut public de la Convention nationale qui mit en requisition tous les ouvriers en bâtiment, particulièrement les charpentiers et couvreurs pour travailler à découvrir l’église de l’abbaye, laquelle étoit couverte en plomb, tel qu’il est dit ailleurs. La basse tour où étoient les deux bourdons, et dont le gros y est resté, de même que le clocher de la sacristie d’en bas ou grande sacristie dit le Triangle, étoient aussi couvert en plomb et furent également découverts. Cette opération se fit en quinze jours et peut être moins ayant commencé le samedi 29 mars 1794. A cette époque, l’on n’étoit pas certain si ladite église seroit vendue ou si elle seroit abbatue ou s’y elle serviroit de magazin, elle en a servi depuis. On pensoit alors qu’elle pourroit être vendue en plusieurs lots, dont la démolition auroit été aux frais des acquéreurs, voilà les versions qui se firent dans ces temps là. Heureusement que depuis, elle fut rendue à sa première destination. » (Gautier : 249.)

169Vers le 29 octobre débute le transport des gisants vers le dépôt des Petits‑Augustins à Paris. Selon Gautier, l’édifice sert de « salle de comédie » (Gautier : 380).

1701796 – « Dans le courant de mars 1796 on a commencé de déplacer les magnifiques grilles de l’abbaye de St. Denis. Le mardi 19 avril suivant, j’ai rencontré, à Paris, rue St. Honoré, une partie des susdites grilles chargée dans une voiture ; j’ai toujours ignoré leur destination ultérieure. » (Gautier : 261.)

171La même année « on couvre le monument à moitié de tuiles » (Promenade aux sépultures... 1825).

1721798 – « Le jeudi six septembre 1798, vingt fructidor an VI, j’eus occasion de monter à mon ci devant orgue de l’abbaye pour le faire voir à plusieurs personnes amateurs qui desiroient l’entendre. Il n’etoit plus possible à cette époque de s’en servir, vu l’humidité qui avoit pénétrée partout, attendu que beaucoup de vitraux étoient déplacés ; et la voûte ayant été longtemps decouverte dans cette partie de l’église ou étoit l’orgue (...) » (Gautier : 267).

1731800 – « Le jeudi 20 novembre 1800, ou le 29 brumaire an IX je suis entrée dans l’église St. Denis pour la première fois depuis que les vitraux en ont été retirés. Je suis monté à la tribune où était l’orgue, il ne restoit plus à cette époque qu’une partie de la carcasse du grand corps de l’orgue (...). Ce temple tout dépouillé qu’il étoit, trouvoit encore des admirateurs et étoit encore, quoi qu’en ruines alors, beau à voir : on admire toujours cette hardiesse et cette délicatesse de son architecture. Differens amateurs curieux y alloient journellement et y vont encore tous les jours présentement [1808] qu’on est occupé de sa restauration. » (Gautier : 371.)

1741802 – « Saint‑Denis est désert ; l’oiseau l’a pris pour passage, l’herbe croît sur ses autels brisés ; et au lieu du cantique de la mort, qui retentissait sous ses dômes, on n’entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit découvert, la chute de quelque pierre qui se détache de ses murs en ruine, ou le son de son horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides et les souterrains dévastés. » (Chateaubriand 1978 : 939.)

FIG. 81 – Les chapelles Notre‑Dame‑la‑ Blanche et Saint‑Eustache avec le mausolée de Turenne ; agence Jules Hardouln‑Mansart vers 1684. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93, t. 6 ; papier, encre, aquarelle.
a – Autel Notre‑Dame‑la‑Blanche ; 36 x 40 cm.
b – Plan des deux chapelles ; 36 x 62 cm.
c – Profil des deux chapelles ; 60 x 44 cm.
d – Grille de la chapelle Saint‑ Eustache ; 26 x 34 cm.
e – Autel Saint‑Eustache ; 25 x 33 cm.

FIG. 82 – État du chœur vers 1665 et projet pour la sépulture des Bourbons, par François Mansart. BNF, Cabinet des Estampes, Va 438 ; papier, encre ; 44 x 86 cm.

FIG. 83 – Vue du jubé moderne par Demarne et Fontaines, fin du xviii^e s. Coll, privée, Paris ; huile sur toile ; 61 x 55 cm.

FIG. 84 – Plan de l’église de l’abbaye royale de Saint‑Denis gravé par Inselin en 1705. BNF, Cabinet des Estampes, Va 93, t. 6 ; gravure ; 71 x 48 cm.

FIG. 85 – La statue de Dagobert (XII^e s.) placée dans l’entrée de l’abbatiale (Montfaucon 1729‑1733, t. I : pl. XII). Gravure ; H ; 17 cm.

FIG. 86 – Plan de l’église abbatiale lors de la cérémonie funèbre d’Henriette de France, fille de Louis XV, en 1752. BNF, Cabinet des Estampes, Ve 26g, f^o105 ; papier, encre, lavis ; 41 x 57 cm (détail).

FIG. 87 – Cérémonie funèbre de Marie‑Thérèse d’Espagne, épouse du dauphin Louis, fils de Louis XV, le 5 septembre 1746, par Charles‑Nicolas Cochln, dit le Jeune ; gravure ; 77 x 48 cm.

FIG. 88 – Deux vues par Percler en 1794‑ 1795. Album du musée municipal Antoine‑Vivenel de Compiègne, f^o43.
a – Vue du chœur depuis la nef ; papier, crayon, encre.
b – Vue de la chapelle Saint‑Hippolyte depuis le bras nord du transept ; papier, crayon, lavis.

1.11.3 Ferdinand‑Albert Gautier, un témoin de Saint‑Denis au temps de la Révolution

175Les Archives de l’archevêché de Paris et le Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France conservent chacun un exemplaire du « Supplément à l’histoire de l’abbaye royale de Saint‑Denis en France pour faire suite à celle de dom Félibien… », rédigé à partir de 1808 par Ferdinand‑Albert Gautier, dernier organiste de l’abbaye. Annales plutôt qu’histoire, l’ouvrage n’a jamais été imprimé, mais, très tôt, l’intérêt de ce témoignage sur la fin de l’Ancien Régime et sur la période révolutionnaire a attiré l’attention des chercheurs. François de Guilhermy en avait connaissance. Des extraits significatifs en ont été publiés par Guiffrey d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, rédigé entre 1800 et 1801 (Guiffrey 1874‑1875) et, plus récemment, dans les nombreuses études consacrées à Saint‑Denis par Anne Lombard‑Jourdan d’après la version de l’archevêché, commencée en 1808 et reprise ponctuellement jusqu’en 1823 (Hacqemand 1987).

176Né en 1748, le musicien était le fils de Laurent‑André Gautier, qui occupa de 1750 à sa mort l’emploi d’organiste de l’église abbatiale de Saint‑Denis. Dès l’âge de quinze ans, Ferdinand‑Albert commença à jouer de l’orgue, puis seconda son père et finalement lui succéda. Domiciliés à Paris, en la paroisse Saint‑Eustache, les Gautier disposèrent à Saint‑Denis, dès 1763, d’un petit logement consistant en une « chambre à feu », près de l’orgue, sous la tour sud.

177À Paris, Gautier jouait également à l’église paroissiale Saint‑Leu‑Saint‑Gilles et à la chapelle des religieuses de Saint‑Magloire. Sous la Révolution et jusqu’en 1804, date de sa nomination à la cathédrale de Soissons, il assura le service en l’église Saint‑Leu‑Saint‑Gilles tout en retournant régulièrement à Saint‑Denis pour donner des leçons de piano‑forte. Il était très attaché à l’église abbatiale et, à l’occasion de visites, suivit les premières campagnes de restauration avec le plus grand intérêt ; il consigna ses observations sur l’évolution des travaux dans l’ouvrage qu’il était en train de rédiger, sur des « pages mises en réserve » à la fin du volume, puis sur des feuilles supplémentaires placées avant la page de titre. Ses dernières notices sont datées de 1823, année probable de sa mort.

178Proche de la vie retirée des religieux, Gautier était souvent convié à visiter les bâtiments conventuels, aussi nous en donne‑t‑il, de mémoire, une description très détaillée (doc. 51) ; il évoque également la liturgie des moines, qu’il peut suivre dans ses moindres détails du haut de la tribune de son orgue. En bon musicien, il nous restitue en plusieurs pages la sonorité de son orgue, la sonnerie des cloches de l’abbaye et de celles des églises paroissiales de Saint‑Denis (Lombard‑Jourdan 1994). Ses séjours en ville sont mis à profit pour noter les petits événements du quotidien et, tout particulièrement, les faits divers. L’ouvrage abonde en anecdotes : « Un samedi, ou une veille de fête en allant me coucher à ma chambre qui étoit près de l’orgue sous la tour des bourdons, une trappe, sur laquelle j’étois obligé de marcher pour me rendre à ma chambre étoit ouverte et relevée et adossée à la muraille, et près de ma porte. Mais heureusement pour moi la lumière que j’avois à la main m’a préservé de faire comme Cottin en 1771 à la trappe opposée qui est sous la flèche où. étoient les quatre Mazarines. Je sentis mon pied gauche fléchir plus bas que le plancher : je porte par un heureux hazard la vue sur ma gauche, et je vis cette trappe relevée !… Sur le champ je me jete en arrière, et je fis le tour de la trappe que je rabaissai : rentré dans ma chambre le tremblement me pris et fut saisi de frayeur ! En réfléchissant à l’abîme qui étoit ouvert sous mes pas. Il est vrai que je n’eusse tombé que de la hauteur d’un trou, et que Cottin tomba de la hauteur de deux. II y en avoit assez pour n’en pas revenir en tombant dans l’église sur les pierres des bas côtés au pied de l’escalier de mon orgue. La hauteur des basses voûtes est plus que suffisante pour être moulu. Enfin ! Grâces à Dieu qui me protégea d’une manière toute particulière dans cet instant, il ne m’est pas arrivé de suites fâcheuses dans cet événement qui n’étoit pas loin de m’être funeste. Voilà où. l’on est exposé par l’imprudence des ouvriers. Il est vrai qu’ils pouvoient ignorer que quelqu’un eut là une chambre, et surtout n’étant pas ocupée tous les jours. Ce qui avoit motivé l’ouverture de cette trappe, étoient des charpentes qu’on avoit montées où descendues pour quelques réparations qui se firent à la charpente de la tour des bourdons, et les ouvriers avoient oublié de refermer cette pernicieuse trappe : ils ne présumoient pas que d’autres personnes eussent besoin dans ce canton avant qu’ils n’eussent achevés leurs ouvrages. Aussi, depuis ce temps là lors qu’il m’arrivoit que ma lumière vint à s’éteindre, soit par le vent, qui, quelques fois étoit si grand que je ne pouvois m’en garantir, soient d’autres causes que se puissent être, j’avois toujours le soin d’aller à tâtons, et de faire le tour de la trappe, quoique fermée, dans la crainte qu’elle fusse ouverte. » (Gautier : 65.)

179L’ouvrage de Félibien sert souvent de référence à Gautier, qui n’hésite pas à copier des passages entiers de la description de l’église. Un style narratif caractérise l’écriture de l’organiste, qui demande aux lecteurs « indulgences plénières pour les fautes d’orthographe et autres, ainsi que pour ma narration, que, peut être, trouvera‑t‑on un peu longue » (Gautier : 6).

1.12 La restauration de l’église au xix^e s.

FIG. 89 – Vue de l’intérieur de l’abbaye royale de Saint‑Denis, avant 1805, par B. Howlett d’après un dessin de G. Anderson (Howlett 1812 : pl. V) ; gravure ; 25 x 18 cm.

FIG. 90 – « Vue intérieure de l’abbaye Impériale de St. Denis près Paris. D’après la restauration ordonnée par S.M. l’Empereur », 1810, par Chal. MAHSD ; gravure de Chapuy ; 24 x 29 cm.

180Après la Révolution, l’abbatiale de Saint‑Denis fut l’un des premiers monuments à être restauré. Au cours de ces travaux, qui ont duré plus d’une soixantaine d’années, les programmes ont changé à plusieurs reprises. Trois générations d’architectes se sont succédé sur ce chantier, chacune ayant sa propre conception de la restauration ; elles ont laissé leurs marques spécifiques sur l’édifice.

181Pour notre connaissance du monument actuel, l’étude de ces travaux est indispensable. Aussi, depuis la monographie de Guilhermy, les études réservent‑elles une part plus ou moins importante à ce dossier (Guilhermy 1848 ; Vitry, Brière 1925 : 34‑49 ; Crosby 1942 : 7‑12 ; Bruzelius 1985 : 14‑32 ; Crosby, Blum 1973 ; 222‑232). L’histoire de ces travaux reste cependant à écrire. Elle devra se fonder sur l’analyse d’une documentation abondante aujourd’hui dispersée dans différents fonds : archives, bibliothèques et collections particulières. L’inventaire détaillé des plans conservés aux Archives des Monuments historiques effectué par H. Losowski (Losowski 1984) doit être étendu à d’autres fonds : Centre de recherche sur les Monuments historiques, Archives nationales, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, etc.

182Parallèlement, une récente étude historique s’est penchée sur la personnalité des restaurateurs, notamment celle de Debret et de ses principaux détracteurs que furent Guilhermy et Didron (Leniaud 1993 ; Leniaud 1996).

183Rappelons brièvement la chronologie de ces travaux.

1841802 – « En 1802, an X, suppression du théâtre par la vente des décorations et autres accessoires. Cette salle de comédie a duré approchant huit années. » (Gautier : 380.)

1851805 – Napoléon I^er, souhaitant établir sa sépulture à Saint‑Denis, confie les travaux de restauration de l’église à un éminent architecte parisien, Jacques Legrand. Il s’agissait d’abord de rétablir la toiture et les verrières. L’idée de Legrand était de transformer l’église en un monument funéraire en utilisant du marbre, du stuc et de la peinture noire.
« Dès le mois de mars (...) et d’après ordres donnés par la [sic] Majesté l’Empereur, on commença de recouvrir l’église en ardoises ainsi que le toit de la tour des bourdons. Nota, les croisées des galeries furent bouchées au lieu d’être éclairées par des vitraux comme cela existoit cy devant. L’intérieur des galeries fut peint en noir pour faire ressortir les petits piliers des susdites galeries. La charpente de la toiture de l’église fut bien moins haute que du temps de la couverture en plomb. Vers le mois d’octobre 1805 on procéda au rétablissement des roses et des grands vitraux dans toute l’étendue de l’église : on commença de placer les vitraux du rond point du chevet, les trois du fond d’abord, et successivement les autres parties de l’église. » (Gautier : 259‑260.)

1861806 – Le 19 février, un décret de Napoléon I^er instaure un chapitre impérial, composé d’évêques, qui assurerait de nouveau un service liturgique permanent (fig. 99).
« Au mois de mars 1806 le chevet fut terminé ainsi que la partie de la croisée de l’église du côté du midi, de même que la première croisée du chœur du même côté, ainsi que la rose du côté du midi.
« C’est dans cet état qu’en étoient les choses lors que je les vis le 6 mars 1806 ; depuis je revis l’église, et alors, tous les vitraux étoient posés. Ces vitraux sont fort beaux, ils sont en verres blancs ornés de bordures de couleurs ; on y aperçoit dans les deux grandes roses de la croix de l’église, des croix de la Légion d’honneur et des étoiles ; ce qui fait assez connoître le temps où cette église fut restaurée par les soins de l’Empereur Napoléon le Grand. (...)
« Dix ouvriers vitriers étoient occupés à préparer les verres propres à la construction des nouveaux vitraux de l’église de St. Denis ; une partie des susdits ouvriers occupoit la chambre que j’avois à l’abbaye près de l’orgue sous la tour des bourdons ; d’autres occupoient le même emplacement sous la flèche ou grand clocher pendant le tems que durèrent leurs travaux. Cette entreprise étoit considérable. On estime à cent mille francs la dépense relative aux vitraux. On a ouvert une porte dans ma chambre en deçà de la trappe dont j’ai parlé, l’ancienne étoit au delà de la susdite trappe. Des petits fours ou fourneaux furent pratiqués dans cette grande cheminée de ma susdite chambre pour les opérations relatives au vitrage des croisées de ladite église. » (Gautier : 260.)
Dans la crypte, Legrand fait entourer les murs extérieurs du caveau de niches en cul‑de‑four reliées aux colonnes isolées du déambulatoire (cf. supra § 1.8) et dans le chœur supérieur « il s’agit de remplacer six colonnes en marbre qui ont été enlevées vers le fond du chœur de l’église, celles destinées à les suppléer ont été prises au musée des Monuments français ; les chapiteaux et bases doivent être refaits à neuf en pierre et les autres colonnes en pierre anciennes qui terminent le pourtours des bas côtés du chœur doivent être revêtues de stuc noir pour s’accorder avec celles en marbre », Petit‑Radel « Rapport du 18 décembre 1806 fait au Conseil des bâtiments civils » (AN, F¹³1293 ; cf. supra § 1.9.5).

1871807 – Décès de Legrand ; le 26 novembre, Jacques Cellérier est nommé à sa place. Il dirige les travaux jusqu’en 1813. C’est principalement à cet architecte que l’on doit, en 1808, une première série de bases de piliers incrustées, puis le relèvement par étapes des sols dans tout l’édifice, suivi de l’incrustation de nouvelles bases. Les marches du sanctuaire connaissent deux états successifs. Les accès à la crypte sont modifiés : la descente aux caveaux est placée dans les chapelles du transept. À l’ouest une nouvelle tribune d’orgue est construite. Enfin, on adjoint à l’église, côté chevet, une nouvelle sacristie et le long du collatéral une nouvelle chapelle.

1881811 – « Le mardi dix neuf mars 1811 je fus à St. Denis pour voir où en étoient les travaux de l’église. À cette époque l’autel du chœur étoit en place ainsi que les stales, lesquelles sont placées au chevet de l’église ; le sanctuaire et le chœur sont carrelés en marbre de diverses couleurs, toute la nef est recarrelée à neuf en pierre de liais. Une jolie balustrade en marbre blanc ferme le sanctuaire, cette balustrade est toute basse, les portes sont en fer doré (...). La nouvelle sacristie est magnifique, elle est décorée d’une superbe boiserie, dont divers panneaux doivent recevoir des tableaux. » (Gautier : 467.) En 1815, Gilbert confirme ce premier état des marches (fig. 90). Le 5 août, l’empereur visite le monument, il est mécontent de la lenteur des travaux.

1891812 – Les marches du sanctuaire sont refaites et l’on commence à relever le sol de la nef. D’autres travaux de restauration ont lieu dans la crypte (fig. 24).

1901813 – « Je vis une partie de la nef et des collatéraux exhaucés de cinq marches, lesquelles sont en marbre (...) ; cet exhaussement occupe les trois arcades qui terminent la nef à la croisée de l’église. L’entrée de la nef est par conséquent plus basse de cinq degrés (...) ; la partie élevée de la nef est pavée de pierre de liais et petits careaux bleus, le bas l’est seulement en pierre de liais. » (Gautier : feuilles supplémentaires A.)

191Le 11 juin, l’architecte François Debret, accompagné de Cellérier, vient pour la première fois à Saint‑Denis (BHVP, NA ms. 84 : 61). Il dirigera les travaux jusqu’en 1846. Dans un premier temps l’architecte se préoccupe surtout de la chapelle neuve.

1921814 – Rétablissement du caveau des Bourbons (fig. 28).

1931817‑1820 – Les tombeaux du musée des Monuments français sont transportés à Saint‑Denis. Le tombeau de Dagobert est remonté dans le narthex (fig. 53).

1941818 – On jette les fondations d’un nouveau bâtiment du trésor (fig. 108).

1951832 – Restauration de la chapelle Saint‑Louis (fig. 146).

1961833 – D’importants crédits (1 350 000 F) permettent à Debret de réaliser la grande réfection de l’extérieur de l’église, l’élargissement du fossé entourant le chevet et la suppression des toitures sur les chapelles et collatéraux au profit d’un dallage de pierre qui permit de démasquer le triforium.

1971837 – Le 9 juin, la foudre tombe sur la flèche (fig. 45).

1981837‑ 1838 – Réparation de la flèche.

1991838‑ 1841 – Restauration de la façade et des roses du transept.

2001843 – Les chanoines prennent possession de la chapelle neuve ou chœur d’hiver.

2011844‑1845 – La charpente de Legrand est remplacée par un comble métallique.

2021846 – Démontage de la flèche. Durant l’été, Debret se retire du chantier de Saint‑Denis. Félix Duban, beau‑frère et élève de Debret, est sollicité pour poursuivre les travaux mais il refuse.

203Depuis le 14 novembre 1846 et jusqu’en 1879, la restauration de l’abbatiale est conduite par Eugène Viollet‑le‑Duc. La première tâche de l’architecte consiste à démonter la tour nord (doc. 17). Puis Viollet‑le‑Duc commence la restauration de l’intérieur de l’édifice.

2041847‑1848 – Viollet‑le‑Duc supprime dans la crypte (doc. 10) et dans les chapelles du déambulatoire (doc. 18) les décorations qui s’y sont accumulées durant la première moitié du xix^e s. Dans la crypte est mis au jour un système d’arcatures (fig. 26) et, dans les chapelles, la suppression du carrelage de Legrand permet de retrouver l’emplacement des autels. Faute de moyens financiers suffisants, les travaux progressent lentement.

2051859 – Viollet‑le‑Duc établit, sur l’ordre de Napoléon III, un caveau destiné à recevoir les tombes de la famille impériale (fig. 30).

2061860 – Le devis général de la restauration de l’édifice est accepté, à l’exception de la reconstruction du massif occidental (fig. 102). Les travaux concernent l’abaissement du sol dans le reste de l’édifice, excepté dans le narthex. Restitution de la disposition ancienne des escaliers et accès à la crypte et au chœur élevé. Les tombeaux et gisants sont réinstallés dans le transept. Rétablissement du maître‑autel et de l’autel des Saints‑Martyrs dans le rond‑point du chœur.

2071872 – On démolit la chapelle neuve ; à son emplacement est construit le calorifère (fig. 70).

2081875 – Le 10 octobre, l’église est rendue au culte.

2091879 – Décès de Viollet‑le‑Duc.

FIG. 91 – « Vue du chœur, prise de l’une des arcades latérales » (collatéral nord), par Chapuy vers 1823. MAHSD ; lithographie de Delpech ; 18 x 26 cm.

FIG. 92 – Vue du déambulatoire depuis le collatéral nord. BNF, Cabinet des Estampes, Ve 26g : f^o113. ; papier, encre ; 29 x 37 cm.

FIG. 93 – Vue de la nef prise sous la nouvelle tribune de l’orgue dans les années 1840, par Guesdon. MAHSD ; lithographie imprimée par Lemercier pour le « Moyen Âge monumental et archéologique », Paris ; 22 x 31 cm.

FIG. 94 – Coupe longitudinale de l’église vers 1838, par Debret. AMH, Album Debret, n^o inv. 5848 ; papier, encre ; 65 x 48 cm.

FIG. 95 – « Vue de l’une des portes latérales, côté du midi », par Chapuy vers 1823. MAHSD ; lithographie de Delpech ; 13 x 20 cm.

FIG. 96 – Plan partiel de l’église vers 1810. AN, N III Seine 1170 ; papier, encre, aquarelle ; 44 x 35 cm.

FIG. 97 – Vue en coupe de la surélévation du sol que fit Cellérier dans la première travée du chœur, à l’emplacement de l’abside carolingienne, par Viollet‑le‑Duc vers 1859.
a – Coupe longitudinale et plan du côté sud. AMH, n^o inv. 23337 ; papier, encre, lavis ; 62 x 47 cm.
b – Coupe longitudinale et plan du côté nord. AMH, n^o inv. 23336 ; papier, encre, lavis ; 61 x 72 cm.

FIG. 98 – Incrustation des bases dans la nef et la croisée du transept, du côté de la chapelle Saint‑Hippolyte, examinées par Viollet‑le‑Duc en 1847.
a – CRMH, n^o inv. 1520 ; papier, encre, lavis ; 96 x 65 cm.
b – AMH, n^o inv. 6189 ; papier, encre, aquarelle ; 103 x 66 cm.

FIG. 99 – Projet d’une « maison abbatiale », par Debret en 1817. AMH, Album Debret, n^o inv. 5782 ; papier, deux rabats, encre, aquarelle ; 31 X 47 cm.

FIG. 100 – Projet de décoration de la façade, proposé par Debret le 16 mars 1837. AMH, Album Debret, n^o inv. 5862 ; papier, encre, lavis ; 40 x 33 cm.

FIG. 101 – Portail de l’abbatiale, par Chapuy en 1843. MAHSD ; lithographie de Deroy ; 27 x 41 cm.

FIG. 102 – Projet de l’église impériale de Saint‑Denis, en 1860, par Viollet‑le‑Duc
a – Façade, CRMH, n^o inv. 1191 ; papier, encre, aquarelle ; 61 x 95 cm.
b – Plan, CRMH, n^o inv. 1190 ; papier, encre, lavis ; 60 x 89 cm.

FIG. 103 – Les travaux de l’abbatiale en 1833 par Adrien Dauzat. Musée de l’Île‑de‑France à Sceaux, n^o inv. 66.10.1 ; huile sur toile ; 50 x 64 cm.

FIG. 104 – Attachements de la restauration de la façade entre 1838 et 1840. AMH ; papier, encre, aquarelle ; 66 x 51 cm chacun.
a – Attachement pour la galerie des rois creusée dans la masse, 1840. AMH, n^o inv. 60362².
b – Attachement de la face ouest de la tour nord, arcades supérieures, 1838. AMH, n^o inv. 60350¹⁷.
c – Attachement de la face ouest de la tour nord, arcades inférieures, 1838. AMH, n^o inv. 60350¹³.
d – Attachement de la façade (chapelle haute) sous la tour nord, 1839. AMH, n^o inv. 60356¹.
e – Attachements des portails nord et sud, 1840. AMH, n^o inv. 60362³.

cl. P.M./ ADSSD

FIG. 105 – « Vue de l’abbaye », d’après Chapuy dans les années 1840. MAHSD ; lithographie de Rouargue ; 28 x 39 cm.

FIG. 106 – Projet de comble en fer, par F. Debret, le 4 septembre 1842. AN, N III Seine 1170 ; papier, encre, aquarelle ; 44 x 58 cm.

FIG. 107 – Projet de comble en fer, la « grande ferme de noue », en 1843, par F. Debret. AMH, Atlas des combles en fer de l’église royale de Saint‑Denis », n^o inv. 6195 ; papier, encre, aquarelle ; 67 x 50 cm.

FIG. 108 « Église royale de Saint‑Denis, état du monument au 12 avril 1833 ». AMH, Album Debret, n^o inv. 5844 ; papier, encre, aquarelle ; 28 x 46 cm.

FIG. 109 – Le plan de l’église, avec les nouveaux vocables des chapelles, publié par Guilhermy en 1848 (Guilhermy 1848) ; gravure ; H : 15 cm.