1Dans le cadre historique de la France et de l’Europe médiévales, l’importance de l’abbaye de Saint‑Denis en tant que centre religieux, culturel, artistique, socio‑économique et même politique est une évidence. De surcroît, l’abbaye fut le moteur du développement d’une agglomération à caractère urbain aux phénomènes de formation complexes.

Une histoire de l’espace urbain

2Le présent ouvrage témoigne de l’intérêt très actuel porté par l’archéologie à l’histoire de l’organisation de l’espace, qu’il soit rural ou urbain, et l’étude du site de Saint‑Denis permet précisément de comprendre le passage de l’un à l’autre. La problématique développée dans ces pages s’intégre donc à une recherche qui, depuis ces vingt dernières années, a fait de la topographie –et en particulier de la « topographie chrétienne »– un sujet particulièrement riche de résultats et qui a abondamment illustré la manière dont le christianisme s’était inscrit de façon dynamique dans le paysage. Ce livre prend donc place aux côtés de nombreuses publications qui feront de la fin du xx^e s. une période marquante pour l’historiographie dans un domaine où la recherche a contribué à rapprocher enfin, dans un dialogue fécond, historiens et archéologues de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge. Dans le cas de Saint‑Denis, il faut rendre hommage à ceux qui, les premiers en France, avec une conscience qui s’est précisée peu à peu, ont saisi l’occasion, dans des circonstances au départ difficiles, de rattacher à son environnement, de la manière la plus complète possible, ce qui était jusqu’ici simplement, pourrait‑on dire, un « monument ». On connaît l’importance du terme « environnement » dans le discours contemporain qui l’utilise à tout propos : l’ouvrage reflète donc bien une préoccupation de notre temps. Il ressort désormais de ce monument une image différente, renforcée, plus sensible et, de ce fait même, plus significative.

3C’est de cette notion d’espace qu’est issu le titre de l’ouvrage, un atlas, dont le plan n’est que la conséquence d’un parti pris accordant à la géographie historique la primauté sur la simple durée dans son déroulement chronologique et linéaire, durée que les volumes suivants auront sans doute l’occasion de mieux cerner. Partant d’un point d’origine, la tombe, l’ouvrage se développe en ondes concentriques, pour intégrer la basilica, le cimetière, la famille d’églises et le monastère, le bourg monastique et la ville, enfin. Les étapes successives de fortification qui s’inscrivent dans le paysage comme autant de cercles autour de l’abbaye peuvent servir d’argument pour asseoir convenablement la métaphore.

4A Saint‑Denis, l’étude de ce phénomène de genèse urbaine revêt d’ailleurs un caractère exemplaire dans la mesure où elle permet de s’interroger sur la définition et la formation d’une ville au cours du haut Moyen Âge. Il se trouve que Saint‑Denis est une sorte d’archétype pour d’autres constitutions urbaines. La basilique, puis l’abbaye sont le centre de ce qui représente pour le Moyen Âge la première forme que prennent les villes nouvelles, appelées à modifier ou compléter le réseau des agglomérations héritées de l’Antiquité. L’exemple montre comment une telle agglomération est susceptible de se développer de manière autonome, sans se conformer au cas plus habituel des basiliques et des abbayes suburbaines constituant encore des noyaux dans l’orbite des cités. Mais peut‑être Saint‑Denis représente‑t‑il encore à cet égard un cas limite qui profite de la proximité de Paris, cité à laquelle la rattache la personnalité de celui qui y fut, croyait‑on, inhumé. Les résultats de ce travail engagent donc à la réflexion sur ce qu’était la ville du haut Moyen Âge, période pendant laquelle la création d’une agglomération est susceptible de reposer en premier lieu sur une fonction religieuse à côté de laquelle l’économie et le pouvoir prennent peu à peu leur place. L’illustration de l’importance de l’église dans la genèse des concentrations d’habitat, villages ou villes, est sans doute l’un des acquis récents de l’archéologie du haut Moyen Âge, au travers de recherches dont les conclusions sont encore en cours de formulation.

Un chantier école de l’archéologie médiévale

5L’étude réalisée à Saint‑Denis occupe une situation particulière dans l’histoire de l’archéologie médiévale métropolitaine. L’entreprise a marqué un moment important dans le développement de ce qui était encore une discipline jeune. Elle illustre en particulier le passage d’une archéologie médiévale, dont les centres d’intérêt étaient restés essentiellement ruraux, à une discipline qui s’attachait désormais aux problèmes urbains, ce qui entraînait simultanément un changement d’échelle considérable anticipant sur les problèmes que posent les interventions actuelles dans les centres urbains, tout en y préparant la communauté scientifique : problèmes de disponibilité et de stabilisation des chercheurs ; problèmes d’organisation matérielle des chantiers ; enfin, problèmes, plus scientifiques ceux‑là, concernant l’enregistrement d’abondantes masses de données et leur interprétation. L’entreprise fut donc un moment important pour l’acquisition des méthodes, puis pour leur diffusion. À de multiples égards donc, le chantier de Saint‑Denis a été un chantier école pour l’archéologie médiévale ; il l’a été aussi par l’accueil d’étudiants et de stagiaires venus du monde entier. L’« Atlas historique de Saint‑Denis » reprend cette valeur pédagogique : il représente un modèle illustrant l’importance des données documentaires exigées de toute fouille, et qui, utilisées pour la seule interprétation, demeurent souvent une partie non visible de la recherche. Il paraissait intéressant de montrer cette nécessité documentaire qui démontre, si besoin est, que l’archéologie n’est pas une simple technique.

De l’archéologie « en ville » à l’archéologie « de la ville »

6Pour en revenir au cadre précis de l’intervention archéologique, il faut maintenant considérer que les profonds bouleversements sociaux, économiques et démographiques des xix^e et xx^e s. ont modifié de fond en comble le tissu urbain de Saint‑Denis. En fait, seules quelques traces difficilement décelables du monde médiéval et de rares monuments des Temps modernes témoignent encore du passé de ce qui fut un bourg abbatial, puis une ville. Mais, tout comme la grande majorité des paysages européens urbains ou ruraux, la ville de Saint‑Denis est aussi un palimpseste au sens propre du terme. Si les générations successives de Dionysiens ont chacune laissé leur empreinte sur la ville, les traces de leur passé n’ont pas été totalement oblitérées : cachées dans le sol, dans le tracé des rues et du parcellaire, dans le bâti, mais aussi menacées par les dynamiques de la société actuelle, celles‑ci attendent de refaire surface sous forme de données et d’images en tous genres, grâce au travail patient des archéologues et des historiens. Détecter et sauver ce patrimoine si riche d’informations mais aussi si fragile, éphémère et menacé, est une tâche de longue haleine requérant des efforts constants, non seulement de la part des chercheurs, mais aussi de celle des autorités municipales, régionales et nationales. Comme en témoigne l’émergence de l’archéologie urbaine en Angleterre et en Allemagne, dès les années 50 et 60, ce n’est qu’au cours des dernières décennies que la société s’est lentement rendu compte de l’importance de cette tâche.

7Dans la majorité des pays de l’Europe du Nord‑Ouest, les années 70 ont vu la mise en place progressive d’une archéologie urbaine acceptée et reconnue comme partie intégrante de la rénovation urbaine, avec la création de multiples unités de recherches archéologiques –notamment dans les villes anglaises (Londres, York), allemandes (Lübeck), néerlandaises (Amsterdam, Utrecht, Bois‑le‑Duc) sans oublier le monde Scandinave– toutes occupées d’abord à sauver le patrimoine archéologique urbain d’une érosion sans relâche pour ensuite convertir, presqu’imperceptiblement, l’ancienne archéologie « en ville » en une nouvelle archéologie « de la ville », où les multiples facteurs du phénomène urbain – et ce dernier dans son ensemble – prennent le pas sur l’étude de monuments individuels.

Vingt ans de fouilles : un fonds documentaire inestimable

8En France, Saint‑Denis fut parmi les premières villes où le patrimoine archéologique urbain reçut une attention plus systématique et plus poussée : dès 1973, les autorités acceptaient de prendre en compte les contraintes archéologiques dans la grande zone de rénovation urbaine du centre ville. Depuis, les efforts d’une équipe d’archéologues et de bénévoles ont conduit à plus de deux décennies de fouilles, de sondages, de contrôles et d’observations archéologiques presque ininterrompus, dont a résulté un fonds documentaire nouveau et d’une valeur inestimable. Les interventions se situent dans leur quasi‑totalité à l’intérieur du périmètre décrit par les remparts médiévaux et, tout comme dans la majorité des centres urbains en Europe, elles ont été plutôt initiées par les aménagements urbains récents, dont elles ont suivi les contingences, que par des problématiques historiques et archéologiques. Néanmoins, certaines zones cruciales du centre ancien, et surtout celle située au nord de la basilique, ont été soumises à des investigations intensives, fournissant des données que seule l’archéologie était en mesure de produire.

9Ces vingt ans de travaux de terrain signifient aussi que la ville de Saint‑Denis figure actuellement parmi les centres urbains les mieux documentés du point de vue archéologique en Europe du Nord‑Ouest. En effet, il ne faut pas oublier que, malgré l’essor important de l’archéologie urbaine, seule une partie assez limitée du patrimoine archéologique urbain a été étudiée jusqu’ici. Rares sont les centres urbains dont plus de 5 % de la superficie a été fouillée systématiquement, et même dans les villes les mieux documentées comme Londres, York ou Lübeck, de nombreux sites restent à fouiller avant que l’on puisse aboutir à des conclusions définitives concernant les multiples aspects de l’évolution physique et matérielle si complexe de ces sociétés urbaines. Saint‑Denis ne fait pas exception à cette règle. Mais il ne dépare certainement pas le palmarès de l’archéologie urbaine européenne, puisque l’échantillonnage pratiqué jusqu’ici concerne environ 12 % de la superficie de la ville médiévale, dont 2 % ont fait l’objet de fouilles systématiques et 10 % de terrassements avec contrôle archéologique. En outre, cet échantillonnage incorpore aussi bien des zones de première importance pour notre connaissance de l’émergence et du développement de l’agglomération, tel le quartier situé au nord de la basilique, que des sites représentatifs des autres aspects de la vie urbaine médiévale et postmédiévale.

10De tels efforts soutenus sur la longue durée conduisent tout naturellement à constituer un fonds documentaire archéologique dont la richesse et la diversité, mais aussi la complexité, ne sont plus à mésestimer. Un tel fonds comprend non seulement les informations concernant le bâti et la stratigraphie enregistrés sur le terrain mais aussi tout le matériel archéologique recueilli (objets, indices environnementaux). Les données ainsi rassemblées documentent tant l’évolution topographique, l’organisation spatiale et le bâti de l’agglomération que les nombreuses autres composantes de la culture matérielle de ses habitants. Cette dernière reflète directement ou indirectement les multiples mécanismes du comportement humain, les nombreux liens existant avec d’autres régions ainsi que le contexte socio‑économique et culturel des époques en question. Et comme chaque ville est en fait un microcosme très complexe et dynamique, les thèmes concernés sont multiples et d’importance majeure : espace religieux, espace du pouvoir, espace civil public et privé, avec tout ce que cela signifie en termes de vie sociale, économique, commerciale et culturelle. De nombreuses villes européennes où l’archéologie urbaine a pris pied disposent maintenant d’un tel fonds documentaire que l’on peut raisonnablement qualifier d’« archives » au sens propre du terme. Leur importance est capitale, car elles offrent de nombreuses informations nouvelles que très souvent seule l’archéologie est à même de fournir. Là encore, Saint‑Denis ne fait pas exception à la règle.

Une gestion exemplaire des « archives du sol »

11Ces « archives » posent néanmoins de nombreux problèmes pratiques. En effet, l’expérience montre qu’elles requièrent une gestion continue des plus strictes et des plus systématiques et ce, tout au long d’une opération archéologique, à savoir du début des travaux de terrain jusqu’à l’exploitation des données. À l’encontre des espérances de certains qui croyaient que le phénomène de « l’érosion de l’histoire » s’estomperait avec le temps, les dynamiques de la société actuelle génèrent toujours la perte d’un patrimoine irremplaçable. Dans une grande majorité de cas, l’archéologie urbaine ne peut ni ne doit peser sur la société actuelle au point d’empêcher cette dernière de se développer conformément aux exigences de la vie moderne. Cela implique que l’information recelée dans la texture urbaine soit au moins enregistrée et donc sauvée pour les générations futures. D’où le besoin impérieux d’une gestion poussée non seulement de ce patrimoine archéologique urbain, mais aussi des « archives » archéologiques qui sont sans doute amenées à s’accroître considérablement. Par ailleurs, ces « archives » sont elles‑mêmes soumises à des phénomènes d’érosion progressive que seule peut contrecarrer une gestion rigoureuse, y compris sur le plan de la conservation. C’est grâce aux efforts de la municipalité de Saint‑Denis et au soutien de l’État qu’a pu se mettre en place puis se consolider une équipe archéologique de qualité ; de plus, grâce à l’expérience et la compétence de ses responsables, l’archéologie de Saint‑Denis peut de toute évidence prendre place parmi les meilleurs exemples européens.

12À l’instar des archives traditionnelles, le travail de terrain et les « archives archéologiques » qu’il produit ne prennent de réelle valeur qu’une fois exploités de manière systématique avec des résultats publiés et par conséquent accessibles, permettant d’utiliser ce fonds documentaire pour poser de nouvelles questions et définir de nouvelles approches. Trop nombreux sont encore les exemples de fouilles, en milieu urbain comme ailleurs, qui n’aboutissent pas à ce type de résultat. Le phénomène est compréhensible : combinés avec les pressions d’une gestion continue du patrimoine urbain, le temps et les moyens disponibles ne sont pas toujours suffisants. Cependant, même si elle peut être justifiée par les circonstances, la fuite en avant dans la fouille ne constitue pas nécessairement une bonne réponse au problème. En effet, même si l’on peut espérer que les « archives » seront un jour exploitées, rien ne le garantit et cela comporte des risques. Pour des raisons évidentes, il est souhaitable que les personnes directement concernées par les travaux de terrain effectuent au minimum une première mise en forme des données aussi rapidement que possible. Par ailleurs, une telle valorisation présente souvent un avantage indéniable : elle permet de mieux évaluer le potentiel de ce qui reste à sauver et donc de développer une stratégie de recherches et de priorités cohérente et utile, tant du point de vue de la gestion que de celui de la recherche.

La confrontation de l’archéologie et de l’histoire

13Publier les résultats de près de deux décennies de recherches n’est pas une tâche facile et, dans le cas de l’archéologie urbaine en Europe du Nord‑Ouest, les difficultés sont encore exacerbées par les relations souvent assez problématiques qu’entretient l’archéologie avec sa sœur aînée, l’histoire. De nos jours, la majorité des historiens admet volontiers que l’archéologie puisse apporter des informations tout à fait nouvelles et indispensables à la compréhension du phénomène urbain, notamment pour les périodes moins bien documentées par les sources traditionnelles. Plus rares encore sont ceux qui perçoivent le potentiel de cette archéologie pour les époques plus récentes, c’est‑à‑dire à partir des xii^e‑xiii^e s. À l’inverse, l’archéologie peut et doit offrir des interprétations nouvelles et rénovatrices du passé, mais elle n’est capable de le faire de façon satisfaisante qu’en utilisant non seulement ses propres sources mais aussi les informations contextuelles fournies par les sources historiques traditionnelles. L’archéologue a donc besoin d’autant de données historiques que possible. Ces dernières reflètent souvent le même passé et parfois, pas toujours, les mêmes mondes ; mais parce qu’elles ont été créées dans des buts bien précis et étaient destinées aux contemporains, elles ont, sur le monde auquel elles appartiennent, des vues différentes des nôtres. D’où l’intérêt de la confrontation entre archéologie et histoire. Par ailleurs, de par sa nature même, la documentation archéologique est déjà très fragmentaire et, en archéologie urbaine, les contraintes imposées par les dynamiques sociales et par l’habitat existant rendent les problèmes d’interprétation souvent très épineux. Enfin, chaque fouille amène souvent autant de questions nouvelles qu’elle apporte de réponses concluantes, car les découvertes archéologiques révèlent la plupart du temps de multiples informations largement insoupçonnées, illuminant des aspects de la vie et du comportement humain moins bien –ou même pas du tout– documentés par les sources historiques ou encore, fournissant des images différentes –ou du moins différentes en apparence– de ce que ces sources traditionnelles nous racontent. Il y a donc suffisamment de raisons pour ne pas introduire un divorce entre l’histoire et l’archéologie, même si cette dernière ne doit pas non plus négliger d’autres approches comme par exemple celles de l’anthropologie sociale. Cela est particulièrement vrai dans le cas de l’archéologie médiévale et postmédiévale et vaut encore plus pour l’archéologie urbaine de ces périodes.

14Dans la pratique, l’évolution topographique et spatiale des centres urbains, ses mécanismes et ses causes, ainsi que les développements fonctionnels qui l’accompagnent constituent autant de champs d’investigation privilégiés de l’archéologie urbaine. La littérature européenne récente montre que ce monde de « l’immobilier », y compris le parcellaire et le bâti urbains, prend souvent le pas sur d’autres questions et notamment sur celles liées au mobilier archéologique. Cela s’explique autant par la nature des restes mis au jour par les fouilles que par les questions, par ailleurs tout à fait légitimes, traditionnellement posées par les historiens du phénomène urbain. Mais, trop souvent peut‑être, les archéologues se contentent des seuls indices archéologiques, ne tenant compte des données historiques que de manière assez superficielle. Il est vrai que ces dernières années, on a pu constater une amélioration sensible dans ce domaine ; en témoignent les progrès faits par exemple en matière d’« archéologie du bâti », à savoir les constructions partiellement en élévation en Allemagne, en Angleterre, aux Pays‑Bas, en Flandre et depuis quelque temps aussi en France.

La réconciliation de l’archéologie et de l’histoire de l’art

15Il est une autre affaire de famille qu’un tel atlas permet d’aborder, celle des rapports toujours sensibles entre archéologie et histoire de l’art. Comme d’autres grands chantiers contemporains concernant des monuments et leur environnement, ce type d’approche montre la nécessité d’une étude en continu du sous‑sol et des élévations, ce que, au‑delà des déclarations de principe, il n’est pas toujours facile de rendre effectif. Cet ouvrage plaide pour une réconciliation au sein d’une histoire globale du monument ou du site. Pour cela, il faudrait que l’archéologie ne soit pas considérée, au mieux, comme une technique ou, au pire, comme une pratique physique. Il faudrait aussi que l’archéologue ne s’intéresse pas seulement au sol ou aux successions de sols, mais sache regarder les élévations sans crainte ou sans complexe, muni d’une culture suffisante. Au‑delà, ne serait‑il pas nécessaire qu’une considération réciproque rapproche tous ceux qui ont l’occasion d’aborder le « bâti », qu’il s’agisse de l’étudier, de le restaurer ou de le « gérer » ? Aucune de ces phases d’une même approche ne doit fonder un impérialisme, face au respect dû à une image bien comprise d’un patrimoine dont il serait dangereux qu’il se trouve approprié.

Un premier volume suivi de nombreux autres

16Pour toutes ces raisons, les responsables de l’équipe archéologique de Saint‑Denis et surtout Michaël Wyss ont eu la main heureuse en choisissant d’introduire la série de publications consacrées aux nombreuses années de travail de terrain à Saint‑Denis par un atlas historique de la ville. En partie inspiré par les directives formulées, il y a près de trente ans, par la Commission internationale d’histoire des villes, cet ouvrage s’attache tout d’abord à faire un premier point sur l’histoire topographique de Saint‑Denis selon un plan diachronique logique, tout en tenant compte de l’histoire des nombreux monuments, qu’ils soient religieux, civils ou autres qui marquèrent ou marquent encore le paysage dionysien. Le résultat de ces nombreuses recherches n’est pas une histoire définitive de Saint‑Denis, ni un corpus complet des informations historiques et/ou architecturales, au demeurant encore impossible, étant donné la tâche gigantesque que représentent l’étude et la publication des sources historiques dont une grande partie reste encore inédite. Mais le travail acharné de Michaël Wyss et de ses coauteurs a abouti à une esquisse de l’évolution du visage de Saint‑Denis, fondée sur et illustrée par une sélection judicieuse de textes et de sources iconographiques et cartographiques. La masse documentaire présentée est d’une richesse et d’une diversité particulièrement impressionnantes et incorpore des documents peu connus, voire souvent inconnus jusqu’ici. Le volume ne concerne pas uniquement les spécialistes de histoire urbaine, mais aussi les historiens de l’architecture et les spécialistes de la restauration des monuments, qui seront heureux de pouvoir disposer d’autant de données si longtemps ensevelies dans de multiples dossiers. Quant aux archéologues, ils disposent maintenant d’un cadre historique qui servira à mieux situer et à mieux comprendre les multiples restes décelés dans le sol. Et il ne s’agit pas seulement des archéologues travaillant à et sur Saint‑Denis : l’ouvrage aidera également ceux qui connaissent moins bien la ville, sa région et son histoire.

Restituer aux Dionysiens le passé de leur ville

17La recherche ne peut que se féliciter de disposer d’un tel volume. Mais il convient de ne pas perdre de vue deux autres aspects au moins aussi importants. D’abord, l’« Atlas » constitue en fait l’introduction à une série d’ouvrages qui détailleront les recherches archéologiques à Saint‑Denis et leurs résultats, y compris l’impressionnante masse du mobilier découvert lors des fouilles. Il convient de rappeler que la culture matérielle ne consiste pas uniquement en des bâtiments et des éléments topographiques : les objets, riches ou humbles, formaient une composante très importante du monde réel des hommes et des femmes des époques étudiées. La publication de ces données veut dire que nous disposerons, dans quelques années, d’un corpus d’informations qui rendra de nombreux services à la recherche locale, régionale, nationale et internationale. Étant donné l’importance de Saint‑Denis, des deux décennies de recherches archéologiques et du mobilier découvert, la communauté des chercheurs ne peut que se réjouir de voir tant de travail utile couronné par sa publication. De plus, l’« Atlas » est conçu et présenté de manière à être accessible à un large public et attrayant pour des lecteurs moins spécialisés. C’est particulièrement le cas pour les habitants de Saint‑Denis qui peuvent ainsi découvrir comment leur ville s’est développée et quelles étaient la richesse, la diversité et la complexité de son histoire. Comme il s’agit d’abord et surtout de leur propre patrimoine, les Dionysiens ont un droit inaliénable sur ce passé et sur l’avenir de ce passé.