Chapitre 2. Le site du Pucheuil à Saint‑Saëns (Seine‑Maritime)
p. 27‑148
Résumés
Au Pucheuil, les limons du plateau de Caux ont livré pour la première fois une stratigraphie développée dans une doline. Cette dépression, profonde de 7 m, renfermait des limons saaliens rarement aussi dilatés en Haute‑Normandie. Cette situation de « piège » a permis la conservation de deux abondantes séries lithiques du Paléolithique moyen, la plus ancienne antérieure au dernier interglaciaire saalien (ou contemporaine du début de la mise en place du paléosol) et la plus récente, immédiatement postérieure. La fouille de la doline a éclairé les questions préalablement posées : individualiser sur le plan chronostratigraphique les séries lithiques observées en bordure de la dépression, préciser les fondements technologiques des systèmes de production.
Le site du Pucheuil se situe à l’extrémité du plateau de Caux en bordure du pays de Bray. Le pays de Caux est un glacis en pente douce vers l’ouest, recouvert par une altérite complexe de la craie secondaire « l’argile à silex » et par du lœss. En bordure du pays de Bray, qui est en constant soulèvement, les processus périglaciaires de dénudation ont érodé l’essentiel des formations superficielles. Cependant, grâce à des affaissements localisés de la craie par des phénomènes de soutirage karstique (doline), des enregistrements de séquences lœssiques du Pléistocène moyen comprenant du matériel lithique ont été conservés. Le cadre chronostratigraphique correspond à celui établi près de Rouen à Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf et à Saint‑Romain‑de‑Colbosc plus à l’ouest.
La plus récente des séries lithiques du Pucheuil présente l’originalité d’être composée de quatre chaînes opératoires, largement documentées par des remontages. Elles font appel pour certaines à des modes de production inédits pour ces périodes, et s’inscrivent dans une structure complexe et ramifiée de la production lithique, au sein de laquelle des chaînes opératoires secondaires viennent se greffer à la chaîne opératoire principale (Levallois). Ces différentes formes de gestion technique de la production paraissent aller de pair avec diverses modalités d’organisation spatiale et économique des activités de taille. Elles relèvent en outre de différents niveaux d’élaboration technique, sur les plans conceptuel et opératoire, et soulèvent la question de la pluralité des niveaux de compétence des auteurs de cette industrie.
Les séries A et C du Pucheuil, issues de contextes stratigraphiques et topographiques distincts, semblent correspondre à une même entité archéologique, scindée lors de la formation de la doline. Elles se caractérisent par une unique chaîne opératoire de production, fondée sur le débitage Levallois récurrent unipolaire. Les options techniques confèrent aux éclats Levallois des caractères morphotechniques assez constants. Ces produits semblent conçus pour posséder les caractères morphofonctionnels requis pour leur exploitation à l’état brut. Ces séries se rattachent au Paléolithique moyen ancien, et se singularisent par un outillage original qui ne peut s’intégrer dans aucun des faciès typologiques du Moustérien.
La géométrie particulière des dépôts de la doline du Pucheuil, résultant de cinq grandes phases de soutirage karstique et de comblement de la dépression, permet de proposer un schéma interprétatif resituant les périodes d’occupation humaine dans la chronologie de la dynamique des dépôts. Est également débattue la question du choix de l’implantation humaine. Enfin, l’étude comparative des ensembles lithiques individualisés au Pucheuil offre la possibilité d’une approche diachronique du Paléolithique moyen ancien au sein d’un même gisement. Les deux occupations attestées sont le fait de groupes humains aux traditions techniques distinctes même si celles‑ci procèdent d’un même système de production, le débitage Levallois.
For the first time, the silts of the Caux plateau yielded a dense stratigraphy in a doline. This depression, 7 m deep, enclosed saalian silts which are rarely so well developed in Haute‑Normandie. This situation or “trap" allowed the preservation of two abondant lithic sériés from the Middle Palaeolithic. The oldest of these dates from before the last saalien interglacial (contemporary with the laying down of the palaeosol), the most recent being immediately posterieur to this. The excavation of the doline has shed light on the following objectives: the singling out of the lithic sequences observed at the edge of the doline from a chrono‑stratigraphical point of view and the detailing of the technological basis of the production Systems.
The site of Pucheuil lies at the very edge of the Caux plateau, at the limit of the pays de Bray. The pays de Caux is a glacis which slopes gently to the west, covered by a complex alteration of the secondary chalks (clay with flints) and by loess. At the border with the pays de Bray, which is in constant uplift, the periglacial dénudation processes have eroded the bulk of the superficial formations. However, recordable sequences of middle Pleistocene loess, containing lithic material, have been conserved due to localised karstic subsidences of the chalk (dolines). The chrono‑stratigraphical framework corresponds with those established near to Rouen (Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf) and at Saint‑Romain‑de‑Colbosc, further west.
The most recent of the Pucheuil lithic series is original in that it is composed of four distinct chains of production, well-illustrated by reassemblies. Some of them call on methods of production new and therefore unpublished for these periods. They fit into a complex and branched‑out structure of lithic production. At the heart of this structure, secondary production chains are grafted onto the principal Levallois process. These different forms of technical “production management" seem to go hand in hand with diverse modes of spatial and economie organisation of the knapping activities. Moreover, they seem to arise from different levels of technical elaboration, both from the technical and executive points of view. This raises the question of differing levels of competence amongst those who produced this industry.
The A and C series from Pucheuil, though from distinct stratigraphical and topographical contexts, seem to belong to the same archaeological entity, divided during the formation of the doline. They are both characterised by a recurring unipolar Levallois technique. The choice of technique gives a fairly constant morphological and thus technical character to the Levallois flakes. These products seem to be conceived so as to have the morphological and functional attributes necessary for their use in an “unfinished" State. These series can be attributed to the early Middle Palaeolithic, singled out as a highly original toolkit which cannot be placed in any ofthe Mousterian typological facies.
The geometry of the deposits in the doline at Pucheuil results from five major phases of karstic subsidence and the filling in of the depression, Its is possible to propose an interpretive schéma which reconstitutes the periods of human occupation within the chronology ofthe sediment dynamics. The subject of the possible choices for human seulement is also discussed. Finally, the comparative study of the lithic assemblages isolated at Pucheuil offers the possibility of a diachronical approach to the early Middle Palaeolithic within the same deposit. The two occupations present are the resuit of human groups with distinct technological traditions, even though they both stem from the same production System: the Levallois technique.
Texte intégral
2. 1 Présentation générale de l’opération et des données archéologiques
2.1.1 Contexte géographique
1Le site de Saint‑Saëns/Le Pucheuil est à 4 km au sud de Saint‑Saëns (Seine‑Maritime), et à environ 300 m au nord de la ferme du Pucheuil, à une altitude voisine de 183 m NGF. Le gisement est dans une position de sommet topographique d’un plateau dominant la Varenne, cours d’eau distant d’environ 1,5 km à l’est du site. De petits vallons secs bordant le gisement au nord et au sud rejoignent ce petit fleuve côtier typique de la façade septentrionale du pays de Caux, en entaillant progressivement les formations de versant ainsi que l’argile à silex. Le site s’étend en pente douce à la fois vers le nord‑est, en direction de la Varenne et vers le sud‑ouest, de part et d’autre d’une mare récente, en position perchée.
2Les relevés microtopographiques (équidistance de 0,5 m : fig. 10), réalisés dans le cadre des travaux préalables au passage de l’A28 ne montraient aucun indice de la présence d’une doline. Néanmoins, dans cette zone de sommet topographique, deux points culminants pouvaient être dissociés (cotes 184,05 m et 183,65 m), entre lesquels s’inscrivait une très légère dépression à la cote 183,45 m, correspondant effectivement au centre d’une doline. La quasi‑totalité de cette dépression était située dans l’emprise de l’autoroute A28, reliant Rouen à Abbeville (tronçon Rocquemont‑Neufchâtel‑en‑Bray) (fig. 10).

FIG. 10 – Le Pucheuil : position de la doline par rapport aux variations microtopographiques et aux limites d’emprise autoroutière.
CB/Culture
3La découverte d’un gisement paléolithique n’est pas isolée dans ce secteur des plateaux bordant la Varenne. Ainsi, à l’ouest aussi bien qu’à l’est du fleuve, la présence de séries lithiques est attestée à Saint‑Martin‑Osmonville aux lieux‑dits La Boissière et La Salle (Michel 1981 ; 1982), à Brequigny, ainsi qu’à Saint‑Saëns aux lieux‑dits La Plaine de Maucomble, La Haye, La Plaine du Quesnay (ancienne briqueterie) et au hameau du Quesnay (Coutil 1893 ; Bordes 1954). Ces lieux de découverte correspondent dans la plupart des cas à des points élevés du plateau (fig. 11).

FIG. 11 – Le Pucheuil : localisation du site et des autres sites du Paléolithique ancien ou moyen de la région de Saint‑Saëns.
CB/Culture
2.1.2 Déroulement des opérations
2.1.2.1 Circonstances de la découverte
4L’occupation paléolithique a été repérée, lors de la phase de prospection menée en mars et avril 1989 par C. Billard, grâce à la présence d’une concentration de silex taillés autour d’une mare, sur quelques dizaines de m2 (fig. 12). L’industrie recueillie (plusieurs dizaines de pièces) présentait une forte patine blanche ainsi que les stigmates de l’action du gel (cupules, fragmentations). Caractérisée par la pratique du débitage Levallois, elle comportait, outre de nombreux éclats, deux petits bifaces cordiformes.
5La première hypothèse a été que ces artefacts provenaient de la destruction de niveaux archéologiques profonds, lors du creusement de la mare. Des sondages systématiques à la pelle mécanique (sondages 1 à 18), effectués sur plusieurs centaines de mètres de part et d’autre de la mare, ont mis en évidence qu’il s’agissait en fait d’une vaste nappe de silex taillés (d’au moins 2 ha) (fig. 12) piégée dans des limons repris par l’érosion de versant, et non d’une concentration liée à l’aménagement de la mare. L’un des sondages (sondage 12) se distinguait par une stratigraphie très développée, comportant à sa base un ensemble de limons corrélés au Saalien. Mais lors de cette première intervention, aucune industrie ne fut repérée dans cet ensemble.

FIG. 12 – Le Pucheuil : localisation des sondages et des zones de fouille. 1 premiers sondages (phase de diagnostic), 2 première campagne de fouille, 3 deuxième campagne de fouille, 4 zone de découverte de vestiges lithiques en surface, 5 extension de la zone de forte densité de silex taillés.
CB/Culture
6L’opération de fouille qui suivit fut effectuée en deux temps : la présence de la doline, décelée seulement à l’issue de la première campagne de fouille, nécessita en effet la programmation d’une seconde opération.
2.1.2.2 Première campagne de fouille (mars‑avril 1990) : sondages et découverte de la doline
Objectifs
7Seule une courte intervention était justifiée à l’issue de la phase de prospection en raison du caractère remanié des pièces et du faible développement de la stratigraphie. L’objectif de cette intervention consistait à tenter de raccorder l’industrie lithique au cadre chronostratigraphique régional, ainsi qu’à définir le complexe technique auquel elle se rapportait. L’épaisseur plus importante des formations superficielles dans certaines zones, ainsi que l’homogénéité du matériel lithique dans l’ensemble des sondages, laissaient présager qu’une intervention rapide permettrait de mener à bien cet objectif.
Déroulement de l’opération
8L’intervention débuta par une nouvelle série de sondages (à l’est des premiers sondages) qui avait pour but d’arrêter l’emplacement d’une fouille plus fine, à un endroit où se rencontreraient simultanément une industrie abondante et une stratigraphie lisible.
9À proximité immédiate de la mare (sondages 40 et 50, fig. 12), la quantité de mobilier était exceptionnelle mais au sein d’une stratigraphie très compactée d’une trentaine de centimètres (couche 1B, cf. infra § 2.1.3.1). Au contraire, en s’éloignant de la mare vers le sud, les sondages présentaient une séquence lœssique de plus en plus importante, rapportée au Weichsélien supérieur (cf. infra fig. 20), mais comprenant une industrie de plus en plus rare.
10Ce sont les sondages 41 et 42 (fig. 12), qui se situent dans une zone intermédiaire, qui furent choisis pour la réalisation d’une fouille fine. Ils étaient particulièrement riches en matériel lithique et révélaient la présence d’une couche du Weichsélien ancien (couche 2A, cf. infra fig. 25 et § 2.1.3.1). Six décapages successifs furent réalisés depuis le sommet du niveau archéologique jusqu’à sa base, marquée par l’argile à silex. Représentant à eux deux une superficie de 22,5 m2, ces sondages ont livré près de 2 850 pièces, réparties sur 40 cm d’épaisseur. Les pièces ont été dessinées et relevées par mètre carré. La dispersion du matériel était homogène et continue, sur toute la superficie fouillée (fig. 13) et sur toute la hauteur de la couche. Les pièces suivaient un pendage très variable, fréquemment oblique ou vertical.

FIG. 13 – Le Pucheuii : sondage 41. 1 répartition des vestiges par décapage, 2 répartition des vestiges tous décapages cumulés.
AR/AFAN
11La zone où avait été mise en évidence une séquence de limons saaliens lors de la phase de prospection fut l’objet de sondages profonds élargis : les sondages F, 60 et 61 (fig. 12). Le sondage F a été ouvert en deux temps : commencé dans sa partie sud (F supérieur) où le bief est apparu à seulement 70 cm de profondeur, il a été poursuivi vers le nord, où les dépôts limoneux s’épaississaient considérablement (F inférieur). Un autre sondage profond fut ouvert un peu plus au nord (sondage 60) pour évaluer rapidement l’épaisseur des lœss. La pelle mécanique descendit à 6 m de profondeur sans atteindre le substrat. À ce stade des travaux, P. Lebret et J.‑P. Lautridou diagnostiquèrent la présence probable d’une dépression d’origine karstique, ayant piégé des limons saaliens surmontés par le paléosol éémien au sommet du remplissage. Le sondage 61, ouvert à la fin de la première campagne de fouille, avait pour objectifs de cerner les limites nord de la « doline », d’établir des coupes dans de bonnes conditions de sécurité, et d’évaluer le potentiel archéologique des niveaux situés sous l’Éémien. La présence de mobilier lithique dans le dernier lœss saalien et dans le paléosol intrasaalien Elbeuf II confirma rapidement l’intérêt archéologique de la dépression mise au jour.
Résultats de la première campagne de fouille
12Dès la première campagne de fouille, il est apparu qu’il existait au Pucheuil plusieurs séries lithiques, caractérisées par des histoires géomorphologiques à la fois complexes et très différenciées. Retrouvées dans des contextes stratigraphiques variés selon leur position à l’extérieur, en bordure ou à l’intérieur de la doline, ces séries ont toutefois pu être distinguées sur le terrain avec une relative précision grâce à leur état physique, et principalement leur patine. Bien qu’il ne soit pas d’une fiabilité absolue (à l’intérieur d’une même série, des nuances notables peuvent intervenir dans les états de patine), ce critère a grandement facilité les recherches lors de la phase de terrain. De plus, il a pu être rapidement constaté que les états physiques mis en évidence concordaient à l’intérieur de la doline avec des entités stratigraphiques distinctes, et recouvraient en partie des réalités archéologiques et technologiques différentes.
13À l’issue de la première intervention, seule la série A était documentée par un matériel abondant (6 500 pièces). Elle était systématiquement présente dans tous les sondages (de 1 à 50 et de A à S), à l’exception des sondages 60 et 61 (respectivement œil et partie nord de la doline), et répartie de façon homogène à l’intérieur des limons du Weichsélien ancien, où elle se trouvait en position dérivée. Les principales caractéristiques physiques de cette série consistent en une patine profonde, de couleur blanche et une importante gélifraction du matériel. Sur le plan technologique, la série A est fondée sur un système de production Levallois récurrent à enlèvements unipolaires ou bipolaires, conduisant à un très faible taux de transformation des produits en outils retouchés. Outre quelques rares pièces bifaciales, l’outillage comporte des catégories d’outils peu fréquentes telles que des « racloirs‑rabots » et des pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs (dénommées pièces de type Kostienki dans d’autres contextes).
14La série B, caractérisée par une faible patine, par une très faible altération générale du matériel et par certains traits technologiques, n’avait fait l’objet que de découvertes ponctuelles lors de la première intervention. Les pièces de cette série se présentaient sous forme de petits amas (pas plus d’une dizaine de pièces) dans plusieurs sondages (30, 33, 41, 42, 50 et F inf.), où elles se trouvaient mélangées avec le matériel de la série A. L’échantillonnage comportait des produits relevant d’un système de production de pointes et d’éclats Levallois triangulaires, fondé sur une méthode Levallois à enlèvements récurrents unipolaires convergents.
15La série C fut individualisée à la fin de la première campagne, essentiellement dans les sondages F et 61. Ses caractéristiques physiques consistent principalement en une patine prononcée non uniforme, de couleur jaune‑orangé. Sur le plan technologique, rien ne distingue cette série de la série A. En bordure de doline, (dans les sondages F inférieur et supérieur et dans la moitié nord du sondage 61), la série C était mêlée sans distinction stratigraphique aux séries A et B. Par contre, dans la coupe sud du sondage 61, la série C s’individualisait nettement dans un paléosol anté‑éémien (Elbeuf II), à environ 4 m de profondeur.
16À la fin de cette première campagne, il apparaissait donc nécessaire de prolonger l’opération en mettant l’accent sur la doline, puisque celle‑ci laissait enfin entrevoir la possibilité d’un raccord chronostratigraphique pour les trois séries lithiques observées (Fosse et al. 1992).
2.1.2.3 Deuxième campagne (décembre 1990‑janvier 1991) : fouille d’une doline en milieu lœssique. fig. 14
Objectifs
17Les objectifs de la seconde campagne de fouille étaient les suivants :
– déterminer la taille et l’étendue du piège lœssique en haut de plateau ;
– retrouver en contexte primaire dans la doline les différentes séries lithiques observées en bordure et à l’extérieur de la doline en position remaniée, de façon à pouvoir les individualiser sur le plan chronostratigraphique ;
– replacer les occupations successives du site par les hommes préhistoriques au fil des épisodes d’effondrement, d’érosion et de comblement de la doline, et appréhender le (ou les) choix de l’implantation humaine en fonction de l’accessibilité aux matières premières, ou de la configuration de la doline ;
– préciser les fondements technologiques des systèmes de production lithique ;
– aborder dans une perspective diachronique la période saalienne jusqu’alors très peu connue en Haute‑Normandie.

FIG. 14 – Le Pucheuil : 2e campagne de fouille, vue générale de la partie nord du chantier.
cl. AR/AFAN
Contraintes
18Les trois sondages F, 60 et 61 suffisaient à situer approximativement l’emplacement du puits d’effondrement karstique, et évaluer l’extension N.‑S. de la doline (environ 50 m). Par contre, il était très difficile d’estimer l’amplitude du phénomène dans l’axe E.‑O., c’est‑à‑dire dans la largeur de la future autoroute. La conduite de la fouille a dû prendre en compte des contraintes à priori incompatibles : contraintes techniques, propres aux futurs aménagements autoroutiers, sécurité des bouilleurs près de coupes de limons gorgés d’eau en hiver, et délais de l’opération.
19Une des conditions imposées par la direction départementale de l’Equipement (maître d’ouvrage) était la préservation des futurs talus de l’autoroute jusqu’à leur base. Les sondages profonds n’ont donc pu être effectués que sur une largeur de 30 m, essentiellement dans la partie occidentale de la doline, puisque l’œil se situait presque à l’aplomb de la bordure est du futur tracé. De plus, le fond de forme de l’autoroute ne devant pas être atteint, les sondages n’ont pas pu excéder 5,80 m de profondeur. Ces deux impératifs techniques ont conduit à une vision tronquée de l’extension E.‑O. de la doline, partiellement corrigée par des sondages à la tarière dans les deux champs cultivés avoisinants et dans les niveaux profonds situés sous le fond de forme des travaux routiers. Les relevés systématiques des remontées d’argile à silex ont permis plus tard d’affiner ces relevés et de reconstituer approximativement la forme de la doline (cf. infra fig. 20, §. 2.2).
20Un système géomorphologique en doline présente de fortes variations latérales de faciès (à l’échelle du mètre) et un pendage différentiel des couches. D’un point de vue archéologique, l’intégration simultanée des données chronostratigraphiques (position des pièces en coupe) et de la répartition en plan du mobilier (au sein d’un même niveau archéologique) nécessitait la conservation de coupes de référence en mailles serrées (N.‑S. et E.‑O.). En contrepartie, la sécurité des fouilleurs imposait la mise en place de paliers de 1,5 m de large pour une hauteur de coupe égale et un espacement suffisant entre les coupes. Enfin, un passage d’engins au moins devait être préservé pour accéder au centre de la doline. Ainsi, seules deux tranchées ont pu être ouvertes sur les 30 m accessibles selon l’axe E.‑O. de la dépression. Dans la partie sud de la doline, quatre coupes longitudinales nord‑sud ont été conservées pendant toute la durée de la fouille (coupes 108, 110, 113, cf. infra fig. 28 et 31, § 2.2). Dans la partie nord, et toujours dans l’axe nord‑sud, deux coupes très espacées l’une de l’autre ont été maintenues (coupes 99 et 100, cf. infra fig. 28 et 30, § 2.2). En fin de fouille, une tranchée a été réalisée entre elles (coupes 120, 121, cf. infra fig. 28, § 2.2), une autre a recoupé les coupes 100, 101, 102 et 111 (coupe 130‑131, cf. infra fig. 28 et 30, § 2.2).
21La dernière contrainte qu’il faut évoquer est le facteur temps : on n’a disposé en effet pour l’ensemble de l’opération que de 4 mois de terrain à 4 personnes dont 2 mois seulement pour l’étude de la doline qui ne fut découverte qu’en fin de première campagne. Or, la nature du site et sa complexité imposaient une fouille d’envergure, qui put être partiellement menée à bien grâce à la présence permanente d’un engin mécanique pendant les 2 campagnes, grâce à un rythme soutenu des décapages et grâce au choix très strict des zones réservées à la fouille fine (fig. 15). Et, au prix d’un certain nombre de sacrifices, les objectifs de la fouille de la doline purent être atteints.

FIG. 15 – Le Pucheuil : localisation des zones de fouille dans la doline. 1 stratégie de fouille de la couche 4 (mélange des séries B et C) ; 2 stratégie de fouille de la couche 6E (série B) ; 3 stratégie de fouille de la couche 7 (série C) ; a fouille fine avec relevé, b fouille manuelle sans relevé, c prélèvement à la pelle mécanique.
AR/AFAN ; EG del./AFAN
Méthode
22La méthode mise en œuvre sur le terrain résulte d’un compromis constant entre les objectifs de l’opération et les contraintes qui viennent d’être évoquées.
23Ayant prévu dès le départ de travailler principalement à la pelle mécanique au godet lisse, et de ne fouiller finement (avec relevés de plan) que les secteurs présentant de fortes concentrations de matériel ou révélant des indices de faible perturbation du dépôt archéologique, chaque silex devait être coté en trois dimensions dès le passage du godet et être raccordé à un niveau stratigraphique. Très vite, cette méthode s’est révélée lourde et inefficace, ou tout au moins beaucoup trop aléatoire. En effet, aussi précises que pouvaient être ces mesures, elles ne permettaient en aucune manière de restituer à posteriori la position stratigraphique de chaque artefact. Les microvariations étaient importantes et les changements de sédiment fort difficilement perceptibles en fouille à plat. Dans ces conditions, l’altitude des pièces, une fois extraites de leur contexte, n’avait aucune signification. Seule la couche 6E dans les zones 9 et 19 était facile à suivre en plan tout comme en coupe. En effet, au centre de la doline, cette couche stratigraphique était délimitée en son sommet et à sa base par deux lits manganiques très nets. Et bien que cette couche ait été très peu épaisse et en plan incliné, sa fouille put être effectuée par décapages sur une large superficie (fig. 15).
24Il est apparu à posteriori que la coupe de référence choisie (coupe 103, cf. infra fig. 28, § 2.2), celle du sondage 60, présentait la stratigraphie la plus complète, et que toutes les autres comportaient des lacunes (jamais les mêmes) qu’il était impossible de déterminer en cours de fouille. Dès lors, la compréhension des concordances stratigraphiques a primé au cours de la fouille et a imposé une stratégie fondée sur la multiplication des coupes stratigraphiques. En fonction de la géomorphologie des dépôts, des secteurs appelés zones ont été définis (fig. 15), et le matériel collecté dans chaque zone a pu être recalé avec précision grâce aux coupes de référence établies dans chacune d’elles. Les zones de fouille ont été numérotées de 1 à 26 (fig. 15). Chaque zone correspond, à quelques exceptions près, à deux largeurs de godet jointives (1,8 m x 2 = 3,6 m), soit sur une longueur de flèche (3 m), soit sur deux longueurs de flèche (6 m) pour les zones pauvres en mobilier. La méthode choisie, adaptée à un contexte très particulier, s’est avérée efficace sur le site du Pucheuil. Elle a permis, entre autres objectifs, de distinguer rapidement les zones de mélange des secteurs où les industries étaient clairement individualisées en stratigraphie.
25Ce sont ces secteurs qui ont été prioritairement choisis pour conduire une fouille fine. Ainsi, les zones 9 et 19 ont été réservées à la fouille par décapages successifs de la série B, conservée au sein de la couche 6E dans un contexte manifestement peu perturbé. Dans ces zones, les pièces ont été numérotées et dessinées sur plan alors que dans les zones 3, 4 et 5, les pièces de la série B ont été prélevées sans relevé, faute de temps nécessaire en fin d’opération. La série C (couche 7) a fait l’objet d’une fouille fine (pièces numérotées et relevées sur plan) dans la zone 1, sur une petite superficie (7 m2). Dans les zones 13, 23, 24 et 25, cette série a été dégagée par le biais d’une fouille manuelle, mais sans relevé de pièces : l’objectif, dans ces zones sans mélange en bordure sud de doline, étant de comprendre les phénomènes érosifs à l’origine de la troncature du paléosol intrasaalien Elbeuf II En outre, une fouille plus précise n’est pas apparue primordiale dans ces zones, dans la mesure où le matériel archéologique, réparti dans toute l’épaisseur du paléosol, était clairement en position dérivée.
26Les zones de mélange, capitales pour la compréhension de la dynamique des dépôts, ont aussi été ponctuellement fouillées de manière méthodique. Tel fut le cas pour les zones 1 et 2, où les séries B et C étaient mélangées au sein de la couche 4 (fig. 15) (les pièces ont été numérotées et relevées sur plan). Enfin, dans les zones 11 et 12, où les couches 6E et 7 étaient directement au contact l’une de l’autre, le matériel des séries B et C, partiellement mélangées, a été prélevé dans le cadre d’une fouille manuelle, sans relevés (fig. 15).
27Le reste du matériel a été recueilli par décapages à la pelle mécanique. Les contraintes de temps et le manque de fouilleurs ne permirent à aucun moment d’envisager le tamisage des sédiments. L’absence de tamisage n’a cependant pas dû entraîner de perte importante d’information, compte tenu de la finesse du sédiment. Si une proportion conséquente de petits éléments a été indéniablement évacuée avec les déblais dans les secteurs fouillés à la pelle mécanique, en revanche, la perte a dû être minime dans les zones fouillées manuellement.
2.1.3 Contexte chronostratigraphique
28Le contexte chronostratigraphique de la doline du Pucheuil et de sa périphérie a pu être défini avec une relative précision, en s’appuyant sur les travaux de référence relatifs à la région du pays de Caux (Lautridou 1985 ; Lautridou et al. 1986 ; Lautridou 1990 ; Lebret 1984 ; Lebret, Lautridou 1991). Ce contexte n’est présenté ici que dans ses très grandes lignes (pour plus de détails, cf. infra § 2.2 consacré au cadre géomorphologique et stratigraphique)
2.1.3.1 Stratigraphie des formations superficielles à l’extérieur de la doline
29À l’extérieur de la doline, la stratigraphie est relativement simple (cf. infra fig. 27, § 2.2). Au‑dessus de l’argile à silex, on trouve ponctuellement de petites poches de limons, difficiles à recaler dans le cadre chronologique régional. Sur l’ensemble de la zone située autour de la doline, se développent des limons argileux brun‑rouge corrélés au Weichsélien ancien dont l’épaisseur ne dépasse jamais 1 m ; ils proviennent du démantèlement par remaniement en masse et fluage des lœss saaliens et du sol brun éémien susjacent, qui sont ici absents. La fouille de la série A, dont le matériel était réparti dans ces limons, a fait l’objet d’une grande partie de la première campagne.
30Les données stratigraphiques des secteurs 41 et 42 sont représentatives du contexte géomorphologique observé dans toute la partie sud du chantier.
31Schématiquement, on y distingue sous la pédogenèse de surface :
– 1A : un lœss de couverture (Weichsélien supérieur) décarbonaté, gris‑brun à tâches grises ; en se rapprochant du sommet topographique du secteur (mare), ce lœss s’amincit et présente de petits cailloux avellanaires roulés, issus du Tertiaire régional ;
– 1B : ce lœss de couverture est remplacé, au sommet topographique, par un limon gris‑brun remanié, absorbant le niveau de Kesselt (horizon pédologique cryoturbé caractéristique de la fin du Pléniglaciaire moyen) ; il peut s’agir d’un lœss de couverture remanié, masqué par la pédogenèse ou d’un niveau weichsélien ancien pédogénéisé ; quoiqu’il en soit, les vestiges de la série A se rencontrent dès ce niveau dans tous les sondages au sud de la mare. Il est parfois observé un niveau d’érosion supportant les traces d’un petit gley arctique (Kesselt ?) ; l’absence, à l’emplacement de la nappe de silex taillés, des niveaux du Weichsélien moyen et du Weichsélien supérieur empêche une bonne lecture de ce niveau d’érosion ;
– 2A : enfin, au‑dessus du bief à silex ou directement posé sur des argiles tertiaires, se rencontre un limon argileux brun‑orangé feuilleté, oxydé (Weichsélien ancien) ; ce limon, d’origine lœssique, provient du remaniement en masse d’un dépôt altéré par un sol brun lessivé ; la très grande majorité des pièces de la série A est issue de cette couche.
2.1.3.2 Stratigraphie de la doline
32L’essentiel des informations chronostratigraphiques a été obtenu par l’étude de la doline. Celle‑ci présente une forme ovalaire d’environ 50 x 40 m et est constituée de deux dépressions, formées lors de deux épisodes d’effondrement successifs ; il s’agit donc d’une doline double. Les ensembles archéologiques étaient localisés uniquement dans l’une des deux dépressions, la plus récente (seconde dépression), au centre de laquelle les trois séries lithiques étaient clairement individualisées en stratigraphie (fig. 16).

FIG. 16 – Le Pucheuil : profil schématique de la seconde dépression et position stratigraphique des différentes séries lithiques. A paléosol éemien, B sol noir, C paléosol de type Elbeuf II, D limon blanchâtre, E niveau d’encroûtement, F industrie lithique de la série A, G industrie lithique de la série B, H industrie lithique de la série C.
CB/Culture
33D’une manière simplifiée, la stratigraphie générale de la doline peut être divisée en 13 couches ou ensembles de couches. De haut en bas, on observe :
– 1A : lœss récent supérieur altéré à son sommet (classique sol brun lessivé de surface) ;
– 1B : limon gris‑brun remanié à petits galets avellanaires : lœss de couverture remanié ou niveau Weichsélien ancien pédogénéisé ? ;
– 2A : le limon argileux brun‑orangé feuilleté (Weichsélien ancien), contenant la série A, est absent à l’emplacement de la doline.
Seconde dépression (contenant les niveaux archéologiques)
34– 2B : limon très argileux brun‑orangé à nodules de manganèse, caractéristique du paléosol éémien (type Elbeuf I) ; quelques pièces de la série A proviennent de ce niveau.
– 3 : limon sableux à structure feuilletée brun‑jaune, corrélé au lœss ancien supérieur.
– 4 : niveaux limoneux bruns à gris‑brun, légèrement ferro‑manganiques, généralement feuilletés.
– 5 : épisode lœssique gris lité.
– 6 : ensemble de niveaux limoneux gris‑brun non feuilletés, marqués par d’abondants lits de concrétions ferro‑manganiques et, ponctuellement, à leur base, par la présence d’un limon brun‑noir manganique correspondant à un paléosol de début glaciaire (sol noir : couche 6H) ; la série B était contenue dans la couche 6E, directement sus‑jacente à ce sol noir.
– 7 : limon argileux brun‑orangé à glosses et concrétions manganiques, correspondant au dernier paléosol interglaciaire saalien (Elbeuf II) ; ce niveau a livré la série C, qui s’y trouve en position remaniée.
Première dépression
35– 8 : ensemble de limons argileux brun‑jaune à gris‑brun à lits de galets avellanaires et concentrations ferro‑manganiques, constituant la troisième séquence limoneuse (la couche 8i est corrélée au paléosol Elbeuf III).
– 9 : niveaux de galets avellanaires à matrice limono‑argileuse (issus du Tertiaire).
– 10 : niveaux limono‑argileux brun‑orangé à galets avellanaires, et formations antérieures.
– 11‑12 : formations tertiaires remaniées : argile et parfois sable.
– 13 : argile à silex,
36Le caractère exceptionnel de cette stratigraphie réside dans la succession de 3 paléosols de rang interglaciaire (Elbeuf I, correspondant à l’Éémien, Elbeuf II et Elbeuf III, respectivement dernier et avant‑dernier interglaciaires saaliens) et d’un paléosol de début glaciaire (sol noir : couche 6H).
37La couche 6E semble provenir du démantèlement de ce sol noir. Il est fort probable que l’industrie de ce niveau était en place avant la phase principale d’effondrement de la seconde dépression. Les phases d’effondrement seront largement discutées plus loin (cf. infra § 2.5).
38L’Éémien correspond à une pédogenèse sur le dernier colmatage de la doline. Quelques éléments de la série A apparaissent dans ce paléosol, mais seulement sur le pourtour de la doline. Au centre de celle‑ci, les vestiges Ethiques sont systématiquement absents, signe que les déplacements de versant ont été quasiment nuls à cette période et que la doline n’a pas continué à fonctionner (fig. 16).
2.1.3.3 Position chronostratigraphique des séries lithiques
39La fouille de la doline a permis de recaler chronostratigraphiquement les trois séries lithiques, déjà individualisées au cours de la première campagne. Des pièces de ces différentes séries se retrouvent, en bordure de dépression, à des niveaux plus récents que leur niveau d’origine, témoignant ainsi de l’ampleur des phénomènes dynamiques de versant ayant affecté de manière différentielle l’intérieur et l’extérieur de la doline.
40La série A, fouillée pour l’essentiel pendant la première campagne, a été collectée en quasi‑totalité dans les limons du Weichsélien ancien (couche 2A) où elle se trouve en position dérivée. Des pièces éparses de cette série ont été trouvées dans le paléosol éémien. Hormis la patine, elle est tout à fait semblable à la série C (couche 7).
41La série B, clairement associée à la couche 6E, était en position secondaire proche dans un niveau limoneux situé immédiatement au‑dessus d’un paléosol de type début glaciaire (sol noir), surmontant le dernier paléosol interglaciaire saalien. Elle est datable du début du dernier glaciaire saalien, vers 200 000‑180 000 BP, période correspondant au début du stade isotopique 6.
42La série C (couche 7) a été dégagée dans le dernier paléosol saalien (Elbeuf II). Elle se trouve très probablement, tout comme la série A, en position dérivée puisqu’elle est incluse dans un paléosol qui s’est formé par altération des limons saaliens. Elle serait donc antérieure ou contemporaine du début de la formation du paléosol Elbeuf II ; elle ne peut toutefois pas être largement antérieure à ce paléosol dans la mesure où elle se positionne au‑dessus de la séquence lœssique totalement stérile comprise entre les deux derniers paléosols saaliens (Elbeuf II et III), datés respectivement des stades isotopiques 9 et 7. Elle correspondrait par conséquent soit à la fin du stade isotopique 8, soit au début du stade 7, à une période située aux environs de 250 000 BP.
43Si la grande majorité des pièces des trois séries étaient réparties dans des niveaux stratigraphiques bien différenciés, séparés par des couches stériles, une partie des pièces de ces séries se retrouvaient mélangées dans d’autres couches, principalement en bordure et à l’extérieur de la doline.
44Des pièces de la série B et de la série C sont associées au niveau de la couche 4 dans les zones 1 et 2, sur le versant nord de la doline. Le mélange des deux séries s’explique par le fait que la couche 4 résulte en partie de l’érosion par troncature des couches 6E et 7 (coupes 99 et 120, cf. infra fig. 28, § 2.2). Ces pièces ont probablement subi un déplacement de l’ordre de quelques mètres. Les vestiges de la série B, aisément distinguables de ceux de la série C par leur état physique, formaient des concentrations très nettes, au sein desquelles la densité de petits éléments était très importante, contrairement aux vestiges de la série C qui étaient totalement dispersés (fig. 17). Quelle que soit leur répartition, les deux séries se trouvaient donc à l’état remanié dans la couche 4.

FIG. 17 – Le Pucheuil : répartition du mobilier des zones 1 et 2, couche 4 (pièces de la série B en noir, pièces de la série C en blanc, rognons bruts hachurés).
AR/AFAN
45Dans les zones 11 et 12, correspondant au versant sud de la doline, les séries B et C étaient directement en contact (voir coupe 108, cf. infra fig. 31, § 2.2). Cela s’explique par le pendage et l’érosion subis par les couches 6E et 7 dans ce secteur situé juste en marge de la zone (10) où la séquence stratigraphique s’affaisse très nettement vers l’œil de la doline.
46À l’extérieur de la doline, des pièces de la série B étaient présentes de façon marginale dans la couche 2A (Weichsélien ancien), associées aux pièces de la série A dans les sondages 29bis, 30, 33, 40, 41, 42, 50 et F. Ces pièces, trouvées lors de la première campagne de sauvetage, avaient permis de déceler très tôt l’existence d’une stratigraphie complexe comprenant plusieurs niveaux archéologiques. Leur appartenance à la série B est attestée à la fois par leur état de patine et d’altération et par leurs caractéristiques technologiques. Plusieurs éclats et nucléus témoignent en effet d’un débitage Levallois unipolaire convergent orienté vers l’obtention de pointes Levallois et d’éclats Levallois récurrents. Malgré l’ampleur des remaniements qu’elles ont subis, ces pièces ont gardé le caractère de grande fraîcheur caractérisant les pièces de la série B dans la couche 6E. Elles correspondent soit à des découvertes isolées, soit à de petites concentrations (de quelques dizaines de pièces tout au plus) sur une superficie très réduite et étaient dans tous les cas mélangées au matériel de la série A.
2.1.4 Les industries lithiques du Pucheuil
47Les vestiges archéologiques dégagés au Pucheuil consistent exclusivement en vestiges lithiques ; l’absence d’autres vestiges est due très probablement à la non‑conservation des matériaux correspondants. Les traces de combustion sont par ailleurs quasiment nulles : aucun charbon de bois n’a été retrouvé, et seules quelques rares pièces isolées présentent des traces discrètes de combustion. L’intérêt du matériel lithique, renforcé par l’absence d’autres vestiges, est dû. avant tout à la qualité exceptionnelle des artefacts. Outre leur apport purement technologique, les silex taillés ont par ailleurs largement contribué à la compréhension du site et de la dynamique des dépôts.
2.1.4.1 Série B
48La série B est en position secondaire proche dans la couche 6E, nettement individualisée au centre de la doline. Cette série comporte 4 111 artefacts (cf. décompte : tabl. ii) et a donné lieu à une fouille fine sur une surface de 32 m2 dans les zones 9 et 19 (cf. infra fig. 33, § 2.3). La couche 6E suivait dans ces zones une pente de l’ordre de 5 %, orientée d’ouest en est. Les vestiges étaient répartis le long de cette pente et formaient plusieurs concentrations, sur des superficies réduites (moins de 1 m2), au sein desquelles les petits éléments étaient très nombreux. L’épaisseur du niveau archéologique n’excédait pas 10 à 15 cm ; dans ce niveau, les pièces étaient soit parallèles à la pente, soit fortement obliques par rapport au plan d’inclinaison de la pente. En fin de campagne, une partie des pièces fut prélevée dans l’urgence et sans relevé, sur une surface de 20 m2, dans les zones 4 et 5 où elles se répartissaient sur une épaisseur nettement plus importante (de l’ordre de 40 à 50 cm), et s’inscrivaient dans un contexte apparemment plus perturbé. Il faut souligner que la fouille de la série B concerna presque dans son intégralité le secteur de la doline (zones 9 et 19) où la couche 6E était la mieux préservée, c’est‑à‑dire très peu affectée par les phénomènes d’érosion, et caractérisée par un faible pendage et une stratigraphie constante. En effet :
– à l’est de ce secteur, la couche 6E plongeait très fortement vers l’œil de la doline ;
– à l’ouest, elle disparaissait sous l’effet d’une remontée rapide de l’argile à silex ;
– au nord, elle était tronquée par l’érosion de versant ;
– au sud, après une forte rupture de pente tronquant la couche 6E, seule la couche 7, directement au contact de la terre végétale, était présente.
Zones | |
Percuteur | 1 |
TABL. II – Le Pucheuil : décompte de l’ensemble lithique de la série B, couche 6E.
État d’altération
49La patine des pièces est peu prononcée dans l’ensemble, gris‑bleu très pâle à foncé. Elle change d’un rognon à l’autre mais reste très homogène au sein d’un même rognon : les pièces présentent alors une même patine sur toute leur surface. Les tranchants et arêtes des pièces sont dans un état de fraîcheur remarquable : ils ne sont absolument pas émoussés, et seulement légèrement altérés par des retouches non intentionnelles très ponctuelles et de faible ampleur. Aucune pièce dans cette série n’a été endommagée par le gel. Cet état de préservation différencie nettement la série B des autres séries du Pucheuil. Il est associé à un ensemble d’indices suggérant un faible déplacement du matériel :
– les petits éléments (inférieurs à 3 cm) sont très abondants et suivent une répartition spatiale semblable à celle des autres pièces ;
– alors qu’ils sont quasiment nuls dans les autres séries, les remontages sont nombreux et ont permis de reconstituer presque entièrement plusieurs rognons débités ; il est vrai qu’ils résultent de recherches assez poussées (représentant plusieurs mois de travail à plein temps par deux personnes), alors que dans les autres séries, seules quelques tentatives de remontages ont été effectuées ; cela résulte du fait que le matériel de la série B a révélé très tôt un important potentiel en remontages : de nombreux raccords ont été réalisés directement sur la fouille, lors du prélèvement des pièces, ce qui n’a jamais été le cas pour les autres séries.
Système de production
50Cette série se distingue aussi par la diversité et l’originalité des modes de production en présence. Ceux‑ci reposent sur des principes techniques différents de ceux qui président au débitage dans les deux autres séries :
– la chaîne opératoire principale est fondée sur le débitage Levallois à enlèvements unipolaires convergents qui vise à obtenir des pointes Levallois et des éclats Levallois triangulaires ; cette production rassemble la majorité des produits de la série ;
– une chaîne opératoire secondaire, greffée sur la production Levallois (réalisée à partir de ses sous‑produits), mène à la production en séries de petits éclats, parfaitement superposés, et caractérisés par une morphologie très particulière « en aile d’oiseau » ; son originalité a conduit à dénommer ce débitage : « type Le Pucheuil » ; les nucléus et éclats correspondants sont abondamment représentés dans la série ;
– une autre chaîne opératoire, attestée par un nombre de pièces beaucoup plus réduit, mène à la production d’éclats laminaires épais, de section dissymétrique, triangulaire ou trapézoïdale ; le débitage est effectué suivant un plan perpendiculaire au plan de fracturation des supports (c’est‑à‑dire dans l’épaisseur des pièces) ; ceux‑ci sont des éclats, prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois ;
– le débitage Levallois récurrent centripète est attesté par l’exploitation d’un unique bloc de silex, dont un grand nombre d’éléments ont été remontés ;
– un ensemble d’éclats ainsi que deux fragments de bifaces témoignent d’une chaîne opératoire de façonnage.
Outillage
51Les outils retouchés sont si rares qu’il est difficile de mettre en évidence des caractéristiques d’ensemble. On trouve parmi ces pièces : des éclats tronqués (dans quelques cas, la troncature a servi de plan de frappe pour le débitage de petits enlèvements sur la face opposée), des éclats à enlèvements isolés peu envahissants, et quelques racloirs à retouches fines et courtes, transformant très peu l’angle initial des tranchants. Il semble qu’il s’agisse pour l’essentiel d’un outillage rapidement exécuté, pour des besoins expédients.
2.1.4.2 Série A
52La série A compte au total 7 685 pièces, issues pour l’essentiel (n = 6503) des sondages de la première campagne de fouille. Une fouille fine de cette série a été menée dans les sondages 41 et 42, sur une superficie de 22,5 m2 (fig. 13). Ces deux sondages correspondaient au secteur où la densité des pièces était la plus importante, soit une densité de 126 pièces par m2. Les pièces de la série A étaient dispersées dans ces sondages, et de manière générale en dehors de la doline, sur toute la hauteur des limons du Weichsélien ancien (couche 2A), c’est‑à‑dire sur une épaisseur variant de 30 à 50 cm. Elles étaient réparties de façon homogène tant verticalement qu’horizontalement (fig. 13) et dans des positions très variables, fréquemment obliques ou verticales. Lors de la seconde campagne de fouille, un ensemble de pièces de la série A a aussi été dégagé en bordure sud de doline dans les zones 17 et 18, dans un contexte analogue. Enfin, les zones situées au centre de la doline ont livré des vestiges épars de la série A dans la couche 2B correspondant à l’Éémien (paléosol Elbeuf I). Pour l’étude, les pièces de la série A ont ainsi été dissociées en trois ensembles principaux :
– les sondages réalisés au sud de la doline lors de la première campagne de sauvetage ;
– les zones 17 et 18, correspondant à la bordure sud de la doline ;
– les zones situées au niveau de la doline (1, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 19, 20, 21, 23).
Sondages
53Les sondages C, 29bis, 30, 31, 40, 41, 42, 50, 50bis et F ont livré des ensembles lithiques abondants et homogènes (cf. décompte : tabl. III).

TABL. III – Le Pucheuil : décompte des ensembles lithiques de la série A, couche 2A (1re campagne de fouille).
État d’altération
54L’ensemble des pièces présente une patine blanche uniforme et très prononcée, avec quelques nuances liées à des états de patine plus ou moins avancée. Aucune différence notable n’apparaît dans l’aspect de la patine entre les différents secteurs. Certaines pièces très patinées sont en voie de dessilicification : leur état de conservation est toutefois encore assez bon. Les tranchants sont endommagés par des retouches non intentionnelles et en particulier par des pseudo‑encoches assez nombreuses. L’état des tranchants est relativement hétérogène dans les sondages F sup., 40, 41, 42 et 30, où des pièces très altérées sont associées à des pièces aux tranchants plutôt frais. Il est plus homogène et généralement meilleur dans les secteurs 31, 50 et de façon plus marquée encore dans le sondage F inf. L’altération du matériel par le gel est assez importante, en particulier dans les sondages F sup., 40, 41, 42 et 30 où plus de 25 % des pièces (et jusqu’à 58 %) correspondent à des fragments de gel. Elle est nettement moindre dans les sondages 31, 50 et F. inf. La fracturation des produits de débitage est importante puisque selon les sondages, le taux de pièces entières n’est que de 13 à 26 %. Les différences d’un sondage à l’autre sont peu importantes. Il faut signaler par ailleurs que les petits éclats indifférenciés inférieurs à 3 cm, très peu représentés dans l’ensemble des sondages (leurs proportions ne dépassent jamais 4 %) sont nombreux dans le sondage F inf (ils rassemblent 13 % des produits). Les nuances notables dans la conservation des objets selon les secteurs révèlent une bien meilleure préservation du matériel dans les sondages 31, 50 et F inf., les plus proches de la doline. Cela est probablement lié au plus faible déplacement subi par ce matériel. Les pièces du sondage F inf. en particulier présentent toutes les caractéristiques d’une série assez peu perturbée.
Système de production
55Toutes les pièces issues des sondages sont caractérisées par un seul et même système de production : le débitage Levallois récurrent unipolaire (ou bipolaire), orienté vers la production d’éclats Levallois, de grandes dimensions, allongés, de morphologie quadrangulaire, de section transversale assez symétrique et au profil sub‑rectiligne. Ce débitage a donné lieu à un important travail de préparation des nucléus. Cela se traduit par des plans de frappe mis en place par de nombreux enlèvements et s’étendant dans la plupart des cas à toute la périphérie des nucléus, ainsi que par des surfaces de débitage dont les bords latéraux, voire distaux, sont systématiquement aménagés au moyen d’enlèvements multidirectionnels assez envahissants. Le débitage Levallois conditionne la totalité du débitage : nucléus et produits indifférenciés ne relèvent pas d’un autre système de production. Ils correspondent manifestement soit à des sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois, soit à des formes expédientes et opportunistes de débitage.
Outillage
56On distingue principalement quatre groupes d’outils dans cette série :
– des pièces transformées au moyen d’une troncature servant de plan de frappe pour de petits enlèvements produits sur leurs faces supérieures. La troncature est généralement soit simple (proximale ou distale), soit double (proximale et distale). Dans un nombre restreint de cas, cet aménagement est associé à un outil (le plus souvent de type racloir), réalisé aux dépens d’un bord adjacent ;
– des outils dénommés « racloirs‑rabots », caractérisés par un front retouché piano‑convexe dont l’angle très obtus, est compris entre 70 et 80° ;
– des outils divers : principalement encoches, denticulés et burins, correspondant à des formes expédientes d’outils ;
– des pièces bifaciales, au nombre de six. Il s’agit dans l’ensemble de pièces d’assez petites dimensions, de section dissymétrique et de morphologie irrégulière (fig. 18).

FIG. 18 – Le Pucheuil : série A (sondages de la première campagne). 1 pièce bifaciale dégagée du sondage C, 2 pièce bifaciale dégagée du sondage F inf.
AD/AFAN ; CNRS
Zones 17 et 18
57L’essentiel du matériel (cf. décompte : tabl. iv) de cet ensemble provient de la zone 17.
Zones 17‑18 | |
Blocs bruts | 0 |
TABL. IV –Le Pucheuil : décompte de l’ensemble lithique de la série A, couche 2A (2e campagne de fouille).
État d’altération
58L’aspect physique des pièces est semblable à celui des pièces dégagées dans les sondages les plus proches de la doline, et en particulier les sondages 31 et 50. Les fragments gélifs constituent 18 % des pièces de cet ensemble.
Système de production
59Le système de production repose exclusivement sur le débitage Levallois récurrent unipolaire. Cet ensemble se distingue par une forte proportion de nucléus. Parmi les nucléus Levallois, les nucléus récurrents unipolaires (n = 14) sont largement dominants ; les autres sont des nucléus récurrents bipolaires (n = 4) ou à enlèvements multidirectionnels (n = 1), Le débitage Levallois présente les mêmes caractéristiques que celles énoncées (cf. supra) pour le matériel des sondages, et s’accompagne en toute logique d’une même finalité de la production. Quelques pièces présentent des impacts de percussion nombreux et très localisés. Ces pièces ont manifestement servi de percuteurs.
Outillage
60Les outils à retouches continues sont très majoritaires dans cet ensemble (n = 10). La retouche est dans tous les cas limitée à une portion très réduite du contour des pièces ; elle concerne aussi bien leur face supérieure que leur face inférieure. C’est une retouche écailleuse dégageant des tranchants de délinéation régulière ou bien irrégulière et denticulée. Les supports de ces outils présentent des caractères morphotechniques très variables ; trois d’entre eux sont des nucléus Levallois. Cet ensemble compte aussi deux pièces à troncature inverse (proximale) utilisée comme plan de frappe pour le débitage d’enlèvements sur leur face supérieure. Ces enlèvements sont dans les deux cas très envahissants. Ils sont associés à un racloir s’étendant sur une portion réduite du contour des pièces.
Zones 1, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 19, 20, 21, 25
61En raison du faible nombre de pièces de la série A dégagées dans chacune de ces zones (cf. décompte : tabl. v), et de l’absence totale de différences notables (sur le plan qualitatif) entre les zones, le matériel a été réuni dans un même ensemble pour l’analyse.

TABL. V – Le Pucheuil : décompte des ensembles lithiques de la série A, couche 2B (2e campagne de fouille).
État d’altération
62La patine est très prononcée, blanche et relativement homogène ; aucune pièce n’atteint toutefois le stade de la dessilicification. Des parties moins patinées sont fréquemment visibles sur les pièces : elles correspondent à des zones plus grenues. Quelques pièces présentent une patine moins prononcée, de couleur gris‑bleu clair. Il faut noter aussi la présence de pièces à patine jaune ou orange (peu nombreuses). Entre ces pièces et les pièces à patine blanche, on observe toutes les formes intermédiaires de patines. Seule une pièce (clans la zone 4) semble se dissocier du reste de la série par une patine radicalement différente (gris foncé), mais aussi par des caractères technologiques (éclat Levallois unipolaire convergent à large talon facetté) évoquant plutôt le matériel de la série B. Les surfaces de certaines pièces présentent des zones lustrées qui semblent dues à une action de ruissellement. Les tranchants sont altérés par de nombreuses retouches non intentionnelles, associées à un léger émoussé. La fragmentation des pièces est importante, particulièrement pour les éclats Levallois : seuls 12 % d’entre eux sont entiers. La fragmentation des pièces par le gel est en revanche tout à fait minime (elle concerne à peine plus de 2 % des pièces). Les petits éléments (inférieurs à 3 cm) sont sous‑représentés.
Système de production
63Bien que très peu de nucléus soient présents dans cet assemblage, on peut sans difficultés rapporter l’ensemble de la production à un débitage Levallois récurrent unipolaire. Les éclats Levallois, nombreux, présentent des négatifs d’enlèvements antérieurs très majoritairement unipolaires. Des négatifs d’enlèvements perpendiculaires, localisés sur l’un des bords latéraux sont aussi fréquemment visibles sur les faces supérieures des éclats Levallois. Ils attestent de réaménagements des convexités latérales sur la surface de débitage des nucléus au moyen de petits enlèvements produits à partir de plans de frappe perpendiculaires, et s’intercalant entre deux séries d’éclats Levallois. La finalité du débitage Levallois est semblable à celle précédemment décrite (obtention d’éclats Levallois de grandes dimensions, allongés, quadrangulaires, et de section transversale symétrique). Aucun autre mode de débitage structuré n’est attesté dans la série.
Outillage
64Les outils retouchés ne représentent que 2 % de la totalité des pièces. Leurs supports ont des caractères morphotechniques très hétérogènes. Il s’agit pour l’essentiel d’outils à retouches continues, souvent très localisées sur le contour des pièces, parfois étendues à la totalité d’un bord. Dans la plupart des cas, la retouche est assez irrégulière et dégage un bord plus ou moins denticulé. Elle est selon les cas : courte, longue ou couvrante. Sur quelques pièces, la retouche est très fine, régulière, et modifie très peu l’angle initial du tranchant. En dehors des outils à retouches continues, la série compte aussi 2 pièces à encoche. Ces différents outils sont fréquemment associés à un aménagement de l’extrémité proximale et/ou distale des pièces par petits enlèvements produits à partir d’une troncature servant de plan de frappe, réalisée aux dépens de la face inférieure.
2.1.4.3 Série C
65La série C (1 517 pièces) était principalement contenue dans la couche 7, où elle se trouvait en position dérivée. Les pièces étaient réparties sur une hauteur de 20 à 25 cm dans la partie supérieure de cette couche, épaisse de 20 à 80 cm. Elles étaient dispersées de manière homogène, tant horizontalement que verticalement et dans des positions très variables, aussi bien horizontales qu’obliques ou verticales. Trois secteurs, fouillés lors de la deuxième campagne de sauvetage (à l’exception du sondage 61 correspondant à la première campagne), livrèrent d’importants échantillons de la série C (cf. décompte : tabl. vi) :
– la zone 1 et le sondage 61 ;
– les zones 22 à 26 ;
– la zone 13.

TABL. VI – Le Pucheuil : décompte des ensembles lithlques de la série C, couche 7.
66Seule la zone 1 fut l’objet d’une fouille fine sur une superficie très réduite (7 m2) : les pièces y furent cotées et numérotées. Dans cette zone, correspondant au versant nord de la doline, la stratigraphie était très développée. Au contraire, dans les zones 22 à 26 et 13, localisées sur le versant sud, la couche 7 s’inscrivait dans une stratigraphie très comprimée : elle surmontait l’argile à silex et était directement au contact de la terre végétale. Dans ces zones, les pièces furent collectées manuellement, sans numérotation ni relevé des objets.
Zone 1 et sondage 61
État d’altération
67La patine est très forte, de couleur jaune clair à orange foncé ; elle est généralement plus marquée au niveau des arêtes des pièces. Cet ensemble compte aussi quelques pièces à patine blanche, ainsi qu’un petit lot de pièces peu patinées de couleur gris‑bleu foncé. Ces pièces ne présentent pas de caractéristiques techniques distinctives. Les tranchants sont altérés par de nombreuses ébréchures et macro‑retouches non intentionnelles, vraisemblablement dues à des chocs répétés. Les arêtes et les tranchants sont en règle générale assez émoussés. Leur état d’altération prononcé suggère une perturbation importante du matériel. Il est en même temps assez hétérogène : des pièces très endommagées côtoient dans cette série des pièces aux tranchants relativement frais. Le gel n’a pas entraîné de détérioration importante du matériel.
Système de production
68L’unique mode de débitage présent dans la série est le débitage Levallois récurrent unipolaire (et bipolaire). Les nucléus, tout comme les éclats Levallois, attestent de réaménagements fréquents des convexités sur les surfaces de débitage, au moyen d’enlèvements assez envahissants produits à partir des bords latéraux des nucléus. Les plans de fracturation des enlèvements de réaménagement des convexités, souvent très obliques par rapport au plan de fracturation des enlèvements Levallois, confèrent à la surface de débitage une section transversale assez bombée. Les nucléus et éclats à enlèvements strictement unipolaires sont nettement plus nombreux que ceux à enlèvements bipolaires. La fragmentation des éclats Levallois est importante. De forme le plus souvent quadrangulaire allongée, ce sont des pièces assez épaisses et de section rarement symétrique. Leurs talons sont fréquemment facettés.
Outillage
69Les supports des outils retouchés (n = 9) ont comme caractère commun des dimensions assez importantes, et en particulier une forte épaisseur. Cinq pièces présentent un aménagement par enlèvements plus ou moins envahissants produits à partir d’une troncature utilisée comme plan de frappe. Dans trois cas, cet aménagement est associé à une retouche effectuée sur la même face, aux dépens d’un bord adjacent ou opposé. Les autres outils retouchés sur éclats consistent en un outil à retouches continues courtes et assez irrégulières, deux outils de type « racloir‑rabot » aménagés à l’extrémité distale d’éclats, une pièce à large encoche retouchée.
70Le sondage 61 a livré aussi un biface de contour et de section très asymétriques, et présentant un aménagement final par retouche des deux bords sur la même face. Il s’agit manifestement d’un biface ayant servi de support pour un outil retouché de type racloir.
Zones 22, 23, 24, 25, 26
71La majorité des pièces de cet ensemble proviennent des zones 25 et 26.
État d’altération
72La patine est très prononcée, jaune à orange foncé, et altère de manière non uniforme une bonne partie des pièces. Il faut souligner aussi la présence de quelques pièces peu patinées, de couleur gris‑bleu foncé, ainsi que de pièces très patinées, de couleur blanche, atteignant dans quelques rares cas le stade de la dessilicification. Ces pièces ne présentent pas de caractères techniques ou typologiques distinctifs par rapport au reste du matériel. Les bords des pièces sont fréquemment altérés par des ébréchures et retouches non intentionnelles ; ils sont cependant très peu émoussés dans l’ensemble, et se trouvent dans un état de fraîcheur globalement meilleur que ceux de la zone 1. L’action du gel sur cette série est très limitée (les fragments de gel constituent moins de 2 % du matériel). La très faible proportion des petits éléments suggère un déplacement important du matériel. L’état d’altération de cet assemblage est globalement assez homogène.
Système de production
73Le débitage Levallois récurrent unipolaire regroupe la plupart des éclats et nucléus Levallois ; les produits Levallois bipolaires sont toutefois assez bien représentés. Aucun autre mode de production structuré n’intervient. Les nucléus, de grandes dimensions pour la plupart, ont été l’objet d’aménagements importants : les plans de frappe s’étendent à toute la périphérie des pièces, et les surfaces de débitage présentent des aménagements de convexité latérales et/ou distales presque systématiques et déterminant des bords souvent fortement inclinés. Les mêmes principes techniques régissent le débitage par enlèvements unipolaires et le débitage par enlèvements bipolaires. Les éclats Levallois sont de dimensions importantes ; leur morphologie est le plus souvent quadrangulaire allongée et leur profil sub‑rectiligne. Les dimensions des éclats corticaux, tout comme l’aspect de leurs surfaces corticales, indiquent que les rognons exploités étaient assez volumineux et leurs contours très accidentés. Les surfaces corticales de plusieurs éclats se caractérisent par un piquetage très marqué et très localisé, qui semble correspondre à l’emploi de ces objets (préalablement à leur débitage) comme percuteurs.
Outillage
74L’outillage se subdivise en quatre grandes catégories d’objets : les racloirs‑rabots, aménagés aux dépens de pièces épaisses et le plus souvent fragmentaires, les racloirs amincis (retouches associées à un aménagement par troncature et enlèvements postérieurs), les pièces amincies (même aménagement sans racloir associé), et les bifaces. Les deux spécimens de bifaces dégagés dans ces zones relèvent d’une même conception volumétrique piano‑convexe du biface.
Zone 13
État d’altération
75L’altération des pièces est très proche de celle du matériel des zones 22 à 26, avec une diversité un peu plus marquée dans les états de patine. La patine est prononcée, de couleur jaune à orangé et non uniforme pour la majorité des pièces, mais aussi gris pâle à gris‑vert pâle ou blanche pour une proportion non négligeable de pièces. Les tranchants sont relativement frais, très peu émoussés avec des ébréchures et retouches non intentionnelles assez fréquentes. L’action du gel est tout à fait minime.
Système de production
76L’ensemble est techniquement homogène et s’inscrit dans le même système de production que le matériel des zones 22 à 26. Le débitage Levallois récurrent unipolaire (ou bipolaire) est exclusif et s’inscrit dans les mêmes objectifs : l’obtention d’éclats Levallois quadrangulaires allongés de grandes dimensions.
Outillage
77Cet ensemble ne compte aucun produit retouché.
2.1.4.4 Mélanges des séries B et C
78Grâce à leurs caractéristiques physiques, techniques et typologiques tout à fait spécifiques, il a été possible de déterminer que les séries B et C se retrouvaient mélangées dans certaines couches. Ce phénomène a été reconnu d’une part au niveau de la couche 4 dans les zones 1 et 2 ainsi que dans le sondage 61, et d’autre part au contact des couches 6E et 7 dans les zones 10, 11 et 12.
Zones 1 et 2, sondage 61. (cf. décompte : tabl. vii)
État d’altération
79L’état d’altération des pièces est très hétérogène dans cette série. Les séries C et B se distinguent toutefois assez aisément.
80La série C correspond à l’ensemble le plus patiné. La patine, de couleur jaune à orangé, est profonde et couvre de manière uniforme la surface des pièces. Celles‑ci présentent aussi parfois des zones lustrées, résultant probablement d’un ruissellement. Les tranchants sont endommagés par de nombreuses ébréchures et retouches non intentionnelles ; ils sont en revanche très peu émoussés. Une très faible proportion de pièces a été altérée par le gel. Cet ensemble se trouve dans un état d’altération tout à fait semblable à celui de la série C, dans les secteurs 22 à 26.

TABL. VII – Le Pucheuil : décompte des ensembles lithiques des séries B et C, couche 4.
81La série B, assez peu patinée, regroupe des pièces dont la couleur dominante est gris‑bleu clair ; quelques pièces portent un voile orangé non uniforme, tandis qu’une autre partie des pièces présente une patine gris‑vert assez uniforme. Leur appartenance à l’ensemble peu patiné est attestée par plusieurs remontages. Ceux‑ci consistent en 2 remontages de 7 éléments, 2 remontages de 4 éléments, 2 remontages de 3 éléments et 10 raccords de 2 éléments. Les tranchants des pièces comportent des ébréchures et retouches de faible ampleur : ils sont dans un état de fraîcheur globalement meilleur que ceux de l’autre ensemble. Aucune pièce de cet ensemble n’a subi l’action du gel. L’aspect physique du matériel est très proche de celui de la série B dans les zones 9 et 19, avec quelques nuances résultant probablement des perturbations subies par la couche 6E dans ce secteur. La présence de pièces présentant des états de patine plus avancés, voire d’aspect différent (patine gris‑vert), est certainement due à la nature du sédiment dans lequel elles ont été incluse après leur remaniement. Cet ensemble a manifestement connu des remaniements moins importants que l’ensemble très patiné. Viennent à l’appui de cette idée l’altération nettement moindre des tranchants, la forte représentation des petits éléments et la réalisation de remontages.
82Quelques pièces présentent une patine très prononcée de couleur blanche. Si l’on se fie à l’état d’altération de leurs tranchants, il semblerait qu’elles se rattachent plutôt à la série C.
Système de production
83Cet assemblage comprend une proportion assez faible d’éléments bien caractérisés sur le plan technique ; la lecture technologique du matériel est de plus rendue assez difficile du fait de son hétérogénéité. Néanmoins, dans leur ensemble, les pièces attribuées aux séries B et C présentent des caractères techniques à la fois nettement différenciés, et similaires à ceux qui ont servi à la caractérisation de ces séries dans les zones où elles étaient stratigraphiquement séparées.
84Pour la série C, l’unique mode de débitage repose sur la production Levallois récurrente unipolaire (ou bipolaire).
85Dans la série B, on retrouve les deux principaux modes de production caractérisant le matériel de la couche 6E :
– la production de type Le Pucheuil est attestée par un ensemble d’éclats et de nucléus (sur éclats et fragments d’éclats), qui présentent les mêmes caractéristiques techniques que ceux de la couche 6E. Quelques raccords entre éclats de type Le Pucheuil ont été réalisés ;
– la production d’éclats Levallois unipolaires convergents est certifiée par la présence de quelques pointes et éclats Levallois triangulaires, ainsi que par des éclats d’aménagement des surfaces de débitage assez nombreux, témoignant d’une préparation des nucléus par enlèvements unipolaires convergents. Parmi ceux‑ci on trouve notamment de grands éclats débordants et outrepassants (à dos cortical) ; les nucléus résultant de cette production sont en revanche totalement absents de l’assemblage.
86Les pièces de la série B se distinguent par des dimensions en moyenne inférieures à celles de la série C.
Outillage
87La série C comprend 4 racloirs à retouches écailleuses irrégulières, dont les supports sont des éclats corticaux. L’un d’entre eux, à retouches abruptes pourrait appartenir au groupe des racloirs‑rabots. Cet ensemble compte par ailleurs deux bifaces. L’un a été dégagé lors de la première campagne de sauvetage dans le sondage 61. C’est un biface lancéolé (L = 14 cm, 1 = 5 cm), à l’extrémité distale très finement façonnée, tandis que la partie proximale, assez épaisse, est partiellement corticale et partiellement aménagée par enlèvements burinants (fig. 19, no 2). L’extrémité distale, dont la pointe est cassée, est retouchée au moyen de retouches unifaciales sur l’un des bords et au moyen de retouches bifaciales sur l’autre bord. Sa section transversale (en partie distale) est biconvexe. Il se caractérise par une forte patine rouille‑orangé ; l’une de ses faces est altérée par une grosse cupule de gel, postérieure à son façonnage, envahissant plus de la moitié de la pièce dans sa partie proximale. L’autre biface est aussi un biface lancéolé (fig. 19, no 1), de plus grandes dimensions (L = 17,5 cm, 1 = 7 cm), à base épaisse, partiellement corticale et pointe très finement façonnée. Sa section transversale est piano‑convexe ; l’extrémité distale de la pièce a été aménagée au moyen de retouches alternantes, réalisées aux dépens de la surface convexe sur l’un des bords et aux dépens de la surface plane sur l’autre bord. Il présente une patine jaune‑orangé préservant quelques zones bleutées. Ces deux bifaces sont conçus comme des supports d’outils.
88Les 5 outils retouchés de la série B appartiennent au groupe des racloirs (1 racloir convergent, 1 racloir latéral, et 3 racloirs sur des fragments d’éclats à retouches très localisées). Leurs supports sont des éclats corticaux (n = 3) et des fragments indéterminables d’éclats (n = 2).
Zones 10, 11 et 12. (cf. décompte : tabl. viii)
89Comme dans les zones 1 et 2, les séries B et C se différencient nettement par des états d’altération, tout comme par des caractères techniques et typologiques.

TABL. VIII – Le Pucheuil : décompte des ensembles lithiques des séries B et C, couche 6E‑7.
État d’altération
90La patine des pièces de la série C est profonde, de couleur jaune à orange, et recouvrant de manière non uniforme la surface des silex ; elle est blanche et uniforme pour une petite partie du matériel. Les tranchants et arêtes des pièces présentent d’assez nombreuses ébréchures et retouches accidentelles, s’accompagnant d’un léger émoussé. L’action du gel est très limitée. L’état d’altération globalement homogène de cette série est très proche de celui de la série C dans les zones 22 à 26.
91La patine des pièces de la série B est nettement moins prononcée, de couleur gris pâle, gris‑vert pâle à gris‑bleu. Les tranchants et arêtes ne sont quasiment pas émoussés, mais présentent en revanche des retouches accidentelles assez fréquentes. Cette série n’a pas subi d’altération par le gel. Les pièces sont dans un état de préservation bon et homogène.
92Les pièces des deux séries présentent dans quelques rares cas des zones lustrées.
Système de production
93En ce qui concerne la série C, la production est régie par la méthode Levallois récurrente unipolaire (à enlèvements unipolaires et bipolaires). Les nucléus Levallois, à négatifs d’enlèvements principalement unipolaires, se caractérisent par une surface de débitage soit très régulière et plane grâce à des aménagements de convexités couvrant la totalité des bords latéraux et distaux, soit très bombée (en section transversale) avec des aménagements de convexités réduits, voire absents. Les éclats Levallois présentent les mêmes caractéristiques d’ensemble que ceux de la série C dans les zones 22 à 26.
94L’échantillon de matériel étant assez réduit pour la série B, sa caractérisation technique ne peut s’effectuer que par analogie avec le matériel de la série B dans la couche 6E. On retrouve ainsi certains des éléments caractéristiques des productions de type Le Pucheuil et Levallois à enlèvements unipolaires convergents :
– la production d’éclats de type Le Pucheuil est attestée par la présence de 4 nucléus ; ce sont de petits nucléus dont les supports sont des fragments d’éclats ; aucun éclat de type Le Pucheuil n’a été retrouvé ;
– au contraire, le débitage Levallois à enlèvements unipolaires convergents n’est représenté par aucun nucléus ; les témoins de ce mode de débitage consistent en quelques pointes et éclats Levallois triangulaires (n = 6), et en une petite série d’éclats débordants et outrepassants allongés.

FIG. 19 – Le Pucheuil : série C. 1 biface lancéolé provenant des zones 1 et 2 (couche 4), 2 biface lancéolé provenant du sondage 61 (couche 7).
MB/CNRS
Outillage
95On retrouve parmi les vestiges de la série C la panoplie « classique » d’outils propres à cette série. Les pièces à troncature et enlèvements postérieurs sont bien représentées (n = 10) et associées pour la moitié d’entre elles à un racloir, dont la position par rapport à cet aménagement varie d’une pièce à l’autre. Les racloirs réalisés sur ces pièces présentent des retouches écailleuses épaisses, parfois courtes et abruptes. Plusieurs pièces à troncature et enlèvements postérieurs n’ayant pas fait l’objet d’une transformation par retouches, pourraient correspondre à des nucléus sur éclat. On trouve aussi plusieurs racloirs (n = 4) sans aménagement par troncature et enlèvements postérieurs. Deux d’entre eux comportent des retouches écailleuses épaisses et régulières, tandis que les deux autres se caractérisent par des retouches irrégulières et denticulées. La série ne compte en revanche qu’un seul racloir‑rabot : il a été réalisé sur un fragment de nucléus.
96L’outillage de la série B semble correspondre à un outillage très rapidement exécuté pour des besoins expédients. Il s’agit d’un racloir à retouches écailleuses épaisses et régulières, de 2 outils denticulés (retouche périphérique couvrant presque tout le contour de l’objet pour l’un d’eux), d’une pièce à troncature inverse et enlèvements postérieurs et d’un outil à retouches continues très abruptes.
2.1.5 Conclusion
97Chacune des trois séries lithiques regroupe des vestiges dont l’état de patine et les caractéristiques techniques et typologiques sont très homogènes. La série B se distingue des deux autres par une très faible altération, une position stratigraphique secondaire proche s’accompagnant d’un déplacement manifestement peu important du matériel et des caractéristiques technologiques nettement différenciées.
98En revanche, les similitudes marquées entre les séries A et C posent le problème de la relation entre les deux séries. Les séries A et C ont été logiquement dissociées lors de la fouille, en raison de leurs contextes géomorphologiques et topographiques respectifs ; l’analyse technologique préliminaire de ces séries d’une part, l’approche morphogénétique du site d’autre part ont rapidement orienté les recherches vers l’idée d’une possible concordance entre les séries A et C.
99Sur le plan technique, ces ensembles relèvent d’un mode de production semblable, fondé sur une même finalité de la production. Les outils retouchés, très peu nombreux, regroupent dans les deux séries à la fois des outils atypiques, correspondant manifestement à des formes expédientes d’outils, et des pièces très particulières telles que les racloirs‑rabots et les pièces à troncature et enlèvements postérieurs. Ces indices semblent suggérer que ces deux séries n’en constituaient qu’une initialement.
100Quant aux dissemblances dans l’état physique des deux séries, elles résultent très probablement de genèses différentes dans les phénomènes d’altération intervenus à l’intérieur et à l’extérieur de la doline. L’altération des bords des pièces de la série A, tout comme la très faible représentation des éléments de petites dimensions, suggèrent des perturbations assez importantes. La fragmentation du matériel par le gel est importante pour la série A, et certainement en rapport avec la situation des pièces hors de la doline. Si l’on admet provisoirement l’hypothèse que les deux séries n’en faisaient qu’une originellement, ces observations indiqueraient que le matériel piégé dans la doline a été, du fait de sa position, largement épargné par les phénomènes d’altération qui ont affecté le matériel hors de la doline.
101En outre, plus les sondages sont éloignés de la doline, qui correspond en fait au sommet topographique du secteur, plus la fragmentation du matériel de la série A par le gel est importante et plus l’altération des tranchants est forte. L’ampleur de l’altération et probablement du déplacement subis par les vestiges s’accentue donc en fonction de leur éloignement du sommet topographique.
102Ces arguments méritent d’être confrontés aux données géomorphologiques. La série A est localisée autour de la doline et est absente à l’emplacement même de la doline. En revanche, la série C est exclusivement conservée à l’intérieur de la doline. Aucune de ces deux séries n’est en position primaire. Si la position chronostratigraphique initiale de la série C peut être raccordée au stade isotopique 7, celle de la série A est beaucoup plus délicate à évaluer. La série A est en effet située dans le Weichsélien ancien, correspondant à un dépôt de démantèlement. Elle ne peut pas provenir de l’Éémien (paléosol aux dépens duquel s’est formé le Weichsélien ancien) dans la mesure ou l’Éémien, scellant la doline, est quasiment stérile. D’autre part, il a été observé sur la bordure sud de la doline que le dernier paléosol interglaciaire saalien (Elbeuf II) remontait sous la pédogénèse de surface actuelle. À la lumière de ces deux arguments, on peut émettre l’hypothèse que les séries A et C ne formaient initialement qu’une seule entité archéologique. Celle‑ci procéderait d’une implantation humaine installée avant la formation de la doline, et dont une partie des vestiges aurait été piégée dans la dépression, tandis que l’autre partie (série A), hors de la doline, aurait subi plusieurs démantèlements de sols successifs jusqu’à un ultime démantèlement consécutif à la mise en place du Weichsélien ancien. Les observations relatives à la géométrie complexe des sédiments tronqués en bordure de doline viennent à l’appui de cette hypothèse.
103Le gisement du Pucheuil comprend donc vraisemblablement deux entités archéologiques distinctes (séries A‑C et B), correspondant à deux occupations humaines conservées en grande partie dans une doline, l’une en position secondaire proche, l’autre en position nettement dérivée. Ces deux occupations sont le fait de groupes aux traditions techniques différentes. La première (séries A et C) est comprise entre les deux derniers interglaciaires saaliens (fin du stade isotopique 8 ou début du stade isotopique 7 : aux environs de 250 000 BP), tandis que la seconde (série B) s’inscrit au début du dernier glaciaire saalien (début du stade isotopique 6 : vers 200 000‑180 000 BP).
2.2 Cadre géomorphologique et stratigraphique
2.2.1 Cadre géomorphologique
104Le site du Pucheuil est localisé à l’extrémité nord‑est du pays de Caux qui est un vaste plateau en pente douce vers l’ouest (180 m d’altitude au Pucheuil, moins de 100 m vers Étretat, le plateau dominant la Manche par une falaise de craie d’environ 90 m de haut). Cette surface plane est développée sur la craie du Crétacé et recouverte par de puissantes formations superficielles : à la base, 6 à 8 m d’argile à silex provenant de la dissolution de la craie et de l’amalgame avec des sables marins ou fluviatiles tertiaires (Pliocène), et, au‑dessus, des lœss épais en moyenne de 3 à 10 m.
105Cette extrémité du pays de Caux (Le Pucheuil) domine de 70 m la vallée de la Varenne qui borde au sud‑ouest la boutonnière du pays de Bray, région au modelé complexe et varié lié à l’évidement des formations tendres (sables et marnes anté‑craie : Jurassique, Crétacé inférieur).
106Le môle du Pucheuil a cependant une particularité : au niveau de la zone observée pendant la fouille, il y a peu d’argile à silex, peu de lœss, mais par contre de nombreux restes, en général remaniés au Quaternaire, de sédiments éocènes. Ceux‑ci sont particulièrement épais au nord‑est du Pucheuil, vers Saint‑Saëns, et comportent des sables avec des petits galets marins (galets avellanaires) et des sables silicifiés (grès) d’âge tertiaire (Éocène). L’aspect discontinu de l’argile à silex s’explique par la position de môle (peut‑être tectonique) favorable à la dénudation. La faible épaisseur du lœss (d’âge weichsélien) est liée à l’amincissement vers l’est et le nord‑est de la couverture limoneuse éolienne puisque les sources se situent à l’ouest en Manche, quand celle‑ci était à sec pendant les périodes les plus froides (Lautridou 1985).
107L’intérêt exceptionnel du site tient dans l’existence d’une poche karstique de 50 m de large et d’au moins 10 m de profondeur (la craie sous‑jacente n’a pas été atteinte, fig. 20). Cette poche a permis de piéger plusieurs séquences de lœss ancien. Le soutirage karstique en profondeur (par dissolution de la craie) a joué deux fois. On note bien sur les relevés topographiques qu’il y a deux centres d’aspiration (œil) vers le bas (fig. 21 et 22). Ce phénomène n’a cependant rien d’exceptionnel (Rodet 1992).

FIG. 20 – Le Pucheuil : transect général de la doline. 1 sol actuel, 2 lœss de couverture, 3 Weichsélien ancien, 4 Éémien, 5 Saalien, 6 argile à silex.
CB/Culture

FIG. 21 – Le Pucheuil : superposition du plan de fouille sur les courbes de niveau du substrat.
AR/AFAN ; HH/CNRS

FIG. 22 – Le Pucheuil : représentation en 3 dimensions de la doline. 1 plan de la fouille, 2 topographie du substrat, 3 courbes de niveau du substrat.
HH/CNRS
108Les lœss anciens ont, comme les lœss récents, le faciès classique typique de la Normandie des « limons à doublets ». Ces derniers sont cependant altérés au sommet par le sol brun lessivé de surface, d’âge holocène (avec un horizon A humifère, d’environ 40 cm, retourné par les labours et un horizon B textural, de 70 à 80 cm, enrichi en argile). Ce sont des lœss non carbonatés, finement lités, avec des alternances de bandes plurimillimétriques marron et gris‑jaune. Ce faciès lité est toutefois peu visible au niveau de la doline du Pucheuil, mais il est par contre bien présent aux alentours (des sondages profonds réalisés par A. Delagnes en 1994 dans le cadre de l’A29, au Fief Toubert, lieu‑dit distant de quelques centaines de mètres de la doline du Pucheuil, ont confirmé la présence de limons lités dans ce secteur). Pour la compréhension du site, il faut raisonner en terme de séquence lœssique périglaciaire, comportant à la base des cailloutis (si un stock existe en amont), des « limons bruns feuilletés » qui résultent du nettoyage en début de période froide des dépôts limoneux anciens et deux lœss séparés par un glacis d’érosion : le glacis de Kesselt, daté de 22 000 BP. Ce cycle valable pour la dernière période est répétitif pendant tout le Pléistocène moyen. La coupe de référence pour cette séquence est située à Saint‑Romain‑de‑Colbosc, plus à l’ouest (Lautridou 1985). La nomenclature adoptée est celle définie en Normandie : le dernier paléosol interglaciaire Elbeuf I correspond à l’Éémien (vers 120 000 BP), le précédent (vers 220 000 BP) est Elbeuf II et le troisième –Elbeuf III– se situe vers 320 000 BP.
109Dans le cadre de cette étude, nous commencerons dans un premier temps par décrire les séquences clefs en nous limitant aux coupes importantes. Nous décrirons ensuite la géométrie du site et de ses formations, indispensable à la compréhension de la stratigraphie des lœss et de leur mise en place, en y intégrant la position des séries archéologiques.
2.2.2 Contexte stratigraphique et géométrie des sédiments. Pour le détail des coupes, cf. infra fig. 23 à 29
2.2.2.1 Profil transversal I (N.‑E./S.‑O.). fig. 16
110Ce profil passe par l’un des deux centres karstiques d’aspiration précédemment mentionné. Il correspond aux coupes 99, 120, 103, 105, 110 (fig. 26). Les épaisseurs des couches sont données par l’échelle des hauteurs sur toutes les figures.
111De haut en bas :
– 1 : sol brun lessivé de surface (Holocène) ayant complètement altéré le lœss récent weichsélien ;
– 2b : paléosol éémien de type sol brun lessivé (Elbeuf I) ;
– 3 : épisode lœssique brun‑jaune saalien (sans structure) ;
– 4a : limon brun foncé à gros feuilletage (5‑10 cm) ;
– 4b : petites poches de limon blanchâtre lessivé ;
– 4c ; concrétions ferro‑manganiques ;
– 4d : limon gris‑brun ou brun‑orangé feuilleté (2‑5 mm) ;
– 4e, limon feuilleté très légèrement ferro‑manganique (2‑ 5 mm) ;
– 5 : limon gris lité ;
– 6b : limon gris à revêtements ferrugineux, à gros feuilletage (5‑10 mm) ;
– 6c : poches de limon blanchâtre lessivé (à la base de 6b) ;
– 6d : niveau ferro‑manganique ;
– 6e : limon brun clair argileux ; il contient l’industrie de la série B ;
– 6f : niveau à blocs manganiques et galets avellanaires ;
– 7 : nouveau paléosol de type sol brun lessivé dégradé, avec glosses d’hydromorphie (Elbeuf II : 2e sol interglaciaire bien connu à Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf, environ 220 000 BP) ;
– 9 : niveau de limon mélangé à des petits galets avellanaires (issus du Tertiaire) ;
– 11 : lambeau de limon rouge argileux probablement interglaciaire (coupe 120) ;
– 12 : ensemble complexe de limons plus ou moins rubéfiés et d’argile lie‑de‑vin issus du Tertiaire (coupe 110) ;
– 13 : argile à silex.
112On notera qu’il n’est pas mentionné de couche 6a. Afin d’éviter toute confusion, nous avons conservé les numérotations de terrain. Il s’est avéré par la suite que la distinction 6a/6b n’était pas fondée. Nous avons donc conservé la numérotation 6b et éliminé 6a.

FIG. 23 – Le Pucheuil : numérotation des coupes de la doline.
AR/AFAN

FIG. 24 – Le Pucheuil : légende des coupes.
AR/AFAN

FIG 25 – Le Pucheuil : exemples de stratigraphies relevées dans des sondages hors doline. 1 coupe ouest du sondage 41, 2 coupe nord du sondage 42, 3 coupe est du sondage 29, (légende, cf. fig. 24).
AR/AFAN

FIG. 26 – Le Pucheuil : coupes 99,120, 103, 105,109, 110, 121,131, (légende, cf. fig. 24)
AR/AFAN
113En ce qui concerne l’ensemble 12, il faut préciser que la stratigraphie était très comprimée sur cette bordure sud de doline et donc difficile à interpréter. À cet endroit, le sol 7 (Elbeuf II) remonte probablement jusqu’à la surface et recouvre le complexe d’argile à galets d’âge antérieur.
114Pour ce profil transversal I, il n’y a donc que peu de lœss weichsélien, d’ailleurs altéré par la pédogenèse de surface. On note la présence de deux grands paléosols (Elbeuf I et II), séparés par un complexe de limons lœssiques qui sont soit des lœss, soit des limons bruns feuilletés (conséquence de gels profonds) avec souvent des niveaux ferro‑manganiques, indicateurs d’hydromorphie. Comme nous l’avons mentionné précédemment, ces limons bruns feuilletés correspondent à des phases de remaniement et d’érosion de lœss antérieurs et sont de même type (mais plus âgés) que les limons bruns feuilletés du début weichsélien, non visibles dans ce profil, mais repérés à proximité de la poche karstique, côté sud, et contenant une industrie Ethique abondante (série A).
2.2.2.2 Profil longitudinal (N.‑O./S.‑E.)
115La coupe 111 (fig. 27), perpendiculaire au profil précédent, s’accompagne d’un sondage à la tarière. Elle permet de compléter la stratigraphie de la base des horizons 6 qui repose sur le paléosol Elbeuf II :
– 6g : niveau loessique gris‑brun orangé, non feuilleté de part et d’autre du niveau de manganèse 6d ;
– 6h : limon brun‑noir argileux, très manganique et organique (sol noir) ;
– 6k : limon blanchâtre (coupe 131).

FIG. 27 – Le Pucheuil : coupes 111, 101, 104, (légende, cf. fig. 24).
AR/AFAN

FIG. 28 – Le Pucheuil : coupes 100, 130, 106, 107, (légende, cf. fig. 24).
AR/AFAN
116Le sol noir 6h est typique des débuts de séquences lœssiques, mais on a rarement l’occasion d’en observer, car les limons feuilletés les ont érodés. Dans ce cas, on se situe vers 200 000 BP (Saalien). Précisons que ce sol noir est incomplet : il correspond à un sol tronqué dont la partie érodée a alimenté la couche 6e.
2.2.2.3 Profil transversal II (N. ‑E. /S. – O.)
117Ce profil est moins long que le profil transversal I. Il passe par le centre du deuxième œil, mais se limite à un transect allant de la bordure sud (coupe 113, fig. 29) au centre de cet effondrement. Les levés ont été faits dans des conditions difficiles (gel profond, eau dans la fosse, problèmes de sécurité) et ne sont pas, de ce fait, très détaillés. Les grands ensembles n’en sont pas moins définis dans leur stratigraphie.

FIG. 29 – Le Pucheuil : coupes 113 et 108, (légende, cf. fig. 24)
AR/AFAN
118En termes de chronostratigraphie, on trouve des séquences plus âgées qu’au niveau du premier transect. On se situe ici au niveau de l’effondrement karstique le plus ancien, avec pour conséquence directe la conservation des dépôts de base, Les séquences les plus récentes, constituées du Weichsélien et du Saalien supérieur sont incomplètes et comprimées. Par contre, sous le paléosol Elbeuf II (couche 7), il y a des sédiments éoliens et détritiques dilatés, principalement entre le sol interglaciaire Elbeuf II et Elbeuf III (soit environ entre 220 000 et 320 000 BP – lœss ancien moyen). Il n’y a plus de lœss caractérisé, mais des limons lœssiques avec des intercalations de galets tertiaires remaniés. On a affaire à des limons brunâtres ou grisâtres, souvent feuilletés, les feuillets étant recouverts d’un film ferro‑manganique témoignant de conditions froides et d’hydromorphie. Ce qui est important c’est que l’on soit en contexte lœssique, même si la distinction précédemment définie entre lœss typique et limon feuilleté de base n’est pas toujours évidente. Cette dépression comporte donc un cycle lœssique antérieur à celui de l’effondrement karstique précédent. Vers la base, on a pu observer rapidement (avant le remplissage par l’eau) un autre paléosol qui correspond sans doute à Elbeuf III. Sous ce paléosol, des formations hétérométriques à changement latéral de faciès se caractérisent par un mélange de limon et surtout de sables, d’argiles et de galets tertiaires remaniés au Quaternaire. Localement, comme dans le profil transversal I, il subsiste des lambeaux de limons argileux rouges (niveau 11) qui sont peut‑être l’équivalent de paléosols plus anciens de la base du Pléistocène moyen, appelés Iville 5‑6 (Lautridou 1985).
119On a ainsi sous Elbeuf II (niveau 7), d’une part, dans le fond de la dépression, des horizons à dominante limoneuse et à galets, subdivisés de 8a à 8i (mais ces subdivisions sont secondaires), et d’autre part, en haut de versant, un horizon 9 dans lequel les galets et sables prédominent. Cet horizon 9 n’est visible que sur les coupes 108 et 113 et aucun raccord stratigraphique n’a pu être mis en évidence avec l’ensemble 8. Sous Elbeuf III (ensemble 81), la part limoneuse devient minoritaire par rapport aux apports détritiques d’origine tertiaire.
Séquence antérieure à Elbeuf II dans la partie profonde de la première dépression
120– 8a : niveau limono‑argileux brun‑jaune clair.
– 8b : niveau limono‑argileux orangé.
– 8c : limon gris‑brun légèrement argileux.
– 8d : lit de galets avellanaires.
– 8e : limon gris‑brun feuilleté, à revêtement argileux.
– 8f : niveau ferrique.
– 8g : niveau limoneux gris‑brun à galets avellanaires.
– 8h : niveau ferro‑manganique à galets.
– 8i : limon argileux brun clair à nombreux galets avellanaires (Elbeuf III).
121En haut de versant, la stratigraphie est plus compactée (coupes 108 et 113) et il semble que le paléosol Elbeuf II repose presque directement sur le paléosol Elbeuf III ou sur des niveaux à galets avellanaires d’âge indéterminé (9), particulièrement développés dans une petite poche à l’extrémité sud de la coupe 108.
Séquence antérieure à Elbeuf II sur le bord interne de la doline
122– 9 : niveau de galets avellanaires dans une matrice limono‑argileuse.
– 10a : limon argileux brun‑orangé à galets diffus et à glosses (il pourrait correspondre au paléosol Elbeuf III, bien que la concordance stratigraphique avec la couche 8i n’ait pas pu être établie).
– 10b : galets avellanaires dans une matrice argilo‑Iimoneuse orangé‑gris.
– 10c : galets avellanaires dans une matrice argileuse brune.
– 10d : croûte manganique,
– 10e : limon brun clair à galets avellanaires très nombreux.
– 11 : vieux sol rouge argileux, présent aussi localement dans le profil 1 (Iville 5 ?).
– 12 : sables, galets et argiles dérivés du Tertiaire.
2.2.2.4 Contexte stratigraphique à l’extérieur de la doline. fig. 22
123Nous avons signalé, à propos du profil transversal I, les difficultés de raccordement stratigraphique sur le bord interne sud de la doline. En dehors de celle‑ci, on trouve, sur le substrat de craie, de rares lambeaux d’argile à silex et des résidus remaniés des sédiments tertiaires éocènes (sables, galets, argile, silicifications). La stratigraphie est comprimée. Localement, en bas de versant, on peut retrouver 1 à 2 m de lœss récent, sans limon brun feuilleté (sondages 1 et 2 : cf. supra fig. 12, § 2.1). En revanche, en bordure sud de la doline, à l’extérieur de celle‑ci, ne subsiste pas de lœss récent weichsélien et on n’observe que très peu de limon brun feuilleté à la base de la séquence. Rappelons que ce limon brun feuilleté n’est pas reconnaissable à l’intérieur de la doline en raison de la pédogenèse de surface, Il varie d’épaisseur rapidement sous l’effet de petits appels au vide karstique, qui sont sans commune mesure avec la doline du Pucheuil. Dans ces petites dépressions périphériques, on trouve des paléosols interglaciaires d’âge difficilement déterminable. Le matériel lithique de la série A est abondant dans les limons bruns feuilletés qui remanient les sédiments tertiaires et quaternaires. Il ne peut être replacé chronologiquement d’après les seules observations stratigraphiques. Mais il est certain que la série A est issue d’un niveau plus ancien que le limon brun feuilleté ; ce niveau est probablement l’un de ceux observés en stratigraphie dans la doline.
124Sur le côté ouest, il y a très peu de sédiments : le lœss récent (épaisseur décimétrique) recouvre un pavage parfois épais de galets avellanaires remaniés, constituant le cailloutis de base du lœss récent ; celui‑ci s’épaissit ponctuellement au niveau de petites poches karstiques.
2.2.3 Conclusion : intérêt et complexité de la doline du Pucheuil
125Cette doline karstique, à fond d’effondrement mobile, a le grand intérêt d’avoir piégé des sédiments lœssiques anciens totalement érodés en dehors de la dépression dans ce môle de dénudation. C’est une doline qui a été particulièrement active si on la compare à celle d’Etoutteville et de Saint‑Romain, plus à l’ouest, où la déformation des lœss et paléosols est souple. Dans le cas présent les structures des sédiments (que nous n’avons pas précisées en détail puisque nous voulions nous consacrer à la stratigraphie et à la géométrie des limons pour assurer un cadre chronologique aux matériels lithiques) témoignent de microfailles, de dislocations synsédimentaires qui feront l’objet de développements ultérieurs. Il importe de savoir qu’il y a eu, avant le Weichsélien, deux séquences de lœss séparées par les interglaciaires d’Elbeuf I (Éémien) et d’Elbeuf II précédées d’une troisième séquence moins nette, moins typiquement limoneuse au‑dessous. Les assemblages lithiques se placent surtout dans la couche 6E (série B), au début du lœss ancien supérieur (Saalien) et dans le paléosol Elbeuf II (série C). La série A, trouvée en bordure, est en position remaniée.
126Les deux grandes phases d’effondrement karstique se placent (pour la plus ancienne, à l’ouest) au début de la période froide (et peut‑être pendant) qui débute vers 300 000 BP (lœss ancien moyen), et pour la plus récente (à l’est) au début de la dernière période froide saalienne, vers 200 000 BP (base du lœss ancien supérieur). Les dépressions karstiques connues plus à l’ouest (Etoutteville : cf. infra § 3.3 ; Saint‑Romain, Goderville : Lautridou 1985) sont plus récentes (début Weichsélien). Dans l’ensemble, on considère que le développement des formes karstiques de dissolution de la craie, importantes en période interglaciaire, ont connu une suractivation en début de période froide, grâce au jeu combiné du froid et de l’humidité, favorisant ainsi une augmentation des appels au vide.
127Le rapport entre la dynamique des effrondrements et la chronologie des occupations humaines sera discuté dans la synthèse (cf. infra § 2.5).
2.3 L’industrie lithique de la série B du Pucheuil
2.3.1 Cadre d’étude
128L’étude de la série B s’appuie sur un ensemble de documents lithiques d’une qualité exceptionnelle, tant par leur état de préservation que par la clarté des intentions et des moyens techniques qui gouvernent la production. La clarté est liée tout autant à la précision des objectifs techniques qu’au niveau de technicité élevé des auteurs de cette production. Du point de vue du préhistorien, cette clarté résulte en grande partie d’une méthode d’analyse qui a pu s’appuyer sur des remontages nombreux et démonstratifs. À un premier stade d’étude, la lecture des chaînes opératoires s’appuie sur le décryptage direct des opérations de taille, à partir d’éléments concrets et indubitables : les données récoltées à ce premier stade d’observation sont d’une précision et d’une fiabilité auxquelles il est impossible d’accéder à partir d’ensembles non remontés. Ceci dit, à un second stade, la synthèse des observations recueillies n’échappe pas à une certaine subjectivité : les niveaux d’interprétation que l’on est tenté d’atteindre sont en effet d’autant plus élevés que la qualité des données récoltées est importante. La précision de ces dernières et l’aspect spectaculaire des documents sur lesquels se fonde l’analyse ne nous dispensent pas d’apprécier les limites de l’étude.
129En premier lieu, l’étude de la série B est limitée par le caractère incomplet de l’ensemble lithique. Cette série a été en effet spatialement tronquée par des phénomènes d’érosion qui ont affecté les zones situées au nord et au sud de la zone fouillée, tandis qu’à l’est l’inclinaison du niveau archéologique s’accentuait brusquement sous l’effet d’un affaissement des dépôts (vers le fond de la doline). Dans un tel contexte, il est bien évident qu’une partie du matériel lithique a été évacuée : le mélange de quelques éléments de la série B avec le matériel de la série A dans le niveau weichsélien à l’extérieur de la doline, suggère que la perturbation a pu entraîner des déplacements importants. En conséquence, l’origine (anthropique ou naturelle) des manques décelés dans les remontages est très difficile à déterminer. Toutes les hypothèses concernant la fonction du site butent donc sur cette question.
130La fouille a concerné deux secteurs attenants ; le premier (zones 9 et 19), d’une superficie de 32 m2, fut l’objet d’une fouille fine, tandis que dans le second (zones 4 et 5), d’une superficie de 20 m2, le matériel fut rapidement prélevé en fin d’opération. Ces deux secteurs englobaient, dans sa majeure partie, la seule zone du site où la couche 6E ne semblait pas avoir subi de perturbation importante. Le matériel était par ailleurs en position secondaire proche dans cette couche qui s’est en effet formée par démantèlement du sol noir (couche 6H) sous‑jacent, ce qui a pu entraîner un déplacement limité des pièces. Celles‑ci formaient un dépôt dense et discontinu, caractérisé par des concentrations assez nettes et spatialement circonscrites (fig. 30). Elles avaient toutefois manifestement bougé (dans des proportions que l’étude devra déterminer, au moins approximativement). Leur glissement le long de la pente assez forte (de l’ordre de 5 %) du dépôt est attesté notamment par le fait que l’axe préférentiel des liaisons entre les éléments remontés coïncide avec l’axe de la pente, orientée O.‑E. (fig. 31). La répartition spatiale des pièces de chaque remontage s’inscrit de plus dans une aire ovalaire dont le grand axe suit la même orientation. Compte tenu de ces restrictions, une analyse spatiale des remontages a pu être envisagée, puisqu’il n’est pas exclu que la configuration anthropique du dépôt ait été partiellement préservée. Malheureusement, les éléments sur lesquels elle s’appuie sont très incomplets, en raison des conditions d’urgence dans lesquelles a été prélevée une partie du matériel. Si la grande majorité des vestiges dégagés dans les zones 9 et 19 a été cotée et dessinée sur plan, en revanche les pièces dégagées dans les zones adjacentes (4 et 5) ont été prélevées au mieux par m2, au pire sans aucune indication d’ordre spatial. Or, ces zones ont livré une quantité importante de matériel de la série B, et notamment plusieurs des remontages les plus complets de la série. Par conséquent, l’analyse spatiale du matériel s’appuie, pour une large partie des pièces, sur une répartition par m2, et pour un nombre restreint, sur des coordonnées précises.

FIG. 30 – Le Pucheuil, série B : plan de répartition d’ensemble des vestiges de dimension maximale supérieure à 2 cm sur la zone de fouille fine (1 carré = 1 m2 ; la zone hachurée correspond à une banquette).
AR/AFAN

FIG. 31 – Le Pucheuil, série B : distribution des pièces des principaux éléments remontés. 1 remontage 4, 2 remontage 5, 3 remontage 8, 4 remontage 30 (1 carré = 1m2)
AD/AFAN ; CNRS
131Enfin, l’une des limites majeures de l’étude de la série B repose sur l’absence d’autres vestiges que les vestiges lithiques. Si cette situation est de règle dans quasiment tous les sites paléolithiques de plein air de la moitié nord de la France, elle mérite toutefois d’être rappelée dans la mesure où tout un pan de l’analyse, concernant notamment les activités de subsistance des occupants du site, s’en trouve occulté.
2.3.2 Fondements de l’analyse des remontages
132L’analyse du matériel de la série B s’est appuyée en tout premier lieu sur le remontage des pièces et sur l’analyse descriptive des ensembles remontés dans leur agencement dynamique. Ce type d’analyse a déjà largement fait ses preuves grâce aux travaux précurseurs menés dans des gisements plus récents, tels que Meer en Belgique (Cahen 1978 ; Cahen et al. 1980) et Etiolles dans le Bassin parisien (Pigeot 1987). D’un point de vue technologique, la représentativité des remontages de la série B du Pucheuil est comparable à celle de ces assemblages (cf. infra). Pour le Paléolithique inférieur et moyen, rares sont les gisements qui, à ce jour, ont fait l’objet de remontages suffisamment importants pour pouvoir servir de fondement à l’analyse. Parmi ceux‑ci, on peut citer notamment les sites de Maastricht‑Belvédère aux Pays‑Bas (Roebroeks 1986) et de Boker‑Tachtitt en Israël (Marks 1983 ; Volkman 1983).
133Grâce aux spécificités lithologiques des rognons débités, il a par ailleurs été possible de regrouper une large partie des pièces au sein d’ensembles distincts, correspondant pour la plupart à un unique rognon de silex. Ce regroupement, qui a largement facilité les remontages, permet d’élargir l’analyse à l’ensemble des éléments (remontés et non remontés) issus d’un même rognon. Il est possible d’estimer que 10 à 14 rognons au total ont été exploités : ils ont pu être répartis dans 9 ensembles lithologiqucs.
134La lecture technologique des remontages s’appuie principalement sur la détermination de la chronologie des enlèvements et de leur rôle technique. À partir de cette détermination, les éléments remontés sont regroupés au sein de phases opératoires, dont la finalité peut alors être spécifiée. Les données ainsi recueillies, complétées par les informations extraites des produits non remontés, permettent au Pucheuil d’accéder à une évaluation précise d’une part des règles et des principes techniques propres à chacun des modes de production, et d’autre part des options relevant de l’initiative individuelle des tailleurs.
135Les modes de production (ou de façonnage) mis en évidence s’inscrivent dans plusieurs chaînes opératoires. On distingue en outre des chaînes opératoires principales et des chaînes opératoires secondaires. Les chaînes opératoires principales sont celles qui conditionnent toute l’exploitation du rognon depuis la phase d’initialisation jusqu’à la fin de la production. Les chaînes opératoires secondaires se fondent sur le recyclage de produits extraits de la chaîne opératoire principale, dans le cadre d’une structure ramifiée de la production. Elles sont régies par des finalités techniques distinctes et s’inscrivent dans des séquences opératoires nettement plus courtes. Ces chaînes opératoires sont secondaires dans l’organisation et dans la chronologie du débitage ; cela n’implique pas qu’elles soient nécessairement secondaires en terme d’intentionnalité.
136L’exploitation de la plupart des rognons s’intègre dans la chaîne opératoire principale, fondée sur le débitage Levallois unipolaire convergent, à laquelle viennent se greffer deux chaînes opératoires secondaires. L’une, totalement inédite, repose sur la « production de type Le Pucheuil », l’autre est axée sur l’obtention d’éclats laminaires. Deux autres chaînes opératoires ont donné lieu chacune à l’exploitation d’un unique rognon. Il s’agit d’une chaîne opératoire de façonnage de biface, et d’une chaîne opératoire fondée sur la méthode Levallois récurrente centripète.
137L’analyse des caractères techniques des produits remontés a conduit à la mise au point d’une liste des produits (tabl. ix). Ceux‑ci se divisent en deux catégories :
– les produits caractéristiques d’un mode de production (ex : débitage Levallois récurrent centripète) ou d’un système technique (ex : façonnage) ; pour chaque mode de production, les différents types de produits ont été définis en fonction de leur rôle dans la chaîne opératoire ; ce classement est d’autant plus fiable et précis qu’il s’appuie sur des vestiges en partie remontés ; ceci dit, sa fiabilité reste dans tous les cas relative : des risques de confusion peuvent intervenir pour des pièces qui ne possèdent qu’une partie des attributs de ces produits caractéristiques ; en outre certains produits, morphotechniquement identiques, peuvent répondre à des objectifs distincts ;
– les produits indifférenciés, dont les caractères ne sont pas significatifs d’une phase opératoire et/ou d’un mode de production particuliers (ils constituent le fond commun de la plupart des assemblages Ethiques).

TABL. IX – Le Pucheuil, série B : liste des produits issus des chaînes opératoires de débitage et de façonnage.
2.3.3 L’industrie lithique et les remontages de la série B, en quelques chiffres
138Si l’étude technologique de la série B a été menée avec le parti pris résolu d’une approche strictement qualitative, la plus apte à traiter des documents tels que les remontages, la représentativité quantitative de ces documents doit toutefois être préalablement démontrée chiffres à l’appui. Précisons tout d’abord que les décomptes des remontages ne tiennent compte que des raccords d’ordre technique et non des raccords d’éléments fracturés. Ces remontages sont largement en deçà des potentialités de la série. Il est bien entendu impossible de quantifier celles‑ci : à l’évidence, une reconstitution plus complète de la plupart des remontages aurait pu être obtenue. Les tentatives furent toutefois interrompues à un stade où les remontages effectués furent jugés suffisamment explicites et représentatifs, et où le temps consacré à leur réalisation ne pouvait raisonnablement plus empiéter sur la part d’étude et de synthèse des données.
139En tout, 17 % des pièces, dont le nombre total s’élève à 4 111, sont intégrées dans un remontage (tabl. x). Ce taux englobe une large partie des produits dont découle l’essentiel des informations d’ordre technologique. En effet, une fois extraits les petits éléments de dimension maximale inférieure à 2 cm, très nombreux, et dont la valeur informative est minime, le taux d’éléments remontés atteint 31 %. La masse pondérale des remontages est proportionnellement encore plus importante puisqu’elle constitue 52 % du poids total de la série qui est de 31,5 kg. Plus de la moitié (53 %) des pièces remontées appartiennent à des ensembles de plus de 15 pièces. Ces principaux ensembles remontés, au nombre de 9, comprennent respectivement 88, 75, 46, 45, 35, 32, 27, 16 et 16 pièces.

TABL. X – Le Pucheuil, série B : décompte des produits remontés, proportionnellement à l’ensemble des vestiges.
2.3.4 Acquisition des matières premières
140Le silex provient dans son intégralité des formations du Crétacé supérieur (Sénonien/Turonien). L’état du cortex (souvent altéré), la présence de surfaces gélives également altérées, indiquent qu’il a été prélevé en position secondaire. Les formations tertiaires remaniées (argile à silex) qui sont présentes dans toute la région du pays de Caux à la base des dépôts quaternaires, et qui affleurent en divers endroits à proximité immédiate du gisement (à des distances de l’ordre de quelques centaines de mètres) ont très certainement constitué la source d’approvisionnement des occupants du site. Un tel schéma caractérise la quasi‑totalité des gisements paléolithiques de la moitié nord de la France ; à savoir une acquisition directe, dans l’environnement immédiat, d’une matière première dont la disponibilité a dû jouer un rôle essentiel dans le choix de l’implantation humaine.
141Secondairement, les tailleurs du Pucheuil ont prélevé leur matière première parmi leurs propres déchets de débitage ; les pièces ainsi exploitées, principalement des éclats issus des phases d’aménagement des nucléus, ont servi de supports à des chaînes opératoires secondaires.
142Les hommes préhistoriques ont aussi occasionnellement exploité des silex taillés prélevés dans des dépôts plus anciens. Quelques pièces présentent une double patine caractéristique. Un nucléus indifférencié à patine blanche très prononcée a ainsi été repris postérieurement par les tailleurs de la couche 6E, pour le débitage de quelques enlèvements dont les négatifs sont nettement moins patines (patine gris‑bleu pâle) ; l’un de ces éclats a pu être remonté sur le nucléus. Un ensemble de trois éclats corticaux, regroupés au sein d’un même remontage, présente le même phénomène de double patine.
2.3.5 Chaînes opératoires de débitage
2.3.5.1 Principes méthodologiques
143L’étude est fondée sur un certain nombre de notions qui renvoient pour la plupart au vocabulaire descriptif et technologique mis au point (et encore en cours d’élaboration) par un certain nombre de chercheurs travaillant sur les périodes anciennes de la Préhistoire (principalement : Geneste 1985 ; Boëda 1988b ; Boëdac et al. 1990 ; Terminologie Levallois à paraître).
144Tout d’abord la description des remontages s’appuie sur un découpage des opérations de taille par phases opératoires. Les phases opératoires correspondent à des séquences gestuelles s’inscrivant dans une suite logique et répondant chacune à un objectif technique intermédiaire (ex : mise en place d’un plan de frappe). Ces objectifs constituent autant d’étapes nécessaires pour la réalisation de l’objectif technique final. L’ensemble des phases opératoires s’inscrit dans la chaîne opératoire, abordée ici dans le cadre restreint de la chaîne opératoire de production lithique. Les phases opératoires s’organisent selon une succession‑type marquée par l’enchaînement des phases d’initialisation, de production, d’abandon du nucléus et d’utilisation de la production.
145L’initialisation recouvre ici son sens premier (emprunté au langage informatique) : littéralement, elle met le matériau en état d’être travaillé. Plusieurs opérations techniques s’inscrivent dans cette phase d’initialisation ; leur rôle est de mettre en place les critères techniques et volumétriques qui conditionneront la phase de production :
– la mise en forme initiale du rognon conduit à dégager, à partir d’un rognon brut, le volume de matière première exploitable ; au Pucheuil, cette opération a consisté à régulariser la morphologie des rognons, souvent très contournés, par l’enlèvement de parties en excroissance ; elle a pu aussi constituer un premier test de la matière première ;
– l’aménagement du plan de frappe, le choix de sa position et son étendue sont directement dictés par le système technique et la méthode de débitage régissant la production ;
– l’aménagement de la surface de débitage vise à mettre en place les critères de prédétermination qui conditionneront les caractères des produits recherchés.
146La phase d’initialisation n’est pas systématique. Elle peut en effet être compensée par une acquisition sélective de la matière première. En règle générale, la somme de gestes techniques effectués sur le rognon de silex en vue de son initialisation est d’autant plus réduite que le matériau a fait l’objet d’une sélection lors de sa collecte.
147Dans la mesure où l’initialisation s’effectue selon la même conception volumétrique, et selon la même méthode (la méthode désignant l’agencement des enlèvements : Boëda 1988b) que celle qui préside aux phases de production, la distinction entre ces deux phases n’est pas toujours évidente. Et le moment du passage de l’une à l’autre est souvent discutable. C’est seulement au cas par cas, en fonction des modalités d’initialisation propres à chaque ensemble lithique, que ce moment peut être déterminé. Au Pucheuil, pour l’ensemble des rognons gérés selon les principes techniques du système Levallois, il est apparu que l’initialisation s’achevait lorsque l’ensemble des plages corticales avait été ôté de la surface de débitage.
148La production, qui conduit à la réalisation des objectifs techniques finaux, peut être divisée en plusieurs phases successives, entrecoupées de phases de réaménagement de la surface de débitage et du plan de frappe. Un tel schéma, fondé sur l’enchaînement de plusieurs phases de production paraît très fréquent dans les industries à débitage Levallois, bien qu’il n’ait été mis en évidence que dans quelques gisements (tels que Biache‑Saint‑Vaast : Boëda 1986a ; 1988b, et La Chaise‑de‑Vouthon : Delagnes 1992 ; à paraître).
149Il s’est avéré nécessaire au Pucheuil de distinguer aussi une phase d’abandon du nucléus : cette phase désigne les opérations directement préalables à l’arrêt de l’exploitation du nucléus. Nombreux sont les nucléus qui ont été en effet l’objet d’une exploitation terminale du nucléus par le débitage d’enlèvements, généralement peu nombreux, répondant à une production peu structurée et indifférente à la conception volumétrique antérieure du nucléus. Négligence terminale du tailleur ? Reprise du nucléus par des tailleurs non expérimentés ? Il est impossible de répondre à ces questions.
150L’utilisation de la production n’est abordée au Pucheuil que de manière indirecte, au travers de la transformation des produits par la retouche et des caractères morphotechniques des produits recherchés (répondant aux objectifs techniques finaux). L’analyse tracéologique n’a pas été possible du fait de l’absence totale de micro‑polis et de micro‑stries d’utilisation (communication orale : S. Beyries, qui a effectué un test tracéologique sur un échantillon).
2.3.5.2 Technique de percussion
151Le débitage d’éclats est régi par une unique technique de percussion : la percussion directe au percuteur dur, et par un unique geste de percussion, fondé sur une percussion rentrante (par opposition à tangentielle). Les vestiges identifiables comme percuteurs sont particulièrement peu nombreux. La série compte un seul véritable percuteur : il s’agit d’un galet en grès d’un poids de 800 g, dont tout le pourtour, à l’exception de deux surfaces résiduelles, a été fragmenté, probablement sous l’effet de chocs violents (fig. 32). Il a continué à servir de percuteur après sa fragmentation, car les arêtes au contact des différentes faces d’éclatement ont été arrondies à la suite de nouvelles séries de chocs. Cet unique percuteur a donc manifestement été l’objet d’un usage intensif, sinon durable. Il a pu être prélevé à proximité immédiate du gisement : les galets de grès sont en effet fréquents dans les formations de l’Éocène inférieur (Cuisien) présentes dans la région de Saint‑Saëns (communication orale : J.‑P. Lautridou). Quelques produits : principalement éclats corticaux, débris et nucléus, comportent des stigmates de percussions nombreux et localisés, témoignant de l’usage de ces objets comme percuteurs, généralement avant leur débitage.

FIG. 32 – Le Pucheuil, série B : percuteur en grès.
EG/AFAN
2.3.5.3 Production Levallois à enlèvements unipolaires convergents
152La reconnaissance des principes techniques et volumétriques du système Levallois s’appuie sur la définition mise au point à partir des travaux d’E. Boëda (Boëda et al. 1990). Celle‑ci repose sur six critères indissociables, qui se résument en ;
– une conception volumétrique fondée sur deux surfaces convexes et sécantes, délimitant un plan d’intersection ;
– la hiérarchisation de ces deux surfaces ; l’une constituant la surface de débitage aux dépens de laquelle les enlèvements prédéterminés sont extraits, l’autre recevant le plan de frappe de ces enlèvements ;
– la mise en place de convexités latérales et distales sur la surface de débitage, qui forment les critères de prédétermination permettant de contrôler le détachement des éclats Levallois ;
– l’aménagement d’un plan de frappe dépendant directement de la méthode employée pour l’extraction des éclats Levallois ;
– des plans de fracturation des éclats Levallois, parallèles ou sub‑parallèles au plan d’intersection des deux surfaces ;
– l’emploi exclusif de la technique de percussion directe au percuteur dur.
153La production Levallois à enlèvements unipolaires a été menée selon deux grands principes d’exploitation des nucléus (Boëda 1988b) : le débitage récurrent (plusieurs éclats Levallois successifs produits aux dépens de la surface de débitage du nucléus lors d’une même phase de production), et le débitage préférentiel (un unique éclat prédéterminé est produit sur la surface de débitage du nucléus). Au Pucheuil, le premier conduit à l’obtention d’éclats Levallois (récurrents) unipolaires convergents, tandis que le second mène à la production de pointes Levallois. On distingue donc dans cet assemblage deux grandes catégories d’éclats prédéterminés. L’initialisation des nucléus conduit à mettre en place les critères de prédétermination sur la surface de débitage au moyen d’une méthode semblable à celle employée lors des phases de production. La méthode d’initialisation repose comme la méthode de production sur le débitage d’éclats unipolaires convergents produits à partir d’un unique plan de frappe. Certains éclats d’initialisation présentent donc des caractères morphotechniques très proches de ceux des éclats prédéterminants s’inscrivant dans les phases de production. Ils s’en distinguent principalement par le fait qu’ils comportent encore le plus souvent des plages corticales sur leur face supérieure. Le passage de la phase d’initialisation à la phase de production semble en effet conditionné par l’enlèvement de la totalité du cortex sur la surface de débitage du nucléus.
154Les convexités latérales et distales sur la surface de débitage des nucléus sont mises en place, puis réaménagées en cours de production par des enlèvements unipolaires convergents, latéralisés sur la surface de débitage du nucléus et souvent débordants et/ou outrepassants. Ces éclats sont avant tout prédéterminants : ils mettent en effet en place les critères de convexité nécessaires à la production des éclats Levallois au moyen d’un nombre très réduit de gestes et infèrent directement sur les caractères morphotechniques de ces éclats. Le débordement et l’outrepassage ne sont donc pas dans ce cas accidentels ; ils ont été manifestement recherchés et contrôlés pour leurs conséquences techniques sur les nucléus. Mais ces éclats prédéterminants sont probablement aussi en partie prédéterminés, c’est‑à‑dire recherchés pour leurs caractères propres. Ils ont ainsi un rôle analogue aux éclats débordants (c’est‑à‑dire à la fois prédéterminants et prédéterminés) dans les industries où ceux‑ci ont fait l’objet d’un débitage systématisé (Beyries, Boëda 1983). Pour ces raisons, les éclats débordants et/ou outrepassants s’intercalant entre le débitage d’éclats Levallois ont été intégrés aux phases de production.
155La production Levallois à enlèvements unipolaires convergents a présidé au débitage de la plupart des rognons (entre 6 et 10) de la série B ; ceux‑ci ont donné lieu à d’importants remontages (tabl. xi). Trois rognons ont ainsi pu être reconstitués de manière suffisamment complète pour que le débitage puisse être appréhendé depuis l’initialisation jusqu’à l’abandon du nucléus.

TABL. XI – Le Pucheuil, série B : décompte des remontages pour la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents.
Ensemble 1
156L’ensemble 1 inclut un remontage de 45 pièces (remontage 1), un remontage de 5 pièces (remontage 17) ainsi que 64 pièces non remontées qui peuvent être rapportées au même rognon. Ce rognon est caractérisé par un silex gris foncé, patiné gris‑bleu clair, de couleur non uniforme : un filet bleu suit de façon irrégulière le contour des surfaces corticales ; des zones marbrées et des plages plus claires et plus grenues à contours nets sont nombreuses. La partie externe du rognon est constituée d’un cortex de couleur beige‑jaune, mince et lisse, très érodé, ainsi que de surfaces diaclasées. Il est luisant, plus ou moins gras selon les zones ; sa structure est relativement homogène, son grain fin à très fin. Sa qualité à la taille est très bonne. Toutes les pièces formant l’ensemble 1 correspondent à des produits ou des sous‑produits du débitage Levallois à enlèvements unipolaires convergents. Ce rognon de silex n’a donc donné lieu qu’à un seul mode de production. En revanche, il a conduit à l’exploitation de deux nucléus. Le premier (remontage 1) résulte de l’ensemble des phases d’initialisation et de production menées à partir du rognon initial, alors que le second procède de la reprise d’un éclat en nucléus.
Remontage 1. fig. 33 et 34, tabl. xii
157Le remontage 1 comprend 45 pièces et pèse 1,7 kg. Il constitue le remontage le plus représentatif de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents : l’objectif initial, déterminant l’organisation du débitage dès les premiers enlèvements est maintenu tout au long de la séquence opératoire selon un schéma strictement linéaire, qu’aucun accident de débitage majeur n’a perturbé. La surface de débitage et la surface de plan de frappe ont été mises en place dès les premiers enlèvements et maintenues dans leur rôle jusqu’à la fin de l’exploitation du nucléus. Une même méthode de débitage a été employée pour l’ensemble des phases d’initialisation, de production, et de réaménagement du nucléus en cours de production : elle se fonde sur l’enlèvement d’éclats unipolaires convergents, pour partie débordants et outrepassants, à partir d’un unique plan de frappe.

TABL. XII – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 1.
Initialisation (phases 1 à 4)
158Les enlèvements s’inscrivant dans la mise en forme initiale du rognon, ainsi que les premières séries d’enlèvements d’initialisation, mettant en place alternativement le plan de frappe et la surface de débitage, n’ont pas pu être remontés. Les premiers éclats remontés, encore très largement corticaux, indiquent que le nombre d’éclats manquants n’est certainement pas très élevé.
159L’initialisation a reposé sur le débitage de plusieurs séries d’éclats aménageant alternativement la surface de débitage et la surface de plan de frappe à partir du même bord (phases 1 à 4). Les premiers éclats d’aménagement de la surface de débitage sont peu envahissants et semblent avoir eu pour rôle de régulariser la morphologie du rognon pour préparer le débitage des grands enlèvements suivants. Ceux‑ci ont envahi en quelques coups la totalité de la surface de débitage. Les éclats remontés se localisent essentiellement sur le bord droit de la surface de débitage ; seul un grand éclat (non visible sur le cliché et le schéma d’ensemble du remontage) a été remonté sur le bord gauche. Il a fait suite à un grand enlèvement (non remonté) repris postérieurement en nucléus, et dont une partie des produits a pu être raccordée à sa face supérieure (phase 1A : cf. infra) La plupart des éclats issus de l’aménagement de la surface de débitage se caractérisent par des talons non préparés, lisses ou dièdres, exception faite de quelques enlèvements dont le talon est facetté. On note une nette progression dans le soin apporté à la préparation des talons au cours de cette phase.
160Les éclats d’aménagement du plan de frappe sont unidirectionnels et produits selon une direction tangentielle au bord dégagé par l’intersection des deux surfaces. Ils sont épais et ôtent la totalité d’une zone rendue impure par la présence de fossiles : il se pourrait que les tailleurs aient préférentiellement réservé cette zone au plan de frappe en raison de sa qualité très médiocre. Ces enlèvements, souvent débordants, ont entraîné, à l’issue de la phase d’initialisation, un recul important du bord du plan de frappe.
Production – fin de l’exploitation du nucléus (phases 5 à 7)
161Les manques concernent tous les éclats produits au centre de la surface de débitage lors de la première phase de production, la plupart des éclats issus du facettage du bord du plan de frappe, ainsi que la première pointe Levallois produite en fin d’exploitation du nucléus.
162Plusieurs phases de production (au moins deux) se sont succédé, entrecoupées d’un réaménagement du plan de frappe. Tous les éclats extraits de la partie médiane de la surface de débitage lors de la première phase de production (phase 5) sont manquants. D’après les négatifs d’enlèvements visibles sur les pièces remontées, ces éclats manquants semblent correspondre à des éclats Levallois récurrents ; cela reste toutefois très hypothétique. Les enlèvements remontés sont latéralisés, le plus souvent débordants et outrepassants, à dos ou bords distaux corticaux (cf. infra fig. 43, nos 1 à 3). Ils entretiennent les fortes convexités latérales mises en place à l’issue de la phase d’initialisation : progressivement celles‑ci se réduiront et seront en fin d’exploitation du nucléus nettement moins marquées. À partir de cette première phase de production, le tailleur a procédé de plus en plus souvent à un facettage du bord du plan de frappe avant le détachement des éclats (prédéterminés ou prédéterminants) produits aux dépens de la surface de débitage. Le facettage est réalisé au moyen de très petits enlèvements, venant en complément des grands enlèvements de réaménagement du plan de frappe, pour dégager de manière plus précise un point de percussion.
163La deuxième phase de production (phase 7) a reposé en premier lieu sur la production de trois éclats Levallois récurrents (cf. infra fig. 45, nos 6 à 9). À l’issue du dernier, rebroussé, deux éclats latéralisés superposés et au profil torse (cf. infra fig. 43, nos 4 et 5), ont été débités afin d’ôter le négatif du rebroussé et de rétablir la convexité latérale sur l’un des bords de la surface de débitage. Ils ont ainsi préparé l’enlèvement d’une première pointe Levallois (non remontée), produite au centre de la surface de débitage. Une seconde pointe (remontée), dont l’extrémité distale est manquante, superposée à la première et ôtant entièrement son négatif a ensuite été directement produite, sans réaménagement du nucléus. Elle ne correspond manifestement pas au produit de première intention : son talon conseive encore les restes de la préparation facettée, en chapeau de gendarme, réalisée pour l’extraction de la première pointe. Seule une rapide et légère régularisation du bord du plan de frappe au moyen de très petits enlèvements a précédé son débitage. Cette pointe correspondrait plutôt à une pointe de seconde génération, produite de manière conjoncturelle en tirant profit des restes de l’aménagement mis en place pour la production de la première pointe Levallois. Elle a précédé l’abandon du nucléus : celui‑ci correspond à un nucléus Levallois à pointe tout à fait classique (cf. infra fig. 48, no 1).
Reprise d’un éclat d’initialisation en nucléus à enlèvements unipolaires convergents (phase 1A)
164L’un des grands éclats envahissants (non remonté) produits lors de la phase d’initialisation a été repris pour le débitage d’éclats aux dépens de sa face inférieure. Plusieurs d’entre eux ont été raccordés à la face supérieure de l’éclat suivant. Ils appartiennent à une séquence de débitage Levallois à enlèvements unipolaires convergents. Le débitage s’est effectué à partir de l’extrémité distale de l’éclat‑support. Un plan de frappe finement facetté a été aménagé en premier lieu, réduisant notablement les dimensions initiales de l’éclat support. Les pièces remontées, produites à partir de cet unique plan de frappe, attestent d’une première séquence d’aménagement du nucléus au moyen de deux éclats latéraux débordants/outrepassants (à dos cortical), suivis du débitage d’un éclat Levallois triangulaire recoupant une large portion de la face inférieure de l’éclat‑support ; enfin, trois éclats prédéterminants, dont deux sont des éclats débordants à dos cortical, réaménagent le bord latéral du nucléus (fig. 33 et 34, no 2).

FIG. 33 – Le Pucheuil, série B : remontage 1. 1 phases d’initialisation et de production, 2 reprise d’un éclat en nucléus à enlèvements unipolaires convergents (phase 1A) et nucléus correspondant avec derniers produits remontés (remontage 17).
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 34 – Le Pucheuil, série B : remontage 1. 1 phases d’initialisation et de production, 2 reprise d’un éclat en nucléus à enlèvements unipolaires convergents (phase 1A) et nucléus correspondant avec derniers produits remontés (remontage 17) (zone hachurée : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
165On peut rapporter au même ensemble le remontage 17 (5 pièces), constitué d’un nucléus et des derniers produits débités (fig. 33 et 34, no 2). Il n’existe pas de raccord direct entre ces pièces et les éléments du remontage 1 ; toutefois leurs caractères lithologiques, dimensionnels et techniques démontrent qu’elles s’inscrivent dans la phase 1A de ce remontage. L’absence de raccord est due au fait que des pièces manquantes s’intercalent entre les deux sous‑ensembles. Le remontage 17 indique que suite à la phase 1A l’exploitation du nucléus s’est achevée par la production d’une pointe Levallois (non remontée), centrée sur la surface de débitage. Une phase de réaménagement du nucléus a ensuite donné lieu à la mise en place d’un plan de frappe finement facetté par de petits éclats (dont 2 sont remontés), et au rétablissement de la convexité du bord latéral de la surface de débitage au moyen d’un éclat débordant/outrepassant. L’éclat suivant (non remonté), fortement rebroussé, a manifestement entraîné l’abandon de la séquence de production. En dernier lieu, le nucléus a été l’objet de percussions violentes dont les impacts sont visibles sur la surface de débitage, et qui ont provoqué le détachement de quelques éclats, dont l’un est remonté, aux dépens de la surface de plan de frappe.
Distribution spatiale
166Les pièces de l’ensemble 1 n’ont pas été, pour la plupart, individuellement cotées et numérotées ; une bonne partie d’entre elles (56/108) a cependant été localisée par m2. La plupart (77 %) provient du carré J14, et du carré voisin J15. Un petit lot de pièces est issu de zones distantes de quelques mètres : la zone située à l’intersection des carrés F16, F17, G16 a ainsi livré 8 pièces de cet ensemble, et 9 pièces étaient regroupées dans le carré F13. Le remontage 1 suit la même répartition spatiale. Les pièces situées à l’extérieur de l’amas principal (J 14) proviennent indifféremment de toutes les phases opératoires et ne présentent aucune caractéristique technique ou morpho‑dimensionnelle distinctive. En conséquence, aucun élément ne permet d’attribuer au facteur humain leur éloignement par rapport à la zone de concentration maximale.
Ensemble 10
167Les pièces regroupées dans cet ensemble lithologique, proviennent de deux rognons de silex, dont une large partie des produits a été regroupée au sein de deux importants remontages (remontages 2 et 3). Les caractères physiques de ces deux rognons sont tout à fait semblables, de sorte qu’il est impossible de préciser à quel rognon correspondent les pièces non remontées. Celles‑ci ne sont toutefois pas très nombreuses, puisque les deux remontages regroupent 80 % des pièces rapportées à cet ensemble. Ces remontages sont suffisamment complets pour que la morphologie et le volume initial des deux rognons puissent être évalués avec précision.
168Le silex de cet ensemble est gris foncé, patiné gris à gris‑bleu, non uniforme, avec des taches de dimensions et de contours très variables, caractérisées par différents tons de gris. Le cortex, de couleur beige‑orangé, est mince et lisse. Le contour du rognon présente aussi des surfaces diaclasées postérieurement érodées. Un liseré jaune‑beige, fin, très marqué et sinueux, suit le contour des surfaces corticales. Les zones sous‑corticales sont les plus foncées ; le cœur du rognon est plus clair et plus grenu. Le grain est globalement fin ; selon les zones du rognon, le silex est brillant et gras à moyennement gras ou mat et sec. Des zones indurées et des diaclases internes en font un silex d’une qualité médiocre pour la taille du silex.
Remontage 2. fig. 35 à 37, tabl. xiii et xiv
169Le remontage 2 pèse 1,8 kg et regroupe 88 pièces. Une fracture, due à la présence d’une diaclase interne, est intervenue dès le stade d’initialisation du nucléus et a scindé le rognon en trois gros fragments (A, B, C), qui ont ensuite été indépendamment exploités comme nucléus. Les dimensions initiales du rognon étaient d’environ 22 cm de longueur maximale pour une épaisseur de 8‑9 cm.
Initialisation (phase 1 : tabl. xiii)
170Les tout premiers enlèvements (guère plus de un à deux produits), appartenant à la mise en forme initiale du rognon n’ont pas été remontés ; ils ont conduit à la mise en place d’un premier plan de frappe. La première série d’éclats remontés semble appartenir à une phase d’aménagement de la future surface de débitage ; ils sont toutefois encore peu envahissants. Le dernier éclat de la série a provoqué la fracture du rognon au niveau d’une grande diaclase interne. Les trois fragments qui en résultent (A, B, C) ont été repris en nucléus. Ils ont tous trois été exclusivement exploités pour la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents, et dans les trois cas la face correspondant au pan de diaclase a servi à l’aménagement du plan de frappe.

TABL. XIII – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 2 (fragment A).
Fragment A : initialisation (phases A1 à A3 : tabl. xiii)
171Le fragment A (fig. 35 et 36), qui constitue le fragment principal, est exploité selon la même configuration volumétrique que le nucléus initial, malgré la réduction importante provoquée par la fracture : la surface de débitage est ainsi maintenue sur la même face du nucléus. Les manques dans les produits remontés concernent principalement les éclats issus de l’aménagement de la surface de débitage. Ceux qui ont été remontés sont de grands enlèvements encore largement corticaux, unipolaires convergents. L’aménagement de la surface de débitage et l’aménagement du plan de frappe ont été réalisés au moyen de plusieurs séries d’éclats concernant en alternance chacune des deux surfaces. Les éclats aménageant le plan de frappe correspondent à de petits éclats courts et larges, à talon dièdre, souvent superposés par séries de deux ou trois pièces, et dont la morphologie tout à fait particulière « en aile d’oiseau », est en tous points semblable à celle qui caractérise les éclats de type Le Pucheuil (cf. infra). Ils ne peuvent cependant pas être assimilés à ces éclats dans la mesure où ils participent ici à l’aménagement du nucléus et ne constituent pas les produits recherchés.

FIG. 35 – Le Pucheuil, série B : remontage 2. Exploitation du fragment A.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 36 – Le Pucheuil, série B : remontage 2. Exploitation du fragment A (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires)
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
Fragment A : production ‑fin de l’exploitation du nucléus (phases A4 à A10 : tabl. xiii)
172Plusieurs phases de production successives ont été menées à bien. Seule une partie des produits issus des trois dernières phases, précédées d’au moins une phase de production antérieure, a été remontée. Ces phases (A6, A8, A10), ont reposé sur deux finalités techniques : la première phase a été fondée sur le débitage d’éclats Levallois récurrents, alors que les deux suivantes ont conduit à l’obtention d’une pointe Levallois. Les pointes Levallois n’ont pas directement été produites l’une après l’autre, selon le schéma mis en évidence pour le remontage 1, mais elles ont été entrecoupées d’un réaménagement de la surface de débitage. Ce réaménagement, tout comme celui préalable au débitage de la première pointe, a été effectué au moyen de deux éclats débordants et outrepassants qui, tout en rétablissant les convexités latérales et distale, ont créé le triangle de base qui a permis l’extraction de la pointe Levallois. Seule la première pointe produite (cf. infra fig. 46, no 7) a été remontée : elle se caractérise par un talon finement facetté, fortement convexe, en V vue de face, par une morphologie et une section transversale symétriques et par un profil dont la courbure s’accentue nettement en partie distale. Cette courbure est due à la forte obliquité de la nervure‑guide distale, qui a entraîné une flexion de fonde de choc. Ce profil caractéristique, dit « en concorde », a déjà été mis en évidence dans certaines productions de pointes Levallois au Proche‑Orient (Meignen, Bar Yosef 1989 ; 1991 ; 1992).
173Quant aux éclats Levallois récurrents, ils présentent des caractères morphotechniques nettement plus variables. Tout comme les éclats débordants et outrepassants, ils pourraient être à la fois prédéterminés et prédéterminants. En l’occurence, leur rôle d’éclats prédéterminants est suggéré par le fait qu’ils ont permis l’enlèvement d’un négatif d’enlèvement antérieur rebroussé,
174L’entretien des convexités latérales et distale, et de la régularité de la surface de débitage est donc assuré en cours de production par des éclats débordants et outrepassants ainsi que par des éclats Levallois récurrents, probablement à la fois prédéterminés et prédéterminants. Des éclats minces et peu envahissants s’intercalent de plus entre les éclats Levallois : ils contribuent au maintien de l’équilibre et de la régularité de la surface débitée, et paraissent quant à eux uniquement prédéterminants.
175Les phases de production sont entrecoupées de phases de réaménagement du plan de frappe. Le réaménagement du plan de frappe varie selon la finalité technique de la phase de production qui a suivi. Les éclats Levallois récurrents et les éclats de réaménagement de la surface de débitage ont été préparés au moyen d’enlèvements formant un large facettage, de délinéation convexe, du bord du plan de frappe. En revanche, les pointes Levallois ont été précédées par le dégagement d’une proéminence médiane, finement facettée, destinée à mettre en relief l’emplacement du point de percussion. Les enlèvements qui ont réaménagé le plan de frappe, et en particulier ceux (souvent superposés) qui ont servi au dégagement de la proéminence médiane, présentent couramment une morphologie semblable à celle des éclats de type Le Pucheuil.
176Le nucléus a été abandonné après l’extraction de la seconde pointe Levallois : c’est un nucléus Levallois à pointe tout à fait classique (cf. infra fig. 48, no 3).
Fragment B : initialisation (phases B1 à B4 : tabl. xiv)
177Le fragment B (fig. 37) a été exploité en fonction des mêmes objectifs techniques, que plusieurs accidents de débitage ont compromis. Les pièces issues de l’exploitation de ce fragment ont été presque toutes remontées. L’initialisation a consisté en l’aménagement du plan de frappe et de la surface de débitage au moyen de séries d’enlèvements produites alternativement aux dépens des deux surfaces. Les premiers éclats d’aménagement de la surface de débitage (phase B2), unipolaires convergents, sont peu envahissants : ils paraissent avoir eu pour rôle de régulariser la surface de débitage pour préparer le débitage des enlèvements envahissants produits dans un second temps (phase B4). Dès la première phase d’aménagement de la surface de débitage, un produit de morphologie triangulaire et centré sur la surface de débitage a été obtenu. Bien qu’il n’ait pas été remonté, il semble qu’il corresponde, d’après son négatif, à un éclat prédéterminé (pointe Levallois ou éclat Levallois triangulaire). L’enlèvement d’un produit prédéterminé semble donc être intervenu très tôt dans l’exploitation du nucléus : il s’agit probablement dans ce cas d’une production plus circonstancielle qu’anticipée.

TABL. XIV – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 2
(fragments B et C).

FIG. 37 – Le Pucheuil, série B : remontage 2. Exploitation des fragments B et C (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG de/./AFAN
178À l’issue de la deuxième phase d’aménagement de la surface de débitage, fondée sur le débitage d’éclats unipolaires convergents plus envahissants, et pour partie débordants, un fort outrepassage a entraîné la fracture du nucléus (perpendiculairement à l’axe de débitage des éclats). Cet accident est dû au fait que le tailleur a porté son coup à côté (à 2 cm) de la préparation soigneusement facettée qu’il avait préalablement réalisée ; il a peut‑être aussi été favorisé par la présence d’une géode. Le volume du nucléus a été considérablement réduit à l’issue de cet outrepassage, ce qui n’a pas empêché le tailleur de poursuivre le débitage à partir du fragment (proximal) restant.
Fragment B : production – fin de l’exploitation du nucléus (phase B5 : tabl. xiv)
179Une phase de production d’éclats Levallois récurrents a directement fait suite à la fracture du nucléus. Les enlèvements ont été produits à partir du plan de frappe déjà en place. Cette dernière phase d’exploitation du nucléus semble avoir été motivée par la volonté d’utiliser au maximum les potentialités du nucléus résiduel. Les enlèvements produits sont ainsi localisés sur la partie latérale de la surface de débitage, la plus épaisse, et où le tailleur a pu tirer parti de l’arête dégagée par l’enlèvement outrepassé précédent. Quelques éclats de petites dimensions s’intercalent dans la série : ils paraissent avoir été avant tout destinés à maintenir l’équilibre de la surface de débitage en cours de production. La production s’est achevée par une série de trois enlèvements débordants (à dos cortical) : ils n’ont certainement pas eu pour rôle de préparer la surface de débitage en vue d’une nouvelle phase de production étant donné qu’ils précèdent directement l’abandon du nucléus. Ils seraient donc prédéterminés, confortant l’idée que les éclats latéralisés, débordants et outrepassants ont pu aussi faire partie des produits recherchés. Le nucléus résiduel, défiguré par l’outrepassage, correspond dans son état final à un nucléus indifférencié, bien qu’il ait donné lieu à la production de plusieurs éclats Levallois.
Fragment C : initialisation – fin de l’exploitation du nucléus (phases C1 à C4 : tabl. xiv)
180Le fragment C (fig. 37), de plus petites dimensions, a été exploité selon les mêmes principes techniques. Mais sqn exploitation n’a pas abouti à une séquence de production Levallois, en raison semble‑t‑il de la morphologie naturelle peu propice du fragment. Le tailleur n’a en effet pas réussi à mener à bien la préparation de la surface de débitage et en particulier à établir une convexité distale aux dépens d’une zone initialement concave, tout en préservant un volume de matière première suffisant pour l’exploitation du nucléus. La grande majorité des pièces produites à partir de ce fragment ont été remontées. L’initialisation a reposé, là encore, sur des séries d’enlèvements produites alternativement aux dépens de chacune des deux surfaces et destinées à mettre progressivement en place les critères techniques de prédétermination. Le plan de frappe, aménagé dans un premier temps au moyen d’éclats épais, dégageant un large bord convexe, a ensuite été préparé par des enlèvements nettement plus minces (phases C1 et C3).
181L’aménagement de la surface de débitage a tout d’abord conduit à l’enlèvement d’une zone corticale proéminente à proximité du plan de frappe (phase C2). Le tailleur a procédé à cette opération par l’enlèvement d’éclats de plus en plus envahissants ; ceux de la phase d’aménagement de la surface de débitage suivante (C4), répondent au même procédé, appliqué cette fois‑ci à une autre finalité. L’objectif de cette phase a en effet été d’ôter une large surface concave et corticale couvrant toute la partie distale de la surface de débitage, afin de pouvoir y établir les critères de convexité requis pour la production. C’est probablement l’impossibilité de mener à bien cet objectif sans un sacrifice de matière première démesuré par rapport au volume du nucléus, qui a motivé son abandon. L’exploitation de ce nucléus a donc été interrompue avant même qu’il ait pu donner lieu à la production d’éclats Levallois. Il correspond à un nucléus indifférencié.
Remontage 3. fig. 38 et 39, tabl. xv
182Le remontage 3, d’un poids de 1,8 kg, rassemble 32 pièces. Le rognon est allongé et a une morphologie générale assez contournée ; sa longueur maximale est de l’ordre de 22 cm, pour une épaisseur maximale de 9 cm. Il a été exploité dans l’objectif d’une production d’éclats et de pointes Levallois ; ce projet a été contrarié à plusieurs reprises par des accidents de débitage dus à des diaclases internes ou à des zones indurées. Une opiniâtreté certaine a toutefois conduit le tailleur à poursuivre le débitage en dépit de la qualité très médiocre du matériau et des détériorations du nucléus induites par des accidents répétés. La poursuite du débitage n’a par moments été possible que grâce à une modification complète de la stratégie d’exploitation du nucléus. Ainsi, à la suite d’une fracture, la surface de débitage et la surface de plan de frappe ont été interverties.

TABL. XV – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 3.

FIG. 38 – Le Pucheuil, série B : remontage 3.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 39 – Le Pucheuil, série B : remontage 3 (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
Initialisation (phases 1 à 4)
183Le stade de mise en forme initiale, dont tous les produits sont remontés, a conduit à l’enlèvement d’une zone en excroissance. Le tailleur a réalisé cette opération au moyen d’enlèvements unidirectionnels, de plus en plus envahissants. Le plan de frappe et la surface de débitage ont ensuite été mis en place par des séries d’enlèvements produites alternativement aux dépens de chacune des deux surfaces et à partir du même bord. Ces enlèvements ont été pour la plupart stoppés au niveau de diaclases internes perpendiculaires à leur axe de débitage. Sur la surface de débitage du nucléus, l’un des rares enlèvements envahissants produits a laissé l’empreinte d’une onde de choc très sinueuse qui a notablement détérioré une large partie de cette surface. Les enlèvements d’aménagement du plan de frappe, très épais, ont entraîné un réduction importante du nucléus : ils avaient certainement en partie comme finalité d’ôter les zones malsaines du rognon, et en particulier les parties diaclasées. Bien que le tailleur ne soit pas parvenu à l’issue de cette phase à une configuration optimale du nucléus, il a tout de même tenté de débuter la séquence de production.
Production (face A) (phase 5)
184La première et dernière phase de production mise en œuvre aux dépens de la surface de débitage (face A) a conduit à l’enlèvement d’une grande pointe Levallois allongée au centre de la surface de débitage. Les éclats prédéterminants, latéralisés et unipolaires convergents, mettant en place les critères de convexité qui ont permis l’enlèvement de la pointe, tout comme la pointe, n’ont pas été remontés. À l’issue de cette première phase de production, le tailleur a produit un éclat prédéterminant (et prédéterminé ?), débordant (à dos cortical), au talon soigneusement facetté, dans l’objectif de rétablir la convexité latérale sur l’un des bords de la surface de débitage. Il a été suivi d’un second enlèvement à partir du même bord ; celui‑ci a provoqué la fracture du nucléus au niveau d’une diaclase interne. À l’issue de cet accident qui a totalement défiguré la surface de débitage, le tailleur a poursuivi l’exploitation du nucléus en utilisant l’ancienne surface de plan de frappe comme surface de débitage.
Initialisation face B) – fin de l’exploitation du nucléus (phases 6 à 8)
185La nouvelle surface exploitée (face B) est initialisée de manière à être transformée en surface de débitage. Le tailleur a procédé à cette opération au moyen d’enlèvements unipolaires, partiellement corticaux, de plus en plus envahissants (phase 6). Ils sont directement produits à partir de la diaclase qui est à l’origine de la fracture du nucléus, rectifiée de manière très succincte au cours de cette séquence (phase 7). La présence d’une zone mal silicifiée a entraîné le rebroussement d’une grande partie des enlèvements de la deuxième série d’aménagement de la surface de débitage (phase 8). Une ultime tentative de nettoyage de la surface de débitage a consisté en l’enlèvement d’éclats à partir du plan de frappe opposé : ceux‑ci ont systématiquement rebroussé. Cette dernière opération constitue le second changement de stratégie d’exploitation du nucléus consécutif à un accident de débitage. Malgré l’obstination du tailleur et ses capacités d’adaptation certaines aux aléas du débitage, il a finalement abandonné le nucléus à la suite de l’échec de cette opération. Dans son état final, le nucléus correspond à un nucléus indifférencié.
Distribution spatiale
186On dispose de très peu d’éléments d’ordre spatial pour ces deux remontages : les pièces cotées sont en nombre très réduit. Pour ce qui concerne le remontage 2, les rares pièces dont la provenance est connue (au nombre de 9) viennent toutes du carré F13. Pour le remontage 3, on possède davantage d’informations puisque la plupart des pièces ont été localisées par m2. Celles‑ci ont été majoritairement (20/26) prélevées dans le carré L17 ainsi que dans les carrés adjacents : K18, K17, K16 et L16. Un petit lot de pièces (n = 4) proviennent par ailleurs du carré J14, distant d’environ 3 m de la zone de concentration principale. Ces pièces s’inscrivent toutes dans la même phase opératoire (phase 4 : réaménagement du plan de frappe). Leur regroupement tant chronologique que spatial plaide fortement en faveur de leur déplacement par l’homme. Ce déplacement est cependant difficilement interprétable dans la mesure où la provenance des pièces correspondant aux phases opératoires suivantes (5 à 8) n’est pas connue.
Autres remontages
187La chaîne opératoire Levallois à enlèvements unipolaires convergents est aussi illustrée par plusieurs petits remontages ne s’inscrivant dans aucun des ensembles lithologiques définis. Ils apportent un certain nombre de données complémentaires sur les modalités techniques appliquées à cette chaîne opératoire. C’est le cas en particulier pour quatre d’entre eux, raccordant plusieurs éclats à un nucléus Levallois.
Remontage 12. fig. 40 et 41, no 4
188Le remontage 12 rassemble 16 pièces qui s’inscrivent dans le stade final d’exploitation d’un nucléus.
Production
1891. Production d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents (n = 3)
190Un premier stade de production, dont la plupart des produits manquent, a conduit au débitage d’enlèvements récurrents unipolaires convergents. Seules trois pièces fragmentaires sont remontées.
1912. Réaménagement du plan de frappe (n =5)
192Le réaménagement du plan de frappe a été réalisé au moyen d’enlèvements assez envahissants et épais, à talon lisse ou dièdre, dégageant sur le bord du nucléus deux zones proéminentes encadrant une zone médiane concave.
1933. Production d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents (n = 1)
194Ces parties proéminentes ont servi à dégager les points de percussion pour deux enlèvements récurrents unipolaires convergents produits aux dépens de la surface de débitage ; seul l’un d’entre eux est remonté. Ils sont tous les deux de morphologie triangulaire.
Abandon
1954. Abandon (n = 7)
196Après l’aménagement d’un plan de frappe très localisé (un seul produit remonté) aux dépens du bord latéral et du bord distal de la surface de débitage, le nucléus a été exploité pour l’enlèvement d’une série d’éclats unipolaires sur la face opposée, entièrement corticale. Ces éclats sont envahissants, largement corticaux pour les premiers d’entre eux, et présentent des talons facettés ou dièdres. Ils ont quasiment tous (à l’exception d’un) été remontés. La finalité de l’opération est difficilement déterminable. Le dernier enlèvement a laissé l’empreinte d’une onde de choc très marquée qui est probablement la cause de l’abandon du nucléus. Celui‑ci correspond à un nucléus Levallois à enlèvements récurrents unipolaires convergents (cf. infra fig. 48, no 5).
Remontage 15. fig. 40 et 41, no 3
197Le remontage 15 forme un ensemble de 9 pièces. Seules les phases finales d’exploitation du nucléus sont reconstituées.
Production
1981. Production d’une pointe Levallois (n = 1)
199Deux éclats prédéterminants (mais probablement aussi prédéterminés), latéralisés, et unipolaires convergents, ont mis en place les critères techniques (formation d’un triangle de base et d’une nervure‑guide distale) pour l’enlèvement d’une pointe Levallois au centre de la surface de débitage. Seul l’un des deux éclats prédéterminants a été remonté.
Abandon
2002. Abandon du nucléus (n = 8)
201Après l’enlèvement d’un éclat rebroussé, détériorant la surface de débitage, le tailleur a réalisé une série d’éclats produits alternativement à partir des deux surfaces, aux dépens d’un des bords latéraux et du bord distal du nucléus. Trois ou quatre des produits correspondants sont manquants. Les éclats sont épais, peu envahissants et modifient totalement la configuration volumétrique du nucléus. Au stade d’abandon, celui‑ci est plus proche d’un nucléus discoïde que d’un nucléus Levallois (il a été classé parmi les nucléus indifférenciés) .
Remontage 60. fig. 40 et 41, no 1
2029 pièces ont été regroupées dans le remontage 60.
Production
2031. Production d’enlèvements Levallois récurrents unipolaires convergents aux dépens de la face A (n = 3)
204La production d’enlèvements récurrents unipolaires convergents est attestée par un grand éclat Levallois, au talon convexe finement facetté, suivi de deux petits éclats prédéterminants latéralisés et superposés, et par les négatifs d’enlèvements récurrents suivants (non remontés) visibles sur la surface de débitage du nucléus.
2052. Aménagement du plan de frappe (n =3)
206Un nouveau plan de frappe a ensuite été mis en place aux dépens de l’ancienne surface de débitage, et sur le même bord que le précédent plan de frappe. Cette opération a entraîné une réduction importante du nucléus. La plupart des éclats de cette phase sont manquants : seules trois pièces sont remontées. Ce sont des éclats courts et larges, à talon dièdre.
2073. Production d’une pointe Levallois aux dépens de la face B et abandon du nucléus (n = 3)
208Un éclat latéralisé, prédéterminant, a été produit directement après la mise en place du nouveau plan de frappe. Entre cet éclat et la dernière séquence de production tous les enlèvements sont manquants. La dernière séquence de production a consisté en l’enlèvement d’une pointe Levallois au centre de la surface de débitage. Les négatifs des deux éclats latéralisés unipolaires convergents qui ont établi les convexités latérales et distale ainsi que le triangle de base pour préparer l’extraction de la pointe Levallois, sont visibles sur la surface de débitage du nucléus. Aucun de ces produits n’a été remonté. Après l’enlèvement de la pointe Levallois, deux éclats (dont l’un est remonté) ont été débités au centre de la surface de débitage. Le premier est rebroussé et tous deux sont peu envahissants. Ces enlèvements témoignent de la tentative d’un débitage de pointes Levallois, consécutivement à la première, sans réaménagement de la surface de débitage et du plan de frappe. L’échec de cette tentative marque l’arrêt de l’exploitation du nucléus. Ce dernier est un nucléus Levallois à pointe (cf. infra fig. 48, no 4).
Remontage 56. fig. 40 et 41, no 2
209Le remontage 56 forme un ensemble de 3 pièces, constitué d’un nucléus et des deux derniers produits débités. La lecture diacritique du remontage indique que le dernier stade de production, précédé d’une préparation de la surface de débitage par enlèvements latéralisés débordants, a reposé sur le débitage de quatre pointes Levallois successives, superposées au centre de la surface de débitage. Les négatifs des trois premières (non remontées) sont visibles sur la face supérieure de la quatrième (remontée). La première correspond manifestement à une pointe Levallois de première génération. Les suivantes témoignent de la poursuite du débitage en vue de l’obtention de nouvelles pointes Levallois (de seconde génération), sans réaménagement de la surface de débitage, en tirant parti des restes de la préparation initiale. Ces enlèvements successifs s’inscrivent dans une forme très économe d’exploitation du nucléus. La dernière pointe a ôté entièrement les négatifs des précédentes. Elle a été suivie par l’enlèvement d’un éclat latéralisé débordant fortement rebroussé (remonté), qui a conduit à l’abandon du nucléus. Au stade final, le nucléus (nucléus Levallois à pointe), ne porte plus le négatif que d’une seule pointe Levallois très envahissante (cf. infra fig. 48, no 2).

FIG. 40 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 60, 2 remontage 56, 3 remontage 15, 4 remontage 12.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 41 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 60, 2 remontage 56, 3 remontage 15, 4 remontage 12 (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
Caractéristiques techniques de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents
210Les remontages fournissent une large part de l’information sur les modalités techniques appliquées à cette production. L’analyse des spécificités morpho techniques des produits et sous‑produits correspondants s’appuie en revanche sur la totalité des pièces disponibles, remontées aussi bien que non remontées (tabl. xvi).

TABL. XVI – Le Pucheuil, série B : décompte des produits caractéristiques de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents.
211Les supports des nucléus exploités pour la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents sont essentiellement des rognons d’assez grandes dimensions (les dimensions maximales des ensembles remontés les plus complets sont de l’ordre d’une vingtaine de centimètres). Mais les tailleurs ont aussi occasionnellement recyclé des éclats, issus de la phase d’initialisation de nucléus Levallois, pour mener à bien cette production. La phase d’initialisation de l’éclat‑support est alors extrêmement réduite. L’exemple d’un tel processus est fourni par le remontage 1 (phase 1A).
Initialisation
212La phase d’initialisation est bien illustrée par les remontages. En revanche, les produits issus de la mise en forme initiale du nucléus, constituant la première étape de l’initialisation, sont rarement intégrés aux remontages. Dans tous les cas où elle peut être appréhendée, cette opération participe à une double finalité :
– elle dégage une surface d’étendue limitée, qui forme le plan de frappe à partir duquel la première série d’enlèvements d’aménagement du plan de frappe ou de la surface de débitage est extraite ;
– elle mène à une régularisation de la morphologie du rognon par l’enlèvement d’une zone en excroissance ; cette opération est réalisée au moyen d’éclats superposés produits à partir du même bord, de même direction, et graduellement de plus en plus envahissants, jusqu’à enlèvement total de l’excroissance par un dernier enlèvement largement plus épais et envahissant que les précédents ; elle atteste d’une approche très progressive et précautionneuse du matériau, guidée probablement par la volonté de minimiser les risques d’accident de taille.
213La mise en forme initiale constitue une étape essentielle dans la stratégie d’exploitation du rognon : le bord à partir duquel sera mené la totalité du débitage et qui conditionnera la position de la future surface de débitage et du futur plan de frappe, est en effet déterminé par la toute première série d’enlèvements produite. Celle‑ci conduit par ailleurs à une première mise en forme du nucléus, sans que le volume exploitable du rognon ne soit réduit. Cette opération est donc menée avec le souci de préserver au maximum les potentialités dimensionnelles et volumétriques du matériau.
214La suite de l’initialisation du nucléus a été menée selon un schéma absolument constant : après la réalisation d’un premier plan de frappe, les tailleurs ont produit à partir du même bord des séries d’enlèvements aménageant en alternance la surface de débitage et le plan de frappe. Les critères techniques et volumétriques régissant le débitage sont mis en place dès le début de l’exploitation du nucléus et maintenus tout au long de la production. Ainsi la surface de débitage est établie dès les premiers enlèvements, et le bord à partir duquel est installé le premier plan de frappe demeure jusqu’à la fin de la production l’unique bord exploité pour le débitage. Le début de l’aménagement de la surface de débitage est réalisé au moyen d’enlèvements peu envahissants, suivis rapidement d’enlèvements très grands et allongés, unipolaires convergents, fréquemment débordants et/ou outrepassants. Ils ont pour rôle de créer une convexité distale ainsi que deux convexités latérales. Les bords latéraux du nucléus n’étant pas aménagés, les dos des pièces débordantes sont toujours corticaux.
215Le plan de frappe est installé sur un bord perpendiculaire à l’axe d’allongement du rognon. Sa délinéation est convexe. Il est dans un premier temps sommairement aménagé, au moyen de quelques grands enlèvements ; ceux‑ci sont complétés, le cas échéant, par un facettage localisé du bord du plan de frappe. Ce procédé n’intervient qu’à un stade avancé de l’initialisation du nucléus et tend alors à devenir de plus en plus fréquent. Les produits issus de cette phase sont pour une large part des produits indifférenciés, corticaux et non corticaux. Une partie des éclats d’aménagement des plans de frappe présentent des caractères morphotechniques qui permettent leur distinction, même en l’absence de remontages. Ce sont des éclats à talon lisse ou dièdre, à négatifs d’enlèvements antérieurs de même direction ou tangentiels, et comportant parfois les négatifs de très petits enlèvements antérieurs facettant le bord du plan de frappe. Leur profil se caractérise par une courbure marquée, s’accentuant vers l’extrémité distale. Ces caractères sont propres à l’ensemble des éclats d’aménagement de plan de frappe de la série.
216Les derniers éclats participant à l’aménagement des surfaces de débitage ont des caractéristiques morphotechniques très proches de celles des éclats prédéterminants produits pour réaménager les convexités sur la surface de débitage entre deux phases de production. Ce sont de grands éclats, allongés, à négatifs d’enlèvements antérieurs unipolaires convergents, à résidu cortical latéral et/ou distal, souvent débordants (à dos cortical) et/ou outrepassants, au profil à la fois courbe et torse (fig. 42 et 43).

FIG. 42 – Le Pucheuil, série B : éclats d’aménagement des surfaces de débitage issus de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents.
MB/CNRS

FIG. 43 – Le Pucheuil, série B : remontage 1. Éclats d’aménagement de la surface de débitage, 1‑3 phase 5 ; 4, 5 phase 7.
MB/CNRS
Production
217La production repose sur le débitage de pointes Levallois et d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents, et donc sur deux principes d’exploitation des nucléus : l’un préférentiel, l’autre récurrent (Boëda 1988b). Les deux types de produits sont successivement obtenus à partir des mêmes nucléus. Les pointes Levallois semblent constituer la finalité technique principale, alors que les éclats récurrents unipolaires convergents répondent très probablement à une finalité secondaire. Cette interprétation se fonde sur plusieurs éléments :
– la production de pointes Levallois intervient de manière quasi systématique dans l’exploitation des nucléus, alors que la production récurrente est plus occasionnelle ;
– l’aménagement du nucléus est avant tout guidé par la mise en place des critères techniques qui vont permettre l’extraction des pointes Levallois (cf. infra) ;
– la dernière séquence de production est toujours fondée (à l’exception du remontage 12) sur le débitage d’une ou plusieurs pointes Levallois ;
– et enfin, les caractères morphotechniques des pointes Levallois sont différents et nettement plus standardisés que ceux des éclats Levallois récurrents.
218Dans la chronologie du débitage, le passage d’un principe d’exploitation à l’autre ne répond à aucun ordre strict. La seule constante (que seuls des accidents de débitage ont pu compromettre) repose sur la succession de plusieurs phases de production, récurrentes et/ou préférentielles, entrecoupées par des phases de réaménagement du plan de frappe et de la surface de débitage et s’achevant en règle générale par la production d’un ou plusieurs enlèvements préférentiels. Le passage d’un principe d’exploitation (récurrent ou préférentiel) à l’autre s’effectue le plus souvent sur la même surface de débitage, mise en place dès le début de l’initialisation du nucléus et maintenue jusqu’à la fin de son exploitation. Pour l’un des remontages (remontage 60), le débitage récurrent et le débitage préférentiel ont été menés aux dépens de l’une puis de l’autre surface, successivement surface de débitage et surface de plan de frappe.
219La production d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents est soit limitée à une portion de la surface de débitage, soit étendue à toute sa surface. Dans le premier cas de figure, la localisation de la surface débitée peut correspondre à la seule zone exploitable suite à un accident de débitage (remontage 2 : fragment B) ou bien elle semble dictée par la morphologie du nucléus et le souci de parfaire l’équilibre de la surface de débitage en vue de la production d’une (ou plusieurs) pointe(s) Levallois (remontage 1 et remontage 2 : fragment A). Les enlèvements produits sont alors certainement largement prédéterminants ; mais ils sont aussi prédéterminés dans la mesure où ils ne contribuent pas à l’entretien des convexités latérales et distale de la surface de débitage et ne servent pas directement à la préparation de la pointe. Dans les cas où les enlèvements récurrents envahissent toute la surface de débitage (remontages 12 et 60), leur production a directement précédé l’abandon du nucléus (ou de la surface exploitée). Les éclats produits consécutivement sont peu nombreux : 2 à 4 en moyenne ; un réaménagement discret de la surface de débitage en cours de production par petits enlèvements très minces ou par enlèvements latéralisés débordants est fréquent.
220Les éclats récurrents unipolaires convergents (fig. 44 et 45) sont de morphologie triangulaire et dissymétrique pour la plupart (l’axe de la pointe étant généralement déjeté par rapport à l’axe de débitage) ou plus rarement quadrangulaire. Leur section transversale est le plus souvent dissymétrique. Leur talon est quasiment toujours facetté convexe. Le nombre d’enlèvements antérieurs visibles sur leur face supérieure est le plus souvent limité à deux, dont un grand négatif antérieur adjacent.

FIG. 44 – Le Pucheuil, série B : éclats Levallois récurrents issus de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents.
MB/CNRS

FIG. 45 – Le Pucheuil, série B : éclats Levallois récurrents issus de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents. 6‑9 remontage 1, phase 7.
MB/CNRS
221La production de pointes Levallois suit un schéma beaucoup plus strict. La préparation préalable au débitage de la pointe est absolument constante : après détachement d’un grand enlèvement médian (qui peut être une pointe Levallois antérieure), deux enlèvements débordants et éventuellement outrepassants ont été produits aux dépens de chacun des deux bords latéraux, créant le triangle de base et la nervure‑guide distale qui vont permettre le détachement de la pointe. Le plan de frappe a été ensuite très finement facetté en vue de dégager un point de percussion proéminent : sa délinéation est soit fortement convexe, soit en chapeau de gendarme. Les pointes Levallois ainsi produites (fig. 46) sont assez courtes et larges, elles ont une morphologie triangulaire symétrique, une section transversale symétrique, un talon large, mince, finement facetté (convexe ou en chapeau de gendarme) ; leur profil est caractérisé par une courbure s’accentuant nettement en partie distale à cause de la forte obliquité de la nervure‑guide distale.

FIG. 46 – Le Pucheuil, série B : pointes Levallois issues de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents. 7 remontage 2, phase A8.
MB/CNRS
222Si le schéma de préparation s’avère constant, en revanche la phase de réalisation est nettement plus variable. Le débitage de plusieurs pointes Levallois aux dépens d’un même nucléus est souvent attesté par les remontages. Deux options principales peuvent être observées (fig. 47) :
– après l’obtention d’une première pointe Levallois, le même schéma de préparation est reproduit pour le débitage d’une seconde pointe : ce cas est illustré notamment par le fragment A du remontage 2 ;
– une ou plusieurs pointes superposées sont successivement produites, sans aucun réaménagement du nucléus, le tailleur tirant parti du triangle formé par la pointe précédente, et des restes des convexités latérales pour extraire une nouvelle pointe légèrement plus envahissante ; le remontage 56 qui illustre cette option, a donné lieu au débitage d’au moins 4 pointes Levallois successives selon un tel schéma ; les pointes ainsi obtenues correspondent à des pointes de seconde génération ; cette option, qui présente des risques d’accidents de débitage, et notamment de rebroussement (cf. remontage 60) nettement plus importants, paraît être plutôt intervenue en fin d’exploitation du nucléus.

FIG. 47 – Le Pucheuil, série B : schéma opératoire de production des pointes Levallois. 1 production d’une pointe Levallois de première génération, a préparation du triangle de base au moyen de deux enlèvements unipolaires convergents latéralisés, b dégagement du point de percussion par facettage du plan de frappe, c production de la pointe Levallois ; 2 deuxième séquence de production d’une pointe Levallois de première génération (a, b, c cf. supra) ; 1bis ou 2bis production de pointes Levallois de deuxième génération.
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
223Dans ce schéma, il n’existe pas de pointe de premier ordre, dans le sens conféré à ce terme par F. Bordes (Bordes 1980), c’est‑à‑dire d’enlèvement préalable à la « pointe Levallois classique (ou de second ordre) » et préparant son extraction. Au Pucheuil, la première pointe, ou pointe de première génération, répond indéniablement à l’intention prioritaire du tailleur. Le facettage très soigné précédant son débitage en témoigne. Les pointes de seconde génération se distinguent en outre par des caractères morphotechniques quelque peu différents. Leur morphologie en particulier, est généralement moins symétrique, tout comme leur section transversale. La lecture diacritique de leur surface de débitage permet par ailleurs de différencier très aisément les deux types de pointes : pour les pointes de première génération, les derniers négatifs d’enlèvements visibles sont ceux des deux enlèvements latéralisés convergents, débordants et outrepassants qui ont préparé leur extraction. Pour les pointes de seconde génération, le dernier négatif d’enlèvement est celui d’une pointe Levallois.
224Alors que l’ultime phase de production repose de manière assez constante sur la production de pointes Levallois, les étapes antérieures ne suivent aucun ordre préétabli. Le passage d’un mode d’exploitation (récurrent ou préférentiel) à l’autre semble dépendre avant tout des opportunités qui se sont offertes aux tailleurs en cours de débitage. La flexibilité intervient à tous niveaux :
– des « pointes » Levallois ont occasionnellement été produites au cours de phases de production d’éclats récurrents unipolaires convergents, voire même lors des phases d’initialisation des nucléus. ; les tailleurs ont en effet judicieusement saisi les opportunités de production de pointes lorsque celles‑ci se sont offertes à eux ; les « pointes » ainsi produites se distinguent principalement par une chronologie des enlèvements antérieurs distincte de celle qui préside à la méthode de débitage des pointes Levallois, et par une morphologie souvent moins symétrique, un talon moins soigneusement facetté, une forme plus allongée ; ces pièces ont été décomptées parmi les éclats Levallois récurrents unipolaires convergents ; bien qu’elles s’inscrivent dans le même schéma d’intention que les pointes Levallois, elles répondent à un schéma de réalisation radicalement distinct ;
– lors des phases de réaménagement des surfaces de débitage précédant l’extraction de pointes Levallois, les tailleurs ont occasionnellement produit de petites séries d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents, qui, tout en participant au maintien de l’équilibre de la surface de débitage, paraissent aussi partiellement recherchés pour leurs caractères propres ; le fragment A du remontage 2 en fournit un exemple ;
– enfin les défauts de la matière première ont provoqué un certain nombre d’accidents de débitage, qui ont détérioré l’équilibre de la surface de débitage ; ces accidents ont souvent conduit les tailleurs à abandonner la production de pointes pour le débitage d’enlèvements récurrents ; ce mode de débitage n’exige en effet pas l’équilibre parfait de la totalité de la surface de débitage tel que le requiert la production de pointes Levallois ; ce schéma est illustré par le fragment B du remontage 2 ainsi que par le remontage 3.
225L’enchaînement des phases de production ne répond donc à aucune règle préétablie ; il repose sur une grande flexibilité, sous‑tendue par une attitude très conjoncturelle de la part des tailleurs. Cette flexibilité s’est opérée dans le strict respect des principes et des objectifs techniques définis par le tailleur dès le début de l’initialisation du nucléus, grâce à sa connaissance d’un large registre de moyens techniques et grâce à une habileté manuelle certaine. Celle‑ci se traduit notamment par le fait que tout le débitage a été mené à partir du même plan de frappe, qui a servi tout autant à l’initialisation du nucléus, à la production des enlèvements Levallois, qu’au rattrapage des accidents de débitage.
226Dans le contexte régional, un seul gisement du Paléolithique moyen (fin du Weichsélien ancien) offre des points de comparaison avec la série B du Pucheuil. Il s’agit du gisement d’Houppeville en Seine‑Maritime (Vallin 1988 ; 1992), dont les vestiges lithiques procèdent pour l’essentiel d’une production Levallois à enlèvements unipolaires convergents. Mais dans le cas d’Houppeville, la finalité première semble avoir reposé sur l’obtention d’éclats Levallois récurrents, la production de pointes Levallois n’intervenant que très secondairement. Les exemples les plus comparables à la série B du Pucheuil sont en fait fournis par des séries issues de contextes géographiques radicalement différents. Ainsi le débitage caractérisant les niveaux Paléolithique moyen de Kebara au Proche‑Orient (couches IX à XII en particulier), s’appuie sur les mêmes principes volumétriques (Meignen, Bar‑Yosef 1989 ; 1991 ; 1992), liés en grande partie à la mise en place et à l’entretien des convexités sur la surface de débitage du nucléus au moyen de grands éclats latéralisés, débordants et outrepassants. Les mêmes produits caractéristiques se retrouvent dans la série B du Pucheuil.
Abandon
227D’après l’étude des remontages, il apparaît que les nucléus ayant donné lieu à une production Levallois unipolaire convergente (récurrente ou préférentielle) sont au nombre de 12. Or dans leur état final, seuls 7 d’entre eux s’intégrent dans la catégorie des nucléus Levallois : ce sont très majoritairement (n = 6) des nucléus Levallois à pointe (fig. 48). Les autres nucléus ne sont plus Levallois à leur stade d’abandon car ils ont été modifiés lors d’une ultime phase de débitage, menée selon des modalités différentes :
– dans plusieurs cas, une dernière phase de production dont la finalité technique est difficilement déterminable, a eu lieu ; elle repose sur le débitage d’éclats unidirectionnels à partir d’un des bords latéraux de la surface de débitage du nucléus (remontages 12 et 17) ou d’éclats multidirectionnels produits aux dépens des deux surfaces à partir du même bord (remontage 15) ; selon l’ampleur des transformations induites par cette dernière phase, les nucléus qui en résultent gardent encore partiellement les caractères morphotechniques de nucléus Levallois ou correspondent à des nucléus techniquement indifférenciés ;
– plusieurs nucléus Levallois ont été recyclés en nucléus de type Le Pucheuil (cf. chapitre suivant) ; ils rejoignent alors cette dernière catégorie de nucléus, bien qu’ils attestent encore d’une phase de débitage Levallois antérieure ;
– enfin, des accidents intervenus en cours de débitage (la mauvaise qualité du silex en est généralement à l’origine) ont souvent entraîné l’abandon des nucléus ; ceux‑ci, totalement détériorés par la suite d’accidents qui ont marqué la fin de leur exploitation, correspondent à des nucléus indifférenciés.

FIG. 48 – Le Pucheuil, série B : nucléus Levallois à pointes. 1 nucléus intégré au remontage 1, 2 nucléus du remontage 56, 3 nucléus du remontage 2 (fragment A), 4 nucléus du remontage 60, 5 nucléus du remontage 12, 6 nucléus du remontage 17.
MB/CNRS
Utilisation
228Quoique les produits recherchés en priorité soient les pointes Levallois, et quoiqu’un certain souci de productivité guide leur débitage (par la succession de plusieurs phases de production), leur nombre s’avère très réduit (tabl. xvi). Il faut bien entendu envisager qu’un certain nombre de pointes Levallois aient été exportées soit hors du site, soit hors de leur zone de production. Ceci dit, les pointes Levallois manquantes dans les remontages (et manquantes de manière quasi certaine de l’assemblage du fait qu’elles ont fait l’objet de tentatives de remontages systématiques), ne sont guère nombreuses. La somme des sous‑produits par rapport aux produits prioritairement recherchés est donc très élevée. Dans ces conditions, il semblerait que les produits recherchés pour leurs caractères propres incluent de plus non seulement les éclats Levallois récurrents, mais aussi peut‑être les produits d’aménagement des surfaces de débitage, ou tout au moins une partie d’entre eux. Les grands éclats débordants et outrepassants qui participent au réaménagement des surfaces de débitage présentent en effet des caractères qui leur confèrent une efficacité certaine en tant qu’outils coupants. Ils présentent un bord latéral long, caractérisé par un tranchant dont l’angle est très fermé, mais aussi constant et lisse sur toute sa longueur, opposé à un bord constitué d’un dos cortical dont l’intérêt est évident en termes de préhension. Ainsi au Pucheuil, comme dans le gisement de Vaudevanne (Yonne), il semble que : « … la méthode ne se cantonne pas à l’objet final mais fait appel à un schéma opératoire complexe où chaque éclat crée la pointe et est créé pour lui‑même » (Boëda 1982).
229Il n’est malheureusement pas possible de vérifier l’utilisation ni de définir le mode de fonctionnement des pièces, en l’absence de données tracéologiques. Sur l’ensemble des produits caractéristiques de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents, seules 4 pièces ont fait l’objet d’un « aménagement » par des retouches. Ces pièces, constituées de trois éclats prédéterminants et d’un éclat Levallois récurrent, se caractérisent toutes par une retouche très courte, ne modifiant que très peu l’angle initial du tranchant et tendant plutôt à le rendre plus aigu. Ces retouches sont limitées à une portion réduite d’un des bords latéraux des pièces. Elles correspondent certainement davantage à des retouches de maintenance d’outils coupants dont le bord actif était initialement brut, qu’à des retouches de confection d’outils.
230Ces remarques soulèvent la question de la production d’un outillage brut, conçu pour être directement utilisable à l’issue de la séquence de débitage, sans transformation par des retouches. Cette question, qui s’est déjà posée pour les éclats Levallois récurrents unipolaires de la série A du Pucheuil (Delagnes 1991 ; 1992), s’impose donc aussi pour les éclats Levallois de la série B. Et elle est essentielle pour aborder le problème de la fonction, en terme de production lithique, de ces gisements paléolithiques sans outillage retouché de la moitié nord de la France.
2.3.5.4 Production d’éclats de type Le Pucheuil
231La production d’éclats de type Le Pucheuil est illustrée par de nombreux remontages (tabl. xvii). Bien qu’ils comprennent pour la plupart un nombre nettement plus limité de produits que les remontages s’insérant dans la production Levallois unipolaire convergente, ils s’avèrent dans leur ensemble tout aussi complets. Cette production a en effet été réalisée à partir de supports déjà transformés, correspondant le plus souvent à des modules de petites dimensions et a livré, pour chaque support débité, une quantité restreinte de pièces. Le débitage de type Le Pucheuil se caractérise par la production d’éclats récurrents unidirectionnels, superposés de façon à ce que chaque éclat ôte entièrement le négatif de l’éclat précédent. Ces éclats répondent par ailleurs à des critères morphotechniques précis : ce sont des éclats de petites dimensions dont la largeur est supériclite à la longueur, présentant un large talon convexe, en V, en chapeau de gendarme ou rectiligne, ainsi qu’un large tranchant distal ; l’éclat antérieur forme une concavité très marquée dans la partie proximale de leur face supérieure, et en vue de dessous ils possèdent la morphologie caractéristique d’éclats « en aile d’oiseau » (Tixier et al. 1980).

TABL. XVII – Le Pucheuil, série B : décompte des remontages pour la production d’éclats de type Le Pucheuil.
Ensemble 4
232Parmi les 117 pièces comprises dans cet ensemble lithologique, 75 ont été rassemblées dans le remontage 6. Les pièces non raccordées au remontage 6 correspondent pour la plupart à des petits éléments inférieurs à 2 cm. Ce rognon se caractérise par un silex gris‑noir, patiné gris foncé. La zone sous‑corticale présente des marbrures gris‑bleu plus foncées, qui disparaissent au centre du rognon où la couleur est uniformément grise. Le cortex, de couleur brun‑orangé, est très mince, lisse, localement réticulé. La surface externe du rognon est constituée aussi de surfaces diaclasées postérieurement érodées. La structure du silex est assez peu homogène dans l’ensemble, à cause de nodules cristallisés et de zones grenues ; son grain est fin, il est assez gras et brillant dans les parties sous‑corticales, plus sec et mat au centre du rognon. Ses qualités à la taille sont médiocres. Les dimensions approximatives du rognon sont de 17 cm de longueur maximale, pour une épaisseur de 10‑11 cm ; son poids est de 1,2 kg. La particularité de ce rognon réside dans la présence d’un orifice traversant l’un de ses bords.
Remontage 6. fig. 49 et 50, tabl. xviii
233Les premiers enlèvements, issus de la mise en forme initiale du nucléus, n’ont pas été remontés. L’initialisation du nucléus a été menée selon les principes techniques et volumétriques propres au débitage Levallois unipolaire convergent. Plusieurs accidents de débitage, dus principalement à la mauvaise qualité du silex, ont conduit le tailleur à intervertir à diverses reprises la surface de débitage et la surface de plan de frappe. La production d’enlèvements Levallois unipolaires convergents n’a pas pu aboutir, bien que le tailleur ait persévéré dans cet objectif jusqu’à un stade avancé du débitage. Suite à cet échec, le nucléus à la fin de son exploitation, ainsi qu’une large partie des produits d’initialisation du nucléus, ont été repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil. Au total, 10 pièces (éclats, fragments d’éclats et nucléus final) correspondent à des nucléus de type Le Pucheuil. Ce remontage laisse donc apparaître un lien direct entre la production de type Le Pucheuil et la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents, engendré dans ce cas par une qualité de silex insuffisante pour mener à bien la production Levallois.

FIG. 49 – Le Pucheuil, série B : remontage 6.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 50 – Le Pucheuil, série B : remontage 6. 1 phases d’initialisation et de production ; 2‑5 recyclages d’éclats en nucléus de type Le Pucheuil (zones hachurées nucléus, chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG de/./AFAN

TABL. XVIII – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 6.
Initialisation – face A (phases 1 à 3)
234L’aménagement de la surface de débitage a débuté par un grand enlèvement cortical (phase 1), perpendiculaire à la direction de débitage des enlèvements suivants. Il a postérieurement été repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil (phase 1A : cf. infra). Les phases suivantes (phases 2 et 3) ont été menées dans l’objectif d’aménager par alternance la surface de débitage et la surface de plan de frappe au moyen de grands enlèvements, encore largement corticaux. Les enlèvements produits aux dépens de la surface de débitage, correspondent dès ce stade à des enlèvements unipolaires convergents. Sur le bord droit, le tailleur est parvenu, au moyen d’enlèvements progressivement de plus en plus envahissants, à ôter la zone du rognon traversée par un orifice. Sur la partie gauche de la surface de débitage la présence d’une zone cristallisée a contrarié le déroulement de cette phase. C’est probablement ce qui a conduit le tailleur à intervertir ensuite la surface de débitage et la surface de plan de frappe.
235Les deux fragments de l’éclat d’aménagement du plan de frappe (phase 2), ainsi que quatre des éclats issus de l’aménagement de la surface de débitage (phase 3), ont été repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil (phases 2A, 2B, 3A, 3B, 3C, 3D : cf. infra).
Initialisation – face B (phase 4)
236La nouvelle surface de débitage (ancienne surface de plan de frappe) a été aménagée par une série de grands enlèvements unipolaires convergents, encore largement corticaux, produits à partir du même bord du nucléus que celui précédemment exploité. Certains ont un talon finement facetté. Le plus grand éclat de la série, en deux fragments, a été‑repris postérieurement pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil (phases 4A et 4B : cf. infra). Le dernier éclat de cette phase a mis au jour une autre zone cristallisée, donnant lieu à une nouvelle permutation des deux surfaces.
Initialisation – face A (suite ; phase 5)
237L’initialisation de la surface de débitage initiale s’est alors poursuivie, toujours à partir du même bord. Au prix d’un sacrifice important de matière première, le tailleur a finalement réussi, par une série d’éclats courts et épais, à ôter la zone cristallisée compromettant le débitage sur le bord latéral gauche du nucléus. Simultanément est apparue, sur le bord latéral droit, une zone indurée que plusieurs éclats débordants (à dos cortical) superposés ne sont parvenus à nettoyer que partiellement. La quasi‑totalité des produits de cette phase ont été remontés.
Production – face A (phases 6 et 7)
238Le débitage s’est ensuite poursuivi sur la même surface, mais cette fois‑ci dans une toute autre finalité. Il semble en effet qu’à ce stade, le tailleur se soit résigné à ne pas pouvoir mener à bien une production d’éclats Levallois unipolaires convergents en raison de la mauvaise qualité de la matière première. Le nucléus a alors été recyclé pour la production d’éclats de type Le Pucheuil (phase 6). Leur débitage s’est effectué à partir du bord latéral droit selon une direction perpendiculaire aux enlèvements précédents. Les deux premiers éclats de la série, ainsi que le dernier ont été remontés. Entre les deux, plusieurs pièces sont manquantes. Aucun des éclats produits au centre de la surface n’a pu être remonté ; les négatifs d’enlèvements visibles sur le nucléus correspondent à des enlèvements assez envahissants, en partie rebroussés, dont on perçoit mal la finalité technique. Enfin, une dernière série d’enlèvements rebroussés (phase 7), dont seule une partie est remontée, perpendiculaire à la série d’éclats de type Le Pucheuil, a conduit à l’abandon définitif du nucléus. Celui‑ci correspond à un nucléus de type Le Pucheuil.
Reprises d’éclats en nucléus de type Le Pucheuil
239IA. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
240L’extrémité distale d’un éclat d’initialisation du nucléus, largement cortical, a été reprise pour le débitage d’une série d’éclats de type Le Pucheuil, aux dépens de sa face inférieure. Aucun d’entre eux n’a été remonté, mais les négatifs des deux derniers éclats produits sont visibles : ce sont des éclats très courts et larges à talon dièdre, partiellement cortical. Un seul éclat (remonté) a suffi pour aménager le plan de frappe dièdre.
2412A. Reprise du fragment distal d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 8)
242Le fragment distal d’un grand éclat d’aménagement de plan de frappe a donné lieu à la réalisation d’une seule série d’éclats de type Le Pucheuil aux dépens de sa face inférieure. Cette série comprend au total 9 éclats, dont 7 ont été re montés. Avant le début de la production, quelques petits enlèvements (non remontés) ont aménagé un plan de frappe dièdre (à un pan préparé et un pan cortical). Les éclats de type Le Pucheuil ont ensuite tous été produits à partir de ce plan de frappe, qui n’a fait l’objet d’aucun réaménagement. Ils sont parfaitement superposés, et de plus en plus envahissants au fur et à mesure du débitage. Leur plan de fracturation, au départ quasiment parallèle à la surface débitée, tend à s’incliner progressivement au cours de la séquence de débitage et finit par être perpendiculaire à cette surface au stade d’abandon du nucléus. Cette série, qui rassemble un nombre d’éclats de type Le Pucheuil exceptionnellement élevé, est celle qui illustre le mieux les principes techniques présidant à cette production (cf. infra fig. 58).
2432B. Reprise du fragment proximal d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 6)
244Le fragment proximal du même éclat a été exploité pour la production de trois séries d’éclats de type Le Pucheuil, aux dépens de la face inférieure du support et sur des bords adjacents. Deux d’entre elles se recoupent partiellement. La première série comprend un éclat d’aménagement de plan de frappe et deux éclats de type Le Pucheuil correspondant au premier et au dernier produits (sans raccord direct entre les deux). La deuxième série n’a donné lieu au remontage que d’un éclat d’aménagement de plan de frappe, tandis que pour la troisième série, les deux éclats de type Le Pucheuil produits ont été remontés (cf. infra fig. 58).
2453A. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
246Le bord latéral d’un éclat épais a été exploité pour le débitage d’une série d’éclats de type Le Pucheuil aux dépens de sa face inférieure ; seul le dernier est remonté. Il est latéralisé et non exactement superposé au précédent. Le tailleur a abandonné le nucléus après avoir tenté en vain de produire un nouvel éclat de type Le Pucheuil : les impacts de plusieurs coups successifs sont visibles sur le plan de frappe.
2473B. Reprise d’un éclat en nuclétis de type Le Pucheuil (n = 2)
248L’éclat suivant a été repris dans sa partie distale, du côté de la face inférieure, pour une série de petits éclats de type Le Pucheuil : seul l’avant‑dernier éclat, à talon partiellement cortical, a été remonté.
2493C. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 6)
250Deux séries d’éclats de type Le Pucheuil ont été successivement produites sur le bord proximal et sur le bord latéral (côté face inférieure) d’un grand éclat. Elles se recoupent partiellement. Les deux derniers éclats de la première série, qui n’a pas dû livrer plus de trois enlèvements, ont été remontés ; leur talon est facetté convexe. De la même façon, seuls les deux derniers éclats de la deuxième série, ainsi qu’un fragment indéterminable, ont été raccordés au nucléus. Ils présentent un talon lisse. Cette dernière série a manifestement conduit à la production d’un nombre plus important d’éclats (4 à 5).
2513D. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 1)
252Pour le dernier produit de la phase 3 (fragment proximal d’éclat) repris en nucléus, aucun des enlèvements obtenus n’a pu être remonté. Le nucléus indique que deux séries d’enlèvements, totalement disjointes, ont été réalisées aux dépens de deux bords adjacents.
2534A. Reprise du fragment distal d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 5)
254Un fragment distal d’éclat a été repris sur sa face inférieure, à partir du bord fracturé, pour le débitage d’une série de 5 éclats de type Le Pucheuil : 4 d’entre eux ont été remontés. Leur talon est totalement cortical.
2554B. Reprise du fragment proximal d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
256Le fragment proximal de ce même éclat a été exploité pour le débitage de deux séries adjacentes d’éclats de type Le Pucheuil. Seul le dernier éclat d’une des séries, qui n’a pas dû livrer plus de deux pièces, est remonté.
Distribution spatiale
257On ne dispose quasiment d’aucune information d’ordre spatial pour cet ensemble. Les deux seules pièces du remontage 6 dont la provenance est connue, ont été dégagées du carré F13.
Ensemble 3
258Plusieurs remontages s’intégrant dans cette production se caractérisent par un silex d’aspect semblable, constituant l’ensemble lithologique 3. Ils pourraient procéder de l’exploitation d’un même rognon ou tout au plus de deux rognons distincts. Les remontages sont nombreux pour cet ensemble mais ne permettent pas de reconstituer la genèse de l’exploitation du ou des rognons concernés. Ils consistent principalement en 4 remontages incluant un nucléus (remontages 27, 29, 34 et 8) et en séries de 2 à 4 éclats de type Le Pucheuil superposés. L’un des remontages attribué à cet ensemble (remontage 8) a par ailleurs été en partie exploité pour la production d’éclats laminaires (il est décrit dans le chapitre correspondant). Le silex caractérisant ces remontages est un silex gris foncé, patiné gris clair, moucheté, avec de nombreuses taches grises correspondant à des zones un peu plus grenues. Son cortex est très mince, lisse à légèrement rugueux, érodé, de couleur beige‑jaune à beige‑orangé. Sa structure est homogène, son grain fin et assez gras ; il est d’aspect mat à légèrement brillant. Son aptitude à la taille est très bonne. Quelques légères différences dans l’aspect du cortex (un peu plus rugueux et plus épais pour une partie des pièces) et dans les tons du mouchetage suggèrent que les pièces regroupées dans cet ensemble pourraient provenir de deux rognons distincts.
Remontage 27
259Le remontage 27 comprend 4 pièces, consistant en plusieurs produits raccordés à un nucléus initialement exploité selon les principes volumétriques du débitage Levallois. Seul le dernier éclat obtenu à l’issue de la phase de production Levallois, s’inscrivant dans une série d’éclats (récurrents ?) unipolaires, est remonté. Cet éclat, fortement rebroussé, a conduit le tailleur à produire des éclats selon une direction perpendiculaire, à partir du bord latéral, afin d’ôter la partie rebroussée. Au moins deux éclats (non remontés) ont été ainsi produits. Le débitage s’est ensuite poursuivi à partir du même bord, selon la même direction, mais dans un tout autre objectif, fondé sur la production d’éclats de type Le Pucheuil (au minimum deux). Seule la partie latérale du dernier, cassé au débitage (fracture Siret), est remontée. Cet éclat est très large et a débordé, accidentellement semble‑t‑il, sur le bord adjacent. Il a précédé (et certainement provoqué) l’abandon du nucléus (cf. infra fig. 61, no 1).
Remontage 34. fig. 51 et 52, no 2
260Le remontage 34 inclut 8 pièces. La production de type Le Pucheuil a été menée à partir d’un éclat cortical épais et large. Elle est localisée sur le bord distal du support, correspondant au plus long bord disponible, du côté de la face inférieure. Les talons des éclats de type Le Pucheuil sont facettés convexes.
Production d’une première série d’éclats de type Le Pucheuil (n = 3)
261Une première série a conduit à la production d’au moins deux éclats, dont seul l’avant‑dernier est remonté. Il a été lui‑même postérieurement exploité pour la production d’un (ou plusieurs ?) petit(s) éclat(s) de type Le Pucheuil (non remontés), sur sa face inférieure. Un petit éclat (remonté) a été débité sur la surface de plan de frappe du nucléus, renforçant la délinéation convexe du bord. L’éclat suivant, rebroussé, a entraîné la fracture du nucléus en deux fragments selon son axe de débitage.
Production d’une deuxième série d’éclats de type Le Pucheuil (n = 5)
262Le fragment le plus grand est ensuite repris pour la production d’une deuxième série, adjacente à la première. Cinq éclats de type Le Pucheuil, rebroussés, ont été successivement produits. Trois d’entre eux, ainsi que le fragment du quatrième, ont été remontés. Le nucléus a ensuite été définitivement abandonné.
Remontage 29. fig. 51 et 52, no 1
263Un ensemble de 6 pièces forme ce remontage. Le fragment distal d’un éclat cortical fracturé au débitage (4 fragments raccordés) a été débité sur son plus long bord et du côté de la face inférieure pour la production d’une série d’éclats de type Le Pucheuil, dont le dernier élément est remonté. Un pan de fracture a été directement utilisé comme plan de frappe. Cette série a été précédée d’enlèvements périphériques dont la finalité nous échappe, et suivie de plusieurs petits éclats, dont le dernier est remonté, sur la surface de plan de frappe.
Remontage 93
264Le remontage 93 rassemble 4 éclats de type Le Pucheuil (cf. infra fig. 59, no 5), s’insérant dans une même série. Ce petit remontage illustre très clairement les principes techniques présidant au débitage de type Le Pucheuil, dans sa forme la plus élaborée. Chaque éclat de type Le Pucheuil est parfaitement superposé au précédent, dont il ôte entièrement le négatif, tout en étant légèrement plus envahissant. Le débitage de chaque éclat (excepté du dernier) a été précédé d’un réaménagement soigné du plan de frappe, par petits enlèvements créant un large bord facetté convexe et dégageant un point proéminent en vue d’assurer la précision du coup.
Autres remontages
265La variété lithologique des autres remontages et produits non remontés se rattachant à cette chaîne opératoire indique que les rognons exploités dans cette finalité (prioritairement ou secondairement) sont assez nombreux ; leur nombre est toutefois difficile à préciser.
Remontage 47. fig. 51 et 52, no 3
266Les pièces de ce remontage, au nombre de 7, se distinguent par un silex gris‑bleu foncé, patiné gris‑bleu plus clair, légèrement moucheté. Son cortex est très mince, lisse, de couleur beige‑jaune. Sa structure homogène, son grain très fin, son aspect gras et brillant en font un matériau d’une excellente qualité pour la taille. Grâce à ces qualités, ce silex est très aisément identifiable dans la série. En dehors des pièces remontées, seuls quelques rares éléments du même rognon ont été retrouvés : la grande majorité des produits de ce rognon sont donc absents de l’assemblage. Le nucléus du remontage 47 semble avoir été géré dans un premier temps selon les principes techniques et volumétriques du débitage Levallois, bien qu’il soit impossible de préciser la méthode de débitage employée. En fin d’exploitation, il a été recyclé en nucléus de type Le Pucheuil : après plusieurs séries multidirectionnelles d’enlèvements qui semblent déjà s’inscrire dans la production de type Le Pucheuil (seul un fragment d’éclat remonté), la surface de débitage a été nettoyée par un enlèvement envahissant ôtant les négatifs de plusieurs enlèvements rebroussés antérieurs. Le tailleur a ensuite produit une série d’éclats de type Le Pucheuil. Le premier éclat, très large (non remonté), a été suivi d’un second (remonté) après l’aménagement d’un plan de frappe convexe finement facetté. Préalablement à ce second éclat, une rectification légère de la surface de débitage a de plus été effectuée par de petits enlèvements localisés sur la partie latérale du négatif de l’éclat précédent. L’éclat produit, de type Le Pucheuil, est particulièrement large et court (cf. infra fig. 60, no 11). Il a été suivi à nouveau d’éclats latéralisés (remontés), cette fois plus envahissants, destinés semble‑t‑il à reconfigurer la surface débitée. Un dernier éclat (non remonté), dont le point de percussion est décalé par rapport aux précédents et nettement moins large, a été débité. Il a précédé l’abandon du nucléus. Ce remontage se distingue des autres par le soin particulier apporté à l’entretien du nucléus, en ce qui concerne à la fois le plan de frappe et la surface débitée. Les éclats obtenus sont exceptionnellement larges (dimensions de l’éclat remonté : longueur : 2,8 cm, largeur : 7,8 cm).

FIG. 51 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 29, 2 remontage 34, 3 remontage 47.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 52 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 29, 2 remontage 34, 3 remontage 47 (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN
Remontage 4. fig. 53 et 54, no 1
267Le remontage 4 comprend 35 pièces. Il regroupe un ensemble d’éclats s’inscrivant au début de l’exploitation d’un rognon très volumineux. Son poids est de 1,6 kg. La plupart des éléments remontés sont unidirectionnels et produits à partir du même bord, aux dépens d’une surface correspondant probablement à la surface de débitage du nucléus (non remonté). Des éclats, quasiment tous manquants, ont servi à aménager une surface sécante à partir du même bord, constituant manifestement la surface de plan de frappe. Les principes volumétriques présidant à cette séquence opératoire indiquent qu’elle s’insère dans la phase d’initialisation d’un nucléus Levallois. Il est toutefois impossible de préciser la méthode de débitage employée. Ces éclats, encore largement corticaux (les tout premiers éclats débités sont manquants), sont grands et particulièrement épais. Leurs talons, non préparés, sont lisses ou dièdres. Ils ont été pour une large part recyclés en nucléus.
Initialisation
2681. Aménagement du plan de frappe (n = 3)
269Après au moins une série préalable d’enlèvements aménageant la surface de débitage, la première phase attestée par le remontage consiste en la mise en place d’un large plan de frappe. Les pièces remontées, correspondant à une petite partie des pièces débitées lors de cette phase, sont localisées sur chacun des bords latéraux de la surface exploitée. Sur l’un des bords : trois éclats superposés de petites dimensions ont été remontés, alors que sur l’autre bord le plan de frappe a été configuré au moyen d’un seul grand enlèvement. Il a été postérieurement repris en nucléus (phase 1A : cf. infra).
2702. Aménagement de la surface de débitage (n = 14)
271Les enlèvements participant à cette phase opératoire sont principalement unidirectionnels : ce sont des éclats de grandes dimensions, partiellement corticaux, qui aménagent une surface particulièrement large. Des enlèvements tangentiels, débordant partiellement sur la surface d’aménagement des plans de frappe, s’intercalent dans la série. Une partie de ces éclats a ensuite été recyclée en nucléus (phases 2A, 2B et 2C : cf. infra) : le critère déterminant dans la sélection des supports exploités en nucléus semble avoir été leur épaisseur.
Reprises d’éclats en nucléus de type Le Pucheuil
2721A, Reprise d’un éclat en nucléus (n = 3)
273La partie distale, correspondant à la partie la plus épaisse, d’un grand éclat d’aménagement du plan de frappe, a été exploitée pour le débitage d’éclats courts, larges et épais. Après un premier éclat (Kombewa), débité aux dépens de la face inférieure, plusieurs éclats ont été produits à partir du même bord sur l’autre face. Les premiers (au moins 2 pièces) sont manquants. Le dernier de cette série (remonté), très large et épais, et ôtant entièrement les négatifs des précédents, a directement précédé l’abandon du nucléus.
2742A. Reprise d’un éclat en nucléus (n = 2)
275Le premier éclat de la phase 2 a été exploité pour le débitage d’une série d’enlèvements sur sa face inférieure, à partir du bord proximal, après enlèvement du talon et aménagement d’un plan de frappe au moyen de nombreux petits enlèvements (non remontés). Les premiers enlèvements ne sont pas remontés. Ils ont été suivis d’un ultime éclat (remonté) fortement outrepassé, qui a entraîné l’abandon du nucléus. L’intention technique guidant cette opération est indéterminable.
2762B. Reprise d’un éclat en nucléus (n = 5)
277Un autre éclat, encore largement cortical, a été l’objet d’une séquence de débitage localisée sur son bord latéral. Après la mise en place sommaire d’un plan de frappe sur la face supérieure du support au moyen de deux éclats superposés, une série de deux éclats a été extraite de la face inférieure ; le premier correspond à un éclat Kombewa. Si l’intention du tailleur semble s’être fondée sur la production d’éclats de type Le Pucheuil, la réalisation n’est pas tout à fait conforme à cet objectif. Les deux éclats ont en effet été débités selon une direction parallèle (et non pas perpendiculaire) au bord de l’éclat, et sont par conséquent plus longs que larges ce qui les distingue d’éclats de type Le Pucheuil « classiques ». Tous les produits extraits de ce nucléus ont été remontés.
2782C. Reprise d’un éclat en nucléus (n = 8)
279La partie proximale d’un grand éclat non cortical a été exploitée pour le débitage de plusieurs séries d’enlèvements. Seuls 3 à 4 éclats débités à partir de ce nucléus n’ont pas été remontés. La face inférieure et la face supérieure du support ont été alternativement débitées pour des séries de deux enlèvements superposés. Quatre séries tangentielles entre elles et se recoupant partiellement ont été produites aux dépens de la face supérieure du support, tandis que la face inférieure a été exploitée pour la réalisation de deux séries d’éclats. La surface dégagée par chaque série a servi de plan de frappe pour la série suivante, débitée aux dépens de l’autre face, selon un principe d’économie maximale des gestes techniques. Certains des éclats produits ont une morphologie qui évoque très nettement celle des éclats de type Le Pucheuil ; mais la plupart sont trop longs (par rapport à leur largeur) ou trop envahissants (par rapport au support), pour répondre aux critères techniques très précis de la production de type Le Pucheuil.
280La reprise d’une partie des produits de ce remontage en nucléus semble avoir été guidée par l’intention d’obtenir des éclats de type Le Pucheuil. Mais dans ce cas, le ou les tailleurs ne sont pas parvenus à atteindre cet objectif : les éclats produits ne sont jamais parfaitement superposés ; la plupart sont trop longs ou au contraire trop larges, selon leur axe de débitage, pour satisfaire aux contraintes techniques de ce mode de production. L’inexpérience du ou des tailleurs constitue le seul facteur qui puisse avoir été à l’origine de telles difficultés techniques.
Distribution spatiale. fig. 55
281Presque tous les éléments de ce remontage (n = 34) ont été cotés et peuvent être replacés sur la surface d’occupation. L’ensemble des pièces est globalement dispersé selon l’axe est‑ouest de la pente du niveau, sur une distance de l’ordre de 3 m. Seul un petit élément, inférieur à 3 cm, a subi un déplacement plus important vers le bas de la pente. La répartition des vestiges met en évidence deux zones de concentration :
– la première, localisée dans les carrés J18 et H18, s’inscrit dans une aire allongée qui semble résulter du déplacement des pièces selon la pente du niveau archéologique ;
– la deuxième, située dans les carrés L17 et K17, épouse une forme globalement circulaire ; les pièces produites à partir d’éclats recyclés en nucléus sont dispersées selon des directions très variables autour des nucléus ; elles sont toujours regroupées sur une petite superficie : leur distance par rapport au nucléus est le plus souvent de quelques dizaines de centimètres et exceptionnellement supérieure à 1 m ; ces observations suggèrent que, malgré un déplacement général du matériel, les entités spatiales originelles ont pu dans certains cas être homogènement déplacées, sur des distances probablement assez courtes.
Remontage 30. fig. 53 et 54, no 2
282Le remontage 30 comprend un ensemble de produits (16 pièces au total) extraits d’un rognon de silex de petites dimensions (15 cm de longueur maximale, 12 cm de largeur maximale), aux formes très contournées. Ce rognon se caractérise par un silex gris foncé, patiné gris, de couleur uniforme. Son cortex est peu épais, grenu et de couleur beige‑jaune. Sa structure est homogène, son grain fin ; il est assez sec et d’aspect mat. Son aptitude à la taille est très bonne. La presque totalité des produits ont été remontés : seuls 5 à 6 petits éléments sont manquants.

FIG. 53 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 4, 2 remontage 30.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 54 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 4, 2 remontage 30 (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG de/./AFAN

FIG. 55 – Le Pucheuil, série B : répartition spatiale des pièces du remontage 4 (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
Initialisation
283Mise en forme initiale (n = 1)
284Le premier produit débité, destiné à ôter une excroissance, a provoqué la fracture du rognon en deux fragments (A et B) ; chacun des deux fragments a ensuite été exploité comme nucléus.
Exploitation du fragment A
285A. Initialisation, production ? (n = 6)
286Le fragment A correspond à une autre partie en excroissance du rognon. Trois enlèvements ont tout d’abord été produits alternativement à partir du même bord, aux dépens de deux surfaces non hiérarchisées. Puis, sur le bord opposé, correspondant à un pan de fracture, a été extraite une petite série d’enlèvements unipolaires, tous rebroussés. Les deux premiers (remontés) sont encore largement corticaux. Les deux derniers n’ont pas été remontés. Le nucléus, indifférencié, a été abandonné à ce stade. La finalité technique qui a motivé le débitage de ce fragment est indéterminable.
Exploitation du fragment B
287B. Production (n =5)
288Ce sont globalement les mêmes principes techniques qui ont orienté le débitage du second fragment : plusieurs séries alternantes d’enlèvements, produites à partir du même bord, ont créé deux surfaces non hiérarchisées. Dans ce cas, un seul plan de frappe a été exploité, correspondant au pan de fracture selon lequel s’est scindé le rognon. Deux éclats, provenant de chacune des deux surfaces débitées, ont été postérieurement repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil. Seuls quelques petits fragments n’ont pas été remontés. Le nucléus a ensuite été abandonné : il correspond à un nucléus indifférencié.
Reprises d’éclats en nuclétis de type Le Pucheuil
289BA. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n =2)
290Un éclat, repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil, sur sa partie distale rebroussée, du côté de la face inférieure, a été fracturé en deux selon son axe de percussion lors du détachement du dernier produit. Les éclats de type Le Pucheuil, peu nombreux (1 ou 2 enlèvements tout au plus), n’ont pas été remontés.
291B B. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
292Le second éclat repris pour le débitage d’éclats de type Le Pucheuil (cf. infra fig. 61, no 4) a donné lieu à la production d’au moins 3 (voire 4) enlèvements, dont l’un est remonté. Ils ont été produits aux dépens de la partie distale du support, du côté de la face supérieure. La face inférieure a directement servi de plan de frappe.
293Le remontage 30 dévoile une production fondée sur des principes très simples : chaque surface est débitée au moyen d’enlèvements unidirectionnels et sert ensuite de plan de frappe pour l’exploitation d’une nouvelle surface selon la même méthode. Ce type de débitage s’appuie sur la production d’enlèvements aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées, alternativement surfaces de débitage et surfaces de plan de frappe. Parmi les éclats produits, quelques pièces ont été postérieurement exploitées comme nucléus de type Le Pucheuil : il n’est toutefois pas possible de savoir si c’est l’obtention de supports pour la production d’éclats de type Le Pucheuil qui a motivé le débitage de ce rognon ou si cette finalité n’est que secondaire.
Distribution spatiale. fig. 56
294Tous les éléments de ce remontage ont été cotés. Ils se répartissent selon un axe globalement E.‑O., correspondant à l’axe de la pente, et forment une aire d’environ 3 m de long pour 1 m de large. Seul un des produits ne s’inscrit pas dans cet axe et est éloigné de plus de 2 m du centre de l’aire formée par les autres pièces. Ce produit est celui qui a provoqué la fragmentation du bloc dès le début de son exploitation. Les autres produits suivent une distribution spatiale qui paraît indifférente à leur position ou leur rôle dans la séquence opératoire.

FIG. 56 – Le Pucheuil, série B : répartition spatiale des pièces du remontage 30 (1 carré = 1 m).
AD/AFAN ; CNRS
Caractéristiques techniques de la production d’éclats de type Le Pucheuil
295La production de type Le Pucheuil concerne au minimum 5 à 6 rognons de silex ; elle apparaît dans l’exploitation de ces rognons comme une production secondaire, présente à côté d’une production première (ou principale) fondée, dans la majorité des cas où cela est déterminable, sur le débitage Levallois unipolaire convergent. La production de type Le Pucheuil repose sur une technique de percussion directe au percuteur dur et sur une méthode de débitage récurrente. Celle‑ci consiste en la réalisation d’une série d’éclats (de 2 à 8) à partir du même plan de frappe et selon la même direction de façon à ce que chaque éclat soit un peu plus envahissant que le précédent dont il emporte entièrement le négatif (fig. 57).

FIG. 57 – Le Pucheuil, série B : schéma opératoire de production des éclats de type Le Pucheuil.
AD/AFAN ; CNRS
296La conception volumétrique qui préside à cette production est tout à fait originale. Le débitage s’effectue à partir de supports présentant deux surfaces sécantes ; les éclats sont produits aux dépens de la surface la plus plane, l’autre surface étant utilisée comme plan de frappe. Au début du débitage, le plan de fracturation des éclats est quasiment parallèle à la surface exploitée. Progressivement, il est de plus en plus tangentiel et tend à devenir quasiment perpendiculaire à cette surface en fin d’exploitation, tout au moins lorsque les séries produites comportent plus de 3 à 4 enlèvements (fig. 57). Par rapport aux systèmes de production jusqu’alors définis pour le Paléolithique inférieur et moyen (Boëda et al. 1990 ; Boëda 1993), cette conception volumétrique s’avère totalement inédite.
297Les caractères morphométriques et morphologiques des éclats (fig. 58 à 60) sont à la fois spécifiques et homogènes. Sur un plan morphométrique, ce sont des éclats de petites dimensions dont la largeur est supérieure à la longueur (selon l’axe de débitage). Sur un plan morphologique :
– en vue de face, ils se caractérisent par un talon très large (équivalent à la largeur des éclats), le plus souvent convexe ou en V, opposé à un tranchant distal tout aussi large et dont la délinéation est sub‑rectiligne ou en arc de cercle ; ce tranchant n’est recoupé par aucune arête : il est donc parfaitement lisse sur toute sa longueur ;
– en vue de profil : ils se singularisent par une concavité proximale très marquée (créée par le négatif de l’éclat antérieur) et par une silhouette cambrée ; le profil accuse en effet une nette courbure depuis le sommet du bulbe jusqu’à l’extrémité distale ; le tranchant distal forme ainsi de profil un dièdre déjeté par rapport à l’axe longitudinal de la pièce ; ce dièdre est de section piano‑concave, et constitue un angle relativement aigu (entre 30 et 40°) ;
– en vue de dessous, ces pièces présentent la morphologie caractéristique des éclats « en aile d’oiseau », avec une large concavité médiane sur la face supérieure.
298La chronologie des opérations appliquées à ce mode de débitage a pu être reconstituée de façon détaillée grâce aux nombreux remontages réalisés, restituant dans plusieurs cas des séquences de production complètes ou quasiment complètes. Les produits caractéristiques de cette production sont de plus assez abondants (tabl. xix).

FIG. 58 – Le Pucheuil, série B : éclats de type Le Pucheuil et nucléus formant les phases 2A et 2B du remontage 6. 1‑7 éclats de type Le Pucheuil produits à partir du fragment distal 2A ; 8, 9 éclats de type Le Pucheuil produits à partir du fragment proximal 2B ; 10 nucléus de type Le Pucheuil des phases 2A et 2B avec l’ensemble de leurs produits remontés.
MB/CNRS

FIG. 59 – Le Pucheuil, série B : éclats de type Le Pucheuil. 1‑4 éclats premiers de type Le Pucheuil, 5 remontage 93, regroupant 4 éclats de type Le Pucheuil.
MB/CNRS

FIG. 60 – Le Pucheuil, série B : éclats de type Le Pucheuil. 11 éclat raccordé au remontage 47.
MB/CNRS

TABL. XIX – Le Pucheuil, série B : décompte des produits caractéristiques de la production d’éclats de type Le Pucheuil.
Initialisation des supports
299Étant donné que les supports utilisés pour le débitage de type Le Pucheuil correspondent à des produits déjà transformés, la phase d’initialisation des nucléus est intégrée pour l’essentiel à la phase de sélection des supports. Ceux‑ci ont été principalement prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois, mais sont aussi occasionnellement issus de nucléus exploités selon d’autres principes (comme par exemple : la production de séries d’enlèvements unidirectionnels aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées : cf. remontage 30). Leurs caractères morphodimensionnels semblent avoir joué un rôle plus déterminant dans leur sélection que le type de production dont ils sont extraits. Tout produit d’une épaisseur supérieure à 15‑20 mm et présentant un bord suffisamment large (de l’ordre de 2 à 3 cm au minimum) constitue un support potentiel pour cette production. Par ailleurs, si la production Levallois s’avère être la principale pourvoyeuse de supports pour le débitage de type Le Pucheuil, seuls certains rognons de cette chaîne opératoire ont donné lieu à une utilisation de leurs produits comme nucléus de type Le Pucheuil. Et il semble qu’il y ait un lien étroit, quoique non systématique, entre les difficultés (voire les échecs) des tailleurs à mener à bien la production Levallois (en raison le plus souvent de la matière première) et le recours à cette production secondaire. Le remontage 6 en constitue l’un des exemples les plus démonstratifs.
300Les produits recyclés pour la production de type Le Pucheuil ont été prélevés parmi les éclats indifférenciés extraits de séquences de production peu élaborées et parmi les éclats issus des phases d’initialisation ou d’abandon des nucléus Levallois. Les supports employés pour ce débitage ne sont jamais des produits découlant des phases de production des nucléus Levallois. Ils correspondent pour la plupart à des produits techniquement non caractéristiques et résultent souvent d’accidents de débitage : ce sont des éclats corticaux indifférenciés, des fragments d’éclats, des débris, des éclats indifférenciés et enfin des nucléus. Ces derniers sont soit des nucléus Levallois recyclés à un stade avancé de leur exploitation, soit des nucléus transformés par suite d’impossibilité technique à mener à bien la production d’éclats Levallois, en raison du manque d’homogénéité du matériau. Cette attitude relève d’une bonne connaissance des possibilités techniques offertes par la matière première en fonction de sa qualité. En effet, si la production Levallois exige que la matière première soit parfaitement saine, tout au moins sur la totalité de la surface de débitage, la production de type Le Pucheuil ne requiert pas de telles qualités dans la mesure où elle est limitée à une portion réduite des surfaces exploitées.
301L’initialisation des supports est intégrée à leur sélection dans la mesure où les produits sélectionnés présentent des caractères volumétriques qui sont d’emblée conformes aux critères requis pour le débitage. À savoir : une surface plane ou très légèrement convexe opposée à une surface d’aspect plus variable et offrant un angle de frappe assez fermé (60 à 70°) avec la première. En raison de ces caractères, la préparation initiale du plan de frappe tout comme son réaménagement en cours de débitage, ne sont pas systématiques. Dans les cas où aucun aménagement du plan de frappe n’a été effectué, les tailleurs ont tiré parti d’un plan de frappe préexistant, soit dièdre, soit rectiligne ou légèrement convexe. Lorsque le plan de frappe a donné lieu à un travail d’aménagement, le procédé technique employé est variable. L’angle de frappe a parfois été en effet simplement rectifié, alors que dans d’autres cas, un plan de frappe a été soigneusement aménagé par facettage afin de dégager une proéminence à l’emplacement du point de percussion. Il découle de ces diverses options une variabilité importante des types de talon, qui sont indifféremment dièdres, facettés, lisses ou partiellement corticaux. Cette variété typologique reflète la diversité des moyens employés pour une finalité technique qui est en revanche assez constante : elle repose sur le dégagement d’une proéminence au niveau du point de percussion, en vue d’une meilleure précision du coup. Pour que chaque éclat ôte entièrement le négatif de l’éclat antérieur, il faut en effet que son point de percussion soit parfaitement superposé au précédent. Tour à tour : facettage, mise en place d’un plan de frappe dièdre ou exploitation d’une proéminence préexistante sont mis au service de cette finalité. Cet exemple illustre clairement l’insuffisance, en vue de la compréhension des règles et des options techniques qui régissent le débitage, d’une typologie telle que celle qui est généralement appliquée à l’étude des talons des éclats.
302La surface de débitage n’a fait l’objet d’aucune préparation. C’est toujours la face la plus plane du support qui a été exploitée comme surface de débitage (ex : face inférieure des éclats et fragments d’éclats, ou ancienne surface de débitage des nucléus Levallois). Il s’agit dans tous les cas d’une surface non corticale.
303Le débitage commence souvent directement après sélection du support. La première étape repose invariablement sur la production d’un enlèvement mince et de très petites dimensions. En raison de sa position initiale il se distingue par l’absence de négatif d’un éclat antérieur en zone proximale ; hormis cela, il possède déjà tous les caractères morphologiques qui caractérisent les produits de type Le Pucheuil. Parmi ces éclats « premiers », les éclats Kombewa (fig. 59, nos 1‑4) sont nombreux étant donné que les surfaces débitées sont fréquemment des faces inférieures d’éclats.
Production
304La surface de débitage est exploitée pour la réalisation d’une (ou plusieurs) série(s) récurrente(s) d’éclats. Tous les éclats sont produits consécutivement. Aucun réaménagement de la surface de débitage n’est intervenu en cours de production, sauf dans de très rares cas où la largeur très importante des éclats a imposé un aménagement succinct des parties latérales de la surface débitée (cf. remontage 47). La récurrence repose dans ce système sur un principe différent de celui qui préside au débitage Levallois récurrent puisque :
– non seulement les caractères de chaque éclat sont directement mis en place par l’éclat précédent ;
– mais de plus chaque éclat récrée pour le suivant des caractères strictement identiques.
305Cette forme de récurrence entraîne une forte homogénéité des éclats. Par rapport au déroulement chronologique de la série, des variations dans les caractères des éclats interviennent seulement sur deux points précis :
– les dimensions (longueur et largeur) des premiers enlèvements connaissent une augmentation croissante du fait que chaque éclat est plus envahissant que le précédent ; elles se stabilisent ensuite : en raison de l’inclinaison progressive du plan de fracturation des éclats, leur longueur est rapidement limitée par l’épaisseur du nucléus ;
– on observe aussi une légère modification du profil des pièces : plus le plan de fracturation des éclats s’incline, plus l’angle formé par le négatif de l’enlèvement antérieur et la zone distale (recoupant la surface de débitage initiale) devient fermé.
306Le nombre d’éclats produits consécutivement au sein d’une même série est très variable : le minimum décompté (à partir des ensembles remontés) est de 2, le maximum étant de 8 (ex : remontage 6, phase 2A). L’exploitation volumétrique tout à fait particulière des nucléus constitue une limite à la productivité de ce mode de débitage : lorsque le plan de fracturation des éclats devient perpendiculaire (ou sub‑perpendiculaire) à la surface exploitée, le débitage ne peut se poursuivre car l’angle de frappe est alors trop ouvert (fig. 57). À ce stade, le nucléus peut continuer à être exploité pour la production d’une ou plusieurs autres séries d’éclats, réalisées aussi bien aux dépens de la même face, sur un bord adjacent, qu’aux dépens de l’autre face. Ces séries sont totalement indépendantes les unes des autres, bien qu’elles se recoupent parfois partiellement. La plupart des nucléus n’ont toutefois livré qu’une seule série d’éclats ; rares sont ceux qui en ont produit plus de trois.
Abandon
307Au stade d’abandon, les nucléus (fig. 61) comportent donc les négatifs d’une ou plusieurs séries d’enlèvements. Plus le nombre d’éclats par série est important, plus la surface d’éclatement du dernier négatif d’enlèvement forme un angle fermé avec l’initiale surface de débitage. La productivité d’une série peut être estimée de façon relative par ce biais, pour les nucléus n’ayant pas fait l’objet de remontages. La fin d’une séquence de débitage de type Le Pucheuil entraîne l’abandon définitif du nucléus : aucun nucléus n’a été réexploité ou transformé postérieurement à des fins différentes.

FIG. 61 – Le Pucheuil, série B : nucléus de type Le Pucheuil. 1 nucléus du remontage 27, 4 nucléus du remontage 30, phase BB.
MB/CNRS
Utilisation
308Les éclats de type Le Pucheuil n’ont fait l’objet d’aucune modification intentionnelle : on ne compte pas de pièces retouchées parmi ce groupe d’éclats. En dépit de l’absence de tout aménagement des pièces, un certain nombre d’indices permettent d’envisager que la production de type Le Pucheuil a été pour l’essentiel utilisée sur place :
– le taux de remontages pour cette production est particulièrement élevé ; plusieurs séries presque complètes d’éclats ont été remontées à partir des nucléus ;
– l’homogénéité et la spécificité des éclats semblent indiquer que la séquence de débitage suffit à mettre en place l’ensemble des critères fonctionnels auxquels répond la production ;
– le tranchant distal d’une partie des éclats présente des micro‑retouches qui pourraient être dues à l’utilisation.
309Les éclats de type Le Pucheuil semblent donc constituer des outils potentiels bien qu’ils n’aient fait l’objet d’aucune transformation postérieure à leur débitage (Bordes 1970).
310Le débitage de type Le Pucheuil conduit à la production en séries d’éclats dont la morphologie très particulière n’est pourtant pas du tout exclusive de ce mode de débitage. Il suffit en effet de produire consécutivement deux éclats courts et larges exactement superposés pour obtenir un éclat « en aile d’oiseau » (Tixier et al. 1980) semblable à ceux du Pucheuil. La série B en fournit d’ailleurs des exemples assez démonstratifs : l’aménagement du plan de frappe du nucléus (A) du remontage 2 a conduit à la production de petits éclats superposés, qu’il aurait été impossible de distinguer d’éclats de type Le Pucheuil en l’absence de remontages. Or ces éclats s’inscrivent dans une finalité technique radicalement différente : leur rôle est de créer une concavité marquée sur chacun des bords du plan de frappe afin de dégager une proéminence médiane en forme de « chapeau de gendarme » pour l’extraction d’une pointe Levallois. L’obtention occasionnelle de produits similaires aux éclats de type Le Pucheuil est fréquente à toutes les périodes de la préhistoire et tous contextes confondus. Elle est selon les cas soit totalement aléatoire, soit consécutive d’aménagements spécifiques des nucléus, notamment au niveau des plans de frappe.
311Au Pucheuil, le débitage de ces éclats répond pour l’essentiel à une production systématisée et finalisée : l’intentionnalité se situe très clairement au niveau des produits obtenus et non au niveau des conséquences techniques qui en découlent sur les nucléus. Cette spécificité nous a conduit à donner le nom du gisement à cette production tout comme aux produits caractéristiques qui y sont associés (éclats premiers de type Le Pucheuil, éclats de type Le Pucheuil et nucléus de type Le Pucheuil).
312Bien qu’elle s’inscrive dans une séquence opératoire secondaire, la production de type Le Pucheuil associe un certain nombre de critères quantitatifs et qualitatifs précis, mis en place par une séquence gestuelle à la fois courte et rigide, fondée sur la répétitivité d’un même geste technique. Une telle répétitivité, entraînant la production en série d’éclats à partir du même point de percussion et sans réaménagement de la surface exploitée, est possible techniquement grâce à l’inclinaison graduelle du plan de fracturation des éclats. Expérimentalement, il apparaît que ce mode de débitage n’exige pas un niveau de technicité t’ès élevé : la principale difficulté réside dans le contrôle de la longueur de chaque éclat, qui doit être court (selon son axe de débitage) tout en étant plus envahissant que le précédent. La solution la plus efficace qui apparaisse expérimentalement pour résoudre cette difficulté, consiste en une percussion très tangentielle par rapport à la surface débitée.
313La mise en évidence et la description du débitage de type Le Pucheuil apportent un élément supplémentaire à l’approche de la variabilité des modes de production du Paléolithique inférieur et moyen. Il n’existe en effet, en l’état actuel de nos connaissances, pas d’équivalent à ce mode de débitage dans les industries du Paléolithique inférieur et moyen d’Europe occidentale. Seule la technique de Setouchi (Aita et al. 1991), dans un tout autre contexte (le Paléolithique supérieur d’Extrême‑Orient), paraît comparable au débitage de type Le Pucheuil. L’originalité de ce débitage, qui s’intègre dans une forme d’organisation de la production lithique complexe et structurée, repose sur le contraste entre la précision des critères de standardisation qui président à la production et le faible investissement technique requis.
2.3.5.5 Production d’éclats laminaires
314La production d’éclats laminaires n’a livré qu’un nombre réduit de pièces, procédant d’au moins trois rognons de silex ; leurs caractéristiques techniques permettent toutefois d’individualiser un mode de production original, dont les principes techniques sont illustrés par 5 ensembles remontés (tabl. xx).

TABL. XX – Le Pucheuil, série B : décompte des remontages pour la production d’éclats laminaires.
Remontage 8. fig. 62 et 63, no 1, tabl. xxi
315Le silex caractéristique de ce remontage appartient au même ensemble lithologique (ensemble 3) que celui auquel ont été rapportés plusieurs remontages s’inscrivant dans le débitage de type Le Pucheuil. Le remontage 8 rassemble 27 pièces, formant la plus grande partie des produits extraits d’un éclat cortical particulièrement large et épais. Le débitage a été mené sur toute la périphérie du support et s’inscrit dans l’épaisseur de l’éclat, selon des plans de fracturation perpendiculaires à sa face d’éclatement. Parmi les séries d’enlèvements successivement produites selon ces principes s’intercale une série d’éclats laminaires. Les autres phases ont mené au débitage d’éclats quadrangulaires, épais et de section dissymétrique.

FIG. 62 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 8, 2 remontage 80, 3 remontage 90.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 63 – Le Pucheuil, série B : 1 remontage 8, 2 remontage 80, 3 remontage 90 (zones hachurées : nucléus ; chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXI – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 8.
Production d’éclats
316La première phase opératoire (phase 1) a conduit à l’enlèvement d’une série d’éclats unidirectionnels juxtaposés, produits aux dépens du bord proximal et du bord latéral droit du support, à partir de sa face supérieure qui a directement servi de plan de frappe. La finalité technique de cette opération est difficile à déterminer, Seuls les deux premiers enlèvements de la série (qui a pu comprendre de 6 à 8 enlèvements), localisés sur le bord latéral droit du nucléus, sont remontés. Ils ont tous deux été postérieurement exploités pour la production d’éclats de type Le Pucheuil (phase 1A : cf. infra).
Production d’éclats laminaires
317La séquence suivante a été menée dans l’objectif d’une production d’éclats laminaires aux dépens du bord distal du support, formé d’un méplat cortical assez long et étroit. Dans un premier temps, plusieurs éclats unidirectionnels juxtaposés ont mis en place un plan de frappe sur le bord latéral gauche du nucléus (phase 2). Deux éclats de cette phase, qui n’a pas dû comprendre plus de 3 à 4 enlèvements, ont été remontés. L’un d’entre eux a été repris pour la production d’éclats de type Le Pucheuil (phase 2A : cf. infra). Les éclats laminaires ont ensuite été directement produits à partir de ce plan de frappe (phase 3), sans aucun aménagement du bord débité : le premier de la série est donc un éclat cortical. Ils sont superposés et systématiquement rebroussés. Leurs caractères dimensionnels sont (à une exception près) davantage ceux d’éclats allongés que de lames. Leurs talons sont lisses.
Production d’éclats aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées
318La dernière phase de production (phase 4) est fondée sur le débitage de séries d’éclats dans l’épaisseur du support, sur son côté latéral droit, et aux dépens de surfaces perpendiculaires ou tangentielles les unes par rapport aux autres. La face inférieure du support et la surface dégagée par les enlèvements de la première phase de production sont successivement exploitées comme plan de frappe, sans aménagement supplémentaire. Au sein de chaque série, les enlèvements sont unidirectionnels et juxtaposes. Ils sont majoritairement quadrangulaires, épais, et de section transversale dissymétrique. Leurs talons, non préparés (lisses ou dièdres), sont larges et épais. Sur un plan morphotechnique, ils sont semblables à certains des produits caractéristiques du débitage discoïde. Au stade d’abandon, le nucléus correspond à un nucléus indifférencié.
Reprises d’éclats en nucléus de type Le Pucheuil
3191A. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
320Le premier éclat de la phase 1 a donné lieu à la production d’un (ou plusieurs ?) petit(s) éclat(s) de type Le Pucheuil (non remontés) aux dépens de sa face inférieure, suivi d’un autre petit enlèvement (remonté), de même morphologie, produit sur le même bord aux dépens de l’autre face.
3211B. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 6)
322Le second éclat a tout d’abord été exploité pour la production de deux séries d’éclats de type Le Pucheuil sur sa face supérieure. Seuls les deux derniers éléments d’une de ces séries ont été remontés. L’ultime éclat de type Le Pucheuil a largement débordé sur les bords (distal et proximal) adjacents, ce qui a probablement motivé l’arrêt de cette production. Quelques petits éclats (dont trois sont remontés), ont ensuite été débités sur les deux faces : la finalité de cette dernière opération est indéterminable.
3232A. Reprise d’un éclat en nucléus de type Le Pucheuil (n = 2)
324Le débitage s’est effectué sur le bord latéro‑proximal d’un éclat d’aménagement de plan de frappe, aux dépens de sa face inférieure, sans préparation préalable du plan de frappe. Précédé de deux petits enlèvements juxtaposés (non remontés), un unique éclat de type Le Pucheuil (remonté) a été produit.
325L’originalité de ce remontage repose sur le fait qu’il associe une production d’éclats de type Le Pucheuil, une production d’éclats laminaires et une production d’éclats quadrangulaires débités aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées, tangentielles entre elles. Ces diverses modalités de production, assez peu élaborées dans leur ensemble, s’inscrivent toutes dans un même principe de base : le débitage de produits selon des plans de fracturation multiples, perpendiculaires ou tangentiels à la face d’éclatement de l’éclat‑support. Le débitage d’éclats quadrangulaires présente des similitudes certaines avec le débitage mis en évidence pour le remontage 30, dans la mesure où il s’appuie également sur l’exploitation de surfaces non hiérarchisées et non préparées. Il est difficile de préciser dans un cas comme dans l’autre si la production est guidée par une finalité technique spécifique ou si elle découle simplement d’une initiative individuelle, totalement conjoncturelle et sans objectif initial clairement défini. L’absence totale d’aménagement du nucléus préalablement à la production accrédite plutôt cette dernière hypothèse.
Distribution spatiale. fig. 64
326Les éléments de ce remontage ont quasiment tous été cotés (n = 25). Ils sont dispersés principalement dans 4 m2 et la distance maximale séparant deux pièces est de l’ordre de 3 m. Autour des pièces concentrées à l’intersection des carrés M17, M18, N17 et N18, les autres pièces sont dispersées selon des directions très variables. Les produits s’inscrivant dans la production de type Le Pucheuil indiquent en revanche deux axes de déplacement préférentiels (des éclats par rapport au nucléus) : l’un est orienté E.‑O. et correspond à l’axe de la pente du niveau archéologique, l’autre suit une orientation S.‑N. Les pièces déplacées selon un axe E.‑O. correspondent à des petits éléments indifférenciés (de 2 à 2,5 cm de longueur maximale), issus des phases terminales d’exploitation des nucléus de type Le Pucheuil. Leur déplacement est certainement dû à un glissement naturel le long de la pente. En revanche, les pièces dispersées selon un axe S.‑N. correspondent aux éclats de type Le Pucheuil. Le caractère prédéterminé de ces pièces, allié à un axe de déplacement distinct de celui qui a naturellement affecté l’ensemble du dépôt, laissent présager d’un possible transport d’origine anthropique. Toutefois, les indices (notamment en nombre de pièces et en distances de déplacement) sont trop minces (compte tenu du contexte) pour que ces observations puissent être plus précisément interprétées.

FIG. 64 – Le Pucheuil, série B : répartition spatiale des pièces du remontage 8 (1 carré = 1 m2 ; les traits désignent les liaisons entre éclats et nucléus de type Le Pucheuil).
AD/AFAN ; CNRS
Remontage 90. fig. 62 et 63, no 3
327Le remontage 90 comprend 8 éclats laminaires produits consécutivement aux dépens du bord d’un éclat. Le nucléus n’a pas été remonté. Ce remontage se démarque des autres remontages s’intégrant à la production d’éclats laminaires par une élaboration plus importante du débitage. Un aménagement de crête partiel a en effet été réalisé sur la partie distale du premier enlèvement laminaire. Un réaménagement succinct et très localisé de cette crête distale a ensuite été effectué préalablement au débitage des deux enlèvements laminaires les plus envahissants. Par ailleurs, le débitage de presque chaque enlèvement a été précédé d’un réaménagement du plan de frappe, par de petits enlèvements formant un bord facetté rectiligne. Les enlèvements laminaires sont latéralement décalés les uns par rapport aux autres et empiètent davantage en alternance sur la face inférieure et sur la face supérieure du support. Ce décalage a permis au tailleur de maintenir sur le bord de l’éclat un angle dièdre servant de nervure‑guide pour l’extraction des éclats laminaires. Entre les enlèvements envahissants s’intercalent de plus petits enlèvements. Les produits laminaires obtenus sont assez épais ; ils se caractérisent en outre par une section transversale essentiellement triangulaire, par une extrémité distale pointue et par une courbure marquée vue de profil.
Remontage 80. fig. 62 et 63, no 2
328Le remontage 80 rassemble 6 pièces, constituées de plusieurs produits laminaires et du nucléus. Quelques enlèvements, précédant pour les uns le premier éclat remonté et s’intercalant pour les autres dans la série, sont manquants. Le débitage a été mené dans l’épaisseur d’un éclat très largement cortical. Le bord débité est de section quadrangulaire (et non dièdre comme pour le remontage 90). Le premier enlèvement remonté est fortement outrepassé et a entraîné une réduction importante de la longueur du bord exploité. Le débitage s’est néanmoins poursuivi : 5 ou 6 enlèvements laminaires, dont un seul est remonté, ont été produits avant une fracture du nucléus, qui a conduit à son abandon. Les éclats laminaires produits sont nettement plus minces que ceux du remontage 90 ; ils s’en distinguent aussi par une section transversale quadrangulaire ou trapézoïdale.
Caractéristiques techniques de la production d’éclats laminaires
329La production d’éclats laminaires est effectuée aux dépens de bords d’éclats, selon un plan de fracturation perpendiculaire au plan de fracturation de l’éclat‑support ; autrement dit, le débitage est réalisé dans l’épaisseur du support. Elle repose donc sur une conception volumétrique originale, radicalement différente de celle qui caractérise la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents et la production d’éclats de type Le Pucheuil.
330Le bord de l’éclat sert de nervure‑guide pour le débitage des enlèvements. Cette nervure‑guide, au profil convexe, est régularisée au besoin par un aménagement partiel et sommaire (sur un seul versant) de crête en partie distale : en dehors des trois éclats laminaires du remontage 90, qui dénotent ce procédé, trois autres éclats laminaires (non intégrés à un remontage) présentent un aménagement de crête (tabl. xxii). Le bord de l’éclat fait office de nervure‑guide non seulement pour le premier enlèvement mais aussi pour les suivants qui ont tendance à être de plus en plus envahissants et recoupent le bord du support en partie distale. Un réaménagement du plan de frappe par large facettage est fréquent et entraîne le recul notable du bord du plan de frappe. Les enlèvements sont soit superposés, soit latéralement décalés les uns par rapport aux autres, empiétant davantage par alternance sur la face inférieure ou sur la face supérieure du support. Cette production conduit à l’obtention d’éclats laminaires plus ou moins épais, au profil courbe, de section transversale triangulaire ou trapézoïdale. Leur allongement est très variable : certains d’entre eux correspondent à des lames, selon la définition morpho‑dimensionnelle du terme, les autres sont tout au plus des éclats allongés. On peut difficilement parler de production laminaire dans ce cas : la production de lames n’est pas systématisée et exclusive car entre des produits allongés s’intercalent des produits plus courts. Et les produits obtenus sont loin de répondre à des critères de normalisation aussi précis et constants que ceux qui président par exemple aux débitages laminaires du Paléolithique supérieur.

TABL. XXII – Le Pucheuil, série B : décompte des produits caractéristiques de la production d’éclats laminaires.
331Dans la série B du Pucheuil, cette production occupe une place semblable à celle de la production de type Le Pucheuil : elle est réalisée aux dépens d’éclats selon un processus de recyclage de produits issus d’une autre chaîne opératoire. Il est fort probable que la chaîne opératoire qui a alimenté cette production soit la chaîne opératoire Levallois, comme c’est le cas pour la production de type Le Pucheuil ; cela est toutefois impossible à déterminer à partir du petit nombre de pièces résultant de cette production.
2.3.5.6 Production Levallois récurrente centripète
332Les mêmes principes méthodologiques que ceux utilisés pour l’analyse de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents ont été appliqués à cette production (cf. § 2.3.5.3). Ils s’appuient en particulier sur les critères de définition du système Levallois mis au point à partir des travaux d’E. Boëda (Boëda et al. 1990).
333Cette production n’est attestée que par l’exploitation d’un unique rognon (ensemble 7) dont la totalité des éléments ont pu être regroupés en raison de leurs caractéristiques lithologiques remarquables.
Ensemble 7
334Le silex est gris foncé, patiné gris clair. Les zones sous‑corticales sont tachetées de plages plus sombres qui se distinguent aussi par un grain plus fin et un aspect plus brillant ; on les retrouve ponctuellement vers le centre du rognon. Le cœur du rognon est constitué d’une masse gris clair plus grenue, et en général on observe une diminution progressive de la finesse du grain vers le centre. Le cortex, de couleur beige‑jaune, est mince, grenu, parsemé de nombreux petits trous. La structure du silex est assez homogène, son grain fin à moyen. Il est relativement sec et mat. Son aptitude à la taille est très bonne.
335Parmi les 149 pièces que compte cet ensemble, 40 ont été regroupées au sein d’un même remontage (remontage 5) ; à celles‑ci se rajoutent 3 ensembles de 3 éclats remontés et 1 raccord de 2 éléments. Le travail de remontage a été mené de façon assez exhaustive et systématique pour cet ensemble, tout au moins pour les éléments supérieurs à 2 cm ; son état incomplet est donc essentiellement imputable au fait qu’une large partie des pièces sont absentes de la série. Les manques concernent les produits de la phase d’initialisation, un certain nombre de produits issus des phases de production et en particulier les enlèvements prédéterminés, ainsi que l’ensemble des produits correspondant aux dernières phases d’exploitation du nucléus, lui‑même manquant.
Remontage 5. fig. 65 et 66, tabl. xxiii
336Le remontage 5 comprend 40 pièces, pour un poids total de 500 g. Il est suffisamment complet pour que l’on puisse apprécier la morphologie générale du rognon. C’est un rognon circulaire, au contour assez régulier, et manifestement peu épais, Ces caractéristiques le distinguent nettement des rognons utilisés pour la production Levallois unipolaire convergente, dont les formes sont contournées et l’épaisseur importante. Ce remontage est constitué de séries d’éclats périphériques et centripètes débitées en alternance aux dépens de la surface de débitage et de la surface des plans de frappe. L’ensemble des éclats se caractérise par des bulbes très marqués et des esquilles bulbaires assez fréquentes, semblant indiquer l’emploi d’un percuteur différent (plus lourd ou de densité plus importante) que celui (ou ceux) ayant servi au débitage des autres rognons. Les produits remontés s’étendent sur environ les deux tiers de la périphérie du rognon. En raison de la morphologie du rognon (assez peu épais et de contour circulaire), il semble qu’un stade de mise en forme initiale n’ait pas été nécessaire, le volume du rognon à l’état brut étant d’emblée conforme au volume exploitable.

FIG. 65 – Le Pucheuil, série B : remontage 5.
cl. AD/AFAN ; CNRS

FIG. 66 – Le Pucheuil, série B : remontage 5 (chiffres renvoyant aux différentes phases opératoires).
AD/AFAN ; CNRS ; EG del./AFAN

TABL. XXIII – Le Pucheuil, série B : descriptif technique du remontage 5.
Initialisation (phases 1 et 2)
337La première série d’éclats remontés (phase 1) a été précédée d’une série d’enlèvements mettant en place un plan de frappe sur la face opposée, et d’une série d’enlèvements corticaux de direction centripète participant déjà à l’aménagement de la surface de débitage ; les produits correspondants sont manquants. Cette série regroupe un ensemble d’éclats partiellement corticaux, de direction centripète, qui ont eu pour fonction de mettre en place des convexités périphériques sur la surface de débitage. La méthode d’initialisation du nucléus (récurrente centripète) repose donc sur les mêmes principes d’agencement des enlèvements que la méthode de production. De grandes dimensions et très peu épais, ces éclats procèdent d’une séquence gestuelle d’une haute technicité et témoignent en particulier d’une excellente maîtrise de la percussion au percuteur dur. Leurs talons sont lisses ou sommairement facettés.
338Cette première phase a été suivie d’une phase d’aménagement des plans de frappe sur toute la périphérie du nucléus (phase 2). Les éclats d’aménagement des plans de frappe se caractérisent par des talons nettement moins épais que ceux des éclats d’aménagement de la surface de débitage. Cela pourrait répondre à la volonté, de la part du tailleur, de réduire le moins possible la superficie de la surface de débitage.
Production (phases 3 à 8)
339Seuls trois des éclats issus de la première phase de production (phase 3) ont pu être remontés. Ils se composent d’un éclat Levallois à cortex résiduel, d’un éclat Levallois débordant et d’un éclat Levallois récurrent. Le passage à la phase de production est marqué par le soin nettement accru apporté à la préparation des talons des éclats. Entre ces enlèvements, plusieurs éclats Levallois manquent. Tout en s’inscrivant dans une phase de production, ces trois pièces ne semblent pas correspondre aux produits prioritairement recherchés. Le premier est un éclat peu envahissant, le second, très épais, participe à l’entretien des convexités en cours de débitage et est avant tout prédéterminant, tandis que pour le troisième, le coup a été porté en arrière de la préparation : son talon est très épais et il est manifestement moins envahissant que prévu. Les produits manquants, dont les négatifs sont en partie visibles, correspondent au contraire à des éclats de grandes dimensions, et vraisemblablement aux éclats prioritairement recherchés.
340Un réaménagement de la surface de débitage (phase 4) et des plans de frappe (phase 5) a été réalisé entre cette première phase de production et la suivante. Le réaménagement de la surface de débitage, destiné à rétablir les convexités nécessaires pour contrôler le détachement des enlèvements Levallois, a été réalisé au moyen de multiples petits enlèvements périphériques ; le dernier éclat de la série est un éclat débordant venant accentuer la convexité dégagée par les précédents. Les plans de frappe ont, quant à eux, été facettés au moyen de multiples éclats de très petites dimensions, pour la plupart non remontés.
341La deuxième phase de production (phase 6), dont la plus grande partie des produits n’ont pas été retrouvés, a conduit notamment à la production d’un grand enlèvement Levallois récurrent centripète, laissant l’empreinte d’un fort contrebulbe ôté par l’éclat suivant, épais et débordant.
342Une nouvelle phase de réaménagement de la surface de débitage (phase 7) a permis le rétablissement des convexités sur la surface de débitage au moyen de petits enlèvements périphériques. Entre cette phase et la précédente, une séquence de réaménagement des plans de frappe, dont tous les produits sont manquants, a entraîné une réduction assez importante de la surface de débitage.
343Le dernier éclat remonté, un éclat Levallois récurrent centripète, s’inscrit dans une phase de production (phase 8) dont la plupart des éléments manquent. Il est probable qu’elle ait constitué la dernière phase d’exploitation du nucléus : au vu de la morphologie générale de l’ensemble remonté, le volume résiduel du nucléus devait à ce stade être très diminué.
Distribution spatiale. fig. 67
344La majorité des pièces (70 %) de l’ensemble lithologique 7 étaient localisées dans le carré K17. Le remontage 5 suit la même disposition spatiale : 64 % des pièces de ce remontage se trouvaient dans le carré K17. La répartition spatiale des pièces de ce remontage a pu être en grande partie reconstituée : parmi les 46 pièces remontées (en tenant compte des raccords de fractures), 30 ont été cotées, 6 ont été simplement localisées par m2, 10 d’entre elles n’ont pas été localisées. On note un regroupement assez net de la majorité des pièces sur une superficie d’un peu plus d’ 1 m2, orientée globalement le long d’un axe E.‑O. Dans la zone de densité maximale (carré K17 et bordures des carrés limitrophes L17 et K1 8), on n’observe pas de différenciation dans la répartition des pièces en fonction de leurs caractères techniques. En revanche il faut noter que tous les éclats Levallois sont dispersés soit à la périphérie, soit en dehors de cette zone (jusqu’à une distance d’environ 3,5 m). En dehors des éclats Levallois, les pièces extérieures à la zone de densité maximale, sont exclusivement des petits éléments de 2 à 3 cm de dimensions maximales.

FIG. 67 – Le Pucheuil, série B : répartition spatiale des pièces du remontage 5 (1 carré = 1 m2). 1 produits issus des phases de production (les pièces encerclées correspondent aux éclats Levallois récurrents), 2 produits issus de l’aménagement (ou du réaménagement) de la surface de débitage, 3 produits issus de l’aménagement (ou du réaménagement) des plans de frappe.
AD/AFAN ; CNRS
Caractéristiques techniques de la production Levallois récurrente centripète
345L’essentiel des produits caractéristiques de cette production est intégré au remontage 5 (tabl. xxiv). En dépit de son caractère incomplet, ce remontage apporte un certain nombre d’informations fort intéressantes sur les modalités techniques présidant au débitage Levallois récurrent centripète dans la série. Cette méthode de débitage conditionne à la fois les phases de production et les phases d’initialisation du nucléus : ainsi les premiers enlèvements préfigurent directement la suite du débitage. Elle détermine aussi directement l’aménagement des plans de frappe, qui s’étendent sur la plus grande partie (voire la totalité) du pourtour du nucléus. La séquence opératoire s’ordonne, selon un schéma constant et répétitif, en :
– 1 : aménagement (ou réaménagement) de la surface de débitage ;
– 2 : aménagement (ou réaménagement) des plans de frappe ;
– 3 : production.

TABL. XXIV – Le Pucheuil, série B : décompte des produits caractéristiques de la production Levallois récurrente centripète.
346Ce schéma se reproduit au moins trois fois dans l’exploitation du nucléus. La méthode Levallois récurrente centripète s’inscrit donc dans une chaîne opératoire très structurée. Elle révèle en outre une importante technicité sur le plan gestuel. L’objectif de la production semble consister en l’obtention d’éclats Levallois d’assez grandes dimensions, quadrangulaires, et de section relativement symétrique. Bien que la plupart de ces éclats soient absents de la série, la fréquence des réaménagements indique que des critères de standardisation assez précis ont présidé à leur production. Ces réaménagements consistent en un rétablissement des convexités sur la surface de débitage du nucléus, au moyen de multiples petits éclats périphériques et centripètes. En complément de ces réaménagements, qui s’intercalent entre deux séquences de production, des enlèvements débordants entretiennent l’équilibre de la surface de débitage en cours de production ; ils sont certainement à la fois prédéterminants et prédéterminés. La surface de débitage suit ainsi une courbure régulière en section, s’accentuant sur toute sa périphérie sur une largeur de quelques centimètres ; sa convexité générale est peu importante. C’est là un caractère qui différencie nettement cette production de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents.
347Les points de divergences entre les deux types de production sont par ailleurs nombreux. Ils concernent notamment, en dehors des différences induites par les méthodes employées :
– le type de percuteur (cf. supra) ;
– la morphologie du rognon (cf. supra) ;
– l’organisation spatiale de la production.
348Si le débitage de ce nucléus a été pour l’essentiel réalisé dans le secteur du carré K17, il est vraisemblable que la fin de son exploitation, dont tous les produits sont absents, ait été effectuée ailleurs. L’absence quasi systématique des produits prioritairement recherchés soulève de plus le problème de leur éventuelle exportation hors du site (ou hors de la zone fouillée). La localisation des rares produits Levallois remontés, en marge de la zone de densité maximale qui marque certainement l’aire de débitage, vient à l’appui de cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, ces éléments dévoilent une forme d’organisation spatiale distincte de celle de la production Levallois unipolaire convergente, pour laquelle on n’observe pas de manques techniquement pertinents.
349Les spécificités techniques et spatiales de la production Levallois récurrente centripète vont de pair avec un haut degré d’élaboration opératoire et conceptuel. Sur un plan strictement technique, cette production est comparable à celle du gisement Paléolithique moyen de Corbehem dans le Pas‑de‑Calais (Tuffreau 1979b), à partir duquel la méthode Levallois récurrente centripète a été définie (Boëda 1986a ; 1993).
2.3.6 Chaîne opératoire de façonnage
350La chaîne opératoire de façonnage se dissocie des chaînes opératoires de débitage par des objectifs techniques radicalement distincts, mais aussi par une technique et un geste de percussion totalement différents, fondés sur une percussion tangentielle au percuteur tendre (cf. infra). Cette chaîne opératoire est représentée par une série d’éclats ainsi que par deux fragments de pièces bifaciales. Les éclats de façonnage se distinguent aisément dans l’assemblage, en raison de leurs caractéristiques lithologiques, techniques et spatiales qui indiquent leur appartenance à un unique rognon de silex (ensemble 8). En revanche, les deux fragments de pièces bifaciales se différencient des éclats de façonnage par un silex attribuable à des rognons distincts et par une localisation distante de 2 à 3 m de celle des éclats de façonnage. La chaîne opératoire de façonnage repose donc d’une part sur un ensemble de produits façonnant un outil qui n’a pas été retrouvé et, d’autre part, sur deux fragments d’outils dont tous les produits de façonnage sont absents de l’assemblage.
Ensemble 8
351L’ensemble 8 est caractérisé par un silex gris foncé, patiné gris très clair de couleur uniforme. Son cortex est épais, blanc taché de marron, crayeux et poreux, peu érodé. Sa structure est très homogène, son grain très fin. Il est d’aspect brillant, assez gras et ses qualités à la taille sont excellentes.
Éclats de façonnage
352Cet ensemble, manifestement incomplet, n’a pu donner lieu qu’à des remontages très partiels (tabl. xxv), constitués de plusieurs raccords de 2 à 3 éléments juxtaposés ou superposés (fig. 68, nos 1, 3) ainsi que du remontage de 7 éclats de façonnage à résidu cortical, produits à partir du même bord, au profil très courbe, et façonnant manifestement une surface convexe. Le principal trait distinctif des éclats de façonnage repose sur la technique de percussion employée pour leur extraction : la percussion directe au percuteur tendre. Cette technique est réservée exclusivement dans la série à cette chaîne opératoire. Les caractéristiques techniques correspondantes, principalement visibles au niveau des talons des pièces, sont celles habituellement décrites pour ce type de percussion, à savoir : un talon très mince, souvent linéaire ou punctiforme, une lèvre saillante (parfois non visible mais repérable au toucher) au contact du point d’impact et de la face d’éclatement, l’absence de cône de percussion nettement marqué, un bulbe diffus (l’association de ces caractères revêtant toutefois une certaine variabilité : Tixier 1982). Leur appartenance à une chaîne opératoire de façonnage de pièce bifaciale est déterminable grâce à la conjonction d’un ensemble de critères (fig. 68, nos 1, 3) :
– la courbure très marquée du profil des pièces : courbure régulière depuis le talon jusqu’à l’extrémité distale ;
– les caractères morphotechniques des talons : minces, le plus souvent linéaires ou punctiformes, avec un angle de chasse très fermé ;
– des négatifs d’enlèvements antérieurs majoritairement unidirectionnels et produits à partir du même plan de frappe, parfois associés en partie distale à des négatifs de direction opposée ou perpendiculaire ;
– la présence de quelques pièces (2 éclats, dont le talon est cassé, ainsi que 2 fragments d’éclats) témoignant du procédé du coup de trancher (fig. 68, nos 6, 7) ; ces éclats ont emporté une partie du tranchant de la pièce façonnée, au moyen d’un enlèvement plan, perpendiculaire aux enlèvements bifaciaux ; la lecture diacritique de ces pièces apporte par ailleurs de précieuses informations sur la méthode de façonnage ; les deux surfaces de la pièce bifaciale ont été façonnées en deux temps ; la première surface (dans l’ordre chronologique), visible sur la face supérieure des éclats de coup de tranchet, est une surface plane mise en place au moyen d’enlèvements couvrants ; le façonnage de la deuxième surface s’est achevé par une série de très petits enlèvements, formant le dos de ces éclats sur une fine bande de 2 à 3 mm de largeur ; ils déterminent un tranchant très finement façonné, de délinéation régulière et rectiligne.

TABL. XXV – Le Pucheuil, série B : décompte des remontages pour le façonnage de pièces bifaciales.

FIG. 68 – Le Pucheuil, série B : 1‑3 éclats de façonnage de biface, 4, 5 fragments de pièces bifaciales, 6, 7 éclats de « coup de tranchet »
MB/CNRS
353Les pièces issues des premières étapes du façonnage font défaut. Plusieurs grands éclats (longueurs comprises entre 5 et 9 cm), à résidu cortical latéral ou distal, indiquent que le rognon de départ était de dimensions assez importantes. Ils ont été produits au percuteur tendre : cette technique a donc été employée assez tôt dans la séquence opératoire (il est toutefois impossible de préciser si elle a été employée dès le début de l’exploitation du rognon). Les phases finales sont représentées par d’abondants éclats de façonnage de très petites dimensions (inférieures à 1 cm).
Distribution spatiale
354La très grande majorité des pièces (98 %) appartenant au rognon de silex d’où sont extraits les éclats de façonnage (ensemble comprenant aussi un certain de nombre de fragments indéterminables d’éclats), définies d’après leurs caractéristiques lithologiques (voir plus haut), étaient regroupées sur une superficie très réduite, couvrant moins de 1 m2, à l’angle des carrés F16, F17, G16 et G17.
Fragments de pièces bifaciales
355Le plus petit des deux fragments (fig. 68, no 5) correspond à l’extrémité d’un biface, abandonné à un stade où le travail de façonnage ne concernait qu’une seule face de la pièce. Ce fragment, de très petites dimensions (2,8 cm de longueur maximale), est dissymétrique en section et de contour trapézoïdal. Il est trop fragmentaire pour que ses caractères techniques et typologiques puissent être davantage précisés.
356Le second fragment (fig. 68, no 4) correspond à l’extrémité pointue d’un biface de forme allongée et de section triangulaire. Le façonnage a tout d’abord mis en place une première surface, très plane, au moyen d’enlèvements couvrants. La deuxième surface a été façonnée dans un second temps : les enlèvements, produits à partir de chacun des deux bords de la pièce, déterminent une arête médiane. Un travail de retouche très soigné, en particulier au niveau de la pointe, a permis l’aménagement d’un tranchant de délinéation régulière, sub‑rectiligne. Cette pièce semble correspondre à une pièce bifaciale conçue comme un support d’outil (Boëda et al. 1990).
Caractéristiques techniques de la chaîne opératoire de façonnage
357Les deux fragments de pièces bifaciales ainsi que l’ensemble des éclats de façonnage (cf. décompte : tabl. xxvi) révèlent des caractéristiques techniques communes, qui permettent de dégager globalement les spécificités de la chaîne opératoire de façonnage. Celle‑ci repose sur 3 étapes principales :
– 1 : façonnage de la face A, au moyen d’enlèvements couvrants mettant en place une surface plane ; il est toutefois impossible de préciser si cet aménagement concerne la totalité de la pièce ou seulement son extrémité distale ;
– 2 : façonnage de la face B, déterminant avec la face A une section transversale et longitudinale fortement convexe (voire triangulaire) ;
– 3 : aménagement par retouches continues des bords de la face B ; sur le plus grand des deux fragments de pièces bifaciales, cet aménagement a conduit à la mise en place d’une extrémité pointue, de contour et de délinéation très réguliers, au moyen de plusieurs séries de retouches.
358La chaîne opératoire bifaciale a donc manifestement comme objectif le façonnage de supports de section piano‑convexe pour des outils de type racloir réalisés aux dépens de la face convexe.

TABL. XXVI – Le Pucheuil, série B : décompte des produits caractéristiques du façonnage de pièces bifaciales.
2.3.7 Outillage retouché
359Les supports retouchés ne représentent qu’une très faible proportion de pièces : seules 14 pièces ont donné lieu à une transformation par retouches, auxquelles s’ajoutent 4 éclats à enlèvements peu envahissants localisés sur les bords proximaux, du côté de la face inférieure. Les pièces retouchées comptent huit outils à retouches très courtes et fines, modifiant à peine l’angle initial du tranchant (fig. 69, nos2‑5). Leurs supports sont trois éclats prédéterminants issus de l’aménagement de surfaces de débitage (production Levallois unipolaire convergente), un éclat Levallois récurrent unipolaire convergent, deux éclats corticaux indifférenciés, un éclat indifférencié et un fragment indéterminable d’éclat. Les autres produits retouchés présentent des caractères très variables. L’une de ces pièces (fig. 69, no 1) est un racloir à retouches très fines, peut‑être réalisées au percuteur tendre et dont le silex, au grain très fin et d’aspect luisant, ne correspond à aucun des rognons de la série. Un seul autre racloir typique (fig. 69, no 6) est présent dans l’assemblage ; il est à l’état de fragment. Cette série d’outils compte par ailleurs une pièce à retouches denticulées épaisses (fig. 69, no 9) ; le bord adjacent (proximal) a été aménagé au moyen d’une troncature inverse qui a servi de plan de frappe pour l’enlèvement d’un éclat sur la face supérieure. Cette pièce s’apparente aux pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs, assez nombreuses dans les séries A et C ; elle présente en outre une patine prononcée, semblable à celle des pièces de ces séries, et il est fort probable que les tailleurs de la série B l’ait récoltée dans l’un des niveaux correspondants. Les trois autres pièces retouchées se caractérisent par des retouches très courtes et très localisées, qui forment à l’intersection du bord retouché et d’un pan de fracture un perçoit atypique (fig. 69, nos 7, 8). Dans les trois cas, il est difficile de préciser si la retouche est antérieure ou postérieure à la fracture des pièces.

FIG. 69 – Le Pucheuil, série B : outils retouchés. 1 racloir, 2‑5 pièces à retouches très fines et courtes, 6 fragment de racloir, 7, 8 perçoirs atypiques, 9 pièce à retouches denticulées épaisses.
MB/CNRS
360Aucun des outils retouchés de la série n’a pu être raccordé à l’un des remontages, et la plupart présentent des caractères lithologiques différents de ceux des rognons qui ont été débités dans le gisement. Ces observations semblent indiquer qu’ils n’ont pas été produits sur place.
2.3.8 Synthèse
2.3.8.1 Apport de l’analyse spatiale des vestiges
361Bien qu’elle s’appuie sur des données très fragmentaires, l’analyse spatiale fournit un certain nombre de précisions sur la nature de l’assemblage. Rappelons en premier lieu que ce matériel a été déplacé le long d’une pente qui a dû se former lors d’une (ou plusieurs ?) phase(s) de formation de la doline. Ceci dit, les vestiges appartenant à un même remontage ou à un même ensemble lithologique sont restés relativement groupés. Ils forment des aires constituées d’une zone de concentration maximale, comprise dans moins de 1 m2, autour de laquelle des éléments dispersés se distribuent. Le tout s’inscrit, pour chaque remontage, dans une superficie généralement inférieure à 2 ou 3 m2. On observe donc un net regroupement spatial de l’ensemble des produits extraits d’un même rognon. En outre, la répartition des petits éléments inférieurs à 2 cm sur l’ensemble de la zone fouillée est très proche de celle des pièces supérieures à 2 cm (fig. 70). Ces indications suggèrent un déplacement en masse des vestiges, ayant certainement déformé et étiré le dépôt archéologique, mais sans bouleverser totalement sa configuration initiale. Il faut préciser par ailleurs que la pente du niveau archéologique était, dans la zone de fouille, parfaitement constante, sans ruptures ni dépressions qui auraient pu piéger le matériel lors de son déplacement et provoquer des concentrations artificielles.

FIG. 70 – Le Pucheuil, série B : plans de densité des petits éléments inférieurs à 2 cm (1) et des éléments supérieurs à 2 cm (2) (1 carré = 1 m2)
AD/AFAN ; CNRS
362Compte tenu de ces précisions, il est possible d’envisager que les aires de concentration correspondent à différentes aires de débitage. Cinq aires principales peuvent ainsi être distinguées, dans les carrés F13, J14, F16‑F17, K17 et M17‑N17. Les unes rassemblent pour l’essentiel les produits d’un unique rognon débité : c’est le cas des concentrations des carrés F16‑F17, F13 et J14 (fig. 71), respectivement lieux du façonnage d’un biface et du débitage de deux rognons (production Levallois unipolaire convergente). Les autres sont constituées de la juxtaposition et de la superposition partielle des vestiges issus de l’exploitation de plusieurs rognons (fig. 71). Ainsi la zone la plus dense, située dans le carré K17, regroupe les produits d’au moins trois rognons, qui ont conduit à autant de modes de production. En l’absence d’analyse microstratigraphique des vestiges (inadaptée à un tel contexte), les liens chronologiques entre ces ensembles de vestiges ne peuvent pas être précisés. Le carré K17, situé au centre de la zone fouillée, est par ailleurs à l’intersection d’une zone sud‑ouest où la production de type Le Pucheuil est prédominante et d’une zone nord‑est où la production Levallois unipolaire convergente est majoritaire. Cette bipartition apparaît tout autant dans la répartition des principaux ensembles remontés (fig. 71), qu’à travers les plans de densité des produits caractéristiques de ces productions (fig. 72). La zone sud‑ouest constitue aussi le lieu de réalisation de productions plus expédientes, fondées sur le débitage d’éclats aux dépens de surfaces non préparées et non hiérarchisées (remontages 8 et 30). Un certain clivage en termes d’élaboration technique de la production intervient donc entre les deux zones.

FIG. 71 – Le Pucheuil, série B : localisation principale des ensembles remontés les plus complets en fonction du système technique correspondant (1 carré = 1 m2) ; R1 remontage 1, R2 remontage 2, R3 remontage 3, R4 remontage 4, R5 remontage 5, R8 remontage 8, R30 remontage 30, MP8 ensemble lithologique 8 ; 1 production Levallois à enlèvements unipolaires convergents, 2 production d’éclats de type Le Pucheuil et d’éclats laminaires, 3 production Levallois récurrente centripète, 4 façonnage de biface ; la zone grisée correspond à la zone de fouille rapide.
AD/AFAN ; CNRS

FIG. 72 – Le Pucheuil, série B : plans de densité des produits caractéristiques de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents (1) et des produits caractéristiques de la production de type Le Pucheuil (2) (1 carré = 1 m2).
AD/AFAN ; CNRS
363Le regroupement des vestiges extraits d’un même rognon n’empêche pas l’existence de certains liens spatiaux entre remontages. Les trois principaux rognons exploités pour la production Levallois unipolaire convergente en fournissent l’exemple. Ainsi, un petit nombre des pièces du remontage 1, localisé pour l’essentiel dans le carré J14, étaient mélangées dans le carré F13 aux pièces du remontage 2, tandis qu’une autre petite partie des vestiges du remontage 1 était située dans la concentration de pièces à l’intersection des carrés F16‑17 et G16‑17, où étaient regroupés les produits du façonnage d’un biface. En outre, le carré J14 (où les pièces du remontage 1 étaient principalement rassemblées) comprenait aussi quelques pièces du remontage 3, dont la plupart des éléments étaient localisés dans le carré L17 et dans les carrés adjacents, distants de près de 3 m. Dans ce dernier cas, les pièces séparées du reste du remontage s’inscrivent dans une même phase opératoire, constituant la dernière phase (dans l’ordre chronologique du débitage) de ce remontage pour laquelle on dispose de données spatiales. Cette coupure spatiale est l’indice d’une probable séquentialisation de la production, tout au moins pour ce remontage. Il est toutefois regrettable que cet exemple ne puisse s’appuyer sur des données spatiales plus complètes. La production Levallois à enlèvements unipolaires convergents est à ce sujet particulièrement défavorisée car ses deux principaux ensembles remontés (1 et 2) proviennent de la zone de fouille rapide, pour laquelle les informations spatiales sont largement incomplètes.
364Quelques éléments relatifs à l’organisation économique de cette production peuvent toutefois être avancés, à partir de la composition des produits intégrés aux remontages. Celle‑ci indique tout d’abord que la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents a été menée dans son ensemble sur le lieu de l’implantation humaine. Cela est indubitable pour toutes les phases opératoires s’inscrivant entre l’initialisation du nucléus (phases d’aménagement du plan de frappe et de la surface de débitage) et son abandon. En revanche, les produits correspondant aux phases de mise en forme initiale des nucléus sont très souvent absents des remontages, tout comme de l’assemblage en général. Leur absence de la série est d’autant plus évidente que ces pièces font partie des produits très aisément distinguables (en raison notamment de l’importance des plages corticales), et qui n’échappent généralement pas aux remontages. Parmi ces produits, les éclats d’entame sont particulièrement peu représentés : seules 8 pièces au total s’inscrivent dans cette catégorie. La phase de mise en forme initiale des nucléus Levallois à enlèvements unipolaires convergents a donc certainement été en grande partie réalisée hors de la zone d’exploitation des rognons, vraisemblablement sur le lieu même d’acquisition de la matière première. Pour ce qui concerne les modalités d’exploitation de cette production, les données spatiales sont trop incomplètes pour déterminer si l’on a affaire à une exploitation directe des produits à l’emplacement même (ou à proximité immédiate) de leur aire de débitage ou à une exploitation différée dans le temps et dans l’espace. Un certain nombre de produits recherchés sont manquants, et ces manques ne peuvent pas être imputés à la méthode de travail (des essais de remontages systématiques ont été effectués pour ces pièces). La proportion des produits recherchés : pointes Levallois et surtout éclats Levallois récurrents unipolaires convergents, inclus dans des remontages, n’est toutefois pas négligeable. Il est donc fort probable que cette production ait été utilisée, au moins en partie, sur place.
365Les remontages s’inscrivant dans la production de type Le Pucheuil, mieux documentés par l’analyse spatiale, ne révèlent pas entre eux de liens spatiaux. En revanche, ils dévoilent des relations assez intéressantes entre nucléus et éclats de type Le Pucheuil. Deux cas de figure apparaissent :
– le premier cas, illustré par le remontage 4, indique un regroupement des produits autour du nucléus : les distances séparant les pièces sont très courtes et les directions selon lesquelles elles se distribuent par rapport au nucléus sont variées. Une telle configuration suggère que la production a été abandonnée sur le lieu même de sa réalisation. Ce cas de figure s’applique à un remontage qui témoigne d’une production de type Le Pucheuil largement infructueuse, ou tout au moins ne s’inscrivant pas dans les normes habituelles de cette production ;
– le second cas, mis en évidence pour le remontage 8, montre un déplacement des éclats de type Le Pucheuil par rapport aux nucléus selon une direction perpendiculaire à celle de la pente ; un tel déplacement ne semble donc pas être directement imputable à des agents naturels.
366Dans tous les cas de figure, l’analyse spatiale met clairement en évidence que la production de type Le Pucheuil a été entièrement ou très majoritairement exploitée sur place.
367Les produits laminaires sont trop peu nombreux pour que les données spatiales qui s’y rapportent puissent être interprétées. Signalons toutefois que les pièces issues de cette production étaient principalement localisées dans le carré H18 et dans les carrés avoisinants. Leurs liens spatiaux avec les pièces procédant des autres modes de production sont indéterminables.
368La production Levallois récurrente centripète est attestée par l’exploitation d’un unique rognon dont le remontage est très partiel. Certaines phases opératoires sont entièrement manquantes. Là encore, la plupart des manques ne peuvent pas être imputés au travail de remontage, étant donné que les produits extraits de ce rognon présentent des caractéristiques lithologiques facilement reconnaissables. Le regroupement de la majorité des pièces de cet ensemble sur une superficie restreinte au centre de la zone fouillée suggère que l’absence d’une partie des produits n’est probablement pas due non plus à leur évacuation par des agents naturels.
369Tel n’est pas le cas pour l’ensemble de pièces, très incomplet, issu du façonnage d’un biface. Elles se positionnent en effet en limite est de la zone fouillée et en bordure d’une forte rupture de pente du niveau archéologique vers le fond de la doline. Les pièces manquantes ont par conséquent toutes chances d’avoir été emportées plus en aval lors de l’affaissement du niveau archéologique. Cela est d’autant plus probant que les pièces manquantes appartiennent indifféremment à toutes les phases opératoires, ce qui a notablement réduit les possibilités de remontages. Deux fragments de pièces bifaciales s’inscrivent aussi dans cette même chaîne opératoire ; les produits de façonnage correspondants sont absents de l’assemblage. Ces pièces ont donc été très certainement importées à l’état de produits finis sur le site, ou tout au moins à l’emplacement de la zone de fouille. Il en est de même pour les rares produits retouchés que compte la série B.
370En conclusion, l’analyse de la répartition spatiale et de la composition des produits remontés révèle une activité dominante de production organisée autour de différentes aires de débitage. Cette activité a conduit à des modes d’exploitation de la production variant selon les types de chaînes opératoires. Les chaînes opératoires secondaires (et principalement la production d’éclats de type Le Pucheuil) ainsi que les formes expédientes de débitage, plutôt localisées dans la partie sud‑ouest de la zone fouillée, ont manifestement conduit à une utilisation sur place de la production. La chaîne opératoire principale (Levallois à enlèvements unipolaires convergents), principalement distribuée dans la partie nord‑est de la fouille, a probablement donné lieu à l’exploitation d’une partie des produits recherchés à proximité immédiate de leur aire de débitage, tandis qu’une autre partie a peut‑être été exportée. L’hypothèse d’une exportation de produits, tout au moins hors de la zone fouillée, est surtout probante pour la chaîne opératoire Levallois récurrente centripète. Les produits débités et utilisés sur place l’ont certainement été dans leur forme brute, tandis que les pièces résultant d’un aménagement par façonnage (pièces bifaciales) ou par retouche des bords (produits retouchés), constituent des catégories d’objets plus mobiles, et vraisemblablement importées à l’état d’objets finis dans la zone de fouille.
2.3.8.2 Bilan de l’analyse technologique
371L’industrie de la série B du Pucheuil associe quatre modes de production radicalement distincts. Face à une telle diversité, exceptionnelle dans un gisement du Paléolithique moyen, se pose naturellement le problème de savoir si cette série résulte de l’activité d’un même groupe humain ou de différents groupes. Les données géomorphologiques rendent l’hypothèse d’une occupation multiple tout à fait plausible. Les auteurs de la série B se sont en effet installés sur un paléosol (couche 6H) qui a dû rester découvert pendant un laps de temps important (plusieurs centaines ou milliers d’années ?), et qui a pu constituer un lieu d’implantation humaine à différents moments. Si l’analyse spatiale des vestiges nous offre peu d’éléments pour élucider cette question, les données issues de l’analyse technologique des remontages paraissent davantage susceptibles de l’éclairer.
372Les liens techniques, révélés par les remontages, entre les diverses productions en présence, indiquent l’existence de trois chaînes opératoires principales :
– une chaîne opératoire de production d’éclats Levallois récurrents centripètes, qui ne repose sur le débitage que d’un seul rognon ;
– une chaîne opératoire de façonnage de pièces bifaciales, matérialisée par un ensemble incomplet d’éclats de façonnage extraits d’un même rognon, et par deux fragments de pièces bifaciales dont le façonnage n’a manifestement pas été réalisé sur place ;
– une chaîne opératoire de production d’enlèvements Levallois unipolaires convergents, qui conditionne l’exploitation de la majeure partie des rognons ; la finalité de cette production repose sur l’obtention de pointes Levallois et d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents.
373À cette chaîne opératoire viennent se greffer deux chaînes opératoires secondaires réalisées aux dépens des sous‑produits du débitage Levallois. La première est fondée sur la production d’éclats de type Le Pucheuil, tandis que la seconde conduit à l’obtention d’éclats laminaires. Les supports de la production d’éclats de type Le Pucheuil ne sont toutefois pas exclusivement prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois. Certains rognons qui ont donné lieu à une production peu élaborée (éclats produits aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées) ont aussi été pourvoyeurs de supports pour la production de type Le Pucheuil (cf. remontages 30 et 8). Les éclats qui ont servi de supports à la production d’éclats laminaires, ont quant à eux pour seule origine possible la phase d’initialisation des nucléus Levallois à enlèvements unipolaires convergents. Le même support a pu occasionnellement servir pour les deux types de production (laminaire et de type Le Pucheuil) ce qui indique l’existence d’un lien technique entre celles‑ci (cf. remontage 8).
374Aucune relation n’existe en revanche entre les trois chaînes opératoires principales. La spécificité des principes et des objectifs techniques appliqués à la chaîne opératoire de façonnage lui confère un rôle à part dans l’assemblage, et expliquent l’absence de liens techniques avec les autres chaînes opératoires. Cette scission complète entre débitage et façonnage rend illusoire toute perspective de comparaison ; la chaîne opératoire de façonnage ne peut donc pas apporter d’éléments au débat sur l’unicité ou la multiplicité des groupes humains qui ont produit l’assemblage.
375En revanche, les points de comparaison entre les deux autres chaînes opératoires sont nombreux, puisqu’elles s’intégrent dans le même système technique (Levallois). La comparaison laisse apparaître des divergences fondamentales entre ces deux productions. Celles‑ci concernent des aspects aussi variés que :
– la qualité et la morphologie des rognons débités ;
– les stigmates de percussion observables au niveau des faces inférieures des produits, et semblant indiquer l’emploi d’un type de percuteur différent pour la production Levallois récurrente centripète ;
– la structure de la production, dans un cas ramifiée (deux chaînes opératoires secondaires viennent se greffer à la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents) et caractérisée par une grande flexibilité opératoire, dans l’autre cas linéaire et marquée par une chronologie apparemment plus stricte des opérations ;
– l’organisation spatiale et probablement économique de la production, qui laisse apparaître des manques importants, concernant en particulier les produits recherchés, pour la production Levallois récurrente centripète ;
– les méthodes de débitage qui s’appuient dans un cas sur un agencement strictement unipolaire des enlèvements et sur l’exploitation d’un unique plan de frappe et dans l’autre cas sur des enlèvements centripètes débités à partir de plans de frappe périphériques.
376De telles divergences, intervenant dans le cadre de productions d’éclats, paraissent difficilement concevables de la part d’un même groupe humain. La présence d’un rognon exploité pour la production d’éclats récurrents centripètes pourrait donc témoigner du passage sur le gisement d’un homme ou d’un groupe humain véhiculant des traditions techniques différentes de celles des principaux occupants des lieux. Ce passage, ponctuel, aurait eu pour objectif la réalisation d’un petit stock de produits Levallois pour des besoins différés. Ce schéma, aussi plausible soit‑il, est bien entendu très hypothétique.
377Les principaux occupants du site, auteurs de la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents et des deux productions secondaires, sembleraient avoir fréquenté le site de manière moins ponctuelle, et pour des activités techniques plus polyvalentes. Les manques concernent indifféremment toutes les catégories de pièces, à l’exception des produits de mise en forme initiale des nucléus, qui sont plus systématiquement absents de l’assemblage. De plus, une proportion non négligeable des produits prédéterminés a été intégrée à des remontages. Ceux‑ci ont pu être directement exploités sur place tandis que les autres produits prédéterminés (non remontés) auraient été pour l’essentiel exportés. Il semblerait donc qu’en matière d’activités techniques, la production ait été prépondérante, mais pas exclusive. La préservation d’aires de débitage regroupant la majorité des éléments extraits d’un même rognon plaide en faveur du rôle prépondérant des activités de production.
378Les liens existant entre la chaîne opératoire principale (Levallois à enlèvements unipolaires convergents) et les chaînes opératoires secondaires (production d’éclats de type Le Pucheuil et production d’éclats laminaires) reposent d’une part sur un principe de recyclage de sous‑produits et d’autre part sur un changement de finalité au cours de l’exploitation du nucléus. Ce changement, matérialisé par le passage de la production principale à la production secondaire, est toujours consécutif à l’impossibilité de poursuivre le débitage Levallois dans de bonnes conditions. Cette relation, attestée par plusieurs remontages, entre l’insuccès du débitage Lcvallois et le passage à la production de type Le Pucheuil, dévoile une certaine hiérarchie dans les intentions techniques des tailleurs.
379Si les liens entre ces productions sont fréquents, ils ne sont en revanche ni systématiques, ni exclusifs, puisque :
– certains rognons exploités pour la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents n’ont fait l’objet d’aucun recyclage ni d’aucun changement de finalité technique en cours de débitage ; à l’inverse, lorsque le recyclage des sous‑produits d’un nucléus Levallois a été pratiqué, il a toujours concerné une large partie d’entre eux ;
– la production Levallois à enlèvements unipolaires convergents n’est pas la seule pourvoyeuse de supports pour la production de type Le Pucheuil ; quelques nucléus relevant d’un débitage peu élaboré, effectué aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées, ont aussi fourni des supports pour cette production.
380Une telle souplesse s’inscrit dans un cadre technique très structuré. Chacune des productions, principale ou secondaire, est régie par une finalité technique précise, répondant à des critères de standardisation assez stricts. Contrairement aux productions secondaires, fondées sur une unique finalité, la production Levallois répond à des objectifs plus diversifiés. Les pointes Levallois, qui constituent l’objectif premier, présentent des caractères morphotechniques homogènes, alors que les éclats Levallois récurrents forment un ensemble nettement plus hétérogène. Ces deux ensembles de produits résultent d’un schéma opératoire long et très souple, au cours duquel les tailleurs ont alternativement choisi, parmi la gamme d’options à leur disposition, celle qui s’avérait la plus appropriée à la situation du moment. C’est selon ces principes qu’ils ont alternativement opté pour le débitage d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents ou pour la production de pointes Levallois. La seule étape à peu près constante dans ce schéma opératoire a consisté en une dernière phase de production reposant sur l’obtention d’une pointe Levallois.
381En revanche, la production d’éclats de type Le Pucheuil est caractérisée par un schéma opératoire nettement moins flexible s’appuyant sur la répétitivité d’un même geste technique. À l’inverse de la production Levallois, cette production s’insère dans une séquence opératoire courte qui démarre à partir de supports ne requérant qu’un aménagement minimal.
382Ainsi, les deux productions qui conditionnent l’exploitation d’une large majorité des rognons de la série, révèlent un haut degré de prédétermination ainsi qu’une complexité conceptuelle élevée. Celle‑ci repose tout d’abord sur la structure même de la production, ramifiée en chaînes opératoires secondaires à partir d’une chaîne opératoire principale. Les unes et les autres conduisent à l’obtention de produits répondant à des critères de standardisation précis. Or, leurs fondements techniques sont radicalement distincts. Ils relèvent en effet dans un cas (production Levallois à enlèvements unipolaires convergents) d’un schéma opératoire long, très flexible et d’un haut niveau d’habileté, tandis que dans l’autre cas (production d’éclats de type Le Pucheuil), ils consistent en des séquences gestuelles simples, courtes et s’inscrivant dans une gamme très restreinte d’options techniques. La forte élaboration conceptuelle qui régit l’ensemble de la production est donc assortie, pour la production de type Le Pucheuil, d’une faible élaboration opératoire. La production d’éclats laminaires repose sur le même type d’opposition. Cette dualité à l’intérieur d’un même ensemble lithique entre schémas opératoires longs et schémas opératoires courts, également élaborés conceptuellement mais différemment « investis » sur le plan opératoire, est une notion assez récemment mise en évidence et qui paraît s’appliquer à un grand nombre d’assemblages du Paléolithique inférieur et moyen (Roche, Texier 1991 ; Texier, Roche 1995 ; Delagnes 1995a). Intervient aussi au Pucheuil un troisième ensemble technique, fondé sur le débitage d’éclats aux caractères morphotechniques hétérogènes, à partir de surfaces non hiérarchisées et non préparées, le tout s’insérant dans un schéma opératoire court, très flexible et techniquement peu élaboré. La simplicité opératoire va donc de pair dans ce cas avec une faible élaboration conceptuelle.
383Ces différents ensembles techniques, variablement élaborés conceptuellement et/ou opératoirement, révèlent donc deux niveaux de compétence :
– un niveau de compétence élevé, qui a donné lieu aux productions Levallois, et certainement aussi pour une large part, aux productions d’éclats de type Le Pucheuil et d’éclats laminaires ;
– un niveau de compétence nettement plus faible dont procède le débitage d’éclats aux dépens de surfaces non hiérarchisées et non préparées.
384Les liens existant entre les productions relevant de ces deux niveaux de compétence indiquent qu’ils procèdent très probablement de différents individus au sein d’un même groupe. Ces liens démontrent en outre une certaine ambivalence de la production d’éclats de type Le Pucheuil, indifféremment réalisée à partir de supports prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois, ou parmi les éclats des débitages peu élaborés. L’ambivalence se traduit aussi par la présence de quelques exemples laissant apparaître une maîtrise médiocre du débitage d’éclats de type Le Pucheuil (cf. remontage 4 par exemple) et qui peuvent être rapportés au groupe de plus faible compétence.
385La reconnaissance de ces niveaux de compétence ne peut malheureusement pas déboucher sur une approche des comportements sociaux des individus au sein d’un même groupe humain, telles que celle appliquée à certains gisements du Paléolithique supérieur (Pigeot 1987 ; Ploux 1989). Le contexte archéologique au Pucheuil ne s’y prête absolument pas. En revanche, les observations effectuées dans la série B du Pucheuil laissent entrevoir, comme dans ces gisements du Paléolithique supérieur, la possible existence d’une hiérarchisation des finalités techniques de la production, en rapport avec des niveaux de compétence distincts. C’est là un aspect que peu d’études appliquées à des assemblages du Paléolithique moyen ont à ce jour mis en évidence. Car les documents sur lesquels se sont jusqu’alors fondées la plupart des études relatives à cette période étaient largement en deçà de ceux fournis par les gisements du Paléolithique supérieur. Cet écart tend désormais à se réduire, et par un effet de causalité direct, apparaît de plus en plus ténu l’écart séparant les réalisations techniques des hommes du Paléolithique moyen de celles de leurs successeurs du Paléolithique supérieur.
2.4 L’industrie lithique des séries A et C du Pucheuil
2.4.1 Contexte archéologique : bref rappel
386Les séries A et C du Pucheuil forment des ensembles lithiques abondants et homogènes. Leur distinction est uniquement stratigraphique et topographique ; la série A était principalement localisée dans les niveaux du Weichsélien ancien (couche 2A) à l’extérieur de la doline, alors que la série C était contenue dans le paléosol Elbeuf II (couche 7) à l’intérieur de la doline. Elles étaient en position secondaire dans ces deux couches : l’ensemble des données archéologiques suggère que ces deux séries formaient initialement une même entité archéologique, qui se serait scindée lors de la formation de la doline (cf. § 2.1, conclusion). Les données géomorphologiques concordent avec ce schéma, même si elles ne peuvent pas directement le valider. La formation de la doline a en effet conduit à des évolutions géodynamiques des dépôts archéologiques totalement différentes selon leur position à l’intérieur ou à l’extérieur de la doline.
387En raison de leur nette similarité, les séries A et C peuvent néanmoins être appréhendées dans un même cadre d’analyse. La série C, conservée à l’intérieur de la doline, a été davantage préservée que la série A des phénomènes d’érosion et de gélifraction. Les deux séries ont toutefois subi dans leur ensemble des perturbations importantes, et n’offrent pas en conséquence les mêmes conditions d’étude que la série B. Elles n’ont donné lieu à aucun remontage, et les possibilité d’analyse de la répartition spatiale des vestiges sont totalement nulles pour ces séries. Il faut rappeler à ce sujet que, contrairement à la série B, dont le matériel était réparti sur une faible épaisseur et distribué par petites concentrations bien circonscrites, le matériel des séries A et C formait des dépôts archéologiques épais et continus.
388Un large échantillon de chacune des deux séries a servi à l’analyse. Pour la série A, le matériel pris en compte correspond à la totalité des vestiges dégagés des sondages 30, 31, 40, 41 42 et 50 (cf. fig. 12, supra § 2.1.2.2), lors de la première campagne de fouille ; ces sondages sont ceux qui ont livré la plus grande quantité de matériel pour cette série. L’échantillon recueilli forme un ensemble de 2 876 pièces, d’un poids de 102 kg, une fois exclus les fragments de gel et les pièces inidentifiables à cause de l’altération par le gel. Ceux‑ci constituent 32 % du poids global de la série. L’échantillon de la série C retenu pour l’étude provient des zones 24, 25 et 26 (cf fig. 15, supra § 2.1.2.3), fouillées lors de la deuxième campagne de fouille, et localisées sur le versant sud‑ouest de la doline. La totalité du matériel de ces zones a été prise en compte, soit 941 pièces.
2.4.2 État d’altération du matériel
389L’état d’altération du matériel ne sera pas détaillé ici, dans la mesure où il a déjà été largement évoqué (cf. supra § 2.1.4.2 et 2.1.4.3). Rappelons toutefois que les deux séries se distinguent par des patines différentes : la patine de la série A est très prononcée, de couleur blanche et uniforme, tandis que la patine de la série C est plus hétérogène ; elle est pour la majeure partie des pièces de couleur jaune à orange foncé et affecte de manière non homogène la surface des objets. La différence principale entre les deux séries réside dans leur état d’altération par le gel : assez prononcé pour la série A et proportionnel à la distance du matériel par rapport à la doline, au contraire très faible pour le matériel de la série C. Dans les deux séries, les bords des éclats sont fréquemment endommagés par des retouches non intentionnelles, et en particulier par des pseudo‑encoches. L’un des points communs réside par ailleurs dans la faible représentation des éléments de petites dimensions : les petits éclats indifférenciés, de dimensions maximales inférieures à 3 cm, ne constituent en effet que 2,5 % des pièces de la série A, et 2 % des pièces de la série C (contre 20 % dans la série B). Leur rareté ne peut pas être imputée à la nature des activités techniques, étant donné que les autres déchets de débitage (nucléus, produits d’aménagement des nucléus, débris, etc.) sont très nombreux dans ces séries. Elle semble plutôt consécutive aux perturbations importantes subies par ces ensembles archéologiques.
2.4.3 Système de production
2.4.3.1 Série A
Composition de l’assemblage
390L’assemblage se compose de l’ensemble des produits et des sous‑produits du débitage Levallois récurrent unipolaire. Les proportions relatives des principales catégories de produits (tabl. xxvii), et en particulier celles des éclats corticaux, des éclats Levallois prédéterminants, des éclats Levallois récurrents et des nucléus Levallois, indiquent que les activités de débitage ont été entièrement, ou au moins très largement, réalisées sur placé. Une grande partie de la production a par ailleurs été abandonnée sur le lieu même de sa production : le rapport entre éclats et nucléus Levallois est en effet de 7 éclats Levallois pour 1 nucléus.

TABL. XXVII – Le Pucheuil, série A (sondages 30, 31, 40, 41, 42, 50) : décompte technologique de l’ensemble lithique.
Modalités de débitage
391Le débitage s’inscrit dans une chaîne opératoire unique, fondée sur le débitage Levallois. La reconnaissance des règles et des principes techniques du système Levallois s’appuie sur la définition établie à partir des travaux d’E. Boëda (1986a, 1988b ; Boëda et al. 1990). La méthode de débitage employée se fonde sur la production d’éclats récurrents unipolaires ou bipolaires. En l’absence de remontages, l’analyse des modalités de débitage s’appuie essentiellement sur les nucléus. L’homogénéité de la série, sa cohérence technique et l’absence de tout autre mode d’exploitation des nucléus, même lors des phases terminales de débitage, confèrent aux nucléus une valeur informative importante.
392Les nucléus Levallois sont largement majoritaires dans la série (71 % des nucléus relèvent du système Levallois). Parmi ceux‑ci, les nucléus Levallois récurrents unipolaires sont les plus nombreux : ils sont au nombre de 71, alors que les nucléus Levallois récurrents bipolaires ne représentent que 15 pièces. Ces deux catégories de nucléus présentent un grand nombre de caractéristiques techniques communes. Leurs supports sont pour une large part des rognons de silex, dont les formes étaient manifestement assez contournées, si l’on en juge par l’aspect des surfaces corticales conservées sur certains éclats. Les tailleurs ont aussi occasionnellement exploité des éclats de gel ou des éclats de grandes dimensions comme supports pour le débitage. La préparation des nucléus a consisté à mettre en place les critères techniques et volumétriques propres au système Levallois :
– aménagement de deux surfaces sécantes et hiérarchisées : une surface de débitage et une surface de plans de frappe, délimitées par un plan d’intersection parallèlement auquel les éclats Levallois seront produits ;
– aménagement de convexités latérales et distales pour contrôler le détachement des enlèvements.
393Cette phase de mise en place des critères techniques et volumétriques du débitage semble avoir donné lieu à un travail important. Les surfaces de plans de frappe ne conservent en effet souvent que des plages corticales très réduites ; les plans de frappe sont par ailleurs étendus en général à toute la périphérie des nucléus. La préparation des surfaces de débitage a été effectuée à l’aide de nombreux enlèvements centripètes assez couvrants et minces, créant les convexités nécessaires à l’extraction des éclats Levallois et conférant aux surfaces débitées une convexité très régulière.
394Les nucléus Levallois ont manifestement été l’objet de réaménagements fréquents et poussés, reposant sur la repréparation en cours de débitage des plans de frappe et de la surface de débitage. Ces réaménagements s’intercalent entre deux phases de production ; les nucléus ont ainsi été exploités pour l’obtention de plusieurs séries d’enlèvements récurrents. Un certain nombre d’éclats et de nucléus en fournissent la démonstration. La lecture diacritique de ces pièces dévoile l’existence d’une phase antérieure de production d’éclats Levallois dont les négatifs sont encore partiellement visibles, suivie d’un réaménagement de la surface de débitage au moyen de petits enlèvements, perpendiculaires à la direction des éclats Levallois, et dont le rôle est de rétablir des convexités latérales. Ensuite, une nouvelle phase de production a été réalisée, à laquelle appartiennent les derniers éclats Levallois produits. Un tel schéma, fondé sur la succession de plusieurs phases de production, entrecoupées d’une repréparation de la surface de débitage, a déjà été mis en évidence, en particulier dans les ensembles Ethiques du niveau IIa de Biache‑Saint‑Vaast (Boëda 1986a ; 1986b ; 1988a) et de la couche 51 de l’abri Suard à La Chaise‑de‑Vouthon (Delagnes 1990 ; 1992 ; 1995b). Il paraît s’appliquer très souvent au débitage Levallois récurrent, mais n’est pas nécessairement systématique dans les séries concernées. Ainsi au Pucheuil, certains nucléus de dimensions réduites ont été exploités pour la réalisation d’une unique série d’enlèvements ; on compte notamment parmi ces pièces des nucléus sur éclat. Ces nucléus ont fait l’objet d’un aménagement très succinct et pourraient relever d’un débitage occasionnel plus expédient. Il semble donc qu’il y ait une relation directe entre le soin apporté à la préparation (ou repréparation) des nucléus et leur durée d’exploitation.
395Le nombre d’enlèvements par série est assez limité : une moyenne de 2 à 3 enlèvements semble de règle. Ils sont dans la plupart des cas très envahissants par rapport aux surfaces débitées. Le débitage a parfois été mené successivement sur les deux faces du nucléus, la surface de débitage et la surface de plans de frappe ayant été interverties. Les nucléus Levallois ont été abandonnés à un stade où leurs dimensions étaient encore relativement importantes ; leur longueur maximale est comprise entre 6 et 12 cm, et pour la majorité des pièces entre 7 et 8 cm. Ils n’ont généralement pas fait l’objet d’un stade final d’exploitation différent : la dernière phase de production est fondée sur les mêmes principes techniques que ceux qui ont présidé à l’ensemble du débitage. En revanche, les nucléus ont été assez fréquemment recyclés en outils ; il s’agit le plus souvent d’outils à retouches continues, parfois denticulées.
396Parmi les nucléus Levallois, certains (n = 5) se caractérisent par des négatifs d’enlèvements envahissants multidirectionnels : ce sont peut‑être des nucléus abandonnés après une phase de réaménagement des surfaces de débitage. Cela est possible, dans la mesure où l’aménagement des convexités sur les surfaces de débitage semble avoir été le plus souvent réalisé au moyen d’enlèvements assez envahissants. Enfin, un stade terminal fondé sur l’enlèvement d’un éclat Levallois préférentiel est attesté par quelques nucléus (n = 8). Dans la moitié des cas, le négatif d’un ou deux enlèvements récurrents antérieurs est visible sur le bord latéral de la surface de débitage. Le débitage d’un éclat préférentiel relève certainement pour ces pièces d’une forme d’exploitation finale conjoncturelle du nucléus. Dans les autres cas, l’enlèvement préférentiel a été précédé d’un aménagement des convexités sur tout le pourtour de la surface de débitage (fig. 73, nos 8, 9). Il n’est jamais parfaitement centré sur la surface de débitage, et est parfois débordant ou outrepassant.
Nucléus Levallois récurrents unipolaires. fig. 73, nos1 à 7
397Dans la plupart des cas, ces nucléus se caractérisent par des négatifs d’enlèvements Levallois strictement unipolaires. Quelques nucléus présentent les négatifs d’un ou deux enlèvements, perpendiculaires ou obliques par rapport à une série unipolaire antérieure. Ces enlèvements pourraient avoir été destinés à ôter les traces d’enlèvements rebroussés antérieurs. Ils sont en tout cas trop peu fréquents pour pouvoir relever d’une autre méthode de débitage, voire même d’une variante à l’intérieur de la méthode Levallois récurrente unipolaire.

FIG. 73 – Le Pucheuil, série A : nucléus Levallois. 1‑7 nucléus Levallois récurrents unipolaires, 8, 9 nucléus Levallois à éclat préférentiel (zones grisées correspondant aux enlèvements d’aménagement des convexités sur la surface de débitage du nucléus ; pointillés indiquant l’extension des plans de frappe sur la face opposée).
AD/AFAN ; CNRS
Nucléus Levallois récurrents bipolaires. fig. 74
398L’analyse diacritique de ces nucléus révèle que les enlèvements bipolaires s’inscrivent dans des séries d’enlèvements de direction opposée. Le changement de plan de frappe ne s’effectue donc pas à l’issue de chaque enlèvement ; il fait suite à la production de plusieurs éclats Levallois à partir du même plan de frappe. Le nombre de séries successivement produites est le plus souvent difficile à évaluer. Un grand nucléus (fig. 74, nos 1) exploité pour le débitage d’éclats Levallois sur chacune de ses deux faces (après que la surface de débitage et la surface de plan de frappe initiales aient été interchangées), présente sur la seconde surface de débitage les négatifs de quatre séries successives, chaque nouvelle série étant opposée à la précédente. Pour quelques nucléus, le changement dans la direction de débitage semble être intervenu à la suite d’enlèvements rebroussés. Le profil longitudinal des nucléus à enlèvements bipolaires est généralement plus plat que celui des nucléus à enlèvements unipolaires. Comme ces derniers, les nucléus à enlèvements bipolaires, ainsi que les éclats correspondants, attestent fréquemment d’une repréparation de la surface de débitage entre deux séries d’enlèvements.

FIG. 74 – Le Pucheuil, série A : nucléus Levallois récurrents bipolaires (zones grisées correspondant aux enlèvements d’aménagement des convexités sur la surface de débitage du nucléus ; pointillés indiquant l’extension des plans de frappe sur la face opposée).
AD/AFAN ; CNRS
399Les caractéristiques techniques des nucléus Levallois récurrents bipolaires, en particulier l’agencement des enlèvements, indiquent que ces nucléus ne relèvent pas d’une méthode de débitage particulière, mais s’inscrivent dans la variabilité de la méthode Levallois récurrente unipolaire. Cette variabilité se traduit par le passage, dans le cadre d’un même schéma opératoire, d’un débitage de séries d’enlèvements unipolaires limité à un unique plan de frappe, à l’exploitation par alternance selon les mêmes principes techniques du plan de frappe opposé. Les éléments de comparaison sont minces, dans la mesure où rares sont les ensembles lithiques rattachés à cette méthode de débitage qui ont donné lieu à une analyse diacritique détaillée des nucléus. Dans l’industrie de l’abri Suard à La Chaise‑de-Vouthon (Delagnes 1990 ; 1992 ; 1995b), le débitage repose sur une variabilité encore plus marquée au sein de la méthode Levallois récurrente unipolaire, puisque les séries d’enlèvements unipolaires sont produites soit à partir d’un unique plan de frappe, soit à partir de deux plans de frappe opposés, soit encore à partir de trois plans de frappe perpendiculaires entre eux. Cette distinction entre une méthode Levallois récurrente unipolaire et une méthode Levallois récurrente bipolaire n’est donc pas justifiée dans ces assemblages. Et il paraît très vraisemblable que cette distinction ne résiste pas à l’analyse de la plupart des séries concernées, s’il se confirme qu’elle ne va pas de pair avec une différenciation dimensionnelle ou morphotechnique des produits issus des deux modalités de débitage.
400Les nucléus ne relevant pas du système Levallois correspondent à des nucléus indifférenciés, issus d’un débitage non structuré. Ce sont soit des nucléus informes ou globuleux, ayant pu être débités par des tailleurs inexpérimentés, soit des nucléus ne présentant qu’un ou deux négatifs d’enlèvements, généralement sur des éclats et correspondant vraisemblablement à une production expédiente.
Produits recherchés
401Les éclats Levallois unipolaires et bipolaires sont généralement de grandes dimensions, allongés, voire laminaires, de morphologie générale le plus souvent quadrangulaire, à extrémité distale quadrangulaire ou triangulaire (fig. 75). Ce sont des pièces de faible épaisseur, quoique certains éclats de grandes dimensions se démarquent par une épaisseur nettement supérieure à la moyenne. Cette minceur est sûrement responsable en large partie du taux de fracturation élevé des éclats Levallois : parmi ces produits, on compte en effet seulement 7 % de pièces entières. Leur section transversale est symétrique pour la plupart des pièces et leur profil longitudinal est rectiligne ou sub‑rectiligne. Les talons des éclats Levallois sont très majoritairement facettés, droits ou légèrement convexes. Qu’ils soient unipolaires ou bipolaires, ces éclats répondent donc à un ensemble de critères morphotechniques assez constants, qui semblent avoir été recherchés par les tailleurs. L’homogénéité de ces critères dans un système récurrent a dû constituer une difficulté technique que les tailleurs ont surmonté par une réfection fréquente et assez poussée des surfaces de débitage. Le fait que chaque série n’ait donné lieu à l’obtention que d’un nombre limité d’enlèvements s’inscrit dans cette logique.

FIG. 75 – Le Pucheuil, série A : éclats Levallois. 1‑3 éclats Levallois récurrents unipolaires avec négatifs d’enlèvements des convexités sur les bords latéraux et distaux ; 4, 7 éclats Levallois récurrents unipolaires ; 5, 6 éclats Levallois récurrents bipolaires.
AD/AFAN ; CNRS
Outillage
402La proportion globale d’outils retouchés est très faible dans la série (tabl. xxviii) : ceux‑ci ne représentent en effet que 2,5 % du total des pièces (compte tenu aussi des fragments gélifs, occasionnellement supports d’outils). Les éclats Levallois ont été très peu retouchés ; seuls 3 % d’entre eux ont été l’objet d’un aménagement par des retouches. Les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois semblent donc avoir été préférés aux produits Levallois comme supports des outils retouchés : ils constituent les supports de 77,5 % des pièces retouchées, alors que les éclats Levallois n’ont servi de supports qu’à 22,5 % des outils.

TABL. XXVIII – Le Pucheuil, série A (sondages 30, 31, 40, 41, 42, 50) : décompte des outils en fonction des types de supports.
403Ces proportions sont très relatives dans la mesure où les « outils » les plus fréquemment associés aux éclats Levallois ne correspondent pas à des outils retouchés et ne semblent pas relever directement de l’aménagement d’un bord actif. Ces pièces ont été transformées par une troncature ou deux troncatures opposées, localisées sur le bord proximal et/ou distal des pièces, à partir desquelles une série de petits enlèvements a été produite sur la face supérieure des pièces (fig. 76, nos 1‑5). Ces objets reposent sur le même procédé technique que les couteaux de Kostienki (Efimienko 1958), dénommés aussi dans d’autres contextes tnmcated‑facettedflakes (Schroëder 1969), ou encore pièces de technique Nahr Ibrahim (Solecki, Solecki 1970). Ces pièces sont assez fréquentes dans les industries du Paléolithique moyen d’Europe occidentale, tout en étant généralement très peu nombreuses au sein d’une même série. Leur bonne représentation dans l’industrie de la couche 51 de l’abri Suard à La Chaise‑de‑Vouthon nous a conduit récemment à relancer le débat sur le rôle de ces pièces au sein de l’assemblage (Delagnes 1992).
404Les pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs du Pucheuil présentent un certain nombre d’affinités avec celles de l’abri Suard. Le procédé technique appliqué dans les deux gisements à l’aménagement de ces pièces est le même. Il consiste en :
– 1 : réalisation d’une troncature par enlèvements inverses ;
– 2 : détachement de petits enlèvements unidirectionnels sur la face supérieure des pièces, à partir de la troncature utilisée comme plan de frappe.
405Comme à l’abri Suard, un certain nombre de variantes sont observées. L’aménagement est le plus souvent limité aux extrémités distales et/ou proximales, mais il peut envahir aussi les bords latéraux du support. Certaines pièces se caractérisent en outre par une simple troncature inverse, non suivie de petits enlèvements sur la face supérieure des pièces. Les bords adjacents à cet aménagement, généralement les bords latéraux des éclats, sont le plus souvent bruts mais comportent parfois une retouche continue, souvent assez irrégulière, voire denticulée. La proportion de pièces retouchées parmi ces objets est nettement moindre au Pucheuil ; cela est certainement à mettre en relation avec le taux largement inférieur de produits retouchés dans cet assemblage (2,5 % contre 36 % dans la couche 51 de l’abri Suard). Dans les deux gisements, certaines pièces, aux caractères morphotechniques plus hétérogènes, présentent des enlèvements particulièrement envahissants sur leur face supérieure. Se pose la question pour ces pièces d’une éventuelle forme de débitage sur éclat, d’autant plus plausible que cette pratique est clairement attestée dans ces ensembles lithiques.
406Les conséquences d’une telle transformation des pièces sont principalement :
– l’enlèvement du talon et du bulbe conférant aux pièces un profil rectiligne ou sub‑rectiligne ;
– l’amincissement des zones concernées par l’aménagement, qui sont le plus souvent les zones proximales, c’est‑à‑dire les parties originellement les plus épaisses ;
– la production de petits enlèvements.
407Hormis pour les pièces évoquées plus haut (à enlèvements postérieurs envahissants), les enlèvements produits sur les faces supérieures paraissent destinés à mettre en place sur les supports un certain nombre de critères morphofonctionnels et ne semblent pas recherchés pour leurs caractères propres. Si l’hypothèse d’un procédé appliqué au débitage sur éclat a souvent été mis en avant pour ce type de pièce (Newcomer, Hivernel‑Guerre 1974 ; Goren‑Inbar 1988), il semble que dans la série A du Pucheuil comme à l’abri Suard, il s’applique plutôt à l’aménagement d’outils. La finalité de cet aménagement pourrait être d’amincir les pièces pour en faciliter l’emmanchement ou la préhension (Henri‑Martin 1923 ; Turq, Marcillaud 1976 ; Otte 1980 ; Geneste 1985 ; Callow 1986 ; Gouédo 1988), ou encore de rectifier leur profil (Semenov 1964). En l’absence d’analyse tracéologique, la finalité précise d’un tel aménagement est impossible à déterminer. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’un aménagement lié à une forme de préhension paraît la plus probante pour ces pièces.
408Les outils les plus fréquents en dehors des pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs, sont des racloirs dont les caractères très particuliers les distinguent de racloirs « classiques ». Ces racloirs, qualifiés de « racloirs‑rabots », ont été réalisés presque exclusivement sur des supports épais, qui sont indifféremment des éclats corticaux, des fragments indéterminables d’éclats, des débris, des nucléus ou plus rarement des éclats indifférenciés ou des éclats Levallois (tabl. xxviii). La retouche est localisée sur un seul bord des pièces, auquel elles confèrent un angle assez constant, compris entre 70 et 80°, formé par l’intersection d’un méplat préexistant et du front retouché (fig. 76, nos 6‑9). Le méplat préexistant peut être la face d’éclatement d’un éclat ou un pan de fracture. En fait, la retouche semble n’être intervenue que pour accentuer ou régulariser, sur les produits en question, un angle naturellement obtus et opposant une surface plane à un front abrupt. Si l’angle des bords transformés est assez constant, en revanche les caractères des retouches sont variables : elles sont soit étendues à une large portion des supports, soit très localisées ; elles sont généralement continues mais parfois aussi denticulées ; elles peuvent être aussi bien directes qu’inverses, et leur longueur tout comme leur morphologie diffèrent notablement d’une pièce à l’autre. Ces outils présentent des caractères morphofonctionnels qui paraissent adaptés à un travail de rabotage ; cette hypothèse n’a malheureusement pas pu être vérifiée. Sur le plan typologique ils semblent correspondre à des formes d’outils intermédiaires entre les racloirs et les rabots, tels qu’ils ont été décrits par F. Bordes (1961) dans l’industrie de Cantalouette (Dordogne).

FIG. 76 – Le Pucheuil, série A : Outils. 1‑5 pièces à troncature inverse et enlèvements dorsaux postérieurs, 6‑9 raoloirs‑rabots.
AD/AFAN ; CNRS
409Les autres racloirs, peu nombreux, sont dans tous les cas des racloirs simples. Ils se caractérisent le plus souvent par des retouches épaisses et assez irrégulières. Ils correspondent manifestement à des outils assez expédients. Il en est de même pour les pièces à encoches et pour les outils à retouches irrégulières, épaisses ou abruptes, dont les supports et les caractères morphofonctionnels sont très variables. La série compte par ailleurs 2 pièces bifaciales. L’une d’elles, dégagée dans le sondage 41, a été l’objet d’un premier stade d’exploitation comme nucléus, auquel ont fait suite des enlèvements bifaciaux qui semblent relever d’un travail de façonnage. Il pourrait s’agir d’un objet mixte (nucléus, puis biface) ; sa section est dissymétrique et son contour très irrégulier. L’autre biface provient du sondage 50, c’est un biface ovalaire, de petites dimensions (7,5 cm de longueur maximale), et de section dissymétrique. Ces pièces ont probablement été façonnées avec un percuteur dur en pierre.
410L’outillage de la série A du Pucheuil constitue un ensemble original : les deux principaux types d’outils rencontrés dans cette industrie appartiennent à des catégories de pièces rares au Paléolithique moyen. Leurs supports sont assez nettement différenciés : alors que les pièces à troncature inverse et enlèvements dorsaux postérieurs ont été principalement réalisées aux dépens d’éclats Levallois, les racloirs‑rabots ont été préférentiellement aménagés sur des supports épais, prélevés parmi les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois. Les premières ont fait l’objet d’un soin évident dans leur réalisation, tandis que les seconds appartiennent, avec l’ensemble des produits retouchés, à des formes expédientes d’outils. La retouche ne semble donc être intégrée que de manière secondaire au système de production ; les produits recherchés (éclats Lcvallois récurrents unipolaires et bipolaires) pourraient avoir été conçus pour être directement exploitables à l’état brut. Bien entendu, il est regrettable que la tracéologie ne puisse venir à l’appui de cette hypothèse en raison de la patine prononcée des pièces. Ceci dit, l’ensemble des options techniques mises en évidence paraissent fournir des arguments suffisamment probants pour avancer cette hypothèse :
– les éclats Levallois procèdent en effet d’un schéma opératoire assez rigide, au cours duquel la surface de débitage a été fréquemment repréparée ; le nombre d’éclats Levallois produits au sein d’une même série est limité et les nucléus ont été abandonnés à un stade où leurs dimensions étaient encore importantes ; il semble donc que la recherche de supports aux caractères dimensionnels et morphotechniques assez constants ait prévalu sur le souci de productivité ; autrement dit, la production répondrait davantage à des critères qualitatifs que quantitatifs ;
– la proportion d’éclats Levallois présents dans l’assemblage, et correspondant très clairement aux produits recherchés, exclut toute exportation importante de ces produits (pour leur retouche et/ou utilisation en un autre lieu) ;
– les produits retouchés ont une place tout à fait marginale dans cet assemblage et la retouche, très expédiente, concerne essentiellement les sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois ; dans les cas où les éclats Levallois ont été l’objet d’une transformation, celle‑ci n’a le plus souvent pas conduit à la préparation d’un bord actif au moyen de retouches, mais à un aménagement (par troncature inverse et enlèvements postérieurs), probablement destiné à faciliter la préhension des pièces.
411La conjonction de ces éléments permet de mettre en évidence dans la série A du Pucheuil une conception de la production très particulière, fondée sur l’obtention directe, à l’issue des phases de production, d’éclats directement exploitables à l’état brut. Dans ce système, le produit final recherché serait l’éclat Levallois brut. Au contraire, dans d’autres assemblages, la finalité de la production reposerait en premier lieu sur l’obtention de produits destinés à être ensuite adaptés aux besoins fonctionnels au moyen de retouches (tel est le cas par exemple dans l’industrie de la couche 51 de l’abri Suard : Delagnes 1991 ; 1992). Ainsi dans le premier cas (au Pucheuil), l’éclat Levallois serait directement élaboré et conçu comme un outil, alors que dans le second cas, l’éclat Levallois serait conçu comme un support d’outils.
2.4.3.2 Série C
Composition de l’assemblage
412Les proportions des produits et sous‑produits du débitage Levallois (tabl. xxix), qui est l’unique mode de production attesté dans cette série, suggèrent que la chaîne opératoire de production lithique a été entièrement, ou très largement, réalisée sur place. Les nucléus sont nombreux, et le nombre moyen d’éclats Levallois pour un nucléus est d’un peu moins de 5.

TABL. XXIX – Le Pucheuil, série C (zones 24, 25, 26) : décompte technologique de l’ensemble lithique.
Modalités de débitage
413Les dimensions des éclats d’initialisation des nucléus ainsi que l’aspect de leurs surfaces corticales indiquent que les rognons employés pour le débitage étaient des rognons de grandes dimensions, et très contournés dans l’ensemble. Les surfaces corticales de certains de ces éclats se caractérisent en outre par un piquetage marqué et localisé, qui semble résulter de l’emploi de ces objets, préalablement à leur débitage, comme percuteurs. Les mêmes caractères généraux que ceux énoncés pour le matériel de la série A se retrouvent dans la série C. L’ensemble de la production procède d’une chaîne opératoire fondée sur le débitage Levallois récurrent unipolaire. Les enlèvements Lcvallois, agencés en séries successives de 2 à 3 enlèvements en moyenne, sont produits le plus souvent à partir d’un unique plan de frappe ou plus occasionnellement à partir de deux plans de frappe opposés.
Nucléus Levallois récurrents unipolaires
414Les négatifs des enlèvements récurrents unipolaires sont associés sur la plupart des nucléus aux négatifs de multiples enlèvements périphériques, de directions variées. Ceux‑ci sont très rapprochés les uns des autres, et leurs plans de fracturation, souvent fortement inclinés par rapport au plan d’intersection des deux surfaces, confèrent à la surface de débitage d’une bonne partie des nucléus une section transversale nettement bombée. Ces enlèvements aménagent de fortes convexités latérales et surtout distales pour contrôler l’extraction des éclats Levallois. Seuls les nucléus dont les derniers négatifs d’enlèvements Levallois sont débordants ou outrepassés ne présentent pas (ou plus ?) de tels aménagements. Les plans de frappe s’étendent à la totalité ou la quasi‑totalité de la périphérie des nucléus.
Nucléus Levallois récurrents bipolaires
415Ils se caractérisent par deux plans de frappe opposés qui ont été alternativement exploités pour le débitage de séries d’enlèvements bipolaires. Le passage d’une série à la suivante est donc marqué par un changement de plan de frappe. En dehors de cet aspect, ces nucléus relèvent des mêmes principes techniques que les nucléus Levallois récurrents unipolaires. Les aménagements de convexités, limités aux bords latéraux des nucléus, sont nombreux et déterminent des bords fortement inclinés. Leurs supports ne semblent pas se différencier de ceux des nucléus Levallois récurrents unipolaires. Les deux types de nucléus s’inscrivent indéniablement dans le même schéma opératoire ; quelques nucléus viennent appuyer cette idée. Ces pièces procèdent d’une succession d’opérations antérieures se subdivisant en :
– 1 : débitage d’une série d’enlèvements unipolaires à partir d’un premier plan de frappe A ;
– 2 : débitage d’une seconde série d’enlèvements unipolaires à partir du plan de frappe opposé B ;
– 3 : remise en place de convexités distales sur la surface de débitage, au moyen de petits enlèvements unidirectionnels, produits à partir du plan de frappe B ;
– 4 : débitage d’une nouvelle série d’enlèvements unipolaires à partir du plan de frappe A.
416Bien qu’ils aient été successivement produits à partir du même plan de frappe, et selon la même direction, les enlèvements de repréparation des convexités sur la surface de débitage sont clairement distinguables des éclats Levallois antérieurs. Ils sont assez nombreux et très rapprochés, peu envahissants, et débités selon un plan de fracturation tangentiel au plan d’intersection entre la surface de débitage et celle des plans de frappe. Au contraire, les enlèvements Levallois sont toujours très envahissants (ils s’étendent sur plus de la moitié de la surface de débitage selon leur axe de percussion) et produits selon un plan de fracturation quasiment parallèle au plan d’intersection entre les deux surfaces. Ces séries d’enlèvements, qu’elles soient produites à partir d’un unique plan de frappe ou à partir de deux plans de frappe opposés, sont donc conçues dans tous les cas comme des séries totalement indépendantes les unes des autres. Bien qu’elles aient été débitées successivement aux dépens d’une même surface, elles semblent avoir été assez systématiquement entrecoupées par un réaménagement de la surface de débitage. Comme dans la série A, les deux modalités d’exploitation (un plan de frappe ou deux plans de frappe opposés) des nucléus correspondent à des variantes au sein de la méthode Levallois récurrente unipolaire.
Nucléus Levallois récurrents à enlèvements multidirectionnels
417Ces nucléus, très peu nombreux (n = 4) portent les négatifs d’enlèvements multidirectionnels n’envahissant pas plus de la moitié de la surface de débitage selon leur axe de percussion. Il pourrait s’agir de formes terminales d’exploitation des nucléus ; mais il semble que ces pièces correspondent plutôt à des nucléus Levallois abandonnés, en raison d’accidents de taille, au cours d’une phase de réaménagement de la surface de débitage. Les derniers enlèvements produits sont en effet systématiquement rebroussés.
Nucléus indifférenciés
418Parmi les 10 nucléus indifférenciés, 7 pièces procèdent de tentatives avortées de débitage Levallois récurrent unipolaire à partir de fragments d’éclats ou d’éclats de gel. Elles s’inscrivent dans une forme expédiente de débitage : aucune préparation des surfaces de débitage n’a été effectuée préalablement au débitage ; le seul aménagement repose sur la mise en place d’un plan de frappe sommaire. Cette forme de débitage, qui tire parti de la configuration initiale des supports, se justifie peut‑être par les dimensions relativement réduites de ces pièces. L’aménagement de leurs surfaces de débitage aurait conduit à en réduire notablement les dimensions. Le débitage a été abandonné à la suite de quelques enlèvements unipolaires. Dans la plupart des cas, le rebroussement ou l’outrepassage des enlèvements semble être à l’origine de ces abandons. Les autres nucléus sont de plus petites dimensions et issus de séquences de débitage plus longues. Ils pourraient correspondre à des nucléus Levallois dont l’exploitation terminale, au moyen d’un débitage très peu élaboré, a totalement modifié, la configuration initiale.
Produits recherchés
419Les caractères morphotechniques des éclats Levallois sont en totale concordance avec les principes techniques mis en évidence à partir des nucléus. Ce sont des éclats de grandes dimensions, de morphologie quadrangulaire, allongés, de section transversale très souvent symétrique ; leurs talons sont majoritairement facettés, droits ou légèrement convexes (fig. 77). Une forte proportion d’entre eux (36 %) comportent les négatifs d’enlèvements d’aménagement (ou de réaménagement) de la surface de débitage, produits selon un axe de débitage perpendiculaire. Ils confortent l’idée d’un réaménagement très fréquent de la surface de débitage. En outre, les négatifs d’enlèvements prédéterminants sont souvent nombreux et couvrants, à tel point qu’ils paraissent procéder d’un véritable « façonnage » de la surface de débitage, destiné à conférer aux éclats Levallois une section qui soit très régulièrement convexe. Les éclats Levallois à négatifs d’enlèvements strictement unipolaires (produits à partir d’un unique plan de frappe) sont les plus nombreux (tabl. xxix) ; ceux à négatifs d’enlèvements bipolaires sont toutefois bien représentés, alors que les éclats à négatifs d’enlèvements multidirectionnels sont tout à fait minoritaires.

FIG. 77 – Le Pucheuil, série C : éclats Levallois. 1, 2, 5‑8 éclats Levallois récurrents unipolaires avec négatifs d’aménagement des convexités sur les bords latéraux et distaux, 4, 9 éclats Levallois récurrents unipolaires, 3 éclat Levallois récurrent bipolaire
MB/CNRS
Outillage
420La proportion d’outils retouchés est de 5 %. La variété des types d’outils dans la série C est encore plus réduite que dans la série A : cela est probablement lié à l’importance moindre de l’échantillon. Hormis quelques différences purement quantitatives, l’outillage de la série C est tout à fait proche de celui de la série A (tabl. xxx). Les deux principaux groupes d’outils de la série C sont également les racloirs‑rabots, ainsi que les pièces à troncature inverse et enlèvements dorsaux postérieurs, dont les bords ont été souvent retouchés en racloirs. On retrouve par ailleurs une même dichotomie au niveau de leurs supports : les racloirs‑rabots étant exclusivement réalisés aux dépens de sous‑produits de la chaîne opératoire Levallois, tandis que les supports des pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs sont fréquemment des éclats Levallois.

TABL. XXX – Le Pucheuil, série C (zones 24, 25, 26) : décompte des outils en fonction des types de supports.

FIG. 78 – Le Pucheuil, série C : outils. 1, 2 racloir-rabot, a racloir à retouches écailleuses régulières, 4 racloir à retouches localisées de délinéation concave, 5-8 pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs.
MB/CNRS
421Les racloirs‑rabots ont pour supports des pièces épaisses et souvent fragmentaires (fig. 78, nos 1, 2). Les retouches, d’étendue variable, ont été réalisées par séries successives ; les retouches de la dernière série sont couramment rebroussées. Les caractères morphofonctionnels des bords retouchés sont semblables à ceux des racloirs‑rabots de la série A (cf. supra).
422Les racloirs, bien représentés dans cette série, ont été confectionnés au moyen de retouches écailleuses dégageant des tranchants aux caractères variables. On distingue ainsi 5 sortes de racloirs : des racloirs à retouches très localisées (fig. 78, no 4), courtes et de délinéation concave (n = 4), des racloirs à retouches courtes et abruptes (n = 3), des racloirs à retouches épaisses et irrégulières (n = 2), un racloir à retouches épaisses et régulières (fig. 78, no 3), et enfin des racloirs à retouches fines et courtes (n = 2). Ce sont dans tous les cas des racloirs simples.
423Les pièces à troncature inverse et enlèvements postérieurs (fig. 78, nos 5‑8) relèvent du même procédé technique que celui mis en évidence dans la série A (cf. supra). Pour quelques pièces, des enlèvements de burin, dans tous les cas fortement rebroussés, sont juxtaposés aux enlèvements réalisés sur la face supérieure des pièces, à partir de la troncature inverse. Dans la plupart des cas, l’un des bords adjacents à l’aménagement par troncature et enlèvements postérieurs a été transformé par des retouches. Celles‑ci sont soit très régulières, soit irrégulières et denticulées. Lorsque la chronologie des opérations est déterminable, la retouche est toujours antérieure à l’aménagement. Et sc pose parfois la question de savoir si ces « retouches » ne correspondent pas plutôt à de petits enlèvements destinés à contrôler le détachement des enlèvements sur la face supérieure des pièces. Les cas litigieux sont toutefois peu nombreux.
424Les deux pièces bifaciales présentes dans la série répondent à une même conception piano‑convexe du biface. Elles ont toutes deux été sommairement façonnées : leur morphologie est très irrégulière, la délinéation de leurs bords est nettement sinueuse et leur section transversale dissymétrique. Le travail de façonnage a conduit au dégagement d’une extrémité pointue, opposée à une base assez épaisse, dont l’aménagement est très réduit.
2.4.4 Bilan
425La série A et la série C relèvent indéniablement d’une même structure technique : celle‑ci repose sur une unique chaîne opératoire de production Ethique, fondée sur le débitage Levallois récurrent unipolaire. Cette chaîne opératoire, effectuée pour l’essentiel sur place, se caractérise par une conception très particulière de la production Ethique, fondée sur l’obtention directe d’éclats qui paraissent constituer des outils potentiels à l’état brut. La finalité de la production consisterait donc en l’obtention d’éclats Levallois qui posséderaient d’emblée les caractères morphofonctionnels requis pour être exploitables sans transformation par la retouche. Mise en évidence à partir de l’échantillon plus large de la série A, cette conception s’applique également à la série C. L’idée d’une production d’un outillage brut, n’est pas réellement novatrice, bien qu’elle n’ait jamais été explicitement développée. Les différents produits Levallois, définis sur des critères typologiques par F. Bordes, ont été intégrés à la liste‑type des outils du Paléolithique inférieur et moyen (Bordes 1950) et sont donc implicitement mis au rang d’outils. Il serait toutefois abusif d’assimiler les éclats Levallois à des outils bruts dans toute série régie par la production Levallois. La comparaison de l’industrie de la série A du Pucheuil et de l’industrie de la couche 51 de l’abri Suard (Delagnes 1991 ; 1992) a permis de mettre en évidence que selon les séries, l’éclat Levallois pouvait répondre à des finalités radicalement distinctes. Conçu dans la première série comme un outil, il aurait dans la seconde le rôle de support d’outil. Ces conceptions conditionnent tout le déroulement de la chaîne opératoire de production lithique dans les assemblages considérés et infèrent directement sur les options techniques mises en évidence.
426Les modalités de débitage caractérisant les séries A et C du Pucheuil présentent des affinités directes avec celles du niveau IIa de Biache‑Saint‑Vaast dans le Pas‑de‑Calais (Boëda 1986a ; 1986b ; 1988a), dont le matériel a servi à la définition de la méthode Levallois récurrente unipolaire et de la méthode Levallois récurrente bipolaire. Au Pucheuil, l’analyse diacritique des produits correspondants révèle que les deux modalités d’exploitation des nucléus (unipolaire et bipolaire) procèdent de variantes au sein de la méthode Levallois récurrente unipolaire, et non de deux méthodes de débitage distinctes. Les principaux points communs entre les deux assemblages, outre la méthode de débitage, reposent sur le principe d’une succession de plusieurs séries récurrentes d’enlèvements, entrecoupées par des phases de réaménagement de la surface de débitage, qui sont dans les deux séries l’objet d’un travail important. Les supports des nucléus sont, dans les deux assemblages, des rognons de silex et occasionnellement des éclats de gel. Ces séries sont toutes deux corrélées au Saalien : le niveau IIa de Biache‑Saint‑Vaast est raccordé au stade isotopique 7 (Sommé et al. 1988), alors que la série C (et par extension la série A) du Pucheuil est corrélée à la fin du stade isotopique 8 ou au début du stade 7. L’industrie des séries A et C du Pucheuil appartient donc au même complexe chrono‑culturel que l’assemblage du niveau IIa de Biache‑Saint‑Vaast : celui du Paléolithique moyen ancien (Tuffreau 1979a ; 1979b ; 1982), caractérisé dans le nord de la France par des formes de débitage très élaborées, fondées essentiellement sur la méthode Levallois récurrente unipolaire et par de faibles taux d’outils retouchés.
427En revanche, contrairement à l’outillage du niveau IIa de Biache‑Saint‑Vaast, qui s’insère aisément dans le cadre typologique du Paléolithique moyen d’Europe de l’Ouest (il se rattache au Moustérien de type Ferrassie), les séries A et C du Pucheuil s’avèrent totalement atypiques sur le plan typologique. Les principales catégories d’outils présentes dans ces séries correspondent à des pièces que l’on rencontre très rarement dans les industries du Paléolithique moyen, tout au moins en tant que catégories d’outils dominantes. La présence de quelques rares pièces bifaciales, sommairement façonnées, n’apporte aucun élément qui puisse éclaircir le problème. Le cadre typologique défini dans le sud‑ouest de la France à partir d’industries du Paléolithique moyen récent, paraît en fait bien souvent inadapté au contexte du Paléolithique moyen ancien, et surtout à ces industries du nord de la France, caractérisées par de très faibles proportions d’outils retouchés. Celles‑ci avaient autrefois servi à la définition d’une des cultures du Paléolithique ancien : le Levalloisien (Breuil 1932 ; Breuil, Kelley 1954). Ce terme fut repris par F. Bordes pour désigner, au sein du complexe des industries moustéricnnes à débitage Levallois, les industries à indice typologique Levallois élevé, traduisant la prédominance des éclats Levallois bruts au sein de l’outillage (Bordes, Bourgon 1951 ; Bordes 1953). Il est encore utilisé dans ce sens à l’heure actuelle, car il met en évidence une dichotomie que la réalité archéologique rend toujours opérante. La notion de Levalloisien, tout en s’avérant parfaitement adaptée aux séries A et C du Pucheuil, ne permet toutefois pas de rendre compte de la spécificité de l’outillage de ces séries.
2.5 Synthèse
2.5.1 Étapes de formation, de comblement et d’occupation de la doline : schéma interprétatif
428Le caractère particulier du site du Pucheuil réside dans la conservation d’importantes séries lithiques corrélées à deux épisodes du Saalien, piégées pour partie dans une dépression karstique ou bien remaniées dans les limons bruns feuilletés du Weichsélien ancien, à l’extérieur de cette dépression.
429La formation d’une doline, en position de sommet topographique, est une situation assez rare (mais toutefois pas exceptionnelle : cf. Gouédo et al. 1994), puisque la création d’une dépression karstique nécessite une topographie qui favorise le captage des eaux. L’activité karstique dans cette zone remonte à une période très ancienne : une première dépression, distante d’une dizaine de mètres de la doline qui a conservé les vestiges archéologiques, s’était constituée au moins 100 000 ans plus tôt. Elle se serait formée pendant, ou juste après l’avant‑dernier interglaciairc saalien (vers 300 000 BP), alors que la seconde dépression n’a commencé son activité qu’après le dernier interglaciaire saalien (vers 200 000 BP).
430La géométrie particulière des dépôts de la seconde doline, résultant de différentes phases successives de soutirage et de comblement de la dépression, permet de proposer un schéma interprétatif resituant les périodes d’occupation humaine dans la chronologie de la dynamique des dépôts.
431La distinction de trois types de géométrie des dépôts a guidé le raisonnement (fig. 79) :
– un dépôt à épaisseur constante d’un bord à l’autre de la dépression (ex : couche 7), caractéristique d’une formation initiale en contexte de plateau, avec une déformation souple d’ampleur limitée (d’où une faible érosion) ;
– un dépôt, dont le profil résulte d’une phase de comblement d’une dépression suivie d’un nouveau soutirage (ex : couche 6E) ;
– un dépôt, dont le profil est caractéristique d’une phase de colmatage à une période d’arrêt définitif d’activité de la doline (ex : couche 5).
432Au sein de la seconde dépression, qui comporte les industries lithiques, cinq grandes étapes ont ainsi pu être mises en évidence (fig. 79).

FIG. 79 – Étapes de formation, d’affaissement et de comblement de la doline : schéma Interprétatif. 1 mise en place du paléosol Elbeuf 2, 2 début du soutirage karstique et mise en place du sol noir, 3 activité karstique principale et colmatage par démantèlement des paléosols (couche GE), 4 diminution de l’activité karstique, 5 arrêt de l’activité karstique, colmatage de la doline et mise en place du paléosol éémien.
AD/AFAN ; CNRS ; AR/AFAN ; CB/Culture
1. Dépôt en contexte de plateau
433Le paléosol Elbeuf II est caractérisé dans la doline par une épaisseur constante qui indique la formation de ce paléosol sur une surface relativement plane. Il a été ultérieurement tronqué par des processus d’érosion glaciaire (troncature de l’horizon A humifère), comme l’ont été tous les paléosols en période froide. La présence d’une légère dépression à ce moment a toutefois été nécessaire pour qu’un soutirage karstique ait pu s’amorcer ; ce phénomène a pu être favorisé par la présence proche de la première doline qui, bien que comblée, avait peut‑être laissé dans le paysage un modelé légèrement en creux. Les auteurs des séries A et C se seraient donc installés sur une zone de plateau.
2. Début du soutirage karstique
434Un début de soutirage karstique est attesté par le fait que la partie inférieure du paléosol Elbeuf II a été préservée de l’érosion, certainement grâce à sa position protégée au sein d’une doline en formation. De plus, le sol noir (6H) qui s’est développé au‑dessus de ce paléosol est lui‑même partiellement conservé. Or, il n’est possible d’observer que très rarement, dans le pays de Caux, ce sol noir de début de période glaciaire. Cela indique que cette formation pédologique fragile, particulièrement exposée aux érosions en contexte de plateau, a été protégée grâce aux mêmes conditions. Au moment du dépôt du sol noir (6H), la pente était nécessairement faible puisqu’un lambeau de ce sol, conservé en bordure du puits, suit une faible inclinaison. La mise en place de ce processus a été lente. Ainsi, il est possible d’affirmer que l’érosion de l’horizon A du paléosol Elbeuf II est bien antérieure à la formation du sol noir : elle ne peut en effet lui être consécutive étant donné que la structure de ce sol n’est pas polygénique. Tous ces indices accréditent fortement l’idée de la formation lente, en souplesse, d’une légère dépression à partir de la fin du dernier interglaciaire saalien. Un premier soutirage karstique léger se serait donc effectué après le développement du paléosol Elbeuf II et avant le développement du sol noir (200 000 BP). Les auteurs de la série B se sont très certainement installés sur le sol noir (couche 6H), démantelé lors du processus de mise en place de la couche 6E. À ce moment, la doline était déjà en cours de formation, et devait imprimer dans le paysage un modelé en cuvette. Les hommes de la série B se sont donc installés sur le versant légèrement incliné d’une faible dépression qui a pu constituer pour eux un abri naturel, lors d’une période de péjoration climatique (début glaciaire). La présence exclusive de cette série à l’intérieur de la doline n’implique pas nécessairement que l’implantation humaine se soit limitée à ce secteur dans la mesure où les couches 6H et 6E ne sont pas conservées à l’extérieur du piège karstique.
3. Alternance d’affaissements et colmatages de grande ampleur : activité karstique maximale
435Le soutirage a dû se poursuivre et s’amplifier après la formation du sol noir. Le sédiment de la couche 6E, qui est issu du démantèlement du sol noir, est en effet venu combler la dépression avant de subir lui‑même une forte aspiration vers la base de la dépression. Des phases d’affaissement et de colmatage de la doline vont se succéder pendant toute cette période du début glaciaire (couche 6) ; les soutirages faisant suite à l’épisode d’affaissement marqué subi par la couche 6E, ont une ampleur de moins en moins prononcée.
4. Diminution de l’activité karstique
436Le profil de la couche 6B (limon gris feuilleté) dévoile un soutirage plus faible qui s’inscrit dans une phase de diminution de l’activité karstique.
5. Arrêt de l’activité karstique et colmatage de la doline
437Ce n’est qu’au cours de la formation de la couche 5 que la doline se stabilise définitivement. En témoigne le profil de cette couche. Les derniers lœss saalièns (couches 3 et 4, déposées en pleine période glaciaire) colmatent la dépression. Le paléosol Éémien (couche 2B) se formera à son tour en contexte de plateau.
438À l’extérieur de la doline, les dépôts superficiels ont connu une évolution morpho‑dynamique différente de celle observée à l’intérieur de la dépression. Les séquences saaliennes en sont totalement absentes et seuls sont conservés les limons du Weichsélien ancien, eux‑mêmes érodés au niveau de la doline. La série A est exclusivement conservée à l’extérieur de la doline dans ces limons du Weichsélien ancien. Elle ne constituerait avec la série C, conservée à l’intérieur de la doline (couche 7 : dernier interglaciaire saalien), qu’une seule entité archéologique, dont une partie (série A) aurait subi plusieurs démantèlements successifs hors de la dépression (cf. supra § 2.1).
2.5.2 La question de l’implantation humaine
439La position quasi exclusive en contexte de sommet topographique des gisements du Paléolithique ancien et moyen en pays de Caux soulève la question du choix de l’implantation humaine. Cette position résulte‑t‑elle d’un réel choix de la part des hommes préhistoriques ou n’est‑elle qu’une conséquence de la conservation différentielle des dépôts archéologiques en sommet et en bas de versant ? Au Pucheuil, si un choix est intervenu, il a pu être motivé à priori par :
– la présence de matière première au niveau même de la doline ou sur les versants proches du site dans les formations résiduelles à silex ;
– la position en sommet topographique a pu aussi être un facteur déterminant.
440De plus, pour les hommes de la série B, la dépression karstique a peut‑être constitué une protection naturelle. Contrairement à la série C qui s’est déposée en contexte de plateau, la série B s’est en effet mise en place à une période où la doline était en formation.
441Si ces éléments ont effectivement pu constituer des critères de choix, les données géomorphologiques ne permettent pas d’exclure l’hypothèse d’une conservation différentielle des ensembles archéologiques en fonction de leur situation topographique. Ainsi au Pucheuil, la zone d’extension des silex taillés extérieure à la doline coïncide avec l’aire de conservation des limons du Weichsélien ancien, ce qui implique que hors de cette zone, si des ensembles Ethiques étaient inclus dans ces formations, ils auraient de toute façon subi les mêmes phénomènes d’érosion. Cette situation pourrait s’appliquer à l’ensemble du pays de Caux. L’absence ou la quasi‑absence de gisements paléolithiques en dehors des zones de plateau semble s’expliquer, au moins en partie, par une morphogenèse particulière :
– une plus faible énergie des phénomènes d’érosion sur les points hauts, entraînant une meilleure conservation des limons quaternaires sur les plateaux ;
– une érosion répétée des versants, provoquant l’ablation d’ 1 à 2 m de substrat à chaque période froide ;
– la disparition presque complète des limons anciens le long du réseau hydrographique secondaire.
2.5.3 Évolution des ensembles lithiques
442Les deux niveaux d’occupation individualisés au Pucheuil s’insèrent dans le cadre chronologique du Paléolithique moyen ancien. Ils fournissent ainsi l’opportunité d’aborder une période de la Préhistoire qui était jusqu’alors très peu documentée en Haute‑Normandie. Et seuls quelques rares sites en France offrent à ce jour la possibilité d’une approche diachronique de cette période au sein d’un même gisement ; les sites de Biache‑Saint‑Vaast dans le Pas‑de‑Calais (Tuffreau, Sommé 1988), d’Orgnac 3 en Ardèche (Moncel 1989), de la grotte Vaufrey en Dordogne (Geneste 1985 ; Rigaud 1988) et de la Chaise‑de‑Vouthon en Charente (Debénath 1974 ; Delagnes 1992) font partie de ces gisements. Les deux occupations humaines attestées au Pucheuil présentent en outre des caractères très contrastés et sont manifestement le fait de groupes humains aux traditions techniques différentes.
443La plus ancienne de ces occupations (séries A et C) a livré un ensemble lithique abondant (plus de 9 000 pièces recueillies), témoignant d’activités de taille assez intenses ou durables, et réparti sur une superficie assez vaste (de l’ordre de 2 ha). La série B, la plus récente, témoigne d’activités de taille moins intenses ou durables (l’échantillon récolté est d’environ 4 000 pièces) et d’une emprise spatiale plus restreinte (de l’ordre d’une centaine de m2 à l’intérieur de la doline), dans un contexte topographique qui a subi des modifications notables par rapport à la période d’occupation précédente (cf. supra).
444Les deux occupations humaines sont caractérisées par des moyens et des savoirs techniques différents, bien qu’elles procèdent d’un même système de production : le débitage Levallois, qui s’avère être le système de production le plus largement répandu dans les industries du Paléolithique moyen de la moitié nord de la France. Dans les séries A et C, le débitage Levallois conduit à l’obtention d’éclats de grandes dimensions, quadrangulaires, aux caractères morphotechniques assez constants, produits au moyen de la méthode Levallois récurrente unipolaire. Dans la série B, le débitage Levallois (à enlèvements unipolaires convergents) présente la particularité d’associer sur les mêmes supports un mode de production préférentiel (un unique éclat prédéterminé produit aux dépens de la surface de débitage) à un mode de production récurrent (plusieurs éclats Levallois successifs produits sur la surface de débitage du nucléus lors d’une même phase de production). Le premier mode d’exploitation des nucléus mène à la production de pointes Levallois, tandis que le second mode aboutit à l’obtention d’éclats Levallois récurrents unipolaires convergents, dont les caractères morphotechniques sont distincts de ceux des pointes Levallois et nettement plus variables. Un autre trait distinctif de cette série B, par rapport aux séries A et C, réside dans le fait que la production Levallois n’y est pas exclusive.
445Il n’est pas possible de préciser si les séries A et C résultent d’une ou plusieurs occupations humaines. En raison de son homogénéité technique (une seule chaîne opératoire de débitage), il est toutefois manifeste que la totalité de l’ensemble lithique s’inscrit dans une unique tradition technique. La série B atteste une plus grande diversité des moyens techniques mis au service de la production lithique. Cette diversité répond en large partie à des objectifs techniques distincts, s’inscrivant dans une structure complexe et ramifiée de la production. Celle‑ci est fondée sur une chaîne opératoire principale (débitage Levallois à enlèvements unipolaires convergents), dont dépendent plusieurs chaînes opératoires secondaires (principalement : débitage d’éclats de type Le Pucheuil et débitage d’éclats laminaires). Ces chaînes opératoires s’insèrent dans une même structure technique et ont été très certainement réalisées par un même groupe humain. En revanche, une quatrième chaîne opératoire de débitage (Levallois récurrente centripète), fondée sur l’exploitation d’un unique rognon, s’avère totalement extérieure à cette structure technique. Elle pourrait indiquer l’intervention ponctuelle d’un groupe ou d’un individu n’appartenant pas au groupe auteur du reste de l’assemblage (cf. § 2.3).
446La nature des activités liées à la taille du silex peut être évaluée pour les deux occupations grâce à l’uniformité technique des séries A et C et grâce aux données résultant de l’analyse des nombreux remontages effectués dans la série B. Au cours des deux occupations, la nature des activités de taille a été globalement semblable. Dans les séries A et C, les déchets de débitage sont représentés dans des proportions suggérant que l’ensemble des phases d’initialisation des nucléus et de production ont été effectuées sur place. Les produits Levallois, abondants dans ces séries, semblent avoir été, au moins en partie, l’objet d’une utilisation sur place. Pour la série B, il ressort de l’analyse technologique et spatiale des remontages rapportés au principal groupe de tailleurs, que l’ensemble du processus opératoire, depuis l’initialisation des nucléus jusqu’à leur abandon, a été mené sur place, à l’exclusion de la phase de mise en forme initiale des rognons, effectuée ailleurs (probablement sur le lieu d’acquisition de la matière première). De plus, il semble qu’une large partie de la production ait été exploitée sur place, à l’emplacement ou à proximité immédiate des aires de débitage. Cette configuration spatiale et économique du débitage indique que la zone d’implantation humaine a été le lieu d’activités mixtes de production et d’exploitation de la production.
447Au cours des deux occupations, ces activités ont également reposé sur une très faible modification des produits au moyen de retouches. L’outillage retouché ne peut donc donner lieu en aucun cas à une diagnose typologique. Le cadre typologique habituellement utilisé pour la caractérisation des industries du Paléolithique inférieur et moyen (Bordes 1950) ne s’avère en outre pas approprié à un tel contexte. En plus de leurs proportions tout à fait minimes, les outils retouchés correspondent dans les séries A et C à des catégories de pièces assez rares dans le contexte du Paléolithique d’Europe de l’Ouest, et ne figurant pas dans les listes typologiques établies, tandis que les outils retouchés de la série B sont très hétérogènes et constituent manifestement des formes expédientes d’outils. Dans les deux ensembles lithiques, cette très faible représentation de l’outillage retouché, alliée à la nette normalisation de la production, pourrait résulter d’une même conception de la production. Les séries A et C ont servi de fondement pour la mise en évidence de cette conception (Delagnes 1991 ; 1992). Les options techniques intervenant dans l’aménagement et dans l’exploitation des nucléus paraissent avoir été guidées par un souci d’homogénéisation de la production. Et les produits Levallois semblent être conçus dans ce système comme des outils potentiels, directement conformes aux critères morphofonctionnels requis pour leur utilisation et ne nécessitant donc pas de modifications au moyen de retouches. L’outil, dans le sens fonctionnel du terme, serait donc dans ce cas un produit brut. Dans la série B, la précision des objectifs techniques de la production et la spécificité morphotechnique des types de produits obtenus procèdent certainement d’une conception analogue de la production.
2.5.2 Conclusion
448Les deux occupations humaines du Pucheuil sont corrélées à la période saalienne :
– l’une (séries A et C), en contexte de plateau, est antérieure à la mise en place de la dépression et contemporaine ou légèrement antérieure à la dernière période interglaciaire saalienne (environ 250 000 BP) ;
– l’autre (série B), implantée à la suite d’une première phase de formation de la doline, est datée du tout début de la dernière glaciation saalienne (vers 200 000‑180 000 BP).
449En dépit de moyens techniques différents, liés certainement à des traditions techniques distinctes, ces deux occupations humaines ont reposé sur des activités de même nature en matière de taille de silex, fondées sur une même conception globale de la production lithique.
450La place de ce gisement à la fois dans le contexte régional et dans le cadre chronologique du Paléolithique moyen ancien, sera discutée dans la conclusion du volume (cf. infra chap. 4).
Auteurs
Archéologue, AFAN
Conservateur du patrimoine, SRA Haute‑Normandie
Archéologue, spécialiste des ensembles lithiques, AFAN ; CNRS, Meudon
Géomorphologue, centre de Géomorphologie, Caen
Directeur de recherche CNRS, centre de Géomorphologie, Caen
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