Ateliers de potiers médiévaux en Bretagne
|Partie 3. Les données de laboratoire
Chapitre 2. Caractérisation pétrographique des céramiques bretonnes
Résumé
Les poteries grossières, à abondantes inclusions dérivées des roches du socle armoricain, sont un objet de choix pour l’analyse pétrographique. Les lames minces, complétées par d’autres méthodes selon les cas, sont très informatives. La poterie de Landéan (Ille‑et‑Vilaine) est prise comme exemple de poterie confectionnée avec une argile sédimentaire, mais ainsi dégraissée. Le groupe de poteries faites avec des argiles plio‑pléistocènes à spiculés d’éponges siliceuses, d’aspect très caractéristique, montre tout autour du massif Armoricain des variations dans les ajouts, illustrées par les ateliers de St‑Jean‑la‑Poterie et de Malansac (Morbihan), ou des exemples plus limités à Corseul (Côtes‑d’Armor) et Landerneau (Finistère). Les ateliers de Chartres‑de‑Bretagne, pauvres en spicules car utilisant des argiles pliocènes et des argiles d’altération, livrent plutôt des grains roulés alluvionnaires. Les poteries confectionnées avec des argiles d’altération du socle cristallin, dégraissées avec des roches acides, sont d’autant mieux identifiables qu’on y trouve des fragments de roche et non pas seulement des grains minéraux isolés. Quelques ateliers carolingiens ont été pris comme exemples. Les poteries dérivant des matériaux de roches cristallines basiques (argiles et inclusions) offrent les plus belles possibilités de caractérisation, comme le montrent les ateliers gravitant autour de La Poterie Lamballe et de Pabu‑Guingamp (Côtes‑d’Armor).
Texte intégral
2.1 Introduction
1Les poteries médiévales de Bretagne sont donc « grossières », avec une forte proportion de dégraissant naturel ou ajouté reflétant le socle armoricain. Il faut réhabiliter les poteries communes de ce genre car elles offrent des possibilités d’études remarquables. En effet, de telles fabrications se prêtent particulièrement bien aux investigations entreprises du point de vue du géologue de terrain comme du pétrographe de laboratoire, quant à leur caractérisation permettant d’en reconnaître la diffusion, quant à la localisation des origines éventuelles ou les plus probables de leurs matières premières et de leur lieu de fabrication, enfin pour certaines quant à leur technologie de fabrication et à leur destination d’utilisation normale. Accessoirement, si nécessaire, le pétrographe peut compléter son information par le recours judicieux à des moyens géochimiques, soit ponctuels (sur des minéraux caractéristiques du dégraissant ou de la matrice), soit globaux (analyses surtout justifiées si la somme Si 02 + Al203 atteint ou dépasse 80 %).
2Les prospections de surface comme les fouilles donnent beaucoup de tessons disparates et non raccordables, de morphologie et de typologie peu caractéristiques, ou des tessons redondants. La meilleure information qu’on peut en tirer est celle concernant la matière dont ils sont faits. Mais il ne faut pas se contenter, comme c’est trop souvent le cas, de faire tailler une lame mince unique de minuscule surface utile dans un tout petit fragment. Il faut les multiplier pour avoir plus de chance de tomber sur des minéraux, des fossiles ou des fragments de roches plus éloquents. Enfin, ce n’est pas seulement un travail de laboratoire poursuivi à distance, il est nécessaire d’être intégré aux équipes de géologues travaillant dans la région et ne pas hésiter à faire soi‑même sur le terrain toutes les recherches nécessaires pour compléter la documentation existante, ce qui peut réserver bien des surprises, tant sur le socle, les altérations, les argiles et les autres formations de couverture.
3Limiter les investigations aux frontières de la moderne région administrative de Bretagne aurait été un non‑sens géologique autant qu’archéologique, le plus vaste Massif armoricain s’étendant bien au‑delà. Même le cadre de l’ancienne province serait insuffisant. Il ne faut donc pas perdre de vue ce qui existe au‑delà des frontières.
4Les données historiques, du bas Moyen Âge et plus récentes, les « statistiques » du xixe s. et les enquêtes plus ethnographiques du xxe s., les indications toponymiques font connaître un certain nombre de centres potiers, plus ou moins importants, pérennes ou de courte durée. Mais dans le cas de la poterie « onctueuse », évoqué plus haut, en dehors du toponyme de Bodérès‑La Poterie, il n’est resté aucune évidence documentaire de ce genre, malgré l’importance et la grande diffusion des fabrications bigoudènes. C’est un avertissement. On peut s’attendre à ce qu’à chaque petite communauté urbaine ait pu correspondre un centre diffus de fabrication (comme Chartres‑de‑Bretagne pour Rennes, Landéan pour Fougères, La Poterie pour Lamballe, Pabu‑la‑Poterie pour Guingamp, etc.). La distribution cartographique des indices connus de tous ordres montre des zones de lacunes, et l’on est étonné de voir des localités qui furent importantes sans potiers voisins ou proches. Au xixe s., il est vrai, on voit les efforts de diffusion sur les marchés à assez grande distance faits par les communautés entreprenantes de Pabu‑Guingamp, La Poterie Lamballe, Malansac et St‑Jean‑la‑Poterie, Herbignac également. Ces potiers venaient en particulier sur les marchés des localités du centre de la Bretagne sans fabrications locales et se concurrençaient parfois. Pourtant ces régions sans fabrication connue n’étaient pas sans ressources en argiles ou en bois de chauffe.
5En contrepartie, l’étude pétroarchéologique d’échantillons de céramiques médiévales provenant de sites fouillés ou prospectés montre toujours dans une population représentative de tessons, des ensembles parfois substantiels, parfois mineurs, appartenant certainement à des fabrications de poteries communes d’origine armoricaine assez proche, ne correspondant à aucune déjà identifiée. Il a donc existé, tout naturellement, des centres potiers au moins occasionnels non encore localisés. Selon les cas, la nature de leurs dégraissants indique plus ou moins de possibilités vraisemblables.
6Au sujet des dégraissants, en dehors des inclusions naturelles dans les argiles, telles qu’elles se présentent, il se pose le problème des ajouts volontaires, soit à l’état de sables, à l’état d’arènes d’altération, ou de roches broyées ou étonnées. Dans tous les cas, il peut y avoir eu tri ou tamisage. L’exemple des fragments de roches relativement saines et broyées est particulièrement intéressant car il facilite les identifications ; souvent l’écrasement a eu lieu après étonnement, c’est‑à‑dire après un choc thermique, comme celui des pierres portées au rouge et brusquement refroidies. Les grains de quartz en sont tout craquelés d’une manière caractéristique. Il est rare que l’utilisation normale des ustensiles culinaires ait pu provoquer de tels chocs.
7On n’a jamais observé de charbon de bois provenant d’inclusions végétales dans ces poteries médiévales (alors que l’on a vu parfois cela dans des vases protohistoriques). Par contre, toute une partie des vides peuvent provenir de telles inclusions, et il arrive qu’on distingue des empreintes végétales. Mais on peut dire que, dans notre région, on n’a jamais de la poterie volontairement dégraissée avec de l’herbe ou de la paille hâchée, voire avec de la bouse de vache.
2.2 Poteries faites avec des argiles sédimentaires des bassins cénozoïques
8Les argiles de ces petits bassins sont continentales, saumâtres ou marines ; elles peuvent être largement décarbonatées. Les marnes sont exceptionnelles ; les fossiles calcaires sont donc rarement conservés. Les argiles marines plio‑pléistocènes se caractérisent souvent par une plus ou moins grande richesse en spicules d’éponges siliceuses, qui peuvent être un élément diagnostique intéressant, car ces fossiles résistent beaucoup mieux aux hydrolyses. Les caractéristiques des minéraux et des fragments de roches présents comme inclusions fourniront un autre élément diagnostique, d’autant plus qu’il est rare que ces argiles soient utilisées sans ajout d’un dégraissant.
2.2.1 Poteries à œil‑de‑perdrix de Landéan (Ille‑et‑Vilaine)
9Les ateliers de Landéan ont exploité les argiles de la cuvette de Landéan et de Parigné, qui sont des argiles lacustres à influence saumâtre, datant de la transition de l’Eocène à l’Oligocène. C’est l’un des petits bassins tertiaires armoricains les plus étudiés par les géologues, mais sans analyses chimiques. Sur 40 m d’épaisseur, les argiles peuvent être noires, blanches, vertes, bleues ou grisâtres. À la base, remaniant des arènes granitiques, on a de la kaolinite ; vers le sommet, un mélange de smectites (montmorillonite et attapulgite, constituant une bentonite ou terre à foulon), avec de l’illite et de la kaolinite en proportions variables ; elles peuvent inclure localement des meulières. Les potiers médiévaux auront surtout profité des niveaux superficiels, souvent des marnes sablonneuses plus que des argiles vertes plus fines, d’où l’abondance des inclusions naturelles. Au contact de la falaise granitique qui entoure le gisement (surtout à l’ouest), les argiles sont recouvertes par des sables grossiers, peu émoussés et rubéfiés ; la partie supérieure de ces sables peut être silicifiée, donnant un grès jaunâtre.
10La cuvette est entourée de toutes parts par un granodiorite à biotite, clair, du type Louvigné‑du‑Désert ; le grain moyen est de l’ordre de 2 à 4 mm. Les deux tiers des feldspaths sont des plagioclases zonés andésite‑oligoclase basique, l’autre tiers des alcalins avec de l’albite et de la myrmékite. Mais la plus grande partie du massif de granité de Fougères, notamment au sud du gisement, est formée d’un granodiorite à biotite et cordiérite, gris, du type Vire. En dehors de la cordiérite qui s’altère facilement, il faut noter de la muscovite, les plagioclases étant plus acides, mais formant les trois quarts des feldspaths. On peut donc s’attendre à trouver principalement parmi le dégraissant des poteries de Landéan des grains de sables grossiers et rubéfiés, et les éléments les plus résistants de l’arène du granodiorite entourant la cuvette.
11L’examen au binoculaire d’environ 250 tessons des prospections de J. Coquet aux lieux‑dits La Petite Artoire (le premier atelier signalé en 1432 par les archives a été repéré par R. Vandenbrouque), La Grande Artoire, Le Rocher Balin, La Grande Motte, a montré très généralement que, parmi les grains du dégraissant qui font protrusion à travers l’engobe, on distingue une majorité de grains de quartz, dont quelques‑uns rubéfiés. Certains autres présentent une intrication quartz + feldspath. Il y a même parfois un petit fragment de granité, toujours des paillettes fines de muscovites (le plus résistant des micas), des grains de chamotte rouge et des grains variés.
12Rien que cette présence constante de grains à intrication quartz + feldspath peut servir de caractère distinctif macroscopique à ces productions, au moins aux environs. À Landéan, du fait de la proximité immédiate du granodiorite, donc d’un faible transport, la probabilité de survie du feldspath est plus forte que dans le cas des autres ateliers de poterie à œil‑de‑perdrix connus dans la région.
13L’examen de plaques minces au microscope polarisant le confirme pour l’atelier de La Petite Artoire. Dans une matrice à tendance orientée et assez riche en vides, on trouve des grains de dégraissant et des enclaves de dimensions très hétérogènes, les plus grands atteignant 2 à 3 mm. Les grains de quartz sont émoussés, mais peuvent être concassés ou éclatés ; ils sont souvent enduits d’une substance opaque qui s’est infiltrée dans leurs cassures, et bien que noire, celle‑ci en plaque mince doit être responsable de leur rubéfaction, modifiée par la cuisson. Ces grains de quartz sont associés à des plages de feldspaths altérés et on a des petits grains avec tous les composants du granodiorite. Les feldspaths sont le plus fréquemment trop altérés pour permettre la détermination optique, mais on observe parfois des grains de plagioclases moins abîmés par la séricitisation. On trouve des grains de chamotte rouge ou des grains arrondis de la substance opaque noire, des grains de microquartzite à ciment micacé, des paillettes de mica, mais généralement le mica noir est altéré. En bref, on retrouve essentiellement le reflet de l’environnement géologique de la cuvette de Landéan.
14Il y a donc un contraste très évident avec les inclusions observées dans les productions des ateliers de La Hardelière près de Laval (Mayenne), dont il faut les différencier. Ces derniers ateliers sont à environ 15 km du massif de granité situé au nord de Laval, et si quelques fragments granitiques sont possibles, ils sont très rares ; par contre, les inclusions reflètent davantage les formations gréso‑schisteuses d’âge carbonifère du bassin de Laval. Il ne serait pas impossible d’y retrouver des fragments des calcaires carbonifères, au moins dans des tessons peu cuits. Rappelons que D. Dufournier (1984) a publié des données chimiques sur les poteries à œil‑de‑perdrix, où celles de Landéan se caractériseraient par leur très faible teneur en K20 en regard des autres productions du Maine.
2.3 Poteries faites avec des argiles marines plio‑pléistocènes à spicules d’éponges siliceuses
15Les petits bassins d’argiles marines pliocènes qui ont pu être utilisés sont assez dispersés, comme on l’a vu, soit directement posés dans des creux du socle, soit attenant à un bassin cénozoïque à stratigraphie complexe, comme le bassin de Rennes. Les argiles marines pléistocènes se trouvent dans le remplissage d’anciens estuaires fluvio‑marins préfigurant la morphologie actuelle.
2.3.1 Les ateliers de Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine)
2.3.1.1 Le contexte géologique
16Les zones d’exploitation des argiles du fief de La Poterie, dépendant de la puissante seigneurie de Fontenay, devaient s’étaler sur une étendue topographiquement plane (altitudes maximum entre 37 et 42 m), en bordure sud‑est du bassin tertiaire de Rennes, entre La Croix (aux/du) Potier, La Poterie (devenu à partir de 1860 le nouveau centre de la commune Chartres‑de‑Bretagne) et les environs du château de Fontenay même, si l’on en juge par les traces plus ou moins oblitérées des excavations pour tirer l’argile, qu’il ne faut pas confondre avec celles d’anciennes carrières. Il convient d’utiliser avec une extrême prudence les tracés des éditions successives de la carte géologique au 1/80 000. Les niveaux argileux éocènes, oligocènes et miocènes, trop profonds n’étaient de toutes manières pas accessibles.
17À la surface des schistes briovériens du socle, il subsiste d’importantes reliques des altérations profondes de type latéritique de l’Éocène, donnant des argiles kaoliniques, et aussi les débris plus dispersés d’une croûte ferrugineuse sidérolithique (minerai de fer de Chartres‑de‑Bretagne ; poudingue ferrugineux dit « caillou de Rennes » utilisé pour les pavés). Il subsiste des placages non déplacés de ces altérites, sur le Briovérien, en dehors du bassin tertiaire, où ils sont retrouvés par sondage et carrières. C’est évidemment par lessivage de ces argiles d’altération que se sont constituées les formations argileuses continentales, sédimentées à plusieurs niveaux dans les creux du bassin tertiaire, qui s’est approfondi par subsidence tectonique.
18Sur la zone de terrasses à faibles vallonnements entre Vilaine et Seiche, il subsiste les restes de dépôts de sables marins pliocènes. Le Rédonien, défini par les épais dépôts de sables gris ou jaunes, encore calcaires et fossilifères près d’Apigné, où ils reposent sur un lit d’argiles noires, s’est retrouvé sous la forme de marnes grises fossilifères et de sables fossilifères au « chemin vert », au sud du bourg actuel de Chartres‑de‑Bretagne et au sud‑ouest du Vieux‑Bourg, où une carrière (voisine de l’actuelle station d’épuration) les a montrées avec la montmorillonite comme minéral principal. Par contre, les sables rouges qui étaient exploités au‑dessus de ce niveau, dans cette carrière, ont montré des poches ou lentilles interstratifiées, bigarrées, rouges, violettes ou bleues, d’argile formée par un mélange à kaolinite dominante sur de l’illite. Normalement, les grands dépôts d’argile sédimentaire marine du Pliocène sont à montmorillonite dominante. D’autre part, on n’avait pas signalé de spiculés d’éponges siliceuses dans ces argiles marines pliocènes du bassin de Rennes jusqu’ici, et il est vraisemblable qu’ils accompagnent plutôt les argiles à montmorillonite.
19Ces restes de dépôts de sables marins rouges sont très répandus en haute Bretagne ; des lambeaux non remaniés et souvent fort épais ont été piégés selon les hasards de la topographie et de l’érosion, jusqu’à des altitudes atteignant 100 m. Mais lorsqu’ils sont réduits à l’état de placages résiduels, ils ont été remaniés et altérés et se confondent avec les alluvions anciennes pléistocènes. On y rencontre des graviers, des concrétions gréseuses ferrugineuses ou « roussards ». Des lentilles d’argile grise attribuées à ces formations pliocènes ont été reconnues par sondages et travaux dans le secteur des usines Citroën. Les auteurs de la première édition de la carte géologique (en particulier le géologue rennais P. Lebesconte) admettaient que c’étaient ces lentilles d’argile grise ou blanchâtre pliocène qui étaient exploitées par les potiers ; mais à leur époque on ne connaissait pas les argiles d’altération du socle.
20Il est à noter que le transfert du centre communal et paroissial à La Poterie, désormais appelé Chartres, peut induire des confusions de localisations avec l’ancien Chartres devenu le Vieux‑Bourg. En 1882, A. Orain précise : « une argile colorée, mêlée de terre siliceuse et de fer, alimente quelques fours à poterie », tandis que la première édition de la carte géologique (levée en 1891 et 1893) se borne à l’article pb de la légende, à savoir : « lentilles d’argile grise, interstratifiées, exploitées par les potiers [La Poterie, L’Hermitage] » (L’Hermitage est en Cesson‑Sévigné). Ce sont les seules descriptions que l’on possède des argiles utilisées par les potiers du siècle dernier à Chartres‑de‑Bretagne et elles font pressentir deux faciès. Toute activité potière a cessé en 1921.
21En conclusion, les potiers de Chartres‑de‑Bretagne ont pu, sous la couverture superficielle des sables et cailloutis, dont l’épaisseur usuelle paraît atteindre 1 à 2 m, et qui ont pu fournir les matériaux de leur dégraissant, trouver selon les points d’exploitation et la profondeur, soit des argiles d’altération, soit moins vraisemblablement des argiles éocènes dérivant par sédimentation lacustre de ces dernières, soit des lentilles d’argile marine pliocène sous deux faciès différents.
22Une bonne part des poteries communes gallo‑romaines de Rennes et de la région est constituée d’une argile à spicules d’éponges siliceuses. Il est peu probable qu’il en vienne beaucoup de centres potiers lointains, et on doit en conclure qu’à l’époque gallo‑romaine on exploitait pour la céramique les argiles marines pliocènes du bassin de Rennes, à Chartres ou dans les localités voisines, comme à Bruz, voire au Rheu (Apigné).
2.3.1.2 Examen des argiles
23Il nous a été fourni par F. Fichet de Clairfontaine un échantillon d’une poche d’argile de la structure 15 de l’atelier I de Fontenay (Fichet de Clairfontaine, Beuchet cf. part. 2, chap. 4 supra). Il s’agit d’un matériau assez peu homogène, à la fois sableux et contenant beaucoup de grains de sable arrondis, et d’une argile un peu bariolée, gris et ocre, ces dernières teintes se propageant le long des fissures de dessiccation. Après élimination des grains de quartz les plus considérables, un diffractogramme de rayons X montre, outre le quartz, des grains plus fins, de la kaolinite dominante, de l’illite et du mica (on reconnaît sous le binoculaire quelques paillettes de mica) avec relativement peu de résidus de feldspaths potassiques. Ceci correspond bien à la description des poches d’argile interstratifiées dans les sables rouges (en fait, ils peuvent être jaunes) pliocènes. Après un triage, élimination des grains de quartz les plus importants, et préparation, ce matériau a très bien pu servir à la fabrication des poteries du xiie s., qui sont assez colorées et un peu plus riches en oxydes.
24Il nous a été également fourni un échantillon venant de la structure 14 (dépotoir), qui se présente sous une forme très hétérogène, un mélange de masses d’argile grise, bleue par places, plus pure que la précédente, avec un broyat de petits fragments de terre cuite rouge, autrement dit de chamotte ; mais celle‑ci y est plus abondante que dans la poterie elle‑même. Un diffractogramme de rayons X a donné une composition somme toute très comparable (un peu plus de feldspaths non altérés, mais aussi davantage de quartz en fraction fine).
25Nous avions antérieurement obtenu un échantillon d’une argile blanche beaucoup plus pure, provenant de la rue Duhamel (AH 7), assez près d’autres fours de potiers d’époques moderne et contemporaine. C’est le type d’argile qui a pu servir à faire les poteries du xive s., par exemple, qui sont plus fines. Un diffractogramme de rayons X a montré une composition similaire avec kaolinite très dominante et illite subordonnée ; à côté du quartz, il y a aussi des restes de feldspaths potassiques, mais on note un peu de calcite. Il s’agit donc bien d’une argile sédimentaire, non complètement décalcifiée. Par contre, un échantillon du remblaiement d’une ancienne fosse d’extraction du Vieux Bourg n’est pas de l’argile, mais simplement un limon des plateaux, où domine le quartz en particules très fines, avec très peu d’argile les liant ; c’est le genre des matériaux des maisons en torchis de la région.
26On notera qu’il n’a pas été recueilli d’échantillon d’argile marine à spicules d’éponges siliceuses, sans doute à montmorillonite, et correspondant probablement à celle connue autrefois sur le site du Chemin Vert.
27On n’a malheureusement jamais eu d’échantillons de l’argile utilisée par les potiers médiévaux du site du Fénicat en Bruz (à 2,5 km au sud‑ouest du site de Chartres), et qui auraient pu nous éclairer utilement sur la variabilité topographique des matériaux disponibles. L’aspect des pâtes est cependant similaire, mais c’est un lieu de fabrication, de l’autre côté du bassin tertiaire de Rennes, au‑delà de la grande faille de Pont Péan. Il est à noter que des tessons de poterie médiévale de la motte castrale du Rheu se montrent dégraissés avec les sables rouges pliocènes (aux grains roulés) et contiennent beaucoup de spiculés ; ceci montrerait, qu’au moins épisodiquement, on a exploité à l’ouest du bassin de Rennes des lentilles d’argile dans ces sables colorés. Des tessons de ce type de poterie nous ont été signalés par exemple à Laillé.
2.3.1.3 Analyse des productions médiévales
28Des fouilles récentes à Chartres‑de‑Bretagne, il nous a été soumis par F. Ficher de Clairfontaine des tessons de pots provenant des dépotoirs associés à des fours estimés du début du xiie s. et du xive s., auxquels nous avons ajouté pour comparaison des tessons qui avaient été recueillis en 1976 sur le chantier actuel, dans un dépotoir coupé par la section de la route départementale 34, tessons attribués eux aussi au xive s. (sondages Héricotte).
29Ce qui frappe, par rapport à la plupart des productions médiévales armoricaines, c’est qu’il s’agit de poteries relativement très claires, blanchâtres ou crème très souvent en surface, crème ou gris bleuâtre en profondeur, c’est‑à‑dire qu’il s’agit de poteries très pauvres en fer, que ce soit par les argiles, les inclusions ou les dégraissants. Cependant il y a des exceptions, des tessons « rouillés » à pâte à matrice foncée, brune ou opaque, qui sont plus fréquents au xiie s. Ces poteries sont bien cuites, ce qui n’est pas tellement étonnant puisque les fours sont assez élaborés ; des ratés de cuisson sont d’ailleurs vitrifiés, déformés et tendent à être plus colorés, les oxydes colorants ayant davantage diffusé à partir des grains minéraux les contenant.
30Il faut aussi noter quelques tessons montrant des spicules d’éponges siliceuses (en faible proportion, de l’ordre de 2 sur 50) dans le matériel du xive s., ce qui prouve que l’argile marine pliocène était disponible et a bien été utilisée par ces potiers, au moins occasionnellement.
31La poterie assignée typologiquement au xiie s. est la plus grossière en apparence, des gros grains (surtout de quartz) perçant et dépassant la surface de l’engobe. Sur une section la pâte paraît également plus hétérogène. En surface, elle peut être légèrement plus oxydée, mais la masse interne est généralement gris‑bleu, si elle est restée à l’abri des altérations pouvant la « rouiller » en profondeur. La surface des tessons paraît souvent enduite d’une croûte ferrugineuse, d’ailleurs purement extérieure, où se sont déposés des sels oxydés venus par percolation à travers le milieu environnant, celui des sables rouges et de leurs altérations.
32Les sections en lames minces montrent une orientation des vides. Les inclusions principales sont formées de gros grains de quartz, des grains de sable aux formes arrondies par l’usure, quoique parfois fragmentés. À côté du quartz uni, il peut y avoir parfois une structure de microquartzite. Les inclusions dans le quartz comprennent de fines paillettes de mica blanc, d’autres fois des traînées graphitiques (comme peuvent en montrer les grains de quartz des quartzites graphitiques briovériens). La taille maximale des grains arrondis de quartz atteint 3 à 4 mm de diamètre, mais même la majorité des petits grains de quartz de l’ordre du dixième ou du quart de millimètre sont arrondis. Les grains de feldspath, à macles polysynthétiques mais très altérés, sont rares. Ces inclusions proviennent certainement des cailloutis et des sables pliocènes remaniés au Quaternaire, existant sur les lieux mêmes, après un tri et un tamisage sommaires.
33Il y a d’autres inclusions, parfois relativement énormes. Ce sont des boulettes ou masses arrondies dont les limites se détachent parfois nettement, d’autres fois beaucoup moins bien sur les lames minces, selon qu’il y a un enduit interstitiel de matrice argileuse ou pas, ou qu’il y ait un contraste de coloration. On peut distinguer : d’une part, des boulettes de chamotte d’un diamètre maximum de 4 mm, d’un brun plus ou moins foncé, composées presque entièrement d’argile cuite et d’inclusions de très faible grain en général ; d’autre part, des boulettes ou des masses de formes plus irrégulières, formées d’un agrégat de fins fragments anguleux de quartz cimentés par une matrice brune, ces grains atteignant au maximum 2 mm de diamètre ; il est difficile de dire si ces derniers sont une autre forme de chamotte, ou plutôt des inclusions de fragments de concrétions gréseuses et ferrugineuses connues dans les sables et graviers.
34Les tessons, assignés typologiquement au xive s., sont de pâte beaucoup plus fine et homogène, plus blanche, quoiqu’elle puisse parfois se montrer « rouillée », en fonction des aléas du milieu encaissant. On peut y remarquer des inclusions charbonneuses orientées. Les grains de quartz sont fragmentés et à arêtes vives le plus souvent. Rares sont les petits grains à formes arrondies. Les dimensions moyennes sont de l’ordre de 1/20 mm. On observe également de plus grosses inclusions sous forme de boulettes, de chamotte, ou bien de petites inclusions oxydées en rouge, au diamètre maximum de 2 mm. Lorsqu’il y a une croûte extérieure ferrugineuse, sa limite reste très nette.
35Les tessons du xive s., venant du dépotoir en bordure de route, présentent les mêmes caractères généraux. Cependant, il en est qui sont intermédiaires, avec les particularités des formes plus anciennes : inclusions et grains de quartz plus gros. Ce détail est intéressant, car il montre qu’il peut exister une marge de variations plus forte que ce que révèle la production d’un seul four. Ceci n’est pas étonnant étant donné la variété des matériaux disponibles. D’ailleurs les tessons de poteries blanches, attribuées aux productions de Chartres‑de‑Bretagne, provenant de sites médiévaux, comme celui de la Saudrais en Pancé (Ille‑et‑Vilaine), confirment cette variabilité. Dans cette maison forte des xiiie‑xive s., la pâte des tessons étudiés est très fortement structurée par le tournage et les grains du dégraissant sont en quasi‑totalité des quartz arrondis. Les minéraux accessoires observés sont du rutile, un feldspath potassique (orthose), de la muscovite et du zircon. La taille des grains est très homogène, maximum 0,4 mm, moyenne 0,3 mm. On notera la présence en très faible quantité de carbonate sous forme microcristalline noyée dans la pâte (très légère effervescence à l’acide). G. Querré ayant fait des analyses modales sur deux tessons a obtenu de 74 à 77 % de matrice, 2,8 % de vides, de 20 à 22 % de dégraissant, le quartz en faisant la quasi‑totalité, les minéraux opaques entre 0,5 et 0,7 % (rutile compris). Cette poterie trouvée dans des conditions de conservation différentes est restée très blanche.
2.3.2 Les ateliers de St‑Jean‑la‑Poterie (Morbihan)
36Les données historiques et ethnographiques concernant les potiers de St‑Jean des Marais en Rieux, devenu St‑Jean‑la‑Poterie, sont assez nombreuses, les documents d’archives montrant au moins dès le xve s. l’importance de cette communauté de potiers dont l’activité a continué jusqu’à la moitié du xxe s. ; nous avons des raisons de penser que cette activité remonte aux xie‑xiie s.
37Le gisement d’argile, exploité au nord et au sud du bourg, a été fort étudié par les géologues depuis 1881. Il présentait 10 m environ d’argiles pliocènes fossilifères, à macrofaune et à microfaune redonniennes, argiles grises, avec des lamines sableuses et des concrétions calcaires (fig. 1). Très riche en spicules d’éponges, cette argile devient même une spongolithe à certains niveaux. Sa composition est voisine de 80 % de montmorillonite, 10 % d’illite et 10 % de kaolinite.

FIG. 1 – Microphotographies de poteries à minéraux basiques. 1 Poterie onctueuse en LN (lumière naturelle), de la maison de Kerguellec‑Palud, Tréguennec (Finistère) : grands fragments de chloritite clairs ; 2 et 3 poterie onctueuse de la maison de Kerguellec‑Palud, en LP (lumière polarisée) : grands fragments de talc, avec minéraux opaques inclus, accessoirement un peu de quartz (plus blanc) ; 4 tesson post‑médiéval à pâte fine, en LP, de La Poterie Lamballe (Côtes‑d’Armor) : minéraux opaques, amphibole (grains à teintes vives), quartz ; 5 poterie, en LP, du type de Pabu‑Guingamp, château de terre de Landebaëron (Côtes‑d’Armor) : feldspaths plagioclases (macles polysynthétiques) et amphibole dans un grand fragment de diorite à gauche ; grain isolé d’amphibole dans la pâte, en bas, à droite ; 6 poterie, en LN, du type de Pabu‑Guingamp, château de terre de Landebaëron (Côtes‑d’Armor) : grands cristaux d’amphibole hornblende brune.
38Dans l’argile brute, fossiles et concrétions comprises, la teneur résiduelle en calcaire atteint 20 %, pour n’être que de 8 % dans l’argile préparée par les potiers modernes (et moins de 1 % dans l’argile rouge qui était employée par ceux‑ci pour les fonds et les oreilles). Cette argile, nommée traditionnellement lize ou lisse, était extraite dans des puits ou fosses, aux « lizières » et aux « fosses », pour former à la longue une carrière abandonnée aujourd’hui.
39L’étude pétrographique de spécimens de la poterie médiévale a montré (Giot, Querré 1985) que le dégraissant utilisé à la période médiévale dérivait de l’arène d’altération du faciès porphyroïde du massif de granité de Questembert‑Allaire qui se termine près du bourg de St‑Jean‑la‑Poterie, au sud duquel de nombreuses fosses d’extraction sont encore visibles. Les études ethnographiques sur les derniers potiers les décrivent comme utilisant comme dégraissant le sable pliocène azoïque dit « sablon », de teinte jaune lorsqu’il est sous‑jacent aux argiles, altéré en rouge lorsqu’il vient en affleurement, sable qui était employé tamisé. Il y a donc eu un changement dans les pratiques céramiques, que nous ne pouvons dater, et qui était peut‑être assez récent.
40La céramique médiévale du type de St‑Jean‑la‑Poterie est constituée d’une pâte de couleur beige‑rose, avec une âme gris clair plus ou moins importante. La présence en quantité variable de spiculés d’éponges alignées par le lissage et le tournage à la surface des échantillons est un premier caractère diagnostique commode. Les spicules, de nature siliceuse, se présentent surtout sous forme de tubulures allongées claires, inférieures au millimètre en longueur moyenne, plus rarement avec un fragment de rosette triaxone. Ces fines baguettes, discernables à l’œil nu pour une bonne vue, sont parfaitement visibles à la loupe binoculaire. Le dégraissant étant constitué des minéraux du granité, on y trouve principalement du quartz, en fragments éclatés, mais aussi en proportion variable, des grains arrondis provenant évidemment des sables pliocènes. Des tablettes de muscovite sont bien visibles, alignées en surface. Dans la pratique du diagnostic oculaire, l’association du mica blanc aux spicules fournit un second caractère commode. Il y a en moindre quantité un feldspath alcalin (du microcline généralement perthitique), une biotite brune et quelques cristaux d’un plagioclase assez acide (oligoclase). La taille moyenne des grains du dégraissant est d’environ 0,2 mm, les plus gros éléments pouvant atteindre 2 mm. La matrice phylliteuse est en général peu orientée autour de ces grains ; il y a quelques vides et des grains de chamotte avec minéraux phylliteux orientés et des petits grains de quartz. Il peut aussi exister des minéraux opaques sous formes de nodules d’oxydes ferriques.
41On n’a malheureusement pas eu à étudier de productions médiévales datées aux environs du site de production, et seulement des produits de fouilles ou des prospections supposés en venir, mais déjà un peu éloignés. On peut s’attendre à davantage de variabilité dans les proportions entre les grains de sable roulés et les fragments de quartz anguleux.
42La répartition de cette poterie paraît couvrir tout l’ancien évêché de Vannes, remonter quelque peu la vallée de la Vilaine, et par sa diffusion côtière, atteindre sporadiquement quelques sites de Cornouaille. Une fabrication équivalente sur d’autres gisements d’argiles pliocènes voisins, comme de l’autre côté de la Vilaine, à Avessac (Loire‑Atlantique), aux Mortiers et à Beaumelas, est possible. En tout cas, on y a fabriqué des carreaux de terre cuite. Le dégraissant serait purement sableux dans ce contexte, également riche en spiculés.
2.3.3 Les ateliers de Malansac (Morbihan)
43Les potiers exploitaient une argile grisâtre ou blanchâtre provenant des environs du château du Matz, à 3 km au sud du bourg, datant également du Pliocène et riche en spicules d’éponges siliceuses (le gisement ayant sans doute été épuisé, les auteurs de la dernière carte géologique en 1984, ont pensé qu’il ne s’agissait que d’une altération kaolinique du socle granitique). Leurs « lisières » ne s’étendaient que sur un seul hectare. La fabrication des « gavions » (charniers et cuves à beurre, aux formes très archaïques) a cessé vers 1925. Les tessons post‑médiévaux examinés sont d’une pâte fort grossière, mais très bien cuite. Les grains du dégraissant peuvent y atteindre 3 à 5 mm et transpercer à la surface de l’engobe ou du vernis interne ; il y a beaucoup de vides orientés. Ce dégraissant est fourni par le granité de Questembert‑Allaire du socle qui a, près du bourg de Malansac, un faciès millimétrique, tandis que, près du gisement d’argile, le grain est plus grossier, avec de petits porphyroblastes de feldspath potassique (microcline). En fait, on ne retrouve pas de gros grains de feldspath, sauf ceux accrochés aux gros grains de quartz fort cataclasés. Par contre, dans la partie fine du dégraissant, il peut y avoir plus de feldspaths que de petits grains de quartz dans certains vases, à peu près autant dans d’autres. On retrouve bien là les constituants caractéristiques du granité, à savoir de l’oligoclase largement repris par une sorte de microclinisation, le feldspath potassique englobant ou s’installant à l’intérieur des restes cataclasés du plagioclase (myrmékites et perthites), puis une deuxième génération de plagioclase, albitique cette fois‑ci, bordant le tout. Comme les grains ont été écrasés, on ne retrouve que ponctuellement les phénomènes décrits par les pétrographes sur le granité. Il y a deux micas, de la biotite souvent altérée et dissociée et de longues lamelles flexueuses de muscovite.
44Tout en étant granitique et provenant du même massif, le dégraissant est donc assez différent de celui accompagnant les productions de St‑Jean‑la‑Poterie, et avec des échantillons suffisants, la discrimination doit se faire sans problèmes. Il est à noter que d’autres gisements d’argiles pliocènes à spicules de haute Bretagne ont servi à faire de la poterie gallo‑romaine (notamment à Corseul, Côtes‑d’Armor, et Mernel et Pipriac, Ille‑et‑Vilaine), des tuiles gallo‑romaines ou des briques modernes (dont Corseul, et la carrière du Pélineuc au Crouais qui servait à la briqueterie de St‑Méen en Ille‑et‑Vilaine, il n’y a pas si longtemps encore). Mais on n’a pas repéré jusqu’ici d’autres productions médiévales ayant utilisé ces ressources.
45L’atelier du Chenac en Langon (Ille‑et‑Vilaine), datable approximativement du xie s., se trouve en bordure d’un petit bassin tertiaire, bien connu par sondages (Estéoule‑Choux 1970 : 148‑158), à niveaux profonds d’argiles et marnes oligocènes, et plus superficiellement avec des argiles pliocènes et pléistocènes purement illitiques. Ce sont ces dernières qui ont pu être utilisées. Nous n’avons pas vu de spicules sur les quelques tessons communiqués par J.‑P. Bardel.
2.3.4 Le plio‑pléistocène de l’Élorn (Finistère)
46En basse Bretagne, on ne rencontre plus les petits bassins pliocènes, mais au fond de certains abers, ou estuaires fluvio‑marins, le remplissage peut avoir préservé des dépôts marins du Pléistocène ancien et moyen, à tout le moins. Dans la région de Landerneau, l’Élorn est bordé d’importantes formations argileuses marines à spicules d’éponges, qui ont été exploitées pour la grande briqueterie moderne, mais ont servi aussi à faire des tuiles gallo‑romaines. Or à côté, la motte castrale de Leslouc’h en Plouédern a fourni de la poterie assez grossière dont le dégraissant reflète l’environnement métamorphique de gneiss, de micaschiste et de quartzite micacés du voisinage, tout en étant faite de cette argile à spiculés. Pour le moment c’est une indication isolée. Des tuiles ou briques gallo‑romaines à spicules recueillies par exemple près de Locronan, indiquent la possibilité de formations de ce genre dans d’autres abers, mais les variations du niveau de la mer en ont peut‑être interdit l’exploitation au Moyen Âge.
2.4 Poteries faites avec des argiles d’altération du socle cristallin
47Les argiles issues de l’altération géochimique des roches du socle, avec peu de transport, de tri granulométrique, vont inclure comme dégraissant naturel, les grains des minéraux les moins altérables, à commencer bien entendu par le quartz. La préparation qu’elles auront subies de la part des potiers en modifieront les proportions et les dimensions, de même qu’il y aura très souvent, ainsi que pour les argiles sédimentaires, un ajout de dégraissant sélectionné, qui pourra être diagnostique des fabrications.
48On peut distinguer deux grandes catégories : d’une part les poteries à argiles et dégraissants issus de roches éruptives et métamorphiques acides macrocristallines, que pour simplifier on peut dénommer comme à dégraissant granitique, quoique à côté des granites proprement dits, il y ait aussi les migmatites et les gneiss ; avec aussi en annexe les matériaux issus des micaschistes, des schistes épimétamorphiques et des quartzites micacés, etc. ; d’autre part, les poteries à argiles et dégraissants issus de roches éruptives et métamorphiques basiques et ultrabasiques, qui offrent des éléments particulièrement favorables à leur discrimination et à leur identification.
2.4.1 Poteries dérivant des matériaux de roches acides
49Comme l’argile dérive principalement de l’altération des feldspaths, ceux‑ci subsistent rarement comme inclusions naturelles ; en plus du quartz, on peut retrouver cependant des paillettes de mica blanc, et bien entendu, au niveau des minéraux accessoires, généralement de très petites dimensions, les grains des plus résistants. Or, comme on l’a vu dans des exemples de dégraissants granitiques ajoutés à des argiles sédimentaires, ce sont les feldspaths qui offrent le plus de variétés intéressantes. La présence de feldspaths en relativement bon état est un indice de rajout de grains de dégraissant. Les argiles qui dérivent de ces altérations sont à kaolinite dominante, mais il y a toujours en minorité d’autres argiles et des minéraux de la série des micas blancs, hydromuscovite, séricite et illire. C’est grâce à ces impuretés que ces argiles deviennent plus faciles à travailler par les potiers.
2.4.1.1 Quelques ateliers carolingiens
50Il se trouve que l’essentiel des fabrications carolingiennes (et de tradition carolingienne) qui ont été mises en évidence en Bretagne, ces dernières années, correspond à l’utilisation de matériaux dérivant de roches acides, principalement granitiques. Comme c’est l’époque où la fabrication importante de la poterie semble avoir recommencé en Armorique, après plus de deux siècles d’occultation, on peut se demander si la nouvelle génération de potiers n’avait pas une préférence pour ce genre.
Vannes (Morbihan), Le Golhien près de Meudon
51C’est apparemment le lieu de production le plus ancien reconnu, que l’on peut dater au plus tôt de la fin du viiie s., ou du ixe s. (Triste et al., cf. part. 2, chap. 2). Les autres ateliers carolingiens de Bretagne se situent plus tard au xe s. Un échantillon d’argile assez sableuse apportée sur le site (zone A) montre par diffractométrie X de la kaolinite, mais pas en très grande proportion par rapport aux minéraux du dégraissant, principalement du quartz évidemment, et du feldspath alcalin, accessoirement un peu d’illite et de micas. On note l’absence de feldspath plagioclase. Cette composition du dégraissant correspond assez bien à celle du granite d’anatexie, très gneissique, formant le sous‑sol aux environs de l’atelier, à ceci près qu’on pourrait y attendre un peu de plagioclase (oligoclase). Un échantillon d’argile provenant du fond de ruisseau du Talhouët, à 250 m du site, est également à base de kaolinite, avec un peu d’illite confondu avec les micas ; cependant, proportionnellement, il y a beaucoup plus de feldspaths par rapport au quartz qui reste dominant ; mais les feldspaths plagioclases sont deux fois plus abondants que les feldspaths alcalins. Ceci reflète le bassin du ruisseau qui passe à travers les granites gneissiques, à deux micas, situés un peu plus au nord. Se pose le problème de l’origine, non pas tant des argiles utilisées par les potiers de Meudon, car les différentes sources aux environs auront des qualités similaires, que des dégraissants, qui auront pu être multiples, étant donné la complexité et la variabilité des formations granito‑gneissiques aux environs.
52De fait, des diffractogrammes sur des tessons divers montrent des différences sensibles. Dans certains cas, pour une quantité équivalente de quartz, on peut avoir uniquement des feldspaths alcalins et beaucoup de micas, dans d’autres, peu de micas et autant de feldspadhs plagioclases que d’alcalins. D’une manière générale, cette céramique possède une surface rugueuse ou granuleuse due aux grains du dégraissant qui dépassent ; il n’y a guère eu de lissage après le tournage. La gamme des couleurs de pâte va du beige ou du beige rougeâtre au gris‑noir à bleuté. Les céramiques les plus foncées représentent des ratés de surcuisson. Ils sonnent clair ; la structure cristalline des micas a été détruite, et, quoique reconnaissables au microscope, ils n’apparaissent plus en diffraction X. On observe alors des pics peu marqués de la mullite et de la tridymite, minéraux caractéristiques des hautes températures.
53En lames minces, la matrice est de nature phylliteuse et renferme, entre autres, de nombreuses petites paillettes de muscovite. La structure orientée de la pâte est constante, phénomène résultant du tournage. Le dégraissant est abondant et souvent assez grossier, mais sa granulométrie est homogène. La taille maximum des grains est comprise entre 1, 3 et 1,9 mm, la taille moyenne entre 0,4 et 0,75 mm –plutôt vers cette dernière valeur–, reflet de la grossièreté du dégraissant qui a une nette tendance à être anguleux.
54Le quartz, en grains mono‑ ou polycristallins, est à extinction ondulante, car on est au voisinage immédiat de la zone broyée sud‑armoricaine. Le feldspath potassique est de l’orthose microperthitique ; les gros cristaux sont poecilitiques et englobent de petits cristaux de plagioclase. Le plagioclase est acide, une oligoclase où la macle de l’albite est fréquente. La muscovite en tablettes automorphes est assez abondante ; la biotite de couleur brune est en cristaux automorphes pléochroïques. Les minéraux opaques et surtout les nodules ferrugineux peuvent occuper un volume important. On peut retrouver des minéraux accessoires des granites comme des zircons et de l’épidote.
55Quelques plaques minces montrent des fragments de frustules de diatomées, qui ont peut‑être résisté à la cuisson parce que moins poussée pour ces pots là. En tout cas, cela indique que ces vases ont été confectionnés avec de l’argile d’altération resédimentée dans un marais ou un fond de vallée. Précisément l’argile du ruisseau du Talhouët, si proche, est riche en frustules de diatomées, et cette observation est la démonstration qu’on l’a au moins utilisée pour partie comme matière première. Des analyses modales montrent que la matrice correspond à 61 à 67 % de la pâte, les vides tournant entre 1,9 et 2,7 % et les minéraux du dégraissant entre 30 et 36 % ; dans ce dernier, le quartz représente de 16 à 20 %. Cependant, étant donné le grand nombre de fours découverts sur ce site, la variabilité des décors, les différences entre les vases décorés, à parois plus fines que les vases épais, non décorés, les différences d’approvisionnement vraisemblables en argiles et en dégraissants et malgré une allure d’ensemble, on pouvait s’attendre à plus de variabilité encore.
L’atelier de Launay‑Margat à Guipel (Ille‑et‑Vilaine)
56Celui‑ci étudié par G. Querré a tiré partie des matériaux des produits d’altération du massif de granodiorite de Bécherel, situé à 1 km du site, et dont des masses argilo‑sableuses apportées ont été trouvées dans l’atelier, et aussi des produits d’altération de la formation schisteuse sous‑jacente. L’argile est bien entendu à dominante kaolinite, avec impuretés en interstratification, surtout illitiques et vermiculitiques.
57Les pâtes sont grossières et rugueuses, rougeâtres à gris sur les cuissons normales, gris‑noir à gris bleuté sur les ratés de surcuisson (où le diffractogramme décèle la formation de tridymite). En lame mince, la matrice de minéraux phylliteux tend à s’aligner, parallèlement aux bords tout en contournant les grains du dégraissant, qui sont anguleux, avec en dehors d’une fraction fine, une fraction plus grossière, en moyenne 0,5 mm, au maximum 1,5 à 2,5 mm. La matrice forme entre 60 et 68 %, les vides 3 à 4 %, le dégraissant 28 à 35 %. Le quartz, dont les gros grains sont craquelés, forme la moitié du volume de celui‑ci. Les feldspaths proviennent du granodiorite (de l’orthose perthitique altérée et de l’oligoclase maclée d’albite très altérée), comme le mica biotite brun, tandis que le mica blanc (muscovite et séricite), absent dans le granodiorite, doit provenir des schistes micacés locaux. Il y a des variations dans les teneurs de feldspaths et des micas selon les échantillons, qui reflètent cette composition mixte, et il y a des minéraux opaques.
L’atelier des Mardrelles à Trans (Ille‑et‑Vilaine)
58Il a tiré ses matériaux des produits d’altération du massif granitique de Bonnemain sur lequel il est implanté, plus spécialement de son noyau qui est du faciès du granodiorite de type Vire. Il s’agit encore d’une poterie grossière et rugueuse, quoique certains tessons soient engobés. Les pâtes sont claires, beiges et rosâtres. En lame mince, la matrice phylliteuse est orientée par le tournage, elle englobe quelques petits grains de quartz et de micas (muscovite et biotite) s’associant aux phyllites. Le dégraissant proprement dit est non pas une arène, mais un sable de granulométrie inférieure à 0,3 mm. Le quartz en est évidemment le principal constituant ; il est en grains légèrement émoussés, dont les plus gros ont pu être écrasés ; ils peuvent s’être fracturés ou craquelés par suite de chocs thermiques. Ils présentent des inclusions liquides ou gazeuses, sous forme de bulles en traînées, et une extinction souvent roulante. Les feldspaths alcalins (qui correspondent à une orthose perthitique) sont moins altérés que les feldspaths plagioclases, qui devraient être plus abondants.
L’atelier du Frêche Clos à Planguenoual (Côtes‑d’Armor)
59Il tire ses matériaux d’un petit filon de granité à muscovite et à biotite (qui n’avait pas été remarqué lors des relevés des cartes géologiques au 1/80 000), comme il en existe plusieurs traversant le massif de diorite formant le socle principal de la région. L’altération donne une argile kaolinique que le diffractogramme de rayons X montre composée de kaolinite normale avec une minorité de kaolinite désordonnée.
60Les pâtes sont grossières et claires, blanches à roses, avec d’assez gros points rouges de chamotte, sur les sections, tandis que sur les surfaces dépassent les grains du dégraissant donnant un toucher rugueux. En lame mince, la matrice phylliteuse assez fine est brunâtre, parfois gris opaque sur raté de cuisson, et s’aligne autour des grains par l’effet du tournage ; certaines surfaces intérieures, sans être engobées, sont un peu moins rugueuses. Les grains du dégraissant peuvent atteindre parfois 4 mm, mais leur moyenne est de l’ordre du millimètre et moins. Le quartz, en grains craquelés par des chocs thermiques et à extinction roulante (le granité est syntectonique) domine largement ; ce sont les grains résiduels de l’altération du granité. Il y a parfois des petits fragments de la roche associant des feldspaths altérés. Des grains plus petits de ces feldspaths sont dispersés dans la matrice. Fortement altérés, ils ont également épongé assez souvent des oxydes opaques noirâtres. Les boules et enclaves de chamotte sont opaques au microscope. Le seul mica subsistant en petites paillettes est la muscovite, qui apparaît très peu, en tout petits points brillants à la surface des tessons.
L’habitat de Creac’h‑Gwen en Quimper (Finistère)
61Celui‑ci a utilisé de la poterie carolingienne de deux faciès successifs, mais d’aspect très similaire, certainement fabriquée dans le voisinage, qui est celui du futur centre potier de Locmaria (jadis tous ces lieux‑dits se trouvaient en Ergué‑Armel). Le problème posé par ces fabrications, c’est l’origine des argiles utilisées. Nous savons, qu’à partir du xviie s., les faïenceries vont exploiter, d’abord par accès maritime, les argiles du bassin éocène du Toulven. Mais les environs de Locmaria pouvaient fournir, en petite quantité, des argiles d’altérations des diverses formations granitiques du socle, et ces argiles se sont trouvées accumulées et sédimentées au Quaternaire dans l’estuaire fluvio‑marin de l’Odet, notamment autour de Poulguinan et de Lanniron, c’est‑à‑dire tout près de Creac’h‑Gwen ; malheureusement, on manque de données précises de sondages pour juger de leur composition et de leur accessibilité.
62Il s’agit encore d’une céramique relativement assez grossière, mais les surfaces ont été en général engobées, bien que les plus gros grains du dégraissant puissent faire saillie et donner un toucher rugueux. La teinte de cette engobe est gris‑beige ou parfois rose. Il présente toujours beaucoup de paillettes de mica blanc alignées en surface. Quelques grains du dégraissant peuvent dépasser 5 mm de diamètre. Dans l’ensemble, les dimensions maximales oscillent entre 1 et 3 mm. La couleur de la pâte en section est d’ordinaire dans les tons gris‑beige‑brun, mais il peut y avoir des parties beige‑rose et parfois roses, dans ces cas là avec zonage.
63L’examen pétrographique montre la matrice phylliteuse plus ou moins colorée par les oxydes de fer, entièrement subcristalline et souvent pléiochroïque. La grande hétérogénéité de la granulométrie du dégraissant est confirmée. Il existe quelques grains de quartz roulés provenant d’un sédiment fluviatile, dans certains échantillons, ce qui n’est pas étonnant étant donné la présence de reliques de terrasses au voisinage ; d’autres présentent un début d’émoussement. Mais la plus grande partie du dégraissant, dans la majorité des tessons, provient de la fragmentation de morceaux de granité à deux micas, donnant des grains fort anguleux, sans doute par écrasement. Parfois les différents minéraux engrênés forment un petit fragment de la roche d’origine. Le quartz montre des extinctions roulantes (les formations granitiques locales sont dans la zone broyée sud‑armoricaine) ; dans certains tessons, les grains sont éclatés par des chocs thermiques. Les feldspaths sont généralement très altérés, les plus gros grains en particulier, mais parfois on arrive à déterminer le microcline ; les plus petits grains sont moins altérés. Il s’agit alors de plagioclase de composition albite‑oligoclase. De longues lamelles de muscovite sont relativement abondantes, très abondantes parfois, avec une disposition préférentielle alignée du fait du tournage. De petites lamelles de biotite, souvent en voie d’altération, sont plus rares. Ces minéraux sont bien caractéristiques du granité syntectonique à deux micas formant la bande Pointe‑du‑Raz à Nantes, passant par le sud de Quimper, et précisément autour du site.
64Des décomptes au compteur de points sur des lames taillées dans des échantillons à grains de dégraissant de dimensions moyennes donnent pour la matrice phylliteuse de 53 à 62 %, pour les vides 1 à 5 %, pour l’ensemble du dégraissant de 35 à plus de 40 % du volume, le quartz constituant entre 17 et 28 %, les feldspaths de 10 à 12 % et la muscovite de 2 à 6 %. Il y a donc une certaine variabilité.
65Les fouilles de sites de Cornouaille occidentale suggèrent d’autres fabrications carolingiennes dans la région. Les unes sont grossières et rugueuses, à dégraissant quartzeux majoritaire, d’autres plus fines, à grains de chamotte et paillettes de mica, et à surfaces lissées, douces au toucher, différentes des productions observées à Creac’h‑Gwen. On est certainement loin d’avoir fait le tour des fabrications carolingiennes de Bretagne, souvent connues par très peu d’éléments et très peu de sites. Dans l’ensemble, elles sont plutôt grossières et rugueuses, mais bien cuites. Ce sont plutôt des poteries utilitaires, surtout des pots à cuire.
2.4.2 Poteries médiévales dérivant des matériaux de roches cristallines acides
66Il est frappant de constater que, si des ateliers de potiers carolingiens ont pu préserver leurs structures enfouies, pour le moment nous ne connaissons aucune structure, aucun four de l’époque médiévale proprement dite, utilisant des matériaux granitiques, alors qu’il a dû en exister des quantités dans certaines zones où il n’y avait guère d’autres sources disponibles de matériaux. De fait, ce que l’on sait des ateliers post‑médiévaux, et notamment sur ceux subsistant au xixe s., le prouve. Mais, de même qu’il ne subsiste presque rien des structures du siècle dernier ou du début du siècle présent, les matériaux de celles‑ci ayant été récupérés après leur abandon et leur ruine, on peut penser qu’il en a été de même pour les ateliers médiévaux. On peut noter que les fours carolingiens conservés en terre jusqu’à nous sont modestes sinon petits, sans commune mesure avec les grandes constructions (en partie démantelées après chaque chauffe pour en sortir les pots), attestées à l’époque contemporaine. Ceci explique cela.
67Dans l’évêché de Nantes, les potiers d’Herbignac (notamment de Landieul) comme ceux des environs de Châteaubriant (notamment ceux des Landelles en Erbray) ont exploité des argiles d’altération du socle ici schisteux, dégraissées par les formations locales, et les ont largement exportées dans les régions voisines des évêchés de Vannes et de Rennes. Notamment autour de Châteaubriant, on a fait de la poterie à œil‑de‑perdrix, et même si l’étude de ces fabrications ne fait pas l’objet du présent mémoire, on ne saurait les passer sous silence.
68Malgré la popularité de la poterie onctueuse, des centres de fabrications dures ont dû être nombreux en basse Cornouille. Les potiers d’Ergué‑Armel et les potiers d’Ergué‑Gabéric (connus dès 1488) ne devaient pas être les seuls dans la région, si nous en jugeons par les matériels de fouilles, de découvertes fortuites et de prospections.
69En Léon, la « pancarte » de Lesneven (du xve s. selon Le Men 1874, pris sur une copie du xviiie s.) fait payer des droits plus forts aux « marchans vendans potz de terre venants dehors l’évêché de Léon » et « ceuls de l’évêché de Léon » en doivent peu et sont parfois exonérés. Mais le document ne précise pas à quelle paroisse ils appartiennent. On pense, au vu des données du siècle dernier, à l’énorme série de potiers de Lannilis et de Plouvien (Kerdreinn, Lanveur, Prat‑Torchen), utilisant l’argile kaolinique dérivant de l’altération du granité à deux micas local, et à ceux de La Poterie en Landivisiau, utilisant une argile kaolinique dérivant de l’altération hydrothermale de granites à biotite et de granodiorite (orthogneiss de Brest). En fait, les fouilles de sites médiévaux du Léon donnent toujours, à côté de l’onctueuse importée, une majorité de tessons à dégraissant granitique se caractérisant par une extrême richesse de paillettes de mica blanc en surface, ce qui paraît bien correspondre aux ateliers de Lannilis, le granité à deux micas riche en muscovite (dit granité de Ploudalmézeau) ayant une répartition assez restreinte au nord du Léon (fig. 2).

FIG. 2 – 1 Macrophotographie d’un tesson de St‑Jean‑la‑Poterie (Morbihan), avec spicules d’éponges siliceuses, dont une trifurquée ; le diamètre moyen de ces spicules est de l’ordre de 1/10 mm. 2 à 6 Microphotographies de poteries : 2 poterie carolingienne à dégraissant granitique, en LN (lumière naturelle), de Trans (Ille‑et‑Vilaine) : fragments anguleux de quartz, parfois associés à du feldspath altéré ; 3 poterie médiévale (XIIe s.), en LN, de Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine) : pâte très fine, à grosse inclusion d’argile cuite, de même composition que la pâte, et grains de quartz d’origine alluvionnaire parfois broyés ; 4 poterie carolingienne, en LP (lumière polarisée), de l’atelier de Meudon (Morbihan) : fragments de gneiss (quartz et feldspath), dans une pâte phylliteuse ; 5 poterie médiévale à « œil de perdrix », en LP, de Landéan (Ille‑et‑Vilaine) : fragment de granite (quartz et feldspath plagioclase), grains de quartz anguleux, vides dans la pâte (noirs) ; 6 poterie du Xe s., en LP, de Crea’chGwen à Quimper (Finistère) : grains de quartz anguleux et lamelles de mica (muscovite) ; on notera l’orientation des paillettes de mica autour des grains de quartz lors du travail de la pâte.
70Dans la région de St‑Malo (Ille‑et‑Vilaine), une fabrication médiévale à dégraissant quartzeux et micacé a tiré ses matériaux des micaschistes de la bande entre Châteauneuf d’Ille‑et‑Vilaine et Cancale, très vraisemblablement.
2.4.3 Poteries dérivant des matériaux de roches basiques
71Dès l’âge du Fer, on constate que les potiers armoricains manifestent un choix préférentiel pour les produits d’altération des roches basiques, quand cela leur est accessible. C’est une tradition qui paraît se perdre pendant l’époque gallo‑romaine, et qui s’est à nouveau développée au Moyen Âge, après l’an Mil semble‑t‑il. L’exemple le plus remarquable est celui de la « poterie onctueuse » dont il a été largement question par ailleurs, correspondant à un centre potier diffus dans la région des roches basiques en retrait de la baie d’Audierne (Finistère).
72Il y a deux autres centres potiers importants qui rentrent dans d’autres variantes de cette catégorie : celui proche de Lamballe et celui proche de Guingamp. Il se trouve que les massifs et formations basiques sont particulièrement développés dans les régions du versant nord de la Bretagne entre les méridiens de Morlaix et du Cap‑Fréhel. Il n’est pas exclu qu’il y ait eu d’autres fabrications moins disséminées, comme les prospections de Tramain l’ont montré.
Les ateliers de La Poterie Lamballe (Côtes‑d’Armor)
73Les argiles résultant de l’altération du massif de gabbro de Trégomar, à l’est de Lamballe, ont été utilisées dès l’âge du Fer pour des fabrications spécifiques, qui se sont même trouvées exportées jusque dans le sud de la Bretagne insulaire (Morzadec 1991). Les fabrications médiévales ont dû commencer au moins dans le cours du xie s. si l’on en juge par les associations de fouilles. Les documents historiques ne les concernent abondamment qu’au bas Moyen Âge. Les derniers potiers y travaillaient encore jusque vers 1925. Les données d’ethnographie matérielle concernant ceux‑ci sont très intéressantes, mais parfois confuses sur leur choix des matériaux : alors que ces argiles se présentent surtout sous forme blanche, les relations disent qu’on allait chercher des charretées d’argile rouge sur la lande des Houssâs, où certes il y a des traces de sidérolithique, la blanche ayant été tirée des autres landes. Les unes et les autres sont bosselées par les traces des anciennes carrières.
74L’altération du gabbro conduit à la formation de montmorillonite et d’arène, puis la montmorillonite cède la place à la kaolinite. De fait, les prélèvements d’argile se montrent en général formés de kaolinite avec une proportion faible de montmorillonite ; quel que soit le tri granulométrique, on y relève toujours dans les diffractogrammes la présence soutenue des amphiboles.
75Si les dépotoirs nous renseignent abondamment, autour du village de La Poterie, sur les productions post‑médiévales, on était beaucoup moins assuré quant aux aspects des fabrications médiévales, faute de fouilles les faisant apparaître en contexte daté. Les prospections en Penthièvre montrent une large diffusion des produits dans cette région, comme il est naturel. Malheureusement du fait de leur composition, il s’agit de pâtes très altérables, prenant facilement un aspect rouillé dans des sols agressifs, et devenant assez méconnaissables.
76C’est seulement par nos fouilles personnelles de l’île Lavret, en Bréhat, que nous avons pu faire le lien entre une certaine catégorie de poteries et des tessons similaires altérés trouvés en prospection à la limite entre St‑Aaron et La Poterie Lamballe. Mais l’ensemble de la typologie des productions médiévales de ces ateliers reste entièrement à découvrir. En tout cas que ce soit à Lavret, où dans les champs et landes de La Baudronnière en St‑Aaron, les tessons altérés et érodés sont tous devenus brun rougeâtre.
77On est obligé de se référer aux productions post‑médiévales, moins ou peu abîmées, pour se faire une idée de l’aspect des pâtes médiévales avant altération. La couleur en est variable, allant du gris au beige rougeâtre. Du point du vue macroscopique, aucun élément ne permet vraiment de caractériser ce type de poterie récente, si ce n’est la présence occasionnelle de petits nodules ferrifères visibles en section, et à la binoculaire (à l’œil nu pour les très bonnes vues), on y voit les petits grains foncés des amphiboles. Par contre, il y a des tessons très altérés et grossiers, où il est difficile de distinguer ce qui est protohistorique de ce qui est médiéval, qui sont d’une richesse extrême en gros grains d’amphiboles.
78L’étude en lames minces, même celle des poteries post‑médiévales, est très révélatrice. Les minéraux qui constituent l’essentiel du dégraissant sont : une amphibole incolore du groupe actinote‑trémolite en cristaux allongés à tendance aciculaire ; une amphibole hornblende brune fortement pléochroïque ; des feldspaths plagioclases qui lorsqu’ils sont déterminables et pas trop altérés sont du labrador ; de la biotite bien brune, et parfois même un peu de muscovite. Le quartz, plus ou moins abondant, bien entendu inexistant dans une paragenèse gabbroïque, provient pour partie de filonnets et d’exsudations tardives dans le massif, et aussi, comme des grains arrondis ou émoussés le montrent, d’une addition sableuse voire limoneuse.
79Le massif de gabbro, qui a été très étudié au point de vue pétrologique, présente plusieurs variétés. Lors de l’arénisation, les grains de pyroxène (augite le plus souvent) s’ouralisent en hornblende et en trémolite ; il arrive qu’on en reconnaisse des fantômes déstabilisés dans le dégraissant, de même que de l’olivine, encore plus fragile. Il y a dans tous ces éléments du dégraissant de bons critères diagnostiques, d’autant plus que les autres massifs de gabbro du nord du Maine et de la Bretagne sont petits, relativement éloignés. Leurs altérations se présentent autrement, de sorte qu’elles n’ont pas été favorables à la production d’argiles importantes. La pâte des productions récentes est phylliteuse, avec plus ou moins de vides et une orientation selon la position des tessons dans la forme du vase. Ces productions récentes ont en général été cuites à une température dépassant 1 000° ou 1 100°, comme en témoigne la présence nette de mullite, discernable par la diffractométrie. La pâte des productions médiévales reconnues à St‑Aaron et à Lavret est très phylliteuse, le grain des dégraissants est beaucoup plus faible. On n’y voit pas de feldspaths. Le quartz y est relativement rare, par contre les cristaux des deux groupes d’amphiboles y sont très abondants, l’incolore étant de beaucoup dominante (ce qui est aussi le cas pour les poteries protohistoriques issues de ces gisements).
80Il semble que des productions de Lamballe figurent parmi les poteries de la maison forte d’Inzinzac (Morbihan), fouillée par R. Bertrand, ce qui impliquerait une traversée presque complète de la péninsule bretonne. En tout cas, les prospections de J.‑H. Clément et de P. Amoureux la montrent fréquente dans tout le Penthièvre, comme on peut s’y attendre, et les fouilles de P. Henry au château de La Hunaudaie en ont forcément retrouvé un peu.
81Au début du xixe s., les poteries de Lamballe étaient diffusées « dans un rayon de cinq à six myriamètres ». Le volume des trous d’extraction d’argile et de dégraissants, disséminés sur une surface considérable de landes, donne une idée de l’importance de cette production au long des siècles.
Les ateliers de Pabu‑Guingamp (Côtes‑d’Armor)
82Les potiers de Keraez et de La Poterie, en Pabu, au nord de la ville de Guingamp sont attestés par des aveux du xve s. et formaient un centre actif jusqu’au début du présent siècle. Au xve s., ils allaient extraire leur argile dans la paroisse de Kermoroc’h, sur la lande de Bezouet près du château du Poirier ; il s’agit de l’altération d’un gneiss amphibolique. Plus tard, on a extrait autour de Kervenou en Pommerit‑le‑Vicomte, une argile qui résulte de l’altération d’amphibolites et de gneiss dioritiques, mais on a aussi utilisé des argiles provenant de plus près de Pabu, issues de l’altération de granites à deux micas. Bref, des terres de composition très variées auront servi et les productions pourront avoir été assez hétérogènes. À l’Époque moderne, on utilisait surtout une argile jaune provenant de la surface, et une argile blanche très fine et douce au toucher qui devait provenir du fond des puits d’extraction à Kervenou, où la surface se présentait sous une forme plus grossière (peut‑être tout simplement parce que mélangée de formations superficielles quaternaires).
83Les déchets de fabrication, peu accessibles du fait de l’urbanisation, ne donnent que des productions terminales grésées, sans rapport avec les anciennes. Faute de fouilles dans la région immédiate, on ne connaîtrait guère les fabrications médiévales assurées de ces ateliers et leur évolution. Ici encore, c’est par nos fouilles personnelles de l’île Lavret, près de Bréhat, que nous en avons recueilli beaucoup, puisque sur 7 500 tessons de poterie médiévale, nous en avons 80 % de cette catégorie, en particulier dans les contextes des xie‑xiiie s. Depuis, les ramassages sur la motte de Coz‑Castel en Landebaëron ont fourni du matériel des xiiie‑xive s., tout près des lieux de production donc, qui confirment cette attribution.
84La pâte de ces poteries est finement phylliteuse, pléochroïque, colorée en brun par les oxydes de fer (fig. 2). Les grains du dégraissant sont très nombreux et il y a plusieurs variétés de textures. La plus caractéristique présente des grains de dimensions moyennes à faibles, et quelques grains plus gros de minéraux associés, fragments de la roche‑mère qui se présente tantôt comme une amphibolite litée, tantôt comme une diorite gneissique. Associée ou en grains isolés, l’amphibole est abondante. C’est une ferro‑actinote à pléo‑chroïsme dans les verts. Les feldspaths plagioclases sont soit en bon état et déterminables, il s’agit d’oligoclase‑andésite, soit altérés. Le quartz est peu abondant, ou en agrégats polycristallins, liés à des lits d’amphibolite ; il peut y avoir des paillettes de biotite, parfois de muscovite. L’amphibole englobe souvent des inclusions noires de minéraux opaques. Enfin on voit parfois des granules d’oxydes, formant des boules comme ailleurs celles de chamotte. Une variante de texture plus grossière présente beaucoup plus de grains de quartz, en plages jusqu’à 3 ou 4 mm, le reste du dégraissant présentant les mêmes constituants aux variantes près. C’est comme s’il y avait rajout d’un dégraissant de quartz broyé ; les feldspaths y sont parfois moins bien conservés.
85On retrouve ces fabrications sur divers sites de la région, dans le Trégor oriental et méridional, le Goëlo et la haute Cornouaille intérieure attenante. La diffusion au siècle dernier se faisait intensément jusqu’au‑delà de 35 km, mais des marchands entreprenants allaient vendre leurs produits, à plus de 60 km, sur les marchés de Morlaix, de Carhaix ou de Gourin. On les a même signalés à St‑Jean‑Brévelay, loin dans le Morbihan.
86Les centres potiers de La Poterie Lamballe et de Pabu‑Guingamp sont distants de 60 km, avec St‑Brieuc comme ville importante entre les deux. Malheureusement, aucune fouille dans cette localité n’a permis de se faire une idée sur les zones d’influence respectives. La distinction des fabrications de Lamballe et de Guingamp est aisée en lame mince (amphiboles et feldspaths différents). À moins que l’on ne découvre des caractères typologiques statistiquement valables, elle risque de demeurer fort délicate à l’œil nu.
87Que des centres potiers puissent coexister à faible distance est prouvé par les ateliers de Tramain (Côtes‑d’Armor), à La Poterie et à La Clôture, redécouverts par prospections à moins de 10 km au sud‑est de La Poterie Lamballe, et ayant fabriqué des céramiques bas‑médiévales. Leurs dégraissants sont assez variés car on est près d’une zone de métamorphisme de contact et de filons, l’argile résultant de l’altération de gneiss et migmatites. Si des dépotoirs de fours de potiers ont été retrouvés, par contre on n’a guère d’indications sur la diffusion des productions et la durée de l’activité des ateliers.
2.5 Conclusions méthodologiques
88Toutes les poteries médiévales fabriquées en Bretagne sont des poteries communes, le plus souvent plutôt grossières, la plupart à usage culinaire ; il devait cependant y avoir des pots à eau ou à lait. On importait en Bretagne médiévale, semble‑t‑il en très faible proportion, des poteries plus soignées, comme celles de Saintonge. À première vue, le volume relatif des céramiques de « luxe » importées et visibles par les fouilles est inférieur à 1 %, beaucoup moins que pendant la période gallo‑romaine par exemple. Le duché vivait dans une certaine autarcie pour ce genre de technologie, comme sans doute pour d’autres. Beaucoup de céramologues médiévistes ont longtemps dédaigné les poteries communes et grossières, en disant que l’on ne pouvait rien en faire. Il faut donc les réhabiliter et la présente contribution a œuvré dans ce sens.
89Mis à part la diffusion assez étendue de la « poterie onctueuse » dans toute la Bretagne bretonnante, notamment par les échanges maritimes, la répartition des diverses productions bretonnes reste assez limitée autour de chaque atelier, chacun fabriquant ce qui convenait à sa clientèle. Comme de nombreux bateaux bretons sont allés, au moment de la grande prospérité de la marine bretonne, commercer jusqu’à la Corogne et jusqu’à Arnemuiden, l’avant‑port d’Anvers, on ne serait pas étonné d’y trouver un jour quelques tessons d’onctueuse, et pas seulement dans le sud de l’Angleterre. Ces tessons ne seraient pas difficiles à identifier, par contre, s’il y avait des débris d’autres fabrications bretonnes, leur reconnaissance pourrait être difficile pour le non connaisseur de nos spécificités régionales ; mais il ne s’agirait que de cas anecdotiques.
90Bien qu’ayant pu faire appel à des techniques de discrimination plus sophistiquées, et dont nous avons l’expérience, nous avons préféré privilégier dans la présente approche des méthodes d’identification relativement peu onéreuses, les plus efficaces, tenant compte le plus possible des spécificités géologiques régionales. Cependant, dans la pratique de routine, où les questions de prix de revient et de temps passé comptent beaucoup, il peut y avoir pour le praticien exercé, bien au courant de ces caractéristiques géologiques et des aspects, des procédés expéditifs qui permettent avec plus de 95 chances sur 100 de faire le bon tri. Nous en avons suggéré quelques‑uns, utiles par exemple pour décompter, avec une simple binoculaire, des centaines ou milliers de tessons sortant d’une fouille.
91Sachant que les structures des argiles sont progressivement détruites entre 500 et 800°, nous avons fait souvent appel, pour dégrossir l’étude des dégraissants, à la diffractométrie X sur un fragment pulvérisé, voire sur une surface non couverte de lame mince ou sur un tesson plan. C’est surtout utile pour confirmer ou infirmer un soupçon perçu à l’examen à la binoculaire, ou pour apprécier l’importance relative d’un minéral finement disséminé dans la matrice et peu déterminable sur de très petits grains au microscope polarisant, du fait d’une coloration par les oxydes de fer ayant diffusé partout (c’est par exemple le cas pour apprécier l’amphibole et la chlorite dans l’onctueuse). Les hasards de l’échantillonnage et de l’orientation du prélèvement sur la lame‑support doivent être pris en compte pour une exploitation semi‑quantitative des pics enregistrés, surtout pardessus le « bruit de fond » constitué par les semi‑cristallites interstratifiées formant la pâte ou les grains altérés du dégraissant. Avec un spectromètre RX perfectionné, on pourrait affiner la détermination de certains minéraux sur de faibles surfaces après séparation.
92Dans ces poteries peu cuites (généralement à moins de 900 ou 1 000°), la nature cristallochimique de la matrice phylliteuse est un gros problème. Les structures cristallines des argiles sont donc détruites et ne se voient plus par diffractométrie, mais il n’y a pas encore eu de fusion ou de formation (importante) de minéraux de haute température (sauf dans les ratés de cuisson) ; c’est une sorte de « métaphase » qui aura d’ailleurs pu se réhydrater et s’hydrolyser dans le sol au cours des siècles. L’examen au microscope électronique à balayage est intéressant, montrant qu’on reste encore proche des argiles ; les analyses ponctuelles à la microsonde confirment qu’il s’agit de silicates d’alumine à composition variable, comme on s’en douterait. La séparation parfaite de cette métaphase, qui forme la pâte proprement dite, en vue d’analyses chimiques globales, est une manipulation d’une difficulté considérable.
93Les analyses chimiques globales de ces céramiques sont pleines de pièges du fait de l’hétérogénéité du dégraissant, en dimensions, en quantité comme en qualité. Pour faire une analyse valable d’une roche (de cet ordre de dimensions de grain), le pétrographe‑chimiste fait broyer et homogénéiser un prélèvement de l’ordre de 2 à 5 kg, même si l’analyse elle‑même se fait sur 0,5 g (par 1CP) ou 1,5 g (majeurs par fluorescence X) et 9 g (traces par fluorescence X). On voit combien le broyage d’échantillons de seulement 25 à 50 g reste risqué. Cependant l’expérience faite pour les céramiques proto‑onctueuse et onctueuse, dérivant des produits d’altération d’une seule et unique roche‑mère, a montré des correspondances constantes, se reflétant jusqu’au niveau des spectres de terres rares. Tout est donc cas d’espèce.
94L’extraction des minéraux lourds (après broyage et séparation par liqueurs denses) est un moyen d’étude souvent excellent pour typer les poteries dégraissées par des sables sédimentaires, nécessitant le sacrifice de 25 à 50 g de poterie. Les études de L. Berthois (1935) ont montré leur intérêt pour différencier les arènes granitiques des différents massifs –les roches‑mères– et pas seulement les alluvions et sédiments.
95Alors que pour les pâtes à grain fin et uniforme, une lame mince de petite surface (1 cm2 par exemple), demandant un prélèvement minime et peu destructeur, est informatrice quant à la texture, pour les pâtes à gros grain ou à grain très hétérogène, elle est tout à fait insuffisante. De plus pour ces pâtes, la fabrication réussie des lames minces est souvent très délicate. Pour éviter les arrachements des grandes inclusions lors de la rectification, spécialement dans les poteries peu cuites, il faut préalablement opérer une inclusion des échantillons dans une matière plastique ; lors des collages il peut y avoir des mécomptes. Il y a toujours lieu de rechercher l’examen de grandes surfaces et de multiplier des lames, pour avoir plus de chances de tomber sur des fragments de roches, plus révélatrices que les grains de minéraux isolés.
96L’examen microscopique des pâtes très foncées (soit par l’effet d’une cuisson réductrice, soit par intense diffusion d’oxydes colorés masquant les teintes des minéraux normalement translucides) peut être difficile. La microphotographie n’est pas toujours satisfaisante, les cristallites et les cristaux coupés en biais, séparables par l’œil de l’observateur sur chaque plan de netteté, donnant des images plus floues qu’on ne l’aimerait.
97Le comptage de points, technique d’analyse pétrographique très satisfaisante pour une roche cristalline, peut être appliqué avec fruit aux lames minces de poteries, comme l’ont montré quelques exemples cités. Au moins il permet de se faire une bonne idée des proportions relatives de la pâte, des vides, du dégraissant (et en particulier du quartz, toujours déterminable). Les choses peuvent être moins faciles avec les minéraux altérés et les petits grains peu identifiables, et un décompte avec trop de points indéterminés est dévalué. Ici encore, il est opportun d’examiner plusieurs plaques taillées, avec des orientations différentes, dans diverses parties d’un même vase, lorsque le grain de la pâte montre des variations topologiques.
98On a pratiqué quelques expériences d’études texturales, le tirage d’une microphotographie ayant été calqué en contours des grains du dégraissant et des vides et la figure obtenue étant ensuite exploitée grâce à une table à digitaliser. Un logiciel établi par G. Querré a permis d’en tirer les dimensions et surfaces extrêmes et moyennes et l’orientation desdits grains. Mais les appareils d’analyse d’images désormais adaptables aux microscopes, entre temps plus perfectionnés, font dorénavant ce travail bien plus rapidement et plus complètement ; c’est une question de moyens financiers pour de tels investissements. Du fait des particularités géologiques régionales, nous n’avons pas eu de cas de poteries à fragments de fossiles et roches calcaires, mais évidemment toute la science des micropaléontologistes est à mettre à contribution en cas de besoin.
99Il nous faut revenir sur les analyses poussées des grains minéraux isolés, ou mieux encore, de ceux regroupés en fragments de roches caractéristiques. Pour les analyses ponctuelles à la microsonde (dont les modèles récents sont particulièrement performants, comme la microsonde de l’Ouest), il faut bien entendu des plaques minces spéciales, non couvertes, terminées par des polisseuses spéciales. À condition d’avoir des analyses de référence pour les minéraux des gisements à comparer (parfois disponibles pour les massifs ayant fait l’objet d’études poussées très récentes), on peut arriver à des identifications très serrées. Pour des cristaux qu’on peut parvenir à isoler, le recours à un spectromètre Raman à laser peut également être intéressant. Ces procédés ont été en particulier mis en œuvre par l’un de nous pour des poteries protohistoriques armoricaines.
100En dernière conclusion, il faut surtout mettre en relief les lacunes chronologiques et géographiques de notre documentation céramologique régionale : le fait que certains centres potiers nous restent pratiquement inconnus et l’absence de stratigraphies, dues aussi à l’absence de fouilles là où il en faudrait, pour partie, à la rareté des situations les permettant également, pour sérier d’éventuelles évolutions technologiques. Les poteries communes montrent le plus souvent un étonnant conservatisme des formes typologiques, des décors, des techniques. Â défaut de stratigraphies chronologiques fiables, une méthode de datation de laboratoire permettant de situer, au siècle près, les tessons serait la bienvenue (celle des traces de fission serait sans doute plus prometteuse que la thermoluminescence). Mais justement l’on se heurte encore aux problèmes des altérations géochimiques et pédochimiques si vives dans un pays de sols agressifs. De sorte que tout en ayant sérieusement débroussaillé, en quelques années, le chemin des caractérisations, il restera beaucoup à faire selon les opportunités à venir. Après tout, à part quelques observations incidentes, sporadiques ou accidentelles, il n’y a que depuis vingt ans que l’on fait un peu d’archéologie médiévale en Bretagne.
Bibliographie
Bibliographie
Barrat 1986 : BARRAT (J.‑A.). — Pétrologie des intrusions basiques tardi‑cadomiennes des régions de St‑Brieuc et de Guingamp (Côtes‑du‑Nord) : maîtrise de Géologie, université de Rennes I, 1986.
Berthois 1935 : BERTHOIS (L.). — Recherches sur les minéraux lourds des granites de la partie orientale du Massif armoricain : thèse de sciences, Rennes, 1934. Rennes, 1935 (Mémoires de la Société géologique et minéralogique de Bretagne ; t. 2).
Berthois 1936 : BERTHOIS (L.). — Le Massif de gabbro de Trégomar (Côtes‑du‑Nord). Bulletin mensuel de la Société linéenne de Normandie, Caen, 1936, p. 80‑83 (8e série ; IX).
Dufournier 1984 : DUFOURNIER (D.). — Cinq centres de production des vases à œil de perdrix : caractères chimiques distinctifs. In : BUCUR (I.), DUFOURNIER (D.), GOULPEAU L., LANGOUËT (L.), NAVEAU (J.). — La Céramique à « œil de perdrix » et la production de La Hardelière à Laval (Mayenne). Archéologie médiévale, XIV, 1984, p. 194‑199 et 215‑218.
Dufournier 1989 : DUFOURNIER (D.). — Matières premières et produits finis : données géologiques et chimiques. In : BUCUR (I.), DUFOURNIER (D.), FAJAL (B.), LEVALET (D.), LOUIS‑PHILIPPE (M.) — Un Four de potier médiéval à St‑Georges‑de‑Rouelley (Manche), les premiers grès bas‑normands. Archéologie médiévale, XIX, 1989, p. 194‑199, 215‑218.
Durand 1960 : DURAND (S.). — Le Tertiaire de Bretagne, étude stratigraphique, sédimentologique et tectonique : thèse de sciences, Rennes 1959. Rennes 1960 (Mémoires de la Société géologique et minéralogique de Bretagne ; t. 12).
Estéoule‑Choux 1970.
Franchet 1911 : FRANCHET (L.). — Céramique primitive, introduction à l’étude de la technologie. Paris : Gauthier, 1911.
Giot, Morzadec 1988 : GIOT (P.‑R.), MORZADEC (H.). — Observations pétro‑archéologiques sur les poteries de Créac’h‑Gwen. In : MÉNEZ (Y), BATT (M.). — L’Habitat du haut Moyen Âge de Créac’h‑Gwen à Quimper (Finistère). Revue archéologique de l’Ouest, 5, 1988, p. 139‑140.
Giot, Morzadec 1989 : GIOT (P.‑R.), MORZADEC (H.). — Les Céramiques à spicules de Silicisponge. Revue d’archéométrie, 13, 1989, p. 65‑67.
Giot, Querré 1985 : GIOT (P.‑R.), QUERRÉ (G.). — Le Tesson d’amphore B 2 de l’île Lavret (Bréhat, Côtes‑du‑Nord et le problème des importations). Revue archéologique de l’Ouest, 2, 1985, p. 95‑100.
Giot, Querré 1986a : GIOT (P.‑R.), QUERRÉ (G.). — L’Étude scientifique des poteries. In : Céramiques : les problèmes de l’autochtonie : rencontres archéologiques de Nantes 1985. Université de Nantes, 1986, p. 9‑13.
Giot, Querré 1986b : GIOT (P.‑R.), QUERRÉ (G.). — Les Poteries armoricaines à spiculés. Les Dossiers du Centre régional archéologique d’Alet, 14, 1986, p. 1‑12.
Giot, Querré 1987.
Giot et al. 1986 : GIOT (P.‑R.), QUERRÉ (G.), MORZADEC (H.). — Glanes céramologiques finistériennes. Bulletin de la Société archéologique du Finistère, CXV, 1986, p. 79‑94.
Hallegouët 1982 : HALLEGOUËT (B.). — Les Formations de remblaiement de la vallée de l’Êlorn à Landerneau (Finistère). Bulletin de l’Association française pour l’étude du Quaternaire, 19, 1982, p. 167‑178.
Jonin 1981 : JONIN (M.). — Un Batholite fini‑précambrien : le batholite mancellien (Massif armoricain), étude pétrographique et géochimique : thèse de Sciences, université de Bretagne occidentale, Brest, 1981.
Lailler 1947.
Lailler 1951.
Le Men 1874 : LE MEN (R.‑F.). — Documents inédits pour servir à l’histoire de Bretagne, I : Pancarte de Lesneven (xve s.). Bulletin de la Société archéologique du Finistère, I, 1873‑ 1874, p. 93‑101.
Morzadec 1989 : MORZADEC (H.). — Pétroarchéologie des céramiques armoricaines à amphiboles de l’age du Fer : DEA de Géologie, université de Rennes I, 1989.
Morzadec 1991 : MORZADEC (H.). — The Armorican Fine Cordoned Potteries : A Petroarchaeological Synthesis Starting with those from Hengistbury Head. Oxford Journal of Archaeology, vol. 10, 1991, p. 75‑94.
Morzadec 1993 : MORZADEC (H.). — Pétroarchéologie des céramiques armoricaines du Néolithique à la fin de l’âge du Fer : thèse, université de Rennes I, 1993.
Nicolas 1957 : NICOLAS (J.). — Contribution à l’étude géologique et minéralogique de quelques gisements de kaolin breton : thèse de la faculté des Sciences de Paris, 1957.
Orain 1882 : ORAIN (A.). — Géographie pittoresque du département d’IIIe‑et‑Vilaine. Rennes : Le Roy, 1882, p. 104.
Peacock 1985 : PEACOCK (D.P.S.). — Petrology and Ceramics : A Review of Work on Medieval Pottery. In : The Archaeologist and the Laboratory. London : Council for British Archaeology, 1985, p. 5‑8. (Research Report ; n° 58).
Querré 1986 : QUERRÉ (G.). — Étude céramologique. In : LANOS (P.), QUERRÉ (G.), LEROUX (G.). — Un Atelier de potier carolingien à Launay‑Margat en Guipel (Ille‑et‑Vilaine) : fouille, datation et production. Les Dossiers du CeRAA, no 14, 1986, p. 53‑71.
Querré 1987 : QUERRÉ (G.). — Étude céramologique. In : LANOS (P.), QUERRÉ (G.). — Datation archéomagnétique et étude céramologique de la poterie carolingienne de Launay‑Margat en Guipel (Ille‑et‑Vilaine). Revue d’archéométrie, no 11, 1987, p. 69‑70.
Salaün 1955.
William 1983 : WILLIAMS (D.F.). — The Petrology of Ceramics. In : The Petrology of Archaeological Artefacts. Oxford, 1983, p. 301‑329.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | FIG. 1 – Microphotographies de poteries à minéraux basiques. 1 Poterie onctueuse en LN (lumière naturelle), de la maison de Kerguellec‑Palud, Tréguennec (Finistère) : grands fragments de chloritite clairs ; 2 et 3 poterie onctueuse de la maison de Kerguellec‑Palud, en LP (lumière polarisée) : grands fragments de talc, avec minéraux opaques inclus, accessoirement un peu de quartz (plus blanc) ; 4 tesson post‑médiéval à pâte fine, en LP, de La Poterie Lamballe (Côtes‑d’Armor) : minéraux opaques, amphibole (grains à teintes vives), quartz ; 5 poterie, en LP, du type de Pabu‑Guingamp, château de terre de Landebaëron (Côtes‑d’Armor) : feldspaths plagioclases (macles polysynthétiques) et amphibole dans un grand fragment de diorite à gauche ; grain isolé d’amphibole dans la pâte, en bas, à droite ; 6 poterie, en LN, du type de Pabu‑Guingamp, château de terre de Landebaëron (Côtes‑d’Armor) : grands cristaux d’amphibole hornblende brune. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/41948/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 303k |
![]() | |
Légende | FIG. 2 – 1 Macrophotographie d’un tesson de St‑Jean‑la‑Poterie (Morbihan), avec spicules d’éponges siliceuses, dont une trifurquée ; le diamètre moyen de ces spicules est de l’ordre de 1/10 mm. 2 à 6 Microphotographies de poteries : 2 poterie carolingienne à dégraissant granitique, en LN (lumière naturelle), de Trans (Ille‑et‑Vilaine) : fragments anguleux de quartz, parfois associés à du feldspath altéré ; 3 poterie médiévale (XIIe s.), en LN, de Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine) : pâte très fine, à grosse inclusion d’argile cuite, de même composition que la pâte, et grains de quartz d’origine alluvionnaire parfois broyés ; 4 poterie carolingienne, en LP (lumière polarisée), de l’atelier de Meudon (Morbihan) : fragments de gneiss (quartz et feldspath), dans une pâte phylliteuse ; 5 poterie médiévale à « œil de perdrix », en LP, de Landéan (Ille‑et‑Vilaine) : fragment de granite (quartz et feldspath plagioclase), grains de quartz anguleux, vides dans la pâte (noirs) ; 6 poterie du Xe s., en LP, de Crea’chGwen à Quimper (Finistère) : grains de quartz anguleux et lamelles de mica (muscovite) ; on notera l’orientation des paillettes de mica autour des grains de quartz lors du travail de la pâte. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/41948/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 287k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1996