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Ateliers de potiers médiévaux en Bretagne

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François Fichet de Clairfontaine

Partie 3. Les données de laboratoire

Chapitre 1. Analyses archéomagnétiques et datations

Quelques ateliers de haute Bretagne

Philippe Lanos

Résumé

Quatre ateliers de potiers médiévaux de haute Bretagne ont fait l’objet d’analyses archéomagnétiques accompagnées, selon les cas, par des datatoins radiocarboniques ou par thermoluminescence. Il s’agit des sites de Trans, de Guipel, de Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine) et de Meudon (Morbihan). Après un rappel historique du développement, en France, de la méthode de datation par l’archéomagnétisme appliquée aux argiles cuites et un exposé des dernières avancées concernant la correction d’anisotropie d’aimantation thermorémanente, dont la prise en compte est fondamentale pour l’obtention de datations fiables, une notice critique des travaux effectués pour chacun des quatre ateliers est donnée. Dans chaque cas, la discussion porte sur la comparaison des résultats chronologiques obtenus par les différentes méthodes mises en jeu et sur la comparaison des résultats archéomagnétiques obtenus à partir des différents types de prélèvements effectués. Nous attirons enfin l’attention des lecteurs sur les progrès et les enjeux actuels de la recherche en archéomagnétisme. Nous montrons comment la fiabilité de cette méthode dépend tout autant des archéologues que des physiciens, qui ont ainsi tout intérêt à une étroite collaboration.

Texte intégral

1.1 Introduction

1La méthode de datation par l’archéomagnétisme a connu depuis une dizaine d’années des progrès importants à la fois en précision et en fiabilité. Deux aspects de la méthode sont à considérer : l’un est la reconstitution de la variation séculaire, en direction et en intensité, du champ magnétique terrestre (CMT) au cours du temps, l’autre concerne les techniques de laboratoire permettant d’obtenir, à partir de l’aimantation rémanente naturelle (ARN), mesurée sur une argile cuite, une estimation aussi fiable et précise que possible de la direction vraie du CMT ayant régné au moment de la cuisson.

2Les recherches sur la variation séculaire se poursuivent depuis les premiers travaux d’É. Thellier (1938, 1959 et 1981), aussi bien au laboratoire de Géomagnétisme de St‑Maur‑des‑Fossés (CNRS), en région parisienne, qu’au laboratoire d’Archéométrie à l’université de Rennes I. La compilation des données de référence dépend du rythme des découvertes archéologiques de fours céramiques bien datés. C’est dire l’importance des apports de l’archéologie en ce domaine, et la nécessité d’une sensibilisation des archéologues pour que toute structure bien datée soit prélevée et analysée. Les campagnes de prélèvement effectuées sur le terrain par notre équipe, les stages de formation organisés au laboratoire, de même que la participation aux séminaires et colloques ont déjà permis d’établir de très nombreuses collaborations sur tout le territoire français, ainsi qu’en Italie, en liaison avec l’École française de Rome, et en Espagne dans le cadre d’un programme sur les ateliers médiévaux de la péninsule Ibérique, en collaboration avec le laboratoire d’Archéologie médiévale méditerranéenne d’Aix‑en‑Provence.

3D’autre part, dans le domaine de recherche qu’est le « magnétisme des roches », l’étude approfondie de l’aimantation thermorémanente (ATR) des matériaux de construction d’argile cuite (tuiles, briques), à partir de 1987 au laboratoire d’Archéométrie, a montré qu’il était désormais nécessaire d’effectuer un certain nombre de vérifications et corrections pour obtenir une estimation fiable et précise de la direction vraie du CMT au moment de la cuisson. Il s’agit en particulier d’éliminer les effets de l’anisotropie d’aimantation thermorémanente. Depuis le début des années 1990, au laboratoire d’Archéométrie, ces corrections sont aussi appliquées aux prélèvements sur structures en place (fours de potiers, de tuiliers, fours à chaux...), constituées de briques et tuiles prises en réemploi dans les parois et soles des fours. Un travail de recherche est actuellement en cours afin d’étendre ces corrections aux argiles très cuites, mais friables, prélevées sur les fonds ou parois de fours.

4Le présent exposé fait état de travaux d’analyse effectués entre 1978 et 1989 sur les fonds vitrifiés de quatre fours de potiers situés respectivement à Trans, Guipel, Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine) et Meudon (Morbihan), ainsi que sur un lot de fonds de pots retrouvés dans le four de l’atelier de Guipel. Il s’agit donc de travaux plus ou moins anciens, qui n’ont pas toujours bénéficié des récentes améliorations de la méthode. C’est pourquoi, après un exposé méthodologique, nous ferons une étude critique des résultats obtenus, au vu de nos connaissances actuelles.

1.2 Aspects méthodologiques

1.2.1 Historique de la méthode

5Les études archéomagnétiques ont connu un essor très important en géophysique dans les années 1950‑1960 ; de nombreuses thèses ont été soutenues sur le magnétisme des argiles cuites, sous l’impulsion du professeur É. Thellier, alors initiateur de la méthode et directeur de l’institut de physique du Globe de Paris. Par la suite, la découverte du magnétisme des roches océaniques a permis d’étudier très précisément les mécanismes de la dérive des continents. Les recherches dites paléomagnétiques, c’est‑à‑dire appliquées au temps géologiques, se sont considérablement diversifiées et étendues (près d’une dizaine de laboratoires en France et plus d’une soixantaine dans le monde). Depuis les années 70, dans la lignée des travaux d’É. Thellier, les études archéomagnétiques, en France, ont été poursuivies par I. Bucur et J.‑C. Tanguy au laboratoire de Géomagnétisme de St‑Maur‑des-Fossés (CNRS) (Tanguy et al. 1985 ; Bucur 1986). Parallèlement, des recherches ont été effectuées au Proche‑Orient par A. Hesse, du Centre de recherches géophysiques de Garchy (CNRS). À partir des années 80, L. Goulpeau et L. Langouët, rejoints par P. Lanos en 1983 dans le cadre d’une thèse, mettent en œuvre cette méthode au laboratoire d’Archéométrie de l’université de Rennes I, en collaboration avec le laboratoire de Géophysique interne de cette même université (dirigé alors par N. Bonhommet). Ces auteurs relancent les recherches sur l’archéomagnétisme des matériaux d’argile cuite dits « déplacés » (tuiles, briques), grâce à l’utilisation de grands échantillonnages (Goulpeau, Langouët 1980), et étendent ainsi les applications de l’archéomagnétisme à l’ensemble des matériaux de construction en argile cuite (Goulpeau et al. 1986a ; Lanos 1987a ; Lanos, Querré 1987 ; Goulpeau, Lanos 1989 ; Lanos, Goulpeau 1990). Ces travaux ont en particulier permis de mettre en lumière l’importance de phénomènes magnétiques jusque‑là sous‑estimés (anisotropie d’ATR, effet des champs démagnétisants), qui peuvent affecter fortement, s’ils ne sont pas corrigés, les résultats de datation.

6La datation par l’archéomagnétisme repose sur la connaissance de la variation séculaire de la direction (inclinaison I et déclinaison D) du champ magnétique terrestre (CMT) au cours du temps. Les argiles cuites à plus de 700 °C acquièrent une aimantation d’origine thermique appelée aimantation thermorémanente (ATR), parallèle au CMT ambiant du moment de la cuisson. Mais les aimantations rémanentes naturelles (ARN) mesurées sur une structure sont généralement le résultat de la somme de plusieurs aimantations d’origines différentes : aimantation thermorémanente initiale, réaimantations partielles secondaires dues à des réchauffements postérieurs (notées ATRP), aimantations rémanentes visqueuses (ARV), tout ceci éventuellement perturbé par des phénomènes magnétiques tels que l’effet de forme, l’anisotropie d’ATR, etc. Des traitements spécifiques au laboratoire sont donc nécessaires à la fois pour éliminer les aimantations considérées comme parasites et pour corriger les effets des phénomènes magnétiques perturbateurs.

7L’analyse complète d’un lot d’échantillons archéomagnétiques permet ainsi d’obtenir une estimation fiable de la direction du CMT ambiant au moment de la cuisson, caractérisée par un cône de confiance à 95 % que l’on appelle « erreur sur l’estimation » (Fisher 1953). En particulier, plus le nombre d’échantillons prélevés est grand, et plus l’erreur commise sur cette estimation est petite. La direction du CMT, en un lieu donné, est caractérisée par son inclinaison I et sa déclinaison D. Pour obtenir la date de la dernière cuisson de la structure étudiée, il faut reporter sur la courbe de variation séculaire de référence à Paris, après correction de latitude, les valeurs moyennes de l’inclinaison I et de la déclinaison D du CMT déterminées pour la structure. Notons que la déclinaison n’est plus accessible lorsqu’il s’agit de matériaux déplacés (tuiles, briques, fonds de pots), mais que la prise en compte d’un paramètre appelé « déviation », caractérisant la position relative de ces matériaux par rapport au Nord magnétique de l’époque de cuisson (Lanos 1987a et b, 1990 et 1991), est fondamentale pour une détermination fiable de l’inclinaison du CMT. D’autre part, il n’est pas encore permis de faire de datation à partir de l’archéo‑intensité du CMT, mais un travail de thèse est actuellement mené sur ce sujet par Y. Garcia, dans le cadre d’une collaboration entre le laboratoire d’Archéométrie et le laboratoire de Géophysique interne de l’université de Rennes I. Il s’agit d’améliorer les conditions de mise en œuvre de la méthode mise au point par É. Thellier (Thellier, Thellier 1959), et surtout de reconstituer précisément la variation de cette intensité du CMT, en France, au cours des deux derniers millénaires.

1.2.2 Les corrections d’anisotropie d’aimantation thermorémanente

8Certaines argiles cuites présentent des directions de plus ou moins « facile aimantation » qui sont à l’origine d’anisotropies magnétiques parfois très importantes. La conséquence en est la non‑colinéarité entre la direction de l’ATR acquise et celle du CMT ambiant. Il existe plusieurs types d’anisotropie magnétique ; de susceptibilité, d’aimantation thermorémanente (ou d’ATR), d’aimantation isotherme (ou d’ARI), etc. Ces différenciations résident dans le processus physique d’acquisition de l’aimantation lui‑même. Par définition, l’anisotropie d’ATR intervient lors du processus d’acquisition de l’aimantation thermorémanente.

9Les études sur l’anisotropie d’ATR ont montré que la « capacité » de fonds de pots, de tuiles ou de plaques d’argile cuite (fonds de fours ou foyers) à s’aimanter selon leur plan d’aplatissement est presque toujours plus forte que celle à s’aimanter selon une direction perpendiculaire à ce plan. De façon schématique, ceci se traduit par une valeur de l’inclinaison de l’ATR acquise, toujours plus faible que la valeur vraie du CMT ambiant, dans le cas d’argiles dont le plan d’aplatissement est horizontal lors de la cuisson, et par une valeur d’inclinaison toujours plus forte dans le cas d’argiles cuites dont le plan d’aplatissement est vertical lors de la cuisson (par exemple tuiles, briques ou carreaux cuits sur tranche dans un four). L’origine de ces anisotropies d’ATR, qui sont parfois très fortes, est à rechercher dans la structure particulière des pâtes, qui dépend à la fois de la minéralogie des argiles utilisées et des techniques de moulage et de cuisson. Des études sont actuellement en cours pour mieux cerner l’influence de ces différents paramètres.

10Depuis les récents travaux menés au laboratoire d’Archéométrie de Rennes (Lanos 1987a), il est possible de corriger ces effets aussi bien sur les céramiques que sur les tuiles et les briques, dont les propriétés magnétiques et la tenue mécanique sont connues pour être excellentes. On peut donc obtenir des directions d’aimantation exemptes de toute perturbation magnétique, c’est‑à‑dire identiques à celles qu’avait le CMT au moment de la cuisson (Lanos 1987a ; Goulpeau et al. 1989). En revanche, jusqu’à présent, ces corrections n’ont pas été appliquées aux prélèvements sur argiles cuites friables. La correction des effets de l’anisotropie d’ATR nécessite des chauffes répétées à haute température sur des échantillons cylindriques (25 mm de diamètre et 22 mm de long) qu’il faut au préalable extraire des blocs prélévés sur le terrain. Ceci oblige à indurer le matériel friable avec des produits qui résistent à de hautes températures, et qui ne modifiait pas les propriétés magnétiques de l’argile étudiée. D’un point de vue pratique et en attendant la mise au point prochaine de ces indurations, les prélèvements en place actuels sont de préférence effectués, lorsque cela est possible, sur les tuiles ou les briques utilisées en réemploi et recuites dans les parois ou les soles des fours. En effet, les déterminations d’anisotropie sont dans ce cas déjà réalisables, comme pour les matériaux dits déplacés. Nous effectuons aussi les prélèvements sur les argiles vitrifiées des parois et fonds de fours, mais depuis 1993, un délai dans la fourniture des résultats est demandé aux archéologues dans l’attente que la chaîne complète des mesures et corrections soit aussi applicable à ce type de matériel.

1.2.3 Les faits archéologiques datés par archéomagnétisme

11Dans le cas des structures en place, le fait archéologique marquant daté correspond toujours à la dernière chauffe à plus de 700 °C. Il peut s’agir par exemple de la date d’arrêt de l’activité d’un four de potier. Naturellement, les échantillons prélevés doivent provenir des zones ayant subi ces fortes élévations de température. Dans le cas de matériaux dits déplacés tels que les tuiles, briques, carreaux, et céramiques, le fait archéologique marquant daté correspond à la cuisson ayant eu lieu lors de la fabrication. Ceci est vrai tant que l’objet n’a pas subi d’élévations de température ultérieures, à l’origine d’aimantations partielles secondaires (Goulpeau et al. 1986b ; Lanos 1990). Dans les cas favorables, on peut envisager d’estimer la durée maximale d’utilisation d’un four constitué de briques, en étudiant d’une part un lot suffisamment important et homogène de matériaux déplacés, utilisés en réemploi dans les parties externes des parois du four, d’autre part un lot de prélèvements en place sur les parties internes exposées à la chaleur. À la précision des datations près, il est possible d’obtenir ainsi une évaluation du temps écoulé entre le moment où les matériaux des parois ont été fabriqués et le moment où l’installation a été chauffée pour la dernière fois.

12Une datation obtenue par l’archéomagnétisme correspond à un « instantané », à la précision près des résultats. Il s’agit d’un terminus post quem, c’est‑à‑dire d’une date après laquelle une série d’événements s’est produite : par exemple la construction d’un bâtiment ne peut survenir qu’après la date de fabrication des briques qui le constituent, ou encore l’abandon d’un four, ou sa réutilisation après modification, ne peut survenir qu’après la date de la dernière chauffe. Ce type de raisonnement, qui semble une lapalissade, est fondamental en ce qu’il évite un usage abusif des datations. Dater de 280 apr. J.‑C. la fabrication d’un lot de briques en place dans le mur d’un édifice signifie, en toute rigueur et faute d’information complémentaire, que l’édifice en question a été construit entre l’année 280 (à la précision près de la mesure) et nos jours (c’est‑à‑dire le moment où les échantillons ont été prélevés). En effet, toute récupération postérieure n’est pas à exclure. Aussi, les données chronologiques obtenues n’ont de valeur que si elles sont confrontées et intégrées à l’ensemble des autres observations archéologiques et archéométriques tirées de la fouille.

1.2.4 À propos de la multiplicité des solutions chronologiques

13Il n’est pas rare d’obtenir plusieurs solutions chronologiques pour la datation d’un même lot. Cela résulte de ce que l’inclinaison ou la déclinaison du CMT a pu reprendre plusieurs fois la même valeur au cours du temps. Le contexte archéologique de la fouille permet assez souvent de privilégier ou de retenir sûrement telle ou telle solution. Mais ce choix peut parfois demeurer délicat, voire impossible. L’utilisation conjointe de l’inclinaison et de la déclinaison, dans le cas des prélèvements orientés sur structures en place, permet assez souvent de ne retenir qu’une seule solution, en dehors de toute considération archéologique.

14Quoi qu’il en soit, il est plus que souhaitable que la sélection de la solution chronologique soit indépendante de toute considération archéologique. Le laboratoire d’Archéométrie de Rennes porte actuellement son effort sur la résolution de ce problème de l’unicité de la solution chronologique. Ainsi, deux voies sont actuellement en cours d’exploration : d’une part une datation par l’intensité du CMT, d’autre part une datation par thermoluminescence. Ces deux méthodes de datation pourraient servir à ouvrir une « fenêtre » d’une largeur de un à deux siècles sur la courbe de variation de la direction du CMT, dans l’espoir d’obtenir, en dehors de tout critère archéologique, une seule solution chronologique au problème posé.

1.3 Les résultats obtenus

1.3.1 L’atelier de Launay Margat en Guipel (Ille‑et‑Vilaine)

15La fouille de l’atelier de Launay Margat en Guipel (Ille‑et‑Vilaine), effectuée sous la direction de P. Lanos en 1982, a mis au jour un petit four de potier circulaire accompagné d’une grande quantité de tessons d’une poterie typiquement carolingienne (Lanos et al. 1986). Le laboratoire, subcirculaire, offrait un diamètre moyen de 1 m et le fond présentait une pente inclinée régulièrement vers l’Est de 11° en moyenne. Le site de Guipel a fait l’objet d’une étude archéomagnétique complète portant à la fois sur le fond du four et les fonds de pots (Lanos, Querré 1987).

Datation archéomagnétique du four

16Dix échantillons ont été prélevés par P. Lanos dans l’argile vitrifiée du fond du four, selon la technique du cadre mise au point par É. Thellier. La mesure de la direction de l’aimantation sur chaque échantillon a été effectuée sur l’inductomètre à rotation continue du laboratoire de Géomagnétisme de St‑Maur‑des‑Fossés. L’aimantation rémanente visqueuse (ARV), qui est une aimantation parasite acquise lors du séjour prolongé du matériau dans le GMT depuis sa dernière cuisson jusqu’à nos jours, a été déterminée par la méthode directe‑inverse. La très faible viscosité magnétique des échantillons de Guipel (3,9 %) indique un matériau de bonne qualité. La statistique de Fisher (1953) appliquée aux dix échantillons a donné : I = 63,9 ± 1,0° E. ; D = 25,1 ± 2,3° E.

17Afin de comparer l’inclinaison moyenne retrouvée sur le four de Guipel avec la courbe de variation séculaire de l’inclinaison établie pour Paris, une correction de latitude de 0,5° est nécessaire, d’où :
IParis = IGuipel + 0,5° = 64,4 ± 1°.

18En excluant la période romaine, cette valeur de l’inclinaison se retrouve aux époques suivantes : 940, 1500 ou 1900 apr. J.‑C. (Combs, Thellier 1981 ; Bucur 1986).

19En fait, la valeur de 25° E. de la déclinaison portée sur les courbes de référence Inclinaison‑Déclinaison permet de ne retenir qu’une seule date possible située au Moyen Âge. En effet, ce n’est que durant le xe s. que la déclinaison du GMT dans nos régions atteint des valeurs dépassant les 20° E. On obtient donc une solution unique pour la datation archéomagnétique de la dernière cuisson du four de potier de Guipel : 940 ± 20 apr. J.‑C.

20Cent fragments de fonds de pots présentaient une surface plane de taille suffisante pour permettre une étude archéomagnétique. Des carottes de 25 mm de diamètre et d’épaisseur variant entre 4 et 10 mm ont été prélevées perpendiculairement au plan défini par les fonds à l’aide d’un foret diamanté amagnétique. Les mesures des directions d’aimantation ont été effectuées sur le magnétomètre spinner Schonstedt du laboratoire de Géophysique de l’université de Rennes I.

21Les résultats des mesures montrent que les pots de Guipel ont été cuits debout sur une surface horizontale ou proche de l’horizontale, et que 75 % d’entre eux avaient leur ouverture orientée vers le haut. Après désaimantation thermique, correction d’anisotropie d’ATR et correction de pente dans l’hypothèse où les pots reposaient debout directement sur le fond du four, incliné vers l’est de 11° (Lanos, Querré 1987), on a obtenu une valeur moyenne de l’inclinaison de 66°. Le désaccord entre cette inclinaison de 66°, mesurée sur les fonds de pots et celle de 64°, mesurée sur le fond du four peut provenir d’une légère anisotropie magnétique de l’argile vitrifiée du four lui‑même. Il suffirait que cette anisotropie soit de l’ordre de 10 % pour expliquer cette différence de 2°. Les recherches engagées au laboratoire permettront, nous l’espérons dans un avenir proche, de vérifier précisément si l’anisotropie d’ATR est bien à l’origine de cet écart.

Datation par le radiocarbone

22Environ 60 g de charbons de bois retrouvés dans la fosse à l’entrée du four et dans la couche noire recouvrant le sol d’occupation, situé en avant du four, ont été soumis pour datation par le 14C au Centre des faibles radioactivités de Gif/Yvette. Le résultat de la mesure d’âge donné par M. Delibrias est de 1040 ± 50 ans BP (GIF – 6074), soit, après calibration à partir des tables du « groupe de Tucson » (Revue d’archéométrie 1983), une date calendaire située avec 95 % de certitude entre 880 et 1140 apr. J.‑C.

Discussion

23Les datations par le radiocarbone et par l’archéomagnétisme s’accordent parfaitement quant à la date de dernier fonctionnement de ce four, qui est à situer au milieu du xe s. D’autre part, l’archéomagnétisme des fonds de pots conjugué à l’archéomagnétisme des structures en place a permis d’obtenir des indications sur le mode de remplissage du four. Ainsi, les pots devaient être cuits, empilés debout les uns sur les autres, dans un four très probablement sans sole suspendue. L’ensemble du chargement devait reposer directement sur le fond incliné du four, au contact direct avec le feu de l’alandier.

1.3.2 L’atelier des Mardrelles, situé près de la Ville‑Berger à Trans (Ille‑et‑Vilaine)

24La fouille de l’atelier des Mardrelles à Trans, réalisée sous la direction de L. Langouët en 1975 (Langouët et al. 1977), a permis de mettre au jour un four de forme circulaire d’un diamètre d’environ 1 m, noté F1. Un second four, distant de quelques dizaines de mètres, a été localisé par prospection.

Étude archéomagnétique du four F1

25Une série d’échantillons a été prélevée par L. Langouët sur le fond du four, resté en place malgré les mutilations dues aux labours, selon la technique du cadre de plâtre. Les mesures des aimantations, effectuées au laboratoire de Magnétisme terrestre de l’institut de physique du Globe de Paris (Langouët et al. 1977 ; 1978) ont donné la direction d’aimantation moyenne : I = 60 ± 1° ; D = 6 ± 4° E. Après une correction de latitude de 0,5°, l’inclinaison moyenne ramenée à Paris devient : IParis = 60,5 ± 1°.

26Compte tenu de l’état des connaissances, dans les années 1970, concernant la variation séculaire de l’inclinaison du CMT durant le Moyen Âge, trois solutions chronologiques apparaissaient : autour de 950, de 1200 et de 1430 apr. J.‑C (Langouët et al. 1977 ; 1978). Selon les courbes de référence plus récemment publiées (Thellier 1981 ; Bucur 1986), seules les deux dernières solutions demeurent, soit 1200 et 1450 apr. J.‑C.

Étude archéomagnétique de la poterie

27Un lot de 19 fonds de pots a aussi fait l’objet de mesures archéomagnétiques (Langouët et al. 1977 ; 1978). Les statistiques des positions de cuisson montrent que tous les pots ont été cuits debout, pour moitié le col vers le haut, et pour l’autre le col vers le bas. Cependant, les inclinaisons d’aimantation mesurées montrent des valeurs entre 30 et 45°, qui diffèrent sensiblement de l’inclinaison moyenne obtenue pour le four. Ceci indique un mode de chargement complexe des pots, certainement très différent d’un positionnement des fonds sur un plan horizontal. En conclusion, cette étude n’a pas permis de dater la fabrication des pots retrouvés dans la structure.

Datation par le radiocarbone

28Des charbons de bois ont été analysés par H. Valladas au Centre des faibles radioactivités de Gif‑sur‑Yvette (Langouët et al. 1977 ; 1978). L’âge apparent obtenu a été de 210 ± 80 ans BP (GIF – 3748). Selon L. Langouët, cette datation au cours du xviiie s. apparaît en totale contradiction avec les données fournies par la fouille, en particulier avec la typologie de la céramique. Ce désaccord peut résulter d’un phénomène de rajeunissement provoqué par des apports ultérieurs de carbone (racines par exemple).

Datation par thermoluminescence

29Des mesures de thermoluminescence selon la méthode classique ont été réalisées en 1977 sur des grains de quartz et de feldspath extraits des parois d’argile cuite du four (supposées avoir été chauffées à plus de 500 °C, comme l’exige la méthode) (Langouët et al. 1977 ; 1978). Les âges obtenus ont été de 1203 ± 100 ans pour le quartz et de 1156 ± 120 ans pour le feldspath (incertitude d’un écart‑type). La période de dernier fonctionnement du four serait donc comprise respectivement entre 674 et 874 apr. J.‑C., ou entre 701 et 941 apr. J.‑C. On peut noter que ces résultats sont compatibles entre eux. Deux autres datations thermoluminescence ont été obtenues par la méthode DATE (Langouët et al. 1985), soit les dates de 900 ± 200 ans et 1000 ± 200 ans (incertitude à deux écarts‑types) .

Discussion

30Pour des raisons archéologiques, il est légitime de rejeter la date radiocarbone obtenue. En uniformisant la présentation des quatre datations par thermoluminescence, c’est‑à‑dire en regroupant les résultats présentés selon deux écart‑types (seuil de confiance à 95 %), on obtient les intervalles de date suivants : 700‑1100 AD ; 800‑1200 AD ; 574‑974 AD ; 581‑1061 AD.

31La période 800 à 974 est commune à toutes ces datations. Le four a donc dû fonctionner au cours des ixexe s. D’ailleurs, cette datation est en parfait accord avec le contexte archéologique et historique du site. La datation archéomagnétique pose quant à elle quelques problèmes, la date de 1200 apr. J.‑C. étant assez largement déconnectée des dates obtenues par thermoluminescence. Sans vouloir rejeter d’emblée un déplacement toujours possible de la structure depuis sa dernière chauffe (le four F1 était très proche de la surface et très abîmé), il est très probable que ce désaccord provienne une fois de plus de l’existence d’une assez forte anisotropie, dont on sait que les effets sont de diminuer la valeur de l’inclinaison de l’aimantation acquise par la structure. De fait, compte tenu de l’allure de la variation de l’inclinaison du CMT entre les années 800 et 1300 apr. J.‑C., une correction d’anisotropie d’ATR aurait pour effet de remonter dans le temps la date d’arrêt du four.

1.3.3 L’atelier de Fontenay à Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine)

32Cette étude a porté sur le four de potier 3 de l’atelier de Fontenay à Chartres‑de‑Bretagne (Ille‑et‑Vilaine), fouillé en 1987 par F. Fichet de Clairefontaine (Fichet de Clairfontaine, Beuchet, cf. part. 2, chap. 4). Les prélèvements ont été effectués par P. Lanos et les analyses ont été réalisées conjointement par les laboratoires d’Archéométrie de Rennes et de géomagnétisme de St‑Maur‑des‑Fossés. Le premier laboratoire s’est chargé d’étudier les 7 briques prélevées, selon la technique du « chapeau » de plâtre, dans les parois de part et d’autre de l’entrée du four, tandis que les 12 échantillons prélevés sur le sol du four selon la technique du cadre ont été confiés au laboratoire de Géomagnétisme de St‑Maur‑des‑Fossés.

Étude archéomagnétique des briques prélevées dans les parois du four 1

33Les mesures d’aimantation ont été réalisées par P. Lanos sur le magnétomètre spinner Schonstedt du laboratoire de Géophysique de Rennes I. Les mesures brutes ont révélé une importante dispersion des directions d’aimantation, due aux ré‑aimantations partielles et à l’anisotropie d’ATR. La désaimantation thermique en champ nul par intervalle de température de 50° G, à partir de 100° C jusqu’à 550° C, a montré la coexistence de deux aimantations au sein des briques : une aimantation primaire acquise lors de la fabrication et une aimantation secondaire acquise lors du dernier chauffage du four. Les aimantations primaires observées ne sont pas suffisamment cohérentes et l’échantillonnage est trop faible pour qu’il soit possible de dater la fabrication de ces briques. En revanche, les directions des aimantations secondaires sont suffisamment cohérentes pour qu’il soit possible de dater la dernière utilisation du four. D’autre part, on a pu mettre en évidence l’existence d’une assez forte anisotropie moyenne à l’origine des faibles inclinaisons observées. Une correction d’anisotropie a donc été effectuée à partir des déterminations expérimentales faites au laboratoire.

34Les résultats cohérents obtenus après l’exécution de ces corrections ont permis de calculer, pour le four 1 de Fontenay, la direction moyenne de l’aimantation rémanente acquise lors de la dernière chauffe du four. En l’occurrence, l’application de la statistique de Fisher donne : I = 59,3 ± 1,9° ; D = 31,0 ± 3,7° E.

Étude archéomagnétique du sol de chauffe du four 3

35Les aimantations des 12 échantillons prélevés sur le fond du four ont été mesurées par I. Bucur à St‑Maur‑des‑Fossés. La cohérence des mesures brutes des aimantations de ces échantillons a montré qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une désaimantation thermique. L’aimantation acquise par l’argile du fond du four correspond dans sa totalité à la dernière chauffe du four. Mais en l’absence d’une détermination précise de l’anisotropie d’ATR, nous ne disposons que d’un premier résultat qui est : I = 58,0 ± 1,4° ; D = 19,5 ± 2,6° E.

Discussion

36Même si l’on peut observer un bon accord entre l’inclinaison moyenne brute mesurée sur le fond du four et celle déterminée à partir des briques prélevées dans les parois, le désaccord observé sur les déclinaisons peut s’expliquer simplement si l’on admet un léger basculement des parois de l’alandier postérieur à la dernière utilisation du four. Les briques des parois n’étaient donc plus dans leur position de cuisson d’origine lors du prélèvement effectué en place. En conséquence, les résultats obtenus sur ces briques nous apparaissent suspects, et il est raisonnable de les rejeter.

37En revanche, n’ayant pas observé sur le terrain d’affaissement ou de déformation visible du fond du four, les résultats archéomagnétiques peuvent être exploités si dans un premier temps on néglige tout effet d’anisotropie d’ATR. Dans cette hypothèse, l’inclinaison moyenne à prendre en compte pour la datation est de 58,0 ± 1,4°. Après une correction de latitude de 1,1°, cela fait une inclinaison de 59,1 ± 1,4° ramenée à Paris. Cette valeur, reportée sur les courbes de variation du GMT, se retrouve aux époques suivantes : entre 1070 et 1320, ou entre 1415 et 1520. Mais, associée à la valeur trouvée de la déclinaison magnétique (19,5 ± 2,6° E.), ces deux éléments déterminent une direction qui, portée sur la courbe de variation de I et D, ne se retrouve qu’à l’époque 1080‑1120 apr. J.‑C.

38La correction des effets d’une éventuelle anisotropie d’ATR, dans le cas d’un fond de four, ne pourrait conduire qu’à l’augmentation de la valeur de l’inclinaison moyenne servant à la datation. Ce qui, compte tenu de l’allure de la variation séculaire de l’inclinaison du CMT entre 800 et 1300 apr. J.‑C., conduirait à une date d’arrêt du four plus ancienne. En conclusion, et en restant prudent, on peut affirmer que le four 1 de Fontenay à Chartres‑de‑Bretagne s’est arrêté de fonctionner au plus tard au début du xiie s. apr. J.‑C.

1.3.4 L’atelier de Gohlien en Meudon (Morbihan)

Étude archéomagnétique du four 3

39Cette étude a porté sur le four 3 de l’atelier de Meudon, situé près de Vannes (Morbihan), et fouillé en 1986 par A. Triste et D. Taquet (Triste et al., cf. part. 2, chap. 2). Huit échantillons ont été prélevés, par L. Goulpeau du laboratoire d’Archéométrie, sur le fond du four, Selon la méthode du cadre de plâtre. Les mesures ont été effectuées par I. Bucur au Laboratoire de géomagnétisme de St‑Maur‑des‑Fossés. Sept échantillons ont donné des résultats exploitables. La direction moyenne de l’aimantation de la structure, calculée d’après la statistique de Fisher, a donné : I = 65,9 ± 1,6° ; D = 5,2 ± 4,0° E. Après correction de latitude entre Vannes et Paris, l’inclinaison moyenne devient : IParis = 67,0 ± 1,6°.

40Cette direction moyenne du CMT, déterminée pour le four 3 de Meudon s’accorde très mal avec la courbe de référence (I, D) publiée par É. Thellier (1981). En effet, des années 700 aux années 1000 apr. J.‑C., la déclinaison du CMT augmente progressivement de 5° E. à 20° E., tandis que l’inclinaison diminue régulièrement de 73° à 65°. Il est donc impossible d’en tirer une conclusion.

Datation par le radiocarbone et discussion

41Une datation par le radiocarbone a été effectuée sur des charbons de bois retrouvés dans le four. La date calibrée obtenue est de 790‑1035 apr. J.‑G. (GIF – 7190). D’autre part, les évidences archéologiques placent la fabrication des céramiques dans le courant du haut Moyen Âge. Aussi, la raison de l’échec de la datation archéomagnétique, due à la valeur trop faible de l’inclinaison (67°) mesurée ici, est à rechercher une fois encore dans l’existence très probable d’une importante anisotropie d’ATR du fond du four.

1.4 Bilan et perspectives d’avenir

42Les différents exemples traités témoignent de la complémentarité des méthodes de datation par archéomagnétisme, radiocarbone et thermoluminescence, et il est toujours prudent de combiner plusieurs méthodes de datation, lorsque cela est possible, dans le but de conforter ou d’invalider plus sûrement les résultats.

43Un survol trop rapide de cette synthèse sur les datations archéomagnétiques de fours de potiers, effectuées en Bretagne jusqu’en 1989, pourrait faire douter de l’efficacité de la méthode de datation par l’archéomagnétisme, mais nous avons choisi de jouer le jeu de la transparence et de l’actualisation des données. Personne, jusqu’aux années 1980, ne soupçonnait l’importance de ce problème de l’anisotropie d’ATR dans les argiles cuites de type tuiles ou fonds de fours. Les recherches menées à Rennes ont montré qu’il était possible de corriger les effets de cette perturbation et d’obtenir des résultats archéomagnétiques fiables à des fins de datation. Cependant, il ne faudrait pas noircir exagérément le tableau en ce qui concerne les résultats acquis antérieurement, car cette anisotropie d’ATR n’intervient pas systématiquement sur toutes les argiles cuites. Une partie seulement de ces argiles est affectée par ce problème, mais il est certain que seules des vérifications au laboratoire permettront de lever le doute.

44Nous sommes donc convaincus que l’amélioration de la fiabilité des datations archéomagnétiques de structures en place dépend de la capacité des laboratoires à déterminer et à corriger systématiquement cette anisotropie, lorsqu’elle existe. C’est ce à quoi s’attache le laboratoire d’Archéométrie de Rennes I depuis les années 1987. La démarche scientifique exige une humilité certaine, comme dans le cas présent où nous devons reconnaître que certains (nous disons bien certains, et non tous) des résultats acquis antérieurement aux années 1987, en particulier en ce qui concerne les structures en place, ne sont encore que provisoires. Il est à la charge des archéomagnéticiens d’apporter des réponses techniques aux problèmes posés, mais il est aussi à la charge des utilisateurs, à savoir les archéologues, de rester prudents dans leurs conclusions et de tenir compte des problèmes de méthode ainsi que des mises en garde émises par les archéomètres. L’archéomagnéticien donne à l’archéologue des résultats qui sont toujours fonction des connaissances scientifiques du moment et de la précision des renseignements qui lui ont été communiqués quant au site.

45Grâce aux améliorations sensibles de la méthode, aussi bien dans le domaine des traitements statistiques que dans le domaine de la correction des perturbations magnétiques parasites, la méthode de datation par l’archéomagnétisme peut offrir une très grande précision (jusqu’à ± 20 ans) à la condition que la variation séculaire du CMT soit elle aussi bien connue. Nous nous permettons de rappeler que toute structure d’argile cuite bien datée par l’archéologie ou les documents historiques doit, si possible, faire l’objet d’une étude archéomagnétique, ceci dans le but de compléter et d’améliorer les courbes de variation séculaire de référence. Les archéologues et les historiens de l’art détiennent la matière première nécessaire à toute reconstitution fiable de ce CMT. Le géomagnétisme a besoin de l’archéologie et de l’histoire qui, en retour, devient la principale bénéficiaire des progrès accomplis.

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