1Comme un peu partout pour l’Antiquité tardive, on n’a en Armorique guère d’indication précise sur l’époque où les fabriques de poteries communes gallo‑romaines ont été abandonnées. On situe assez approximativement, vers la fin du iv^e s. et le tout début du v^e s., les dernières importations de sigillées d’Argonne, de céramiques saintongeaises « à l’éponge », de « black burnished ware » du Dorset, de « new forest ware », qui se trouvent accompagner les dernières productions locales ainsi datées. Les dérivées de sigillées paléochrétiennes grises se rencontrent en petite quantité au nord de la Loire, entre autres à Corseul (Côtes‑d’Armor)1. La chronologie des DSP durant le v^e s. et par la suite demeure des plus floues et on ne peut davantage s’aider des découvertes des sigillées claires. Le seul exemplaire de sigillée claire africaine, un fragment de couvercle de la première moitié du v^e s., a été recueilli à Corseul, dans un niveau de destruction d’un édifice du Bas‑Empire.

2En fait de troubles, l’Armorique (dans un sens géographique difficile à cerner, qui peut être le plus élargi) fait sécession entre 409 et 417. Il est difficile de croire que les potiers ont alors fermé boutique. La Bretagne insulaire est isolée à partir de 410, mais au Cornwall, on produit une poterie « sub‑romaine », dite de « Gwythian style ». Celle‑ci ressemble beaucoup à ce qui se fabriquait à l’âge du Fer ; à la pâte est toujours gabbroïque ; les formes sont constituées de jarres et de plats. La cessation de cette production appelée encore « romano‑Cornish ware » est d’une date incertaine dans le cours du v^e s. Au pays de Galles, la situation est encore pire. Avec la « very coarse pottery » (VCP), les confusions entre ce qui est de l’âge du Fer et ce qui pourrait être post‑romain sont constantes, la dénomination de « native pottery » ayant été décernée à quelques tessons d’âge post‑romain, de facture particulièrement grossière. Ensuite, si nous comprenons bien, le pays de Galles n’aurait guère de céramiques avant le xi^e s. La cessation de la fabrication de céramiques, comme de bien d’autres productions, à part ces épi‑phénomènes très locaux, est interprétée comme un résultat de l’effondrement subit de l’économie de marché de la Bretagne romaine (Evans 1990). Elle ferait suite à l’arrêt de la récolte des impositions impériales, dont une partie servait de moteur à l’économie par utilisation sur place. Il reste à voir si tout ou partie de cette explication vaut en Armorique.

3La fouille récente du site rural de Miniac‑Morvan (Ille‑et‑Vilaine), qui appartient à l’Antiquité tardive, peut apporter un premier élément de réponse (Arramond 1990). Mais il s’agit d’un cas encore trop isolé qui ne peut donc être généralisé. La première occupation du site n’est pas antérieure à la seconde moitié du iv^e s. Cette première phase (vers 350 – début du v^e s.) associe des importations de sigillées d’Argonne (Chenet 304, 320, 324 et 328) à des pots ovoïdes et des pelves produits localement. On constate l’absence totale des importations romano‑britanniques, présentes en abondance par exemple dans les niveaux de la première moitié du iv^e s. de Corseul et d’Alet à St‑Malo (Fulford 1974 ; Langouët 1987 ; Leroux 1988). La seconde phase que l’on rattache au v^e s., sans plus de précision, est caractérisée par la présence de céramiques non tournées, à pâte à texture très hétérogène, qui témoignent d’une modification importante de la production céramique. On note l’absence de sigillées d’Argonne et de céramiques « à l’éponge ». Les formes recueillies sont malheureusement trop fragmentées pour proposer un catalogue typologique de la céramique non tournée qui apparaît inédite. La troisième phase (fin v^e s.–vi^e s.?) est de datation imprécise car les niveaux ont été fortement perturbés par les labours. On constate l’introduction très timide de céramiques mérovingiennes (bols carénés) ornées à la molette et la présence d’une importation anglo‑saxonne. L’abandon de la ferme de Miniac‑Morvan pourrait se situer au cours du vi^e s.

4L’exemple de ce site de haute Bretagne nous rappelle ceux du Cornwall, et pourrait effectivement démontrer que la rupture des années 409‑417 eut un réel effet sur la production céramique. Ce constat doit cependant être nuancé. La présence de formes non tournées démontre bien que de nouveaux ateliers se développent au v^e s. Mais de rares fragments de céramiques tournées de facture « gallo‑romaine » (cf. supra) sont présents dans les niveaux de la phase II, ce qui pourrait attester que la rupture ne fut pas complète et que des ateliers de tradition antique ont continué à subsister un temps. Il est probable qu’à la même période, les importations de céramiques méditerranéennes touchèrent l’Armorique. C’est un phénomène important constaté en Bretagne insulaire, comme ailleurs dans toutes les régions celtiques insulaires, sur les sites « aristocratiques ». En Bretagne insulaire, ces importations se trouvent en compagnie de la fin du « Gwythian style », entre autres associations, et sont maintenant bien datées pour l’essentiel de la période 475‑550 apr. J.‑C. Ceci pourrait être valable pour le tesson d’amphore B2 de l’île Lavret à Bréhat (Giot, Querré 1985) et pour le fragment de sigillée claire africaine de Corseul. On notera qu’une sigillée claire africaine a été découverte dans le castrum de Cherbourg et que des sigillées claires D étaient associées à des céramiques non tournées sur un site de Granville (Manche).

5On ignore à peu près tout des productions céramiques de l’Armorique du vi^e à l’extrême fin du viii^e s. Même dans les régions plus continentales, comme la basse Loire (Loire‑Atlantique) et le bas Maine (Mayenne), ou dans la Bretagne orientale restée à l’abri des implantations bretonnes pendant la période mérovingienne, il est difficile d’évaluer la signification des tessons de poterie commune trouvés dans les terres des cimetières installés vers la fin du vi^e s. et au cours du vii^es. On n’y trouve quasiment pas de céramiques mérovingiennes caractéristiques, alors qu’il y a tout de même des objets métalliques identifiables (Guigon et al. 1988, par exemple). Le site de Miniac‑Morvan est l’un des rares à avoir livré deux fragments de bols carénés mérovingiens, et, sur la nécropole de Corseul (Fichet de Clairfontaine 1989), seule une cruche à goulot verseur datée approximativement du viii^e s. a été découverte cependant entre deux tombes. En basse Bretagne, les formes recueillies sur les sites du haut Moyen Âge sont extrêmement rares, bien différentes d’un site à l’autre, ce qui suppose l’existence de petites unités de production à faible diffusion. Compte tenu de l’état des tessons recueillis et de l’absence de localisation des sites de production, la céramique produite entre le vi^e et le ix^e s. reste pour nous une énigme. De sorte qu’on peut dire que la véritable reprise de la fabrication céramique, attestée par les fouilles et dans ce qui entre temps est devenu la Bretagne, ne commence pas avant la période carolingienne, dans des contextes de circuits économiques et d’influences politiques sans doute renouvelés par la succession des expéditions carolingiennes dans la deuxième moitié du viii^e s. et ensuite.

6On a supposé que le site potier de Meudon à Vannes, qui a fonctionné vers 790‑900, a pu trouver son origine dans un contexte particulier dans lequel s’est inséré le Vannetais entre 753 et 831 (Barrère, Fichet de Clairfontaine 1984). La constitution de la Marche de Bretagne, regroupant les comtés de Nantes, Rennes et Vannes, a créé une nouvelle situation politique ; elle a pu favoriser l’intrusion dans le monde breton d’une production typiquement « franque ». Meudon a ainsi produit des formes similaires à celles recueillies à Cosne‑sur‑Loire (Bouthier 1977), Montreuil‑sur‑Lozon (Bouthier 1962), Saran (Chapelet 1973), Jublains (Naveau 1979) ou dans les ateliers carolingiens de la haute Bretagne. Le retour du Vannetais à la Bretagne dès 831, s’il n’a peut‑être pas arrêté l’activité de l’atelier de Meudon, semble avoir au moins mis un terme au développement de sites de productions d’influence franque dans la zone bretonnante. Dans l’état actuel de nos connaissances, tout en se défiant fortement de l’influence des évènements politiques et militaires sur l’artisanat céramique, on notera que la production de Meudon est un cas particulier, ne trouvant guère de similitudes avec celles de la Bretagne bretonnante, si on excepte un atelier finistérien, non encore localisé, qui a fabriqué vers les ix^e‑x^e s. une céramique beige ornée à la molette (Giot et al. 1986) ainsi que quelques pots ovoïdes receuillis à Creac’h Gwen à Quimper (Ménez 1988).

7On situe, au plus tard au cours du x^e s., la naissance de deux zones de productions céramiques nettement différenciées, lesquelles perdureront jusqu’à la fin du xv^e s. À l’ouest d’une ligne qui court de Redon à Lamballe se situe faire bretonnante qui est fidèle aux rebords à profil rectangulaire, de préférence droit par rapport à l’axe des vases. Cette zone a repoussé ses frontières de l’est pour gagner des centres potiers comme La Poterie Lamballe (fig. 1) –alors qu’à Planguenoual tout proche, les céramiques du x^e ou xi^e s. présentent des lèvres « à bandeau– et St‑Jean‑la‑Poterie (fig. 2). On peut émettre l’hypothèse que cette identité est due à une « normalisation » sur les formes de la poterie « onctueuse ». C’est la raison pour laquelle des productions, telles que celles recueillies à Creac’h Gwen, apparaissent isolées au sein du X^e s. et ne perdureront pas au‑delà de ce siècle (fig. 3). « Ces vases faits d’une terre très douce, savonneuse, se rayant facilement à l’ongle, d’une couleur brun‑chocolat et que nous nommons à Quimper poterie onctueuse » (Grenot 1871) apparaissent dès le x^e s. et seront produits au moins jusqu’au xvi^e s. dans le pays Bigouden. Il s’agit de marmites ou chaudrons, de couvercles, de plats ou galettières très plates qui seront bien souvent imités par la plupart des ateliers de faire bretonnante (Giot, Morzadec, part. 3, chap. 2 infra). On constate que les formes produites dans cette zone n’évolueront guère du x^e au xv^e s. et que les céramiques, loin d’être des productions de luxe, seront toujours à usage culinaire et de simple facture.

8Ces caractéristiques de la production « bretonnante » sont sans doute, pour une grande part, dues à la faible importance de la céramique au sein du mobilier domestique. Après la période antique, le vase en terre cuite apparaît bien cantonné dans les cuisines et une grande place semble accordée aux vaisselles de bois ou de métal. L’utilisation du bois pourrait expliquer l’absence ou l’extrême rareté de la céramique dans les villages désertés (Berrien ou Brennilis dans le Finistère), comme elle explique le lent renouvellement des formes céramiques. Se pose, dans ce domaine, le problème des céramiques importées. La présence de productions saintongeaises sur les grandes tables des châteaux (Suscinio, Rieux à 2 km des ateliers de St‑Jean‑la‑Poterie, Inzinzac‑Lochrist, etc.), des abbayes (Landevennec) ou des villes (Hennebont) peut être due, entre autres, à l’absence de produits de qualité introuvables sur place, d’où son attrait. Mais il faut nuancer l’intérêt porté au pichet saintongeais, au demeurant très rare dans les collections archéologiques bretonnes, qui a pu accompagner ou contenir les vins importés, fort prisés par les gourmets bretons. Pour le moins, il semble que la céramique ne soit pas considérée comme un élément de confort et de luxe intérieur en milieu bretonnant.

9À l’est, l’ancien comté de Rennes, au contact avec la basse Normandie, le bas Maine et la basse Loire, voit se développer des productions dont le catalogue des formes s’insère de manière étroite dans le contexte céramique de l’Europe du Nord‑Ouest des x^e‑xv^e s. (Couanon et al. 1993). Au x^e s., Guipel, Trans et Planguenoual livrent des oules à lèvre « à bandeau » et des cruches à bec ponté ou à goulot verseur. Au xi^e s., ces formes sont produites en abondance par les ateliers de Chenac à Langon et de Fontenay à Chartres‑de‑Bretagne. L’influence franque est incontestable. On note la présence de la glaçure dès le x^e s. ; toutefois, elle ne sera d’un emploi courant qu’à partir du xiii^e s. L’usage du décor peint monochrome ne paraît jamais avoir été prisé et les quelques fragments à décor peint, recueillis dans une couche datée de 1166 du château de Fougères (Fichet de Clairfontaine et al. 1990), nous semblent provenir de la Normandie ou du Maine. L’évolution des productions céramiques, du xiii^e au xv^e s., est similaire à celle de l’Île‑de‑France et de la Normandie. À Chartres‑de‑Bretagne, au xiii^e s., les ateliers produisent des pots globulaires à lèvre à bandeau, des jattes, des cruches à bec pincé et des pichets du type très décoré. Cette dernière production, qui semble pour l’heure anecdotique et unique pour la Bretagne, est peut‑être liée à la présence d’un vignoble connu des Rennais. Elle est aussi associée à de la vaisselle de table (tasses, pichets, coupes, etc.), des pavés historiés et des céramiques architecturales. Au xv^e s., l’apparition des ateliers de Landean (Ille‑et‑Vilaine), peut‑être due à la venue de potiers mayennais ou normands et probablement liée à une initiative du pouvoir seigneurial, renouvellera le catalogue des formes. Les ateliers produisent des mortiers « à œil de perdrix » similaires à ceux de La Hardelière à Laval (Mayenne) et de Héloup (Orne) (Bucur et al. 1984). La différence est donc nette avec le milieu bretonnant. La haute Bretagne constitue une région qui est restée fortement influencée par les traditions antiques et est demeurée ouverte aux influences extérieures –toutefois dans une très faible mesure pour la période mérovingienne où l’influence bretonne s’est faite sentir–, et la céramique semble avoir toujours tenu sa place face au bois et au métal.

10L’Armorique médiévale des x^e‑xv^e s., loin de former une aire de production céramique homogène, s’est donc subdivisée en deux zones bien différenciées. Mais la naissance de villages spécialisés, à proximité plus ou moins immédiate de centres urbains, à partir des xii^e‑xiii^e s., est un phénomène qui s’est étendu depuis Brest jusqu’à Fougères. La situation politique, économique et sociale (émergence des villes, développement de la marine bretonne, de l’artisanat rural, etc.) ont ainsi favorisé le développement de Pabu, La Poterie Lamballe, Bodérès à Plonéour‑Lanvern et St‑Jean‑la‑Poterie pour l’aire bretonnante, de Chartres‑de‑Bretagne, Bruz, Landéan ou les marais de Dol pour celle franque ou gallo, ceci au détriment des petits ateliers ruraux dont le nombre semble s’être restreint après le xi^e s.