Chapitre 6. L’évolution des pratiques funéraires et l’organisation sociale
p. 135‑145
Texte intégral
6.1 Introduction
1Le classement en trois catégories des sépultures tumulaires proposé par F. R. Hodson (1979) à partir du nombre, de l’organisation des tombes et de la qualité du mobilier, ne rend sans doute compte que partiellement des contraintes sociales qui régissent le rituel funéraire au premier âge du Fer. Il distingue ainsi deux types de nécropoles destinées à des personnages socialement privilégiés inhumés, soit isolément (on peut classer bon nombre de nécropoles du Ha C dans cette catégorie), soit entourés de personnages d’un rang inférieur (Magdalenenberg, Hirschlanden, Hohmichele, etc.) et des nécropoles composées de plusieurs tertres correspondant probablement à des groupes familiaux. Au Hallstatt D, à côté des tombes à mobilier exceptionnel de type aristocratique ou princier, bien caractérisées par les dépôts de char, d’objets luxueux et d’importations, l’essentiel des nécropoles est composé par des tumulus à caractère collectif où le mobilier funéraire des défunts (parures et armement), quoique de richesse inégale, se distingue nettement des précédents et a permis d’en établir une hiérarchie (Frankenstein, Rowlands 1978 ; Kilian‑Dirlmeier 1974). Le tumulus de Courtesoult nous amènera à nous intéresser plus particulièrement à celles‑ci. Leur interprétation sociale est argumentée dans deux directions non exclusives. La première d’ordre familial (famille réelle ou élargie, famille fictive, lignage, etc.) met en avant l’association dans un même tertre de tombes masculines, féminines et d’enfants, l’échelonnement des tombes dans le temps pendant plusieurs générations, sinon leur continuité, le nombre restreint des sépultures, rarement supérieures à la dizaine dans un même tertre (Hodson 1979 ; Spindler 1983). La seconde, d’ordre hiérarchique et territorial (chef et son entourage, notables villageois et leur clientèle : serviteurs, etc.) se fonde sur la richesse respective du mobilier funéraire, la présence d’une tombe centrale souvent plus richement dotée et, par extrapolation, le petit nombre de tombes connues par rapport à celui d’une population théorique (Brun 1988). La recherche d’une hiérarchie que le mobilier de ces tombes ne devrait pas manquer de refléter (Kilian‑Dirlmeier 1974) dépend d’une bonne appréciation préalable des tombes masculines et féminines, des âges et de la chronologie. Les différences sensibles dans la composition de la parure masculine et féminine (Spindler 1975 ; Parzinger 1986), sa spécificité par classes d’âge, rendent ce genre d’approche particulièrement complexe, à fortiori à partir de séries anciennes pour lesquelles les déterminations anthropologiques font cruellement défaut. On confrontera à ce propos les interprétations différentes de I. Kilian‑Dirlmeier (1974) et de L. Pauli (1972) à partir de la nécropole de Mühlacker. Cette démarche souffre souvent aussi de l’impossibilité d’une approche territoriale conjointe et d’une méconnaissance des habitats correspondants. C’est pourquoi nous réserverons une large part de ce chapitre à une approche paléodémographique préalable à toute tentative d’interprétation sociale.
6.2 Paléodémographie et organisation du tumulus
2En nous appuyant sur les discussions et les résultats paléodémographiques développés en annexe (annexe 4), il nous reste maintenant à proposer une synthèse et une interprétation générale de ces résultats du double point de vue de la population elle‑même et des pratiques funéraires du tumulus de Courtesoult. Il s’agit donc, dans un premier temps, de discuter une interprétation du biais détecté dans la « population inhumée » (l’absence de 92 %, c’est‑à‑dire de la presque totalité, des enfants de moins de 5 ans) puis de fournir des hypothèses quant à la composition de la population vivante correspondant aux effectifs corrigés de la « population décédée » qui en est issue. Il faudra enfin élargir le cadre de réflexion au‑delà du strict champ de la paléodémographie pour confronter nos résultats aux autres informations archéologiques, essentiellement les données chronologiques et la répartition topographique des individus pour tenter d’interpréter l’évolution des pratiques funéraires, l’organisation sociale et le fonctionnement du tumulus de Courtesoult en tant que structure funéraire.
6.2.1 Interprétation du biais des 0‑4 ans
3L’étude paléodémographique a mis en évidence une importante sous‑représentation sélective des enfants de moins de 5 ans inhumés à Courtesoult (cf. § 3.4 de l’annexe 4), sans toutefois fournir d’explication de ce biais pourtant très considérable puisque nous avons estimé (cf. § 4.4 de l’annexe 4) qu’il nous prive de 92 % des enfants de la classe 0‑4 ans (en années révolues) et, parmi eux, de la totalité des enfants de moins d’1 an (classe 0 an). Cette question de la sous‑représentation des enfants des classes les plus jeunes, avec parfois un seuil d’âge différent, s’est posée également pour de nombreux cimetières ou ensembles sépulcraux (en particulier protohistoriques) et a déjà donné lieu à un sérieux examen (Acsádi, Nemeskéri 1970 ; Masset 1973a ; 1973b, 1976 ; Sellier 1989).
4Il est clair que l’on ne peut pas retenir l’interprétation, pourtant si souvent invoquée, d’une moindre conservation des squelettes des individus de moins de 5 ans. Pour commode et rebattue qu’elle soit (Vallois 1960 ; Angel 1969 ; Petersen 1975 ; Hassan 1981 : 96), l’idée que « les squelettes d’enfants très jeunes disparaissent spontanément dans le sol dans la majorité des cas » (Riquet 1965 : 615) et s’y dissolvent mystérieusement n’est pas acceptable. Il s’agit d’ailleurs toujours d’un argument d’autorité, accepté sans discussion pour se tirer commodément d’embarras, et qui, aujourd’hui en tout cas, fait sourire : si le squelette des immatures est constitué de nombreuses pièces cartilagineuses, cela n’explique pas pourquoi les éléments qui sont ossifiés disparaîtraient plus facilement que ceux des adultes ou des enfants plus âgés (Masset 1976 : 80), en particulier la substance compacte de la diaphyse des os longs qui, au contraire, au vu de l’expérience des « anthropologues de terrain », se conserve remarquablement bien ; et de même pour les éléments dentaires. De plus, Masset (1973b ; 1990) a montré que la conservation des os dans le sol dépend très peu de l’âge au décès1. D’ailleurs, si l’on tenait absolument à prendre en compte ce genre d’hypothèse, il faudrait encore expliquer pourquoi, à Courtesoult, les objets funéraires et les structures des tombes des enfants en bas âge se seraient, eux aussi, évanouis « spontanément » et pourquoi la mystérieuse disparition affecterait spécifiquement une classe d’âge particulière en deçà du seuil précis de 5 ans.
5En revanche, si la qualité du travail de terrain me paraît exclure absolument tout problème d’identification ou de ramassage des éléments osseux des enfants les plus petits (ce que l’on ne pourrait sans doute pas écarter s’il s’agissait de fouilles anciennes), on ne peut pas éliminer sans discussion l’hypothèse d’une destruction préférentielle de ces tombes liée à la moindre profondeur de leur fosse ; cela est bien attesté dans certains cimetières où l’on a même pu constater une forte corrélation entre l’âge des enfants (et donc leur stature) et la profondeur des fosses (Acsádi, Nemeskéri 1970 : 239). L’érosion ou les labours pourraient ainsi supprimer sélectivement les tombes les moins profondes, c’est‑à‑dire celles des nouveau‑nés, des nourrissons et des enfants les plus jeunes. Il me semble cependant que l’on possède, pour Courtesoult, quelques bons arguments permettant d’écarter cette hypothèse : les secteurs mieux protégés du tumulus, le tertre 1 (partie centrale et plus ancienne du tumulus) et le fossé périphérique, ne sont pas plus riches en immatures que le tertre 2, plus superficiel et plus vulnérable ; en outre, les ossements épars, provenant des ramassages et correspondant aux individus les moins profondément enfouis, partiellement détruits ou perturbés, ne comptent pas un nombre particulièrement élevé d’immatures, au contraire2, et aucun nourrisson ou nouveau‑né.
6Ces deux hypothèses étant rejetées, il me semble donc qu’il ne reste qu’une seule possibilité pour expliquer le biais considérable de la « population inhumée » de Courtesoult, qui témoigne d’une démographie non naturelle : un tri volontaire des inhumés sur un critère d’âge, phénomène d’ailleurs déjà attesté dans d’autres nécropoles (Masser 1976 ; 1987 ; Sellier 1987a ; 1987b ; 1989). L’étude paléodémographique met donc en évidence un « recrutement » spécial des inhumés du tumulus qui, en tant que codification du droit d’accès à la structure mortuaire, constitue en soi une pratique funéraire particulière : l’exclusion presque totale des nouveau‑nés, des nourrissons et des jeunes enfants (de moins de 5 ans) qui ont nécessairement dû être enterrés ailleurs (et éventuellement bénéficier d’un autre traitement peut‑être moins facilement décelable).
6.2.2 Estimation de la population vivante
7La population inhumée étant affectée d’un biais considérable, c’est l’effectif corrigé de la population décédée (79,5 décès – dont il manque 41 %, c’est à dire presque tous les nouveau‑nés et les enfants en bas âge) (cf, § 4.4 de l’annexe 4) qui doit servir de base à l’estimation de la population vivante, P, et non pas le chiffre brut de la population inhumée (Nemeskéri 1962 ; Acsádi, Nemeskéri 1970 ; Donat, Ullrich 1971 ; Sellier 1989). Pour l’estimation de P, nous utiliserons la formule proposée par Acsádi et Nemeskéri (1957 ; reprise par ces mêmes auteurs en 1970 : 65‑67) dont Donat et Ullrich ont montré la validité (Donat, Ullrich 1971 : 237). La population vivante3, P, est proportionnelle à l’effectif total des décédés et à l’espérance de vie à la naissance, e°0, dont nous prendrons la valeur dans la table de mortalité corrigée (26,57 ans : cf. tabl. V de l’annexe 4), mais elle est en raison inverse du temps d’utilisation du cimetière ou du tumulus, t ; elle fait aussi intervenir une constante corrective k égale à 10 % de t (Acsádi, Nemeskéri 1957 ; 1970 ; Donat, Ullrich 1971). Elle est donc estimée par la formule4 P = k + (Dtotal corrigé. e°0)/t.
8Le temps d’utilisation du tumulus dans son entier peut être approché grâce à la fourchette de dates proposée lors de l’étude du matériel funéraire et de la chronologie interne de la structure funéraire (cf supra chap. 4). Le matériel des tombes en place appartient au HaD1‑D3, et à La Tène ancienne, et probablement dans un intervalle proche de 620‑ 450 av. J.‑C. ; en tout cas, on peut adopter une durée d’utilisation d’un peu moins de deux siècles (cf supra § 4.2.1), soit environ 175 ans (ce qui est d’ailleurs relativement long).
9Dans ces conditions, les inhumés de Courtesoult seraient issus d’une population vivante –la « population inhumante » (Sellier 1987b ; Masset, Sellier 1990 ; cf. aussi l’Introduction de l’annexe 4)– dont l’effectif moyen et constant aurait été de 29,6 individus pendant toute cette période de 175 ans puisque nous nous plaçons toujours dans l’hypothèse d’une population stationnaire pendant toute la durée d’utilisation du tumulus (hypothèse de Halley, cf. § 1.1 de l’annexe 4). C’est une vision globale qui concerne la population de Courtesoult dans son ensemble et pendant toute la durée de la structure funéraire, sans préjudice d’éventuelles différences importantes entre certaines phases d’utilisation du tumulus, que nous examinerons plus loin puisque ce me semble être une conclusion importante quant à l’organisation et au fonctionnement du tumulus (cf infra § 6.2.4 et 6.2.5).
10Cette population vivante moyenne d’environ 30 individus (tabl. iv) représente donc un groupe assez restreint parmi lequel on peut compter, sur la base de la table corrigée des survivants (colonne Sx du tabl. v de l’annexe 4)5, environ 16 enfants de moins de 15 ans (classe 0‑14 ans : 15,8 exactement) et 14 individus de 15 ans et plus (donc en âge, ou ayant passé l’âge, de se reproduire) qui, puisque le rapport de masculinité relève d’une démographie naturelle (cf § 5.4 de l’annexe 4), devraient se répartir également entre femmes et hommes, c’est‑à‑dire 7 femmes et 7 hommes ; parmi ces individus de plus de 15 ans, on devrait en trouver 5 dans la classe 15‑44 ans puisqu’il y en aurait 9 de 45 ans et plus, parmi lesquels encore 6 de 60 ans et plus (dont 1 seul de 80 ans et plus)6.
11Nous obtenons donc l’image d’un groupe assez restreint mais cependant nettement plus large qu’une famille nucléaire et sans doute aussi –avec 14 adultes et grands adolescents– plus important qu’une seule famille élargie ou qu’un seul « groupe familial » ce qui contredit quelque peu l’une des hypothèses (cf supra § 6.1) énoncée plus haut (mais pas de façon fondamentale car on peut aussi imaginer l’existence conjointe de plusieurs groupes familiaux). D’ailleurs, il me semble aussi que l’on peut invoquer la fréquence basse et la répartition assez diffuse des incisives « en pelle » (caractères parfois considérés comme familiaux) (annexe 3) à l’appui de mes propres conclusions démographiques qui privilégient donc plutôt la seconde interprétation (Brun 1988) : celle d’une organisation des nécropoles d’ordre hiérarchique et territoriale (cf. supra. § 6.1 et infra § 6.3).
12En outre, nous avons signalé (cf. § 4.2 de l’annexe 4) que les paramètres (corrigés) de mortalité de Courtesoult témoignent de conditions de vie globalement très défavorables, ce qui, à mon sens, définit ce que l’on pourrait appeler une population « ordinaire » de cette époque, par opposition à ce que serait un groupe favorisé relevant plutôt de la classe « dirigeante » ou de « personnages socialement privilégiés ». C’est aussi dans ce sens que plaident d’autres données biologiques considérées comme des indicateurs de « stress non spécifique » ou de carence, qu’il s’agisse de l’aspect du diploé de la voûte crânienne ou de l’hypoplasie linéaire de l’émail dentaire de certains individus (annexe 3). Tout cela s’inscrit tout à fait dans le cadre archéologique déjà décrit qui semble l’aire du tumulus de Courtesoult un ensemble funéraire proche de la troisième catégorie de Hodson (1979), regroupant des sépultures relativement modestes dans des tumulus à caractère plutôt collectif (cf supra § 6.1 et infra § 6.3), même si cela s’applique plus particulièrement au second stade d’utilisation du tumulus (cf. infra § 6.2.4) et n’exclut pas une certaine hiérarchie des individus inhumés (en particulier le personnage central, n° 6) ni une organisation interne assez précise (cf. infra § 6.2.4). L’étude paléodémographique vient donc compléter, en la confortant, l’image d’un domaine hallstattien du bassin supérieur de la Saône où Courtesoult et d’autres nécropoles à caractère communautaire s’organisent autour d’un tertre moins ordinaire, marqueur de pouvoir supra‑régional (cf. infra chap. 8).
6.2.3 Répartition générale et chronologie
13La confrontation des données paléodémographiques et archéologiques doit se poursuivre par l’analyse de la répartition topographique des sexes et des âges dans l’ensemble funéraire du tumulus ; cela nécessite donc, en préambule, un bref rappel des phases chronologiques auxquelles les tombes appartiennent (cf. supra chap. 4 et fig. 71, D) ainsi qu’une discussion de leur distribution au sein du tumulus qui est structuré selon un double mode : une organisation concentrique (les périodes les plus récentes étant les plus périphériques par rapport à la tombe centrale no 6) et une évidente opposition dans l’orientation de la plupart des inhumations simples (si l’orientation crâne/pieds sert de référence, une partie des tombes « tourne » dans le sens des aiguilles d’une montre, et l’autre dans le sens inverse).
14Quatre groupes chronologiques (groupes ou phases 1 à 4) ont été définis, essentiellement sur la base du matériel funéraire mais un certain nombre d’inhumations et les 6 incinérations ne comportent aucun objet (cf. supra chap. 3, § 4.2 et § 5.5). Il faut souligner que cette distribution chronologique est également validée par la structure même des tombes et les données de l’anthropologie « de terrain » (cf. supra § 2.2 et chap. 5) : les phases 1 et 2 comptent l’essentiel des cercueils ou coffres étroits en matière périssable et les coffres de dallettes ; tandis que les sépultures témoignant de pratiques autres que l’inhumation primaire individuelle (incinération, sépulture secondaire triple ou réduction de corps)7 sont toutes associées à des tombes des phases 3 ou 4. En outre, une confirmation essentielle vient de la stratigraphie et de la distribution même des sépultures au sein du tumulus (cf. supra chap. 1, § 2.1 et § 4.3) : le groupe 1 correspond seul à la première occupation du tertre 1 et la phase 2 se rapporte essentiellement à la périphérie de ce même tertre 1 (notez cependant que la réfection du tumulus intervient pendant la phase 2) ; tandis que les tombes des phases 3 et 4 sont toutes en périphérie des précédentes (donc, en plan, en‑dehors du tertre 1 et assez proches de son fossé périphérique qu’elles réoccupent fréquemment) si bien que, même en l’absence de matériel funéraire, on peut attribuer les tombes les plus extérieures, souvent pauvres, au groupe 4. Il existe aussi des éléments de chronologie relative (recoupement de sépultures, etc.) qui vont, une fois encore, dans le même sens.
15On constate immédiatement, à la simple lecture des rappels qui précèdent, qu’il existe une certaine proximité, d’une part entre les deux premières phases et, d’autre part, entre les deux dernières et que, si une seule coupure devait être faite, ce serait entre les groupes 2 et 3 pour opposer alors l’ensemble 1 + 2 (du tertre 1) aux phases 3 + 4 (des sépultures périphériques qu’il est d’ailleurs souvent difficile d’attribuer à l’une ou l’autre des deux dernières phases).
16En outre, il est clair que, de par la méthode même, la classification typologique du matériel ne reflète pas forcément avec une fidélité absolue l’évolution des sépultures en quatre phases (étalées sur seulement un peu moins de deux siècles) et que certaines tombes se trouvent inévitablement (typologiquement et/ou topographiquement) à la charnière de deux phases. C’est pourquoi la figure 121, qui résume les attributions chronologiques proposées, ne doit pas être vue avec trop de rigidité et ne peut pas rendre compte du fonctionnement propre du tumulus, même si elle sert de base de réflexion (avec quelques changements mineurs) à notre discussion finale (cf. infra § 6.2.4 et fig. 122 et 123). Elle s’écarte aussi légèrement de la figure 71, A‑D parce que je me suis efforcé de les compléter en tenant compte de certaines données qui n’y figurent pas mais qui sont cependant consignées dans d’autres chapitres (cf. supra chap. 2, 3 et § 5.5) ; ce n’est guère important mais, comme cette répartition chronologique est l’un des points de départ de la section suivante (cf. infra § 6.2.4), cela nécessite quelques brefs éclaircissements. La phase 1, correspondant au Hallstatt D1 du Jura (Ha D1), ne concerne que 3 inhumations (7, 46 et 47) en plus de la tombe centrale (6) ; et la phase 2, également du Hallstatt moyen (fin Ha D1 et début Ha D2), en compte 7 (3, 15, 18, 23, 28, 45 et 48) auxquelles on peut probablement rajouter (fig. 105) la tombe 13 et les nos 19 et 22 qui, en bordure nord‑ouest du tertre 1, appartiennent au groupe 2 ou au groupe 3 (mais plus probablement au premier). Notons également que cette phase 2 regroupe la presque totalité des tombes « symétriques » qui s’opposent deux à deux de part et d’autre d’un centre constitué par la tombe 6 (même sexe, même matériel, même appareil funéraire : fig. 121, nos 22 et 15, 45 et 23, 48 et 28) ; les dernières « symétriques » (fig. 121, nos 27 et 29) appartiennent à la phase 3 (avec chacune une incinération associée : fig. 121, nos 24 et 31). Tous les autres individus (33 en tout) sont centrés sur le Hallstatt final et peuvent raisonnablement être attribués au groupe 3 (fin du Ha D2 et Ha D3) ou au groupe 4 (fin Ha D3 et début de La Tène A), soit à cause de leur matériel funéraire8, soit de par leur emplacement même en périphérie9, soit en raison de leur association avec une tombe mieux caractérisée10 ; d’ailleurs, nous avons déjà pressenti (et nous y reviendrons) que, du point de vue de l’organisation de la structure funéraire, la distinction de ces deux phases n’est pas très pertinente et que toutes deux semblent relever du même mode de fonctionnement.
6.2.4 Répartition topographique et paléodémographie : vers un modèle d’organisation sociale
17La confrontation de nos conclusions démographiques, plus spécialement de la répartition finale des sexes et des âges des individus inhumés (cf § 5 et fig. 7 de l’annexe 4), et des données archéologiques, en particulier chronologiques (cf. § 6.2.3 et fig. 121), conduit à analyser la distribution topographique des sépultures au sein du tumulus pour proposer un modèle d’interprétation et de fonctionnement général. C’est sans doute la section la plus exposée aux critiques puisqu’elle s’appuie sur toutes nos hypothèses et nos déductions précédentes mais ce n’est pas la moins intéressante, ne serait‑ce qu’à titre de proposition et de modèle heuristique.
18L’orientation des inhumations simples est, vue sur un plan du tumulus de Courtesoult (fig. 121 et 122), extrêmement frappante et paraît structurer la totalité de l’organisation de l’ensemble funéraire : on constate, en effet, une partition presque radicale du tumulus de part et d’autre d’un axe O./E. (plus précisément O.‑N.‑O./E.‑S.‑E.) passant par la tombe centrale n° 6 avec, au nord, des inhumations qui « tournent » dans le sens des aiguilles d’une montre (si l’orientation crâne/pieds sert de référence) et, au sud, des tombes orientées en sens inverse. Il faut cependant remarquer quelques exceptions flagrantes ; et c’est d’ailleurs la résolution de ces contradictions qui a guidé la construction de notre modèle. Certes, c’est avant tout le cas de la tombe centrale no 6, située sur l’axe en question mais perpendiculaire à lui, et celui de la tombe no 32 qui est également située sur cet axe, mais sans orientation particulière puisqu’il s’agit d’une sépulture secondaire triple (notons que c’est la seule tombe triple du tumulus). Il me paraît clair que ces deux tombes jouent un rôle tout à fait particulier dans l’ensemble sépulcral : ce sont les éléments « structurant », les pivots autour desquels s’articule chacun des deux grands stades de l’organisation funéraire. D’autres exceptions sont plus singulières et je ne crois pas que l’on puisse simplement les considérer comme des anomalies mineures : c’est le cas, dans le groupe nord, des sépultures 47 et 19 et, au sud, des nos 18 et 39. Il faut également intégrer dans ce modèle l’existence des tombes « symétriques » (fig. 121, nos 22 et 15, 45 et 23, 48 et 28, 27 et 29) qui sont disposées « en miroir » par rapport à des axes passant par le centre du tumulus. De plus, on doit noter que, en plan, les tombes des phases chronologiques 1 + 2 occupent de façon assez homogène la totalité de la surface du tertre 1, tandis que celles des phases 3 + 4 sont presque toutes regroupées dans la moitié est du tumulus (autour, justement, de la tombe triple 32).
19Tout cela explique pourquoi le modèle d’organisation que je propose s’appuie d’abord sur la distinction déjà signalée entre les phases 1 + 2 (tertre 1, avec la nuance signalée plus haut, § 6.2.3) et les phases 3 + 4 (à la périphérie), ou plutôt phases 1 + 2 versus phase 4 car la phase 3 (qui compte peu d’individus) joue sans doute un rôle intermédiaire de transition entre deux types d’organisation funéraire très différents. Ces deux stades d’organisation du tumulus sont déjà sensibles sur un simple relevé synthétique de la topographie des tombes (fig. 122) mais plus encore sur la schématisation qui en a été tirée (fig. 123) et qui constitue le modèle à proprement parler.
20Correspondant aux phases 1 + 2, le premier stade d’organisation est concentrique, autour de la tombe centrale no 6 (en 2 ou 3 cercles). Il est structuré par un jeu de symétries « en miroir » (qui rend compte des anomalies d’orientation signalées plus haut) et il est caractérisé par l’homogénéité des tombes et leur répartition : toutes sont des inhumations individuelles primaires qui occupent l’ensemble de la surface du premier tertre et sa périphérie immédiate, et les deux sexes sont représentés de façon équivalente tout autour de la tombe centrale. Dans le « premier cercle » (phase 1) de ce stade d’organisation concentrique, 2 individus féminins à l’orientation opposée (7 et 46) ont pour pendant, de l’autre côté de la tombe centrale, l’enfant n° 47 (le plus jeune de tout le tumulus) ; plus en périphérie, un « deuxième cercle » (ou un deuxième et un troisième) oppose 5 inhumations au nord, 3 femmes et 2 hommes (3, 13, 22, 45 et 48), à 4 autres au sud, 2 femmes et 2 hommes (15, 18, 23 et 28)11. Il y a donc là une répartition concentrique équilibrée autour de la tombe centrale n° 6, avec une légère dominante féminine (due à la tombe centrale et au « premier cercle »), qui concerne au total 7 femmes, 5 hommes et un très jeune enfant (dont je n’irais pas jusqu’à suggérer qu’il puisse être, lui aussi, masculin par souci d’équilibre !).
21Le dernier stade est également structuré par un principe de symétrie mais son organisation est notoirement différente : correspondant aux phases chronologiques 3 + 4 ou seulement à la phase 4, ce second stade d’organisation du tumulus est bâti sur une opposition entre un groupe nord, féminin, et un groupe sud, masculin, de part et d’autre de la tombe triple no 32 (qui joue donc le même rôle que la tombe no 6 dans le premier stade). Notons d’emblée que nous n’avons pas pu tenir compte des adultes nos 412 et 40 ni des enfants nos 19 et 39 (symétriques l’un de l’autre et tournant chacun le dos à son groupe, nord ou sud) mais il est certain que, très isolés vers l’ouest, ils ont des positions singulières et ils semblent s’opposer à la tombe triple no 32 ; faute de données plus complètes les concernant, ces 4 tombes restent en dehors du modèle (et n’apparaissent pas sur la fig. 123). En tout cas, il reste alors deux groupes très bien individualisés (de part et d’autre du no 32), l’un au nord, « tournant » dans le sens des aiguilles d’une montre, et l’autre au sud, orienté en sens inverse, extrêmement semblables par leur composition sauf sur un point, celui de la proportion des sexes (fig. 122) : le groupe nord compte 12 individus dont 3 incinérations (1, 31 et 44), une réduction de corps (41) et 8 inhumations (2, 5, 8, 10, 11, 29, 38 et 44), et le groupe sud comprend 15 individus dont également 3 incinérations et 1 réduction de corps (20, 24 et 33 ; et 21), mais avec 11 inhumations (9, 12, 14, 16, 25, 26, 27, 30, 35, 36 et 37) ; en outre, chaque groupe compte 3 enfants (8, 10 et 41 au nord et 25, 33 et 35 au sud) et 1 adolescent (5 et 37). Mais, pour les individus de plus de 15 ans, il est frappant de constater que le groupe nord compte une nette majorité de femmes (5 femmes pour 1 homme), tandis que les hommes dominent largement dans le groupe sud (8 hommes pour 1 femme)13.
22Cette opposition entre les deux groupes du second stade d’organisation du tumulus est encore plus frappante si, au lieu de prendre en compte la totalité des sépultures des phases 3 et 4, on soustrait les tombes les plus proches du premier tertre et appartenant à la phase chronologique 3 (27 + 24 au sud, 38 + 41 et 29 + 31 au nord) : le groupe sud ne compte plus alors que des hommes (et des immatures) et celui du nord que des femmes (et des immatures). Il semble alors justifié de faire jouer à ces tombes de la phase 3 un rôle de transition entre les deux stades d’organisation du tumulus14 : leur orientation et l’association des inhumations primaires avec des incinérations ou des réductions de corps les rapprochent du second stade, tandis que le sexe des individus et l’existence de tombes « symétriques » (29 + 31 et 27 + 24) les rattachent au premier stade (fig. 123).
23Cette réduction du fonctionnement du tumulus en seulement deux stades –correspondant grosso‑modo à l’opposition des groupes typologiques 1 + 2 et (3+) 4– peut paraître un modèle trop simple mais il me semble fonctionner plutôt bien et surtout avoir le mérite de mettre l’accent sur une coupure essentielle entre deux organisations très différentes : un premier épisode où un effectif restreint d’inhumés (à légère dominante féminine) s’organise de façon homogène et concentrique autour d’un individu (féminin) probablement de rang social élevé et selon une pratique unique, celle de l’inhumation individuelle primaire15 ; et un second stade qui, s’il conserve un élément central (la tombe triple no 32) et une répartition symétrique, complexifie considérablement le répertoire de ses pratiques mortuaires en intégrant des sépultures birituelles (associant des inhumations simples à des incinérations ou des réductions de corps) et en fonctionnant sur une opposition à caractère sexuel (les femmes au nord et les hommes au sud).
6.2.5 Conclusion
24Notre approche paléodémographique (annexe 4) permet donc d’identifier certaines pratiques funéraires et, par la confrontation aux autres données archéologiques et topographiques, de mieux comprendre le fonctionnement du tumulus de Courtesoult ou, du moins, d’en proposer un modèle.
25Les calculs et les corrections des paramètres démographiques (cf. chap. 2, 3 et 4 de l’annexe 4) ont mis en évidence un recrutement particulier des inhumés du tumulus fondé sur l’exclusion des nouveau‑nés et des jeunes enfants de moins de 5 ans ; le reste de la population inhumée paraît relever d’une démographie naturelle avec une représentation équilibrée des deux sexes. Pendant les presque deux siècles de l’utilisation du tumulus, la population vivante dont les décédés sont issus, devait être un ensemble d’une trentaine de personnes, probablement plus large qu’un seul groupe familial et où les conditions de vie assez défavorables témoignent d’un statut social globalement assez ordinaire, par opposition à d’autres structures funéraires abritant des individus de rang social élevé.
26Notre proposition de modèle de fonctionnement et d’organisation interne du tumulus de Courtesoult opposant deux grandes périodes d’utilisation (fig. 123) permet aussi de confirmer l’une des hypothèses archéologiques (cf. supra § 6.1 et infra § 6.3), celle de l’accès d’un plus grand nombre d’individus à la nécropole à partir du Hallstatt final, à moins qu’il ne s’agisse du reflet d’un certain accroissement démographique. Il est impossible de trancher entre ces deux hypothèses. On peut seulement calculer que, en appliquant à chacun de nos deux stades de fonctionnement du tumulus le calcul déjà utilisé16, la population vivante serait d’environ 15 individus pour le premier stade et d’environ 24 pour le second17. On pourrait donc être en présence d’une population légèrement croissante sans que l’on puisse attribuer de cause précise à ce phénomène (augmentation des naissances, diminution des décès, apport extérieur, même proche, de population ou recrutement plus large des inhumés) ; mais cela reste modéré et ne me semble pas remettre fondamentalement en cause l’hypothèse de stationnarité que nous avons utilisée tout au long de notre raisonnement (annexe 4) puisque l’on peut calculer (en simplifiant l’accroissement de la population à un taux constant pendant environ 80 ans) un taux d’accroissement naturel r = 0,61 %.
27En revanche, l’hypothèse (cf supra § 6.1) d’une stabilité et d’une continuité des pratiques funéraires (à part celle, confirmée, de l’exclusion des enfants de moins de 5 ans) me paraît devoir être remise en cause comme celle d’une organisation familiale au sein du tumulus (cf. supra § 6.1), en particulier pour ce que j’ai appelé le second stade de fonctionnement du tumulus (équivalent des groupes typologiques 3 + 4, donc Hallstatt final et tout début de La Tène ancienne). En effet, il n’y a pas de regroupement patent de sépultures (fig. 122) et aucun de ceux que l’on voudrait tout de même y voir ne peut correspondre à une structure familiale ; au contraire, en fin d’utilisation du tumulus, on voit à l’œuvre une organisation assez rigoureuse en termes de ségrégation sexuelle qui se traduit par une opposition franche entre deux groupes, l’un féminin (au nord) et l’autre masculin (au sud).
6.3 Les données archéologiques
28L’édification au Ha D du tumulus de Courtesoult coïncide dans le domaine jurassien et ses marges avec une profonde modification du schéma funéraire marquée par la fin des sépultures uniques à armement en tumulus isolés ou en nécropoles groupées, la généralisation de l’inhumation. La mise en place des tombes à mobilier de type princier, marqueurs d’une concentration du pouvoir à l’échelon supra‑régional est représentée sur la Saône par les tumulus d’Apremont, de Mercey et de Savoyeux. Si nous élargissons notre champ de réflexion au plateau jurassien, on assiste comme dans tout le domaine hallstattien occidental à la multiplication de nécropoles à caractère communautaire sous la forme de tertres isolés ou groupés en nécropoles plus ou moins lâches (Ganard et al. 1992).
29L’étude typologique du mobilier funéraire des sépultures du tumulus de Courtesoult et les datations proposées attestent une utilisation de la nécropole pendant près de deux siècles. Cette continuité s’exprime à travers l’utilisation du rituel tumulaire, le respect et la connaissance des emplacements des tombes antérieures lors du dépôt de nouvelles sépultures, ce qui peut sous‑entendre l’existence de marqueurs visibles à la surface du tertre ou d’une forte tradition orale.
30Toutefois, des modifications sensibles indiquent une évolution progressive des pratiques funéraires que nous nous proposons de replacer dans le contexte économique et social du Ha C à La Tène ancienne. Le caractère communautaire de la sépulture apparaît dès la première phase d’utilisation, sans doute rapidement après le dépôt de la tombe initiale dont l’aménagement et le riche mobilier attestent l’importance sociale du personnage. L’amorce de disposition concentrique des autres tombes, typologiquement contemporaines, montre bien la coupure par rapport aux tertres à sépulture souvent unique du Ha C. A partir de cette époque, la tombe centrale et les premières tombes adventices servent de pivot au développement de la nécropole ultérieure reflétant, au‑delà des générations, la permanence du rôle fédérateur du personnage central.
31L’évolution topographique des tombes a permis de distinguer deux stades à partir de leur disposition et de la répartition des sexes.
32Le premier stade (phases 1 et 2 de la chronologie interne du tumulus) correspond à la disposition concentrique d’inhumations masculines, féminines et de quelques enfants autour de la sépulture centrale. Cette répartition montre un effet de miroir de part et d’autre de la tombe centrale suivant un axe sensiblement E.‑O. séparant à partir de la phase 2 une double orientation des sépultures. Les comparaisons indiquent qu’il s’agit là d’un des schémas possibles de l’organisation des inhumations sous tumulus du Ha D qui revêt toutefois une certaine variabilité. Si l’on peut retenir la fréquence de l’organisation concentrique illustrée par des fouilles de nécropoles documentées dans plusieurs régions du domaine hallstattien occidental :
– dans le Jura : Parançot (Ganard et al. 1992), en Bourgogne : Bressey‑sur‑Tille (Ratel 1977), Larrey (Joffroy 1967) ;
– en Alsace : Riedwihr (Bonnet et al. 1991) ;
– en Allemagne du Sud‑Ouest : Magdalenenberg (Spindler 1971‑1980), Böblingen (Zürn 1979), Breisach‑Oberrimsingen (Wamser 1970), Dattingen (Dehn 1985), Deisslingen (Oeftiger 1984), Hirschlanden (Zürn 1970) ; elle n’en constitue pas toutefois une règle.
33Parmi les plans significatifs des tumulus de la Chaux d’Arlier on constate inversement des dispositions beaucoup plus irrégulières (La Rivière‑Drugeon/Les Gentianes), de fréquentes superpositions de sépultures et quelques fois des tendances à une orientation subparallèle des squelettes (Dompierre‑les‑Tilleuls/Planquecet 1, La Rivière-Drugeon/La Vierge, Chaffois/Les Longs Champs ; Bichet, Millotte 1992). Une disposition orthogonale des inhumations d’orientation N.–S./E.‑O., respectant une sépulture centrale, peut encore être remarquée à Hegnach (Planck 1981), Mühlacker (Zürn 1970) ou à Talhau tumulus IV (Kimmig 1968). Parmi les tertres à inhumations concentriques, la bipartition suivant une double orientation apparaît dans certains tumulus à inhumations nombreuses dès le Ha D1 : Magdalenenberg, Bressey‑sur‑Tille, Dattingen. À Parançot, seul le tumulus 4 répond clairement à ce schéma, alors que d’autres tertres indiquent des orientations moins régulières, comme c’est aussi le cas à Riedwihr, Breisach‑Oberrimsingen. Dans le cas présent, cette bipartition où l’on remarque aussi certaines symétries étroites dans la composition du costume féminin (sép. 28/48, 27/29) ne trouve pas d’explication anthropologique satisfaisante du point de vue d’éventuels liens familiaux (cf. supra § 6.2.3).
34Le second stade, qui peut débuter avec la troisième phase chronologique du tertre, se distingue du précédent, nous l’avons constaté, par une bipartition sexuelle dont le centre de gravité est occupé par la tombe triple n° 32. Le mobilier résiduel, ainsi que les témoignages d’objets disparus (anneaux de jambes) attestent d’un « pillage » partiel (et répété ?) de cette tombe à laquelle nous serions tenté d’attribuer un rôle particulier analogue à celui de la tombe 6 dans un contexte funéraire plus récent. Toutefois, on remarquera que la chronologie des objets encore présents (qui ne sauraient être tenus avec certitude pour contemporains de la sépulture la plus ancienne de cet ensemble) n’autorisent pas à la placer parmi les plus précoces de ce stade.
35Parallèlement, les critères de différenciations sociales tendent à s’atténuer, particulièrement à la phase 4, si on se fonde sur la diminution du nombre des types de parures par rapport à la période précédente (4 au maximum, 2 en moyenne) et sur une composition plus stéréotypée et plus sobre de celles‑ci (fibule seule ou fibules + bracelets) qui requièrent désormais une quantité de matière première nettement inférieure à celles du Ha D1‑D2. Cette évolution semble enfin aller de pair ici avec la pratique de la sépulture birituelle et avec une augmentation de la population inhumée que nous pourrions interpréter, entre autres, comme une preuve supplémentaire d’une régression de la différenciation sociale, dans le sens d’un accès d’un plus grand nombre d’individus à la nécropole.
36La mise en évidence d’une bipartition sexuelle dans une nécropole du Hallstatt final semble être un phénomène suffisamment peu signalé pour que nous y accordions une attention particulière. Ce schéma d’organisation semble pour l’instant difficile à valider à travers d’autres comparaisons. La rareté des études anthropologiques limite d’ailleurs rapidement le corpus de cette enquête qui doit le plus souvent se satisfaire d’impressions déduites d’une interprétation du costume funéraire et peut fournir des résultats contradictoires (Bressey‑sur‑Tille, Riedwihr). On remarque cependant à travers l’organisation des tombes du Magdalenenberg, chronologiquement plus anciennes, une alternance de secteurs juxtaposés à dominante masculine ou féminine (Spindler 1975 : fig. 36), sans être toutefois une règle absolue.
37C’est vers le domaine champenois que l’on rencontre les témoins les plus pertinents d’une bipartition sexuelle. La mise en évidence de cette organisation dans plusieurs cimetières en tombes plates, notamment celui des Jogasses (Babes 1974), caractérise la phase Aisne‑Marne IA et dans une moindre mesure IB, chronologiquement assimilable à nos phases 3 et 4 de Courtesoult, antérieurement à un éclatement de la nécropole en groupes familiaux (Demoule 1989). On y constate aussi la position intermédiaire de la sépulture à char suivant un schéma qui somme toute correspondrait assez bien, toute proportion gardée, à celui du deuxième stade de Courtesoult.
38Cette évolution sensible de la pratique funéraire constatée à Courtesoult à la fin du Hallstatt final et au début de La Tène se manifeste à plusieurs reprises dans les Moidons, à la Chaux d’Arlier à partir du Ha D2, par l’abandon de la construction de nouveaux tumulus et la rareté de dépôts de sépultures en position centrale, ainsi que par une régression du nombre des tertres utilisés, avec souvent un phénomène de concentration sur un ou quelques tumulus de la même nécropole et une inflation du nombre des tombes (Ganard et al. 1992). La plupart ne dépassent pas la quinzaine d’individus, mais Piroutet signale une centaine de corps dans le tumulus des Moidons no 4 (Piroutet 1900b) dont le mobilier dominant est daté de l’extrême fin du Hallstatt et du début de La Tène18.
39Cette remarque nous amène à évoquer le nombre inhabituel de sépultures rencontrées à Courtesoult. L’estimation anthropologique de 47 individus au moins n’exclut pas un nombre supérieur de sépultures attribuables aux deux dernières phases si on considère la proportion d’objets de parures recueillis hors contexte. Un décompte réalisé pour le Ha D, à partir de 32 tumulus objectivement documentés de Franche‑Comté, montre que 90,5 % d’entre eux contiennent un nombre de tombes compris entre 2 et 12 et que la grande majorité ne dépasse pas les 10 sépultures. La situation de Courtesoult est donc exceptionnelle et ne peut guère être rapprochée régionalement que des tumulus 1, 4 et 18 des Moidons. Les tumulus communautaires à sépultures nombreuses se rencontrent également en nombre limité en Allemagne du Sud‑Ouest ainsi qu’en Alsace où le nombre des tertres supérieurs à 20 sépultures est également rare (Bonnet et al. 1991). Certains d’entre eux, utilisés pendant une période assez brève sont liés à la présence d’un personnage hiérarchiquement dominant : Magdalenenberg, Grafenbühl, Riedwihr dans une moindre mesure. Du côté bourguignon, la documentation ancienne interdit souvent une approche aussi argumentée. On remarquera toutefois l’existence de plusieurs tumulus dont le nombre des inhumations approche ou dépasse la vingtaine (Henry 1933 ; Joffroy 1956a ; 1967 ; Ratel 1977) qui se caractérisent par une utilisation importante ou totale du Ha D3 ou de La Tène. C’est le cas du tumulus de Clair Bois à Bressey‑sur‑Tille où on constate quatre stades de rehaussement du tumulus (Ratel 1977 ; Parzinger 1988), de ceux de Larrey (Joffroy 1967), Lantilly (Corot 1905), Essarois, Mauvilly et Couchey. Courtesoult qui ne se distingue des nécropoles faiblement collectives ni par la qualité du mobilier funéraire, ni par la présence d’une tombe exceptionnelle, mais peut‑être par une plus grande continuité de la fréquentation et l’importance des sépultures de la phase récente du Hallstatt final et de La Tène ancienne (un peu moins de la moitié de la totalité relevée en place) pourrait être rapproché de cette deuxième catégorie.
40L’exemple de Courtesoult semble bien représenter l’évolution chronologique d’un groupe social privilégié comme le facteur explicatif essentiel de la structure de la nécropole, bien que l’étude démographique implique certaines nuances (cf. supra § 6.2.2). L’examen du costume ne distingue pas de grandes différences économiques entre les inhumés d’une même phase. L’importance du groupe (lignage réel ou fictif) l’emporte rapidement sur le prestige individuel et d’éventuels liens de dépendances entre les individus. La question demeure posée à propos des sépultures birituelles qui demandent un échantillonnage plus documenté et ne permettent pas actuellement la mise en évidence de tendances indiscutables dans ce sens. Le caractère féminin du personnage central initial, s’il n’est pas toujours exclusif dans les tertres du Jura, apparaît fréquent au Ha D1. Par rapport au Ha C, l’attention dont la femme semble être l’objet marque alors une modification notable dans les conceptions rituelles et sans doute sociales. L’apparente rapidité de cette évolution mériterait de reconsidérer sous cet angle la chronologie des pratiques funéraires à la transition Ha C‑D1 qui repose presque exclusivement sur des ensembles masculins. Sans écarter le poids social que semble lui conférer sa parure, son rôle nous semblerait devoir être interprété davantage dans le sens de liens nucléaires (héréditaires ?).
41Le rehaussement du tertre au début du Ha D2 peut venir conforter l’hypothèse d’une continuité et de la cohésion du groupe. Il est antérieur au deuxième stade de l’organisation des tombes et ne semble accompagner ni le dépôt d’une nouvelle sépulture d’un prestige particulier, ni d’ailleurs un rituel spécifique (pas de second enclos). Il semble devoir résoudre un problème de place et prendrait alors la forme d’une opération purement technique. Il montre alors qu’une mobilisation collective est encore possible pour la restauration de la nécropole mais contrairement au Ha D1 elle se manifeste maintenant au bénéfice du groupe et non d’un individu.
Notes de bas de page
1 L’âge ne rendrait compte que de 3 à 10 % des variations de conservation de toute la population (Masset 1990 : 114‑115), ce qui est bien loin du biais de 92 % qui affecte les seuls 0‑4 ans de Courtesoult.
2 2 pour un total de 11 (en N.M.I.), c’est‑à‑dire 181,82 ‰, donc un peu moins encore que la proportion générale d’immatures dans le tumulus (212,77 ‰) : cf. § 3.1 de l’annexe 4 et notes 16 à 18.
3 Population vivante moyenne à tout moment du temps t.
4 Avec l’approximation e°0 = 1/m, vraie sous l’hypothèse d’une population stationnaire, cette estimation est assez semblable à celle proposée par Gejvall (1960) qui utilise le taux de mortalité m et non l’espérance de vie à la naissance mais néglige cependant la correction k et ne fait pas la différence entre l’effectif des inhumés et des décédés (Sellier 1989 : 33).
5 Avec toujours l’indispensable hypothèse de Halley (population stationnaire).
6 On a, en effet (cf. tabl. V de l’annexe 4), S15 = 465 ‰, S45 = 304 ‰, S60 = 212 ‰ et S80 = 41 ‰ (à appliquer à nos 29,6 vivants).
7 Cf. § 1.3 et note 20 de l’annexe 4.
8 Pour la phase 3, c’est le cas des inhumations simples 27, 29, 37 et 38 et, pour la phase 4, des nos 2, 5, 8, 11, 12, 14, 26, 30, 35, 44 et de la tombe triple n° 32.
9 Cela concerne les inhumations 4, 9, 10, 16, 25, 36, 39 et 40.
10 C’est le cas des 6 incinérations (1, 20, 24, 31, 33 et 43) et des 2 réductions de corps (21 et 41), chacune toujours associée à une inhumation simple (cf. § 1.2 de l’annexe 4) dont elle est contemporaine (voire postérieure pour les nos 24, 31 et 41) ; mais aussi des nos 10 (probablement contemporaine des nos 5, 8 et 11) et 36 (postérieure au no 37).
11 On peut, en outre, voir le no 18 comme le pendant du no 47 (reprenant l’opposition no 7/no 46) mais la chronologie place ces deux tombes chacune à une extrémité de cette période d’organisation concentrique.
12 C’est le seul individu en décubitus latéral (gauche).
13 Chaque groupe comprend 3 indéterminés.
14 Avec peut‑être aussi les toutes dernières tombes de la phase 2, postérieures à la réfection du tumulus.
15 À travers le jeu d’opposition des orientations (au nord, les nos 7, 47, 22, 3, 13, 45 et 48 et, au sud, les nos 46,15, 18, 23 et 28), on pourrait éventuellement voir le reflet de deux groupes structurés de façon équivalente (pourquoi pas familiaux, mais j’ai déjà dit ma réticence pour cette hypothèse ; cf. § 6.2.2).
16 Cf. supra, § 6.2.2. Il faut supposer toujours constants, d’une part l’espérance de vie à la naissance (e°0 = 26,57 ans, cf. tabl. V de l’annexe 4) et, d’autre part, le biais total de l’ensemble des décédés, dû à l’exclusion des nouveau‑nés et des enfants en bas âge (41 %, cf. § 4.4 de l’annexe 4).
17 Exactement 14,6 et 23,9 individus (à partir des 13 et 34 inhumés) en comptant des durées d’utilisation de 95 et 80 ans.
18 Les notes de Piroutet et l’absence de plans ne permettent pas de pousser plus loin la comparaison avec Courtesoult.
Auteurs
Ministère de la Culture, CNRS UMR 9934 Dijon
CNRS URA 376, GDR 742, laboratoire d’Anthropologie, université de Bordeaux I
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