4.1 L’agglomération du Haut‑Empire : Cossio

1Une campagne archéologique réalisée en 1990 et 1991 est venue apporter d’importantes nouveautés à ce que l’on savait jusque là sur l’enceinte romaine de Bazas ; elle a révélé enfin, de manière sûre, l’emplacement de la ville forte de l’Antiquité tardive connue par un texte célèbre de Paulin de Pella. Par ailleurs, s’il reste encore bien des zones d’ombre sur la ville antérieure au Moyen Âge, les dernières recherches permettent néanmoins d’améliorer le bilan dressé naguère par Jean‑Bernard Marquette (1966 : 4), qui donnera un exposé exhaustif sur l’archéologie de la ville dans le cadre du Plan d’occupation des sols historique et archéologique du Bazadais. En attendant cet ouvrage décisif, nous présentons ici un bref bilan de ce que l’on peut savoir de l’enceinte romaine de Bazas, à la lumière des recherches et des observations déjà publiées, du résultat de fouilles conduites depuis 1985 (par Jean‑François Pichonneau), et de l’enquête menée sur le parcellement antique par Pierre Garmy et Max Guy dans le cadre de la présente étude.

2Malgré les assertions de Léo Drouyn (1865 : 204)1, malgré les espoirs de Camille Jullian (1890 : 181) et, récemment, ceux qu’a exprimés Jean‑Bernard Marquette (1966 : 4), notre connaissance archéologique reste très faible sur l’agglomération de Cossio, toponyme que porta Bazas jusque dans le cours du iv^e s., semble‑t‑il, au témoignage d’Ausone (XV, 26, 7, éd. Schenld : Cossio Vasatum). Cependant, deux séries d’observations enrichissent maintenant le dossier de façon sensible, car elles permettent d’étayer des hypothèses anciennes sur le site protohistorique et la bourgade gallo‑romaine, et d’en formuler de nouvelles.

4.1.1 L’oppidum protohistorique

3La topographie du site a de longue date fait supposer la présence d’un oppidum protohistorique établi sur un éperon barré ; le premier, Léo Drouyn a mis en évidence les caractères topographiques du site (Drouyn 1865 : 205) : selon lui, l’oppidum occupait un promontoire rocheux allongé de l’ouest à l’est. Il s’étendait entre le cours du Maréchal‑Joffre au nord, les allées Georges‑Clemenceau au sud. A l’ouest, il devait aller jusqu’à l’emplacement de la cathédrale.

4En 1987‑1988, deux sondages opérés place du Petit‑Cimetière, au nord‑ouest de la cathédrale (le long du colatéral nord), ont pour la première fois confirmé ces présomptions en révélant, à environ 3 m de profondeur sous le sol actuel, des couches d’occupation : vestiges de parois en clayonnage, résidus osseux, tessons de céramique datables des v^e et iv^e s. (Pichonneau 1988a : 25‑28 et fig. 8 et 9). On a proposé alors de mettre les anomalies ou les changements d’orientation détectés dans le parcellaire à l’ouest de la cathédrale sur les plans cadastraux ou sur les photographies aériennes, « soit avec la topographie de l’éperon [passage de la ville haute à la ville basse], soit avec une hypothétique levée de terre qui pourrait former un rempart et ainsi barrer l’éperon » (Pichonneau 1988a : 28)2. En 1990‑1991, une fouille plus importante a été pratiquée le long de la face orientale du gros mur‑façade du palais épiscopal, qui prolonge au sud le mur d’entrée de la cathédrale ; elle a mis au jour un habitat du premier âge du Fer, matérialisé par des trous de poteaux, des fragments d’argile cuite provenant de plaques‑foyers, des résidus de céramique et de faune ; d’autres trous de poteaux ont pu être interprétés comme l’armature d’« une enceinte formée par des levées de terre garnies de palissades amarrées à une forêt de pieux de bois » (Pichonneau 1992 : 69‑70 et fig. 6 et 9). Enfin, à l’est, l’occupation protohistorique semble n’avoir pas couvert la totalité de l’éperon, puisque les fouilles menées en 1988 non loin de son extrémité orientale ne l’ont pas reconnue dans cette zone (Pichonneau 1988b : 33), si bien que l’on peut estimer à 1,6 ha seulement la superficie de l’oppidum du premier âge du Fer. Jusqu’ici, nul vestige du second âge du Fer, et les fouilles de 1990‑1991 ont conduit directement des vii^e‑v^e s. av. J.‑C. environ à l’Antiquité tardive (Pichonneau 1992 : 64‑67) ; une solution de continuité de plusieurs siècles sépare donc encore cette première occupation des faibles témoignages recueillis, ailleurs dans la ville, pour le Haut‑Empire.

4.1.2 L’agglomération du Haut‑Empire fig. 107

5Les trouvailles archéologiques datables du Haut‑Empire recensées par J.‑B. Marquette sont maigres et se trouvent à la périphérie de l’oppidum ; aucune construction n’a été reconnue, à l’exception sans doute de vestiges maçonnés appelés « caveau » exhumés quelque part sous la cathédrale avec deux figurines égyptisantes (Grimal 1949 : 131 et fig. 3 et 4). Les fondations mentionnées d’après le chanoine Dupuy par J.‑B. Marquette (1966 : 5‑7), au nord‑ouest et au nord de la cathédrale, sont indatables et probablement postérieures à l’Antiquité, d’après les découvertes effectuées dans ces parages par J.‑F. Pichonneau (1988a : 28). Dupuy mentionne des fragments de mosaïque : mais ils ne sont pas localisés et doivent être situés très probablement hors de l’agglomération (Marquette 1966 : 16). Des fondations ont été signalées, toujours par Dupuy, dans le couvent des Capucins (construit au xvii^e s.), immédiatement à l’est de l’oppidum : mais elles sont d’époque imprécise ; toutefois, un fragment de vase en céramique sigillée proviendrait de cette zone (Marquette 1966 : 17). Des ruines indatables et non localisées, in uinea urbi uicina, « dans une vigne voisine de la ville » répertoriées par Dupuy, auraient livré une inscription qui a été « romanisée » par C. Jullian (1890 : 181 sq. ; CIL, XIII, 564), peut‑être surtout parce qu’elle fut recueillie à Bordeaux par le collectionneur d’antiquités Florimond de Raymond (1540‑1601). Au total, les découvertes consistent donc seulement en quelques rares fragments de mobilier : tessons de céramique et monnaies localisés (Marquette 1966 : plan h.t., n^os 14‑17) ou non (notamment CIL, XIII, 12706, brique estampillée C.C.O.). Les fragments d’architecture se réduisent à deux tronçons de fûts de colonnes probablement découverts dans les environs de la ville (Marquette 1966 : 4‑5). Pour les sculptures, mention « d’une tête gallo‑romaine d’un bon style » trouvée en 1841 dans la démolition du palais épiscopal (Marquette 1966 : plan h.t., n^o 7).

6Toutefois, l’étude des photographies aériennes et des plans cadastraux menée par P. Garmy et M. Guy (cf. chap. 5) leur a permis de déceler dans la ville basse une organisation du parcellaire qui pourrait conserver la trace de la trame urbaine du Haut‑Empire. À l’ouest de la place de la mairie, une structure quadrillée, orientée à 11° E, paraît antérieure au haut Moyen Âge ; elle a pour axe principal un cardo qui a été suivi plus tard par la face occidentale du rempart médiéval dont le fossé a été occupé par les cours du Maréchal‑Foch et Ausone. Elle s’étend sur 7 à 9 ha, à l’est sur le quartier du Mercadil, à l’ouest sur ceux de Latargue et de l’Eyre‑Vieille ; vers le nord‑est, on la discerne jusqu’aux abords du cours du Maréchal‑Joffre. Sous le Haut‑Empire, l’agglomération se serait donc développée dans la ville basse, apparemment sur une assez faible étendue, tandis que l’oppidum aurait été vraisemblablement abandonné ; en effet, les sondages récents viennent encore de démontrer l’absence d’occupation du Haut‑Empire dans la partie orientale de l’oppidum (Pichonneau 1988b : 33) et la très faible occupation gallo‑romaine sur la bordure occidentale de l’éperon : aucun vestige de constructions, aucune trace d’urbanisation, seulement quelques tessons d’amphore Dressel 1 ou Pascual 1 et de céramique commune, quelques fragments de tuiles à rebords (Pichonneau 1985 : 33 ; 1988a : 28). De même, les fouilles effectuées le long du mur‑façade de l’évêché n’ont révélé aucun vestige antique, même si l’analyse stratigraphique peut laisser quelque doute : les aménageurs du xiv^e s. semblent avoir pratiqué ici un curage systématique jusqu’à la roche où seule demeura l’empreinte des trous de poteaux protohistoriques ; ils ont donc peut‑être créé un hiatus chronologique artificiel entre le premier âge du Fer et le xiv^e s., anéantissant toutes les strates intermédiaires éventuelles (Pichonneau 1991 : 278 ; 1992 : 67).

7Des réflexions générales sur le rôle de l’agglomération sous le Haut‑Empire ont tenté de donner une explication de l’extrême pauvreté des témoignages archéologiques, jointe à l’absence totale de textes épigraphiques. À cette époque, la cité des Bituriges Vivisques était bordée au sud par le large croissant formé par une autre cité, peut‑être héritée d’une confédération constituée à l’époque préromaine, celle des Basaboiates (Maurin 1971 ; Marquette 1982 : notice). Le territoire de la cité des Basaboiates aurait été formé par les deux pagi du Pays de Buch (celui des Boiates) et du Bazadais (ce dernier ne s’étendait probablement pas alors sur la rive droite de la Garonne). Cette hypothèse est en effet peut‑être plus vraisemblable que celle qui envisagerait l’existence, dans cette région, de deux cités séparées, celle des Boiates (CIL, XIII, 615) et celle des Vasates ; on estime ordinairement, en effet, que l’ancienne Aquitaine Césarienne n’a compté, pendant toute la durée du Haut‑Empire, que neuf cités, ce qui oblige, en pratique, à compter pour une seule le territoire des Boiates et des Vasates. Dans ces conditions, Cossio, chef‑lieu du pagus des Vasates, n’aurait été qu’une bourgade assez obscure, le caput ciuitatis se trouvant par hypothèse plutôt chez les Boiates ou Boiens. L’extrême obscurité de l’histoire antique de cette région s’explique éventuellement par l’importance de Bordeaux ; ou par la pauvreté du terroir, que l’on déduit de brèves allusions de Paulin de Nole et de Sidoine Apollinaire. Il n’était guère fertile dans le Bazadais qu’aux abords de la Garonne où l’on place d’ordinaire, après C. Jullian (1925 : 121), le « Petit héritage » d’Ausone (XII, 2, ed. Schenld).

4.2 Ciuitas Vasatica

4.2.1 La création de la cité des Vasates

8Récemment, Jean‑Pierre Bost (1988 : 7) a proposé d’expliquer la création au Bas‑Empire d’un chef‑lieu de cité à Bazas par la situation de cette agglomération sur un axe routier venant, au sud, de Saragosse par le col de Pau, Oloron, Lescar, Aire (Oloron et Lescar étaient, elles aussi, de nouveaux chefs‑lieux) et rejoignant, au nord, Poitiers par Angoulême, encore une nouvelle cité. La date de cette création est incertaine : Bost a mis en évidence l’ancienneté de cet axe routier, mais il ne serait devenu actif qu’au Bas‑Empire, puisque les chefs‑lieux qui le jalonnent n’apparaissent que dans les sources postérieures au milieu du iv^e s. Bazas se trouvait au carrefour de cette route avec un axe qui joignait Bordeaux à Toulouse par Bazas et Auch et dont l’activité est démontrée pour le iv^e s. (Maurin 1971 : 15 et n. 64‑65). Toutefois une certaine incertitude demeure, car on a rattaché à l’essor du réseau routier la création et la promotion des villes dès l’époque augustéenne, aux origines mêmes de l’établissement des voies romaines en Gaule, puisque le réseau d’Agrippa est jalonné par les futures capitales augustéennes ; à cette époque et dans la suite, en particulier vers le milieu du i^er s., la mise en place et l’extension du réseau routier ont été accompagnées par la création de nombreuses agglomérations urbaines, chefs‑lieux et uici. D’autre part, en ce qui concerne Bazas, l’appel au témoignage d’Ausone, qui confirmerait l’époque de la fin du iii^e s. ou du début du iv^e, ne repose que sur une conjecture assez fragile : son père a pu compter parmi les premiers décurions de Bazas (XI, 2, 4‑5, éd. Schenkl ; Maurin 1971 : 14 et n. 61) ; Bost (1988 : 6, n. 13) rappelle en outre que le gendre de la sœur d’Ausone (XV, 26, 8, éd. Schenkl) avait un père qui était municipale genus, « de souche municipale », c’est‑à‑dire de famille décurionale, ce qui pourrait nous reporter à une époque voisine.

9En tout cas, dans l’agglomération, les témoignages archéologiques ne sont pas plus éloquents pour le iv^e s. qu’ils ne l’étaient auparavant : pour l’Antiquité tardive, l’archéologie de Bazas n’est documentée qu’à partir du v^e s., avec les premiers développements des édifices et cimetières paléochrétiens3, si l’on excepte toutefois quelques pauvres vestiges reconnus dans les fouilles récentes : d’abord dans le palais épiscopal où, en 1990, un sondage a révélé contre la face ouest du mur‑façade une modeste séquence d’occupation d’époque romaine ; ensuite, dans les anciens jardins du couvent des Ursulines, aujourd’hui résidence Saint‑Jean (Pichonneau 1988b : 30‑31) : des indices sur une occupation romaine tardive ont été en effet fournis ici par une couche de limon noir, fortement charbonneux, contenant des fragments de mortier, de tuiles à rebords, de tessons de céramique commune. Cet horizon était couvert par un sol de circulation (US 1011 ; cailloutis et tuileau) renfermant des tessons de céramique commune et un tesson de céramique grise paléochrétienne estampée, matériel qui l’a fait attribuer aux v^e‑vi^e s. ; au‑dessous, deux US (1014 et 1015), contenant des fragments de mortier et quelques fragments de tuiles à rebords doivent représenter la première occupation du Bas‑Empire.

4.2.2 L’enceinte de Bazas : les sources littéraires

10En 414, les Wisigoths d’Athaulf abandonnent Bordeaux pour se replier vers Toulouse et Narbonne ; ils font retraite non par la voie de la rive gauche de la Garonne, mais par Bazas, ce qui assure à nouveau l’importance acquise par la voie plus méridionale, par Bazas, Eauze et Auch, et met en relief le rôle de la forteresse vasate. Les Wisigoths et leurs alliés, les Alains de Goar, assiègent Bazas où s’est réfugié Paulin de Pella (Higounet 1963 : 11 ; Courcelle 1964 : 90‑95 ; Rouche 1979 : 20). Son récit est la preuve irréfutable de l’existence des remparts qui, si l’on comprend bien le texte, étaient couronnés par un chemin de ronde assez spacieux pour qu’« une grande foule d’hommes et de femmes sans armes » pût le parcourir, tandis que, retournés contre les Wisigoths par les négociations de Paulin, les guerriers alains ont accepté de défendre la forteresse.

Paulin de Pella, Eucharistique, v. 383‑389
Vallanturque urbis pomeria milite Halano
acceptaque dataque fide certare parato
pro nobis, nuper ipse obsederat hostis.
Mira urbis facies, cuius magna undique muros turba indiscreti sexus circumdat inermis ;
subiecta exterius muris haerentia nostris
agmina barbarica plaustris uallantur et armis.

11« Les murs de la ville sont défendus par les soldats Alains qui, après l’échange de serments, sont prêts à combattre pour notre défense, eux qui naguère nous avaient assiégés en ennemis. Etonnant est l’aspect de la cité dont une grande foule sans armes d’hommes et de femmes confondus parcourt de tous côtés les remparts, tandis qu’à l’extérieur de nos murs, et comme rivés à eux, les troupes barbares sont retranchées derrière leurs chariots et leurs armes. » (Ed. et trad. C. Moussy, Paris, 1974. Coll. Sources Chrétiennes.)

12Si ce siège fameux de Bazas nous assure bien de la réalité de l’enceinte, peut‑on retirer du poème de Paulin la certitude de sa fragilité ? En 414, les remparts de Bazas sont constitués avant tout par les guerriers alains et leurs armes ; sans eux, la place eût été immédiatement enlevée. Cependant, les vers de Paulin n’évoquent pas directement la faible capacité de résistance de la forteresse, mais –il y met quelque insistance– la cohue de civils désarmés qui l’occupait et était impropre à la défendre. On attachera peu d’intérêt, pour l’étude du rempart, à Grégoire de Tours, In gloria martyrum, 12 (éd. Krusch, M.G.H. s.r.m., I, 2, 1969 : 45) ; il raconte un miracle dans Bazas assiégée par les Huns commandés par Gausericus, épisode que la tradition érudite a souvent placé en 407, et qui aurait mis en scène les Vandales commandés par Genséric. Outre que le rempart n’est pas évoqué directement dans ce récit, on est fondé à douter de la réalité même de ce siège : C. Courtois (1955 : 44, n. 2) y voit un doublet, arrangé par Grégoire de Tours, de l’épisode versifié par Paulin de Pella.

4.2.3 L’archéologie : oppidum protohistorique et ville murée

4.2.3.1 La ville remparée selon Camille Jullian

13Depuis Camille Jullian, il est admis que la ville murée occupait à peu près l’emplacement et la superficie de l’oppidum du premier âge du Fer. À l’examen du plan cadastral et de la topographie du site, il en a proposé une configuration précise ; la distribution et la forme du parcellaire lui font distinguer « une zone intérieure, au nord et à droite de l’église Saint‑Jean [la cathédrale], entre la rue des Clercs [aujourd’hui rue Grangier] et la rue des Bancs‑Vieux [aujourd’hui rue Arnaud‑de‑Pontac] où les îlots, en rectangles plus ou moins allongés, sont d’étendue plus restreinte et se présentent de façon plus régulière, encadrés d’une part par les trois longues rues parallèles [des Clercs, de la Taillade, des Bancs‑Vieux] et de l’autre par de petites ruelles transversales. [Cette] zone représente la ville gallo‑romaine du Bas‑Empire. »

14Jean‑Bernard Marquette s’est demandé si l’on ne devait pas étendre vers l’ouest la ville murée, jusqu’aux rues de la Brèche et Bragoux qui marquèrent plus tard la limite des paroisses Saint‑Jean (la cathédrale) et Notre‑Dame du Mercadil (Marquette 1966 : 7 sq.)4. Mais, en 1985, des sondages pratiqués par Jean‑François Pichonneau sur la place de la Cathédrale, entre le débouché des rues Bragoux et de la Brèche, ont permis d’acquérir la certitude que le rempart antique « ne traverse pas la place dans les zones reconnues » (Pichonneau 1985 : 33). Par ailleurs, les sondages de la place du Petit‑Cimetière n’ayant pas davantage révélé la présence du mur, J.‑F. Pichonneau propose alors de localiser le côté occidental de celui‑ci entre les deux places, c’est‑à‑dire tout près de la façade orientale de la cathédrale, là où le situait Camille Jullian (1925 : 120, n. 3), qui notait justement la situation classique du siège épiscopal adossé à un angle des remparts. Mais alors, peut‑on encore intégrer au tracé de l’enceinte que l’on suppose des vestiges antiques signalés au xvii^e s. près de la porte Bragoux par G. Dupuy, repris par Jouannet (1837 : 234) : « [Au xvii^e s.] il existait encore, près de la porte qu’il [Dupuy] appelle Deroux [= Bragoux] quelques portions de murs de l’antique cité, revêtus de petites pierres carrées séparées de distance en distance par des lignes de niveau en briques » ; C. Desmoulins et Léo Drouyn (1846 : 654) identifient (abusivement ?) ces restes avec ceux qu’ils ont vus, plus loin vers l’est, « bien que les pierres séparées par les cordons de briques ne soient pas régulières et carrées, mais disposées confusément en arête de poisson » ? Au demeurant, l’identification de ces vestiges avec des restes du rempart était purement subjective. D’autre part, les fouilles du couvent des Ursulines (cf. infra) n’ayant pas davantage révélé avec certitude la présence du mur antique, le tracé proposé vers l’extrémité orientale par l’interprétation du plan cadastral demeure hypothétique.

4.2.3.2 Observations de Léo Drouyn

15L’hypothèse de Camille Jullian paraît appuyée au moins sur un secteur de la face nord par la brève description qu’a faite Léo Drouyn de fragments de murs antiques que J.‑B. Marquette a replacés autant qu’il se pouvait dans la topographie (Marquette 1966 : 9‑11 et plan h.t. n^os 2 et 3) :

16« En avançant de quelques dizaines de mètres, lorsque les maisons ont cessé de couronner le mur qui surmonte le talus, on voit parfaitement quelques parties de mur disposées en opus spicatum grossier entremêlé de cordons de briques, et c’est là certainement du roman primitif, postérieur à la période gallo‑romaine, antérieur au x^e s. Nous avons cru devoir donner un specimen de ces vénérables restes qui, nous le craignons, ne subsisteront pas longtemps, car un simple mur de terrassement comme celui‑là cède bien facilement, une fois ébranlé, à l’effort des terres après les pluies et les dégels ; et c’est ainsi que, réparé après chaque éboulement partiel, ce long mur en est venu à ne plus offrir que quelques plaques de sa maçonnerie primitive. Les briques de cordon ne sont pas en général beaucoup plus épaisses que nos briques modernes. » (Desmoulins, Drouyn 1846 : 653.)

17Léo Drouyn devait revenir sur cette question en 1865, dans les termes suivants, légèrement différents :

18« Plus loin, vers l’est, le mur est bâti en petit appareil mêlé de pierres disposées en arêtes de poisson, mais d’une construction extrêmement grossière. Le bas du mur, qui est en talus, a été démoli en partie. On y remarque un large contrefort, ou plutôt une légère saillie faisant l’office de tour… Plus loin encore, le rempart présente des caractères analogues : on y voit quelques rangs de briques, mais il a été recrépi et rasé jusqu’au niveau du sol intérieur de la ville, afin de donner de l’air à un jardin qu’il fermait. » (Drouyn 1865 : 207.)

19Le rempart antique se serait donc élevé, au nord, sur l’aplomb même du plateau rocheux. Jullian (1890 : 181) imaginait que cette muraille, comme toutes les autres, n’avait pu être bâtie qu’« à l’aide de monuments, d’autels et de tombeaux », et c’est pourquoi il ajoutait que « ce qu’on montre du rempart romain est insignifiant et suspect ». Ce qu’ont vu nos auteurs, c’est avant tout un parement qui habillait à l’extérieur et égalisait la paroi rocheuse (fig. 108), et, d’après Léo Drouyn, le mur de ville proprement dit (qu’il n’a pas vu) s’élevait ensuite sur le sol de l’agglomération. Les lits de pierres disposés alternativement en oblique (ici un dérivé sommaire de l’opus spicatum régulier) et en lits parallèles sont suffisamment connus dans la maçonnerie romaine, notamment dans les fondations (Adam 1984 : 156)5. Le fragment d de la fig. 108, au parement plus régulier, appartient à un type d’appareil bien connu pour les remparts de l’Antiquité tardive (mais aussi pour une époque largement antérieure), et il ne concerne toujours que le placage du soutènement ; en effet, Drouyn ne donne pas l’épaisseur de la muraille : il n’a sans doute pas pu l’estimer, si toutes les parties au‑dessus du sol avaient été rasées avant son passage ; c’est d’ailleurs ce qui ressort nettement de C. Desmoulins et Léo Drouyn : « Ces vénérables restes, nous le craignons, ne subsisteront pas longtemps, car un simple mur de terrassement, comme celui‑là, cède bien facilement, une fois ébranlé, à l’effort des terres après les pluies et les dégels. »

4.2.3.3 Les fouilles de 1988 fig. 109

20En 1988, les fouilles faites au contact de l’enceinte du xvii^e s. (côté intérieur) dans l’ancien couvent des Ursulines, ont mis au jour, à 1,40 m en retrait du rempart qui surplombe l’à‑pic, le massif de fondation d’un mur parallèle à celui‑ci. Il « repose sur la couche 1014 et sectionne le niveau de circulation 1013. Large de 1,20 m, conservée sur une hauteur de 0,80 m, la fondation de ce premier rempart à 84 m NGF est composée de blocs calcaires liés par un mortier beige à grains fins. Les relations stratigraphiques des couches avec cette fondation étant détruites par la tranchée, il est impossible de définir la période de construction de ce premier rempart » (Pichonneau 1988b : 33). On remarque que cette fondation repose sur un sol de circulation antique, qui semble attribuable à une époque indéterminée du Bas‑Empire, mais, comme le dit l’auteur, sans qu’il soit possible d’établir une relation de l’un à l’autre en raison de la destruction des couches supérieures au contact du mur. Cette fondation pouvait‑elle être prise pour un vestige du rempart romain ? Rien dans la stratigraphie ne s’opposait formellement à sa datation au Bas‑Empire, puisqu’elle reposait sur l’US 1013. Cependant on devait hésiter à la considérer comme une partie de la muraille antique en raison de sa trop faible épaisseur. Par suite, il semblait certain que la ville n’était pas remparée à cet endroit au Bas‑Empire. Dans ce cas il fallait, dans l’hypothèse que nous venons d’exposer, envisager de réduire à l’est, sur le plateau rocheux, comme on l’avait déjà fait pour l’ouest, la superficie de la Ciuitas Vasatica, qui se trouverait ainsi ramenée à moins de 2 ha. C’est bien ce que sont venues confirmer les fouilles de 1991.

4.2.3.4 Les fouilles de 1991 : découverte du rempart du Bas‑Empire

21Dans leur partie méridionale, à l’est du mur‑façade de l’évêché, c’est‑à‑dire dans l’angle sud‑ouest du jardin du Chapitre, les fouilles de 1991 ont mis à découvert plusieurs structures (fig. 110a et b).

22Une portion de l’enceinte la plus récente de la ville, le mur‑rempart méridional, identique à celui qui avait été précédemment mis au jour en 1988 dans l’ancien couvent des Ursulines, se situe près de l’extrémité orientale de l’éperon et est, comme lui, de faible épaisseur (1,20 m).

23Au sommet de l’angle formé par le mur‑rempart méridional et le mur‑façade du palais épiscopal, un premier sondage a permis de définir les diverses étapes de la construction de ce dernier. Fondée sur l’escarpement rocheux, la façade du palais est bâtie avec de petits moellons et des blocs liés par un mortier de chaux, de sable et de briques pilées, rappelant grossièrement la texture des mortiers antiques. Un contrefort saillant, monté avec des blocs cubiques, délimite ce premier état, édifié peut‑être vers le ix^e s. ou au plus tard au xi^e s. Ce mur‑façade fut rebâti une première fois : pour cela, on détruisit partiellement le mur roman contre lequel fut appliqué un placage de blocs de récupération, sur toute la longueur. Cette façade présentait alors, dans sa partie centrale, un affaissement important, dû à la rupture d’une plaque du socle calcaire, sur lequel reposait le mur. Comme des sépultures en coffres ont été aménagées contre cette section refaite, ce deuxième état est à l’évidence contemporain de la construction de la cathédrale dans la seconde moitié du xiii^e s.

24Immédiatement à l’est de ce mur‑façade est apparu, vers le 15 décembre 1991, un massif de maçonnerie de 4 m de largeur, composé à la base par une assise de tegulae couverte par une élévation en petit appareil ; lié avec un mortier de facture antique, il appartient à n’en point douter au rempart du Bas‑Empire ; comme seule est conservée la base de la fondation, on ne peut donner l’épaisseur qu’avait la muraille en hauteur ; on peut présumer qu’elle était égale ou supérieure à 3 m. Cette masse de blocage était tronquée à l’ouest et à l’est par les murs de la façade du palais et de la galerie du cloître. À une époque et pour des raisons indéterminées, elle avait basculé vers le sud, c’est‑à‑dire vers le bord de l’éperon, scellant ainsi un dépotoir des xiii^e et xiv^e s. En 1308, une bulle du pape Clément V mentionne que le cloître de la cathédrale, à la veille d’être achevé, venait de s’écrouler par accident ou par vice de construction (Registrum Clementis papae, V, Rome 1885, n° 3779 ; Marquette 1992 : 40 et n. 104). Il ne paraît pas trop hasardeux de rattacher l’affaissement du parement de la façade et la chute du rempart antique, qui bascula ainsi dans le vide, aux pre mières années du xiv^e s. La tranchée de fondation de l’enceinte antique, occupée dans la suite par des sépultures en coffre, permet de situer son orientation d’est en ouest ; elle passait sous les chapelles rayonnantes du déambulatoire de la cathédrale.

25Cette découverte n’a pas apporté d’éléments de datation précis pour la construction de l’enceinte ; elle n’enrichit donc point le débat chronologique autour de l’édification des enceintes. Mais elle permet de situer avec certitude le rempart antique de Bazas sur l’éperon rocheux, et elle confirme son tracé : comme on le présumait depuis quelques années, il enfermait une surperficie très réduite, inférieure à 2 ha (fig. 111).

26Par suite, il est très probable que Bazas a connu une évolution comparable (à l’exception de Dax et de Bayonne) à celle des autres villes de la province qui furent au Bas‑Empire dotées d’une enceinte étroite implantée sur une éminence. En proposant, à l’ouest de l’éperon, une première agglomération gallo‑romaine, ou ville basse, qui aurait été abandonnée dans l’Antiquité tardive pour la ville haute, les recherches de Pierre Garmy et de Max Guy accentuent d’ailleurs la ressemblance.