3.1 L’implantation : topographie du chef‑lieu des Pétrucores sous le Haut‑Empire

3.1.1 Archéologues de Vésone

1Deux personnages ont marqué l’archéologie périgourdine. Le premier, le comte Wlgrin de Taillefer (1761‑1833) a consacré sa vie et sa fortune à étudier le patrimoine historique de la Dordogne. Il a été aidé dans sa tâche par Joseph de Mourcin : leur collaboration a donné naissance à la publication des deux tomes des Antiquités de Vésone. Au début du xx^e s., le second, Charles Durand, apparaît comme le précurseur de l’archéologie moderne. Il pratiqua des fouilles de 1906 à 1913 avec une rigueur toute scientifique. Ses comptes rendus illustrés de relevés précis et objectifs restent encore aujourd’hui la base de toute étude sur Vésone.

2Leurs explorations ont porté surtout sur certains monuments publics comme la tour de Vésone, l’amphithéâtre et le rempart du Bas‑Empire. Mais ce sont les fouilles de sauvetage qui, depuis vingt ans, permettent de préciser l’évolution chronologique de la ville.

3.1.2 Le site

3La ville romaine a été implantée dans la vallée de l’Isle, sur la rive droite d’un ample méandre de la rivière, aux abords immédiats du gué de Campniac. Le Dr E. Galy (1859 : 175) a vérifié l’existence d’une voie qui traversait la rivière à cet endroit. Ce franchissement en face du vallon de Campniac, repéré en 1981 par une équipe de plongée, témoigne d’un lieu de passage plus ancien (Gauthier 1983 : 446‑449). Le site est une plaine constituée d’alluvions récentes, s’élevant en pente douce jusqu’au plateau calcaire de la Cité.

4La rive gauche est dominée par les collines d’Ecornebœuf et de La Boissière, séparées par le vallon de Campniac. C’est sur l’une d’elles (La Boissière) que se trouve le camp de La Curade, où certains érudits ont vu l’oppidum principal des Pétrucores. D’une superficie de 35 ha, il est fortifié par un rempart, aménagé au moment de la guerre des Gaules. Les fouilles de Christian Chevillot ont permis de dater l’occupation de ce camp du i^er s. av. J.‑C., entre 70‑60 et 40‑35. C’est au pied de cet oppidum que va naître Périgueux (Vésone 1979 : 23).

3.1.3 Une fondation augustéenne

5Il est vraisemblable que les Pétrucores furent dotés d’une nouvelle capitale lors de la création de la province d’Aquitaine (en 16‑13) et de l’organisation contemporaine des différents peuples qui la constituèrent ; c’est alors que fût fondée Vesunna, qui attira les populations des oppida des collines environnantes (Higounet‑Nadal 1983 : 38). La ville tire probablement ce nom d’une divinité indigène éponyme protectrice du lieu, comme l’attestent deux dédicaces à Tutela Vesunna découvertes à Périgueux (CIL, XIII, 956 et 943). Le nom des habitants de Vésone, les Vésunniens, apparaîtrait sur la deuxième de ces inscriptions, aujourd’hui perdue, développée et restituée ainsi dans le Corpus : Ioui Pr[o]pa[g(atori)] Aug(usto) Ves[tm]n[ens(ium)], C. Pomp (eius) Sex (tus) u.s.l.m. (Au Jupiter Conquérant Auguste de Vésone, Caius Pompeius Sextus s’est acquitté de son vœu de bon gré, comme il se doit).

6La tradition érudite rapporte la trouvaille de quelques monnaies gauloises dans le sous‑sol de Périgueux (Taillefer 1821 : 191‑193). Mais elles datent toutes de l’époque romaine et leur circulation est attestée ailleurs jusqu’aux abords du changement de l’ère. Aucune découverte récente n’est venue confirmer l’hypothèse de cette occupation gauloise et il semble bien que Vesunna soit une création romaine (Bost et al. 1981 : 85‑86), présentant le cas de figure classique d’un site d’oppidum transféré dans la plaine voisine à l’époque augustéenne. Les fouilles de ces dix dernières années ont en effet montré, dans plusieurs secteurs de la ville, des traces d’une occupation datable de cette époque : ainsi, à l’emplacement du forum (Doreau et al. 1985 : 95), et à la limite nord‑est de l’agglomération antique, sur le site de la Visitation (Girardy 1984 : 18 et 1985 : 25). Déjà en 1976, les fouilles de la villa des Bouquets (Vésone 1979 : 52‑54) avaient permis de dégager une construction comprenant au moins trois pièces chauffées par hypocauste ; la pièce centrale comportait encore un fragment de mosaïque à décor géométrique. Un puisard associé à ces structures renfermait un mobilier céramique abondant des deux dernières décennies avant notre ère (Chevillot 1985). Cette construction est la première implantation architecturale de type romain connue à Périgueux.

3.1.4 Le premier noyau urbain : monuments publics fig. 82

7C’est au centre de l’arc de cercle dessiné par la boucle de l’Isle que fut établi le forum. En 1980, les fouilles de la rue de Campniac ont confirmé sa localisation, établie par Durand au début du siècle (Durand 1907 : 9 ; 1909 : 9‑ 13 ; 1910‑1911 : 6‑15), et montré son évolution (Doreau et al. 1985). Sous les règnes de Tibère ou de Claude fut édifié un premier ensemble de type augustéen, avec basilique et place publique ; par la suite un sanctuaire avec son péribole fut ajouté à l’ouest. Un autre monument public de cette agglomération du i^er s. est connu et se retrouve dans le paysage actuel : c’est l’amphithéâtre qui n’a jamais été complètement dégagé (Vésone 1979 : 33‑34). Sa dédicace (CIL, XIII, 962 et 11045) nous apprend qu’il fut construit ou entrepris par A. Pomp (eius) Dumnom[otus ?], tribun militaire, préfet des ouvriers et achevé par un membre de sa famille, A. Pomp (eius) [ – ], peut‑être son petit‑fils ou son neveu, fils d’A. Pomp (eius) Ter[tullus ?]. Aucune fouille n’est venue ajouter d’indications chronologiques à ce texte. Par comparaison avec l’épigraphie et l’onomastique de Saintes, Louis Maurin a proposé l’époque tibério‑claudienne pour la construction du monument (Maurin 1978 : 108 et 192). Il pense, en effet, que l’architecture du monument comme l’absence d’aménagement sous le sol de l’arène, de même que le surnom indigène du donateur et sa filiation, indiquent plutôt l’époque Tibère‑Claude. J.‑C. Golvin (1988 : 160 sq.), tout en soulignant les parentés étroites de l’architecture des amphithéâtres de Périgueux et de Saintes, propose que, commencé sous le règne de Tibère, le monument ne fut achevé que dans la seconde moitié du i^er s.

8L’implantation de ces deux monuments illustre les perspectives des urbanistes du début de l’Empire. Le forum indique la volonté d’établir très tôt le cœur de la vie publique sur un site privilégié, au centre de la plaine alluviale. L’amphithéâtre est légèrement décalé vers l’ouest par rapport au forum et son grand axe ne s’intègre pas exactement dans la trame urbaine dans laquelle s’insèrent les autres monuments. Surplombant la ville, ses constructeurs ont mis à profit une légère dépression sur le flanc sud‑ouest de la colline pour installer l’arène et la base de la cavea.

3.1.5 L’essor de la ville au i^er s.

9Les fouilles ont montré l’existence de riches demeures autour du centre monumental que constituait le forum (Bost et al. 1981 : 87‑88). L’une d’elles, la Maison des Bouquets, découverte en 1960, a été en grande partie explorée pendant plusieurs campagnes de fouilles (Coupry 1961‑1979). C’est une vaste demeure à péristyle construite sous le règne de Néron et qui, durant les 50 ou 75 années de son existence présumée, a subi d’importantes modifications, notamment dans les ailes orientale et septentrionale (Vésone 1979 : 63). Aux abords immédiats, les explorations de la tour de Vésone ont révélé l’existence d’une autre demeure à péristyle du I^er s., sous la cour du temple. Jean Lauffray (Lauffray 1990 : 93‑96) y présente les vestiges d’un large atrium de 14 m.

10Au début du siècle, Charles Durand a mis au jour deux demeures particulières. L’une d’elles, au sud‑est du forum, est une domus dite « à impluvium polylobé » (Durand 1908 : 10‑15 et 1909 : 13‑16 ; Barrière 1930 : n^o 16 et 130‑132). Seule la partie centrale en a été dégagée, révélant un atrium corinthien sur lequel s’ouvrent plusieurs pièces pavées de mosaïques polychromes maintes fois redécouvertes depuis leur premier dégagement en 1909. Le mobilier recueilli dans cette demeure atteste au moins deux états, l’un du i^e s., l’autre du ii^e s., maintenu jusqu’au cours du iii^e. L’autre maison, au nord du forum, n’a été explorée que sur une surface assez faible (Durand 1906 : 8‑11). Elle présente, selon Barrière (1930 : 150 sq. et n° 40), deux états datables l’un du i^er s. et l’autre du ii^e. Ce site est d’un intérêt tout particulier, car l’un des murs de la demeure est engagé sous le rempart du Bas‑Empire ; malheureusement, les fouilles du début du siècle n’ont apporté aucun élément de datation pour l’arasement de ces structures.

11Les fouilles de sauvetage récentes ont montré l’existence de constructions à la périphérie du noyau urbain dès le second quart du i^er s. Elles permettent d’envisager une volonté d’urbaniser toute la boucle de la rivière dès le i^er s. En effet, le site du couvent de la Visitation, dont chaque parcelle fait l’objet d’une fouille préventive depuis 1984, montre une occupation dense dans ce quartier, en limite de la ville. On y a noté la construction, sous les règnes des empereurs Tibère ou Claude, de plusieurs bâtiments dont certains ont une vocation artisanale liée à la métallurgie (Girardy 1984 : 14‑ 19), et d’une maison (Girardy 1987 : 19‑25). Ces fouilles nous apprennent aussi que ce quartier a subi un réaménagement complet à la fin du I^er s. ou au début du II^e s. En effet, les structures du i^er s. ont été arasées et d’autres ont été alors construites, légèrement désaxées par rapport aux orientations précédentes.

3.1.6 A la fin du i^er s. et au ii^e s. : un chantier permanent

12Des fouilles récentes du centre monumental de Périgueux fournissent des informations sur l’évolution chronologique de l’urbanisme. En effet, en 1980, les sondages de la rue de Campniac (Doreau et al. 1985) ont montré l’évolution du forum, notamment par l’aménagement, au II^e s., d’un sanctuaire avec cour à l’ouest de la basilique. On obtint ainsi un forum à deux places alignées sur le même axe, disposition peut‑être inspirée par l’état hadrianique du forum de Trajan (Bost et al. 1981 : 91 sq.).

13Dominant encore aujourd’hui la plaine de Campniac, le grand sanctuaire de tradition celtique que forme la tour de Vésone et ses annexes fut construit au II^e s. sur un remblai recouvrant une villa à péristyle rasée (Lauffray 1990 : 26, 41, 46, 93‑96). Cette construction monumentale, vraisemblablement consacrée à Tutela Vesunna Augusta, faisait partie d’un vaste programme dont les travaux ont dû être réalisés en plusieurs campagnes tout au long du II^e s. Jean Lauffray (1990 : 93‑94) explique que le temple « a été reconstruit sur les arases d’un sanctuaire plus ancien […] ». Il précise que les vestiges de cet édifice seraient contemporains de la demeure à atrium à proximité immédiate (?). Ernest Will, dans le même ouvrage (Lauffray 1990 : 108‑110), reprend ces données, envisage un premier état : « une sorte d’enceinte interne entourant la Tour » et aborde le délicat problème de la chronologie. Il date la construction de la tour du dernier quart du i^er s. et l’aménagement définitif du sanctuaire de l’époque antonine. L’analyse des sources archéologiques et épigraphiques avait conduit à préciser le contexte architectural et à proposer la même époque (Bost et al. 1981 : 95 sq. et n. 39, complété récemment par Bost 1990). En effet, trois inscriptions trouvées dans le rempart et portant le même texte (CIL, XIII, 950‑954) parlent, pour un temple, de la construction d’une enceinte et de deux basiliques ; ces textes ont été rapprochés des structures observées par Durand et ont, par suite, laissé supposer l’extension du sanctuaire. Par ailleurs, plusieurs autres inscriptions évoquent l’embellissement (CIL, XIII, 949) ou la restauration (CIL, XIII, 939) d’un temple de la Tutelle que les érudits périgourdins ont identifié à la tour de Vésone. Il est vrai que la situation de celle‑ci en bordure du forum, comme le volume des travaux engagés paraissent bien répondre à l’importance du culte de la divinité tutélaire éponyme de la ville.

14Le ii^e s. est donc caractérisé par un nouveau programme d’urbanisme qui se manifeste par la restructuration du cœur de la cité (réaménagement du forum, construction du grand temple) et l’extension considérable de l’espace public au détriment d’habitations (en particulier sous le temple). Ce nouvel urbanisme va bouleverser les quartiers proches du centre civique et cultuel. La domus des Bouquets, alors qu’elle vient d’être complétée par l’adjonction d’une aile méridionale, est exhaussée d’un mètre dans la deuxième moitié du ii^e s. (Vésone 1979 : 63 sq.), en respectant le plan de l’état antérieur. Cette surélévation, également vérifiée par Durand (1906 : 8‑11), à l’occasion des fouilles d’une demeure jouxtant, au nord, le péribole du temple, n’a été observée que dans le centre monumental. Ailleurs, dans les autres quartiers, les fouilles anciennes ou récentes ne semblent pas avoir mis en évidence le même phénomène.

15Un autre monument a été repéré en 1857 et 1858 à l’occasion du creusement du canal, sur les berges de l’Isle, au point d’aboutissement de l’aqueduc antique de Grandfont. Les érudits locaux ont reconnu dans les vestiges mis au jour des thermes publics (les thermes dits « de Godofre »), et ils les ont rapprochés d’une dédicace mentionnant la restauration de thermae publicae (CIL, XIII, 939). Déjà Taillefer (1826 : 83) avait localisé son emplacement ; il a été repris par Audierne (1851 : 322 sq.) et par Massoubre (1857 : 196‑198). Au moment des travaux de construction du canal, nombreux furent ceux qui signalèrent également cette découverte (Galy 1859 : 178 et 283 sq. ; 1862 : 8 sq. ; Audierne 1858 : 39‑41). D’autres éléments furent encore rapportés ultérieurement (Barrière 1930 : n^o 32 et 143‑147).

16Vésone devait posséder d’autres édifices publics dont des inscriptions nous laissent présumer l’existence (Taillefer 1821 : 321 et 324), de même que, plus tard, des textes hagiographiques. Ces derniers parlent de la destruction des temples de Mars et de Jupiter ; saint Front aurait consacré à saint Etienne le temple de Mars. Taillefer reprend cette légende et fait de l’église Saint‑Etienne de la Cité, qui fut cathédrale jusqu’en 1669, l’ancien temple de Mars. De même, il attribue certains fragments encore visibles après la démolition de l’église Saint‑Silain au temple de Jupiter. L’étude de J.‑P. Bost, J.‑C. Golvin, J. Schreyeck (Bost et al. 1981 : 96‑ 98) a fait également le point sur cette question. L’épigraphie apporte d’autres renseignements : mentions de clôtures (?) (CIL, XIII, 964, 973), de portiques (CIL, XIII, 949) ; restauration de monuments (CIL, XIII, 939, 11047).

17Les fouilles récentes révèlent que l’amphithéâtre installé sur le plateau et dominant la ville était environné de zones d’extraction de pierre (carrière Francheville et carrière Jay de Beaufort). Depuis quelques années, le suivi de tous les travaux permet de mieux comprendre l’extension de cette ville. Les carrières et l’amphithéâtre délimitent la zone de forte densité de l’habitat. Au‑delà se trouvent les nécropoles. L’une a été repérée près de la gare pendant la construction de la voie ferrée en 1857 (Barrière 1930 : n^os 63 et 64 ; Massoubre 1857 : 21, 31, 34). Elle a été déplacée à l’époque mérovingienne derrière la tour de Vésone, à l’extérieur du rempart (c’est le cimetière Saint‑Pey‑Laneys). L’autre a été localisée près de la cathédrale Saint‑Front par des fouilles plus récentes qui vérifient son utilisation de façon constante de l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge (Coupry 1979 : 500‑502). Cependant des structures signalées aux environs de la gare (Barrière 1930 : ri 62 ; Massoubre 1857 : 41), et une villa mentionnée par Taillefer dans cette partie nord‑ouest de la ville (Taillefer 1821 : 359 ; Barrière 1930 : n^os 59 et 61) démontreraient l’existence d’un habitat plus lâche jusqu’à la nécropole occidentale.

18Sur la rive gauche, des structures d’habitations suburbaines sont mentionnées depuis le XIX^e s. dans les quartiers de Saint‑Georges (Barrière 1930 : 163, n^os 67‑69 ; Taillefer 1821 : 323, 364 ; Taillefer 1826 : 587, 601) et des Cébrades (Coupry 1973 : 463). En aval de Périgueux, dans la plaine de Chamiers, les bains d’une villa furent dégagés à la fin du xix^e s. (Barrière 1930 : 165‑167 n° 73).

3.1.7 La voirie

19Des tronçons de rues dégagés dès le xix^e s. permettent de définir plusieurs grands axes. Les voies cardinales sont assez bien connues. On identifie comme le cardo maximus une rue qui longe les entrées du grand sanctuaire de la tour de Vésone et du forum et se dirige vers le gué de Campniac. Un autre cardo, légèrement désaxé du nord‑ouest au sud‑est, passe à l’ouest du forum (Barrière 1930 : n^os 7‑8 ; Massoubre 1857 : 15) et prend la direction du vallon de Campniac entre les collines de La Boissière et d’Ecornebœuf. Au‑delà, toujours vers l’ouest, les fouilles de la rue Font‑Laurière (Girardy 1985b : 22‑23) ont mis au jour un petit axe, retrouvé plus au nord à l’occasion de travaux pratiqués à la Cité administrative (Girardy 1986 : 17‑19). A l’est du centre monumental, une rue parallèle à la rue Léon‑Félix actuelle a été dégagée en 1930 (Barrière 1930 : n^os 22, 140) ; elle se prolonge rue des Thermes. Ce cardo a été reconnu lors des fouilles de la Gendarmerie (Barrière 1990 : 83) et limiterait l’îlot occidental de la Visitation. Un petit cardo a été dégagé bordant la domus de la Visitation (Girardy 1987 : 19‑25). La surveillance de travaux dans la rue Littré longeant ce même site et la fouille du lycée de l’autre côté (Barrière 1989 : 70) ont permis de reconnaître une nouvelle rue : elles donnent ainsi une largeur d’une quarantaine de mètres à cet îlot. C’est ce cardo qui a été retrouvé sur le site de la Gendarmerie (Barrière 1989 : 83). De toute évidence, il semblerait que le parcellaire ait conservé en partie ces axes antiques dans la partie centrale et orientale de Vésone (rue de Campniac, rue des Thermes, rue Léon‑Félix, rue Littré). Le boulevard Lakanal a repris un axe médiéval qui bordait les établissements de Saint‑Hilaire et des Glarisses (Higounet‑Nadal 1978), ce qui laisse présumer un tracé antique (cf. chap. 5).

20Les voies décumanes sont moins bien connues. Le seul decumanus dont le tracé soit certain reste la voie qui longe le nord du péribole du grand sanctuaire. Son tracé a été dégagé récemment à l’ouest, devant la caserne Bugeaud (Girardy 1986 : 17‑19), et à l’est, au couvent de la Visitation (Girardy 1985a : 25‑27). L’axe qui longerait le péribole de la tour de Vésone et le forum est supposé, mais son tracé n’est pas attesté entre les deux monuments. Il a été retrouvé à l’ouest sur une grande longueur en 1924 (Barrière 1930 : 118 et 186, n^o 9). Un autre tronçon a été observé à l’est, sur le site de la Gendarmerie, mais il est légèrement dévié par rapport au tracé longeant le temple (Barrière 1990 : 83). Un decumanus a été découvert, approximativement parallèle à la rue Font‑Laurière actuelle (Sarradet 1989 : 97). Son axe ne semble pas longer le forum ; cependant, l’orientation des structures de la villa de Campniac laisserait supposer l’existence d’un decumanus longeant cette demeure. Il semblerait bien qu’il existe une rupture dans les voies transversales au niveau du forum.

21Toutes les voies qui ont fait l’objet d’une surveillance récente ont été construites dans le second quart ou vers le milieu du i^er s. ap. J.‑G. et elles ne montrent pas de différence importante d’orientation dans leur tracé. Seul le cardo à l’ouest du forum accuse un changement d’orientation dans la deuxième moitié du ii^e s. (Vésone 1979 : 39). Sur le site de la Visitation en 1988, un nouveau decumanus a été dégagé longeant la carrière de Francheville. Il a été abandonné dans la première moitié du ii^e s. Lors de cette campagne a également été retrouvé le tronçon terminal du petit cardo, déjà repéré sur ce même site et longeant la domus plus au sud.

22Un seul aqueduc est attesté alimentant Vésone ; son tracé est assez bien connu. L’aqueduc de Grandfont amenait l’eau de Saint‑Laurent‑sur‑Manoire, en partie sur arcades, jusqu’aux thermes de Godofre (Durand 1912‑1913 : 69‑99). La tradition érudite parlait d’un autre aqueduc, l’aqueduc des Jameaux, au sud de Périgueux ; celui‑ci aurait suivi les rochers de La Boissière et traversé l’Isle sur un pont à Campniac (Vésone 1979 : 43). Des observations récentes permettent de rejeter cette hypothèse.

3.2 L’histoire du rempart du Bas‑Empire

23Encore visible aujourd’hui sur la moitié de son périmètre, le rempart du Bas‑Empire a fait l’objet d’une étude précise par Durand au début du siècle (Durand 1906 : 11‑13 ; 1907 : 10‑20 ; 1908 : 7‑10 ; 1909 : 17‑21 ; 1910‑1911 : 16‑24 ; 1912‑1913 : 12‑69). A la suite de ses travaux, certaines parties ont été classées au titre des Monuments historiques. La porte Normande et le château Barrière furent classés en 1886 et 1889. L’arrêté du 7 janvier 1942 prenait en compte les parties du rempart rue Romaine et rue des Vieilles‑Boucheries, la section du couvent Sainte‑Marthe, la porte de Mars. Cette liste fut complétée le 13 octobre 1942 par le classement de l’hôtel de Lestrade (5, rue Romaine) et des Vieilles‑Casernes (Centre national de la Préhistoire).

3.2.1 Au Moyen Âge

24Durant les siècles du Moyen Age, la muraille antique n’a connu aucune modification de son tracé. Aujourd’hui encore, ce quartier, toujours dénommé « La Cité », conserve son originalité propre dans le paysage urbain. Très tôt des maisons fortes de chevaliers sont venues s’appuyer sur le rempart (fig. 83) : le château Barrière, qui a subi de multiples restaurations et dont il reste des vestiges importants (Taillefer 1821 : 182‑187 ; Higounet‑Nadal 1978 : 27) ; la maison d’Angoulême ou de Peyrouse, contre la porte Normande (Taillefer 1826 : 190 ; Lafon 1963 : 85‑ 87 ; Higounet‑Nadal 1978 : 28) ; le château de la famille de Périgueux, puis, à partir du xv^e s., de la famille de Bourdeille, installé sur la porte de Mars (Audierne 1851 : 346 ; Lafon 1962 : 52‑55 ; Higounet‑Nadal 1978 : 28) ; le château de Limeuil, à l’est de la porte Romaine (Taillefer 1826 : 152 ; Durand 1912‑1913 : 16 ; Higounet‑Nadal 1978 : 28). D’autres bâtiments médiévaux, non identifiés, ont été aménagés sur le rempart. Durand a reconnu l’un d’entre eux aux anciens lits Militaires, proches du Centre national de la Préhistoire (Durand 1907 : 18‑19).

25Les comtes du Périgord ont construit au xii^e s., dans les Arènes, une tour « grande et forte », vraisemblablement sur motte, en utilisant les matériaux de l’amphithéâtre (Taillefer 1826 : 628 ; Audierne 1851 : 347 ; Durand 1912‑1913 : 20 sq.). C’était une véritable forteresse connue sous le nom de château de la Rolphie, que les bourgeois du Puy Saint‑Front rasèrent en 1391.

26Le rempart de la Cité semble avoir joué un rôle défensif pendant toute la guerre de Cent Ans. Toutefois nous ne possédons aucune indication précise sur son état de conservation à la fin du xv^e s. ; il devait être sûrement dédoublé à la suite des différentes constructions, mais pas forcément détruit. L’archéologie apporte quelques précisions. Les fouilles de 1961 dans la propriété de la congrégation de Sainte‑Marthe montrent la restauration de son parement interne encore au xiv^e s. (Sarradet 1990 : 60). Les textes mentionnent des changements de propriétaires dans l’histoire de certains châteaux : le château Barrière passa aux Abzac de Ladouze vers 1474, puis plus tard aux Jay de Beaufort (Taillefer 1826 : 182‑187 ; Audierne 1851 : 347‑349 ; Higounet‑Nadal 1978 : 27). Le château de Périgueux ne fut plus entretenu lorsque la famille de Bourdeille s’éteignit vers 1672 (Lafon 1962 : 100‑102).

3.2.2 À l’Époque moderne

27L’occupation protestante de la ville de Périgueux (1575‑1581) entraîna dans la Cité la destruction partielle de la cathédrale Saint‑Etienne (église de la Cité), celle du palais épiscopal et l’incendie du château Barrière (Durand 1912‑1913 : 26). C’est à la suite de ces événements que le palais des évêques fut transféré sur le rempart, à la Manutention militaire ; en 1669, il fut abandonné et érigé en abbaye de Lapeyrouse. Il fut dénommé au xix^e s. les Vieilles Casernes (Audierne 1851 : 408 ; Durand 1912‑1913 : 66). Mais ce sont surtout les Sœurs de la Visitation qui apparaissent comme les grandes dévastatrices du rempart. Elle s’installèrent en 1640 dans la partie nord de la Cité, englobant dans leur enclos l’amphithéâtre, sur lequel elles édifièrent tout un ensemble de constructions (Durand 1912‑1913 : 22‑27). Au moment de cette acquisition par les Visitandines, les maires et consuls revendiquèrent l’amphithéâtre comme propriété de la ville. Ce manque d’intérêt, au xvii^e s., pour le rempart en ruine, révèle l’abandon de son rôle défensif. En 1668, les religieuses construisirent une église chevauchant l’une des courtines, en utilisant ce qui restait des matériaux du rempart entre la porte Normande et les Arènes (Durand 1912‑1913 : 28‑32). C’est à l’occasion de ces travaux qu’elles firent la découverte importante de sept statues de divinités. Bien qu’elle fût rapportée par de nombreux auteurs, la localisation reste imprécise.

28Installés à la Cité administrative, les missionnaires possédaient une dépendance contiguë à la porte Romaine. Ils récupérèrent les pierres pour leurs propres constructions et vendirent celles qu’ils n’utilisèrent pas (Durand 1912‑1913 : 16‑17). Au xix^e s., certains jardins aménagés par leur propriétaire faisaient l’admiration des érudits qui les visitaient : le jardin Chambon (aujourd’hui dans l’enclos du couvent de Sainte‑Marthe), aménagé en terrasses sur les ruines du premier palais épiscopal, était bordé par le rempart ; le jardin des maisons Champeau et Bardon était installé sur la porte de Mars (Audierne 1851 : 262 et 344‑346).

3.3 Les vestiges apparents du rempart

29Le rempart a été construit sur la partie haute de la ville du Haut‑Empire. Son tracé se lit en grande partie dans le parcellaire actuel, où il sert encore souvent de limite (fig. 84). Il semble qu’il n’ait plus été touché par les destructions depuis la description de Taillefer au début du xix^e s. (Taillefer 1826 : 173) ; celle‑ci n’a été renouvelée qu’au début du xx^e s. par l’étude de Durand, fondée sur des explorations archéologiques (Durand 1905 : 11‑13). À la suite des constructions qui lui ont été adossées depuis le Moyen Age, seul le parement externe reste encore visible sur la moitié du tracé.

3.3.1 Partie occidentale : boulevard des Arènes, rue Romaine

Boulevard des Arènes – avenue du 26^e R.I.

30Des arènes à la porte Normande, le mur n’est plus apparent, récupéré en partie par les Sœurs de la Visitation pour construire leur église. Durand, qui pratiqua des sondages dans les caves des maisons, n’a trouvé aucune trace du mur (Durand 1912‑1913 : 19‑28). Cependant, il a reconnu sous le niveau de la chaussée du boulevard des Arènes, sur une hauteur de trois assises, le point de jonction du rempart avec l’amphithéâtre (Durand 1912‑1913 : 19). Au‑delà de la porte Normande, avenue de Beaufort, il s’infléchit brusquement vers le sud, jalonné par des monuments importants, comme le château Barrière, et longé par la voie ferrée. La porte Normande et sa courtine, observées par Durand lors des travaux d’ouverture de l’avenue de l’Asile‑Jay‑de‑Beaufort (Durand 1912‑1913 : 12), puis récemment, en 1990 à l’occasion de l’aménagement du parking du lycée Jay‑de‑Beaufort, ont été amincies et restaurées à différentes époques. Il n’en reste que le parement externe.

31Dans le secteur du château Barrière (fig. 85), le rempart domine le nouveau quartier de la Cité administrative ; il est ici paradoxalement mis en valeur par la tranchée de la voie de chemin de fer qui le longe, creusée durant l’année 1857. La courtine sur laquelle est établie la façade occidentale de la maison Romane présente sur son parement externe huit assises visibles de blocs de grand appareil (sur 6,30 m). Nous en avons observé douze à partir du niveau des fondations dont l’une servait de ressaut. Au‑dessus sont posées trois assises de moellons, chacune d’elles surmontée d’un cordon de deux assises de briques (soit 2,20 m). La façade montre dans ses parties hautes des pierres disposées en arêtes de poisson. La tour contiguë à cette courtine comprend onze assises visibles de gros blocs, surmontées elles aussi par des moellons et des cordons de briques. Durand (1908 : 10 et 1912‑1913 : 59) compte treize assises depuis les fondations, soit 7,78 m de hauteur et détaille ces assises de moellons ; il révèle la présence de carreaux vraisemblablement médiévaux.

32A côté, la courtine se dirigeant vers le château Barrière a été restaurée en 1907 à l’occasion de l’aménagement des abords du château (Durand 1907 : 19). C’est à cette occasion que fut démolie la maison dont la cave avait été aménagée à l’intérieur du rempart (Durand 1907 : pl. XIII et XV). Le château, construit sur la courtine suivante, repose sur des assises de gros blocs. Une des tours antiques a été réutilisée pour asseoir la tour du château qui surplombe aujourd’hui la voie ferrée. Le lierre masque en grande partie aujourd’hui cette façade. La construction du château Barrière et de la maison d’Angoulême a occasionné l’amincissement du mur. Les deux tours encore en élévation ont été vidées, deux autres détruites, et les matériaux utilisés en remploi dans les bâtiments (Durand 1908 : 10). La courtine jouxtant la tour du château présentait depuis 1883 une brèche. Elle a, elle aussi, été remontée en 1907 au cours de la restauration de tout cet ensemble.

33En rejoignant l’avenue du 26^e R.I., au niveau du pont de chemin de fer, la maison sise au n^o 35 de cette voie offre sur sa façade occidentale plusieurs assises de blocs de grand appareil pris dans sa maçonnerie. De là, le rempart prend une direction nord‑ouest/sud‑est.

Avenue du 26^e R.I. – rue Romaine

34Visibles du pont du chemin de fer, les bâtiments de l’ancienne Manutention, aujourd’hui restaurés et occupés par le Centre national de la Préhistoire, présentent sur leur façade des restes d’assises du rempart, ainsi que deux tours fondées sur les bases de tours antiques (fig. 86). C’est dans l’une d’elles, la plus méridionale, aujourd’hui restaurée, que fut aménagée au xvii^e s. la chapelle du palais épiscopal. Le rempart apparaît dans les anciens Lits Militaires, sous le mur de la terrasse qui surplombe les jardins, le long de la voie ferrée. Un sondage réalisé en 1990 montre une élévation de quatre assises dont une seule se retrouve hors de terre. Plus loin, vers la rue Romaine, des caves ont été aménagées en 1895‑1896 sous l’Hôtel de Lestrade (Durand 1907 : 12). Quelques fragments d’architecture sont présentés aujourd’hui dans le jardin

cl. CGC/MC

3.3.2 Partie orientale : rue Romaine jusqu’à la rue des Gladiateurs

Rue Romaine – rue du Gymnase

35La partie du rempart visible sur 25 m dans la parcelle cadastrale 363, à l’angle de la rue Romaine et de la rue des Vieilles‑Boucheries, a été dégagée par Durand en 1906 et 1907, à l’occasion de la démolition de l’ancien asile des Vieillards (fig. 87) (Durand 1905 : 12 ; 1907 : 12). Au niveau de la rue Emile‑Lafon, le mur prend une direction franchement nord‑sud ; il a été détruit par la construction du château de Limeuil, puis, plus tard, par les missionnaires (Taillefer 1826 : 153‑156 ; Durand 1912‑1913 : 16‑18) ; mais son tracé, lisible dans les limites parcellaires, a été retrouvé par Durand à l’occasion d’un sondage de vérification dans le jardin du n° 20 de cette rue (Durand 1912‑1913 : 15 sq.). Entre la rue Emile‑Lafon et la rue du Gymnase, le rempart n’apparaît plus dans les constructions.

Rue du Gymnase – rue de la Cité

36Une des tours du rempart se dresse au 12, rue du Gymnase, dissimulée en partie dans une habitation (fig. 88). Sa courtine n’apparaît plus dans les bâtiments actuels, mais seulement dans les limites du parcellaire, et elle a été détruite dans le jardin jouxtant la porte de Mars. Pour reconnaître la porte de Mars, dont la masse est visible depuis la rue de la Cité, il faut pénétrer dans un petit jardin. Toujours propriété privée, elle a fait l’objet de nombreuses démarches depuis le xix^e s. pour une mise en valeur, mais elle n’a jamais été dégagée. Le parement externe de sa courtine sert de façade orientale à la maison dont la cave, aménagée à l’intérieur, appartient à l’ancien château de Périgueux du Moyen Âge.

Rue de la Cité – rue Ernest‑Guillier (rue Bourdeille)

37Cette partie du rempart à l’angle des deux rues a été explorée à l’occasion de travaux en 1885 (Hardy 1886 : 96 sq.) et par Durand en 1908 (Durand 1908 : 8). Le mur était à une faible profondeur (0,30 m) sous la rue ; il avait été aminci : seul son parement extérieur était conservé.

Couvent Sainte‑Marthe

38Le chœur de la chapelle du couvent Sainte‑Marthe est construit sur une courtine (Durand 1908 : 8). Au‑delà, seul le parement externe du mur est apparent et a été récemment restauré. La fouille de sauvetage dans la propriété de la congrégation de Sainte‑Marthe a reconnu le mur aminci et la restauration de son parement interne à différentes époques (Sarradet 1990 : 60).

Rue des Gladiateurs

39Rue des Gladiateurs, le mur accuse un brusque retour vers l’ouest et rejoint l’amphithéâtre. Quatre assises du parement sont encore conservées au départ du couvent Sainte‑Marthe, mais il a été ensuite entièrement détruit jusqu’à son arrivée boulevard des Arènes (Durand 1909 : 20).

3.3.3 Dimensions

40L’enceinte de Périgueux a la forme d’un ovale orienté nord‑ouest/sud‑est. Elle englobe l’amphithéâtre qui, laissé en saillie, forme un important bastion dans la partie nord‑ouest. Le mur se développe sur 789,20 m de longueur. Si l’on ajoute les 170 m représentant la partie des Arènes utilisée par la fortification, on obtient pour le rempart un périmètre total de 959,20 m. Ces mesures effectuées par Durand (1912‑1913 : 42‑43) correspondent à la réalité ; il est le seul à avoir parfaitement vérifié le tracé et, en sa qualité de sous‑ingénieur des Ponts et Chaussées, il avait toutes les compétences requises pour mener au mieux l’opération.

3.4 La construction du rempart

41Depuis le xix^e s., plusieurs auteurs ont étudié le rempart : Taillefer, le premier, en a donné une description détaillée avec l’aide de Mourcin (Taillefer 1826 : 136‑181). Audierne (1851 : 259‑273) note que les deux tiers de la muraille et huit tours étaient encore debout en 1851. Galy (1874 : 59‑61) apporte quelques précisions, notamment sur l’une des portes. En 1907, A. Blanchet (1907 : 180‑185) a repris l’étude de Taillefer sans connaître le résultat des fouilles en cours. Le dossier a été repris avec méthode par Charles Durand : de 1906 à 1913, il s’est appliqué par des sondages à définir le tracé et observer la technique de construction du rempart. Les lignes qui suivent sont tributaires avant tout des observations minutieuses et pertinentes qu’il a publiées. Nous n’avons pas hésité à le citer souvent, d’abord en raison du caractère exemplaire que présentent ses indications pour d’autres enceintes dont l’exploration n’a pas été suivie, comme celle de Périgueux, par un archéologue aussi scrupuleux mais aussi parce que, depuis la veille de la Première Guerre mondiale, aucune découverte n’est venue contredire ses informations. Les sondages réalisés en 1990 à la porte Normande et sous la terrasse des anciens Lits Militaires confirment et complètent ses données. L’étude de l’enceinte de Périgueux est rendue aujourd’hui difficile par le développement de la végétation parasitaire sur toutes les parties apparentes.

3.4.1 Les matériaux

42Le soubassement est construit en blocs calcaires de grand appareil provenant des monuments démontés de la ville du Haut‑Empire ; leur entassement a été mis au jour en divers points (fig. 89), notamment par Durand, rue Ernest‑Guiller, sur une longueur de 8 m (Durand 1908 : 9) ; à la fin de son étude, Durand (1907 : 17 ; 1912‑1913 : 54) a estimé que le soubassement renfermait environ 45 000 m³ de gros blocs pour 950 m. Bien qu’il ait été souvent exploité comme carrière au cours des siècles, il est certain qu’il constitue encore une réserve documentaire importante pour l’histoire des premiers siècles de Périgueux. Parmi les pierres qui ont été découvertes et conservées, on possède une recension complète des inscriptions (CIL, XIII, 939‑1030 ; 11037‑11062 ; ILTG, 147) ; un grand nombre de blocs décorés de reliefs figurent dans le recueil Espérandieu (n^os 1260‑1316), mais la grande majorité des blocs à décor d’architecture demeurent encore inédits.

3.4.2 Fondations et soubassement

3.4.2.1 Données de Durand complétées par les observations récentes

43Le mur est fondé sur un radier d’environ 6 m de largeur ; sa hauteur varie de 0,50 à 2 m en fonction de la nature du sous‑sol. Il est constitué par une alternance de lits de moellons posés à sec et de chant (en hérisson) et de lits de mortier. Cette description, nous avons pu la vérifier en 1990 au niveau de la tour B. Au‑dessus, les lignes des deux parements du rempart sont définies par deux alignements de blocs de moyen appareil sommairement taillés, posés à sec ; leur face externe est en ressaut par rapport au nu du parement supérieur du rempart ; du côté de l’intérieur, leur longueur inégale permettait leur ancrage dans la maçonnerie du mur (Durand 1912‑1913 : 56 et pl. XII). Entre ces deux alignements, l’espace est comblé par des blocs de moindre calibre et de fins débris de carrière et de démolition, afin d’établir un lit de pose « sensiblement horizontal » (Durand).

44Contre la porte Normande (IJ), le radier de fondation a une hauteur de 0,65 m (fig. 90) ; il est établi à la cote 88,85 NGF « sur un sol graveleux d’éboulis » (Durand 1907 : 15) ; il s’agit sans doute d’une altération de la couche superficielle de la roche calcaire. Au niveau des courtines 2 et 3, ce radier a été vérifié. Au château Barrière, dans la section KL, il n’existe pas. Durand a observé que l’assise inférieure des blocs de grand appareil était installée directement sur l’argile, à la cote 87,83 NGF, qui est assez basse par rapport aux autres points cotés. Il s’agit d’une couche « d’argile rouge compacte, avec silex », d’une épaisseur de 50 cm au‑dessus du calcaire, que les constructeurs ont jugée suffisante pour assurer la stabilité du sous‑sol et supprimer à cet endroit le radier maçonné. Dans une autre section du château Barrière (MN), le radier de fondation a une hauteur de 1,23 m et il repose directement sur le calcaire naturel, à la cote 87,38 NGF (Durand 1907 : 14).

45Aux anciens Lits Militaires (OP), dans le jardin du Centre national de la Préhistoire qui longe la voie ferrée, le radier de fondation, d’une hauteur de 1,90 m, recoupe des structures antérieures et notamment, à 86,30 m NGF, un niveau d’incendie que Durand rapproche d’un niveau d’incendie observé dans le péribole de la tour de Vésone (Durand 1907 : 7). Il les traverse et est implanté, à 85,20 m NGF, sur des alluvions anciennes. Notre sondage réalisé dans ce même secteur en 1990 montre que la première assise repose à 87,10 NGF. Des structures, en particulier un portique, furent arasées, les matériaux récupérés et une faible couche de terre végétale (de 0,20 à 0,50 m) fut rapportée plus pour niveler le terrain que pour le remblayer. Et c’est à partir de ce niveau que fut creusée l’étroite tranchée de fondation du rempart. De même, rue Romaine (QR), Durand a observé que le radier, d’une hauteur de 2 m, traversait les structures d’une villa du Haut‑Empire arasées à la cote 97,96 NGF (Durand 1906 : 8‑11 et pl. II) et reposait sur les alluvions.

46Durand n’a publié aucune observation sur la fondation du mur dans le secteur compris entre la rue Emile‑Lafon et la rue du Gymnase. Seul le Profil en long développé des fondations du mur d’enceinte de la Cité (fig. 91) met en évidence que le radier, d’une hauteur de 1,20 m, est établi ici à la cote 87,40 NGF (Durand 1912‑1913 : 56 bis). Cette même hauteur du radier se retrouve à la porte de Mars, à la cote 90,20 NGF.

47Rue Ernest‑Guiller, le radier, d’ 1 m de hauteur, est fondé à 90,96 NGF sur « des sables fins d’alluvions, passant à des graviers argileux rougeâtres » (Durand 1908 : 8). Rue des Gladiateurs, le radier a 1,10 m de hauteur et il est établi sur le même lit de grave à la cote 90,75 m NGF (Durand 1909 : 19). Au couvent Sainte‑Marthe, une coupe (Sarradet 1990 : 60, fig. 3) montre une fondation de 1,20 m.

3.4.2.2 Conclusions

48Toute l’étude de Durand sur le rempart est fondée sur des observations archéologiques, et il est le seul à avoir pratiqué des sondages assez profonds pour reconnaître la fondation du rempart. De son étude complétée par les fouilles récentes, on peut tirer les conclusions suivantes.

49Sous la section occidentale, de direction nord‑sud, qui va de la porte Normande IJ (fig. 92a) aux points MN proches de la rue du 26^e R.I., sur une longueur d’environ 170 m, la plate‑forme calcaire est à une altitude uniforme. Cependant le rempart présente une anomalie aux points KL, où il n’est pas fondé sur le radier reconnu partout ailleurs, et où l’assise de gros blocs formant le ressaut de fondation se trouve à la cote 87,83 m NGF, soit 1,67 m plus bas qu’en IJ et 0,78 m plus bas qu’en MN. Cette anomalie peut révéler une dépression à cet endroit dans la topographie de la ville du Haut‑Empire qui correspondrait à une absence ou une instabilité des remblais de découverte de la carrière Jay‑de‑Beaufort à proximité immédiate.

50Sous la section orientale, de direction nord‑sud, qui va de Sainte‑Marthe à la rue du Gymnase sur un peu plus de 200 m, la roche calcaire a un pendage nord‑sud : le mur a une fondation régulière d’environ 1 m de hauteur (vérifiée en 1961), avec toutefois une éminence rue Ernest‑Guiller. Au sud, le mur, de direction est‑ouest, est fondé sur la terrasse alluviale et il a une fondation plus importante, d’environ 2 m. Il est situé ici au pied du plateau calcaire, au niveau d’une rupture dans le relief que la carte met en évidence.

51L’adéquation parfaite entre la nature et la portance des sols et la technique de mise en œuvre des fondations témoignent de la maîtrise des constructeurs.

3.4.3 Les courtines fig. 92b

52Ici encore, on s’appuiera d’abord sur les observations faites par Durand sur plusieurs points du tracé du rempart au château Barrière, aux anciens Lits Militaires (jardin du Centre national de la Préhistoire), rue Romaine (Durand 1907 : 14‑16), rue Ernest‑Guiller (Durand 1908 : 8 sq.) et rue des Gladiateurs (Durand 1909 : 20 sq.), complétées par quelques observations récentes sur la courtine de la porte Normande et le même jardin des anciens Lits Militaires.

3.4.3.1 Les matériaux du soubassement : parements

53Le parement est en retrait par rapport au lit de pose qui terminait la fondation (Durand 1912‑1913 : 56). Citons encore Durand : « Ce mur, construit en élévation avec les matériaux de grand appareil (tous percés du trou de louve) provenant des édifices de la ville romaine, comprend un parement‑enveloppe vertical extérieur formé de hautes assises dont les joints horizontaux sont parfois discontinus et ressautent pour faciliter l’emploi de pierres d’inégales hauteurs. L’épaisseur de ce parement, qui parfois comprend des fûts de colonnes dédoublés suivant leur axe ou des entablements dont les lits de pose, antiques, forment parement vertical, diffère à chaque pierre et varie entre 0,30 m et 1,00 m. Quelques‑unes, même, forment boutisses à pénétration profonde. Le tout, assez régulièrement appareillé, a certainement nécessité un choix préalable de matériaux dont les lits sont en contact étroit, sans mortier » (Durand 1907 : 15 sq.).

3.4.3.2 Blocage interne

54Entre les deux parements, continue Durand, « furent entassées incertainement assisées et sans mortier, les unes à côtés des autres, les pierres provenant de la démolition des monuments de Vésone […] Le plein fut obtenu en coulant dans les vides du sable graveleux pur ou de fins débris de carrière ». Les ouvriers ont économisé autant qu’ils le pouvaient la retaille des matériaux : ainsi, la régularité des assises des parements n’est due qu’à la régularité de la taille d’origine des blocs qui les composent. Dans le blocage interne, Durand note le caractère sommaire des retailles : on s’est contenté le plus souvent d’abattre les parties saillantes des stèles ou des autels funéraires ou de certains blocs d’architecture, comme les corniches. C’est ainsi que les acrotères et le sommet du fronton de la plupart des stèles Itinéraires ont été abattus, mais il était la plupart du temps inutile de retailler les reliefs ou les inscriptions, qui ont ainsi souvent été conservés. En réalité, les constructeurs ont été parfaitement indifférents au décor ou au texte que portaient nombre des blocs qu’ils employaient, mais au contraire très attentifs à les utiliser au mieux pour l’ouvrage à réaliser : chaque fois que c’était nécessaire, ils n’ont pas hésité à retailler les matériaux antiques en fonction de la place qu’ils devaient occuper dans la muraille ; ainsi en va‑t‑il pour des chapiteaux ou des fûts de colonne retaillés suivant leur axe vertical pour être employés dans le parement (Durand 1912‑1913 : 57).

55Durand ajoute que les monuments funéraires et les parties hautes des édifices (entablements, chapiteaux) ont été souvent les premiers utilisés, puisqu’on les trouve en plus grand nombre dans les assises inférieures (Durand 1912‑1913 : 62). On peut donc supposer que l’on a d’abord démonté et amené à pied d’œuvre les monuments les plus éloignés, ceux qui étaient extraits des nécropoles suburbaines, et que l’on s’est attaqué ensuite aux monuments publics ; ceci serait un indice supplémentaire du caractère très systématique et méthodique de l’entreprise.

3.4.3.3 Longueur des courtines

56La courtine du rempart est constituée de 23 secteurs séparés par des tours (à la suite de Durand on appellera courtine, suivi d’un chiffre, chacun de ces secteurs) ; seules les courtines 1 et 23 ne se terminent pas par des tours, mais elles s’appuient sur l’amphithéâtre. Elles sont de longueur inégale : leur ligne extérieure varie en général de 20 à 30 m, les dimensions supérieures ou inférieures étant exceptionnelles (Durand 1912‑1913 : 62 et 45). L’une d’entre elles, la courtine 12 (rue Romaine), est inférieure à 20 m (63 pieds) ; huit courtines (4, 5, 6, 9, 16, 17, 19, 20) avoisinent 20 m (68 pieds) ; quatre (3, 7, 8, 10) ont 23 m (78 pieds) ; trois (11, 18, 21) ont 24,50 m (83 pieds) ; quatre (13, 14, 15, 23) ont environ 30 m (102 pieds) et deux (2 et 22) environ 36 m (122 pieds) ; une seule (1) avoisine 40 m (soit 136 pieds). Il s’agit ici du pied romain de 0, 296 m. Si l’on admet une marge d’erreur d’un pied, on peut noter que la différence entre les longueurs est un multiple de 5.

3.4.3.4 Largeur

57Ayant servi de carrière au cours des siècles, le mur était souvent réduit en largeur dans les sections retrouvées. Durand n’a pu étudier la courtine sur toute sa largeur qu’en deux points, le long des courtines 22, à Sainte‑Marthe, où il donne 8,30 m, et 23, rue des Gladiateurs, où la largeur était de 5,50 m (19 pieds) (Durand 1909 : 19) ; le premier chiffre doit être erroné, car dans ses conclusions d’ensemble, Durand a écrit du rempart que « son épaisseur varie entre 5,50 m et 6 m » (Durand 1912‑1913 : 42 et n. 1). Cette même courtine 22 a été étudiée en 1961 et son parement interne dégagé. Elle avait 6 m de large (Sarradet 1990 : 60).

3.4.3.5 Élévation

58Comme l’a relevé Taillefer également, la porte de Mars donne encore la hauteur originelle approximative (il manque le couronnement) de la courtine, soit 9,75 m au‑dessus de l’arase des fondations (Taillefer 1826 : 143). Ailleurs, celle du soubassement ne peut être mesurée qu’en un secteur, celui de la maison Romane : au‑dessus de la fondation, nous avons compté pour le parement extérieur 8,20 m de hauteur pour douze assises de blocs de grand appareil, dont huit émergent au‑dessus du sol. Durand (1912‑1913 : 58‑60) signale onze assises pour une élévation de 7,40 m.

3.4.3.6 Maçonnerie en petit appareil à arases de briques

59Elle est observée et conservée seulement dans la tour C et dans la façade de la maison Romane (courtine 3) qui la suit au nord (fig. 93). C’est cette façade qui présente les douze assises de blocs de grand appareil dont il vient d’être question ; huit sont visibles, surmontées, entre les fenêtres, sur une hauteur de 2,20 m, de plusieurs assises de petit appareil décrites en même temps par Durand : « Le parement extérieur comprend trois assises de briques superposées : la première de neuf, la seconde et la troisième de cinq, en pierres cubiques de petit appareil, chacune d’elles surmontée d’un cordon continu composé de deux briques assisées. » Les briques sont d’épaisseur croissante, si bien que le cordon inférieur de deux briques a 7 cm d’épaisseur ; le second, 9 cm ; le troisième, 12 cm.

60Durand note encore que, dans la tour de la maison Romane où les assises de grand appareil atteignent 7,78 m, l’effet ornemental est d’abord obtenu avec une autre disposition des briques : dans la cinquième et la neuvième assise en petit appareil, les moellons alternent avec des carreaux de briques. Puis on revient à la disposition de la maison Romane : au‑dessus de la onzième assise en petit appareil, deux assises de briques, trois assises de moellons, deux assises de briques, trois assises de moellons. Au total, le mur parementé en petit appareil atteint ici une hauteur de 1,82 m (nous avons mesuré 2,20 m). Ainsi n’y a‑t‑il pas continuité dans la disposition entre la courtine et la tour, sans que l’on puisse dire aujourd’hui si les différences sont d’origine ou tiennent à des réfections qui semblent avoir été nombreuses dans la tour (Durand 1912‑1913 : 61). Des ouvertures ont notamment été pratiquées dans les parties hautes de la tour.

61Les moellons des parties hautes avaient peut‑être la même origine que les blocs de grand appareil, c’est‑à‑dire les constructions de la ville du Haut‑Empire : en effet, les fouilles de plusieurs quartiers désertés au Bas‑Empire ont montré que les murs de blocage parementé en petit appareil avaient été alors récupérés jusqu’aux fondations. On peut penser que ce fut éventuellement pour l’édification du rempart.

3.5 Les tours

3.5.1 Nombre, diamètre

62Le rempart de Périgueux comportait 24 tours ; huit sont encore visibles (C, E, H, I, P, R, S, V) ; deux d’entre elles flanquent à l’est la porte de Mars, et deux autres, au sud, la porte Romaine. Elles ont été décrites de façon précise par Taillefer (1826 : 136‑176), puis par Durand (1912‑1913 : 47) qui a vérifié avec soin les données de Taillefer et qu’il suffira de citer à nouveau : « Le diamètre des tours, dont les restes plus ou moins importants de huit de leurs souches subsistent encore, était de 8 mètres et leur saillant de 5 mètres sur le nu des courtines ; ce qui indique que le centre de courbure étant reporté de 1 mètre vers l’extérieur, ces ouvrages étaient formés, en plan, par une partie barlongue de 8 mètres x 1 mètre, adossée au rempart, complétée par un demi‑cercle de 4 mètres de rayon. » (Durand^‑ 1912‑1913 : 45.)

63La tour B a fait l’objet d’une exploration en 1990, au moment de l’aménagement du parking du lycée Jay‑de‑Beaufort (fig. 94). Son existence a été confirmée mais elle a été retrouvée démontée et arrachée jusque dans ses fondations vers les XI^e ou XII^e s. Puis un fossé et un chemin sont créés longeant la courtine restaurée.

3.5.2 Construction et élévation du soubassement

64À propos d’une tour (la tour V) qui s’élève aujourd’hui dans le jardin du couvent de Sainte‑Marthe (autrefois le jardin du Sol de la Dixme), Taillefer indique qu’elle présente comme « presque toutes les autres » un fruit qui donne à sa base un diamètre supérieur d’un pied à celui du sommet (Taillefer 1826 : 147), observation que confirme Durand, qui précise que « ce résultat n’a pas été obtenu en élevant, suivant un fruit régulier, le parement extérieur de ces tours, mais en posant en retraite les unes sur les autres, par séries ou isolément, les hautes assises qui les constituent, assises dont le parement vertical est, dans tous les cas, exactement dressé à angle‑droit ou d’équerre sur le lit de pose » (Durand 1912‑1913 : 45).

65En raison de la forme circulaire des tours, les pierres du parement extérieur ont été retaillées « à la demande de la courbure et les joints verticaux amaigris vers l’intérieur sont normalement dirigés suivant le rayon concourant de l’extérieur au centre de l’ouvrage » (Durand 1907 : 16 ; 1912‑1913 : 55). Enfin : « Les tours étaient reliées aux courtines au moyen de boutisses à pénétration profonde. » (Durand 1912‑1913 : 57 ; Durand 1907 : pl. VIII.)

66Les tours étaient pleines jusqu’au sommet du soubassement en grand appareil : la hauteur de celui‑ci était respectivement de 7,78 m et 7,66 m depuis la fondation pour les tours C et D du château Barrière (Durand 1912‑1913 : 44).

3.6 Portes et poternes

67Trois portes s’ouvraient dans le rempart antique de Périgueux ; deux d’entre elles sont conservées, la porte de Mars et la porte Normande ; la troisième, la porte Romaine, est assez bien documentée.

3.6.1 La porte Normande fig. 95‑97

68Elle était appelée au Moyen Age porta Boarela (ou Bourelle) (Higounet‑Nadal 1978 : 26). Elle s’ouvrait dans la grande courtine 2. Son ouverture a 2,70 m de largeur et actuellement 3,55 m de hauteur sous clef. Un arc en plein cintre constitué de blocs retaillés forme l’entrée du passage qui se prolonge sur l’épaisseur de l’enceinte par des murs latéraux surmontés encore par quelques‑uns des sommiers de la voûte qui les recouvrait. Elle est décrite ainsi par Durand (1912‑1913 : 46) : « Sur le parement extérieur de chacun des montants de cette porte est figuré en traits gravés un pilastre avec socle et chapiteau. Une archivolte de 0,51 m de retombée et en relief de 0,04 m est prélevée sur l’épaisseur des voussoirs qui, au droit de leur nu, s’en trouve réduite d’autant. Cette archivolte décorée d’arcs concentriques simulés, au profil peu saillant, en forme de crans de crémaillère, orne l’entrée du passage et repose sur les chapiteaux simulés des pilastres. Malheureusement ces ornements ainsi que ceux des montants sont très frustes et difficilement reconnaissables. » Le calcaire local étant très gélif, ces décors ont en grande partie disparu. Il ne reste que le départ de l’archivolte encore visible sur la partie occidentale de la façade.

69En 1990, à l’occasion de la création du parking Jay‑de‑Beaufort (Girardy 1993), un sondage fut réalisé devant la porte. Il a montré que celle‑ci avait à l’origine une hauteur sous clef de 5,55 m et qu’elle n’était pas flanquée de tours. Le seuil était légèrement surélevé, si bien que de part et d’autre des dalles formaient un plan incliné pour permettre le passage des véhicules. Par la suite ce seuil fut constamment exhaussé jusqu’au xviii^e s.

3.6.2 La porte Romaine fig. 98 et 99

70Située au sud, elle a été détruite en 1783, lors de l’excavation de la courtine 12 par les missionnaires. Taillefer (1826 : 153‑156 et pl. XVI) en a publié une gravure d’après les dessins exécutés sur place par Beaumesnil en 1784, alors que les débris antiques n’étaient pas dispersés. Mais artiste de talent et à l’imagination féconde, ses dessins et ses observations ont toujours été accueillis avec la plus grande réserve. La porte Romaine est représentée analogue à la porte Normande ; sa largeur était de 10 ou 11 pieds (3,30 à 3,60 m) et sa hauteur de 16 pieds (5,30 m) selon Taillefer (1826 : 156). Le plan de Belleforest (de 1575) la figure flanquée de deux tours. Mais Durand n’a pu en retrouver les fondations, en raison des destructions opérées dans cette section du rempart par les missionnaires (Durand 1912‑ 1913 : 16 sq. et 46 sq.).

3.6.3 La porte de Mars

71Jusqu’au xii^e s, elle fut la plus importante de l’enceinte, car elle ouvrait directement vers le Puy Saint‑Front. Elle fut obturée quand la famille de Périgueux fit construire son château sur l’enceinte et installer les communs sur la porte. Pour la remplacer, une brèche fut ouverte dans la courtine 18, délimitée au nord par la tour T. Lafon (1962 : 138‑141) pense que la brèche fut fermée par une porte fortifiée en bois. Elle devint la « porte d’Itier ou de mossen Itier, ou porte de Périgueux », ou parfois tout simplement « la porte de la Cité » (Higounet‑Nadal 1978 : 26 et n. 13, sources).

72Aujourd’hui elle est dans une propriété privée (Cadastre AZ pa 331 ; propr. Pigérias). D’une hauteur actuelle hors sol de 4,80 m, la porte de Mars est enfouie sur plus de la moitié de sa hauteur. Taillefer en donne un dessin (fig. 100) ; la ligne en pointillés matérialise le niveau d’enfouissement de la porte au début du xix^e s. Ce niveau reste sensiblement le même aujourd’hui et donne la mesure des restitutions de Taillefer. Il précise d’ailleurs (1826 : 136 et pl. XVI) : « En faisant dessiner ces tours, nous les avons supposées débarrassées de la vieille muraille et des terres qui les encombrent ; de sorte que la porte paraît telle qu’elle doit être. Malheureusement la gravure n’est pas très exacte. » Elle est cependant sans doute proche de ce que l’on peut déduire des ruines actuelles, sauf pour ce qui concerne l’ouverture elle‑même, que Taillefer n’avait pu voir et qu’il a imaginée à partir des vestiges des portes Romaine et de Mars. Il est en tout cas certain que c’était une porte à ouverture unique (de 6 m de hauteur environ), flanquée de deux tours. Le passage est obturé par un mur de 8,25 m de longueur, formant un angle très obtus (fig. 102), qui empiète largement sur le périmètre des tours et dont l’appareil diffère de celui du dessin de Verneilh. En 1860, Galy et Verneuilh, pour pratiquer des fouilles, auraient abattu le mur qu’ils auraient ensuite rétabli (?) (Durand 1910‑1911 : 19 ; 1912‑1913 : 67‑68 ; Gaumont 1870 : 205 et n. 3). Mais aucun compte rendu n’a été donné de cette exploration et il semble que la gravure de Verneilh publiée dans l’ouvrage de Gaumont (fig. 101) soit une reprise de celui de Taillefer. On ne voit la tour sud que sur 6 m de longueur, dimension nettement inférieure à son diamètre. Le saillant de cette tour sur le nu du mur de la courtine 18 est de 4,50 m. L’ouverture de la porte a environ 3,60 m de largeur dans la restitution de Taillefer, soit l’équivalent de la porte Romaine. Outre les constructions parasites, l’aménagement d’un jardin sur la porte elle‑même ne permet plus de vérifier le diamètre des tours. Nos mesures sont proches de celles de Durand (1910‑1911 : pl. IV). Taillefer (1826 : 136) proposait 18 ou 19 pieds (5,32 à 5,62 m) pour le mur qui obture le passage et 23 pieds (6,80 m) pour le diamètre des tours.

extrait de Taillefer 1826 : pl. XIV

extrait de Caumont 1870 : 206

73Bien qu’on ne puisse pas mieux l’observer aujourd’hui qu’au temps de Taillefer ou de Durand, l’intérêt de cette porte doit être souligné. On peut en restituer les dispositions essentielles et l’architecture, qui a de quoi surprendre (fig. 103 et 104). La porte et les deux tours qui la flanquent sont bâties en blocs de grand appareil, jusqu’à leur faîte (9,75 m depuis l’arase des fondations). Cette construction la place dans la tradition des grandes portes d’apparat des enceintes du Haut‑Empire. Comme celles‑ci, la porte de Périgueux est dotée d’un décor d’architecture sobre, mais d’exécution soignée, qui s’intègre étroitement à l’appareil du parement ; il introduit un rythme vertical et un rythme horizontal très marqués dans la structure ; on ne peut le restituer avec certitude que pour les tours.

FIG.104 – La porte de Mars, côté est.

cl. CGC/MC

74Le nu des tours est animé de pilastres en faible ressaut et lisses (1,50 m env. d’axe en axe) ; invisibles aujourd’hui, les bases, sans doute dérivées des bases corinthiennes ou ioniques, comportent, d’après le dessin de Taillefer, trois tores que séparent deux scoties, sur un piédestal dont la hauteur est égale à une assise du mur, mais on peut aussi penser à une plinthe en léger retrait au sommet du piédestal, surmontée d’un congé et de deux tores séparés par une scotie. Les chapiteaux des pilastres sont aussi peu canoniques, puisqu’ils sont apparemment constitués sous l’abaque de deux boudins inégaux superposés et d’un quart de rond.

75Au‑dessus, se trouve un entablement de 1,80 m de hauteur. L’architrave, dont la hauteur est celle d’une assise du mur, a deux fasces verticales, avec le retrait réglementaire et, au‑dessus, une moulure proéminente (talon droit, ou tore) ; cette mouluration est aussi celle des ressauts superposés au passage de l’architrave à chacun des chapiteaux des pilastres. On les retrouve aussi sur la frise et sur la corniche. Pour celle‑ci, qui est plus étroite, Taillefer a repris les moulures de l’architrave ; elles consistent en réalité en un mince filet et une doucine droite sous un bandeau. Enfin, un attique peu élevé (0,84 cm de hauteur, mesure de Durand) comportant le même rythme et le même décor, couronne l’ensemble.

76La superstructure complexe, et notamment la présence de l’attique, pose la question du couronnement de l’édifice ; on imagine assez mal que l’attique n’ait été conçu que pour soutenir un crénelage. Telle qu’elle se présente dans la restitution hypothétique mais vraisemblable de Taillefer, cette porte se place, comme nous l’avons dit, dans la tradition des entrées de villes remparées construites en grand appareil ; plus précisément, elle paraît un compromis entre l’entrée d’une forteresse flanquée de deux tours et l’arc de triomphe traditionnel à une baie, aux piliers habillés de pilastres et de colonnes, couronné par un attique portant un groupe statuaire. L’emploi exclusif du grand appareil et le style du décor donnent une part dominante à la seconde source d’inspiration. Ce parti, qui n’a pas de parallèle, étonnait déjà Taillefer qui a supposé que cette architecture était antérieure à la construction du rempart et qu’elle appartenait au péristyle d’un temple de Mars (182 1 : 324‑ 328). On imaginera sans difficulté la présence d’une dédicace, dont il pourrait subsister quelques traces sur la frise au‑dessus de l’ouverture, dans cette partie qui est masquée par un mur postérieur à l’Antiquité.

3.6.4 La porte de la Boucherie ?

77Rue des Gladiateurs, la porte médiévale connue sous le nom de porte de la Boucherie était‑elle une porte antique ? Lors des fouilles de 1910‑1911, Durand a observé un décrochement de la courtine 23 en direction des Arènes ; il note à cet endroit l’existence dans le soubassement en grand appareil d’un passage ou couloir de 3 m qu’il interprète comme une poterne, tout en notant la difficulté de l’interprétation archéologique ; en raison de la largeur du passage, il a proposé ensuite d’y voir les vestiges d’une quatrième porte de la ville romaine du Bas‑Empire, pour en faire en quelque sorte le pendant de la porte Normande, à l’est de l’amphithéâtre (Durand 1910‑1911 : 17 ; 1912‑1913 : 49). C’est à cet endroit que l’on place une porte médiévale qui n’est connue que par des textes (depuis 1240) (Higounet‑Nadal 1978 : 26 et n. 17, sources). Comme on le voit, ces données sont insuffisantes pour proposer ici, autrement qu’à titre d’hypothèse, une quatrième ouverture antique. Cependant M. Sarradet (Sarradet 1990 : 106) reprend cette hypothèse et pense qu’elle livrait le passage à la rue qui longe le rempart dans ce secteur du couvent Sainte‑Marthe.

3.6.5 Poternes

78On a encore moins de certitude à leur sujet, car on ne peut que rappeler pour mémoire les propositions de Taillefer :
– une poterne intégrée à la tour S de la porte de Mars est acceptable dans l’architecture de la porte antique, mais on ne peut éliminer l’hypothèse d’un aménagement médiéval, lors de l’installation des communs du château de Périgueux ;
– une poterne, aujourd’hui détruite, flanquée au sud par l’angle nord de la tour U dans le jardin du couvent de Sainte‑Marthe ; elle avait 1,48 m d’ouverture (Taillefer 1826 : 143 et 181 ; Durand 1912‑1913 : 49 sq.) ;
– une poterne (1,40 m d’ouverture) s’ouvre dans la courtine 5 du château Barrière « à 10 pouces de la septième tour » (Taillefer 1826 : 166 sq. et 181 ; Durand 1912‑1913 : 50) ; il semble qu’on doive y voir plutôt une porte médiévale ou de l’époque de la Renaissance ;
– Taillefer (1826 : 181) mentionne une « poterne de l’ouest » dans la courtine 6, « entre la septième tour et l’arrachement de la sixième ».

3.6.6 Conclusion

79L’enceinte de Périgueux avait au moins trois portes à une baie, l’existence de la quatrième (porte de la Boucherie) restant à démontrer. L’architecture des trois portes est sensiblement différente et elle établit entre elles une hiérarchie. La porte de Mars se distingue des deux autres par sa construction et son ornementation, qui la désignent sans aucun doute comme la porte principale de la ville suivant en cela l’opinion constante des érudits périgourdins (par exemple Durand 1912‑1913 : 48). Comme elle, la porte Romaine était flanquée de deux tours, mais ni le plan de Belleforest qui la représente, ni les témoignages de Beaumesnil ou de Taillefer ne laissent supposer que ces tours différaient des autres tours de l’enceinte. Plus étroite que les deux autres, la porte Normande n’était protégée par aucun ouvrage défensif. Cette observation est déjà une indication sur les axes principaux dans la ville de l’époque tardive.

3.7 Aménagements particuliers

3.7.1 Fossés, chemin de ronde extérieur

80L’enceinte était‑elle bordée par un fossé ? Taillefer (1826 : 146) croyait à l’existence de fossés, tout en disant : « on n’en aperçoit presque plus de traces, soit qu’ils aient été ruinés par les derniers assaillants, ou qu’ils se soient comblés d’eux‑mêmes par la succession des siècles ». Durand n’en a certainement pas trouvé trace, car il reste muet à leur sujet. Nos observations en 1990 au niveau de la tour B et de la courtine 10 des anciens Lits Militaires nous permettent de préciser qu’au moment de la construction du rempart, aucun fossé ne fut creusé dans ces secteurs. Lorsque la tour B fut démontée au Moyen Age, ses fondations furent arrachées. La dépression un fois comblée, un fossé fut créé à ce moment au pied de la courtine 3 restaurée.

81Durand croit également qu’il existait « un chemin de ronde au pied extérieur du rempart » ; il a retrouvé le long du château Barrière (courtine 4) « une chaussée de 6,50 m de largeur et 0,35 m d’épaisseur [qui] paraît antique » (Durand 1912‑1913 : 50). Cette chaussée, nous l’avons vérifiée en 1990 au niveau de la courtine 3. Elle est installée sur le remblai recouvrant l’arrachement de la tour B, et est contemporaine du fossé. De même il mentionne, sans donner de précision, une autre chaussée au pied du mur de l’enclos du couvent de Sainte‑Marthe (Durand 1910‑1911 : 16 sq.). Elle doit faire partie des mêmes travaux d’aménagements qui démontrent un souci d’entretien permanent du rempart au Moyen Age.

3.7.2 L’amphithéâtre et le rempart du Bas‑Empire

82La muraille de Périgueux intégrait‑elle l’amphithéâtre comme on le croit communément depuis Taillefer ? Et comment ? Les observations que l’on a sur ce point sont en effet dues au seul Taillefer (1826 : 31), qui a donné un bref compte rendu d’un sondage qu’il fit effectuer à l’extrémité nord du grand axe de l’amphithéâtre. Il aurait reconnu la fondation d’une énorme tour (46 pieds, soit 15,18 m de diamètre) masquant l’entrée du vomitoire nord, et, sans doute dans les parages, des élévations de blocs de grand appareil obturant des entrées ; cette dernière indication a été généralisée par Durand (1912‑1913 : 43). Mais, sauf cette brève mention, on ne possède aucune description ni aucun relevé de ces travaux. Sur le plan dressé alors, le grand fragment de mur oblique dessiné en grisé, à l’intérieur du monument, au sud‑ouest, est un mur de l’ancien couvent des Visitandines (Taillefer 1826 : 48). Les documents anciens ne sont d’aucun secours : on remarque que sur le plan de Belleforest (fig. 99), le rempart est complètement indépendant de l’amphithéâtre, qui paraît bien conservé.

83Durand n’a pas étudié spécialement cette question difficile ; il croit lui aussi que la fortification utilisait toute la partie septentrionale de l’amphithéâtre (Taillefer 1826 : 48), mais les informations lui ont manqué, comme le montre à l’évidence le plan qu’il a dressé des fortifications antiques de la

3.8 Le rempart et la ville réduite

84ville, et ses observations sont incertaines : « Lors de la construction [du rempart] tous les matériaux de grand appareil de l’amphithéâtre –et la chose est bien certaine puisque nous en trouvons des débris dans le mur même– furent enlevés, ainsi d’ailleurs que ceux des autres monuments de Vésone. » (Taillefer 1826 : 48.) Il imagine que la partie nord du monument, intégrée au système défensif, fut rasée jusqu’au sommet du premier étage, niveau « qui paraît avoir correspondu au chemin de ronde des courtines voisines » ; malheureusement, aucune étude de l’élévation de l’amphithéâtre n’a encore été faite, qui pourrait étayer ce point de vue. Rappelons que les deux grands blocs que l’on possède de la dédicace ont été trouvés en remploi dans l’enceinte, l’un tout près du monument, l’autre non loin de la porte de Mars, au bout de la rue Bourdeilles (CIL, XIII, 962 et 11045) ; mais on ignore (Durand 1908 : 9) à quel emplacement pouvait se trouver à l’origine cette inscription.

85Cette question de la relation entre le rempart et l’amphithéâtre, essentielle pour restituer la configuration de l’enceinte, reste actuellement sans réponse.

86A Périgueux comme ailleurs, le rempart a profondément modifié le paysage urbain. Sa masse imposante, qui enferme 5,5 ha (Durand 1907 : 11) dans la partie haute de l’ancienne agglomération, se laisse bien appréhender. Mais que sait‑on de la ville nouvelle dominée par cette forteresse ? Le nom nouveau sous lequel elle est connue au Bas‑Empire, Ciuitas Petrucoriorum, est attesté depuis 276 sur un milliaire de Florien (CIL, XIII, 8895) : elle le portait alors depuis une date indéterminée du iii^e s.

3.8.1 Occupation à l’intérieur du rempart

3.8.1.1 Découvertes archéologiques

87Les découvertes anciennes ne fournissent aucun renseignement sur la ville murée. Durand n’a pas recherché le premier niveau de circulation du Bas‑Empire. Les observations plus récentes de l’enclos du couvent Sainte‑Marthe (1961‑1962) ont montré l’existence, dans ce secteur intra muros, de 4 m de niveaux archéologiques. Les descriptions qui sont faites en dehors d’une véritable lecture stratigraphique, rendent difficile l’étude. On a mis au jour une section de rue bordée d’arcades portant un aqueduc, le tout attribué à une époque postérieure à la construction du rempart. Cédons la parole à l’inventeur, Max Sarradet, alors conservateur régional des Bâtiments de France : après 2,50 m de niveaux attribués du premier à la fin du iii^e s., on arrive au iv^e s. et l’on trouve, entre 96,432 et 96,692 m NGF, « [le] dallage d’une chaussée pavée de 5 m de large bordée d’un aqueduc sur arcades. Ce pavage est incurvé en son milieu, la dénivellation correspondant à un égout à l’air libre, et il est encadré par deux murs sensiblement parallèles au mur d’enceinte. Les arcades, portant les traces d’un égout à tegulae, ont 1,15 m d’épaisseur et sont appareillées en gros moellons et voûtées en larges moellons plats formant des arcs de 3,20 m de portée. Ils chevauchent, dans leurs fondations et diagonalement, les maçonneries en petit appareil romain parementé » (Vésone 1979 : 44 ; Coupry 1963 : 521‑524 ; Sarradet 1990 : 66‑68). L’indication des niveaux suivant la cote NGF semble couramment employée par les architectes‑archéologues (Durand, Sarradet) ; elle est évidemment très aléatoire puisque les références stratigraphiques et topographiques exactes des points relevés ne sont pas données, et que le nombre des points cotés est minime. À cette description, M. Sarradet ajoute que le tracé de l’aqueduc sur arcades dessinait un angle droit, voire aigu si l’on suit le croquis donné (Coupry 1963 : 521 et fig. 29 ; Sarradet 1990 : 59 et 63) ; « il distribuait l’eau notamment dans une grande citerne » (H 3,20 ; I. 2,20 ; larg. 1,70 m) voûtée en plein cintre ; on ignore par quelle source il était alimenté.

88Cependant si l’on analyse les coupes présentées dans la publication récente (Sarradet 1990), on remarque qu’une chaussée pavée a été installée à partir de la fin du iv^e s. (ante quem proposé par le moyen bronze de Valentinien II), donc après la construction du rempart, sur un péristyle arasé. La construction de l’aqueduc sur arcades (que l’auteur date par le petit bronze de Constantin) semble pourtant postérieure et fonctionner avec le deuxième niveau de la rue dallée.

89Cette analyse est corroborée par les observations d’un sondage pratiqué en 1990 dans la cour du Centre national de la Préhistoire, intra muros. Nous avons constaté les différentes recharges d’un decumanus pendant toute la période antique. Ce n’est qu’à partir du v^e s. que cette rue a été remblayée et qu’un bâtiment a été construit qui va évoluer jusque vers les xi^e ou xii^e s. En 1977, rue Romaine, une surveillance a également permis de vérifier l’existence de niveaux contenant un mobilier archéologique daté du iii^e au v^e s. (Coupry 1979 : 500).

3.8.1.2 De la voirie médiévale à la voirie antique fig. 105

90Des observations qui précèdent, il résulte que l’archéologie commence seulement à révéler la voirie de l’Antiquité tardive. En effet, on peut avancer l’hypothèse que la construction du rempart aurait conservé l’ancienne voirie. Puis à partir du V^e s., celle‑ci se serait adaptée aux nouvelles contraintes de la ville close.

91La lecture des documents du Moyen Age a conduit Arlette Higounet‑Nadal à proposer (1978 : 26 sq.) une origine antique à certaines rues médiévales. C’est le cas de la rue de Turenne, parallèle au rempart, qui joint la porte Normande à la porte Romaine, de la rue Saint‑Etienne, qui part de la rue de Turenne en direction de la porte de Mars et de la petite rue Sainte‑Marie.

92Le plan de ce que l’on appelait alors la Cité s’organisait encore au Moyen Age avec deux axes principaux, suivant un schéma romain classique. Le cardo, de tracé incertain dans sa partie nord, conduisait des environs de l’hypothétique porte de la Boucherie à la porte Romaine ; le decumanus reliait les abords de la porte Normande à la porte de Mars. Ces tracés pouvaient d’ailleurs reprendre des axes du Haut‑Empire, quand on considère que la rue Emile‑Lafon est le prolongement du cardo qui bordait les entrées du forum et de l’enclos de la tour de Vésone. La voirie de la ville close aurait donc conservé le schéma de l’organisation antique, en l’adaptant : en effet, la partie orientale de la rue de Turenne est parallèle au rempart, tout comme la chaussée pavée que M. Sarradet a reconnu dans le couvent Sainte‑Marthe.

3.8.2 Les portes de l’enceinte et les liaisons de Périgueux

93Les trois portes assurées débouchaient sur des routes qui furent jalonnées au Moyen äge par des établissements religieux. Au nord‑ouest, la porte Normande donnait accès à une voie qui bifurquait ensuite en direction de Saintes et en direction de Bordeaux. L’ancienneté de son tracé est assurée par la découverte sur son parcours, à une lieue du point de départ, du milliaire de Florien (Taillefer 1826 : 248‑251). Au sud, de la porte Romaine était issue la route qui se dirigeait vers Agen ; elle suivait le boulevard Bertrand‑de‑Born jusqu’à l’ancien Pont de pierre (Higounet 1978 : 260 et fig. 1). A l’est, la route de Limoges partait de la porte de Mars en direction du sommet du Puy Saint‑Front en suivant l’actuelle rue des Farges (Higounet 1978 : 258 sq.).

3.8.3 L’occupation extra muros

94La ville de l’Antiquité tardive était‑elle limitée aux 5,5 ha enfermés par l’enceinte ? Les fouilles anciennes apportent peu de renseignements à ce sujet. Il est possible que la domus des Bouquets, et même la zone environnante, aient connu au Bas‑Empire une nouvelle occupation ; mais, des rapports des fouilles conduites pendant près de deux décennies dans la domus des Bouquets, on ne peut extraire que deux mentions laconiques, qui ne constituent en rien une démonstration sur les occupations tardives : « Dans le secteur occidental de la fouille, le décapage des niveaux des iii^e‑iv^e s. montre une série de salles et de seuils en place. » (Coupry 1965 : 424.) Il est fait plus loin mention, mais en dehors de tout contexte, d’une monnaie ou de monnaies de Constantin. Cette datation sera remise plus tard en question (Vésone 1979 : 63 sq.) et la deuxième moitié du ii^e s. proposée pour cette transformation de la domus. Taillefer avait noté que des officines de fonderies s’étaient établies dans ces parages (péribole de la tour de Vésone), et l’on a attribué à cette époque un petit atelier métallurgique mis au jour immédiatement au sud de la maison des Bouquets (Coupry 1975 : 473).

95La fouille menée par Durand de la domus qui jouxtait au nord le péribole du temple (Durand 1906 : 9‑13 et pl. II) aurait pu contribuer à la datation de la construction du rempart. En effet, cette demeure a subi un incendie, puis elle a été entièrement arasée jusqu’au sol d’occupation. Par la suite, l’aménagement du rempart a recoupé les structures jusqu’aux fondations. Dans son compte rendu, le fouilleur présente une liste de monnaies (Durand 1906 : 24), sans préciser leur contexte archéologique ; mais elle pourrait suggérer une occupation du site jusqu’au début du v^e s., puisqu’elle cite « un petit bronze à l’effigie d’Honorius (395 à 423) avec au revers : Gloria Aug.? »

96Seules les fouilles récentes permettent d’apporter des précisions sur l’époque de l’abandon des sites hors les murs. Le quartier artisanal de la Visitation, dégagé en 1984, a montré un premier abandon à la fin du iii^e s. Les niveaux d’abandon ont livré entre autres des antoniniens, une monnaie de Dioclétien et plusieurs antoniniens gallo‑romains d’imitation. Une partie du bâtiment a été évacuée et démontée. Des aménagements matérialisent une réoccupation partielle. Puis, à partir du milieu du iv^e s., ce secteur est totalement évacué, et les murs récupérés jusque dans leurs fondations. Par la suite, on ne trouve hors les murs que des cimetières environnant les premières églises. La seconde phase d’abandon antique est caractérisée par des monnaies de Magnence (une monnaie de l’atelier de Lyon frappée en 352) ou des monnaies d’imitation de cet empereur.

3.8.4 Cimetières du haut Moyen Âge

97Les deux principaux cimetières de la ville murée sont maintenant bien connus. L’ancienne nécropole de la gare a été désertée, sans doute au cours du iv^e s., au profit du cimetière de Saint‑Pé‑Laneys, au sud‑ouest de la Cité (fig. 106) (Durand 1910‑1911 : 35 sq.). Désaffecté seulement en 1833, ce cimetière a révélé dans ses couches les plus profondes des sarcophages mérovingiens (Girardy 1986 : 17). L’autre nécropole du Haut‑Empire, celle du Puy Saint‑Front, est restée en activité et elle va être utilisée pendant tout le Moyen Age. Elle s’étale du cloître de la cathédrale jusqu’à la rue Taillefer. D’autres sarcophages mérovingiens ont été très récemment fouillés dans une cave de la rue Saint‑Silain.

3.9 Datation

98Le rempart est souvent bâti sur des ruines du Haut‑Empire arasées, mais elles ne sont pas datées par les fouilles anciennes ; on vient de le voir pour la domus contiguë au péribole du forum : faute de données stratigraphiques précises, on ne saurait tirer un argument chronologique de la mention de la trouvaille dans ses ruines d’une monnaie du tournant des iv^e et v^e s. Seules les fouilles du couvent Sainte‑Marthe ont apporté un indice chronologique : « à la base (cote 91), des moellons verticaux fichés en hérisson formant statumen et, coincé entre eux, un moyen bronze de Probus… » (Sarradet 1990 : 62 pl. 2) (A/buste radié, cuir à dr., vu de face, IMP C M AVR PROBVS AVG ; R/La Paix Auguste debout à g. tenant un rameau et un sceptre transversal).

99Les observations récentes sur l’abandon des sites hors les murs sembleraient montrer que l’évacuation des quartiers concernés a commencé dans la première moitié du iv^e s. Il nous paraît pour le moment plus vraisemblable de situer à cette époque la construction de l’enceinte antique de Périgueux.