Introduction
p. 13‑14
Texte intégral
1La multiplication, ces vingt dernières années, des publications et congrès consacrés à la recherche amphorique, dont le colloque de Sienne, par son ampleur et la richesse de ses interventions, est le plus frappant témoignage, démontre que l’amphore, ce récipient à deux anses destiné au transport des denrées alimentaires dans l’Antiquité, est devenu la référence obligée pour tout historien réfléchissant sur les problèmes de production, d’échanges et de consommation dans le monde romain.
2Dans un patient effort collectif, les chercheurs réunissent des informations toujours plus foisonnantes et complexes sur l’exploitation agricole des Provinces, sur les systèmes de production des ateliers céramiques, sur le processus de commercialisation des denrées (essentiellement le vin, l’huile et les produits de la pêche), sur les réseaux de distribution mis en place... La prospection sur le terrain révèle une multiplication des ateliers d’amphores à travers tout l’Empire et apporte chaque année son lot de découvertes : entre autres, pour l’Occident, sur la côte adriatique de l’Italie (Cipriano, Carre 1989) et dans les Trois Gaules à Bordeaux, St‑Cécile‑les‑Vignes (Vaucluse), Toulon... et pour la Méditerranée orientale, en Egypte et dans le golfe d’Issos (Empereur, Picon 1986).
3L’analyse typologique des récipients rend compte de la diversité des types d’amphores produits par les ateliers. Dans le même temps les recherches de détermination des provenances, avec le concours des sciences exactes (analyse minéralogique et chimique, thermoluminescence, activation neutronique…) apportent la preuve que les formes des récipients sont fréquemment imitées d’un atelier à un autre (des amphores Dr 2‑4 sont produites par exemple en Grèce, en Italie, en Espagne et en Gaule, les Pascual 1 en Catalogne, en Languedoc mais aussi dans le Vaucluse [Meffre 1992], des amphores à salaisons dans la haute vallée du Rhône...). La remise en cause des lieux de production des amphores arrivées sur les sites de consommation est donc permanente.
4D’importants efforts ont en conséquence été consacrés à la recherche des fours antiques. La démarche complémentaire nécessite, pour progresser dans la connaissance de l’économie antique, de faire l’étude de la circulation de ces denrées et de leur destination : où, quand et comment étaient distribués ces produits ? Quels en étaient les consommateurs ? Pour répondre à ces questions, une étude systématique et exhaustive des objets importés est entreprise sur les lieux de consommation. En Occident, les travaux de Panella, Desbat, Dangréaux, Martin‑Kilcher, Remesal, Van der Werff, sur le matériel amphorique importé à Ostie, à Lyon, en Suisse (à Augusta Rauriconim) et sur certains sites rhénans, sont bien connus. Des études sont en cours, achevées dans la vallée du Rhône (Dangréaux), en Bourgogne (Olmer) en Bretagne (Galliou), en Aquitaine (Riune‑Lacabe à St‑Bertrand‑de‑Comminges, Berthault à Bordeaux, Lauranceau à Saintes), en Belgique (Laubenheimer à Braives et Liberchies), et sur le limes britannique (Fitzpatrick). La confrontation des données s’annonce très instructive.
5C’est dans cette perspective que s’inscrit ce travail sur le matériel amphorique du nord‑est de la Gaule, Il était particulièrement intéressant de porter nos investigations sur cette région de contact, placée entre le couloir rhodanien, axe naturel de circulation sud‑nord, et la frontière germanique de l’Empire, zone stratégique de première importance. Les agglomérations réparties sur ce territoire, dont la plupart sont peu connues par les publications, sont, à n’en pas douter, des jalons importants pour la distribution des denrées venues du sud. La première tâche, et non des moindres, a été de recenser les sites régionaux ayant fourni des amphores, puis de tenter de redéfinir la nature de ces sites (pour lesquels il n’existe pas toujours d’études spécifiques), et de réfléchir enfin sur le contexte social, politique et économique dans lequel s’est placée cette commercialisation ; c’est la teneur principale du premier chapitre.
6Le deuxième chapitre consiste en une démarche de rapport archéologique : il y est fait état, selon la nature du produit transporté (vin, huile, salaisons) du travail d’identification, de classification et d’attribution de chaque amphore à une zone productive, ainsi que de l’évaluation quantitative des groupes morphologiques, de leur place dans les stratigraphies locales et enfin de leur répartition sur les sites du nord‑est de la Gaule. Ces études permettent d’établir une base de données solide, clairement définie, pour analyser les courants commerciaux.
7Dans le troisième chapitre, les recherches portent sur un aspect fondamental de la vie économique : la consommation. Plusieurs facteurs, à la fois humains et historiques, interfèrent sur celle‑ci. Nous avions l’avantage de disposer d’un matériel provenant d’une région entière et de milieux très divers. L’étude proportionnelle des types d’amphores, selon les périodes, a permis, sur quelques sites choisis pour leur spécificité (camp militaire, vicus, villa…), d’observer la nature des importations et leurs fluctuations dans le temps. Il s’agissait de comparer ces données aux grandes tendances observées sur les sites occidentaux déjà publiés, et de rattacher les importations du nord‑est de la Gaule aux courants économiques de l’Empire. Il était important de savoir, dans un même temps, si les populations urbaines ou rurales, militaires ou civiles, consommaient de la même façon et de connaître les sites précocement gagnés au mode de vie « à la romaine » et à ses usages alimentaires. Le marché de certains produits s’adressait‑il à une clientèle particulière ? Peut‑on faire la part entre consommation de luxe et consommation de masse ?
8L’évolution des importations est parfois liée à des événements extérieurs à la vie du site et des corrélations peuvent exister entre le passage de l’armée et ces importations. Les transformations du marché et leurs causes ont été recherchées. Ces questions ambitieuses font intervenir des notions de géo‑politique indispensables pour qui veut essayer de comprendre les évolutions générales de l’économie et de la société antique. On le voit, les perspectives étaient multiples. On peut espérer que le début de réponse apporté à ces questions, contribuera à mieux cerner les échanges dans l’Antiquité.
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