La sidérurgie chez les Sénons : les ateliers celtiques et gallo-romains des Clérimois (Yonne)
| ,Chapitre 7. Conclusion
Texte intégral
1La fouille et l’étude du gisement paléométallurgique des Fouetteries (commune des Clérimois), se sont déroulées dans le cadre d’un sauvetage autoroutier. Si celui‑ci a permis une recherche de grande ampleur, il a entraîné aussi des contraintes : les délais impartis ont été trop brefs pour la fouille et l’exploitation d’un gisement aussi vaste et aussi complexe. Les phases d’activités successives et l’agencement et la superposition des structures qui leur étaient liées étaient d’une lecture difficile et limitaient les interprétations qui pouvaient en être faites.
2Néanmoins, les trois sites de travail présents sur le gisement ont pu être individualisés et étudiés dans leur quasi‑intégralité. Pour la première fois il était possible d’avoir une vision générale de la nature réelle d’un des innombrables ferriers, issus de la réduction selon le procédé direct, qui sont disséminés à travers le Sénonais. Cette étude doit donc être considérée comme un point de départ pour de futures recherches sur la paléométallurgie du fer dans cette région.
3L’activité métallurgique, caractérisée par la réduction d’un minerai de fer local, semble commencer au début de La Tène pour se terminer à l’aube du Moyen Âge, avec toutefois une interruption à la fin du iie s. de n. è. Durant cette longue période, la vie des ateliers, leur essor, varient selon les changements économiques et sociaux ; témoins de ces changements les amas de déchets, qui livrent des informations sur la quantité et la qualité de la production, et les fourneaux, dont dix‑huit ont été fouillés ou prélevés, principaux témoins de l’évolution technologique.
4Au tout début de l’exploitation, la réduction s’effectue dans des fours en fosse de taille réduite, capables de produire au maximum 9 kg de métal. Ces fourneaux, dont quatre sont connus, n’étaient utilisés qu’une seule fois : les déchets restaient alors piégés à l’intérieur des cuves. L’extension et la durée de cette fabrication n’ont pas pu être déterminées avec précision, en raison des bouleversements provoqués par les occupations postérieures.
5Du début du ier s. av. J.‑C. jusqu’à la fin du iie s. ap. J.‑C. l’exploitation connaît un essor très important : onze fourneaux datent de cette période. Le minerai est exploité en partie sur place par extraction à ciel ouvert dans le talweg même où est implanté le gisement. Les besoins sont probablement complétés par du minerai extrait dans le voisinage. Le charbon de bois, tiré principalement du Hêtre et du Chêne est fabriqué dans une zone qui n’a pu être localisée mais qui est probablement proche.
6À La Tène finale et/ou au début du Haut Empire, deux types de fourneaux (types I et III) sont utilisés. Des fourneaux de type III, n’ont été découverts que deux exemplaires ; ils sont de petite taille (4 m2) et de volume relativement réduit par rapport au type II. Ils disposent d’un système d’évacuation des scories à l’extérieur de la cuve. Ils fonctionnent en batterie de deux unités dans le cadre d’un petit atelier bien structuré. Au même moment, apparaissent les imposants fourneaux de type II qui constituent la plus longue série (neuf appareils). Leurs dimensions et donc leur capacité sont sans commune mesure avec celles des trois autres types de fourneaux présents sur le gisement. Les estimations proposées montrent qu’un appareil de ce type pouvait produire entre 60 et 80 kg de métal en une seule opération, soit quatre fois plus que les fourneaux des autres types.
7Ces structures étaient destinées à une production de longue durée : les nombreuses réfections témoignent de leur longévité. Les ateliers eux‑mêmes servent longtemps : lorsque les fourneaux ne sont plus réparables, ils sont détruits et des appareils identiques sont construits au même emplacement. Le nombre de réductions attesté par le volume des scories attribuables à chaque batterie prouve que ces reconstructions ont lieu à de nombreuses reprises. L’évacuation des déchets pendant la réduction se fait toujours par des canaux aménagés en aval de la porte. La ventilation de ces fours pouvait être assurée par des soufflets mais, compte tenu de la forme particulière des fours, l’emploi d’un tirage naturel n’est peut‑être pas à exclure. Le caractère semi‑industriel se manifeste par un travail utilisant deux fours en batterie, afin d’assurer une production continue. 70 % de la masse totale de déchets produite sur les sites peuvent être attribués à ces structures.
8À partir du iiie s. ap. J.‑C. et jusqu’à l’aube du Moyen Âge un nouveau type de production se met en place. Le minerai est maintenant vraisemblablement acheminé de plus loin ; peut‑être fait‑il l’objet de ramassage de surface. Quant au charbon de bois sa fabrication se fait, au moins partiellement, à proximité immédiate des structures de réduction. Au même moment on constate un changement d’organisation de l’atelier, le fonctionnement en batterie semble être abandonné. Emerge alors un nouveau type d’appareil de réduction. Les différences se marquent par les techniques de construction (utilisation de tuiles et de briques romaines récupérées) ; mais ce sont surtout les systèmes de ventilation et les volumes des cuves qui changent : les fours ne présentent en effet que le quart des capacités de la charge des fourneaux des périodes précédentes et peuvent produire une vingtaine de kilos de métal en une seule fois. Parallèlement, on constate que le rendement de ces structures est supérieur comme le démontrent les compositions chimiques des scories qui leur sont associés ; elles présentent en effet des valeurs en fer nettement inférieures par rapport à celles des périodes précédentes.
9La chaîne opératoire sur les sites n’a pas pu être entièrement reconstituée. Des lacunes subsistent sur la préparation du minerai (absence d’aires de grillage par exemple), et surtout sur le traitement du métal brut (absent sur le gisement), que ce soit pour l’épuration des loupes de fer ou pour la fabrication d’objets. Pour cette raison, les objets ou fragments métalliques sont rares sur l’ensemble du gisement. De ce fait, il n’a pas été possible de déterminer avec exactitude la nature et la qualité du fer produit. L’absence de traces de forge suggère une spécialisation du travail (réduction) sur le gisement et plus hypothétiquement la présence d’ateliers de forge dans un secteur qui restent à découvrir.
10Les raisons de l’implantation de la production de fer aux Clérimois et la continuité de cette dernière au cours des siècles semblent résulter de la présence des matières premières sur place : le minerai est manifestement présent, il affleure quasiment en surface ; l’argile, le sable et les grès, donc les principaux matériaux de construction des appareils sont également disponibles sur place ; enfin le bois était aussi exploitable comme le montrent les ateliers de charbonnage du Bas‑Empire.
11L’origine de la fabrication du fer aux Clérimois demeure incertaine. Des sites d’habitat de l’époque de Hallstatt et du début de La Tène existent dans le secteur géographique du gisement ; ils ne peuvent actuellement être mis en relation directe avec les débuts de l’activité métallurgique des Fouetteries. Toutefois, les datations fournies par le 14C laissent penser que la production commence dès cette époque ; on a là, semble‑t‑il, un des plus anciens témoignages de la réduction connus jusqu’à présent dans les Gaules, témoignage d’autant plus important que les fourneaux antérieurs à La Tène finale sont rarissimes : le site hallstattien de Choisy‑au‑bac (Oise) est pratiquement le seul connu et ses fourneaux sont très mal conservés (Mangin 1989 : 239‑241, carte et liste des sites : 240‑241). C’est un des buts des recherches futures que de tenter de définir le contexte culturel dans lequel s’inscrivait cette activité, tant aux Clérimois que dans l’ensemble du Sénonais. Il est aussi impossible de savoir quel rôle pouvaient jouer les autorités sénones dans le déroulement des activités, de la production à la distribution. Quoiqu’il en soit, cette première phase d’activité, pour importante qu’elle soit du point de vue historique, n’est qu’un frémissement par rapport à celle qui la suit, de La Tène III au iie s. de n. è.
12Les batteries de fourneaux de cette seconde phase produiront au total 12 000 t de scories durant environ trois siècles. Ce volume laisse penser à une activité continue pendant ce laps de temps. La technologie mise en œuvre est nettement antérieure à la mainmise romaine sur les Trois Gaules : elle est indigène, au moins au sens culturel du terme. En effet, des fourneaux de grande envergure et présentant toutes les caractéristiques techniques du type II sont utilisés sur le gisement dès La Tène finale. Les ateliers étaient déjà organisés en batterie et la production devait être importante dès l’origine de l’installation. Elle s’accroît encore considérablement au moment charnière de l’histoire des Trois Gaules : la conquête romaine et la fin de l’indépendance gauloise.
13De quelle manière ce changement politique s’est‑il manifesté sur un site comme les Clérimois et sur les sites analogues de l’Yonne s’il en existait ? Ici comme ailleurs dans l’ensemble des Gaules, les sources écrites font défaut. Même pour le grand complexe des Martys (Aude) qui est situé dans la province des Gaules qui fut romanisée la première et où les sources littéraires et épigraphiques sont les plus nombreuses, le type de gestion qui régissait l’exploitation minière reste hypothétique : entreprise italo‑romaine d’une compagnie fermière (Domergue 1993 : 361‑364) ? Il semble évident que l’Etat romain, ou au moins la Cité sénone sous le contrôle de celui‑ci, n’ont pu se désintéresser d’une activité aussi essentielle. Différentes hypothèses, dépendance de la Cité ou dépendance directe de l’Etat romain, viennent d’être proposées pour une région de production proche et comparable, quoique plus modeste, le Morvan du Nord (Mangin et al. 1992 : 228‑234) et discutées dans un compte rendu (Domergue 1994 : 215‑217). Les mêmes questions se posent pour les Clérimois et pour l’immense région de production sidérurgique de l’Yonne en général, sans qu’on y dispose de plus d’éléments pour choisir. À quoi est dû le développement que l’on constate au début de la période romaine ? On peut penser que l’apparition d’une production semi‑industrielle à ce moment est liée à une mise en place de structures administratives nouvelles, capables de gérer la production et la distribution du métal. Une mise en route d’exploitations d’envergure a également été constatée en Britannia où la production romaine du Weald démarre immédiatement après la conquête de 43 ap. J.‑C. dans la région d’Hastings‑Battle‑Sedlescombe (Cleere 1971 : 206) mais il s’agit d’un district situé dans une zone stratégiquement sensible, exploitée directement par la Classis Britannica pour ses besoins propres. Cet exemple est‑il transposable au Sénonais ? Il est seulement plausible que la Cité sénone et/ou l’Etat romain ont joué un rôle dans le développement d’une activité déjà bien présente : le gisement des Clérimois ne représente qu’une part infime du nombre et du volume des ferriers qui s’étendent entre la Nièvre et la bordure du Pays‑d’Othe.
14Si le caractère de la production, au moins son développement, semble avoir subi une influence romaine, la technologie mise en œuvre et les traits morphologiques des fourneaux sont indigènes, on l’a dit ; ils sont de type celtique, comparables à ceux qui sont connus en Europe centrale, notamment dans le Burgenland autrichien : peut‑on parler d’une filiation directe ? L’éventuel apport technologique romain ne peut et ne pourra être mesuré que quand des fourneaux bien datés de l’époque romaine, auront été fouillés et publiés en Italie et notamment à Populonia (Domergue 1993 : 363‑364). Actuellement, les fourneaux d’époque romaine connus dans les provinces de l’Empire romain ne présentent guère d’analogie avec ceux des Clérimois, sauf un cas dans le Northamptonshire en Britannia, qualifié de « type inconnu jusqu’ici » (Jackson, Tylecote 1988 : 281‑286).
15À partir du iiie s. ap. J.‑C., l’abandon du travail en batterie peut s’expliquer par une fluctuation de la demande en fer. Il est probable que la diminution du nombre de fourneaux en fonctionnement sur le site est la conséquence de la baisse de la demande, ou tout au moins du rétrécissement des circuits de distribution. Mais cette hypothèse n’explique pas les changements technologiques qui interviennent à ce moment. Ces changements portent la trace d’un savoir‑faire nouveau, extérieur à la tradition qui a précédé. On peut comparer ces fourneaux à ceux de même type mis au jour en Lorraine et dans le Jura vaudois avec lesquels il présentent beaucoup de traits communs. Toutefois les appareils des Clérimois sont datés du Bas‑Empire alors que les autres fourneaux de ce type appartiennent à l’époque mérovingienne, à l’exception d’un type mentionné par P.‑L. Pelet (1973). Il est par conséquent difficile de chercher dans les régions mentionnées ci‑dessus, l’origine de cette technologie. De même il est délicat de déterminer les conséquences et l’impact des vagues d’invasions du iiie s. sur l’apparition de ce nouveau savoir‑faire.
16Les données présentées dans cet ouvrage ne peuvent constituer qu’un point de départ pour une recherche à long terme selon cinq axes.
17Le minerai : la problématique concernant le minerai de fer est partiellement élucidée. Bien que la nature du minerai soit relativement bien connue, les zones d’extraction et le réseau d’approvisionnement restent à déterminer.
18Le charbon de bois : le problème de la fabrication du charbon de bois nécessitera des études complémentaires, à commencer par un inventaire systématique des charbonnières dans le secteur et par la mise en place de chronologies relatives.
19La réduction : la reconnaissance et l’établissement d’un répertoire des sites de réduction dans le Sénonais devraient permettre d’évaluer la production régionale et de définir l’impact de la métallurgie du fer sur l’économie et la société antique dans laquelle s’inscrit cette importante industrie.
20Le métal : les résultats de la fouille ont démontré l’absence sur le lieu de réduction de structures liées à l’épuration et à la forge. Il serait important, afin de pouvoir déterminer la nature exacte et la qualité des masses de fer produites sur les Clérimois, de localiser précisément les ateliers d’élaboration des produits semi‑ouvrés, des lingots, qui peuvent se trouver à proximité, notamment dans le contexte des établissements gallo‑romains du secteur, Une fouille pourra mettre en parallèle le métal transformé dans les forges et les appareils de réduction reconnus sur les Clérimois. L’exportation des masses de fer vers la forge relève des problèmes d’organisation et de spécialisation du travail mais également de la distribution, liée directement aux réseaux d’habitats.
21L’expérimentation : l’une des étapes importantes dans les entreprises futures sera la phase expérimentale. Elle aura pour but la vérification des interprétations et des hypothèses émises dans ce volume, aussi bien en ce qui concerne la quantification des matériaux utilisés que la qualité des produits fabriqués.
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