Préface
p. 9‑11
Texte intégral
1La publication du complexe des Clérimois constitue un événement majeur dans le domaine de la recherche sur la sidérurgie ancienne des Gaules. Pour en prendre la mesure, il faut replacer les découvertes des Clérimois dans la série des travaux qui ont renouvelé les connaissances sur la paléosidérurgie en Occident continental depuis une décennie.
2En effet, alors que les premières fouilles de bas fourneaux effectuées en France dans le cadre de recherches programmées remontent seulement à une décennie, dès 1989, ce sont une quinzaine de structures qui étaient fouillées, dont la moitié publiée, tant en France qu’en Suisse1. La fouille des Clérimois effectuée en 1990 et 1991 doublait d’un coup ce chiffre. En 1994, le nombre de structures fouillées dépasse soixante‑dix. Ce chiffre illustre la force de l’explosion qu’a connue la recherche en paléométallurgie en quelques années seulement2.
3Les découvertes des Clérimois se placent à la charnière de ces deux phases des travaux récents ; c’est dire à la fois leur intérêt, puisqu’il s’agissait du complexe de structures de réduction le plus considérable jamais mis au jour dans les Tres Galliae, et en même temps la difficulté de leur exploitation à une époque où s’élaboraient –dans nos régions– les méthodes d’étude des sites paléométallurgiques.
4La publication du complexe des Clérimois apporte donc une contribution exceptionnelle, dans un domaine neuf en Occident continental pour toute la période de production selon le procédé direct. Elle constitue en effet le volet le plus riche d’un dossier qui est maintenant assez étoffé pour envisager l’étape suivante : l’étude comparative des séries disponibles dans l’est de la France. Jusqu’ici, en effet, les publications des travaux de cette décennie parues au cours de ces trois dernières années, avaient dû se référer d’abord aux publications britanniques, tchèques, polonaises ou Scandinaves alors qu’elles eussent été plus significatives si elles avaient pu s’appuyer sur un dossier franco‑suisse tel que celui qui est maintenant disponible. La publication des Clérimois n’a donc pu en bénéficier : en revanche, elle servira dorénavant de référence.
5Pour qu’elle puisse jouer ce rôle, le pari n’était pas gagné d’avance. Les auteurs soulignent à juste titre les avantages, mais aussi les limites d’un programme autoroutier tel que celui qui a permis la publication de ce complexe.
6Les moyens rassemblés n’ont guère d’équivalent en Europe pour un site archéométallurgique. Ils ont permis, pour la première fois, la fouille exhaustive d’un des complexes les plus vastes et les plus riches jamais étudiés jusqu’à présent, tant par le nombre de structures de réduction que par la longueur de la séquence chronologique présente sur un même espace (les milliers de batteries de dizaines de fourneaux fouillés en Pologne ressortissent en effet à un tout autre type puisqu’il s’agit de fourneaux qui ne servent qu’à une seule opération et non d’installations permanentes comme aux Clérimois et dans l’Occident en général ; ils ne fonctionnent, de plus, que sur quatre siècles [ier‑ive s.] au maximum).
7La précision de la fouille de la plupart des emplacements de réduction et les moyens techniques mis en œuvre ont ainsi permis de présenter un dossier descriptif, cursif, graphique et photographique parmi les plus complets et les plus diversifiés qui aient jamais été présentés en sidérurgie ancienne, à fortiori pour la fin de la Protohistoire et l’Antiquité romaine. Pour la première fois aussi en France, une fouille d’ateliers sidérurgiques a pu disposer des moyens nécessaires pour effectuer des datations archéométriques permettant d’étudier la chronologie d’un complexe de cette importance sur la longue durée.
8En revanche, les contraintes inhérentes à ce type de fouille –un sauvetage programmé– expliquent et justifient les limites de l’ouvrage. Même si les auteurs ont bénéficié de plusieurs mois pour exploiter les données de terrain rassemblées –chose exceptionnelle encore en France– ils ont dû réaliser l’essentiel de la rédaction tout en travaillant sur d’autres chantiers, à la différence de chercheurs étrangers tels ceux de Boécourt (Suisse), qui ont pu consacrer tout le temps nécessaire à la publication. Il était donc difficile, et d’ailleurs prématuré vu l’état de la recherche telle qu’elle a été présentée ci‑dessus, d’aller beaucoup plus loin qu’une présentation détaillée et argumentée d’un dossier ponctuel d’une importance hors du commun.
9Néanmoins –et c’est là que résident surtout les limites d’un dossier de fouilles de sauvetage de ce type– l’absence jusqu’ici d’une programmation « volontariste » axée sur la sidérurgie de l’Yonne –un des deux plus importants districts sidérurgiques antiques des Gaules avec celui de la Montagne Noire– interdit encore de replacer ce bilan exceptionnel dans son cadre socio‑économique régional.
10Il n’est que de voir l’importance scientifique et historique des résultats obtenus, avec des moyens infiniment moindres par des programmes régionaux tels que ceux de Lorraine ou du Morvan, pour deviner la richesse des conclusions qu’un tel programme –s’il existait dans l’Yonne, ou même seulement dans le Sénonais– tirerait d’un dossier tel que celui qui est présenté ici.
11C’est le mérite des auteurs d’avoir néanmoins conduit heureusement à son terme cette présentation et de l’avoir conçue comme le premier volet d’un programme axé sur la carte archéométallurgique et l’exploitation archéométrique et historique de l’ensemble de la région productrice du Sénonais dont ils ont commencé la réalisation.
12Les conclusions auxquelles ils parviennent ouvrent des perspectives dans plusieurs directions, la plupart nouvelles en Occident continental pour toutes les périodes qui précèdent le Moyen Âge classique. Nous ne retiendrons que trois des questions qui peuvent être maintenant posées avec pertinence, largement grâce à leurs travaux.
13Pour la première fois à cette échelle, le volume de la production de scories d’un complexe sidérurgique est calculé avec méthode, ouvrant la voie à des calculs vraisemblables de production de métal brut.
14Si étonnant que cela puisse paraître, il a fallu attendre 1991 et surtout 1993, pour que des calculs analogues soient publiés ou présentés. Mais le chiffre obtenu aux Clérimois, 12 000 tonnes de scories (et non de déchets de toutes catégories dont le volume ne présente pas d’intérêt en soi), est le premier à être proposé pour un site de production de type « industriel » ; il est en effet beaucoup plus précis que celui qui vient d’être prudemment avancé par l’équipe des Martys dans la Montagne Noire (« entre 20/25 000 et 60/75 000 tonnes » pour la première phase de la production dans la seconde moitié du ier s. av. J.‑C.). Les calculs proposés pour les montagnes de déchets de Populonia sont en effet entièrement à revoir. Certes, on dispose depuis peu aussi pour nos régions, de calculs très précis pour deux sites de la fin de l’époque romaine et du haut Moyen Âge : Frouard en Lorraine et Boécourt en Suisse ; mais ils portent sur des volumes d’un tout autre ordre : quelques dizaines ou centaines de tonnes, chiffres qui caractérisent de petits ateliers de production sans rapport avec les gros complexes des grands districts antiques.
15Ce résultat est d’une importance essentielle puisqu’il constitue une base solide pour le calcul de la production de métal. Il va donc être maintenant possible de discuter, avec des moyens de calculs nouveaux, de la production d’ateliers des grands districts antiques, et donc –quand la carte archéométallurgique de ces districts aura été faite et les volumes globaux calculés à la lumière de ces résultats ponctuels mais représentatifs– d’approcher les volumes de la production antique des fers des Gaules.
16À la brillante exception du Weald en Grande‑Bretagne, ce type de calcul avait été proposé seulement jusqu’ici pour les pays du monde « barbare », de Scandinavie ou d’Europe centrale et orientale (districts du Jämtland, du Burgenland ou des Montagnes Sainte‑Croix). Une comparaison ne sera pas sans profit pour faire ressortir –cette fois autrement qu’à partir d’extrapolations basées sur le seul bassin d’Etrurie, lui‑même à réétudier– le contraste qui pouvait exister entre les productions des deux mondes parallèles, barbare et romain, produisant pour des besoins sans commune mesure.
17Le nombre exceptionnel de fourneaux découvert aux Clérimois est non seulement important en soi, mais aussi du fait de leur remarquable état de conservation qui permet de restituer leur structure et leur fonctionnement avec une précision notable et de suivre une évolution sur une durée qui pose la question de leur filiation technique et historique. Il est seulement dommage que si peu de scories aient été découvertes in situ dans les fours.
18Grâce à un dégagement exhaustif de la stratigraphie du site, le nombre d’emplacements de réduction est connu ; grâce à leur état de conservation, le volume d’une réduction peut être approché ; on a vu que le volume total des scories pouvait être restitué : il y a là un ensemble de paramètres rares permettant d’estimer le nombre d’opérations de réduction effectuées sur l’ensemble du site pour l’ensemble de la séquence chronologique. Les conclusions proposées sont volontairement limitées à ces constats ; aller plus loin aurait anticipé sur les résultats des études qui se poursuivent actuellement ; les vestiges des Clérimois constituent en ce domaine un dossier clé.
19Enfin, les Clérimois ont en outre le privilège unique de présenter quatre types de fourneaux de trois époques différentes sur un même site et de mettre en évidence un type qui apparaît dans un contexte antérieur à la romanisation mais reste le type principal utilisé pendant la pleine époque romaine : le « bas fourneau en dôme du type Burgenland ». Celui‑ci est maintenant bien mieux connu grâce aux Clérimois qu’il ne l’était jusqu’ici à partir de sa région éponyme. En effet, les fourneaux du Burgenland sont beaucoup moins bien conservés et sont à peine publiés3. Or ce type est clairement celtique, la date de son apparition aux Clérimois le confirme expressément. C’est dire l’intérêt du site pour l’étude des origines de la métallurgie sénone et pour une réflexion comparative sur les types de structures, d’une grande variété, qui ont été utilisées à l’époque romaine tant en Narbonnaise que dans les Trois Gaules.
20De même les auteurs soulignent heureusement l’intérêt d’un nouveau type, mis en fonction à la fin de l’Empire, qui préfigure les installations utilisées au cours du haut Moyen Âge.
21Certes, quelques regrets peuvent être exprimés, qui tiennent à la fois aux conditions de la recherche et à l’époque –pourtant récente– où elles ont été conduites.
22A posteriori, il est aisé de regretter que l’échantillonnage des scories et l’étude des minerais n’aient pas été conduits d’une façon plus large. Mais il s’agissait alors du premier gros site complexe qu’il était donné de fouiller en France, avec celui des Martys dans l’Aude, et les leçons en ont été immédiatement tirées pour d’autres sites qui ont été étudiés peu après ou qui sont en cours de fouille.
23C’est ainsi par exemple que l’on sait maintenant :
– que les études préliminaires, en prospection avant fouilles, doivent comprendre les scories et pas seulement les minerais ;
– que les études préliminaires en prospection et les études in situ doivent être mieux corrélées notamment pour les minerais ;
– que les prélèvements et l’étude des déchets doivent être plus structurés (si tant est que ce soit compatible avec les préoccupations et le calendrier des fouilles de sauvetage, même programmées).
24On regrettera aussi que les minerais effectivement utilisés n’aient pu être déterminés avec précision, même si leur famille a pu être confirmée, et qu’aucune structure correspondant aux indices attestés de traitement préalable à la réduction (le lavage par exemple) n’ait pu être identifiée.
25L’absence de tout vestige de travail postérieur à la réduction (forges) pose aussi problème : la zone de scories concassées qui a été notée ne serait‑elle pas à mettre en rapport avec des activités postérieures à la réduction ? La question aurait mérité d’être étudiée ou au moins discutée. Enfin faute de temps, l’étude chimique est sous‑exploitée et l’étude pétrographique reste à faire sur le modèle du travail pionnier en ce domaine qui vient d’être effectué à Toulouse.
26Malgré ces inévitables lacunes, l’intérêt du dossier présenté ici est considérable. Il apporte une série d’informations de tout premier ordre, remarquablement documentée, sur l’importance quantitative, les techniques de production et l’évolution historique d’une activité des Gaules trop peu connue et étudiée jusqu’à ces dernières années, malgré la richesse de la documentation potentielle encore disponible dans de nombreuses régions. Nul doute que la thèse que prépare Chr. Dunikowski sur la sidérurgie du Sénonais permettra de répondre à nombre des questions encore en suspens sur le site des Clérimois. Inversement, nul doute que l’expérience acquise dans l’exploitation de la remarquable documentation qu’il apporte, couplée avec l’exploitation des vestiges découverts dans une douzaine de fouilles récentes dans cette région et avec les résultats des prospections qui y seront réalisées sur une surface significative, permettront de donner tout son sens à un dossier qui constitue déjà un apport essentiel aux connaissances sur la sidérurgie ancienne des Gaules et de l’Europe barbare et romaine.
27S’il faut être reconnaissant aux auteurs d’avoir réussi à maîtriser la fouille et l’exploitation d’un site de cette ampleur, il faut aussi rendre hommage aux aménageurs, à l’équipe de fouille et au personnel administratif et technique pour en avoir permis la publication ; le coordinateur scientifique Claude Mordant et le coordinateur technique Gilles Bellan, devraient accueillir la parution de cet ouvrage avec une satisfaction à la mesure des efforts qu’ils ont consacrés pour la conduire à son terme.
Notes de bas de page
1 Dans cette première phase 1983‑1989 : cinq bas fourneaux médiévaux du Morvan en 1983‑1985 et deux bas fourneaux carolingiens à Ludres en Lorraine en 1988 et 1989, cinq bas fourneaux gallo‑romains dans le Morvan en 1986‑1988, deux aux Martys dans la Montagne Noire et deux du haut Moyen Âge à Boécourt dans le canton du Jura (Suisse) en 1989.
2 Sont publiées dix‑huit unités aux Clérimois, six aux Martys (1988, 1990) deux à Boécourt en Suisse (1991), neuf dans le Morvan (1992) ; sont encore inédites des séries beaucoup plus courtes d’une ou deux unités (Paimpont dans le Morbihan, Berthelange et Ferrières‑les‑Bois dans le Doubs, Frouard en Lorraine, Oulches dans l’Indre, Lercoul dans l’Ariège). Deux nouveaux fourneaux viennent d’être fouillés en 1993 aux Martys, la douzaine de bas fourneaux médiévaux très arasés fouillés en 1992 à Saint‑Dizier en Haute‑Marne n’a pas encore fait l’objet d’une première présentation, de même que la demi‑douzaine de fourneaux médiévaux de Vert‑Saint‑Denis, près de Melun, fouillés en 1994 par I. Daveau et V. Goustard. Trois thèses soutenues en 1993 ont commencé l’exploitation des résultats des recherches récentes en Suisse, dans le Sud‑Ouest et en Lorraine.
3 Ils viennent d’être présentés, en allemand et en français, dans les actes d’un colloque qui fait le bilan des recherches françaises et européenne sur les régions de production sidérurgique (Bielenin 1994).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Mottes castrales en Provence
Les origines de la fortification privée au Moyen Âge
Daniel Mouton
2008
Géoarchéologie de sites préhistoriques
Le Gardon (Ain), Montou (Pyrénées-Orientales) et Saint-Alban (Isère)
Dominique Sordoillet
2009
L’enceinte des premier et second âges du Fer de La Fosse Touzé (Courseulles-sur Mer, Calvados)
Entre résidence aristocratique et place de collecte monumentale
Ivan Jahier (dir.)
2011
Lyon, Saint-Georges
Archéologie, environnement et histoire d’un espace fluvial en bord de Saône
Grégoire Ayala (dir.)
2012
Les gisements précolombiens de la Baie Orientale
Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles)
Dominique Bonnissent (dir.)
2013
L’Îlot du palais de justice d’Épinal (Vosges)
Formation et développement d’un espace urbain au Moyen Âge et à l’époque moderne
Yves Henigfeld et Philippe Kuchler (dir.)
2014
Bettencourt-Saint-Ouen (Somme)
Cinq occupations paléolithiques au début de la dernière glaciation
Jean-Luc Locht (dir.)
2002
Campements mésolithiques en Bresse jurassienne
Choisey et Ruffey-sur-Seille
Frédéric Séara, Sylvain Rotillon et Christophe Cupillard (dir.)
2002
Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale
Le grenier castral de Durfort (Tarn)
Marie-Pierre Ruas
2002