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Le gisement paléolithique moyen de la grotte des Cèdres (Var)

 | 
Alban Defleur
, 
Évelyne Crégut-Bonnoure

Chapitre 3. L’Homme étude d’une incisive déciduale

3 Man : study of a deciduous incisor

Bernard Vandermeersch

Résumé

Le sommet de la couche II a livré une incisive déciduale attribuable à un enfant de deux ans environ dont la morphométrie s’accorde avec celle des Néandertaliens.

Texte intégral

1En 1984, lors du dernier décapage de la couche chalcolithique de surface furent rencontrés les premiers éléments de la couche II pléistocène, Le tri du matériel, effectué par Cl. Bouville et A. Defleur, a fait apparaître, mêlés aux derniers éléments chalcolithiques (objets de parure, restes humains calcinés...), les premiers vestiges lithiques et osseux (Hemitragus, Canis lupus, Ursus thibetanus...) des niveaux sous‑jacents, en place. Au cours de ce tri, la forte patine ainsi que des caractères archaïques ont permis d’individualiser une dent humaine.

  • 1 Je remercie A. Defleur qui m’a confié l’étude de ce fossile, le Dr. M. Kirsh qui a réalisé les radi (...)

2Il s’agit d’une incisive déciduale supérieure droite en bon état de conservation1. La racine est complète et l’apex n’est pas complètement fermé. Elle pourrait correspondre, sur les bases des critères actuels, à un âge de deux ans environ (fig. 45).

FIG. 45 –Incisive supérieure droite déciduale : 1 vue linguale ; 2 vue vestibulaire ; 3 vue distale ; 4 surface occlusale

cl. F. Houet/laboratoire d’anthropologie de Bordeaux I

Usure

3Le bord libre est légèrement convexe. La dent étant considérée en place, l’usure est oblique vers le haut dans le sens mésio‑distal et très faiblement dans le sens vestibulo‑lingual. La couronne est donc légèrement plus haute du côté mésial que du côté distal et le plan d’usure remonte très légèrement du côté lingual. La dentine est visible sur toute la largeur, formant un arc légèrement plus large du côté mésial de la dent.

4Il existe une petite facette de contact ovalaire sur la face mésiale. Elle est en position haute sur la couronne et recoupe le plan d’usure. Une autre facette, plus petite, se trouve sur la face distale. Elle est située plus bas, au niveau du cingulum et en position un peu plus linguale.

Couronne

5La face vestibulaire est convexe verticalement. Cette convexité est fortement accentuée à la base de la couronne, déterminant un renflement cingulaire. Elle est aussi régulièrement convexe mésio‑distalement.

6La face linguale porte un fort tubercule dont la base n’est pas dissociée du cingulum et qui occupe une partie importante de cette face. Il déborde largement sur la racine. Latéralement il est rejoint par les bords de la couronne qui sont très légèrement repliés du côté lingual. Cette face est concave dans tous les sens au‑dessus du tubercule lingual et a une forme en « pelle » atténuée.

7La face mésiale est droite sur les deux tiers supérieurs, probablement à cause de la facette de contact ; la face distale est plus courte et légèrement convexe verticalement. Ces côtés médial et distal débordent largement la racine.

Racine

8Elle se divise en deux parties : la moitié proximale, plus ou moins cylindrique, dans le prolongement de la couronne et une moitié distale conique, plus étroite dans le sens vestibulo‑lingual et dont l’axe est très oblique vers l’avant. Les deux parties forment donc un angle ouvert du côté vestibulaire, au point que l’extrémité de la racine surplombe la face vestibulaire lorsque l’axe de la couronne et de la moitié proximale de la racine est vertical. Si un tel angle s’observe fréquemment sur des incisives déciduales, il est exceptionnel qu’il soit aussi marqué.

9La surface de la moitié proximale est lisse alors que celle de la moitié distale est très irrégulière, d’autant plus que l’on se rapproche de l’apex. Observée à la binoculaire, elle montre des crêtes, des sillons et des petits tubercules. Il est possible que l’angle de la partie distale et l’aspect irrégulier de sa surface soient le résultat d’un traumatisme qui aurait affecté la région antérieure du maxillaire.

Radiographie

10L’examen radiographique montre une cavité pulpaire très vaste, aussi bien dans la racine que dans la couronne, beaucoup plus vaste que ce qui est habituel sur les dents actuelles. Une telle cavité pulpaire est en revanche fréquente chez les Néandertaliens.

Mesures

11La dent a une longueur totale de 17,4 mm. L’usure ne permet pas de connaître la hauteur de la couronne. La longueur de la racine est de 11 mm, compte non tenu de l’angle des deux parties.

12Les diamètres de la couronne (tabl. vii) dépassent nettement les dimensions actuelles et s’intégrent à celles des incisives déciduales des Néandertaliens.

TABL. VII – Diamètres de la dm 1 supérieure droite de la grotte des Cèdres comparés aux mesures des dents néandertaliennes et actuelles : [1] Tilliers 1979 ; [2] Madre‑Dupouy 1976 ; [3] Brabant 1965.

Conclusions

13Cette dent ayant été découverte avec des restes humains du Chalcolithique, il est nécessaire d’être prudent, mais plusieurs observations plaident en faveur d’un âge ancien :
– l’aspect de la pièce, sa patine et son degré de fossilisation s’accordent avec le matériel paléontologique qui a été trouvé en place dans les niveaux du Pléistocène moyen (communication de A. Defleur) ;
– les mesures de la couronne dépassent largement les valeurs habituelles des dents récentes ;
– certains caractères morphologiques sont plus fréquents sur les dents anciennes et, lorsqu’on les observe sur des dents actuelles, ils sont rarement aussi développés et, à notre connaissance, plus rarement encore associés à un tel degré sur une même dent : c’est le cas du fort cingulum, du puissant tubercule lingual et de la vaste cavité pulpaire.

14Si cette dent est récente elle possède des caractères archaïques développés à un degré tout à fait inhabituel. Il nous semble beaucoup plus logique de la rapporter aux niveaux pléistocènes du gisement. Elle prend alors place sans difficulté parmi les fossiles du Moustérien d’Europe occidentale. Dans cette hypothèse vraisemblable, la grotte des Cèdres se placerait parmi les rares gisements français, du Pléistocène moyen, à avoir livré des restes humains (fig. 46).

FIG. 46 – Carte de répartition des gisements français du Pléistocène moyen ayant livré des restes humains. 1 grotte des Cèdres, 2 grotte du Lazaret, 3 Orgnac 3, 4 Caune de l’Arago, 5 grotte de La Niche, 6 grotte Suard, 7 grotte Bourgeois‑Delaunay, 8 grotte de Fontechevade, 9 aven de Vergranne, 10 Biache‑Saint‑Vaast.

A.D. del.

Notes

1 Je remercie A. Defleur qui m’a confié l’étude de ce fossile, le Dr. M. Kirsh qui a réalisé les radiographies et le Dr J.‑P. Farjon qui m’a fait profiter de son expérience en odontologie.

Table des illustrations

Légende FIG. 45 –Incisive supérieure droite déciduale : 1 vue linguale ; 2 vue vestibulaire ; 3 vue distale ; 4 surface occlusale
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40818/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 53k
Légende TABL. VII – Diamètres de la dm 1 supérieure droite de la grotte des Cèdres comparés aux mesures des dents néandertaliennes et actuelles : [1] Tilliers 1979 ; [2] Madre‑Dupouy 1976 ; [3] Brabant 1965.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40818/img-2.jpg
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Légende FIG. 46 – Carte de répartition des gisements français du Pléistocène moyen ayant livré des restes humains. 1 grotte des Cèdres, 2 grotte du Lazaret, 3 Orgnac 3, 4 Caune de l’Arago, 5 grotte de La Niche, 6 grotte Suard, 7 grotte Bourgeois‑Delaunay, 8 grotte de Fontechevade, 9 aven de Vergranne, 10 Biache‑Saint‑Vaast.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40818/img-3.jpg
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