Chapitre 4. Études archéologiques
4 Archäologische Untersuchungen
4 Archaeological studies
p. 83‑223
Résumés
Les Préhistoriques de Vinneuf ont fréquenté une doline de 80 m de diamètre en voie terminale de comblement et en position d’interfluve Seine‑Yonne. Quatre niveaux archéologiques ont été individualisés au sein d’un complexe d’horizons Bt (paléosol polyphasé). Il est proposé un âge fin Saalien pour le niveau le plus ancien (N3, 3 objets) ; le niveau suivant (N2, 52 objets) est le résultat du démantèlement d’un niveau plus ancien (N3 ?) et de l’apport par illuviation d’esquilles provenant du niveau sus‑jacent N1 (1013 objets). N1 et le niveau terminal N0 (147 objets) ont livré des industries similaires placées hypothétiquement au début glaciaire Weichsélien. A partir de l’étude des bifaces est proposé un rattachement des industries de N0 et N1 au Micoquien d’Europe centrale. La présence du débitage Levallois et laminaire non Levallois permet un rapprochement plus pertinent avec l’industrie de Salzgitter‑Lebenstedt (Tode 1982) Jugée en marge du Micoquien plutôt qu’à une stricte concordance avec les faciès définis par G. Bosinski (1967). L’analyse spatiale de N1 sur 946 m2 met en évidence des zones de concentrations et la circulation centripète de certains produits depuis les zones ou les postes de débitage. Le gisement est interprété comme un site d’habitat temporaire peut‑être lié à des haltes de chasse.
La fouille de ce gisement a permis de mettre en évidence un niveau moustérien sur une superficie d’un seul tenant de 6130 m2. L’implantation paléolithique est localisée sur le versant est d’une butte où se développe une séquence limoneuse assez épaisse. Cette industrie est située au sommet d’un paléosol humifère dégradé et corrélable au stade isotopique 5a‑5b. L’industrie est caractérisée par la présence d’un débitage Levallois d’excellente facture, par le façonnage de quelques bifaces et par la présence de quelques lames. L’outillage sur éclat est dominé par les racloirs simples. Différentes zones ont pu être mises en évidence : secteur orienté vers le débitage à l’est, aire d’activités variées à l’ouest...
L’intervention menée sur ce gisement a permis d’identifier quatre niveaux du Paléolithique moyen. Les deux niveaux les plus anciens (C et D) ont été attribués respectivement au Saalien et au début du Weichsélien ancien. Le niveau le plus important (B) est en position chronostratigraphique similaire à celui de Molinons (stade isotopique 5a‑5b). Trois chaînes opératoires principales ont été identifiées: débitage Levallois, façonnage de bifaces et production de lames dans une conception volumétrique du nucléus. L’outillage est à nouveau dominé par les racloirs simples ; les supports laminaires semblent avoir été choisis pour les outils de type Paléolithique supérieur. Le niveau le plus récent (A) est contemporain du Pléniglaciaire inférieur ou moyen du Weichsélien.
Trois niveaux du Paléolithique moyen ont été identifiés sur ce site. Le niveau le plus important, contemporain du Pléniglaciaire inférieur du Weichsélien, est caractérisé par l’association de plusieurs modes opératoires : débitage Levallois, façonnage de bifaces, débitage laminaire de conception volumétrique (faible représentation). L’outillage, peu ravivé, est marqué par la prédominance des racloirs, surtout simples, et la présence de quelques bifaces. Des aires d’activités de différents types (débitage, zones riches en outillage, zones mixtes), ont été repérées. Les deux autres niveaux (Saalien pour le plus ancien, stade isotopique 5a‑5b pour le second), ont été uniquement testés en raison de leur faible densité et de leur profondeur d’enfouissement.
Le plus ancien des trois niveaux du Paléolithique moyen a été retrouvé à l’interface des paléosols Eémien et Weichsélien ancien. Cette série comporte une dizaine de bifaces dont certains ressemblent aux pièces bifaciales de Vinneuf. Le second niveau est contenu au sommet du paléosol du début Glaciaire. Débitage Levallois et production de lames coexistent à nouveau dans cette série. L’outillage présente les mêmes caractéristiques que celui des gisements de Molinons et de Lailly ; les bifaces sont par contre absents.
Les quatre niveaux principaux fouillés dans la vallée ont livré, sur des superficies très importantes, des séries moustériennes caractérisées par l’utilisation de la technique Levallois, par la production de lames selon une conception volumétrique du bloc et par le façonnage de bifaces. L’outillage sur éclat est dominé par les racloirs simples. Les outils de type Paléolithique supérieur sont bien représentés ; les encoches et les denticulés sont peu nombreux.
The people of prehistoric Vinneuf frequented a doline, some 80 metres in diameter, at the final stage of being filled in in the Interfuvial zone of the Seine and the Tonne. Four archaeological levels were isolated at the heart of a complex of Bt horizons (multi‑phased palaeosols). The oldest level (N3, 3 objects) has been put at the end of the Saalian period. The following level (N2, 52 objects) is the result of the dismantling of an older level (N3 ?) and the arrival of bone splinters from an adjacent level above (N1, 1013 objects) by a process of illuviation. N1 and the final level, NO (147 objects), have produced similar industries, hypothetically placed at the start of the Weichselian glaciation. On the basis of an analysis of the bifaced tools, it is possible to attatch the n0 and N1 industries to the Micoquian phase of central Europe. The presence of Levallois and laminar nonLevallois flakes allows a more pertinent linking with the Salzgitter‑Lebenstedt industries (Tode 1982), judged to be on the fringe of the Micoquian, rather than a strict accordance with the aspects defined by G. Bosinski (1967). The spatiale analysis of N1 over 946 m2 showed evidence of zones of concentrations of artefacts, and of the centripetal circulation of certain products from the knapping zones or posts. The deposit has been interpreted as a site of temporary habitation, possibly linked to hunting stops.
The excavation of this deposit has brought to light a mousterian level covering an unbroken area of 6130 m2. The palaeolithic presence is localised on the east slope of a hill where a relatively thick sequence of silts developed. This industry is situated on the summit of a decayed humic palaeosol which is correlated to the isotopic period 5a‑5b. The production is characterised by the presence of Levallois fabrications of excellent quality, the elaboration of several bifaces and by the presence of a few blades. The tools made from flakes are dominated by simple scrapers. Different zones of activity were also evident: an area geared for knapping towards the east, a space for various activities towards the west...
The intervention on this deposit has allowed the identification of four middle Palaeolithic levels. The two oldest levels (C and D) have been attributed to the Saalian and the start of the early Weichselian respectively. The most consequential level (B) is in a chronostratigraphical position similar to that at Molinons (isotopique stage 5a‑5b). Three chains of operations have been identified: Levallois knapping, the fashioning of bifaced tools and the production of blades following a volumetric conception of the cores. Once again, the tools are dominated by simple scrapers ; the laminar supports seem to have been chosen for tools of an upper Palaeolithic type. The most recent level (A) is contemporary with the lower or middle pleniglacial of the Weichselian period.
Three Middle Palaeolithic levels were identified on this site. The most important of these, contemporary with the lower pleniglacial of the Weichselian period, is characterised by the association of several types of operations : Levallois working, bifaced tools and laminar knapping with volumetric conception (scarce representation). The tools, with little retouching, are remarkable by the predominance of scrapers, particularly simple ones, along with a few bifaced tools. Areas of differing activities were also recorded (knapping, zones rich in tools, “mixed" zones). The low density and the depth of burial.of the other two levels (Saalian for the first, isotopic stage 5a‑5b for the second) meant that these were only sampled.
The oldest of the three Middle Palaeolithic levels was found at the Interface of the Eemian and lower Weichselian palaeosols. This series includes ten bifaced artefacts, several of which resemble the bifaced tools at Vinneuf. The second level was contained at the top of a palaeosol dating from the beginning of the glaciation. Once again, there is the coexistence of Levallois working and blade production in this sequence. The tool‑kit presents the same characteristics as that of the deposits at Molinons and Lailly. The bifaces are, on the other hand, absent.
The four principal levels excavated in the valley have delivered mousterien sequences over very large areas. These are characterised by the use of the Levallois technique, by blade production following a volumetric conception of the nodules, and by the fabrication of bifaced tools. The flake‑based tools are dominated by simple scrapers. Upper Palaeolithic tools are well represented ; notched and toothed objects are rather scarce.
Die prähistorischen Menschen von Vinneuf hielten sich in einer Doline von ca. 80 m Durchmesser, im Endstadium der Verfüllung, am Zusammenfluß von Seine und Yonne auf. Vier archäologische Schichten konnten innerhalb eines Komplexes verschiedener Bt‑Horizonte (vielphasiger Paläoboden) voneinander unterschieden werden. Das älteste Niveau (N3, 3 Artefakte) wird der ausgehenden Saaleeiszeit zugeschrieben; die folgende Schicht (N2, 52 Artefakte) ist aus der Erosion eines älteren Niveaus (N3 ?) und der Infiltration von Absplissen aus dem darüberliegenden Niveau N1 (1013 Artefakte) enstanden. N1 und das abschließende Niveau NO (147 Artefakte) weisen ähnliche Industrien auf, die vermutlich dem Beginn der Weichseleiszeit angehören. Die Untersuchungergebnisse der Faustkeile legen eine Zuordnung der Funde in N1 und N0 zum Mitteleuropäischen Micoquien nahe. Funde der Levalloistechnik und der nicht Levallois Klingentechnik lassen eine Parallele zur Salzgitter‑Lebenstedt‑Technik (Tode 1982), die an den Rand des Micoquien gestellt wird, zutreffender erscheinen als eine reine Übereinstimmung mit den von Bosinski 1967 definierten Fazies. Aus einer flächendeckenden Untersuchung von N1 über einen Bereich von 946 m2 ergeben sich Zonen hoher Konzentration sowie eine zentripetale Verteilung gewißer Erzeugnisse ausgehend von Schlagplätzen. Die Fundstelle wird als ein Saison‑Aufenthaltsort gedeutet, der vielleicht während der Jagdzeiten bewohnt war.
Bei der Grabung dieser Fundstelle ist eine durchgehende Mousterien‑Schicht über eine Fläche von 6130 m2 freigelegt worden. Die paläolithische Ansiedlung liegt am Osthang eines Hügels mit einem recht mächtigen Lehmpaket. Gefunden wurden Belege dieser Industrie an der Oberkante eines zersetzten humusführenden Paläobodens, der mit dem isotopischen Stadium 5a‑5b korreliert werden kann. Kennzeichnend für diese Industrie ist eine Levalloistechnik ausgezeichneter Machart und, in beschränktem Umfang, die Herstellung von Faustkeilen und Klingen. Die Abschlagwerkzeuge sind hauptsächlich durch einfache Schaber vertreten. Es lassen sich verschiedene Zonen unterscheiden: ein vom Abschlag geprägter Sektor im Osten, ein gemischter Tätigkeitsbereich im Westen...
Die Arbeiten an dieser Fundstelle haben vier Schichten des Mittelpaläolithikums zu Tage gefördert. Die zwei ältesten Niveaus (C und D) werden der Saaleeiszeit beziehungsweise dem Beginn der frühen Weichseleiszeit zugeschrieben. Das bedeutendste Niveau (B) hat eine ähnliche chronostratigraphische Lage wie das Niveau von Molinons (isotopisches Stadium 5a‑5b). Drei dominierende Schlagtechniken sind ermittelt worden: die Levalloistechnik, Herstellung von Faustkeilen sowie die Produkyion von Klingen mit einer voluminöseren Konzeption des Nukleus. Die Werkzeugfunde bestehen auch hier vornehmlich aus einfachen Schabern; die Klingen‑Schlagplattformen waren wahrscheinlich zur Herstellung von Werkzeugen vom Typ des jüngeren Paläolithikums bestimmt. Das jüngste Niveau (A) stammt aus der unteren oder mittleren Maximalausdehnung der Weichseleiszeit.
An diesem Fundort sind drei verschiedene Schichten des mittleren Paläolithikums ermittelt worden. Das bedeutendste Niveau aus der unteren Maximalausdehnung der Weichseleiszeit zeichnet sich durch die Verbindung verschiedener Fertigungstechniken aus: Levalloistechnik, Herstellung von Faustkeilen, Klingenproduktion mit voluminöser Konzeption (wenige Exemplare). Das nur wenig retuschierte Werkzeug besteht hauptsächlich aus zumeist einfachen Schabern und einigen Faustkeilen. Es sind Tätigkeitsbereiche unterschiedlicher Prägung zu erkennen: Schlagplätze, Zonen mit hoher Artefaktkonzentration, gemischte Bereiche. Die anderen beiden Niveaus (das ältere datiert aus der Saaleeiszeit und das jüngere aus dem isotopischen Stadium 5a‑5b) sind aufgrund ihrer geringen Artefaktdichte und der Schichtmächtigkeit lediglich sondiert worden.
Das älteste der drei Niveaus aus dem mittleren Paläolithikum wurde an der Grenze der Paläoböden des Eeminterglazlals und der älteren Weichseleiszeit gefunden. Diese Serie besteht aus einem Dutzend Faustkeilen, die teilweise Ähnlichkeit zu den bifazialen Stücken von Vinneuf aufweisen. Das zweite Niveau liegt in der Oberkante des Paläobodens der beginnenden Eiszeit. In dieser Fundreihe bestehen die Levalloistechnik und die Klingentechnik erneut nebeneinander. Das Werkzeug gleicht den Funden In Molinons und Lailly: Faustkeile sind hingegen nicht vorhanden.
Die Ausgrabungen in den vier Hauptschichten des Tals haben über eine weite Fläche Mousterien‑Funde geliefert, die durch den Einsatz der Levalloistechnik, die Herstellung von Klingen mit voluminösem Konzept des Knollen und die Herstellung von Faustkeilen gekennzeichnet sind. Die Abschlagwerkzeuge bestehen hauptsächlich aus einfachen Schabern. Werkzeugstücke vom Typ des Spätpaläolithikums sind zahlreich vertreten; ausgebuchtete und gezahnte Kanten sind kaum vorhanden.
Texte intégral
4.1 Vinneuf/Les Hauts Massous (plateau du Sénonais)
1j.‑m. gouedo, avec la collaboration de p. alix, s. de beaune, v. krier, j.‑l. locht
4.1.1 Introduction
4.1.1.1 Cadre géographique et géomorphologique
2Le gisement est situé au nord de Vinneuf (Yonne), près des limites communales de Gravon et de Balloy, sur la pente sud/sud‑est d’une butte dominée par le Bois des Rasets (fig. 36 et 37). Il se trouve au sommet d’une butte (118 m à 120 m NGF) dominant les deux vallées de l’Yonne et de la Seine. L’Yonne et la Seine s’écoulent d’est en ouest et convergent à Montereau‑Fault‑Yonne, treize kilomètres en aval du site. Au nord de la Seine s’étend le plateau Briard et au sud‑ouest de l’Yonne le plateau du Gâtinais.
P.P. del. / AFAN
3L’interfluve au niveau du site est large de neuf kilomètres, surplombant les deux vallées d’une soixantaine de mètres. Le site de Vinneuf appartient à l’unité géomorphologique du plateau du Sénonais nord (cf. chap. 5.1) constituée sur les craies du Campanien supérieur et les buttes sableuses du Cuisien. Des placages de sables et graviers de la nappe alluviale très anciennes (Fu et Fv‑Fw) côtoient des limons de plateau décarbonatés LP.
4.1.1.2 La découverte du gisement
4Le gisement de Vinneuf a été découvert en juillet 1989 lors de la vérification par sondages à la pelle mécanique de la pertinence du ramassage en surface d’un lot de 10 pièces de facture paléolithique1.
5L’analyse géomorphologique du secteur (Delpuech 1989) indiquait également que la zone était très favorable à la conservation d’un gisement paléolithique. En effet, la présence de placages de limons de plateaux révélés par carottages, associés à celle d’une nappe alluviale, montraient que l’érosion des terrains quaternaires anciens n’était pas totale dans ce secteur où les terrains crétacés sont souvent affleurants sous le mince horizon de terre végétale. Le gisement présente une superficie estimée à 4 500 m2. L’ensemble de la surface fouillée, interne à la doline est de 946 m2. Le gisement nous est donc connu sur un peu plus d’un cinquième de sa superficie (21 %) (fig. 38). Quatre niveaux archéologiques ont été mis en évidence, notés N0 à N3 du plus récent au plus ancien.
4.1.2 Rappel du cadre chronostratigraphique des niveaux archéologiques
6L’étude géologique du site est présentée dans le chapitre 3 de ce volume. Le site archéologique est installé dans l’une des dolines d’un réseau karstique de surface qui s’étend sur tout le sommet de la colline du Bois des Rasets (fig. 3). Les niveaux archéologiques du Paléolithique moyen sont interstratifiés dans les sédiments de comblement d’une de ces dolines (fig. 8). L’étude lithostratigraphique, sédimentologique (cf. § 3.1.1), micromorphologique (cf. § 3.2.2) et palynologique (cf. § 3.3.1) permet de préciser les conditions de leur mise en place et de proposer une attribution chronostratigraphique (cf. chap. 3.4).
7Les 4 niveaux archéologiques, successivement de haut en bas NO, N1, N2 et N3 se situent dans la partie terminale du comblement limono‑sableux de la doline (fig. 4 et 5) : ensemble 11 (fig. 7).
8Les niveaux archéologiques N0 et N1 sont interstratifiés dans la couche (2), le niveau archéologique N2 dans la partie supérieure de la couche (3) et le niveau N3 dans la partie inférieure de la couche (3) de l’ensemble 11 (fig. 4 et 5).
9L’analyse micromorphologique détermine le rôle prépondérant du ruissellement et de la gélifluxion et du colluvionnement par solifluxion dans la mise en place des sédiments contenant les niveaux archéologiques. Elle permet aussi une attribution des limons sableux bruns de la couche (2) et de la partie supérieure de la couche (3) à une phase antérieure à un pléniglaciaire. Elle tendrait finalement à une attribution des niveaux N0, N1 et N2 à un Eémien au sens large et peut‑être au début du Weichsélien ancien. Le niveau N3, fossilisé dans la partie inférieure de la couche (3), est attribué à une phase antérieure à la seconde pédogenèse interglaciaire repérée sur le site que l’on pourrait attribuer à l’Eémien (fig. 7).
4.1.3 Étude archéologique
1.3.1 Les matières premières
10Les Préhistoriques ont apporté dans la doline un silex crétacé sous forme de rognons ou de plaquettes puisés soit dans les argiles à silex, soit dans les terrasses ou nappes plus jeunes que celles environnant la doline et situées en contrebas de celle‑ci, dans l’une ou l’autre des vallées (Seine ou Yonne). Cette matière est reconnaissable à son cortex beaucoup moins usé que celui des graviers provenant de la vieille nappe. Les hommes n’avaient que quelques centaines de mètres à faire au minimum pour s’en procurer. Le débitage Levallois, les modalités laminaires et le façonnage de bifaces, sauf exceptions, ont été réalisés dans cette matière. Il faut noter l’absence de silex dans le toit de la craie Campanienne sur un rayon d’1 km. Ils ont ramassé au sein de graviers de la vieille nappe alluviale des rognons de silex, au cortex très usé, ainsi que des blocs et des plaquettes de grès (deux bifaces en grès). Avec ces matériaux de moins bonne qualité, ils ont débité des éclats et confectionné préférentiellement une partie de l’outillage tels que chopping‑tools, encoches et denticulés.
11Les Préhistoriques du niveau N1 sont arrivés sur le site avec une pointe moustérienne allongée en silex zoné de couleur marron. Ce silex ne provient pas des terrains crétacés mais pourrait provenir des terrains calcaires d’âge tertiaire affleurant au nord (plateau Briard) ou à l’ouest (plateau du Gâtinais). Dix kilomètres au minimum et le franchissement de la Seine ou de l’Yonne, sont nécessaires pour se rendre dans ces zones (Geneste 1985).
4.1.3.2 Les niveaux archéologiques au sein de la doline et leur mobilier2
Le niveau N3
12Une petite lame finement retouchée et à l’aspect très frais (fig. 39, no 2) a été trouvée lors du ravivage de la coupe du PM 15 à la base de la couche (3) (ensemble stratigraphique II) (fig. 4). De même, un éclat débordant (Beyries, Boëda 1983) a été trouvé lors du creusement du PM 39. D’après la profondeur à laquelle a été trouvée la pièce il s’agit également du même ensemble stratigraphique. Dans chacune des deux colonnes micromorphologiques, une esquille osseuse très altérée a été trouvée au même niveau stratigraphique. Un biface a été trouvé dans les premiers déblais du creusement du sondage PM 8. Ces arêtes sont usées, la pièce a subi l’action du gel. S’il n’est pas possible d’être assuré de l’appartenance stratigraphique de ce biface à l’ensemble II, celui‑ci, parce que provenant des graviers de la nappe (du toit ?) est antérieur au niveau N1. Tous ces indices permettent de supposer l’existence d’un premier niveau archéologique saalien, pauvre (?) et/ou démantelé. Ce niveau est attribuable, sous toute réserve, à une industrie de type Paléolithique moyen.
Le niveau N2
13Seulement 52 pièces ont été récoltées sur l’ensemble des surfaces fouillées. Celles‑ci sont emballées à la base du paléosol qui repose soit directement sur la couche stratigraphique inférieure, soit sur des lentilles, discontinues, de graviers soliflués depuis le bord de la doline. Une grande partie des pièces est lustrée. La totalité des pièces est en position remaniée. Ces objets ont glissé sur des lentilles de graviers lors du début de la mise en place des sédiments et semblent provenir d’un niveau plus ancien (niveau N3 ?). D’autres pièces, et notamment les petits éléments et les esquilles situées plus au centre de la doline semblent provenir du niveau sus‑jacent 1 par des phénomènes d’illuviations, de bioturbations et de géliturbations. Ce niveau n’existe que sur la partie sud de la doline, en section 6 et au début de la section 7. Dans la zone des mètres R‑S‑T/148‑149‑150, la plupart des petits éléments (entre 1 et 3 cm) retrouvés dans le niveau N2 sont brûlés. L’hypothèse la plus vraisemblable est l’existence d’un foyer ou d’une zone ayant reçue une combustion (en T/148‑149 probablement) dans le niveau N1, dont les petits éléments auraient percolé (Bordes 1975). Cette hypothèse est en accord avec l’analyse micromorphologique. Le mobilier du niveau N2 se compose de 7 outils (1 pièce à retouches abruptes minces, 1 encoche en bout de galet, 1 éclat utilisé, 3 pièces esquillées et 1 fragment d’outil typologiquement non déterminable), 40 produits de débitage, 1 nucléus, 1 bloc réserve de matière première (silex) et 3 blocs de grès auxquels s’ajoutent 16 esquilles. L’industrie peut se rapporter au Paléolithique moyen mais est trop pauvre pour qu’une attribution culturelle puisse être avancée (Bordes 1961).
Le niveau N1
14(Pour les caractéristiques techno‑typologiques du niveau N1 voir infra tabl. xii). Le niveau N1 est composé de 1013 objets qui se répartissent en grandes catégories technologiques de la manière suivante : 25 blocs de grès, 10 rognons de réserve de matière première (silex), 70 nucléus, 3 outils sur nucléus, 5 percuteurs (3 en grès et 2 en silex), 563 produits de débitage et 162 esquilles (jusqu’à 1 cm), 148 outils (au sens produit retouché) et 27 bifaces (Geneste 1985). Le niveau N1 est présent sur l’ensemble de la doline. Il est généralement épais de 35 cm. Cependant un horizon constitué de pièces aux altitudes proches les unes des autres s’individualise nettement parmi cette épaisseur maximum. Cet horizon matérialise ce qui semble être un sol archéologique. Il est situé dans la partie basse de l’épaisseur du niveau N1, proche du niveau N2. Ce sol archéologique a été lessivé et géliturbé. Les mouvements horizontaux et verticaux peuvent être localement importants (jusqu’à 34 cm pour la hauteur et 110 cm pour la latéralisation) comme l’indique les remontages et les recollages (Cahen 1980a ; 1980b ; Bordes 1975 ; 1980a ; 1980b).
Les chaînes opératoires
15Cinq chaînes opératoires sont à dissocier dans cette industrie, d’une part en fonction de la matière première, d’autre part en fonction des produits recherchés :
16– le matériau local, provenant de la nappe alluviale colluviée et qui affleurait sur les bords de la doline a été utilisé, de même que quelques rognons de mauvaise qualité mais présentant un état plus frais ; ces galets, de petites dimensions (8 à 10 cm en moyenne de longueur) permettent difficilement un débitage organisé (blocs gélifractés, etc.) ; ils ont fait l’objet d’une taille opportuniste et les supports correspondant n’ont pas été retouchés en général ; le schéma opératoire majoritaire est de type récurrent unipolaire ; il faut noter la présence de quelques nucléus discoïdes et de quelques nucléus dont le débitage s’organise sur des surfaces orthogonales entre elles ;
– sur le même matériau, les Préhistoriques ont choisi les galets les plus petits et les plus allongés afin de produire des encoches, des denticulés, quelques burins et becs en « bout » de galet ; à noter également la présence d’un chopping‑tool ;
– la présence de deux éclats Levallois de type « préférentiel » montre que le débitage Levallois linéal est présent ; aucunnucléus présentant un négatif d’éclat préférentiel n’a été retrouvé, il est probable que ces éclats ont été apportés déjà confectionnés ; notons aussi l’existence d’une ébauche de nucléus Levallois et d’un nucléus Levallois à lame (cf. fig. 42) et d’un nucléus récurrent Levallois à éclat ; le débitage Levallois au sens large est donc attesté de manière anecdotique (Boëda, Pélegrin 1979) ;
– des rognons de silex crétacé, au cortex frais et donc apportés dans la doline, ont été débités afin de produire des lames ; plusieurs schémas opératoires ont pu être reconnus ; l’objectif principal était de produire des lames aux caractéristiques standardisées, non corticales, centrées sur les dimensions 60 x 25 x 15 mm, au plan d’éclatement et aux bords rectilignes ; ces lames étaient utilisées à l’état brut (retouches d’utilisation bien visibles) ou finement et partiellement retouchées ; l’une de ces lames présente un dos abattu, pièce qui ne choquerait pas dans une industrie de type Paléolithique supérieur ;
– la majorité des bifaces a été façonnée sur les blocs de silex crétacé exogènes à la nappe alluviale ; la taille ou le ravivage ont eu lieu en partie sur place, comme le montre les nombreux petits éclats retrouvés en section 32 ; des éclats similaires ont également été retrouvés en sections 6 et 7, mais de manière isolée ; deux bifaces, après avoir été cassés ont fait l’objet de débitage laminaire sur leur tranche.
Les remontages
17L’étude de l’industrie lithique a permis la réalisation de plusieurs remontages. Ces remontages réalisés à l’échelle du mètre, voire du centimètre, ont été uniquement effectués sur les bords de la doline et permettent de penser que les pièces témoignent à ces endroits de la présence de postes de débitage.
18En section 6, ils indiquent la présence de trois postes de débitage : deux lames sur un nucléus (fig. 40) et un éclat laminaire sur un second nucléus (fig. 40), deux lames et deux éclats corticaux qui pourraient provenir d’un troisième rognon de silex débité (fig. 41, nos 5 et ), une lame d’entame sur son nucléus.
19Le remontage des deux nucléus laminaires technologiquement complets (le premier remontage n’est que partiellement présenté ici avec fig. 40 et fig. 41, no 1), montre que si des critères de reconnaissance du débitage Levallois sont présents (conception volumétrique du nucléus, plan de frappe préférentiel, convexités Levallois), d’autres critères sont technologiquement novateurs :
– gestion de volume après une phase d’initialisation terminée par une lame débordante à « crête » pour le premier nucléus (fig. 41, no 1) ;
– préparation partielle des convexités type Levallois au stade d’initialisation jumelée avec une utilisation directe de la forme naturelle du rognon complétée par une préparation type crête (partielle) antérieure ; permettant ainsi une production de lames dès les enlèvements d’initialisation, pour le second nucléus (fig. 40) ;
– absence ou rôle partiel des repréparations des convexités des deux nucléus dans les stades de production puisque les lames débordantes successives remplissent ce rôle ;
– utilisation d’un second plan de frappe, en partie opposé au premier, afin de sortir d’une situation en voie de blocage ou pour augmenter la production.
20La gestion du nucléus du remontage 1 de Vinneuf semble s’apparenter à celle qui a été définie sur l’industrie de Rocourt (Cahen 1984 ; Boëda 1988 ; 1990 ; Conard 1990 ; Otte et al. 1990). Ce type de gestion semble être également présent à Rheindalen (niveau B 1) en RFA (Bosinski 1976a ; 1986 ; Conard 1990) et à Tônchesberg (niveau 2b) en RFA (Conard 1990). Nous ne comparons pas la gestion laminaire des nucléus de Vinneuf avec celle des « nucléus prismatiques à débitage tournant » , cependant le nucléus du second remontage s’apparente aux « nucléus prismatiques à débitage semi‑tournant » décrits à Seclin (Révillion 1988 ; 1989 ; 1993a ; 1993b ; Révillion et al. 1992), à Riencourt‑lès‑Bapaume (Tuffreau et al. 1991 ; Tuffreau 1993) et à Saint‑Germain‑des‑Vaux (Cliquet, Révillion 1991 ; 1992 ; Révillion 1993b). La première gestion est technologiquement différente avec un débitage qui envahit le dos du nucléus. Quant à la seconde, si nous retrouvons sur certains nucléus de Vinneuf le plein usage de crête antérieure pour initialiser le débitage (fig. 40 et fig. 42, nos 1, 2) il n’y a jamais de crête en cours de débitage (Gouédo à paraître).
21Les deux lames remontées entre elles semblent appartenir à cette même gestion du fait qu’elles sont en position de débordement l’une par rapport à l’autre.
22Le remontage des deux éclats corticaux témoignent de la phase d’initialisation d’un nucléus sans qu’il soit possible d’en déterminer le schéma opératoire précis. Ces deux derniers éclats appartiennent vraisemblablement au même rognon que les lames dont il vient d’être question du fait de la présence d’une veine sous‑corticale et de l’aspect général de la matière qui est spécifique (fig. 41, nos 5, 6).
23Une grande lame corticale d’entame remonte sur un nucléus à lame et à éclat laminaire dont la gestion est du type non Levallois à débitage direct unipolaire. En section 32, les remontages témoignent de l’aménagement de biface(s) sur place. Le premier remontage montre le détachement d’une protubérance corticale (début du façonnage) sous laquelle deux petits éclats remontent indiquant la phase de finition du biface. Le second remontage est constitué par deux petits éclats non corticaux que l’on peut replacer à un stade avancé du façonnage. Aucun élément ne permet de dire si un ou deux bifaces sont concernés par ces remontages.
Les schémas opératoires
24Les schémas opératoires de débitage ou de façonnage reconnus sont nombreux. Replacés dans leur chaîne opératoire respective, nous pouvons établir la liste suivante :
25– le débitage d’éclats sur les graviers de la nappe ou les rognons de mauvaise qualité (chaîne 1) s’est effectué selon des schémas qui prédéterminent au minimum la morphologie des enlèvements ;
– schéma 1 : schéma majoritaire de la chaîne 1 ; la méthode est récurrente, non Levallois, à direction unipolaire des enlèvements ; ce schéma est représenté par 13 nucléus (sur un total de 73) dont 10 proviennent de manière certaine des graviers de la nappe alluviale ; après un aménagement sommaire d’un plan de frappe ou de l’utilisation d’une surface naturelle, quelques enlèvements sont produits (8 au maximum) en une seule série ; il y a absence de préparation de la surface de débitage, seul 1 nucléus présente un débitage sur deux faces (fig. 42, no 3), sur certain nucléus, une tendance à l’emploi du débordement a été pratiquée ;
– schéma 2 : il s’agit d’un éclat d’initialisation de nucléus (décorticage) dont la face plane a reçu sept enlèvements récurrents à direction unipolaire convergent ; ce schéma est proche du schéma 1 ;
– schéma 3 : il s’agit encore d’un éclat dont la face d’éclatement et la face supérieure présentent respectivement quatre et trois enlèvements récurrents à direction bipolaire ;
– schéma 4 : la méthode est ici à débitage orthogonal à direction unipolaire des enlèvements ; le débitage de chaque surface utilise comme plan de frappe les parties latérales ou distales des négatifs de la surface de débitage chronologiquement antérieure ; l’angle ainsi formé entre deux surfaces est proche de l’angle droit ; le nombre de surfaces débitées est de deux ou trois ; lorsque ce nombre augmente le nucléus devient morphologiquement informe ou globuleux ; 9 nucléus témoignent de ce schéma dont 3 sont sur silex frais ;
– schéma 5 : ce schéma représente la méthode disco’ïde à direction centripète des enlèvements (5 nucléus) ; l’inclinaison des éclats est prononcée (fig. 39, no 9) (Gouédo 1989).
26La seconde chaîne opératoire ne possède qu’un unique schéma opératoire, raccourci puisqu’il n’y a pas de phase de débitage mais façonnage de graviers de la nappe (cf. infra « les outils sur galet » dans la partie consacrée à l’outillage).
27La chaîne opératoire Levallois (chaîne 3) n’est représentée que par trois schémas opératoires. Le premier est à éclat préférentiel (fig. 43, no 1), le second est laminaire avec un débitage bipolaire (fig. 42, no 5), le troisième est récurrent à éclat.
28Le débitage laminaire sur rognons frais et de bonne qualité (quatrième chaîne) se présente sous l’angle de schémas opératoires différents. Un premier groupe comprend la gestion laminaire à débitage semi‑tournant sur nucléus prismatique. Un second groupe recouvre les nucléus à lame, non Levallois, à débitage direct (Révillion 1993b). Pour ces deux groupes le volume à débiter s’inscrit dans un prisme plus ou moins cylindrique, ou comme pour le Levallois dans deux surfaces convexes adossées, à l’extrémité (ou aux deux extrémités dans le cas du débitage bipolaire) desquelles les surfaces de plan de frappe sont installées en premier par de grands enlèvements inclinés qui tronquent l’épaisseur des rognons. Le débitage débute par de grandes lames corticales avec un minimum de préparation (ou l’absence de celle‑ci). La gestion du volume est assurée par trois procédés techniques hiérarchisés. Le premier est la production de lames débordantes relayée quand besoin est par des enlèvements à direction croisée (remise en forme des convexités). Le troisième procédé est le changement de plan de frappe qui vient en secours d’une situation de débordement en voie de blocage (réfléchissements, faibles convexités et donc risques importants de réfléchissement, zone corticale gênante au milieu du nucléus) ou pour améliorer le rendement sur les longs nucléus en doublant la production. L’usage du procédé technique de la crête est peu attesté mais présent.
29Le débitage peut être poussé jusqu’à l’exhaustion complète du volume (fig. 42, no 7). Le schéma opératoire le plus utilisé est celui avec la direction bipolaire des enlèvements. Lorsque le changement de plan de frappe n’est pas nécessaire (nucléus court ou à fortes convexités naturelles, résultat du choix d’un rognon cylindrique) le schéma opératoire est alors à direction unipolaire ou unipolaire convergent des enlèvements. Cedernier mode de débitage fournit des éclats morphologiquement identiques aux éclats Levallois pointus ou aux pointes Levallois (Boëda 1982) dans le meilleur des cas (fig. 43, nos 5, 6, 7 et tabl. xii). Deux nucléus permettent de lire un schéma opératoire différent par surface de débitage .
30La production d’éclats prédéterminés intervient comme sous‑produit du débitage laminaire (enchaînement lames/éclats : fig. 43, no 8 ; fig. 44, nos 5, 6, 7, 8) ou en fin de gestion des nucléus à lames (nucléus trop court pour continuer ?). C’est ainsi que 7 nucléus ont été transformés en nucléus à éclats (2 en méthode discoïde, 4 en méthode à débitage orthogonal et un en méthode récurrente croisée.
31Trois nucléus témoignent de la volonté de produire des supports laminaires dans une conception volumétrique considérée généralement de type Paléolithique supérieur. Le premier des nucléus est une plaquette de silex apportée dans la doline, comme celles qui ont servi pour le façonnage des bifaces. Deux crêtes ont été préparées sur les tranches de la plaquette. Sur la première crête, l’absence de mise en place de plans de frappe adéquats a provoqué un détachement de deux enlèvements unipolaires plans et non dans l’axe de la crête. Sur la seconde crête, l’aménagement d’un plan de frappe et l’utilisation en partie opposée de la crête comme second plan de frappe a permis le détachement bipolaire de huit enlèvements dont quatre sont parfaitement axiaux (fig. 42, no 8).
32Les deux autres nucléus utilisent le même procédé technique. Des graviers quadrangulaires, peu épais ont été choisis. Sur l’un des grands côtés, une crête a été aménagée sur chaque nucléus. Des tentatives d’enlèvements unipolaires de la crête ont été portées qui se sont soldées par des résultats qualitativement négatifs car réfléchis précocement (fig. 42, nos 1, 2). Le reste des nucléus sont des ébauches ou des nucléus défigurés par le gel ou par le feu.
33La présence des produits de débitage témoins des phases successives de ces différents schémas opératoires (excepté le schéma opératoire Levallois linéal), ainsi que les remontages, montrent qu’une partie sinon la totalité du débitage a été effectuée sur le site. Les méthodes de débitage laminaire sont largement dominantes sur les autres méthodes à débitage à prédétermination importante. Cependant les méthodes au débitage peu prédéterminé l’emportent sur les méthodes laminaires. Plus de 23 % des nucléus ne peuvent être classés (ébauches et pièces défigurées), parmi un schéma opératoire précis. Notons simplement la présence d’ l nucléus laminaire, de 13 nucléus se rattachant à la première chaîne opératoire et de 3 gélifracts de nucléus.
34La cinquième chaîne opératoire (les bifaces) ne présente qu’un seul schéma opératoire de façonnage et de retouche. Sa description est effectuée dans la partie consacrée à l’outillage. Trois bifaces offrent, après cassure, des enlèvements partant du plan de cassure. L’objectif pourrait être de produire des lames à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté d’obtenir une zone burinante (fig. 45, no 2 et fig. 46, no 3). Ce schéma serait l’équivalent, sur biface, des schémas opératoires avec crête qui viennent d’être décrits.
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L’outillage
(liste typologique selon la méthode Bordes, tabl. xii)
35Nous entendons par outillage tout support retouche ou portant des traces macroscopiques que nous interprétons comme des traces d’utilisation. Cependant, sur certaines pièces, la distinction entre retouches de confection et d’utilisation n’est pas aisée.
Éclats retouchés et utilisés (n = 15)
367 éclats ont été retouchés. L’un d’eux est un support Levallois de type préférentiel (fig. 43, no 4) et 5 autres sont sur support prédéterminé issu des schémas opératoires laminaires (fig. 43, no 8) dont deux ont le caractère débordant (enlèvement prédéterminant/prédéterminé). Le dernier éclat est brûlé. 8 éclats portent des traces d’utilisation. La nature des supports se partage entre les éclats débordants (3), les éclats de préparation de surface de débitage (3), les enlèvements prédéterminés (1) et kombewa (1). Les pièces présentent un bord légèrement denticulé constitué par de fines encoches, de la retouche abrupte fine et des petites cassures.
Lames retouchées et utilisées (n = 23)
372 lames sur support prédéterminé non cortical portent de fines retouches directes abruptes (l’exemplaire le plus net est celui de la figure 39, no 4). La seconde lame, ainsi que 12 autres, montrent des zones avec de la retouche d’utilisation. Comme pour les éclats il s’agit d’une petite retouche écailleuse, souvent abrupte à laquelle s’ajoute de fines encoches. 8 lames débordantes à dos cortical et 1 lame fortement corticale présentent une zone retouchée opposée au dos. Seule 1 lame a été retouchée au dépens du dos, sur la face plane (fig. 41, no 9). Les 2 dernières lames sont sur support prédéterminé, non cortical (fig. 39, nos 7 et 8).
Lame à dos abattu (n = 1)
38Un fragment mésial porte une retouche directe écailleuse abrupte. Le support est prédéterminé, non cortical. Le tranchant de la pièce est nettement abattu (fig. 39, no 1). Cette pièce ne choquerait nullement dans un contexte culturel du Paléolithique supérieur.
Les pointes moustériennes (n = 2)
39Elles sont sur support prédéterminé : 1 lame (direction unipolaire) et 1 éclat pointu (direction unipolaire convergent). Les talons sont dièdres et facettés. Les retouches sont écailleuses fines, minces à abruptes. Le bord gauche de la pointe sur éclat semble plutôt procéder de l’utilisation de l’outil que de la confection de retouches. La pointe sur lame est en silex tertiaire zoné. Cette pièce est l’unique témoin de ce silex dans le site (fig. 44, no 3).
Limace (n = 1)
40Cette catégorie n’est représentée.que par 1 seule pièce. Un gélifract de galet de la nappe alluviale, à section quadrangulaire a été retouché. Les zones retouchées sont peu étendues mais elles convergent. La retouche est écailleuse fine et abrupte. Cette pièce est un type d’outil appartenant à la seconde chaîne opératoire (outil sur galet).
Les racloirs (n = 33)
4132 sont typologiquement déterminables. Ces derniers sont variés ; 12 des 19 types définis par F. Bordes sont représentés par 1 à 6 exemplaires. Les racloirs classiques (simples, doubles et convergents, déjetés ; respectivement 12, 7, 5 et 1 objets) dominent largement les types spéciaux composés d’1 racloir sur face plane, de 2 racloirs à retouches abruptes, d’1 racloir déjeté, d’1 racloir à retouches bifaces et à dos aminci et de 2 racloirs à retouches alternes. Il faut noter l’absence des racloirs transversaux. Parmi les racloirs simples, on remarque l’équilibre entre ceux qui possèdent un front droit (5 objets) et ceux à front convexe (6 objets). Parmi les 7 racloirs doubles, le type convexe‑concave semble dominer (4 objets). Parmi les racloirs classiques (n = 25) il y a 14 supports prédéterminés (10 éclats et 2 lames) pour 7 supports débordants (5 éclats et 2 lames) provenant de la chaîne opératoire laminaire. Les supports des phases d’initialisation des nucléus semblent avoir été délaissés (4 éclats dont 2 sont issus de galets de la nappe). Le dernier racloir est sur gélifract de rognon importé. Les racloirs spéciaux, quand bien même leur nombre est plus restreint (7), confirment ces tendances. 3 racloirs sont sur support prédéterminé pour deux sur support débordant. Aucun support d’initialisation n’a été choisi. Une plaquette de grès et un galet de la nappe ont été retouchés. Pour la première catégorie de racloir, la retouche est écailleuse, fine, localement abrupte et parfois lamellaire. Un seul rang de retouche est le cas le plus fréquent. Une retouche de type 1/2 Quina a été confectionnée ; il s’agit du racloir déjeté (fig. 44, no 7). Les fronts réguliers dominent largement les cinq cas de fronts sinueux (dont 3 sur les racloirs convexe‑concave).
42La retouche est écailleuse fine pour le racloir à retouche sur face plane, écailleuse abrupte pour les racloirs de même nom ; écailleuse profonde pour le racloir à retouches bifaces et écailleuse fine poulies racloirs à retouches alternes. Les fronts sont réguliers.
43L’analyse des racloirs spéciaux confirme les tendances décelables sur les racloirs classiques. Les racloirs forment donc un ensemble homogène. Les supports provenant de la chaîne opératoire laminaire sont largement choisis sur ceux provenant du débitage des graviers de la nappe alluviale (28 contre 2 objets). Au sein de la chaîne opératoire laminaire, les supports des phases de plein débitage sont préférentiellement sélectionnés par rapport à ceux provenant des phases d’initialisation (26 contre 2 objets). Parmi les enlèvements de plein débitage, les enlèvements prédéterminés sont plus nombreux que les supports débordants (18 contre 9 objets). La retouche est généralement écailleuse, fine et localement abrupte épaisse ou mince. Les fronts sont réguliers et rarement sinueux (fig. 44, nos 1, 2, 5, 6, 7).
Les grattoirs (n = 7)
443 portent un front de racloir. 2 des 4 racloirs simples sont en bout de lame dont une provient d’une phase d’initialisation. Leur retouche est écailleuse (fig. 41, no 8). Une des lames porte également une retouche d’utilisation sur le côté. Les deux autres grattoirs simples sont sur éclat d’initialisation et de repréparation de surface de débitage, des zones de retouche d’utilisation sont visibles. 2 grattoirs‑racloirs sont sur lame ; 1 sur lame débordante à dos cortical (fig. 41, no 7) et 1 sur lame de plein débitage laminaire. La dernière pièce est sur fragment de plaque de grès. Aucun choix dans le type de support ne semble se dégager. Cependant les bords contigus aux fronts de grattoir ont été retouchés et/ou utilisés. L’outil grattoir n’est donc pas typologiquement homogène.
Les burins (n = 3)
45Le premier est une lame prédéterminée utilisée, présentant un coup de burin latéral sur la partie distale (fig. 41, no 3). Le second est un éclat épais de remise en forme de surface de débitage avec également un coup de burin latéral depuis la partie distale. Un gravier de la nappe alluviale présente un coup de burin plan, depuis la partie distale, dans l’axe d’une nervure guide séparant deux surfaces d’éclatement naturel.
Les perçoirs (n = 2)
46Le premier offre une fine retouche écailleuse abrupte, légèrement concave, qui appointe finement la partie distale d’une lame prédéterminée (fig. 39, no 3). La retouche est unilatérale. Le second objet est identique au premier dans sa partie active. Le support est ici un éclat pointu.
Les becs (n = 4)
47Un des becs est un fragment de gel d’un rognon un peu roulé. Deux encoches peu profondes délimitent un museau souligné par un enlèvement inverse sur face plane, en partie distale de la pièce. Le second bec est sur éclat de grès probablement au dépend du talon et du bulbe. Deux zones de retouches abruptes et concaves délimitent un petit museau. Le troisième bec est sur gravier. Après débitage de trois à quatre enlèvements en partie distale, des retouches directes abruptes et ventrales dégagent un museau large à section triangulaire La dernière pièce est encore en bout de galet. Deux doubles encoches superposées délimitent un premier bec tandis que la seconde encoche et une zone retouchée concave sur face plane en délimite un second.
Les encoches (n = 19)
482 encoches sont sur éclat de préparation, 1 sur nucléus et 16 sont soit sur galet de la nappe (14) soit sur rognon importé (2). Le choix manifeste de galet ou de rognons frais allongés et la position « en bout » de ces supports confèrent à cette catégorie d’outil un aspect homogène. Les supports peuvent recevoir une ou deux encoches. Celles‑ci peuvent être brutes (13 objets, fig. 47, no 3) ou retouchées (6 objets, fig. 47, no 2 et 47, no 1). Les encoches sont profondes et peuvent être associées sur le même support à des zones retouchées de manière abrupte, alterne ou bifaciale. La pièce offre alors une sorte de tranchant sinueux et irrégulier en ce sens où la profondeur de l’encoche déséquilibre le front de la partie active.
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Les denticulés (n = 14)
499 de ces pièces sont sur galet de la nappe ou sur rognon de silex importé ou sur gélifract de grès. Les 5 autres denticulés sont sur nucléus (1 cas), sur support d’éclat (2 cas dont un support en grès) ou sur lame débordante de mauvaise facture ou provenant du débitage d’un galet. Tout comme pour les becs et les encoches, ce type d’outil est homogène et illustre les objectifs de la seconde chaîne opératoire. La denticulation est composée par des encoches adjacentes sauf exception non retouchées, ou par une retouche écailleuse abrupte et profonde. Les encoches peuvent être bifaciales. A noter la présence d’un denticulé en bout de galet (fig. 47, no 4).
Retouche sur face plane, abrupte, alterne et biface (n = 18)
502 objets présentent quelques retouches écailleuses sur face plane. Les supports sont tous les deux des enlèvements d’initialisation de nucléus (dont un débordant). Les pièces à retouche abrupte sont plus nombreuses (10 objets). 6 outils ont été confectionnés sur galet de la nappe dont 4 sur éclat de gel. Parmi les 4 pièces sur silex importé, une est également un gélifract. Le choix des supports gélifractés est donc manifeste ; les plans de gélifracture favorisant la phase de confection. Les trois autres supports sont 1 entame au cortex roulé et 2 éclats de remise en forme de nucléus. La sélection de supports de mauvaise qualité est claire. Ce type d’outil est à rattacher avec les becs, encoches et denticulés à la seconde chaîne opératoire. L’unique pièce à retouche alterne est sur support prédéterminé. La retouche écailleuse, abrupte et irrégulière. Des 5 pièces à retouche biface, 1 est sur galet et 2 sur silex importé au cortex légèrement roulé. La quatrième pièce est un gélifract de rognon et la dernière est sur support prédéterminé. La qualité de cette pièce tranche avec les quatre premiers outils qui sont à rattacher à la seconde chaîne opératoire.
Rabot (n = 1)
51L’un des nucléus laminaire, poursuivi en débitage à éclat par la méthode orthogonale, a été retouché après les phases de débitage. La retouche est écailleuse abrupte, le front est court et droit.
Les pointes triédriques (n = 2)
52La première est sur pièce à crête provenant du débitage d’un rognon importé. La pointe est confectionnée par une retouche écailleuse fine sur la partie distale de la crête. La seconde pointe a été réalisée en bout de galet, étroit et épais, par des enlèvements dessinant une partie active trièdrique (fig. 47, no 6). Cet outil est à classer parmi les objectifs de la seconde chaîne opératoire.
Chopping‑tool (n = 1)
53Il s’agit d’un galet de la nappe, gélifracté. Au cours du façonnage un éclat de gel s’est détaché et a été intégré à quatre enlèvements afin de produire le tranchant. Les enlèvements sont écailleux et alternants.
Les pièces esquillées (n = 14)
549 sont sur cassons ou sur éclats de gel ou sur supports inférieurs à 3 cm dans leur plus grande dimension. 2 de ces objets sont roulés. Parmi les pièces supérieures à 3 cm ; 2 sont des gélifracts, 1 pièce est une entame, la seconde est un éclat d’initialisation et la dernière est peut‑être un éclat outrepassé dont la lecture technologique est rendue difficile par les nombreuses cassures et la retouche envahissante. La retouche est écailleuse fine et rasante mais peut également être localement abrupte et du type encoche. Les supports choisis sont de mauvaise qualité (chaîne opératoire 2).
Les bifaces (n = 27)
55A côté d’un outillage sur éclat varié, les bifaces semblent constituer des supports privilégiés d’outils. Ils sont relativement nombreux et présentent des variabilités morphologiques intéressantes (lancéolé, micoquien, ovalaire, bifaces à dos aussi appelés Keilmesser, Prondnick). Ces bifaces présentent le plus souvent un profil piano‑convexe (Callow 1974 ; Boëda et al. 1990). Les deux faces, l’une plane, l’autre convexe, sont définies préalablement au début du façonnage. Les faces sont obtenues par de grands enlèvements peu profonds et envahissants, puis reprises par des enlèvements plus rasants. Une phase terminale, de retouche, transforme le support en outil.
56La plupart d’entre eux présentent une zone (base et/ou dos) restée corticale et/ou aménagée. En cas de dos aménagé, le tranchant opposé est retouché. En l’absence d’un dos, le second tranchant est alors retouché. La retouche transforme le support bifacial en outil pointu ou arrondi. Elle est généralement localisée sur les deux bords de manière alterne et/ou alternante. La retouche peut transformer en racloir un bord opposé à un dos seul ou à un dos en continuité avec la base (fig. 45, 46, 48, 49).
57Selon nous, ces bifaces sont typiques des industries micoquiennes (parfois appelées micoquo‑prondnikienne) que l’on trouve en Europe de l’est ou centrale (Bosinski 1967 ; Bordes 1984 ; Chmieleski 1969 ; Gabori 1976). Parmi les bifaces à dos il faut noter l’absence à Vinneuf de couteaux de type Bockstein ou de type Klausennische. Cependant l’une de ces pièces est un prondnik auquel il ne manque que le coup de trancher (Bosinski 1967 ; Chmieleski 1969 ; Desbrosse et al. 1976). Cette pièce (fig. 48, no 3) est fort semblable à l’un des Keilmesser du site de Schambach en Allemagne (Bosinski 1967 : fig. 89, 4). La panoplie des « outils micoquiens » est complète à l’exception des pièces foliacées (Blattspitzen).
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58La caractéristique des bifaces de Vinneuf est la dissymétrie morphologique dans tous les plans (sécant, axial et sagittal) ainsi que dans le traitement de façonnage qui s’exprime par des zones d’enlèvements écailleux voisinant avec des enlèvements laminaires. La présence d’un dos et/ou d’une base réservée ou aménagée est fréquente et désirée. La phase de retouche est également dissymétrique puisque les bords sont retouchés de manière alterne et/ou alternante. L’objectif est de réaliser un support bifacial d’outil et non un outil biface (Boëda et al. 1990). Une ébauche de biface sur plaquette de silex a été abandonnée avant la fin du façonnage. Les bords de deux fragments de grès, dont l’éclatement est dû au gel, ont été aménagés par petits enlèvements bifaciaux (fig. 45, no 3).
Les blocs de grès (n = 7)
59Six blocs de grès et peut‑être un septième portent des traces d’actions anthropiques. Le premier de ces blocs (section 6, P‑Q/134) est un fragment (l’autre partie n’a rien révélé à l’analyse) dont les négatifs d’enlèvements visibles pourraient correspondre à ceux d’un nucléus ou d’un outil. Ce fragment présente, le long d’une de ses extrémités, un tranchant droit portant quelques petites ébréchures qui pourraient être des retouches d’utilisation. Ce petit bloc a peut‑être été utilisé en « racloir » ou « grattoir ».
60Le second est un gros bloc quadrangulaire, d’environ 20 x 20 x 16 cm (section 6, F‑G‑H/147‑148), très lourd, épannelé sur un des bords. Il aurait pu servir d’enclume mais, malgré une observation soignée à la loupe binoculaire, aucune trace d’utilisation n’a été repérée sur les faces. On peut formuler deux hypothèses d’utilisation : ou bien ce bloc est un élément d’aménagement de l’habitat, ce qui pourrait expliquer qu’il a été équarri ; ou bien les enlèvements ont été faits pour tester cette matière première et le bloc a ensuite été abandonné.
61Le troisième est un fragment de galet (section 6, S/138, no 1). Quelques traces d’impacts ont été observés à la loupe binoculaire sur l’extrémité intacte du galet. Cela permet de suggérer une utilisation comme percuteur.
62Le quatrième objet est un fragment de grès rougi (section 7, R/153, no l) qui semble avoir éclaté au feu. Aucune trace d’utilisation n’y a été décelée. L’un des bords longitudinaux d’une plaquette semble avoir été légèrement retouché (section 7, S/157, no 1). Ce même bord porte, en tous cas, des ébréchures et des retouches vraisemblablement produites par une utilisation en « racloir ». Cette utilisation, un peu trop « énergique », a fait sauter des esquilles et des enlèvements assez importants par endroit.
63En section 32, un gros galet subquadrangulaire (D/187, no 2) porte des traces d’écrasement et des enlèvements sur quatre de ses angles ainsi que des traces d’impacts sur un cinquième. Ce petit bloc, assez, lourd, pourrait bien avoir servi de « percuteur de concassage » (Beaune 1993b). En effet, sa forme et la localisation de ses traces d’utilisation évoquent plus ce type d’outil que les percuteurs destinés au débitage et à la retouche de l’outillage en silex.
64Pour finir, il convient de mentionner la présence (section 7, V‑Z/154‑158) d’un petit bloc aux angles émoussés. Les quelques rares traces de percussion observées à la loupe binoculaire sur certaines arêtes ne sont peut‑être pas d’origine humaine. L’usage en percuteur est cependant possible.
65Si ces pièces portent bien quelques traces d’utilisation, aucune ne correspond à l’un des types caractéristiques tels que nous les avons définis ailleurs (Beaune 1989). Ceux‑ci semblent n’apparaître que plus tard, au Paléolithique moyen, voire supérieur pour certains d’entre eux (Beaune 1993a ; 1993b).
Les percuteurs (n = 5)
66Trois sont décrits dans les lignes ci‑dessus. Les deux dernières pièces sont sur rognon importé et sur galet de la nappe. Le rognon a été testé ce qui a provoqué sa cassure en deux parties. Un secteur de la tranche d’un morceau a servi de percuteur tandis qu’un autre secteur a été l’objet d’une retouche abrupte. Le dernier objet est un percuteur sur gros galet de la nappe.
Le niveau N0
67Le niveau N0 est très pauvre en matériel (147 objets). Les produits de débitage sont au nombre de 111 pour 19 outils. Il y a 9 nucléus, 5 bifaces, 2 percuteurs et 1 bloc de grès. Le niveau est épais, de 10 à 20 cm selon les endroits. Le matériel lithique est réparti de manière très lâche. L’étude détaillée de la série lithique n’est pas possible. Seules les grandes lignes peuvent être données.
Chaînes et schémas opératoires
68Les cinq chaînes opératoires définies pour le niveau N1 sont également représentées dans ce niveau. La chaîne opératoire Levallois est représentée par un éclat Levallois de type préférentiel (fig. 50, no 1) mais pas par la catégorie nucléus susceptible d’avoir produit ce type d’enlèvement. La méthode Levallois est donc, tout comme pour le niveau N1, présente de manière anecdotique. Les schémas opératoires définis à partir des nucléus sont peu nombreux, mais il est vrai que les nucléus ne sont qu’au nombre de 7 objets. Le schéma 1 de la chaîne opératoire 1 est représenté par un nucléus (méthode récurrente non Levallois unipolaire). 2 nucléus à méthode de débitage orthogonale unipolaire (chaîne 1, schéma 4) sont présents, ainsi que 2 nucléus laminaires continués en débitage orthogonal. Il faut noter l’absence des nucléus à crête, ainsi que les produits technologiques correspondants mais le nombre de pièces est faible. Aucun remontage n’a pu être effectué dans ce niveau. Il semble que le débitage ait été effectué en‑dehors du site.
69Parmi les produits de débitage, les enlèvements d’initialisation sont bien représentés. Les caractéristiques générales des supports sont identiques à celles du niveau N1 et montrent l’importante dominante des supports prédéterminés ou débordants issus des schémas opératoires laminaires.
70Les galets de la nappe ont été peu débités. Sans doute cette dernière était en grande partie recouverte par le limon et peu accessible. Un seul éclat de façonnage a été trouvé. Il est possible, à nouveau, que les cinq bifaces aient été apportés déjà confectionnés sur le site.
L ’outillage
Éclats utilisés (n = 2)
71Le premier est un éclat débordant à dos cortical ; le second semble être un éclat Levallois de type préférentiel. Les talons sont dièdres.
Les pointes moustériennes (n = 2)
72Les enlèvements sont des supports prédéterminés. La première pièce est un éclat pointu. Les négatifs antérieurs sont à direction unipolaire convergente et la retouche est écailleuse peu envahissante (fig. 50, no 8). La seconde pointe est une lame dont la partie distale a été appointée par la retouche écailleuse fine à lamellaire.
Les racloirs (n = 10)
73Les racloirs sont de loin le type d’outil le plus représenté avec 10 objets, 7 sont des racloirs simples et 3 sont doubles. On note l’absence des racloirs transversaux et des racloirs spéciaux. Parmi les racloirs simples, quatre sont convexes (fig. 50, no 9), deux sont droits et un est convexe ou droit (partie distale cassée [fig. 50, no 3]). Des trois racloirs doubles, le premier est droit (fig. 50, no 4), le second est convexe et le dernier est concavo‑convexe. Les retouches sont écailleuses et parfois localement lamellaires, fines, à un ou deux rangs. Trois des supports sont des enlèvements des phases d’initialisations, les autres supports sont des enlèvements prédéterminés (six cas) ou débordants (un cas). Le groupe des racloirs est homogène.
Grattoir‑racloir (n = 1)
74Il s’agit d’un éclat d’initialisation de nucléus, avec les traces de deux négatifs antérieurs bipolaires et débordants. La retouche est écailleuse, fine et abrupte (fig. 50, no 2).
Burin (n = 1)
75L’unique pièce est un burin dièdre d’axe, en bout de galet provenant de la nappe alluviale (fig. 50, no 11).
Encoche (n = 1)
76Une grande encoche, type encoche clactonienne, ainsi qu’une plus petite ont été élaborées sur un galet de la nappe alluviale postérieurement à une phase de nucléus sur le galet. Cet outil et le précédent sont des témoins de la seconde chaîne opératoire (outils sur galets de la nappe).
Denticulé (n = 1)
77Un très grand éclat Levallois de type préférentiel a été retouché par des enlèvements adjacents de type encoche. Le support est épais et robuste. Le talon est facetté (fig. 50, no 1).
Pièce esquillée (n = 1)
78Un petit fragment d’éclat de gel porte les traces d’esquillements multiples.
Les bifaces (n = 5)
79D’un point de vue technotypologique, ils sont semblables à ceux du niveau N1. Deux sont entiers et présentent un profil plano‑convexe et deux bords retouchés de manière alterne. Leur base est épaisse. L’un de ces bifaces (fig. 51, no 2) est assez proche de celui trouvé dans le niveau B2 de Rheindalen (Bosinski 1986). Sa pointe n’est pas déjetée, il s’agit donc plus d’un biface du type Halbkeile que d’un biface du type Micoquien. Le troisième est un petit biface à arêtes torses (FaHstet), de profil également piano‑convexe (fig. 51, no 4). Les deux bords de la surface convexe ont été retouchés de manière alterne postérieurement à un probable premier état de biface. Du quatrième, il ne reste que la base en partie corticale. Il s’agit d’une ébauche. Un cinquième biface, de forme triangulaire est, sur le plan de la silhouette, semblable à ceux du Moustérien de tradition acheuléenne mais c’est un Faustkeilblatter. Le profil est piano‑convexe. Une seule face est retouchée sur les deux bords. La base est retouchée, de manière alterne, sur l’autre face (fig. 51, nos 3). Tout comme pour le niveau N1, ces bifaces sont typiques du Micoquien.
Les blocs de grès (n = 1)
80Un bloc de grès présente des traces d’actions anthropiques. Il s’agit d’un bloc (section 7, S/163, no 1) présentant un beau négatif d’enlèvement à l’une de ses extrémités. Il semble avoir été produit par percussion directe du bloc sur une enclume et non à l’aide d’un percuteur qui aurait frappé le bloc. Il ne s’agit pas d’un nucléus et ce bloc a pu servir de « percuteur de concassage » comme le galet du niveau inférieur (section 32, D/187 no 2) (Beaune 1993b). L’éclat aurait donc été détaché au cours de l’utilisation du bloc. L’extrémité opposée présente des traces de martelage et d’écrasement et de petits enlèvements courts et irréguliers.
81Les bifaces du niveau N1 nous apparaissent suffisamment caractéristiques du Micoquien pour rattacher l’ensemble de l’industrie au complexe micoquien. La forte composante du débitage laminaire est à remarquer. La similitude de l’industrie du niveau N1 avec celle du niveau N0 nous permet donc de qualifier cette dernière d’industrie micoquienne à débitage laminaire.
4.1.3.3 Comparaison avec d’autres industries micoquiennes
82Nous avons vu précédemment les sites dont le débitage laminaire et ses objectifs présentaient des affinités avec le débitage laminaire de Vinneuf. Les industries de ces sites n’ont pas été rapportées au micoquien. Il sera question dans ce paragraphe de sites micoquiens présentant des ressemblances avec Vinneuf.
83D’après G. Bosinski (1967) le Micoquien se caractérise par la présence de bifaces allongés avec une face plane (Halbkeile), de petits bifaces pointus (Faüstel), de bifaces plats foliacés (Faustkeiblätter), de bifaces à dos (Keilmesser) et de racloirs à retouches bifaciales, et bien sûr de bifaces micoquiens. La méthode de réalisation est alterne (Wechselseitig gleichgerichtet).
84Le Micoquien se divise selon l’auteur en plusieurs faciès chronologiques qui sont du plus ancien au plus récent : le type Bockstein, le type Klausennische, le type Schambach et le type Rôrshain. Ce dernier faciès se marque par l’important développement des pointes foliacées (Blattzpitzen), rares dans les deux premiers faciès, et par la disparition progressive des types Micoquien, Halbkeile, Faüstel et Faustkeiblâtter et Keilmesser. Le phénomène est, toujours selon G. Bosinski, déjà perceptible dès le type Schambach. Etant donné ce que nous avons dit plus haut sur la panoplie typologique des bifaces de Vinneuf, un rapprochement avec le faciès de Rôhrshain semble donc exclu.
85L’ensemble des gisements, dit de Bockstein, est situé en Jura‑Souabe (Allemagne) dans le massif calcaire de la Lone, affluent du Danube. Seule nous intéresse ici la couche 111a du gisement de Bocksteinschmiede. L’outil spécifique de cette industrie est le couteau de Bockstein, un biface à dos abrupt. Ce type de pièce est totalement absent à Vinneuf. Pour les autres types de bifaces, ceux de Vinneuf sont assez proches de ceux de Bocksteinschmiede. Ils semblent présenter à Vinneuf moins d’asymétrie dans chacune des trois dimensions. De plus à Vinneuf la distinction Halbkeile/biface micoquien semble moins évidente qu’à Bockstein (Wetzel, Bosinski 1969).
86L’ensemble des grottes de la Klausennische est situé dans le Jura franconien, dans la vallée de l’Altmül, près de sa confluence avec le Danube. Les bifaces du gisement ayant livré des artefacts du Paléolithique moyen sont typologiquement fort proches des bifaces de Vinneuf. Les asymétries dans les trois dimensions sont ici, comme pour Vinneuf, moins prononcées qu’à Bocksteinschmiede. Le choix manifeste de plaquettes de silex (surtout à la Klausennische tandis qu’à Bockstein les blocs et les éclats dominent les plaquettes) et l’usage de la méthode de façonnage et de confection, très caractéristique des industries micoquiennes font que les bifaces retrouvés dans ces deux sites présentent des ressemblances avec ceux de Vinneuf. Nous citerons pour exemple le biface plat foliacé provenant de la Klausennische et dessiné dans la thèse de G. Bosinski (1967 : fig. 81, 3) comparable à une pièce de Vinneuf (fig. 45, no 2).
87Concernant le gisement de Schambach, nous avons déjà vu la ressemblance d’un de ses Keilmesser avec l’une des pièces de Vinneuf.
88L’industrie du gisement de Salzgitter‑Lebenstedt (région du Harz en Allemagne) est peut‑être celle qui présente le plus de similitudes avec celle de Vinneuf. Les points de comparaisons ne sont pas tant sur les seuls bifaces que sur la coexistence des différentes chaînes opératoires. Nous notons la présence à Salzgitter de bifaces aux caractères micoquiens plus ou moins prononcés (avec des bifaces ovalaires ce qui est rare dans les industries micoquiennes, cette morphologie est plutôt considérée comme acheuléenne) accompagnés d’une chaîne opératoire de type Levallois linéal et récurrent à éclat/lame/pointe (les outils sont sur supports prédéterminés), une chaîne opératoire laminaire utilisant le procédé du débordement (présence des lames à retouches abruptes et marginales) et une chaîne opératoire visant à produire des « outils de fortune » (sur petit galet rappelant les outils « en bout de galet » de Vinneuf). La présence importante du débitage Levallois et des outils sur support Levallois confère une forte ressemblance avec Vinneuf (Tode 1982) ; l’auteur pense à une industrie intermédiaire entre Acheuléen supérieur et Micoquien, l’influence acheuléenne se faisant sentir par le débitage Levallois et l’influence micoquienne sur les bifaces. Ce gisement est daté par 14C de 48 000 à 55 000 BP ; il pourrait être plus récent que Vinneuf.
89En France, et sur le plan régional, seuls deux sites peuvent soutenir la comparaison avec Vinneuf. Le premier est le gisement de Villeneuve‑l’Archevêque (niveau C) qui se trouve également sur le tracé de l’autoroute A5. Les deux industries sont techno‑typologiquement similaires (cf. chap. 4.5). Bien que l’industrie soit plus pauvre qu’à Vinneuf, ce niveau micoquien complète parfaitement les données de Vinneuf. Tout d’abord, il confirme une densité importante d’occupation du territoire du Sénonais par des groupes micoquiens (présence également d’un biface micoquien isolé sur le site de Lailly/Beauregard, cf. chap. 4.3). De plus la mise en place de ceux‑ci est postérieure au sol éémien stricto sensu et antérieur aux sols gris du Weischélien ancien. Ce site tend donc à confirmer l’attribution chronostratigraphique de Vinneuf.
90Le second site, Verrières‑le‑Buisson (Essonne), est situé à quelques kilomètres au sud de Paris dans la vallée de la Bièvre. Ce site a fait l’objet d’une importante publication (Daniel et al. 1973 ; Sacchi et al. 1978). La couche inférieure (C3) a été attribuée à un micoquien à débitage Levallois d’éclats et de lames et est datée, stratigraphiquement, de l’Eémien. D’après l’inventaire et les planches de dessins publiés, il est difficile de comparer les bifaces aux types définis par G. Bosinski et donc de rapprocher cette industrie de l’un des faciès du micoquien. L’ensemble de ces outils bifaciaux évoque cependant bien une industrie micoquienne. Le débitage laminaire est très présent dans cette industrie ce qui la rapproche de Vinneuf et de Villeneuve‑l’Archevêque et de Salzgitter et l’éloigne des industries trouvées dans les massifs allemands de la chaîne jurassique où la composante laminaire est plus faible. Il faut cependant noter qu’ici le débitage laminaire est de grande dimension et Levallois. Il est en relation directe avec l’imposante taille de la matière première (une table de grès stampien démantelée).
4.1.3.4 Analyse spatiale
Méthodologie limites et contraintes
91L’analyse spatiale ne portera que sur la doline, étant donné le faible nombre de pièces trouvées à l’extérieur de la doline. Les interprétations que nous proposons ci‑après reposent sur une fouille, rappelons‑le, qui a été pratiquée selon deux techniques, fouille manuelle et fouille « à la pelle mécanique ».
92La partie nord de la doline (section 32) a été fouillée manuellement sur 58 m2 pour 5 m2 à la pelle (sondage 18, fig. 38). La tranchée stratigraphique 37 (fig. 38) est postérieure à cette fouille et reprend les mètres carrés E/188 à 194. 63 m2 ont donc été fouillés.
93Les surfaces de fouilles en sections 18 et 19 et l’ensemble des sondages stratigraphiques des sections 8‑18‑19‑20‑30‑31, exceptées les tranchées 15 et 37 postérieures à la fouille fine (fig. 38) ont été fouillés à la pelle mécanique suivant la méthode exposée précédemment.
94Les surfaces fouillées sont de 75 m2 en section 18, de 78 m2 en section 19. Les sondages ont une emprise cumulée de 40 m2. Enfin, les sections 6 et 7 (347 m2 en section 6 et 343 m2 en section 7, soit au total sur 690 m2 d’un seul tenant) ont été explorées selon les deux méthodes. La figure 57 indique les emplacements des secteurs en fonction de la méthode de fouille (totaux de 285 m2 en fouille manuelle et de 405 m2 fouillés à la pelle). L’usage, aussi fin soit‑il, d’une pelle mécanique, ne permet guère de retrouver tous les petits objets inférieurs à 3 cm. Esquilles et petits supports sont donc sous‑représentés dans les secteurs fouillés à la pelle mécanique. Au sein de la doline, 343 m2 ont été fouillés manuellement pour 603 m2 à la pelle ; soit un total de 946 m2 reconnus.
95De manière générale, la densité des objets est beaucoup plus faible dans les zones explorées selon cette méthode et l’emploi de la pelle mécanique accroît l’amplitude entre fortes et faibles densités au sein de ces zones au lieu d’effacer les différences.
96Si nous avons perdu en finesse d’analyse, nous avons gagné en cohérence car nous sommes en mesure de proposer une analyse spatiale basée sur la notion de site au Paléolithique moyen. En effet, les analyses spatiales des gisements de cette période reposent sur des surfaces de fouille généralement peu importantes de sites dont les limites ne sont pas connues. Au contraire, nous avons à Vinneuf pour la première fois les limites précises d’un gisement de plein air. Notre analyse spatiale n’est donc pas complètement contrainte par le cadre archéologique de travail, mais elle cherche au contraire à rendre compte de l’espace occupé par les Préhistoriques (Bosinski 1976b ; Tuffreau 1988). Une fouille classique ne nous aurait jamais permis de proposer des interprétations à cette échelle d’analyse. Le niveau N2 est trop pauvre en matériel pour qu’une quelconque analyse puisse en être faite. Le matériel, composé de 52 pièces, n’a été identifié de façon certaine qu’en sections 6 et 7. Le niveau N0, le plus récent, comprend un peu plus d’objets (147 pièces) que le niveau N2. Ce niveau a été entièrement fouillé à la pelle mécanique afin de pouvoir accéder au niveau sous‑jacent beaucoup plus riche. Seul est donc analysé le niveau N1.
Analyse spatiale du niveau N1
Description du niveau
97Ce niveau est constitué généralement par un lit de pièces à des altitudes proches les unes des autres pouvant ainsi matérialiser un sol. Parfois, les pièces se répartissent sur une hauteur pouvant aller jusqu’à 35 cm (Courtin, Villa 1982).
98Les phénomènes climatiques et pédologiques, les animaux fouisseurs expliquent en partie cette répartition verticale. C’est ainsi qu’il convient de signaler une lame cassée en deux morceaux (carré H/144, section 6) et retrouvée à 14 cm d’écart d’altitude. De même, pour le remontage des deux lames sur leur nucléus, la première lame remontée se situe 32 cm plus haut que le nucléus ; tandis que la seconde lame, trouvée à côté de la première, n’est qu’à 4 cm au‑dessus de l’altitude du nucléus. Lames et nucléus sont distants de 50 cm. Ailleurs, un biface (carré R/156, section 7) a éclaté en deux sous l’action du gel, dans la zone plane de la doline. L’éclat de gel a été retrouvé à une distance de 110 cm et à une altitude voisine du reste du biface.
99Cependant, l’ensemble de ces phénomènes perturbateurs, en général limités sur des petites zones, ne suffisent pas à expliquer la dispersion verticale et horizontale d’une partie du matériel. Le niveau N1 ne reflète donc pas une occupation unique mais plutôt une occupation principale suivie d’occupations secondaires. Cette hypothèse est assise sur la manière dont le niveau se présentait en fouille, confirmée par l’établissement des profils des pièces (fig. 52 et 53).
J.‑M.G. ; DAF del. / AFAN
Analyse spatiale
100Lorsque les Préhistoriques sont venus, la doline était perceptible comme structure d’accueil, c’est‑à‑dire une structure en creux. La doline, qui suit le pendage général du plateau, est une cuvette dissymétrique, la partie nord étant plus haute que la partie sud ; de même, le côté oriental est surélevé par rapport au côté occidental. Comme on peut le voir sur le plan de répartition général (fig. 54), la ceinture de cailloutis de la doline a servi de limite naturelle à l’installation des Préhistoriques ; en effet, très peu de mobilier a été retrouvé sur la nappe de graviers, notamment sur les parties nord, est et ouest, la partie sud ayant été en partie érodée.
101D’après le plan de répartition générale (fig. 54), on ne peut pas dire que les occupations des Préhistoriques soient localisées sur les bords de la doline plutôt qu’à l’intérieur même si on note une densité de répartition légèrement plus forte sur les bords. La répartition des vestiges n’est donc pas uniforme et des zones vierges apparaissent ainsi que des zones de moins forte densité.
Les nucléus
102En comparant la répartition des nucléus (fig. 55) et la distribution générale des objets, on s’aperçoit, que les nucléus sont pratiquement absents du cœur de la doline. Sur la partie nord du gisement, en section 32, les nucléus (10 pièces) sont nettement regroupés sur les cinq à six premiers mètres depuis le bord. Au sud du gisement, en position diamétralement opposée, la situation est comparable. Les pièces se distribuent en forme de croissant. La moitié du croissant épouse également la zone des cinq à six premiers mètres de la doline, tandis que le reste se situe aux alentours du sondage de la découverte du gisement (sondage 2) ; zone plus interne à la doline.
103A cet endroit, l’arrêt de la distribution des nucléus nous semble brutal, ce qui nous incline à distinguer la zone du cœur de la doline (dénommée zone C) du reste de la structure d’accueil. Cette limite, matérialisée par une ligne de pointillés sur les plans, est à environ 22 m du bord. Au‑delà de cette limite, on ne trouve plus que 4 nucléus pour une surface de 150 m2, tandis qu’au‑dessous, il y a 53 nucléus sur 572 m2. La majorité de ces nucléus se répartit sur le bord de la doline.
104De la même manière qu’en section 32, nous avons ainsi délimité sur le bord sud les cinq à six premiers mètres de la doline par une ligne pointillée et l’avons dénommée « zone A », la partie médiane devenant « zone B ».
105Sur les 690 m2 de la partie sud du gisement, le détail de la distribution en croissant des nucléus au débitage élaboré (sections 6 et 7), révèle une répartition plus fine en trois secteurs, séparés par de larges surfaces vides (autour du sondage 2, à l’ouest du sondage 8, sur le bord sud‑ouest, fig. 55). Nous pensons que l’essentiel de l’activité du débitage s’effectuait sur ces trois secteurs ; quelques nucléus au débitage peu élaboré ont pu être débités en périphérie de ces secteurs ou bien alors emportés en‑dehors des zones de débitage après arrêt de ce dernier.
106De plus, les emplacements des pièces ayant pu être remontées confirment l’existence de ces secteurs de débitage. Trois postes de débitage ont ainsi pu être matérialisés et localisés sur le bord de la doline, en zone A : deux postes sont situés dans le secteur du bord sud‑ouest et le troisième appartient au secteur à l’ouest du sondage 8 (fig. 56 et 57).
107En section 32, à plus de 70 m des postes de débitage de la zone A de la section 6, les 10 nucléus (dont 2 élaborés) se répartissent autour d’une petite cuvette de 2 m de diamètre (fig. 55), ceinturée de colluvions de graviers provenant du bord tout proche, où s’est déroulé une activité de façonnage de biface (Tuffreau 1976b). 3 éclats (dont 2 éléments corticaux) et 2 éclats fins ont pu être remontés. À nouveau, les activités de débitage/façonnage sont localisées en zone A.
108Il est à noter que sur la partie ouest de la fouille (bandes A à C/188 à 193), une partie du mobilier a glissé depuis le bord tout proche, très pentu à cet endroit. L’amplitude du glissement est évalué à 2 m minimum (remontage d’un bloc de grès cassé naturellement).
109Ont été fouillés 30 m2 supplémentaires (est de la doline ; quadrilatère S à X/137 à 141 de la section 18) ; nous y avons trouvé 5 nucléus positionnables en zone B définie précédemment. La partie centrale de la doline (zone C) n’offre que 4 nucléus. L’étude technologique des produits de débitage qui les entourent permet de suggérer que le débitage n’a pas eu lieu au cœur de la doline, ou tout au moins sur les surfaces fouillées (environ 242 m2).
11010 rognons de silex, bruts ou testés, ont été amenés dans la doline (fig. 58). Ce sont probablement des blocs de réserve de matière première. Trois de ces pièces appartiennent au secteur de débitage situé en zone B de la section 7 et confirment le rôle de ce dernier, bien qu’aucun remontage n’ait été mis en évidence. Quatre sont localisés en section 32 en liaison avec la zone de débitage. Deux pièces confirment le secteur de débitage situé à l’ouest du PM 008, au bord de la doline. Un dernier rognon a été trouvé dans le quadrilatère S‑X/137‑141 ce qui suggérerait l’existence d’une aire de débitage sur cette zone.
Les produits de débitage
111À l’échelle de la doline, la répartition des produits de débitage (fig. 59) est le reflet de la répartition générale des vestiges. En zones A et B, les points de concentration des produits de débitage correspondent à ceux des nucléus. Le déplacement des produits de débitage ne remplit pas « l’espace vide » de manière uniforme. Les Préhistoriques les ont emporté à des endroits précis dessinant ainsi des concentrations ponctuelles (fig. 56 et 59).
112Nous avons noté que les produits de débitage ceinturaient un espace vide d’environ 8 m2, situé en section 7 (N‑O‑P/153‑154‑155) au sein d’une concentration principale de vestiges ayant la forme du croissant déjà mentionné et délimité par des surfaces « vierges » de plusieurs dizaines de mètres carrés (fig. 56). Dans la zone centrale, il apparaît clairement que les objets ont été importés et non débités sur place. À nouveau, on note des concentrations ponctuelles et non une répartition uniforme.
113Ces produits importés soit de l’extérieur du gisement, soit de la périphérie de la doline après débitage (zones A et B) sont des objets d’excellente qualité en général, notamment de nombreux supports laminaires.
114La distribution des nucléus au débitage élaboré a permis de démontrer que les lieux de production des supports prédéterminés (lames non Levallois et éclats Levallois) sont spatialement plus localisés que ceux des supports peu prédéterminés. Nous pouvons donc dire que les supports prédéterminés ont été diffusés plus largement que les autres supports depuis leurs lieux supposés de fabrication (fig. 60 et 61).
Les outils
115La distribution des outils (fig. 62) n’est guère différente de celle des produits de débitage, ce qui pourrait signifier que les fonctions des pièces retouchées ou non retouchées avaient lieu à peu près dans les mêmes zones. La remarque n’est pas vraie pour les bifaces comme nous le verrons plus loin.
116En zones A et B des sections 6 et 7, les outils (notamment aux supports prédéterminés) se rencontrent, pour beaucoup, là où les nucléus ont été retrouvés. Cela pourrait signifier qu’une majorité des supports, une fois débités puis retouchés ont été utilisés sur le lieu de production. Quelques outils ont été emmenés à la corde et à l’extérieur de la concentration principale en forme de croissant déjà mentionnée (zone B).
117Près d’un quart des pièces est localisé en zone C. Leur transport vers le centre de la doline est manifeste. De même que pour les produits de débitage, ce sont la plupart du temps des produits de qualité et non des outils de fortune
118En section 32, deux outils ont été retrouvés dans l’amas de façonnage de bifaces et les outils sont nombreux à proximité. La fonction de ce secteur n’est donc pas liée aux seules actions de production d’éclats et de bifaces. Une activité d’utilisation des outils est également possible.
119Contrairement aux supports prédéterminés, dont nous avons vu qu’ils avaient largement circulé par rapport à leur lieu de production supposé, les outils sur le même type de support semblent plutôt avoir été utilisés sur ou près des lieux de production.
120Ainsi, les outils sur support peu prédéterminé ont circulé de manière plus large que les outils sur support prédéterminé depuis les endroits où les supports respectifs ont été confectionnés (fig. 63). En règle générale, la catégorie outil a légèrement moins circulé que la catégorie produits de débitage.
Les bifaces
12127 bifaces ont été trouvés dans ce niveau (fig. 58), en général à la périphérie des concentrations et parfois au sein de secteurs pauvres en mobilier. Ils sont tantôt seuls, tantôt regroupés, notamment par paire. C’est ainsi qu’en section 32 nous avons découvert 4 bifaces sur les 25 premiers mètres carrés de la fouille, tandis que nous n’avons trouvé qu’un seul biface sur 125 m2 de fouille manuelle en section 6 (B à L / 132 à 146). Une surface de fouille trop réduite peut ainsi empêcher la découverte de bifaces et fausser l’attribution culturelle du mobilier. Nous aurions ainsi qualifié le matériel de cette zone de fouille soit d’épi‑acheuléen (Tuffreau 1979b ; à paraître) soit de micoquienne sous toute réserve (le biface trouvé en J‑149 est typiquement un biface micoquien (fig. 46, no 1).
Les blocs de grès
122Nous avons coordonné tous les blocs de grès retrouvés dans le limon de la doline (zones B et C). Leur apport nous apparaît tout de suite comme étant anthropique car ils ne sont pas associés à des cailloutis de solifluxion qui auraient pu provenir de la nappe alluviale ceinturant la doline. Certains blocs ont été travaillés par l’homme. Leur répartition est peu significative (fig. 58). On peut tout au plus signaler qu’ils sont rares dans la zone centrale de la doline (deux pièces) et que les blocs situés en début de zone B de la section 6 semblent être associés à un groupe de trois bifaces (fig. 58). Les autres catégories de vestiges sont rares à cet endroit, situé à la limite ouest de la concentration principale des sections 6 et 7.
4.1.3.5 Conclusion
123L’industrie de Vinneuf se caractérise par la présence de quatre groupes homogènes d’outils standardisés : les racloirs, les outils sur galet, les bifaces et les outils sur lames (Gouédo 1993).
124Les racloirs simples et doubles dominent largement le groupe des racloirs et il faut noter l’absence des racloirs transversaux et à retouches bifaces. Il existe un choix manifeste des supports prédéterminés et débordants correspondant aux productions des phases de plein débitage des schémas opératoires laminaires.
125Les outils confectionnés sur galet de la nappe alluviale sont plus nombreux que les racloirs (53 pièces contre 33). Il y a sélection de ce type de matériaux pour confectionner des outils robustes (Marcy 1989) avec les becs, mais également le groupe des encoches et des denticulés ainsi que les types d’outils généralement plus faiblement représentés (limace, burin, racloir à retouche abrupte, pièce à retouche abrupte ou biface, pointe triédrique, chopping‑tool et pièce esquillée).
126L’analyse morphotechnologique et typologique des bifaces montre la similitude des bifaces de Vinneuf avec ceux d’industries qualifiées de micoquiennes en Europe centrale. Il faut signaler la présence d’un prondnick et d’un faustkeilblätter qui ne déparerait pas, morphologiquement parlant, dans un Moustérien de tradition acheuléenne de type A.
127Cette ressemblance des bifaces de Vinneuf avec les bifaces provenant de sites micoquiens d’Europe centrale montre que nous sommes en présence d’une industrie micoquienne (Bosinski 1967 ; 1968 ; 1976a) et non pas acheuléenne (Bordes 1961 ; Tuffreau 1976a ; 1979b ; 1982 ; à paraître ; Farizy 1986 ; Farizy, Tuffreau 1986).
128Le schéma opératoire laminaire, non Levallois, fortement prédéterminé est parfois comparable à celui décrit pour les nucléus sur blocs du site de Rocourt, et peut‑être pour ceux de Rheindalen (niveau B 1) et de Tônchesberg (niveau 2b). D’autres modalités laminaires, sont aussi présentes (Levallois, débitage à partir de lame à crête et sur arête de biface). Ainsi et sur la base de la présence de la modalité avec lame à crête, un rapprochement avec les sites de Seclin, de Riencourt‑lès‑Bapaume et de Saint‑Germain‑des‑Vaux peut être fait. Cependant il convient de souligner que dans ces derniers sites l’aspect qualitatif est bien maîtrisé alors qu’à Vinneuf le débitage n’a pas toujours réussi à dépasser le stade de la tentative de l’enlèvement de la lame à crête. Au regard de la panoplie des outils sur lame et non plus des seuls schémas opératoires ; il est incontestable que tous les sites ci‑dessus mentionnés sont comparables et forment un groupe homogène.
129Les sites micoquiens, où le débitage laminaire et le débitage Levallois semblent rares (Tode 1982 ; Mania, Toepfer 1973), sont attribués au début glaciaire ou au sol interglaciaire et très rarement au Saalien (niveau B 2 de Rheindalen ; Bosinski 1986). D’autre part les gisements ayant livré du débitage laminaire sont fort peu nombreux dans le nord‑ouest de l’Europe (Tuffreau 1983). Tous les sites mentionnés ci‑dessus sont datés du début glaciaire Weichsélien. Les éléments d’ordre micromorphologique et archéologique semblent concorder pour attribuer un âge début glaciaire à l’industrie du niveau N1 de Vinneuf.
130Le niveau N0, d’un point de vue technotypologique, est très semblable au niveau N1. L’étude technologique, essentiellement en ce qui concerne les bifaces, autorise la même attribution culturelle à savoir un Micoquien. En accord avec l’analyse micromorphologique, ce niveau se rapporte donc à une industrie micoquienne d’âge début glaciaire.
4.1.4 Interprétation
4.1.4.1 Interprétation dynamique de l’occupation du site
Apport des données géomorphologiques
131La doline a été une structure favorable à la conservation des niveaux archéologiques. En effet les niveaux enfouis au creux de la doline ont aussi été protégés de l’érosion très importante des collines lors des phases climatiques du Weichsélien et du Postglaciaire.
132Cette convergence, pour le Sénonais, de facteurs à la fois attractifs et de conservation autour des structures karstiques de surface, peut expliquer l’abondance des vestiges du Paléolithique ancien et moyen sur le Plateau sénonais et du Pays‑d’Othe. En effet, l’importance des structures karstiques de cette région a dû favoriser la préservation d’occupations paléolithiques d’âge ancien sur les plateaux, alors qu’en général ce type d’implantation est rarement protégé ; d’autres sitesdu Paléolithique moyen ont été repérés sur le tracé de l’autoroute A5 dans un contexte similaire.
133Sur la commune de Gisy, 13 km à l’est du site de Vinneuf, les sondages géologiques et archéologiques ont mis en évidence des structures karstiques, moins importantes que celle de Vinneuf, mais présentant elles aussi une sédimentation sablo‑limoneuse (Gouédo et al. 1990b). L’érosion a éventré ces structures sur le flanc d’un vallon sec. Le matériel paléolithique trouvé en surface et au décapage est issu des sédiments colluviés de ce remplissage karstique. Si aucun niveau d’occupation en place n’a été mis en évidence, par contre, l’origine du matériel paléolithique a pu être déterminée.
134Un autre site, sur la commune de Molinons (cf. ce vol.) a révélé aussi dans le cadre de sondages géologiques et archéologiques, la présence d’un niveau du Paléolithique moyen dans des structures karstiques trouvées au sommet de l’interfluve entre deux vallées dissymétriques, l’Alain à l’ouest, le vallon du Grand Chanteloup à l’est.
135Le karst est comblé de sable argileux rouge, de cailloutis de silex et de limon sableux brun‑rouge à structure glossique. Quelques pièces paléolithiques ont été trouvées reposant à la fois sur le cailloutis de silex et dans les limons sableux au creux des dolines. Les sondages systématiques réalisés sur les crêtes de collines ou les hauts des plateaux nous ont permis de constater l’étendue de ces phénomènes karstiques de la craie sous couverture sablo‑limoneuse à cailloutis de silex du Tertiaire ou du Quaternaire. Ces structures permettront probablement un jour la découverte de gisements paléolithiques anciens en place sur les plateaux du Sénonais et du Pays‑d’Othe. Par contre ces sites poseront toujours de difficiles problèmes de chronostratigraphie.
136Le contexte en doline a pu présenter un certain attrait pour une occupation de plateau. En effet, la faible couverture en formations superficielles de la craie aux environs entraîne une infiltration des eaux de ruissellement très importante. Sur le plateau crayeux, les sources sont rares. Aujourd’hui elles n’apparaissent que sur les zones couvertes de formations sableuses d’âge tertiaire ou du début du Quaternaire, circonscrites au sommet des buttes. C’est sur ces mêmes buttes que les structures karstiques de surface sont les mieux développées. La proximité d’un point d’eau et une configuration topographique légèrement en creux, ont pu être des facteurs d’attraction importants pour le choix d’une implantation d’habitat en‑dehors des zones alluviales et particulièrement ici, au sommet du plateau crayeux dominant la confluence Seine‑Yonne. Ceci est vrai pour le gisement de Vinneuf mais aussi de l’ensemble des dolines du Bois des Rasets. L’abondance de galets de silex dans une zone où la craie est pauvre en matière première siliceuse a pu avoir un certain attrait.
Apport des données archéologiques
137Les Micoquiens du niveau N1 se sont installés en partie sur les graviers de la nappe alluviale mais également au sein de la doline. Celle‑ci se présentait alors sous une forme approximativement circulaire, d’un diamètre voisin de 75 m et d’une profondeur maximum d’1 m en son centre par rapport à la bordure nord. Le bord sud est légèrement déversé par rapport au bord nord.
138Le silex roulé de la nappe alluviale est utilisé pour réaliser des outils peu élaborés (encoches, denticulés, chopping‑tools). Un silex de la craie, de bonne qualité, a été apporté et débité de manière préférentielle sur les bords internes de la doline. À cet endroit, le substrat est composé de lentilles, de graviers soliflués dans le limon sableux. Trois postes de débitage sur le bord sud et un poste de façonnage de bifaces sur le bord nord, révélés par des remontages et par une majorité de nucléus abandonnés, matérialisent une occupation spécifique de cette tranche d’espace (zone A, les six premiers mètres environ). Dans cette première tranche s’est déroulée la partie débitage des chaînes opératoires laminaire et biface dans le meilleur silex (exogène au substrat) et la chaîne au débitage peu prédéterminé plutôt réalisée en silex roulé et gélif mais affleurant sur le lieu même. Une partie des opérations de débitage s’est effectuée sur un secteur plus interne de la doline (zone B, section 6).
139À partir des secteurs de débitage, spatialement bien délimités (notamment par les nucléus laminaires retrouvés groupés), on observe que beaucoup de produits prédéterminés et peu prédéterminés, retouchés ou non, sont exportés soit à courte distance (restant en zones A ou B), soit plus loin dans la partie centrale de la doline (zone C).
140Au centre, tous les produits ont été importés, y compris probablement quelques nucléus et sont en général de bonne qualité (nombreux supports laminaires, raréfaction des outils de fortune). La limite de la zone centrale a été fixée à environ 22 m des bords de la doline par le fait que les secteurs de débitage et les nucléus n’ont pas été retrouvés au‑delà.
141En sections 6, 7, 18 et 19 là où la surface de fouille est significative pour une analyse à grande échelle (726 m2 d’un seul tenant), l’exportation des supports aux alentours des secteurs de débitage dessine une concentration principale ayant la forme d’un croissant. Au‑delà, l’exportation des produits ne s’est pas faite de manière uniforme sur l’ensemble de la surface de la doline mais a concerné de petites zones bien délimitées, séparées par des surfaces vierges de vestiges.
142Par rapport au secteur où se trouvent les nucléus susceptibles de les avoir produits, les supports prédéterminés issus des méthodes de débitage laminaire non Levallois et Levallois (à éclat et à lame) ont été diffusés plus largement que les supports au débitage peu prédéterminant. À l’inverse les outils sur supports prédéterminés ont moins circulé que leurs homologues sur supports moins élaborés. Les critères « retouché » et « non retouché » sont discriminants mais difficiles à interpréter en l’absence d’une étude tracéologique.
143De même, la distribution toute différente des bifaces doit matérialiser une activité spécifique qui semble requérir de nouveaux espaces par rapport à ceux où sont utilisés les supports, bruts ou retouchés, prédéterminés ou non. Les bifaces sont souvent groupés à la périphérie des zones de concentrations principales. Parfois, ils peuvent être en position isolée. Il a été également remarqué que certains bifaces semblent être en relation avec la distribution de blocs de grès, souvent naturels, parfois percutés ou débités.
144Les activités des Micoquiens sont assurément différentes bien sûr en fonction de la nature de l’objet, mais aussi en fonction de la topographie du site et de la nature du substrat sur lequel ils ont marché (graviers ou limon).
145Toute la surface de la doline n’a pas été occupée et de larges zones vides isolent les concentrations de mobilier. La densité en objet est assez faible (de 0 à 10 pièces maximum, excepté l’amas de façonnage de biface), et les pièces peuvent parfois se répartir sur 35 cm d’épaisseur. Cela permet de suggérer de courts passages par un faible nombre d’individus plutôt qu’un habitat de longue durée par un groupe plus nombreux numériquement.
146Le mobilier étant technotypologiquement similaire d’un endroit à l’autre de la doline et l’analyse spatiale étant homogène à l’échelle de la doline ; cela laisse donc penser que le site reflète un palimpseste d’occupations de courtes durées, probablement rapprochées dans le temps et par des individus appartenant au même groupe culturel.
147Lorsque les Micoquiens du niveau N0 ont fréquenté la doline, celle‑ci était pratiquement comblée par le limon. Les hommes se sont donc installés sur un terrain à peu près plat, l’effet de structure naturelle d’accueil ayant diminué. La très faible densité du mobilier ne permet pas une analyse spatiale. Le mobilier est identique à celui du niveau sous‑jacent. Ce sont donc probablement le ou les mêmes groupes micoquiens qui ont fréquenté alors la doline.
4.1.4.2 Hypothèses sur le choix et la fonction du site
148La doline est située sur le point le plus haut du secteur, dominant ainsi chacune des deux vallées mais également l’interfluve. A cet endroit, ce dernier est peu large (9 km) ce qui rend accessible les deux fleuves en peu de temps et permet de surveiller éventuellement les troupeaux.
149L’activité karstique montre que l’eau n’était guère présente sur les hauteurs sous la forme d’un ru permanent. Cependant, il est possible que l’effet de cuvette de réception des eaux –lesquelles pouvaient stagner temporairement après les pluies au cœur de la doline, grâce à l’imperméabilité de la couche limoneuse– ait pallié cet inconvénient. Probable source d’approvisionnement d’eau, la doline a servi de gîte de matière première également. Les Micoquiens ont extrait des gros blocs de grès et des rognons de silex des colluvions de la vieille nappe alluviale, qui cernent la dépression limoneuse, pour confectionner une partie de l’outillage. Enfin, il est assez logique de penser qu’à elle seule la doline n’était pas une structure d’accueil suffisamment protégée ; toutefois, renforcée par des abris en branchages, archéologiquement non démontrés, la protection contre les vents pouvait s’avérer très efficace.
150Ainsi les fonctions du site ne sont approchables que par l’analyse du seul matériel lithique, puisque les restes de faune ne nous sont pas parvenus du fait de la décarbonatation. Le matériel lithique montre que la fonction du site comme faciès d’atelier de taille est à rejeter et cela pour plusieurs raisons. Il y a peu de silex débités et d’ébauches. On peut également noter l’absence de véritables amas de débitage et la rareté des percuteurs.
151La matière première du cailloutis colluvié de la nappe alluviale est de mauvaise qualité. L’usage de celle‑ci indique l’existence d’une première chaîne opératoire que l’on peut résumer par la production d’un débitage peu prédéterminant et d’outils grossiers (encoches, denticulés, chopping‑tools). Cette chaîne n’est pas dominante en terme de production quantitative sur les autres chaînes (laminaire et biface). Si l’on était en présence d’un faciès d’atelier, cette chaîne non Levallois aurait été qualitativement et quantitativement majoritaire puisque la matière première était sur place et pourquoi alors importer du silex « frais » en plus grande quantité, pour les deux autres chaînes opératoires ?
152Le fait que l’on retrouve sur les bords de la doline les pièces de débitage en silex importé, de bonne qualité, quasi‑exclusif des deux chaînes opératoires complexes (laminaire et Biface), ne démontre pas un faciès d’atelier de taille de ce matériau, mais simplement une adéquation entre la nature du substrat et les étapes des chaînes opératoires. Si le débitage a été effectué sur les bords et non vers l’intérieur ou l’extérieur, c’est que ce dernier présentait également un sol d’installation différent du cœur de la doline et non pas uniquement pour son abondance en matière première de mauvaise qualité.
153Il y a eu débitage là où le terrain était légèrement en pente, caillouteux et donc probablement drainé. Par contre, le centre de la doline n’a été l’objet que de l’utilisation des produits de qualité et non de leur production. Il y a donc quête d’un espace de nature différente pour une utilisation différente issue elle‑même d’une production différente.
154La spécialisation des tâches en fonction de la nature de l’espace occupé constitue à nos yeux un premier degré de structuration de l’espace habité même si les fonctions précises des objets nous échappent. C’est en ce sens que nous parlerons d’activités domestiques même si aucune structure d’habitat (fosse, trous de piquets, pavage...) n’a été mise en évidence. Il faut cependant rappeler la probable existence d’un foyer.
155En l’absence d’analyses de micro‑traces et de restes de faune, nous ne pouvons guère préciser davantage les utilisations des supports amenés dans la doline. La répartition spatiale particulière des bifaces permet simplement de suggérer que ces derniers étaient réservés à des activités requérant un espace différent des autres supports.
156De plus, les facteurs écologiques (présence d’un point d’eau, espèces d’arbres différentes ?) nous sont inconnus ainsi que leurs conséquences probables sur l’occupation humaine de la doline. Ainsi, les 8 m2 vierges mais ceinturés de vestiges, mis en évidence en section 6, peuvent tout aussi bien être le témoin négatif d’un espace de repos que d’un bosquet d’arbres.
157Une couverture végétale importante dans la doline a bien pu attirer les Préhistoriques au sein de celle‑ci et canaliser les lieux d’activités différents vers des endroits spécifiques.
158Pour conclure, nous dirons que Vinneuf n’est ni un site d’habitat de longue durée, ni un site d’atelier de taille. Sa fonction est probablement assez spécialisée. Elle s’opère dans l’espace déterminé de la doline, ne nécessitant que de très courts passages des chasseurs qui se matérialisent par un faible rôle du débitage sur place (faible en quantité et par le fait que certains produits prédéterminés débités sur place ont peu circulé) et par l’apport extérieur d’outils déjà finis (bifaces, pointe moustérienne) ou provenant des postes de débitage. Ces outils retouchés ou non, débités sur place ou apportés, sont emportés pour certains vers la zone limoneuse afin d’y être utilisés pour des tâches qui restent inconnues.
159Le gisement de Vinneuf peut donc être interprété comme un site d’habitat temporaire peut‑être lié à des haltes de chasses.
4.1.4.3 Comparaison avec d’autres gisements en doline
160A notre connaissance, trois gisements du Paléolithique moyen et un quatrième du Paléolithique inférieur, en doline, ont été étudiés. L’un de ces gisements est celui de plein air de la Plane, commune de Mazeyrolles en Dordogne (Fouille J. Guichard puis A. Turq). L’étude de ce gisement est en cours mais une note préliminaire a été publiée (Kervazo et al, 1989).
161Ce gisement présente d’importantes similitudes avec Vinneuf tant en ce qui concerne sa situation géomorphologique que son mode d’occupation. On remarque en effet, comme à Vinneuf, que la dépression est située en position de plateau dominant l’interfluve de plusieurs rivières (Dordogne, Lot, Couze et La Lémance). Le modelé du terrain à l’époque de l’occupation par les Paléolithiques est pratiquement identique à l’actuel. Les hommes se sont installés sur des niveaux de ruissellements et de solifluxions, connotant un climat humide. Trois éléments ont attiré les hommes à cet endroit. Le premier est la présence d’une mare au fond de la doline. Le second est l’abondance en matières premières locales surtout accessibles sur les rebords de la doline. Il semble qu’il y ait eu attirance du terrain drainé (rebords) par les hommes afin de s’y installer. Ces conclusions sont similaires aux nôtres. Dans ses grandes lignes la gestion des matières premières offre également la comparaison avec Vinneuf. À Mazeyrolles, on note la coexistence de plusieurs chaînes opératoires en fonction de la nature et de l’éloignement des matières premières. Les types de silex exogènes ont un taux de transformation en outils supérieur à la matière trouvée sur place qui est débitée in situ. L’analyse de la répartition spatiale du mobilier n’a pas pu être tentée, ce qui est regrettable car au vu de la similitude des modes d’occupation de la topographie de ces sites, il est possible que celle‑ci aurait présenté également des points communs avec Vinneuf. Le site de Mazeyrolles se distinguent de Vinneuf par les éléments suivants :
– la doline est tout d’abord environ deux fois plus grande et sa profondeur est de l’ordre d’une dizaine de mètres ; la pente est donc plus accentuée ici ;
– le gisement est très riche en mobilier et le palimpseste évoqué par les auteurs doit donc être le reflet de phases d’occupation du site plus intenses qu’à Vinneuf ;
– la matière première trouvée sur place n’a pas servi à produire des outils de fortune car c’est une matière de bonne qualité ;
– l’analyse de l’outillage a révélé une identité de composition des outillages fabriqués dans les différents matériaux et a mis en évidence un apport important sur le site de produits Levallois (II typ. supérieur à 65) ; l’industrie a été rapportée à un Moustérien ; un âge d’environ 70 000 est proposé par les auteurs.
162De ces éléments il semble ressortir que si le mode d’occupation de la topographie du site est comparable à celui de Vinneuf, la nature des activités qui s’y sont déroulées était sinon différente tout au moins plus répétée et intensive (site d’habitat durable plutôt que des haltes de chasses ?).
163Le second site est également situé dans le sud‑ouest de la France. Il s’agit de la doline P1 du Prône sur la commune de Saint‑Gauzens dans le Tarn, fouillée à partir de 1976 par C. et G. Servelle. Une étude préliminaire a été publiée par les fouilleurs (Servelle, Servelle 1981). Cette doline s’est formée aux dépens d’un calcaire stampien sous‑jacent à des alluvions gunziens qui ont facilité les infiltrations d’eau de pluie. Le secteur est actuellement une butte témoin en position d’interfluve entre le Dadou situé à 2 km au nord à vol d’oiseau et l’Assou (1,5 km). Les conditions topographiques sont donc très voisines de celles de Vinneuf et de Mazeyrolles. La seule différence que l’on peut noter est qu’ici la doline semble (d’après les plans publiés) avoir une configuration sc présentant sous la forme d’une petite cuvette de quelques dizaines de mètres carrés au maximum (6 x 14 m) aux rebords très pentus, avec une stratigraphie archéologique de 3 m. Le mobilier découvert se compose d’environ 650 objets lithiques (sans compter la faune non étudiée). Le matériel se répartit sur l’ensemble de la stratigraphie au sein de strates sableuses vraisemblablement colluviées mais préférentiellement sur deux niveaux séparés par 2,50 m d’épaisseur. Des pièces lithiques aux états de surfaces bien distincts (frais et roulés) voisinent dans les niveaux repérés. Il faut noter la présence d’un remontage entre les deux niveaux principaux. Ces éléments permettaient aux auteurs de conclure à un démantèlement des structures d’habitat qui devait se situer à la fois dans et à l’extérieur de la doline. L’analyse spatiale du mobilier lithique n’a donc pas été tentée pour ces raisons. Les outils retrouvés ne dépassent pas la centaine et sont largement dominés par les outils nucléiformes au nombre de 48 (classification utilisée : A. Tavoso). Parmi ces derniers les choppers arrivent en tête (40 %) suivis par les bifaces (27 %) puis par les nucléus (23 %, considérés ici également comme outils). La composition typologique générale permet aux auteurs de rattacher l’industrie à un Acheuléen régional et plus vraisemblablement à l’Acheuléen supérieur du fait de la présence de plusieurs bifaces à dos opposé à un tranchant rectiligne. L’étude étant préliminaire, aucune position chronostratigraphique n’est proposée. Les roches aux origines les plus lointaines ont été apportées sous forme de produits finis tandis que les matériaux locaux ont été débités sur place. Il est regrettable que ce site ne soit pas en place car l’analyse spatiale aurait sans doute été plus pertinente pour des comparaisons avec Vinneuf que le fait que nous soyons en présence d’industrie acheuléenne, l’Acheuléen méridional étant très différent de celui du nord de la France. Cependant on peut noter que les conditions topographiques d’installations présentent de grands points communs avec Vinneuf mais également avec Mazeyrolles.
164Les deux derniers gisements sont des dolines localisées dans le département des Vosges, à la limite orientale du Bassin parisien. La première, Chavelot/Clair Bois, s’est formée au sein d’un petit vallon aux dépens du sommet des alluvions granito‑quartzitiques (abondance donc de la matière première sur place) de la moyenne terrasse de Moselle (saaliennes) et des argiles sous‑jacentes du muschelkalk propices au développement de karst. Cette structure naturelle de 45 m de diamètre pour 2 m de hauteur maximale, comporte trois conduits internes montrant ainsi la complexité et la chronologie des phénomènes karstiques. Quatre niveaux archéologiques ont été mis en évidence. Le plus ancien est inclus dans un paléosol qui est corrélé à l’Eémien sensu stricto, le plus récent est contenu dans un limon würmien affecté par les conditions du Pléniglaciaire. Seule l’industrie de l’avant‑dernier niveau a pu être définie typologiquement comme étant moustérienne. En effet, les quatre niveaux d’industrie sont le reflet d’activités de débitage ; les produits de débitage sont nombreux et les remontages importants mais les outils sont rares. La doline de Chavelot, contrairement à celle de Vinneuf, a donc été choisie plutôt pour l’abondance en matière première disponible que pour une occupation type habitat (Guillaume 1982 ; 1987).
165La seconde de ces deux dolines est celle de Vincey/Haut de Beloup (doline 2), située dans le même secteur géographique et dans des conditions géomorphologiques proches de celles de Chavelot. Il s’agit d’une petite doline de 20 m de diamètre maximum. L’industrie est contenue au sein du paléosol déjà mis en évidence à Chavelot (Eémien sensu stricto). La partie centrale (100 m2) n’a été que très peu perturbée par les cryoturbations würmiennes. Une analyse spatiale a donc pu être tentée, motivée également par le fait qu’il s’agit ici d’un habitat et non d’un site d’atelier de taille comme à Chavelot. L’industrie est rapportée à un Moustérien typique (Guillaume 1988). Bien que l’échelle de l’analyse soit fort différente de celle de Vinneuf (ici 100 m2), un certain nombre de points de comparaisons sont possibles. À Vincey, on note la présence de concentrations plus petites autour d’une grande concentration, les zones étant séparées par des surfaces vierges de mobilier. Cependant, ces concentrations se positionnent selon un réseau à angles marqués dont l’interprétation est difficile mais sans qu’il soit possible d’exclure totalement une action partiellement naturelle. Il semble que la partie centrale ait plutôt été réservée à des activités domestiques notamment articulées autour de zones riches en charbons de bois (foyers ?) avec la présence de nombreux outils, du débitage de quelques nucléus et de zonations préférentielles de certains types de supports (éclats pseudo‑Levallois et débordants). Les concentrations périphériques seraient le reflet d’activités de débitage essentiellement. Beaucoup d’éclats Levallois ou de beaux supports pseudo‑Levallois ont été rapportés dans la doline (Guillaume 1989). L’occupation de l’espace n’est pas sans rappeler celle de Vinneuf. A nouveau, la partie centrale de la doline a été l’objet d’activités fort différentes de celles de sa périphérie plutôt liées au débitage. Ce type de comportement est peut‑être en partie induit par la forme même des structures naturelles que sont les dolines ; cependant, toute généralisation est encore prématurée, seuls deux gisements d’habitat ont pu faire l’objet d’analyses spatiales.
4.2 Molinons/Le Grand Chanteloup (vallée de la Vanne)
166j.‑l. locht avec la collaboration de v. deloze, p. pihuit, e. teheux
4.2.1 Introduction
4.2.1.1 Cadre géographique et géomorphologique
167La commune de Molinons se trouve à une vingtaine de kilomètres à l’est de Sens, à la limite départementale de l’Yonne et de l’Aube. Le gisement paléolithique du Grand Chanteloup se situe sur les dépôts limoneux qui couvrent le versant doux de l’interfluve qui domine à l’ouest la petite et riante vallée de l’Alain et à l’est un petit vallon sec. La Vanne coule 1500 m plus au sud (fig. 9).
168Le gisement se situe à une altitude d’environ 130 m NGF, dans un contexte de glacis s’élevant en pente douce vers le nord à partir de la plaine alluviale de la Vanne. Le plateau est découpé selon une direction nord‑sud par des vallées actives telle que celle de l’Alain et par des vallées sèches à remplissage colluvionnaire. Il se présente alors sous la forme de buttes juxtaposées et séparées par des vallées dissymétriques. La butte de Molinons est formée par un versant nord‑ouest à pente abrupte et à caractère crayeux, et par un versant sud‑est à pente douce où se développent plus particulièrement d’épaisses formations limoneuses propres à la conservation des gisements préhistoriques.
4.2.1.2 Conditions de découverte
169Le gisement fut découvert lors de sondages systématiques réalisés sur le tracé de la future autoroute A5 (fig. 64). La prospection de surface avait seulement permis la découverte d’un éclat de facture Levallois. Un sondage à la pelle mécanique fut cependant entrepris en raison de l’importante couverture limoneuse qui recouvrait le versant est de cette butte. La prise en considération des facteurs géomorphologiques et sédimentologiques, déterminants dans la conservation de niveaux préhistoriques a joué un rôle primordial dans le choix de la localisation de ces sondages.
170La première tranchée, au sommet de la butte, a permis la découverte d’un niveau paléolithique enfoui sous 2,5 m de limon (fig. 65) ; un deuxième niveau, nettement distinct du précédent, fut identifié dans la seconde tranchée, au sommet d’un paléosol gris et un décapage à la pelle mécanique permit un diagnostic concernant déjà 1 430 m2 (fig. 64). Le gisement a finalement été fouillé sur une superficie de 6 130 m2 (cf. vignette dans fig. 79, 80, 82, 83) dont 510 fouillés manuellement (321 m2 dans les secteurs ouest et 189 m2 dans les secteurs est) (cf. fig. 67).
4.2.1.3 Extension du site
171Les tranchées réalisées pendant la phase d’évaluation approfondie avaient révélé que l’occupation moustérienne concernait la totalité de l’emprise située sur ce versant est et représentait une superficie estimée à plus d’un hectare. Lors de la fouille, une longue tranchée située à l’est nous a indiqué la limite du gisement de ce côté (fig. 64). À l’ouest, l’érosion du versant abrupt a empêché la conservation de tout niveau préhistorique, mais il est légitime de penser que le site s’étendait dans cette direction, car de nombreuses pièces du Paléolithique moyen ont été retrouvées dans le fond de vallée. La réalisation de tranchées plus réduites de part et d’autres a permis de mieux cerner l’extension latérale du gisement. Il apparaît de façon certaine que le gisement se poursuit au nord et au sud, les limites de l’emprise nous empêchant de cerner le gisement.
4.2.2 Étude du gisement
4.2.2.1 Rappel du cadre chronostratigraphique des niveaux archéologiques
172L’étude lithostratigraphique, sédimentologique (cf. § 3.1.1.2), micromorphologique (cf. § 3.2.3) et palynologique (cf. § 3.3.2) permet de préciser les conditions de leur mise en place et de proposer une attribution chronostratigraphique (cf. § 3.4.2). Le site de Molinons présente deux niveaux archéologiques successivement, de haut en bas NA et NB inclus dans les sédiments limoneux de recouvrement du versant doux d’un vallon dissymétrique. L’analyse micromorphologique permet de proposer des attributions chronostratigraphiques :
– NA dans l’horizon grisâtre des limons de la couche 4 de l’ensemble II, attribué au Weichsélien ancien en équivalent des stades isotopique 5a‑5b ;
– NB dans les limons sableux jaune‑orangé de la couche 6 de l’ensemble II, attribué à une phase antérieure à la pédogenèse éémienne.
Seul le niveau NA a été fouillé.
4.2.2.2 Étude archéologique
Le niveau inférieur (niveau B)
173Ce niveau a été retrouvé dans un limon jaune‑rouge sableux dont la pédogenèse est de type interglaciaire. Il n’est composé que de 20 pièces (2 nucléus à débitage unipolaire, 15 éclats, 2 rognons testés et 1 pointe moustérienne allongée) (fig. 66) situées à la base de ce limon rouge, une quinzaine de centimètres au‑dessus du cailloutis résiduel du démantèlement de la craie. Ce matériel peut être attribué au Paléolithique moyen au sens large. Ce niveau n’a été retrouvé qu’au sommet de la butte (fig. 65).
Le niveau supérieur (niveau A)
174En raison de la décalcification du sédiment, aucune faune, aucun matériel osseux ou anthracologique n’a pu se conserver. Seuls les artefacts lithiques, au nombre de 1347 ont été conservés (tabl. xiii et fig. 67).
Nombre | % | |
Eclats corticaux | 275 | 20,42 |
Eclats | 560 | 41,57 |
Eclats Levallois | 74 | 5,49 |
Lames | 17 | 1,26 |
Pointes Levallois | 9 | 0,67 |
Nucléus Levallois | 29 | 2,15 |
Nucléus | 60 | 4,45 |
Bifaces | 7 | 0,52 |
Ebauches de bifaces | 2 | 0,15 |
Choppingluol | 1 | 0,07 |
Chopper | 2 | 0,15 |
Rognons | 16 | 1,19 |
Esquilles | 177 | 13,14 |
Percuteurs | 4 | 0,30 |
Cassons | 91 | 6,76 |
Eclats de grès | 14 | 1,04 |
Blocs de grès | 9 | 0,67 |
Total | 1347 | 100 |
La matière première acquisition et gestion
175Deux sources de matières premières siliceuses étaient à la disposition des Paléolithiques installés à Molinons : les bancs de silex de la craie du Santonien qui constituent le substrat géologique et les dépôts sablo‑graveleux à la base des formations quaternaires de la région. Les formations crayeuses du Santonien affleurent sur les versants raides des vallées et des vallons dissymétriques et constituent une source de matière première siliceuse de bonne qualité. Par contre, les formations sablo‑graveleuses sont constituées de rognons de silex colluviés, roulés et gélifs, d’assez mauvaise qualité. Une dizaine de blocs issus de ces formations de remaniement ont été testés lors de la phase de fouille et le résultat fut médiocre : un seul coup de percuteur suffit souvent à faire éclater le rognon. Un silex de bien meilleure qualité, fréquent sur les plateaux et versants voisins, fut préféré par l’artisan préhistorique qui l’acquit lors de ses déplacements : « en effet, il est délicat de défendre d’emblée, pour des périodes aussi anciennes, l’hypothèse d’une quête de matière première conçue indépendamment des besoins liés aux autres activités fondamentales de l’économie de subsistance du groupe » (Geneste 1988). L’acquisition du silex s’est faite dans une zone proche du site (dans un rayon de 5 km) correspondant à une « fréquentation maximale de l’espace » (Geneste 1988). Cette hypothèse est corroborée par l’étude technotypologique du matériel lithique. En effet, toutes les étapes des différentes chaînes opératoires sont présentes à Molinons (rognons testés, éclats corticaux, éclats de débitage, produits Levallois, nucléus résiduels, ébauche de bifaces...). De plus, la totalité de l’outillage fut réalisée sur ce même silex.
176L’accès facile à un matériau de bonne qualité, quoique de dimensions quelque peu modestes est sans doute la raison pour laquelle les nucléus et plus particulièrement les nucléus Levallois, ont été abandonnés alors qu’ils pouvaient fournir encore quelques éclats moyennant repréparation de la surface de débitage. L’abandon de plusieurs blocs de silex qui ne portent que les négatifs d’un ou deux « enlèvements‑tests » et des deux ébauches de biface sans que le débitage se soit poursuivi selon un autre mode opératoire étaye cette hypothèse.
177Le silex n’a pas été la seule matière première exploitée à Molinons. Grès‑quartzite et grès ont également fait l’objet d’une exploitation, mais nettement moins fréquente. Ce type de matériau d’origine tertiaire se rencontre de manière erratique dans les formations superficielles de la région.
Étude technologique (tabl. xiii)
17829 nucléus Levallois présentent les stigmates d’un débitage récurrent le plus souvent unipolaire (dont un seul à pointe) (fig. 68, nos 1 et 2), bipolaire dans seulement six cas (fig. 68, no 3). Deux raisons ont pu provoquer l’arrêt du débitage Levallois. Les convexités latérales et distalcs du nucléus ont été jugées déficientes par l’artisan préhistorique et le bloc a été abandonné (fig. 68, no 2). Cette « gestion » peu poussée de la matière première s’explique par l’approvisionnement facile en silex dans toute la vallée de la Vanne. Le nucléus peut aussi présenter le négatif d’un dernier éclat envahissant qui le « termine » et dont le contre‑bulbe est important, le coup de percuteur ayant été porté en dessous du plan qui sépare les deux surfaces du nucléus (fig. 68, nos 1 et 3 ). Ce sont là les causes les plus probables de l’abandon des nucléus Levallois dans cette série. Certains peuvent également avoir été repris en nucléus à éclats et se présentent sous un aspect « unipolaire organisé », informe ou globuleux.
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17960 nucléus ont été exploités selon un schéma opératoire non‑Levallois. Deux d’entre eux ont été débités en vue de produire des supports laminaires. L’exploitation du nucléus s’est effectuée à partir de deux plans de frappe opposés, dans une conception qui est celle d’un volume, et non plus d’une surface comme dans un mode opératoire Levallois (fig. 69, nos 1 et 2). Ce type de débitage est toutefois peu représenté dans cette série (Ilam. = 6,36).
180Une dizaine de nucléus portent les traces d’un débitage effectué à partir d’un seul plan de frappe préférentiel. Ces nucléus « unipolaires organisés » constituent peut‑être le stade final de certains nucléus Levallois. Les quarante‑huit autres se présentent sous la forme de nucléus globuleux ou informes, de petites dimensions et le plus souvent de très mauvaise facture.
181278 éclats corticaux proviennent de l’épannelage des nucléus. Ils présentent le plus souvent un talon lisse. Ils sont beaucoup plus nombreux dans la partie ouest qui correspond à une zone liée à une activité de débitage. Ils ont servi de supports à de nombreux outils.
182560 éclats représentent la catégorie d’artefacts la plus fournie et témoignent aussi d’un débitage sur place.
18332 de ces éclats (3 %) sont débordants et proviennent vraisemblablement du réaménagement d’une surface de débitage Levallois.
18414 éclats de grès‑quartzite proviennent du poste de débitage de la section 20 et ont sans doute été débités sur place bien qu’aucun nucléus n’ait été retrouvé. Malgré la contrainte de la matière première, la régularité des supports et les négatifs des enlèvements antérieurs prédéterminants évoquent une chaîne opératoire Levallois (fig. 70, A).
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185Les éclats Levallois sont de belle facture et souvent détachés à partir d’un plan de frappe préférentiel. Ce type de débitage unipolaire produit des supports Levallois le plus souvent quadrangulaires ou subquadrangulaires à arêtes parallèles (fig. 68, nos 4 à 7). 17 produits, dont la longueur était au moins deux fois supérieure à la largeur ont été considérés comme des lames, sans que l’on puisse distinguer si elles proviennent d’un débitage Levallois récurrent ou d’un débitage orienté vers la production de lames, peu représenté dans cette série.
186Si le débitage est orienté vers la production d’éclats Levallois, ceux‑ci sont peu nombreux (91) par rapport au reste de l’industrie. Il convient donc de poser le problème du choix des supports par l’artisan ou le chasseur préhistorique lors de ses déplacements. Certains éclats Levallois non retouchés retrouvés à Molinons, de belle facture et parfois de grande dimension, ne leur convenaient peut‑être pas et ont été ainsi abandonnés sur place. Cette hypothèse est confortée par la présence dans l’amas de débitage de la section 20 de plusieurs éclats Levallois dont certains se remontent entre eux.
187Seuls 23 éclats Levallois (25,27 %) ont servi de supports à des outils.
188Les pointes Levallois sont également peu nombreuses (9) et de second ordre (fig. 68, nos 8 à 10). Seul un nucléus Levallois à pointe a été retrouvé.
18991 cassons ont été dénombrés. Il s’agit de pièces dont la position dans la chaîne opératoire est inconnue, en raison d’un accident de taille ou d’une cassure ancienne.
190177 esquilles ont été retrouvées, principalement dans les secteurs liés aux activités de taille (sections 20 et 21), mais aussi dans le reste du décapage, y compris dans les zones explorées uniquement à la pelle mécanique.
19120 rognons de silex de 10 à 30 cm de diamètre présentent quelques traces d’enlèvements (dix au maximum) et ont été abandonnés par le tailleur. Un bloc de silex proche du poste de débitage de la section 20 a éclaté sous l’action du feu et il n’est pas possible d’y distinguer d’éventuelles traces de percussion.
1924 fragments de ces blocs de silex présentent des traces d’écrasement qui pourraient être dues à un usage occasionnel de ces blocs en tant que percuteur.
1939 blocs de grès, de dimensions similaires ont été retrouvés en association avec les artefacts de silex. Un seul de ces blocs a été percuté à six reprises au moins. Ces blocs, facilement disponibles pouvaient constituer une réserve de matière première pour l’artisan préhistorique.
Les remontages
194L’étude de cette industrie a permis la réalisation de plusieurs remontages, qui ont été effectués dans toutes les zones du gisement. Ils concernent toutes les étapes de la chaîne opératoire et apportent de nombreux renseignements sur la technologie lithique, mais interviennent aussi dans l’étude de la répartition spatiale et du fonctionnement du site. Les délais posés par le présent contexte de grands travaux nous a poussé à privilégier les remontages aidant à comprendre le fonctionnement interne du gisement ; quand ils sont réalisés sur de longues distances, ils aident à définir l’unicité du niveau archéologique.
195L’analyse micromorphologique a démontré que le paléosol contenant ce niveau a subi un ruissellement. Les esquilles et autres pièces de très petites dimensions ont pu être colluviées. Les pièces plus importantes, quant à elles, seraient en position primaire et leur déplacement aurait une cause anthropique. La distance entre les pièces remontées est variable : elle peut aller de quelques centimètres à une trentaine de mètres (fig. 71). Certaines pièces, distantes de plusieurs mètres, présentent néanmoins des arêtes fraîches et non émoussées. Elles permettent alors d’établir la contemporanéité de différents secteurs, par exemple entre les sections 5 et 8.
196Les remontages des différents types d’artefacts, à tous les niveaux de la chaîne opératoire, à l’intérieur du poste de débitage de la section 20 démontrent une taille sur place avec sans aucun doute prélèvement des supports préférentiels Levallois ou non (fig. 70, B).
Identification des chaînes opératoires
197Quatre chaînes opératoires principales ont été distinguées dans cette industrie :
– la présence de deux ébauches de bifaces, sur l’une desquelles un remontage a été possible, et celle d’éclats de taille caractéristiques prouve une fabrication de ces outils sur place (fig. 69, nos 3 et 4) ;
– plusieurs blocs ont été exploités selon un mode opératoire Levallois, le plus souvent unipolaire récurrent ; ces nucléus n’ont cependant pas été utilisés jusqu’à exhaustion et ont parfois été abandonnés alors qu’ils pouvaient encore permettre l’obtention de plusieurs éclats moyennant une éventuelle repréparation des convexités de la surface de débitage ; la fouille du poste de débitage de la section 20 permit la découverte de 14 éclats de grès‑quartzite ; trois remontages ont été effectués et témoignent d’un débitage organisé en vue de la production d’éclats (fig. 70, A) ; la maîtrise des convexités, les négatifs des enlèvements antérieurs prédéterminants et la régularité des supports abandonnés peuvent évoquer une chaîne opératoire Levallois malgré la moindre qualité du matériau ; deux accidents de type « Siret », fréquents sur ce type de matière première, sont à signaler parmi ces éclats ; le nucléus n’a cependant pas été retrouvé, ni dans ce poste, ni dans le décapage alentour ;
– un troisième type de débitage est représenté par 2 nucléus prismatiques ; ils ont été débités en vue de produire des supports laminaires à partir de deux plans de frappe opposés (fig. 69, nos 1 et 2) ;
– enfin, de nombreux nucléus unipolaires organisés, informes ou globuleux, ont été débités pour produire des éclats, après une éventuelle exploitation selon un des autres modes opératoires décrits plus haut.
198La présence dans cette industrie de remontages concernant toutes les chaînes opératoires décrites ci‑dessus, à toutes les étapes du débitage démontre sans aucun doute une taille sur place. Le choix du support peut ainsi être interprété en termes fonctionnels.
Caractéristiques technologiques (FIG. 72)
199L’usage du percuteur dur est généralisé, sauf pour la finition du façonnage des bifaces où l’usage du percuteur tendre est vraisemblable. L’indice de facettage est relativement élevé (IF = 37,37), de même que l’indice de facettage strict (Ifs = 29,96). En règle générale, les éclats d’épannelage des blocs présentent un talon lisse ; les talons préparés étant plutôt réservés aux éclats Levallois ou provenant d’une surface Levallois. Cela est surtout visible dans les sections 20 et 21, dans les zones où deux postes de débitage ont été retrouvés. L’indice Levallois est moyen (IL = 20,27), et les produits Levallois sont souvent restés bruts (IL typologique = 41,32). L’indice laminaire est également faible (Ilam. = 6,36).
Étude typologique
200L’outillage du gisement, bifaces y compris, représente 9 % de l’ensemble des 1347 artefacts de silex ; les pourcentages réels sont réalisés sur une base de 194 pièces, les pourcentages essentiels sur une base de 114 pièces (tabl. xiv). Ces outils se répartissent comme suit3.
No | Désignation | nbre | % réel | % ess. |
1 | Eclats Levallois typiques | 68 | 35,05 | |
3 | Pointes levalloisiennes | 9 | 4,64 | |
4 | Pointes levalloisiennes retouchées | 4 | 2,06 | 3,51 |
5 | Pointes pseudo‑levalloisiennes | 3 | 1,55 | |
6 | Pointe moustérienne | 1 | 0,52 | 0,88 |
7 | Pointe moustériennes allongées | 2 | 1,03 | 1,75 |
9 | Racloirs simples droits | 15 | 7,73 | 13,16 |
10 | Racloirs simples convexes | 15 | 7,73 | 13,16 |
11 | Racloirs simples concaves | 3 | 1,55 | 2,63 |
12 | Racloir double droit | 1 | 0,52 | 0,88 |
13 | Racloirs doubles droits‑convexes | 2 | 1,03 | 1,75 |
14 | Racloir double droit‑concave | 1 | 0,52 | 0,88 |
15 | Racloirs doubles biconvexes | 2 | 1,03 | 1,75 |
17 | Racloir double convexe‑concave | 1 | 0,52 | 0,88 |
20 | Racloir convergent concave | 1 | 0,52 | 0,88 |
21 | Racloirs déjetés | 2 | 1,03 | 1,75 |
25 | Racloirs surface plane | 3 | 1,55 | 2,63 |
27 | Racloir à dos aminci | 1 | 0,52 | 0,88 |
29 | Racloir à retouche alterne | 1 | 0,52 | 0,88 |
31 | Grattoirs atypiques | 2 | 1,03 | 1,75 |
32 | Burins typiques | 7 | 3,61 | 6,14 |
34 | Perçoir typique | 1 | 0,52 | 0,88 |
36 | Couteaux à dos typiques | 3 | 1,55 | 2,63 |
37 | Couteau à dos atypique | 1 | 0,52 | 0,88 |
38 | Couteaux à dos naturel | 3 | 1,55 | 2,63 |
39 | Raclette | 1 | 0,52 | 0,88 |
40 | Eclats tronqués | 2 | 1,03 | 1,75 |
42 | Encoches | 5 | 2,58 | 4,39 |
43 | Denticulés | 11 | 5,67 | 9,65 |
45 | Retouches sur face plane | 5 | 2,58 | 4,39 |
54 | Encoches en bout | 3 | 1,55 | 2,63 |
59 | Choppers | 2 | 1,03 | 1,75 |
61 | Chopping‑tool | 1 | 0,52 | 0,88 |
62 | Divers | 12 | 6,19 | 10,53 |
Total | 194 | 100 | 100 |
201Les bifaces sont faiblement représentés dans cette série (IB = 3,61, IB ess. = 6,14) ; cinq d’entre eux ont été retrouvés dans la partie supérieure du gisement correspondant aux sections 16, 17, 20, 21 et 22. Un sixième a été retrouvé en section 12. Cette série de bifaces est composée d’1 biface triangulaire, de 2 subtriangulaires, de 2 ovalaires et d’1 cordiforme (fig. 73 et 74). Leur taille varie de 9 à 18 cm. Deux d’entre eux ont été réalisés à partir de grands éclats corticaux. Ces 6 bifaces présentent un profil piano‑convexe (Callow 1974 ; Boëda, Mazière 1989). La face plane est obtenue par de grands enlèvements. La face convexe porte une retouche qui transforme le biface en racloir (Boëda, Mazière 1989). Sur l’un de ces bifaces la retouche est continue et al terne sur toute la longueur du tranchant. En effet, lorsque la retouche s’interrompt sur une, elle reprend directement sur l’autre. Cette dernière pièce présente des analogies de formes avec des artefacts du Micoquien d’Europe centrale (Bosinski 1967) (fig. 73, no 1).
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202Une petite pointe de pièce bifaciale a également été retrouvée en section 4. Si de telles pièces, en plus grand nombre cependant, ont été retrouvées dans des industries attribuées au Moustérien de tradition acheuléenne, leur faible nombre, surtout par rapport à l’outillage sur éclat, ne nous autorise pas une telle attribution culturelle stricto sensu.
203Deux ébauches de bifaces proviennent de la section 1. Il s’agit d’une pointe de biface dégagée sur un bloc épais de forme oblongue (fig. 69, no 3) et d’une ébauche réalisée sur une plaquette de silex, abandonnée en raison de l’extrême minceur du support (fig. 69, no 4). La taille a sans doute eu lieu sur place comme le remontage d’un éclat cortical sur cette plaquette le laisse supposer.
2044 pointes Levallois portent une retouche oblique à semi‑abrupte marginale qui n’affecte qu’une petite partie du bord (sur 1 cm tout au plus) et ne transforme pas la morphologie du support Levallois.
205Une pointe moustérienne est réalisée sur support Levallois et porte une retouche oblique marginale du bord droit et une retouche oblique écailleuse du bord gauche (fig. 75, no 3).
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206Les deux pointes moustériennes allongées sont réalisées toutes deux sur support laminaire Levallois épais, par retouches obliques écailleuses marginales. Elles sont toutes deux légèrement désaxées (fig. 75, nos 1 et 2).
207Les racloirs sont les outils les plus nombreux de cette série. Sur l’ensemble, les racloirs simples droits (fig. 75, nos 4 à 7) et simples convexes (fig. 75, nos 8 à 10 ; fig. 76, no 3) sont les plus nombreux (30). Ils sont façonnés sur éclats simples ou corticaux (22 exemplaires) ou sur supports Levallois (8 exemplaires) par retouche semi‑oblique à oblique, voire semi‑abrupte souvent marginale ou courte, rarement écailleuse. Un seul racloir est réalisé par retouche écailleuse scalariforme type Quina sur éclat épais (fig. 75, no 10). Les autres types de racloirs (18) sont représentés en nombre et en proportions peu importants (fig. 75 nos 11, 12). La retouche de ces racloirs est oblique à abrupte, peu envahissante, souvent marginale. Les racloirs doubles montrent souvent une retouche oblique ou semi‑abrupte sur un bord et abrupte sur l’autre. Signalons un remarquable racloir à dos aminci par une retouche inverse rasante à oblique et retouche écailleuse scalariforme du bord gauche (fig. 76, no 1). Les racloirs’sur face plane sont réalisés sur d’épais éclats Levallois (fig. 76, no 2). Le racloir à retouche alterne se présente comme un racloir convergent convexe à retouche scalariforme.
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208Deux grattoirs sont atypiques. L’un est un grattoir en bout de lame, l’autre présente un front de grattoir partiellement retouché (fig. 76, no 8).
209Parmi les pièces de type Paléolithique supérieur, les burins sont les plus remarquables par la diversité des types représentés (fig. 76, nos 6 et 7). Nous pouvons mettre en évidence un burin plan, un burin sur troncature oblique, un burin sur encoche abrupte dégageant le tranchant du burin, un burin d’angle sur cassure, un burin transversal et un burin dièdre opposé à un petit racloir transversal. Deux burins furent ravivés par chutes secondes. Signalons également en section 21 deux chutes de burin
210Le seul perçoir découvert présente une petite mèche dégagée par retouche alterne.
211Nous avons dénombré trois couteaux à dos typiques, un couteau à dos atypique et trois couteaux à dos naturel.
212Une raclette est réalisée sur un petit éclat par fine retouche abrupte.
213Deux lames portent une troncature. L’une est aménagée par retouche directe abrupte et l’autre par retouche inverse semi‑abrupte (fig. 76, nos 9 et 10). Elles ont été intégrées au groupe des outils de type Paléolithique supérieur.
214Les encoches sont réalisées sur éclats, cassons, éclat Levallois (1) ou éclats Janus (1).
215Les denticulés sont façonnés sur supports divers (éclats corticaux, cassons) rarement Levallois et sont généralement d’assez mauvaise facture (fig. 76, no 4).
216Sur éclats simples ou Levallois (2), les retouches sur face plane amincissent un bord ou un talon.
217Les encoches en bout sont aménagées sur extrémités distales d’éclats laminaires ou Levallois par retouches directes abruptes ou enlèvement inverse (fig. 76, no 5).
218Deux choppers et un chopping‑tool sont réalisés sur des galets de silex de petite dimension (5 à 6 cm).
219Dix éclats ou cassons présentent une retouche ne permettant pas de les introduire dans un type précis. Dans ce cas, la retouche, marginale, n’affecte le bord du support que sur moins d’un centimètre. De plus, nous y avons classé un éclat Levallois à talon aminci et un bec formé de coches convergentes
220Dans cette série, les racloirs sont donc nombreux et typologiquement variés et dominent les autres types d’outils (IR = 24,74, IR ess. = 42,10). Les bifaces sont peu nombreux (IB = 3,61, IB ess. = 6,14). Le groupe moustérien est bien représenté (II ess. = 44,73). Les outils de type Paléolithique supérieur sont relativement nombreux (III ess. = 14,03). Par contre, les denticulés et les encoches sont moins bien représentés (% ess. = 14,04) (fig. 77).
221A côté de plusieurs outils remarquables (bifaces, racloir à dos aminci, pointes moustériennes...), de nombreux outils sont réalisés sur supports quelconques par retouches marginales. La retouche a alors pour effet de rectifier un tranchant ou d’aménager peut‑être un outil de manière rapide4.
222Seul un quart des éclats Levallois (23 pièces) a été transformé en outils. La majorité de l’outillage (92 pièces, donc 80 % du total des artefacts retouchés) a donc été réalisée sur de simples éclats, voire même sur éclats de gel ou, dans trois cas sur de petits galets.
Comparaisons et attribution culturelle
223Les sites moustériens de plein air ayant fait l’objet d’une fouille systématique et extensive ne sont pas très nombreux en France. Plusieurs industries du nord de la France, récoltées sur une surface moindre présentent les mêmes caractéristiques typologiques (fig. 77) que la série de Molinons et ont été découvertes en position chronostratigraphique similaire.
224L’industrie de la Briqueterie Debus à Marcoing (Nord) a été découverte dans un loess daté du début du Weichsélien et est attribuable au Moustérien de tradition acheuléenne (Sommé, Tufifreau 1971). Contrairement à Molinons où. ils ne sont pas nombreux (IB = 3,61, IB ess. = 6,14), cette série possède d’abondants bifaces (IB = 19,78, IB ess. = 36,27) triangulaires et cordiformes de section asymétrique. L’outillage sur éclat est, par contre, comparable. Les outils de type Paléolithique supérieur sont également nombreux (III ess. = 12,3) et les racloirs sont typologiquement variés et en proportions comparables.
225La série de Catigny (Oise) (Tufifreau 1976c) présente des caractéristiques typologiques semblables à celles de l’industrie de Molinons et de la Briqueterie Debus et serait datée du Weichsélien ancien. Les racloirs sont nombreux (IR = 20,35, IR ess. = 39,45), de même que les outils de type Paléolithique supérieur (III ess. = 17).
226L’industrie de Saint‑Just‑en‑Chaussée (Oise) conservée dans la « première couche humique » (Weichsélien ancien) possède de très nombreux bifaces et racloirs (IR ess. = 55,33, IB ess. = 40,97) mais le débitage Levallois (IL = 47,6) est beaucoup mieux représenté qu’à Molinons. Il s’agirait toutefois d’une série « enrichie » en belles pièces (Tuffreau 1977b).
227La série « café au lait » du Tillet (Seine‑et‑Marne), en position stratigraphique similaire, (Bordes 1954) contient un outillage sur éclats comparable à celui de Molinons. Les bifaces, en beaucoup plus grand nombre cependant (IB ess. = 33,6) présentent les mêmes caractéristiques.
228Si l’industrie de Molinons possède un outillage sur éclat comparable aux séries présentées ci‑dessus, il faut toutefois signaler le nombre limité de bifaces et de produits Levallois. Ces derniers sont de belle facture et démontrent un débitage parfaitement maîtrisé, mais peu représenté ici. La typologie des bifaces, associée à un outillage sur éclat varié, autorise la comparaison avec ces industries attribuées au Moustérien de tradition acheuléenne Une précision s’impose toutefois : si l’on fait abstraction de ces quelques bifaces, cette industrie est également très proche du Moustérien typique. Le faible nombre de produits Levallois et de bifaces est sans doute à mettre à l’actif d’une occupation courte de ce versant doux par les Moustériens et/ou d’activité(s) spécialisée(s) plutôt qu’à une aléatoire variabilité culturelle.
Répartition spatiale et hypothèse de fonctionnement du site
229L’étude de la répartition spatiale et les hypothèses de fonctionnement du site ne concernent que le niveau A. Le niveau B, trop pauvre, n’a pas été pris en considération.
230La station moustérienne du Grand Chanteloup satisfait à la plupart des choix d’implantation topographique mis en évidence sur de nombreux sites de plein air du nord de la France (Tuffreau 1988). Elle s’étend sur l’interfluve de la vallée de la Vanne, de son affluent l’Alain et d’une petite vallée sèche ; l’eau ne manquait donc pas. La région est riche en silex de bonne qualité.
231La fouille extensive d’un niveau bien individualisé en stratigraphie nous offre la possibilité d’appréhender un site du Paléolithique moyen sur une surface unitaire et non par bribes. Le matériel s’étend en une vaste nappe sur l’ensemble de la surface fouillée, mais avec des concentrations bien individualisées (fig. 67).
232La très faible dispersion verticale des pièces et leur position stratigraphique similaire (fig. 78) nous incitent à considérer cet ensemble homogène et résultant d’une seule et même occupation. Le paléosol du Weichsélien ancien contenant le niveau archéologique a subi un ruissellement (cf. analyse micromorphologique). Si les esquilles peuvent avoir été entraînées par cette colluvion, le reste des artefacts semble bien être en position primaire. Dès lors, nous utiliserons le terme de « niveau d’habitat », plutôt que celui de « sol », considérant toutefois pouvoir espérer « déduire de la position des vestiges quelque chose des activités de l’homme paléolithique » (Bordes 1975). Si une activité de taille a été mise en évidence dans la zone ouest, l’appréhension du fonctionnement du reste du gisement via une seule analyse de la répartition spatiale, surtout en l’absence de structures évidentes d’habitats, de faune et d’étude tracéologique, reste très difficile. La perception d’une structuration claire au Paléolithique moyen laisse à désirer tant pour l’habitat que pour le matériel lithique : « Cette absence de structure fonctionnelle des industries du Paléolithique moyen trouve un écho dans l’extrême rareté des structures évidentes ou latentes sur les sols d’habitats de la même époque. Cette carence organisationnelle reflète soit un état de fait réel, soit notre incapacité de percevoir une organisation qui obéirait à d’autres schémas logiques que les nôtres » (Cahen 1984 : 43). Trois zones ont été identifiées (cf. vignette dans fig. 79, 80, 82, 83).
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233Dans le secteur ouest du gisement, deux postes de débitage ont été découverts. Ces deux zones sont sans aucun doute en place. La présence d’esquilles et de toutes les étapes de la chaîne opératoire, associées aux remontages effectués à l’ordre du centimètre, conforte l’idée d’un niveau en position primaire (fig. 79, no 1).
234La zone est du décapage ne présente pas de concentrations aussi bien définies, mais le niveau se présente sous un aspect constant (cf. fig. 82, no 1). Ces deux secteurs sont séparés par une importante étendue où. le matériel est moins abondant (fig. 80). Seul un remontage pourrait prouver de manière certaine l’exacte contemporanéité de ces deux zones. Cependant, plusieurs éléments permettent d’abonder en ce sens : l’unité technologique et typologique existant entre ces deux secteurs, leur position stratigraphique similaire, et les différents remontages effectués (fig. 71) pour l’instant (jusqu’à une distance de 31 m) permettent de considérer cette industrie homogène. Lors de la fouille, ce niveau nous est apparu comme une nappe d’artefacts, de grande étendue et de densité très variable, mais néanmoins homogène. Un tel « hiatus » dans la répartition spatiale de l’occupation d’un site du Weichsélien ancien a été mis en évidence dans le gisement moustérien d’Houppeville, mais sur une surface nettement moindre et correspondrait à une zone hydromorphe (Vallin 1988). Cette série d’artefacts a par conséquent été traitée comme un seul ensemble pour l’analyse technotypologique. L’étude de la répartition spatiale et les hypothèses de fonctionnement du site partent également du même postulat, à savoir un seul niveau archéologique.
La zone ouest
235D’une superficie d’un millier de mètres carrés, la zone ouest est constituée par les sections 17, 20, 21, 22 et se localise au sommet de la butte dominant la vallée de l’Alain. À cet endroit, le paléosol du Weichsélien ancien n’est recouvert que par 60 cm de limon en moyenne, en raison de la forte érosion différentielle de ces versants. 809 artefacts y ont été découverts (fig. 79, no 1).
236En section 20, un poste de débitage a été mis au jour. Il s’étend sur presque 5 m2 et comprend 225 pièces (fig. 81). Il s’agit sans aucun doute d’une « structure » en position primaire. En effet, la présence de nombreuses esquilles et l’homogénéité de l’ensemble nous ont amené à considérer cet ensemble en place. Seul un profond sillon de sous‑solage datant d’une quinzaine d’années (renseignement tenu de l’ancien exploitant) avait légèrement perturbé le bord de l’amas. Toutes les étapes d’une chaîne opératoire Levallois sont couvertes. Nous y avons dénombré 51 éclats corticaux, 96 éclats, 8 nucléus dont 3 Levallois, 10 éclats Levallois, 22 cassons, 13 éclats de grès‑quartzite, 22 esquilles et 4 outils, à savoir : 1 pointe moustérienne allongée, 1 racloir, 1 éclat Levallois et 1 éclat retouchés. Onze remontages ont été effectués. D’après la nature des cortex, nous avons pu estimer à 5 le nombre de rognons de silex débités sur place. De nombreux éclats, ainsi qu’un nucléus Levallois, sont fortement brûlés et attestent de l’usage du feu dans ce secteur.
237Les éclats de grès‑quartzite, de 5 à 10 cm de longueur, présentent des négatifs d’enlèvements prédéterminants et ont été enlevés à partir d’un seul plan de frappe. Bien que le nucléus n’ait pas été retrouvé malgré le décapage extensif de cette zone, nous pensons qu’il s’agit sans doute d’une chaîne opératoire Levallois sur un matériau de moindre qualité, réalisée sur place comme l’attestent les remontages entre ces quelques éclats (fig. 70, A).
238Une « couronne » (fig. 79, no 1 (a)) de matériel borde cet amas du côté ouest. Composée d’une soixantaine d’artefacts, on y trouve 12 outils : 6 racloirs, 2 denticulés, 1 encoche, 1 couteau à dos naturel et 2 éclats retouchés, ainsi que 7 produits Levallois bruts. 2 bifaces sont également rejetés dans cette zone périphérique (fig. 79, no 2)
239En section 21, une importante concentration d’artefacts a également été interprétée comme poste de débitage. Comme en section 20, toutes les étapes de la chaîne opératoire Levallois sont représentées. Les artefacts sont plus dispersés. Des remontages ont été effectués à courte distance et à altitude similaire. À l’intérieur de ce poste de débitage se trouvent 6 racloirs, 3 éclats retouchés, 2 burins et 2 chutes de burins, 1 denticulé et 1 bec. Autour de cette zone, à l’instar de la section 20, nous avons distingué une « couronne » (fig. 79, no 1 (b)) semi‑circulaire constituée d’artefacts rejetés en périphérie et dans laquelle se trouvent 6 outils (3 racloirs, 1 biface et 1 éclat Levallois retouché) (fig. 79, no 2).
240La section 17, moins riche en matériel que les deux précédentes, semble être, tout comme la 22, le prolongement de la zone périphérique de la section 21 et où se trouvent 5 outils dont à nouveau 2 bifaces.
241Cette zone apparaît comme réservée en partie au débitage. Les blocs de matière première (en l’occurrence le silex et le grès‑quartzite) récoltés alentour ont été apportés, débités sur place et les supports adéquats, Levallois ou non, ont sans aucun doute été prélevés. Le système de débitage semble axé vers une production unique de type Levallois. La répartition des produits Levallois dans ce secteur n’est pas différente de celle du reste du matériel. On les retrouve dans les postes de débitage et dans les « couronnes » d’artefacts. Les nucléus Levallois sont plutôt situés au centre de la zone de taille (fig. 79, nos 2 et 3). Les 7 rognons de silex et les 5 blocs de grès constituaient peut‑être une réserve de matériau pour les tailleurs. Il s’agit sans doute d’une action ponctuelle et brève, destinée à fabriquer des supports à usage immédiat.
242Autour de chacun de ces deux postes de taille a été identifiée une couronne d’artefacts, où l’on retrouve de nombreux éclats, aucun nucléus (hormis 2 nucléus Levallois en limite de la section 20), des produits Levallois et des outils (fig. 79, nos 2 et 4). Il est intéressant de constater que, dans chacune de ces zones périphériques, se situent 5 des 6 bifaces découverts et que les racloirs y dominent les autres types d’outils, alors que dans les deux postes de débitage dominent plutôt les éclats retouchés et les denticulés. Les couteaux à dos qui y ont été retrouvés sont sans aucun doute des déchets de taille. Ces deux couronnes semblent être en relation étroite avec l’activité de taille qui s’est déroulée dans ce secteur, mais constituent peut‑être également des zones d’activités, autres que le débitage, où ont été directement utilisés les produits issus du débitage. Le nombre de pièces retrouvées dans ce secteur est de 809. Proportionnellement, les outils (bifaces y compris) ne constituent que 5,80 % de ce matériel, dont plus de la moitié a été rejetée en périphérie des postes de débitage.
La zone centrale
243Ce secteur correspond à la zone moins riche observée dès la phase diagnostic et contient seulement 63 pièces, réparties dans les sections 11, 12, 13 et surtout 14. 9 outils ont été découverts de manière éparse, tout comme le reste du matériel (fig. 80). Cette zone pauvre en matériel pourrait s’expliquer par la présence à cet endroit d’une zone humide de grande étendue. Le fait que les pièces retrouvées présentent, à ce seul endroit du gisement, d’abondants points de manganèse non seulement sur le cortex, mais aussi sur la face ventrale des éclats étaye cette hypothèse. Un remontage concernant 4 éclats corticaux a été réalisé en section 14.
La zone est
244Située à l’est du décapage, cette zone a livré sur près de 2500 m2 une aire d’activité de grande étendue qui concerne les sections 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8 et 9 et comprend 474 pièces. Cette superficie, présente l’organisation suivante (fig. 82, no 1) : autour d’un espace circulaire pratiquement vide de matériel, nous avons distingué à l’ouest de la section 5 une « couronne » (fig. 82, no 1 (a)) constituée de produits Levallois, de nucléus, de très nombreux éclats et cassons. D’autre part, à l’intersection des sections 1, 2, 4 et 5, selon un axe nord‑sud, s’étend une riche nappe d’artefacts (fig. 82, no 1 (b)). 1ci, les outils abondent ainsi que les nucléus et les produits bruts de débitage (Levallois ou autres) sans structuration évidente.
P.P. del. / AFAN
245Plus au nord, la section 6 (fig. 82, no 1 (c)) a livré peu de matériel, mais les outils et les produits Levallois y sont présents et furent surtout découverts dans le secteur fouillé à la pelle mécanique. Les éclats de corticaux et les nucléus y sont absents. Il faut remarquer la zone pratiquement vide entre les sections 5 et 6. Cette dernière semble constituer un secteur indépendant qui pourrait se poursuivre au‑delà de la limite nord de l’emprise.
246Toutes les étapes du débitage sont présentes dans cette zone est, depuis les éclats corticaux jusqu’aux nucléus résiduels, sans association particulière d’artefacts et aucun poste de débitage n’a été identifié.
247Dans les sections 1, 4 et 5 les nombreux outils sont associés pêle‑mêle aux déchets de taille et aux nucléus résiduels, Levallois ou non (fig. 82, no 2 ; fig. 83, no 2). Il faut signaler que la plupart des outils de type Paléolithique supérieur (burins, pièces à dos ainsi qu’un perçoir et un grattoir) se situent dans le quart sud‑est de la section 5, associés à de nombreux racloirs. Les remontages effectués dans ces trois sections l’ont été à des distances relativement courtes (quelques mètres tout au plus) (fig. 71). La présence de ces remontages concernant toutes les étapes du débitage et les très nombreux artefacts résiduels démontrent une taille sur place avec déplacement des pièces par la suite. La partie est des sections 4 et 5 est à mettre en relation avec les sections 7, 8 et 9, par des remontages à plus grande distance (jusqu’à 31 m) qui établissent la liaison entre ces différentes zones. La section 6 contient, sur une surface limitée, 8 outils, quelques produits Levallois et 1 seul nucléus informe.
248La taille du silex, dans cette zone est, ne semble avoir constitué qu’une première étape de l’occupation, Au contraire de la partie ouest du gisement où des postes de débitage nous sont parvenus intacts, les artefacts semblent avoir été dispersés, à des distances très variables, sans doute en fonction des activités qui s’y sont déroulées. L’outillage représente 13,1 % du matériel de cette zone, soit plus du double du secteur ouest, ce qui pourrait être significatif des types et de la fréquence des activités qui s’y sont déroulées.
4.2.3 Conclusion
249Cette recherche a permis d’établir une stratigraphie de référence pour l’ensemble de la vallée de la Vanne et de proposer des corrélations avec des séquences du nord‑ouest européen. L’occupation moustérienne a ainsi été située dans son contexte chronostratigraphique, le Weichsélien ancien (stade isotopique 5 a‑b). L’industrie mise au jour est à la fois proche du Moustérien typique et du Moustérien de tradition acheuléenne où les racloirs dominent largement un outillage sur éclat varié et de belle facture ; encoches et denticulés sont peu nombreux, tandis que les outils de type paléolithique supérieur sont bien représentés.
250Le décapage extensif (plus de 6 000 m2) a mis en évidence deux zones d’activité séparées par un important secteur où le sol plus humide a pu jouer un rôle dans l’organisation interne du site. Dans la zone ouest se déroulèrent des « activités statiques ». En section 20, le poste de débitage concentre tous les produits de la taille des blocs de silex. Les rares outils, de belle facture pour la plupart et les bifaces sont rejetés en périphérie. La section 21 s’articule également de la sorte. Ces « couronnes » d’artefacts sont donc en étroite relation avec le poste de taille de la section 20 et le poste de débitage de la section 21. Le déplacement des pièces s’est effectué à partir de l’amas vers l’extérieur sur de courtes distances.
251À l’opposé, dans la zone est, un certain mouvement et des déplacements d’artefacts sur de plus longues distances sont décelables. Ici, les remontages indiquent des allées et venues sur plusieurs dizaines de mètres. Dans la zone d’activité qui s’étend sur les sections 1, 2, 4 et 5, taille, fabrication d’outils et rejet des déchets ont eu lieu. Aucune concentration ou association d’artefacts intentionnelle ou significative n’a été remarquée.
252Les Paléolithiques y ont, semble‑t‑il, mené les activités multiples et variées, nécessaires à un groupe de chasseurs nomades. Plusieurs éléments nous poussent à croire qu’il s’agit des traces d’un passage court. La position stratigraphique similaire des vestiges, toutes sections confondues, la répartition spatiale nette en fonction des différentes activités, et les remontages effectués à distances variables abondent en effet dans ce sens. Pour l’ensemble du gisement, la notion de durée d’occupation peut aussi être abordée au travers des observations réalisées sur l’outillage : la présence de nombreux outils réalisés rapidement sur support quelconque par de petites retouches permet de penser qu’il s’agit d’une occupation limitée dans le temps. La taille du silex et l’aménagement d’outils ont répondu alors à des besoins immédiats lors d’une halte des Préhistoriques, dans un paysage ouvert et arboré, tempéré froid et humide.
4.3 Lailly/Le Domaine de Beauregard (vallée de la Vanne)
253j.‑l. locht, f. ferdouel avec la collaboration de v. deloze, v. krier, p. pihuit
4.3.1 Introduction
4.3.1.1 Cadre géographique et géomorphologique
254La commune de Lailly se situe à une vingtaine de kilomètres à l’est de Sens, à la limite départementale de l’Yonne et de l’Aube (fig. 12). Le gisement paléolithique du Domaine de Beauregard est situé sur les dépôts crayeux du Plateau sénonais à 25 km à l’est de Sens (Yonne) et se développe sur l’interfluve entre la vallée de l’Alain, un petit affluent de la Vanne et le vallon sec du Fond de la Tournerie. Les faciès crayeux locaux apparaissent par endroit à l’affleurement, mais sont le plus souvent recouverts de formations superficielles récentes résultant d’importants phénomènes d’accumulation et d’altération, mais aussi lors de la campagne de diagnostic entre Lailly et Bagneaux (Krier et al. 1991).
255Pour l’emprise autoroutière concernée, le site s’étend sur près de 300 m à une altitude comprise entre 117 et 123 m NGF. À cet endroit, la pente est voisine de 4,4 % ce qui n’est guère éloigné des valeurs de pente calculées à Molinons/Le Grand Chanteloup 3,3 % et à Lailly/Le Fond de la Tournerie 4,4 %. La réunion de ces conditions morphologiques et géologiques s’étant avérée favorable à la préservation du gisement paléolithique sur la butte de Molinons, il était envisageable de retrouver à Lailly/Le Domaine de Beauregard, non seulement une occupation paléolithique, mais aussi une stratigraphie similaire.
4.3.1.2 Extension du site
256Le gisement (fig. 84) est limité au nord par l’emprise de l’autoroute, et à l’est par le CD 84. À l’ouest et au sud, les niveaux archéologiques ont été démantelés en raison du caractère abrupt de ce versant. A cet endroit, l’étendue du site concernée par l’emprise est de 12 000 m2. Un décapage extensif a permis d’étudier une surface d’un seul tenant d’à peu près 3 500 m2. Le reste du gisement a été exploré par sondages ponctuels afin de déterminer la potentialité archéologique de chaque zone (fig. 85). La totalité de la surface explorée atteint ainsi 5 450 m2, divisés en section de 20 m de côté (cf. vignette dans fig. 87, 101,102).
cl. G.M. / AFAN
257Quatre niveaux du Paléolithique moyen ont pu être distingués. Les deux plus anciens (D et C) sont localisés au sommet de la butte et au début du versant ouest. Les deux plus récents (B et A) se développent sur la pente douce du versant orienté à l’est (fig. 84)5.
4.3.2 Étude du gisement
4.3.2.1 Rappel du cadre chronostratigraphique des niveaux archéologiques
258L’étude lithostratigraphique, sédimentologique (cf. § 3.1.2) en corrélation avec les données micromorphologiques du site de Molinons/Le Grand Chanteloup (cf. § 3.2.3) et l’analyse palynologique (cf. § 3.3.3) permet de préciser les conditions de leur mise en place et de proposer une attribution chronostratigraphique (cf. § 3.4.2).
259Le site de Lailly/Le Domaine de Beauregard présente quatre niveaux archéologiques successivement de haut en bas NA, NB, NC et ND inclus dans les sédiments limoneux de recouvrement du versant doux de la rive droite de la vallée de l’Alain (tabl. IV et fig. 20). Les corrélations lithostratigraphiques avec le site de Molinons permettent de proposer des attributions chronostratigraphiques :
– NA dans les limons brun‑jaune de l’ensemble 2 attribué au pléniglaciaire moyen ou inférieur du Weichsélien ;
– NB dans l’horizon grisâtre des limons de l’ensemble 3. attribué au Weichsélien ancien ;
– NC dans les limons sableux brun‑rouge de l’ensemble 5 attribué à un remaniement de sol de l’Eémien ou du début du Weichsélien ancien ;
– ND dans l’horizon réticulé des limons orangé‑rouge de l’ensemble 8 attribué à une phase antérieure à un sol interglaciaire anté‑éémien.
4.3.2.2 Étude archéologique
260Quatre niveaux stratifiés du Paléolithique moyen ont été découverts, dénommés D, C, B, A du plus ancien au plus récent. En raison de la décalcification des sédiments, les matériaux osseux et anthracologique n’ont pu être conservés.
Le niveau D
261Il n’a été retrouvé que sur le tout début du versant orienté vers l’ouest, dans un horizon rouge‑orangé sur limons sableux (ensemble 8, tabl. iv) attribué au Saalien, et correspond au niveau identifié lors des sondages de diagnostic de l’automne 1990 dans les tranchées A et B (fig. 17), situées dans les sections 3, 4, 9 et 14. La zone concernée est de 321 m2 (fig. 85).
26232 pièces (22 éclats, 3 éclats Levallois, 2 nucléus, 1 biface, 2 nucléus, 1 esquille et 1 casson) ont été piégées dans des cuvettes dues à des phénomènes de sous‑tirage karstique et ont été considérées comme appartenant au même ensemble lithique. Seul un décompte sera présenté, en tenant compte de ces réserves.
263Le débitage Levallois est attesté par la présence de trois éclats (fig. 86, no 3), mais aucun nucléus de ce type n’a été retrouvé. Un biface à arêtes torses et à base partiellement réservée (fig. 86, no 4) présente des similitudes morphologiques avec ceux retrouvés à Villeneuve-l’Archevêque/La Prieurée, mais aussi avec ceux du niveau 1 de Vinneuf/Les Hauts Massons. L’outillage sur éclats n’est représenté que par quatre racloirs, dont l’un présente un amincissement de type Kostienski (Turq, Marcillaud 1976) à chacune des extrémités (fig. 86, nos 1 et 2). Ce petit lot de pièces a été rattaché au Paléolithique moyen au sens large.
Le niveau C
264Il a été retrouvé dans la même zone que celle qui a livré le niveau D et est contenu dans un horizon sablo‑limoneux brun‑rouge qui pourrait correspondre au niveaurouge sous‑jacent au paléosol gris contenant le niveau B (ensemble 5, tabl. iv) (fig. 85). Si l’on admet qu’il s’agit du même niveau limoneux, le niveau C est forcément antérieur au niveau B.
265Seul un décompte est présenté, car l’industrie est peu riche et en position vraisemblablement remaniée. En effet, ce niveau présente une dispersion verticale de 50 cm en moyenne. Dans cette zone, localisée principalement dans les sections 9 et 10, le niveau archéologique a été entièrement démantelé par un soutirage karstique dû à la présence d’une doline. Pour ces différentes raisons, l’homogénéité de cet ensemble lithique ne peut être affirmée. De nombreuses pièces sont recouvertes d’un lustré brillant dû à un important ruissellement d’eau. A cet endroit, il a été très difficile de distinguer les pièces du niveau C de celles appartenant au niveau D. 135 artefacts ont été retrouvés (102 éclats, 10 éclats Levallois, 2 lames, 16 nucléus dont 1 exemplaire à lames et 6 Levallois, 3 blocs testés et 2 cassons). Aucun pourcentage, ni indice technologique ou typologique n’a été calculé à partir d’un échantillonnage aussi restreint.
Débitage
266Comme pour le niveau précédent, toutes les phases de débitage des rognons sont présentes. Les éclats d’épannelage sont peu nombreux (15), de même que les éclats corticaux (31). 56 éclats ont été retrouvés. Seuls 10 éclats Levallois et 2 lames ont été découverts. 6 nucléus Levallois sont les témoins d’un débitage surtout unipolaire. 1 nucléus à lames a été exploité à partir d’un plan de frappe aménagé par un seul enlèvement. 5 nucléus ont produit des éclats à partir d’un seul plan de frappe. 1 nucléus se présente sous un aspect globuleux et un autre est informe.
Outillage
267L’outillage sur éclat se résume à 11 pièces : 1 racloir simple convexe sur éclat Levallois, 1 racloir double convexe droit, 4 encoches dont une sur support Levallois, 2 éclats Levallois retouchés et 3 simples éclats portant une légère retouche (fig. 86, nos 5, 7, 8). Le matériel récolté ne permet pas d’attribution culturelle précise. La présence d’un débitage Levallois, peu représenté dans cette série mais néanmoins de bonne facture et d’un débitage (fig. 86, no 6) orienté vers la production d’un outillage sur éclat, nous autorise cependant à rattacher cet ensemble au courant moustérien.
Le niveau B
268Cette industrie est contenue dans le paléosol gris déjà identifié sur le gisement de Molinons/Le Grand Chanteloup (cf. ce volume) et retrouvé sur Le Domaine de Beauregard dès la phase de diagnostic dans les tranchées C et D (Krier et al. 1991) (fig. 17). Ce niveau gris est attribuable au Weichsélien ancien. Le niveau archéologique se trouve, tout comme à Molinons, dans la partie supérieure de ce paléosol, il est donc calable d’un point de vue chronostratigraphique. Pour ces différentes raisons, la fouille, ainsi que l’étude qui l’a suivie, ont essentiellement été axées sur ce niveau moustérien du début Glaciaire. Après la phase de diagnostic approfondi destinée à cerner l’étendue du gisement nous avons décidé de fouiller principalement la partie sommitale de la butte. Le reste de la parcelle a été sondé ponctuellement afin de déceler d’éventuelles concentrations d’artefacts et de définir la potentialité archéologique de cette zone, mais ce secteur est s’est avéré moins riche, excepté en section 44. Ce niveau a été fouillé sur 4503 m2 et a livré 1935 artefacts (fig. 87 et tabl xv). Seuls 22 m2, localisés dans les zones les plus riches, ont été fouillés à la main, en raison des contraintes autoroutières.
C. Raoult del. / AFAN
La matière première : acquisition et gestion
269La principale source de matière première dont disposaient les Préhistoriques de passage dans la vallée de la Vanne était sans aucun doute les rognons de silex provenant de la craie du Santonien dont les formations crayeuses affleurent sur les versants raides des vallées et des vallons dissymétriques. Il s’agit en général d’un matériau de bonne qualité. L’acquisition du silex s’est effectuée dans une zone proche du site correspondant à une zone de « fréquentation maximale de l’espace » et ne peut être dissociée des autres activités de subsistance du groupe (Geneste 1988).
270L’accès facile à un matériau de bonne qualité a évidemment eu un impact sur la gestion du silex. Si l’on considère la totalité du débitage, toutes chaînes opératoires confondues, l’exploitation des blocs a été peu poussée. Les nucléus de tout type ont été abandonnés alors qu’ils pouvaient encore être débités, moyennant une éventuelle repréparation. De plus, bon nombre de blocs gélifs ont été apportés par les Moustériens sur le site, apparemment sans aucun « test » préalable et ont éclaté dès les premiers coups de percuteurs, comme nous le prouvent les nombreux blocs retrouvés dans les sections 28 et 33.
Étude technologique
271Au nombre de 228, les éclats d’épannelage proviennent de la toute première phase du débitage et leur surface dorsale comporte de 50 à 100 % de cortex. Plusieurs de ces éclats entièrement corticaux sont en fait le résultat d’un « test » qui peut avoir eu lieu sur une corne ou une nodosité du bloc sans en modifier la forme initiale. Il est intéressant de constater que cette phase de test a eu lieu sur le site et non à l’endroit où les blocs ont été récoltés. 337 éclats corticaux présentent une surface dorsale constituée par moins de 50 % de cortex. 709 éclats représentent la catégorie la plus fournie d’artefacts et ne portent pratiquement plus de plage corticale. Ils proviennent de plusieurs chaînes opératoires telles que le façonnage de bifaces, la préparation ou l’entretien des surfaces Levallois et des nucléus à lames (une chute de burin et un éclat sont pris en compte).
272Au nombre de 30, les nucléus Levallois témoignent d’une gestion peu poussée des blocs. Nous avons dénombré 16 nucléus unipolaires dont 6 ont été terminés par un enlèvement de type préférentiel. 7 nucléus ont été exploités selon un mode bipolaire récurrent. Un seul nucléus à pointes à été retrouvé. La préparation de la surface de débitage a été réalisée par enlèvements transversaux (fig. 88, no 3). 5 nucléus ont été préparés, mais non exploités. Les deux surfaces asymétriques caractéristiques d’un nucléus Levallois sont définies et le ou les plans de frappe ont été préparés. Ces nucléus ont été abandonnés à ce stade pour des raisons inconnues (fig. 88, no 4). 2 nucléus Levallois, préparés par enlèvements centripètes, présentent un négatif d’éclat préférentiel envahissant (fig. 88, no 2). Les éclats Levallois sont de dimensions variables, de 5 à 9 cm de longueur. Quelques rares exceptions dépassent les 10 cm de longueur et proviennent d’un débitage à éclat préférentiel (fig. 89, nos 1 à 4). Le rapport longueur/largeur est généralement situé entre 1 et 1,5. Sur 112 éclats, 30 ont été retouchés par une courte retouche marginale (fig. 89, no 3), soit transformés principalement en racloirs. 73 % de ces éclats ont donc été laissés bruts.
27310 nucléus prismatiques présentent les stigmates d’un débitage orienté vers la production de lames. 6 d’entre eux ont été débités à partir d’un seul plan de frappe. Les quatre autres ont été exploités à partir de deux plans de frappe opposés utilisés alternativement (fig. 90, nos 1 et 2).
274Quel que soit le mode de débitage utilisé, tous les plans de frappe, à l’exception d’un seul, sont facettés ; ils peuvent être réaménagés en cours de débitage par l’enlèvement d’une tablette et sont ensuite à nouveau soigneusement facettés (fig. 91, no 1).
275Le volume du nucléus peut être entamé soit par lames débordantes, dont les négatifs sont visibles sur le bloc, soit par enlèvements transversaux qui en aménagent le cintre. Ces deux méthodes peuvent s’appliquer sur le même nucléus. Aucune préparation de crête n’a été décelée. Le dos du nucléus est cortical (fig. 91, no 2).
276L’exploitation du rognon peut débuter, si sa forme initiale le permet, par le débitage de lames corticales (fig. 92, no 3 ; fig. 90, no 3) qui créent les nervures destinées à guider les enlèvements suivants. Ce dernier nucléus présente sur l’extrémité opposée au plan de frappe des enlèvements contraires au sens de débitage des lames, partant d’un point d’impact matérialisé par l’écrasement d’un point de percussion. Il pourrait s’agir du résultat de la taille du nucléus posé sur une « enclume ». Certains blocs de grès, retrouvés en association avec le reste du matériel archéologique auraient pu remplir cette fonction.
277Ce type de débitage se distingue du mode opératoire Levallois présent dans ce niveau par le format des produits obtenus, mais aussi par la gestion « volumétrique » du bloc. Ces nucléus, d’un point de vue morphologique, sont proches de ceux de Rocourt (Otte et al. 1990) et surtout de Séclin (Révillon 1988). Leur aspect prismatique est moins marqué que sur ceux de cette dernière série en raison de l’abondance de matière première disponible alentour qui autorise une gestion peu poussée de la matière, toute chaîne opératoire confondue. La taille des rognons choisis pour ce type de débitage, hormis un exemplaire (fig. 90, no 3) est relativement réduite. La morphologie générale de ces nucléus s’inscrit dans un cylindre.
27858 lames ont été identifiées6. Les talons sont soigneusement facettés (87 %), seules 13 % des lames possèdent un talon lisse (fig. 92, nos 3 à 7). 66 % de ces lames proviennent d’un mode de débitage unipolaire, 34 % d’un mode bipolaire.
2792 lames ont servi de supports à des racloirs simples droits, une autre à un racloir sinueux. 2 lames ont un dos abattu. 1 lame porte une retouche à sa partie distale qui la transforme en grattoir.
2801 petit nucléus prismatique à lamelles ; à partir d’un plan de frappe obtenu par un seul enlèvement, une lamelle a été détachée.
2814 lamelles ont été retrouvées ; l’une d’entre elles présente un dos abattu (fig. 92, no 3).
282Nous avons dénombré 20 pointes Levallois, dont 3 de premier ordre (fig. 92, nos 1 et 2).
283De nombreux nucléus sont orientés vers la production de simples éclats, et présentent divers stades d’organisation. Nous avons dénombré 29 nucléus à un plan de frappe, 11 à deux plans de frappe qui peuvent être opposés et 2 nucléus à trois plans de frappe. 2 nucléus ont été exploités en mode centripète. 5 nucléus ont un aspect globuleux. 31 sont informes et souvent de petite taille. 11 éclats assez épais ont été repris en nucléus. Nous avons également retrouvé 5 nucléus en grès.
28483 blocs de silex ont été amenés par les Préhistoriques et ont ensuite fait l’objet d’un test qui se résume à un ou deux enlèvements, puis par l’abandon des blocs de mauvaise qualité. De nombreux blocs gélifs ont ainsi éclaté dès les premiers coups de percuteur, comme c’est notamment le cas en section 33.
285Un bloc de grès portant des traces de percussion a également été retrouvé.
28617 rognons de silex et 9 blocs de grès ont été découverts en association avec le reste des artefacts, mais ne portent pas de traces de percussion. Les autres niveaux limoneux (stériles d’un point de vue archéologique) ne contiennent ni blocs de silex ni grès ; ces derniers ont été interprétés comme une réserve de matière première apportée par les Préhistoriques.
Caractéristiques technologiques
287L’indice de facettage est relativement élevé (Ind. facettage = 35,74, indice de facettage strict = 29,52). Les talons lisses, corticaux et punctiformes sont nombreux et se trouvent le plus souvent sur les éclats de mise en forme du bloc. Les talons facettés sont plutôt réservés aux éclats Levallois et aux lames (fig. 93). Les talons en chapeau de gendarme sont peu nombreux et plutôt réservés aux supports Levallois. Les talons absents, résultats d’un accident de taille ou d’une cassure ancienne sont nombreux. L’usage du percuteur dur est généralisé. Le percuteur tendre ne paraît avoir été utilisé que dans le petit amas de « façonnage » de la section 16 et dans la finition des pièces bifaces. L’indice Levallois est très moyen (IL = 16,16) et l’indice laminaire est faible (Ind. lam. = 6,45). Remarquons que ces deux types de débitage, si ils sont parfaitement maîtrisés, ne sont pas représentés en forte proportion.
Les remontages
288Plusieurs remontages ont été effectués dans cette industrie. Réalisés à l’échelle du centimètre ou à plusieurs mètres de distance, ils permettent de confirmer la position primaire et l’homogénéité de ce niveau archéologique (fig. 94). De plus, la très faible dispersion verticale des artefacts concernés étaye cette hypothèse (fig. 95). Ces remontages ont été réalisés à tous les stades des différentes chaînes opératoires décrites plus haut, le débitage a sans aucun doute eu lieu sur place.
289Un raccord concernant 15 pièces (plus deux raccords de cassures anciennes) a été réalisé à la limite des sections 11 et 16 et concerne la phase d’epannelage d’un rognon de silex. À partir d’une arête naturelle, une première famille d’éclats est enlevée, créant ainsi un plan de frappe lisse qui sert à détacher d’autres éclats presque entièrement corticaux, avec une angulation de 70o à 80o par rapport aux premiers enlèvements. Ces 15 artefacts sont localisés à la limite nord du décapage, et le reste du débitage de ce bloc n’a pu être retrouvé et se situe peut‑être encore dans l’actuel talus de l’autoroute.
290Deux remontages d’éclats Levallois sur nucléus ont été effectués. Il s’agit d’éclats préférentiels qui « terminent » la surface de débitage en y laissant un profond contre‑bulbe (fig. 88, no 1). Dans ces deux cas, le raccord a été réalisé à moins d’1 m, l’éclat n’ayant pas été emporté.
291Une lame légèrement débordante et un éclat enlevé transversalement (servant à en aménager le cintre) ont été remontés sur un nucléus, retrouvés respectivement à 20 m et 7 m de celui‑ci (fig. 91, no 2).
292Le reste des remontages est constitué de raccords entre éclats corticaux, à des distances très variables, allant du centimètre (dans le petit amas de la section 16) à plusieurs mètres (de la section 22 à la section 23).
Les différentes chaînes opératoires
293Quatre chaînes opératoires principales ont été identifiées dans cette industrie. La première est orientée vers la production d’éclats Levallois selon un schéma opératoire récurrent unipolaire ou bipolaire. En raison de l’abondance de la matière première dans la région, le débitage est peu « économique », alors qu’une repréparation d’une surface Levallois était possible moyennant un éventuel investissement technologique. L’exploitation du bloc se termine parfois par un enlèvement préférentiel qui laisse sur le nucléus un important contre‑bulbe et empêche de la sorte la poursuite du débitage. L’importance des produits Levallois obtenus selon un mode opératoire similaire, inscrit dans un débitage de surface, pourrait démontrer une volonté d’obtenir des supports standardisés. Les grands éclats Levallois seraient quant à eux les témoins d’un mode opératoire linéal.
294Une seconde chaîne opératoire a produit des lames à partir de nucléus prismatiques à un ou deux plans de frappe. Les convexités sont obtenues et entretenues par un système de lames débordantes et/ou d’éclats transversaux qui permettent en fait d’aménager le cintre du nucléus et d’en débiter le volume. Les plans de frappe, facettés à l’exception d’un seul lisse, peuvent être réaménagés par l’enlèvement d’une tablette. Ce type de débitage est déjà connu dans d’autres industries du Weichsélien ancien (Révillon 1988 ; Otte et al. 1990) voire plus anciennes (Heinzelin, Haesaerts 1983).
295La troisième chaîne opératoire présente sur le site est celle du façonnage de bifaces, comme en témoigne l’amas de façonnage découvert en section 16 et les éclats de taille (ou de ravivage ?) de bifaces retrouvés de manière plus éparse dans différentes sections. Les deux bifaces retrouvés lors de la fouille ont peut‑être été taillés sur place.
296Un quatrième type de débitage est représenté par 96 nucléus qui se présentent sous divers aspects. Nous avons distingué des nucléus qui présentaient des traces, même sommaires, d’organisation et qui ont été débités à partir de un, de deux voire de trois plans de frappe préférentiels. Deux autres ont été exploités en mode centripète.
297Cinq nucléus ont un aspect globuleux. Les autres sont des nucléus résiduels informes. La production d’éclats à partir de ce type de nucléus, si l’on considère le nombre respectif de chaque catégorie, apparaît mieux représentée que les deux premières chaînes opératoires décrites plus haut.
298La présence de ces chaînes opératoires dans la même industrie, sans que l’une d’entre elles soit nettement prédominante, pourrait signifier une production locale de supports variés, peut‑être à usage immédiat, destinés à des fonctions différentes.
Étude typologique (tabl. xvi)
299Seuls 2 bifaces ont été retrouvés dans le niveau B. L’un est de forme subtriangulaire, l’autre est cordiforme (fig. 96, nos 3 et 4). Tous deux présentent un profil piano‑convexe classique et la retouche est localisée sur la face convexe. Ils sont évidemment en petit nombre par rapport à l’outillage sur éclat (IB = 0,67, IB ess. = 1,52). Le façonnage a pu être effectué sur place comme peuvent le laisser supposer le petit amas de la section 16 et les éclats de taille et/ou de ravivage retrouvés dans différentes zones.
No | Désignation | nbre | % réel | % ess. |
1 | Eclats Levallois typiques | 145 | 48,66 | |
3 | Pointes levalloisiennes | 16 | 5,37 | |
4 | Pointes levalloisiennes retouchées | 4 | 1,34 | 3,03 |
5 | Pointes pseudo‑levalloisiennes | 5 | 1,68 | |
6 | Pointes moustériennes | 2 | 0,67 | 1,52 |
7 | Pointes moustériennes allongées | |||
9 | Racloirs simples droits | 29 | 9,73 | 21,97 |
10 | Racloirs simple convexes | 16 | 5,37 | 12,12 |
12 | Racloirs doubles droits | 3 | 1,01 | 2,27 |
13 | Racloirs doubles droits‑convexes | 4 | 1,34 | 3,03 |
14 | Racloir double droit‑concave | 1 | 0,34 | 0,76 |
15 | Racloirs doubles biconvexes | 2 | 0,67 | 1,52 |
18 | Racloir convergent droit | 1 | 0,34 | 0,76 |
21 | Racloirs déjetés | 2 | 0,67 | 1,52 |
22 | Racloir transversal droit | 1 | 0,34 | 0,76 |
23 | Racloirs transversaux convexes | 6 | 2,01 | 4,55 |
25 | Racloirs surface plane | 3 | 1,01 | 2,27 |
30 | Grattoirs typiques | 3 | 1,01 | 2,27 |
33 | Burins atypiques | 2 | 0,67 | 1,52 |
34 | Perçoir typique | 1 | 0,34 | 0,76 |
36 | Couteaux à dos typiques | 6 | 2,01 | 4,55 |
38 | Couteau à dos naturel | 1 | 0,34 | 0,76 |
39 | Raclette | 1 | 0,34 | 0,76 |
40 | Eclat tronqué | 1 | 0,34 | 0,76 |
42 | Encoches | 9 | 3,02 | 6,82 |
43 | Denticulés | 13 | 4,36 | 9,88 |
62 | Divers | 21 | 7,05 | 15,91 |
Total | 298 | 100 | 100 |
3004 pointes Levallois ont été aménagées par petites retouches directes sur un seul bord qui ne transforment pas la morphologie du support.
301Seules 2 pointes moustériennes font partie de cette industrie. La première a été réalisée sur un éclat assez épais. Elle présente un bord légèrement concave, tandis que l’autre est légèrement convexe, aménagée par retouches écailleuses abruptes déterminant une pointe fine (fig. 96, no 2). La seconde a été fabriquée sur un éclat Levallois de plus de 12 cm. La retouche couvre l’intégralité de l’un des bords ; sur l’autre, elle est localisée à l’extrémité distale et ne sert qu’à appointer la pièce (fig. 96, no 1).
302Les racloirs (IR = 23,15 ; IR ess = 52,27) représentent de loin la catégorie d’outils la plus riche et la plus variée. Les racloirs simples droits sont majoritaires (ess. = 21,97) (fig. 97, nos 1 à 3). 6 sont aménagés par retouches écailleuses semi‑abruptes relativement envahissantes qui affectent presque toute la longueur du tranchant. Sur l’un d’entre eux, le bulbe a été aminci par un grand enlèvement après repréparation du talon qui a ensuite servi de plan de frappe. Les autres exemplaires sont réalisés par de petites retouches marginales. Les racloirs simples convexes sont également assez nombreux (ess. = 12,12) (fig. 97, nos 4 et 5). La retouche, le plus souvent directe et semi‑oblique, n’affecte que le bord du support. 3 ont été réalisés sur éclat Levallois et 13 sur éclat. Dans trois cas, le bord retouché est opposé à un bord cortical (fig. 98, nos 1 et 2). Nous avons également dénombré 2 racloirs déjetés et 3 racloirs sur face plane aménagés par une retouche inverse continue, mais peu envahissante et 6 racloirs transversaux. Les racloirs doubles se répartissent comme suit : 3 racloirs doubles droits (fig. 98, no 3), 4 racloirs doubles droits convexes, 1 double droit concave, 2 doubles biconvexes et 1 racloir convergent droit. Le bulbe d’un de ces racloirs a été aminci par deux grands enlèvements (fig. 98, no 4), et un second présentent des arêtes fortement émoussées.
3032 grattoirs ont été réalisés sur de simples éclats, un troisième sur lame. La retouche est semi‑abrupte ou abrupte et déterminent un front court (fig. 99, nos 1 et 2).
304Les burins sont tous deux atypiques. Il s’agit plutôt d’enlèvements burinants sur éclats épais, sur la longueur de l’éclat et il est difficile de trancher entre la volonté de fabriquer un burin et celle de produire un support laminaire. Une chute de burin a en effet été transformée par retouches abruptes qui déterminent un dos abattu.
305Un rostre assez épais est défini par deux petites encoches assez profondes et aménage ainsi un perçoit grossier (fig. 99, no 3).
306Le seul couteau à dos de cette série a été aménagé sur éclat Levallois légèrement débordant par retouches abruptes très marquées qui prolongent le dos naturel de l’éclat, opposé au tranchant.
307Nous avons également inclus dans cette série 5 pièces de type Paléolithique supérieur présentant un dos abattu. Il s’agit de 2 lames, d’1 lamelle, d’1 éclat et d’1 chute de burin (fig. 92, nos 3 à 6).
308Une raclette est aménagée par petits enlèvements très abrupts sur le tranchant distal d’un éclat de petites dimensions.
309Une fine retouche abrupte a servi à aménager une petite troncature oblique sur l’extrémité distale d’un éclat.
3108 encoches sont réalisées sur support quelconque, non Levallois, dont une sur fragment de bloc gélif., 3 d’entre elles sont inverses (fig. 99, no 5).
31112 denticulés ont été retrouvés ; 3 de ces denticulés ont été réalisés sur éclats Levallois, dont 1 par retouches inverses ; 5 l’ont été sur éclats de gel et 1 sur galet (fig. 99, no 4), Les quatre derniers sont aménagés sur éclats corticaux par de petites retouches abruptes et semi‑abruptes.
3124 lames, 5 éclats Levallois et 12 éclats portent quelques retouches, insuffisantes pour les faire entrer dans une des catégories d’outils définies par Bordes.
3135 éclats Levallois ont été retouchés. Sur deux d’entre eux, le bulbe a été aminci par plusieurs enlèvements et ils portent une petite retouche marginale (fig. 89, no 3). Les trois autres sont retouchés sur à peine 1 cm du bord, de façon inverse dans deux cas.
3143 lames portent une retouche directe qui est localisée sur moins d’1 cm. Un fragment mésial présente une petite retouche inverse (fig. 92, no 7).
315A l’instar des lames et des éclats Levallois, 12 éclats ne portent qu’une petite retouche du tranchant, directe dans neuf cas et inverse dans les trois autres.
Caractéristiques typologiques
316Les éclats Levallois non transformés en outils sont nombreux (IL typologique = 55,36). Le groupe moustérien (II ess. = 53,78) est de loin le mieux représenté. Il faut remarquer l’abondance des racloirs simples, droits et convexes, par rapport aux autres types de racloirs. Les outils de type Paléolithique supérieur sont moyennement représentés (III ess. = 9,09), en proportion égale toutefois aux denticulés (IV. ess. = 9,89). L’indice de biface du gisement est très faible (IB ess. = 1,52) et non significatif.
317Quelle que soit la catégorie d’outils sur éclat concernée, la retouche ne transforme pas le support original et donne plutôt l’impression d’aménager ou de rectifier rapidement un bord ou un tranchant. Cette observation a déjà été faite sur l’industrie du site tout proche de Molinons. De nombreux éclats Levallois, lames et éclats quelconques portent sur un de leurs tranchants un esquillement qui a été interprété comme des traces d’utilisation.
Comparaisons et attribution culturelle (FIG. 100)
318L’industrie de la Briqueterie Debus à Marcoing (Nord) a été découverte dans un loess daté du début du Weichsélien et est attribuable au Moustérien de tradition acheuléenne (IB = 0,67, IB ess. = 1,52), cette série possède d’abondants bifaces (IB = 19,78, IB ess. = 36,27) triangulaires et cordiformes de section asymétrique. L’outillage sur éclat est, par contre, comparable. Les outils de type paléolithique supérieur sont également nombreux (III ess. = 12,3) et les racloirs sont typologiquement variés.
319La série de Catigny (Oise) (Tuffreau 1976c) présente des caractéristiques typologiques semblables à celles de l’industrie de Molinons et de la briqueterie Debus et serait datée du Weichsélien ancien. Les racloirs sont nombreux (IR = 20,35, IR ess. = 39,45), de même que les outils de type paléolithique supérieur (III ess. = 17).
320L’industrie de Saint‑Just‑en‑Chaussée (Oise) conservée dans la « couche humique » (Weichsélien ancien) possède de très nombreux bifaces et racloirs (IR ess. = 55,33, IB ess. = 40,97) mais le débitage Levallois (IL = 47,6) est beaucoup mieux représenté qu’à Molinons. Il s’agirait toutefois d’une série « enrichie » en belles pièces (Tuffreau 1977b).
321La série « café au lait » du Tillet (Bordes 1954) contient un outillage sur éclats comparable à celui de Lailly. Les bifaces, en plus grand nombre cependant, présentent les mêmes caractéristiques. Les séries de Catigny et du Tillet ont également été retrouvées dans des niveaux datés du Weichsélien ancien.
Étude de la répartition spatiale
322La répartition spatiale du niveau B a été étudiée à partir du décapage d’un seul tenant de 3500 m2, concernant les sections 11, 12, 16, 17, 18, 19, 22, 23, 27, 28 et 33 (fig. 87). Les sondages ponctuels réalisés dans les autres sections ne couvrent que des superficies trop restreintes.
323Plusieurs postes de débitage ont été identifiés dans les sections 11, 16 et 23. Dans le quart sud‑est de la section 11, en bordure de la section 16, 15 éclats d’épannelage ont été remontés.
324En section 16, un petit amas, constitué de 250 pièces retrouvées sur 1 m2, témoigne du façonnage d’au moins un biface. Il s’agit d’éclats de petite taille (en moyenne moins de 2 cm), et de nombreuses esquilles. Bon nombre de ces éclats sont caractéristiques de la taille de bifaces et présentent un profil courbe et régulier ainsi qu’un talon déversé. Non loin, dans la même section, un rognon gélif a éclaté, à cause d’une importante géode, après l’enlèvement de quelques éclats et a été abandonné. Tous les éléments de ce bloc ont été retrouvés sur place et remontés. Ces deux petits postes de débitage témoignent d’une action limitée dans le temps et dans l’espace.
325Dans les sections 23 et 27, des remontages réalisés sur de courtes distances et concernant toutes les étapes d’une chaîne opératoire Levallois, démontrent la présence d’activités de taille.
326Une zone, dans les sections 28 et 33, est constituée de nombreux blocs testés et de fragments de rognons gélifs qui ont éclaté dès les premiers coups de percuteur. De nombreux remontages ont été effectués ainsi que des raccords de cassures anciennes. Ces blocs ont été amenés sur place par les Moustériens, vraisemblablement sans test préalable, afin de constituer une réserve de matériau. La mauvaise qualité de la matière première a empêché la poursuite de tout débitage et tous ces fragments de rognons ont été abandonnés sur place. Il s’agit sans doute d’une activité ponctuelle et relativement brève. Dans cet « atelier‑test », quelques artefacts provenant d’une chaîne opératoire Levallois ont également été retrouvés.
327L’abondance du silex dans toute la région explique ce comportement des Paléolithiques vis‑à‑vis de la matière première, qui ont ramené ces rognons sur le site sans les avoir testés auparavant.
328La localisation des éclats Levallois ne semble déterminer aucune zone spécifique, sauf dans les sections 11 et 16, où 11 d’entre eux sont associés à 7 pointes Levallois (fig. 101, A, no 2, B, no 1). Les lames sont également présentes dans ce secteur d’activités (8 exemplaires).
329Hormis ces zones restreintes, aucune concentration particulière n’a été remarquée. Les éclats Levallois, les lames, les pointes Levallois et l’outillage sont associés pêle‑mêle à tous les types de déchets de taille. Les nucléus qui ont produit ces artefacts ont été retrouvés dans cette même zone sans localisation préférentielle et sans relation avec les supports mentionnnés (fig. 101 A, B, C). Les pièces retouchées, où les racloirs dominent, suivent la même dispersion et ne déterminent aucune association.
330Les remontages ont été réalisés à des distances variables, allant du centimètre à une vingtaine de mètres. Une lame légèrement débordante a été remontée sur un nucléus prismatique à 20 m (de la section 17 à la 12). De même, un éclat d’épannelage se remonte sur un éclat cortical à plus de 12 m (de la section 22 à la 23) (fig. 94). Les remontages réalisés à des distances variables sont parfois difficilement interprétables. Si le déplacement d’une lame de la section 17 (fig. 94), retrouvée à 20 m du nucléus situé en section 20, peut s’expliquer en terme fonctionnel, comment interpréter le remontage d’un éclat cortical servant à aménager le cintre de ce nucléus et retrouvé à une distance de 7 m (fig. 91, no 2) ? D’autres exemples de remontages, réalisés à des distances de plusieurs mètres, concernent des rebuts de débitage non retouchés (éclats corticaux...). Si la taille du silex a été réalisée sur place, elle semble n’avoir été qu’une première étape de l’occupation du site. La dispersion générale des vestiges et les observations réalisées sur les divers remontages suggèrent un déplacement des artefacts, après cette première étape de la taille, liée à la fréquentation du gisement par les Préhistoriques.
331Les remontages et les raccords de cassure ancienne, réalisés à des distances diverses et en l’absence de dispersion verticale démontrent l’homogénéité et l’unicité de ce niveau d’occupation. Celui‑ci est peu dense, avec des zones de plus forte concentration, distinctes les unes des autres, et qui correspondent aux secteurs liés aux activités de la taille (dans les sections 11, 16 et 33). Le reste du niveau se présente sous l’aspect d’une nappe homogène d’artefacts variés. La dispersion des produits de débitage (éclats d’épannelage, éclats divers, nucléus résiduels...), qui ne constituent ni amas, ni même simple poste de débitage, est difficilement interprétable. Aucune zone réservée à la production d’un seul type de support préférentiel (débitage Levallois, production de lames...) n’a été distinguée, hormis le petit amas de la section 16 (façonnage de biface) qui ne concerne que 1 m2.
Le niveau A
332Contenu dans la partie supérieure du niveau de limons jaunes, juste au‑dessus d’un léger cailloutis de colluvion, ce niveau concerne les mêmes zones que le niveau B (fig. 102). Il n’a été retrouvé principalement qu’au sommet de la butte et contient 417 pièces. Il ne dessine aucune concentration particulière, hormis deux petits postes de débitage retrouvés dans les sections 18 (74 pièces) et 26 (82 pièces) (fig. 103), mais est d’une densité constante sur le décapage d’un seul tenant de 3500 m2. Seul un plan de répartition spatiale concernant l’intégralité du niveau A et un décompte technotypologique sont présentés (tabl. xvii).
Nombre | % | |
Eclats corticaux | 63 | 15,1 |
Eclats | 155 | 37,17 |
Eclats Levallois | 21 | 5,03 |
Lames | 4 | 0,95 |
Pointes Levallois | 2 | 0,47 |
Pointe pseudo‑levallois | 1 | 0,23 |
Nucléus Levallois | 5 | 1,19 |
Nucléus | 24 | 5,75 |
Biface | 2 | 0,47 |
Rognons | 23 | 5,5 |
Esquilles | 105 | 25,17 |
Cassons | 6 | 1,43 |
Bloc de grès | 6 | 1,43 |
Étude technologique
333Sur un total de 5 nucléus Levallois, 4 présentent les stigmates d’un débitage unipolaire (fig. 104, no 5), le dernier étant débité selon un mode centripète récurrent. Un de ces nucléus a été réalisé à partir d’une plaquette. Le débitage de 24 nucléus ne semble pas organisé, 30,43 % sont informes et les plus nombreux sont ceux à un plan de frappe (34,78 %). Un nucléus a servi de percuteur occasionnel. Enfin, un nucléus Levallois réutilisé a été comptabilisé dans la présente catégorie.
334Les éclats corticaux (n = 63) proviennent pour la plupart de l’épannelage des blocs. Le plus souvent, le talon est lisse, voire même cortical.
335Les éclats (n = 155) représentent la catégorie d’artefacts la plus fournie. 6,41 % sont des éclats débordants et proviennent vraisemblablement de l’aménagement d’une surface de débitage Levallois.
336Les éclats Levallois sont peu nombreux (n = 21). On remarque 4 éclats d’assez grande facture (plus de 10 cm de longueur) (fig. 104, nos 3 et 4). L’un d’entre eux, de couleur brun‑jaune, a été réalisé à partir d’un silex à grain plus épais et aurait peut‑être été apporté par les Préhistoriques (fig. 104, no 3). Il s’agit du seul artefact débité sur ce type de matériau.
3372 pointes Levallois ont été retrouvées à deux mètres l’une de l’autre.
338105 esquilles ont été retrouvées essentiellement dans les petits postes de débitage des sections 18 et 26.
33920 blocs ont été dénombrés sur l’ensemble du niveau A. 3 blocs ronds, non utilisés, ont été retrouvés seulement à quelques centimètres les uns des autres. A proximité, un bloc de même morphologie, a livré des éclats à partir d’un seul plan de frappe. Il pourrait peut‑être s’agir d’une « réserve » de matière première.
340Trois autres petits blocs, également de forme ronde, présentent des traces d’écrasement et ont pu servir de percuteurs occasionnels. La plupart des autres blocs ont été testés par quelques enlèvements, puis abandonnés.
341Les talons lisses et corticaux sont majoritaires. Ils représentent respectivement 44,88 et 21,26 % du total des talons reconnaissables. Les talons dièdres et facettés sont en proportion moyenne (16,54 et 17,32 %).
342Il faut remarquer que la gestion de la matière première est identique à celle du niveau B. La gestion des blocs est peu poussée et les Préhistoriques ont également amené sur le site des blocs de « réserve », sans test préalable dont certains n’ont pas été utilisés.
Les remontages
343Un remontage a été effectué à l’intérieur de la section 16 avec 5 éclats corticaux qui proviennent de l’épannelagc d’un bloc.
344Dans l’amas de débitage de la section 18 (fig. 103), 3 éclats ont été remontés sur une ébauche de biface cassée lors de la taille (fig. 105). Ces enlèvements ont servi à amincir la base sur les deux faces. Cette ébauche, réalisée sur bloc, est de modeste facture sans aucun doute en raison de la matière première, mais l’on peut déjà y distinguer un profil piano‑convexe défini dès le début du façonnage. Les 2 éclats remontés sur la future face convexe, destinés à amincir la base, ont été enlevés dans l’axe de la longueur du biface. Ils portent tous deux une légère retouche, mais ont tout de même été abandonné. Le troisième se raccorde à la base de la face plane et avait la même fonction que les deux précédents. La présence d’une tête de cône bien marquée sur le bulbe de ces trois enlèvements suggère l’utilisation du percuteur dur.
345Plusieurs remontages ont été effectués dans le petit amas découvert en section 26. 2 éclats, dont l’un est un racloir abandonné sur place, se raccordent entre eux, de même que 3 éclats corticaux. L’usage du percuteur tendre semble attesté dans cet amas ; le façonnage d’un biface est probable.
Étude typologique
346En raison du faible nombre d’outils (34 au total), aucun indice typologique ni pourcentage n’ont été calculés.
347Seuls deux bifaces de petite taille ont été découverts (fig. 106, nos 2 et 3). L’un est subtriangulaire et l’autre subcordiforme avec une base corticale. Ils présentent un profil piano‑convexe bien marqués (Callow 1974 ; Boëda, Mazière 1989). Ils sont transformés en racloir par une retouche fine.
34813 racloirs ont été retrouvés, parmi lesquels nous avons distingué 3 simples droits, 3 simples convexes, 1 double droit, 5 racloirs convergents convexes et 1 racloir à retouches bifaces (fig. 104, nos 1 et 2)
349Deux encoches ont été réalisées sur support Levallois, une troisième sur pointe pseudo‑Levallois et la dernière sur un simple éclat. 15 éclats portent quelques légères retouches marginales très localisées.
350Ce niveau, trop lâche (fig. 102) ne se prête pas à une étude de la répartition spatiale. Quelques détails peuvent cependant être mis en évidence.
351Les remontages effectués dans le petit amas de débitage découvert en section 18 démontrent le façonnage sur place d’au moins un biface.
352Dans le second petit amas découvert en section 26, un racloir a été abandonné sur place et se raccorde à un autre éclat. L’usage du percuteur tendre pourrait attester le façonnage d’un biface également. Ces deux petits postes de taille sont sans aucun doute les témoins d’actions très brèves.
353D’un point de vue technotypologique, ce niveau moustérien, situé dans des limons attribués au Pléniglaciaire inférieur ou moyen, présente de nombreuses similitudes avec la série contenue dans le paléosol du Weichsélicn ancien maiségalement avec l’industrie de Lailly/Le Fond de la Tournerie, qui se situe en position stratigraphique comparable.
4.3.3 Conclusion
354Le site de Lailly/Le Domaine de Beauregard se situe en position topographique similaire au gisement de Molinons/Le Grand Chanteloup, c’est‑à‑dire sur un versant doux exposé à l’est en contexte limoneux, qui a favorisé la conservation de niveaux paléolithiques en place.
355Les niveaux D et C du Paléolithique moyen sont localisés à l’emplacement d’une structure karstique de type doline, en sommet d’interfluve, au sein de limons sableux de couleur brun‑rouge à orangé. Ces niveaux sont donc fortement perturbés par les phénomènes de soutirage dus à cette doline et ont fait l’objet de remaniements postérieurs. Le niveau D pourrait toutefois se rattacher à un des interglaciaires du Saalien, alors que le niveau C serait attribuable à l’interglaciaire Eémien.
356Le principal niveau d’occupation (niveau B) est contenu dans un paléosol gris développé sur des limons jaunes datant du Weichsélicn ancien. Il s’agit du même horizon‑diagnostic qu’à Molinons/Le Grand Chanteloup, qui nous a permis de définir le cadre chronostratigraphique de ces gisements. Cette industrie moustérienne possède principalement deux types de débitage, Levallois et laminaire, bien maîtrisés mais en proportion moyenne, associés à un abondant débitage d’éclats. L’étude de la répartition spatiale de ce niveau sur une superficie d’un seul tenant de 3500 m a permis de distinguer des zones liées à des activités de taille, sans qu’il s’agisse vraiment d’amas sauf pour la section 16. Des zones de fortes concentrations d’artefacts alternent avec des zones nettement moins riches.
357La partie inférieure des limons brun‑jaune contient le niveau A moustérien et se rattache au Pléniglaciaire inférieur ou moyen du Weichsélicn et pourrait être en position stratigraphique comparable à l’industrie contenue dans ce même type de limons sur le site de Lailly/Le Fond de la Tournerie.
4.4 Lailly/Le Fond de la Tournerie (vallée de la Vanne)
358p. depaepe, l. brassinne, avec la collaboration de v. deloze, v. krier, p. pihuit et c. swinnen
4.4.1 Introduction
4.4.1.1 Cadre géographique et géomorphologique
359La commune de Lailly se trouve à une vingtaine de kilomètres à l’est de Sens, près de la limite départementale de l’Yonne et de l’Aube. Le gisement paléolithique de Lailly/Le Fond de la Tournerie (fig. 107) se développe sur un versant orienté au nord‑est, au dessus du vallon sec du Fond de la Tournerie. Ce dernier va rejoindre la vallée de l’Alain, petit affluent de la Vanne qui coule mille mètres au sud, à la hauteur du village de Lailly (fig. 9). Ce type de géomorphologie est caractéristique de la région ; nous l’avions déjà rencontré pour le site paléolithique de Molinons/Le Grand Chanteloup (cf. ce volume), mais aussi entre Lailly et Bagneaux (cf. ce volume).
360La coupe AB (fig. 22) réalisée du sommet du versant jusqu’au fond du vallon sec permet d’obtenir le profil topographique réel du versant étudié. Ce profil montre un versant assez régulier, sans rupture de pente, mais assez raide comparativement aux autres versants étudiés. La pente calculée a une valeur de 10,6 %, ce qui est beaucoup plus élevé que les 3,3 % de Molinons/Le Grand Chanteloup et les 4,4 % de Lailly/Le Domaine de Beauregard. Le site se développe pour sa première partie (zone ouest, environ les 130 premiers mètres du décapage) sur une pente de 3 % ; la pente s’accentue en deuxième partie (zone est, du mètre 130 au mètre 220) jusqu’à 5,7 %. La pente moyenne du site est de 4,1 %,
4.4.1.2 Méthodologie
361Le diagnostic effectué sur le site révéla la présence de trois niveaux archéologiques attribuables au Paléolithique moyen (Krier et al. 1991). Ce diagnostic avait consisté en l’ouverture de cinq tranchées de dimensions variables, couvrant une superficie totale de 250 m2 (fig. 22). Seul le niveau Paléolithique moyen 1, le plus haut dans la séquence stratigraphique, fut décelé dans trois tranchées séparées par une distance maximale de 150 m. Les deux autres niveaux, le Paléolithique moyen II (11 pièces) et le Paléolithique moyen III (3 pièces dont 1 biface), n’ont été repérés qu’en tranchée A, c’est‑à‑dire vers la partie sommitale du versant.
362Le niveau archéologique I, représenté par 226 pièces se situait au sommet de la séquence stratigraphique, à une profondeur variant entre 60 et 90 cm à partir du sol actuel. Les deux autres niveaux, plus profondément enfouis (le niveau III se situe à près de 3 m sous le sol actuel) auraient nécessité pour leur exploitation archéologique des moyens considérables en engins de terrassement, si le décaissement autoroutier ne s’était pas limité à 1 m au maximum. Ils n’ont par conséquent pas été fouillés.
363Les sondages de diagnostic avaient permis d’estimer la superficie potentielle du site à environ 6 000 m2. Le niveau archéologique est tronqué au sommet de la pente, par un colluvionnement renfermant quelques artefacts. La tranchée C, située vers le pied de la colline à 230 m de la tranchée A, n’a livré aucun matériel lithique. La tranchée D, dans le fond du vallon sec, à 30 m de la tranchée C, ne renfermait que de la céramique gallo‑romaine et moderne comprise dans une couche limoneuse surmontant un cailloutis de silex sous lequel se trouve le toit de la craie. Lors de la phase fouille, le terrain fut divisé en sections de 10 m de côté. Les pièces découvertes furent repérées à l’intérieur de ces sections par coordonnées perpendiculaires et inventoriés en numérotation continue pour l’ensemble du site, ce qui facilita le traitement informatique des données7.
364Dans un premier temps, la moitié de chaque section fut fouillée8 ; ce quadrillage extensif permit le repérage des zones riches en matériel lithique, ainsi qu’une vue d’ensemble de toute la zone à traiter. Les zones les plus riches ont été fouillées à la main, de façon traditionnelle. Ces zones concernent une surface de 30 m2. Dans certains cas, la richesse d’une section nous a conduit à élargir le décapage sous les pistes destinées aux engins mécaniques circulant au nord et au sud de l’emprise. La surface fouillée s’élève à 5 486 m2, en deux zones de respectivement 3 886 m2 (zone ouest) et 1 600 m2 (zone est), séparées par un chemin d’exploitation. 3 540 artefacts lithiques ont été découverts. En raison de la décarbonatation du sédiment, aucun matériel osseux n’a été conservé9. En zone ouest, le niveau archéologique est perturbé sur environ 80 m2 par le fossé d’une ferme « indigène ». Les fosses qui accompagnaient ce fossé n’ont pas atteint le niveau du Paléolithique moyen.
4.4.2 Rappel du cadre chronostratigraphique des niveaux archéologiques
365L’étude lithostratigraphique, sédimentologique (cf. § 3.1.2.3) en corrélation avec les données micromorphologiques du site de Molinons/Le Grand Chanteloup (cf. § 3.2.3) et l’analyse palynologique (cf. § 3.3.4) des sédiments de ce site permettent de préciser les conditions de leur mise en place et de proposer une attribution chronostratigraphique (cf. § 3.4.2). Le site de Lailly/Le Fond de la Tournerie présente trois niveaux archéologiques successivement de haut en bas NI, NII et NIII inclus dans les sédiments limoneux de recouvrement du versant doux d’un vallon dissymétrique de la vallée de l’Alain (fig. 23 et tabl. vi). Les corrélations lithostratigraphiques avec le site de Molinons permettent de proposer des attributions chronostratigraphiques :
– NI dans les limons jaunes de l’ensemble 4 attribué au Pléniglaciaire inférieur du Weichsélien ;
– NII dans les limons bruns de remaniement d’horizon argilique de l’ensemble 6 attribué à l’Eémien au sens large ou au début du Weichsélien ancien ;
– NIII dans les limons beiges de l’ensemble 7 attribué à un pléniglaciaire du Saalien.
366Seul le niveau archéologique N1 a été fouillé.
4.4.3 Étude archéologique
367Cette étude concerne le niveau I, fouillé sur près de 5 500 m2, et compris dans une couche limoneuse brun‑jaune rattachée au Pléniglaciaire inférieur du Weichsélien (cf. § 3.1.2.3). Les deux autres niveaux attribuables au Paléolithique moyen au sens large, n’ont été découverts que sur quelques dizaines de mètres carrés et ont livré très peu de matériel (11 pièces pour le niveau II : 1 éclat Levallois, 1 casson et 9 éclats et 3 pièces pour le niveau III : 2 éclats corticaux et 1 biface ovalaire réalisé sur un bloc gélifracté).
4.4.3.1 Étude technologique
Introduction
368Le matériel lithique se compose de 3540 artefacts, dont 271 pièces retouchées et 17 bifaces, ébauches et fragments de bifaces. Quelques blocs de grès furent également recensés au sein du niveau archéologique, mais aucun ne porte de traces de débitage ou de percussion.
369L’étude technologique du matériel a suivi la méthode décrite et utilisée par Alain Turq (Jaubert et al. 1990 : 103‑115) pour l’étude du site de La Borde. La totalité du matériel non retouché a donc été classée en neuf grands groupes technologiques, eux‑mêmes subdivisés en sous‑groupes (tabl. xviii). Ces groupes représentent les différents stades de gestion du matériau par les Préhistoriques :
– groupe 0 acquisition de la matière ;
– groupe I décorticage ;
– groupe II supports à dos naturel ou de débitage ;
– groupe III supports ordinaires ;
– groupe IV supports Levallois ;
– groupe V produits de préparation ou de ravivage des nucléus ;
– groupe VI nucléus ;
– groupe VII produits de façonnage des outils retouchés ;
– groupe VIII pièces non caractéristiques (cassons, débris, esquilles).
370La liste technologique de A. Turq a cependant été modifiée afin de prendre en compte certaines spécificités propres au site. Ainsi, certaines sous‑classes ont‑elles été supprimées, aucune pièce de ce type ne figurant en décompte, ou ces sous‑classes ne semblant pas pertinentes dans le cadre de cette étude10. Par contre, il semble utile d’ajouter à la liste de base les sous‑classes IV.3 lame Levallois ; IV.4 pointes Levallois ; V.7 lame débordante ; VIII.4 esquilles (éclats de moins de 1 cm), afin de tenir compte de leur présence au sein du matériel. De plus, le pourcentage d’esquilles retrouvées peut apporter des indications sur l’intensité du lessivage du site, ainsi que sur le caractère fin de l’intervention de terrain. Par souci de facilité les numéros préalablement abandonnés ont été réutilisés.
371Un histogramme illustre la répartition de ces huit classes technologiques (fig. 108). Les pourcentages ont été calculés, pour les groupes 0 à VI, à partir du total de ces groupes, et pour les groupes VII et VIII, sur la totalité du matériel (selon A. Turq in Jaubert et. al. 1990 : 105).
372Les nucléus Levallois à éclats (VI.3) ainsi que les nucléus non‑Levallois « divers » (VI.7) font l’objet d’un sous‑total séparé, illustrant ainsi leur variabilité technologique.
373Les talons sont examinés et classés selon les types suivants : lisse, facetté, en chapeau de gendarme, dièdre, cortical, punctiforme, ôté, cassé (dont ceux lors de la fouille), écrasé à la percussion. Les indices de facettage sont calculés de manière conventionnelle (en excluant les ôtés, les écrasés à la percussion et les cassés).
Acquisition de la matière première
374Plus de 99 % du silex dont ont disposé les Préhistoriques installés à Lailly est de bonne qualité et provient certainement des formations crayeuses du Santonien affleurant sur les versants raides des petites vallées dissyméttiques perpendiculaires à la vallée de la Vanne. Cette zone d’approvisionnement, proche du site (dans un rayon de moins de 5 km), correspond à une « fréquentation maximale de l’espace », et la quête du matériau est sans doute liée aux autres activités de subsistance du groupe (Geneste 1985 ; 1988). Le nombre élevé de rognons testés ainsi que la gestion peu économique de la matière première remarquée dans le débitage, Levallois ou non, confirment cette hypothèse de proximité des gîtes.
375Quelques artefacts semblent cependant exogènes. Il s’agit de 3 éclats Levallois et d’1 racloir simple droit sur éclat Levallois, tous quatre en silex jaspé brun, ainsi que d’1 racloir double biconvexe en chaille. Ces cinq outils (au sens large), dont la provenance est encore inconnue, s’intégrent stratigraphiquement, technologiquement et typologiquement très bien au reste du matériel. Peut‑être correspondent‑ils à l’arrivée des Préhistoriques sur le terrain ?
Approche comparée des groupes technologiques
376Le débitage de Lailly (fig. 108), comparé aux histogrammes technologiques présentés par A. Turq (in Jaubert et al. 1990 : 107), est proche d’un débitage Levallois expérimental (fig. 108), ainsi que de celui du site de Molinons (fig. 108 ; cf. chap. 4.2) et, dans une moindre mesure, de Lailly/Le Domaine de Beauregard (fig. 108 ; cf. chap. 4.3). On y constate la même faible représentativité des couteaux à dos (groupe II), les valeurs similaires des groupes V et VII (préparation et ravivage des nucléus ; façonnage des outils). Le groupe I (décorticage) de Lailly/Le Fond de la Tournerie est plus faible que ceux de Molinons et de Lailly/Le Domaine de Beauregard. Il ne faut pas y voir une différence de débitage mais bien de méthode d’étude, une distinction entre éclats de décorticage (groupe I.2) et éclats semi‑corticaux (moins de 50 % de surface corticale ; groupe III.2) n’ayant pas été réalisée sur ces deux derniers sites.
377Par rapport au débitage expérimental, le groupe VI (nucléus) est plus fort à Lailly, ce qui est logique, le débitage n’y étant pas exclusivement Levallois. Le rapport entre les éclats non‑Lcvallois et les éclats Levallois est d’ailleurs plus élevé à Lailly que dans la série expérimentale. Il ne semble donc pas que des produits Levallois aient été introduits sur le site, du moins en quantité significative. Cela confirme les données acquises lors de l’étude de la matière première.
378La valeur élevée du groupe 0 (les rognons testés) semble indiquer une gestion peu économique de la matière première, abondante dans la région (cf. supra) et permettant un choix, et la proximité des gîtes d’approvisionnement.
379Les esquilles composent près de 10 % du matériel, tous groupes confondus. Il convient cependant de signaler que, de ces 346 esquilles, plus des trois quarts proviennent de l’amas de débitage de la section 12. Ce phénomène s’explique par la conjonction de deux facteurs : la conservation des vestiges et la qualité de la fouille. Il est possible que l’accumulation d’artefacts dans l’amas de débitage ait « piégé » les esquilles, celles‑ci résistant alors à un lessivage trop faible pour mouvoir les petites pièces, mais suffisant pour évacuer les esquilles. Les amas de débitage plus petits (sections 29 et 33 par exemple), donc moins « piégeurs », livrent en effet moins d’esquilles, toutes proportions gardées, que l’amas de la section 12, bien qu’ils aient été fouillés par les mêmes mains.
380Il ne faut évidemment pas négliger le caractère particulier de la technique de fouille employée à Lailly (décapage extensif à la pelle mécanique) dans la représentativité des esquilles. On peut aisément imaginer que cette méthode amène la perte de nombreuses petites pièces. Cependant, en comparaison des données citées par A. Turq (in Jaubert et al. 1990 : 107), seul un site sur cinq (Roc de Marsal couche IXa ; fig. 109) dépasse nos valeurs en groupe VIII. Cette comparaison apporte quelque crédit à la fouille à la pelle mécanique qui peut, de prime abord, sembler destructrice.
Préparation du débitage et accidents de taille
381Les talons préparés par facettage sont moyennement représentés (IF = 34,46 ; IFs = 25,01 ; fig. 110) ; les talons lisses dominent largement ; les dièdres sont fréquents. La tendance s’inverse pour les supports Levallois où les talons facettés sont prédominants (IF = 82,35 ; IFs = 76,47).
382Ils sont suivis, en proportions équivalentes, par les talons lisses et ceux en chapeau de gendarme. L’outillage présente un IF de 48,14 et un IFs de 37,65 (près de 20 % de l’outillage est sur support Levallois). Les talons cassés représentent plus de 10 % du total.
383Les talons écrasés ainsi que certains talons cassés (environ 5 % du total), de même que la cinquantaine d’accidents Siret dénombrés, sont sans doute dus à une utilisation mal contrôlée du percuteur dur (Turq in Jaubert et al. 1990 : 106). Notons qu’aucun percuteur ne fut découvert lors de la fouille.
384La matière première, en général de bonne qualité, présente parfois quelques fissures ou géodes responsables de certains accidents de taille.
Chaînes opératoires
385Les remontages effectués sur 14 nucléus non Levallois et sur 7 nucléus Levallois, les remontages d’éclats entre eux ainsi que l’étude diacritique (Dauvois 1976) des négatifs d’enlèvements sur les nucléus et sur les éclats les plus caractéristiques ont permis une approche assez précise des types de débitages présents sur le site.
Chaîne opératoire non Levallois
386Les nucléus informes représentent près du tiers des 205 nucléus non‑Levallois (fig. 111). Ils sont suivis par les nucléus à un plan de frappe (environ un quart du total) et à deux plans de frappe (le plus souvent opposés : environ 12 % ; plus rarement orthogonaux : environ 2,5 % ; voir à ce sujet Vallin 1988 : 170). Viennent ensuite les globuleux (environ 7 %) et les discoïdes (environ 5 %). 49 fragments provenant de nucléus indéterminés ont également été découverts.
387La plupart de ces nucléus ne portent les stigmates que de quelques enlèvements et auraient pu faire l’objet d’un débitage plus poussé après, parfois, réfection du ou des plan(s) de frappe. Il en est de même pour les nucléus informes qui ne dépassent souvent que de très peu le stade de rognon testé. L’utilisation du débitage sur éclat est assez importante (environ un cinquième des nucléus) ; cependant, seuls 6 éclats Janus ont été retrouvés. Notons la présence de 3 nucléus peu typiques à lamelles courtes et de 3 nucléus pyramidaux. 49 fragments de nucléus indéterminables ont été dénombrés.
388Quelques nucléus globuleux ou informes, d’assez petites tailles, sont sans doute des nucléus Levallois dont l’exploitation a été poussée au maximum. Ces pièces sont rares, et leur présence ne modifie pas l’impression de gestion peu économique de la matière première par les Préhistoriques. Deux blocs ont d’ailleurs été entièrement remontés, aucun élément du débitage n’ayant été prélevé. Le premier (So29‑ 33/3176, poids 3,6 kg, dont nucléus 2 kg, décalottage 1 kg), après décalottage par enlèvement de près du tiers supérieur du rognon, fut débité selon un mode bipolaire à partir du négatif du décalottage (fig. 112). Le débitage s’est arrêté après l’enlèvement de quelques éclats épais alors qu’il pouvait être continué. Le second (So7) est intensivement débité selon un mode unipolaire par enlèvements épais et de grandes dimensions. Le remontage à courte distance et exhaustif de ces blocs dénote un comportement dispendieux vis‑à‑vis d’une matière première facilement accessible.
389Le débitage est souvent opportuniste : dans plusieurs cas, un grand éclat détaché lors de l’épannelage ou de la phase de plein débitage, voire même un fragment du nucléus, servent eux‑mêmes de supports pour de nouveaux enlèvements.
Chaîne opératoire Levallois
390Le débitage Levallois (fig. 113) est bien représenté, mais non prédominant (IL = 19,28). À l’exception de la méthode linéale, toutes les formes de débitage Levallois décrites par Eric Boëda sont représentées à Lailly (Boëda 1986).
391Les nucléus Levallois sont au nombre de 67 ; 7 fragments de nucléus ont également été recensés. Les nucléus les plus fréquemment rencontrés portent les stigmates d’un débitage récurrent unipolaire ; ils sont suivis par les récurrents centripètes et les récurrents bipolaires, en nombre presque équivalent. Quelques nucléus à pointe complètent le tableau (fig. 114, 115). La plupart des nucléus ont été abandonnés alors qu’un réaménagement de la surface de débitage était possible par réfection des convexités latérale et distale. Cette gestion peu économique de la matière première trouve son pendant dans le débitage non‑Levallois (cf. supra).
P.P. del. / AFAN
P.P. del. / AFAN
392Les Préhistoriques ont, dans quelques rares cas, poussé plus loin l’exploitation du bloc selon trois procédés technologiques différents :
– en continuant le débitage selon le processus Levallois, les nucléus résiduels sont dès lors très petits ;
– en « achevant » le nucléus par l’enlèvement d’un dernier éclat envahissant, au contre‑bulbe souvent important ; ces nucléus correspondent à la catégorie « préférentiel » des décomptes ;
– par un débitage exhaustif du bloc selon une conception non‑Levallois ; plusieurs nucléus globuleux ou informes étaient sans doute des nucléus Levallois ainsi terminés.
393Cependant ces cas relativement rares d’exploitation poussée des nucléus ne modifient pas l’impression de gaspillage dégagée par le débitage. Un remontage effectué en section 12 est à cet égard significatif (no 1970). Il concerne un bloc de silex de bonne qualité presque complètement remonté (poids = 5350 g), composé de 88 éclats (dont 2 éclats Janus, 3 éclats retouchés, 1 éclat d’épannelage très épais repris en nucléus unipolaire –6 enlèvements ont été ôtés– et 1 éclat Levallois atypique), et d’un nucléus Levallois de type récurrent bipolaire (fig. 116 à 118).
394Une partie de l’épannelage s’est réalisée en dehors du site (du moins de la zone fouillée), peut‑être lors de la récolte du bloc. Celui‑ci est ensuite préparé selon un mode « centripète » (en tournant autour du bloc), par des éclats larges et épais, à partir de plans de frappe non préparés (phase Ia, fig. 116, nos 1, 2 et 3 et fig. 118, A). Un des éléments de ce premier débitage est lui‑même taillé (nucléus sur éclat), dans un poste de débitage secondaire situé à 5 m au sud du premier (phase 1b, carré J10, fig. 118, A, C).
395Le volume ainsi élaboré (poids = 800 g) est ensuite débité de manière beaucoup plus précise, par de petits enlèvements alternés sur une face puis sur l’autre (phase II, carrés H4, H5, 14 et 15, fig. 116, nos 5, 6 et 7 et fig. 118, A, B), déterminant une face supérieure (future surface de débitage) et une face inférieure (future surface de préparation de plans de frappe) d’importance et de section inégales. Le nucléus obtenu présente une forme « en carapace de tortue » classique.
396Seuls 4 éclats de type Levallois ont ensuite été débités (phase IIIa) ; un seul, d’assez mauvaise facture, fut retrouvé (fig. 116, no 8, fig. 117 et fig. 118, A). Le tailleur a tenté l’extraction d’un dernier éclat. Cependant, un manque de convexités latérales et le coup porté trop bas l’ont conduit à l’échec : l’éclat a rebroussé (phase IIIb, fig. 116, no 8, fig. 117 et 118, A). Le nucléus fut retrouvé, isolé, à 11 m au nord‑ouest du poste de débitage (phase IV).
397Une gestion peu économe de la matière première est ici manifeste. Le nucléus résiduel pèse 140 g, le bloc avant débitage 5350 g. Seuls 4 éclats Levallois de petite taille ont été débités, et l’un d’eux (poids = 21 g, fig. 116, no 8 et fig. 117) n’a pas été prélevé par les Préhistoriques. Aucun éclat de préparation de dimension supérieure à 2 ou 3 cm ne manque au sein de l’amas, où figurent également les 3 éclats retouchés. En estimant la masse des 3 éclats Levallois prélevés par rapport à leurs négatifs d’enlèvements et à celui abandonné dans l’amas, on peut considérer que moins de 2 % de la masse débitée a été utilisée.
398Un autre remontage illustre un débitage Levallois récurrent unipolaire (no 4301, section 75, fig. 119). Après préparation de la surface de débitage fut enlevé un premier éclat (non retrouvé), puis un second après réaménagement des convexités latérales (un éclat débordant, cassé, fut découvert). Deux éclats laminaires furent ensuite débités : le premier, à talon en chapeau de gendarme, se brisa lors de la taille ; le second, talon lisse a emporté une partie du bord du nucléus et a rebroussé, créant ainsi une dépression amincissant fortement ce dernier. Un dernier éclat débordant, débité après ravivage du plan de frappe, n’a pu réaménager suffisamment les convexités latérales (à cause de la dépression due à l’enlèvement précédent), et le nucléus Rit abandonné.
399Le remontage 3147 concerne 1 nucléus Levallois récurrent centripète cassé en deux parties et 6 éclats (fig. 120 sections 29, 29N et 33). Le débitage s’est effectué à partir de quatre plans de frappe, selon l’ordre suivant (les phases entre parenthèses ne sont attestées que par les négatifs d’enlèvements ; seules les phases les plus importantes sont décrites) :
– 1 : (enlèvements de plusieurs éclats d’épannelage à partir du plan de frappe A) ;
– 2 : enlèvement d’un éclat (cortical) à partir de la future surface de débitage, pour préparer le plan de frappe B ;
– 3 : un éclat (cassé), à talon cassé, débité à partir du plan de frappe B ;
– 4 : (au minimum un éclat à partir du plan de frappe C) ;
– 5 : un éclat à talon lisse, présentant quelques traces de cortex, débité à partir du plan de frappe D ;
– 6 : un premier éclat débordant, à talon lisse, débité à partir du plan de frappe A ;
– 7 : un second éclat débordant, à talon lisse, débité à partir du plan de frappe A, ce qui permet l’enlèvement...;
– 8 : (d’un large éclat débité à partir du plan de frappe B) ;
– 9 : un éclat, talon cassé, débité à partir du plan de frappe A;
– 10 : (un éclat de grande taille, débité à partir du plan de frappe D, préparé parfacettage) ;
– 11 : (un éclat débité à partir du plan de frappe A) ;
– 12 : bris et abandon du nucléus.
400Le débitage de ce nucléus s’est opéré, après préparation des plans de frappe (le plan de frappe A est préparé dès le début de la taille, le plan de frappe B après l’enlèvement de quelques éclats d’épannelage), de manière centripète et dans un premier temps dans le sens horaire, effectuant plus d’un tour complet, à partir du plan de frappe A jusqu’au plan de frappe B. Ensuite, le sens du débitage s’est inversé pour revenir aux plans de frappe A et D. Un dernier éclat est débité, de nouveau à partir du plan de frappe A, avant le bris et l’abandon du nucléus. L’ordre des opérations est le suivant (les lettres signifient que le débitage s’effectue à partir de ce plan de frappe) : (préparation A)‑(A)‑préparation B‑B‑(C)‑D‑A‑A‑(B)‑A‑(D)‑ (A)‑abandon.
401Il est notable que seul le plan de frappe D est facetté ; c’est à partir de celui‑ci que les plus grands éclats Rirent débités. Signalons également que les différentes phases du débitage se sont effectuées à trois endroits distincts : la préparation du plan de frappe B en section 33, carré F9 ; le débitage de l’éclat 3 en section 29N, carré J9, donc à onze mètres du précédent ; le reste du débitage et l’abandon du nucléus (5 à 13) en section 29 carré J1, à deux mètres au sud de l’éclat 3. Il est cependant possible que cet éclat d’assez petite taille, ait « sauté » lors du débitage, pour se retrouver deux mètres au nord des autres.
Débitage laminaire
402L’indice laminaire, faible (ILam = 4,67) est en partie dû aux critères rigoureux de détermination des lames. La seule condition L/l>2 ne nous a pas semblé suffisante. Nous y avons ajouté des paramètres de morphologie générale (aspect, parallélisme ou sub‑parallélisme des arêtes, épaisseur ; ces caractères morphométriques ne sont cependant pas toujours suffisants pour déterminer la technique, Levallois ou non, du débitage) afin de restreindre la catégorie « lame » aux pièces dont il semble évident que l’allongement ait été recherché par le tailleur. De plus, il est apparu que certaines de ces lames provenaient d’une conception volumétrique du débitage, et non d’un débitage de surface caractéristique des méthodes Levallois.
403Les pièces qui attestent la présence d’un débitage laminaire volumétrique sont peu nombreuses : 10 lames brutes (fig. 121, nos 8‑10), 2 lames à crête (fig. 122, nos 1 et 3), 3 lames retouchées (fig. 121, nos 4, 5), 5 lames à bord abattu (fig. 121, nos 2 et fig. 121, no 6) et 2 nucléus (fig. 122, nos 2 et 4).
40411 lames ont été obtenues à partir d’un débitage unipolaire, les 9 autres selon un mode bipolaire. Les talons sont facettés dans quatorze cas ; 1 lame présente un talon dièdre, 1 autre un talon lisse (5 sont cassés). L’allongement moyen est proche de 3,5/1 ; le rapport largeur/épaisseur est de 3,3 (ces chiffres sont à considérer avec les précautions imposées par un échantillonnage restreint). Les arêtes sont parallèles ou sub‑parallèles.
405Sur le premier nucléus (fig. 122, no 2) une crête, dont il subsiste un versant, a été préparée. 3 lames au moins ont été débitées à partir du même point d’impact sur le plan de frappe ; la troisième lame a rebroussé. La présence d’une fissure au sein du bloc rendait inutile une autre tentative. Pour les mêmes raisons, seules 3 lames ont été extraites, selon un mode bipolaire, du second, qui a également conservé les traces de la préparation d’une crête (fig. 122, no 4). À l’exception du plan de frappe inférieur (lisse) du second nucléus, les plans de frappe sont facettés.
406Il convient de remarquer que ces nucléus n’ont fourni, ensemble, qu’un maximum de 6 lames (dont une rebroussée). On peut donc s’interroger sur la présence des autres lames, d’autant plus qu’il en est certaines d’une taille largement supérieure à celles des deux nucléus : soit elles ont été importées, soit les nucléus dont elles proviennent se trouvent en dehors de la zone fouillée (laquelle couvre cependant 5486 m2), soit ils ont été débités secondairement selon un schéma non laminaire.
407Notons également la présence de deux lames débordantes (fig. 121, nos 7). Ces lames procèdent de la même organisation du débitage que celle décrite sur le site de Rocourt (Otte et al. 1990), afin d’assurer la convexité du nucléus « mais en orientant le débitage vers des produits allongés ». Ces lames débordantes sont, comme à Rocourt, unipolaires. Aucun nucléus correspondant à ce débitage laminaire de conception Levallois n’a été retrouvé.
Façonnage
408La taille de bifaces est attestée par la présence de 3 ébauches et d’au moins 16 éclats de taille. Le façonnage des bifaces s’est réalisé à partir de gros éclats (5 exemplaires sur 11) ou de plaquettes.
Étude morphométrique
409Cette étude concerne les éclats Levallois, les outils sur support Levallois ou non, les nucléus Levallois ainsi qu’un échantillonnage statistiquement représentatif d’éclats non‑Levallois (150 pièces). Seules les pièces intactes ou ne présentant pas de cassure(s) importante(s) ont été prises en considération, de même que les outils dont le support ne fut pas modifié de façon significative par la retouche.
Supports Levallois (tabl. xix, FIG. 123 à FIG. 124, B)
410Les éclats sont en majorité petits à moyens (selon la terminologie employée par Leroi‑Gourhan et al. 1965), les assez petits étant les plus nombreux. La moyenne est située autour de 70 mm pour la longueur et de 47 mm pour la largeur. Le rapport L/l est variable, mais les éclats assez longs prédominent (L/1 entre 1,5 et 2), talonnés par les éclats larges (L/1 entre 1 et 1,5). La moyenne des rapports est de 1,51.
411Les négatifs d’éclats relevés sur les nucléus présentent des longueurs et des largeurs légèrement inférieures à celles des éclats. Les rapports L/l des négatifs d’enlèvements et des éclats sont semblables : le débitage semble homogène.
412Les outils sur support Levallois présentent quelques différences morphométriques par rapport aux éclats Levallois. Le rapport L/l est plus faible, alors que les longueurs sont relativement stables (environ 77 mm), mais que les largeurs sont plus importantes (environ 55 mm en moyenne).
413Il semble que, dans le choix par les Préhistoriques de Lailly, d’un éclat Levallois comme support d’outillage, la largeur de la pièce est plus importante que sa longueur (Depaepe en cours). Cette préférence pourrait s’expliquer par la volonté d’emmanchement des pièces : que le manche soit de type femelle (Anderson‑Gerfaud, Helmer 1987) ou constitué d’une simple lanière de cuir (Beyries 1987), un support large offrira une meilleure résistance de l’outil (artefact lithique et manche), la surface du racloir (ou autre) sensu stricto, insérée dans le manche, étant plus importante.
Supports non Levallois (tabl. xix, fig. 123 et 124, c, d)
414Les éclats non Levallois présentent des formes et des dimensions très variables. Cependant, une majorité d’entre eux sont petits à assez petits. Le rapport L/I croît avec la longueur, alors que les pièces les plus petites sont très larges. Les éclats transformés par retouches en outils montrent en général les mêmes formes (L/I) et dimensions (longueur moyenne autour de 77 mm, largeur moyenne d’environ 53 mm) que les outils sur support Levallois. Il semble donc que le type de support importe moins que ses dimensions et sa morphologie dans la décision de l’aménager en outil, même s’il y a éventuellement choix d’un support précis pour tel ou tel type d’outil (cf. infra Choix d’un support préférentiel).
4.4.3.2 Étude typologique
415Cette étude est réalisée à partir de la liste‑type utilisée par François Bordes (1950 ; 1981). L’outillage représente 528 pièces, soit 14,91 % du total des artefacts recueillis lors de la fouille. Les décomptes essentiels se font sur base de 267 pièces (tabl. xx). À ces totaux, il convient d’ajouter 17 bifaces, fragments ou ébauches de bifaces.
Indices
416L’indice Levallois typologique est assez fort (IL ty = 48,67 ; IL = 19,28) : le nombre d’éclats et pointes Levallois non transformés en outils est élevé.
417Le groupe moustérien est le plus important (11 ess. = 52,05). Les racloirs y sont abondants (IR = 20,83 ; IR ess. = 41,17), surtout les racloirs simples (dont plus de la moitié de simples convexes) qui constituent plus de 60 % de ces outils. Les pointes motistériennes sont faiblement représentées (2,62 en ess.). L’IBC est de 15,38.
418Le groupe III est moyen (III ess. = 10,48). Les grattoirs en sont la composante la plus importante (5,25 en ess.), suivis des couteaux à dos (2,99 en ess.) et des perçoirs (1,87 en ess.). Les denticulés sont rares (IV ess. = 3,74), de même que les encoches (3 en ess.). Les indices des bifaces sont faibles : IB = 3,21, IB ess = 6,36.
Étude descriptive
419Des 11 bifaces, 5 sont cordiformes, 3 cordiformes allongés, 1 triangulaire, 1 à base réservée et 1 subtriangulaire de section trapézoïdale et tendant vers le lancéolé. Au moins 5 exemplaires sont réalisés à partir de grands éclats.
420Les bifaces cordiformes (fig. 125, nos 1 à 3 et fig. 126, noss 1 et 2) et cordiformes allongés (fig. 127, nos 1 à 3) présentent des dimensions assez semblables (de 10,3 à 14,9 cm de longueur). Leur profil est piano‑convexe, essentiellement en partie distale : la face plane est réalisée par de grands enlèvements couvrants ; la face convexe porte une retouche secondaire transformant la pièce en racloir (Boëda, Mazière 1989). Les deux morceaux de l’un de ces bifaces, cassé anciennement, ont été retrouvés à moins d’un mètre l’un de l’autre (en section 76). 7 de ces bifaces ont la pointe tronquée par deux ou plusieurs petits enlèvements. Toutes ces caractéristiques jointes à la similitude de la matière première font que ces bifaces forment un ensemble homogène.
P.P. del. / AFAN
421Le biface triangulaire (fig. 126, no 3), réalisé sur éclat, présente les mêmes caractéristiques de piano‑convexité que les bifaces cordiformes. La pointe de ce biface est également tronquée. La section très asymétrique du biface subtriangulaire (fig. 128, no 3) accentue fortement le caractère plano‑convexe de cette pièce réalisée sur un rognon. La face ventrale porte les négatifs de grands enlèvements et ne présente pas de retouches secondaires. La pointe de ce biface est cassée par flexion. Cette pièce montre des similitudes morphologiques avec certains artefacts (Halbkeil) du Micoquien d’Europe centrale défini par G. Bosinski (1967).
422Le biface à base réservée (fig. 128, no 1) est réalisé à partir d’un petit rognon. Bien qu’il soit également piano‑convexe, la retouche secondaire n’affecte qu’une partie très limitée du bord. Signalons également la présence de 3 fragments de bifaces (2 pointes et 1 base), ainsi que de 3 ébauches (2 sur bloc, fig. 129, no 1 ; 1 sur éclat).
423Les 18 pointes Levallois retouchées présentent une retouche souvent oblique, parfois semi‑abrupte, généralement marginale et sur un seul côté. 2 portent une retouche inverse (fig. 129, no 4). 3 présentent un aménagement de la base par retouches semi‑abruptes (fig. 129, nos 3 et 7). Une seule est réalisée sur un support allongé.
424Les 7 pointes moustériennes sont aménagées par des retouches obliques ou semi‑obliques, souvent écailleuses (fig. 129, no 6), parfois marginales (dans ce cas, sur un bord et en association avec une retouche écailleuse). L’une est réalisée sur une pointe pseudo‑Levallois. Une autre, de petites dimensions, n’est retouchée que d’un côté, la forme de l’éclat rendant inutile l’aménagement de l’autre bord. Aucune n’est réalisée sur support Levallois.
425Presque tous les types de racloirs sont représentés parmi les 110 exemplaires retrouvés. Les simples convexes (fig. 130) et simples droits (fig. 131) constituent plus de la moitié de l’ensemble. Les racloirs transversaux et les racloirs type Quina sont peu fréquents (respectivement 7 et 1). Sur l’ensemble des racloirs, 32 sont réalisés sur support Levallois (soit 29,09 %). La retouche, souvent marginale et peu envahissante, est généralement oblique ou semi‑abrupte, parfois très oblique (surtout sur les supports Levallois), rarement écailleuse. 4 racloirs présentent un amincissement du talon (fig. 130, no 4 et fig. 132, no 6) ; la partie distale d’un racloir double biconvexe est aménagée par retouches abruptes (fig. 132, no 3). Un grand racloir simple droit présente un réaménagement de la base après cassure (fig. 131, no 1).
P.P. del. / AFAN
426A noter le pourcentage insignifiant des racloirs à retouches Quina ou semi‑Quina (1 exemplaire de chaque type). Signalons également la présence d’1 grand racloir biconvexe en chaille, seul exemplaire en ce matériau découvert sur le site (fig. 132, no 1), d’1 racloir à retouches bifaces envahissantes assez semblable à certaines pièces d’Europe centrale (fig. 128, no 2) ainsi que d’1 petit racloir biconvexe repris secondairement en nucléus et de 8 fragments de racloirs de types indéfinissables.
427Les grattoirs sont les plus nombreux des outils du groupe Paléolithique supérieur : 8 typiques et 6 atypiques. Ils sont réalisés sur bout de lame (5 exemplaires) ou sur éclat. 2 sont aménagés sur racloir simple concave (fig. 133, nos 1 et 3) ; 1 sur racloir double concave‑convexe.
428Le seul burin découvert est atypique et réalisé sur un fragment proximal de lame.
429Les perçoirs présentent dans quatre cas une petite mèche dégagée par retouches abruptes. Le cinquième, réalisé sur éclat cortical, est proche du bec (fig. 133, no 5). Un des perçoirs est aménagé sur un racloir double biconvexe (fig. 133, no 4).
4307 couteaux à dos typiques et 1 atypique ont été dénombrés. 2 d’entre eux, sur éclat, présentent un dos aménagé par retouches directes et par retouches inverses (fig. 134, nos 1 et 2). Parmi les couteaux à dos figurent 3 lames (dont 2 cassées) et 1 éclat laminaire, minces, présentant une retouche abrupte formant un dos étroit. Ces bords abattus peuvent être considérés comme des couteaux à dos passant au couteau de Chatelperron. Une grande lame présente un bord abattu par retouche abrupte (fig. 121, no 6),
431Les 5 raclettes sont réalisées sur de petits éclats par de fines retouches abruptes. 2 éclats présentent une troncature abrupte inverse, 1 une troncature abrupte directe.
4327 encoches sont réalisées sur éclats ou cassons (un cas) par retouches abruptes ou semi‑abruptes. Une encoche clactonienne a été dénombrée.
433Les denticulés, au nombre de 10, sont réalisés par retouches directes ou inverses (fig. 134, no 3) sur éclats ou éclats corticaux, rarement sur lame (1) ou sur éclat Levallois (2, dont l’un est double, fig. 134, no 4). 1 denticulé est sur racloir simple droit.
434Enfin, sont regroupés dans la catégorie « divers » 39 éclats et lames retouchés mais peu caractéristiques (retouche courte, marginale). 6 de ces éclats sont de technique Levallois, et 1 de ceux‑ci présente un amincissement du talon. Une lame débordante est retouchée sur un bord. Signalons également la présence de 2 petites plaquettes de forme circulaire aménagées par retouches obliques alternes, ainsi que d’un petit rognon aménagé en bec grossier.
Choix d’un support préférentiel
435fig. 135
436Un cinquième environ (21,6 %) des pièces retouchées sont sur support Levallois. Ce pourcentage est quasi identique à la représentation du débitage Levallois au sein de l’industrie (IL = 19,28) : les supports Levallois ne sont pas préférentiellement retouchés par rapport aux supports ordinaires. Cependant, des différences sur le choix d’un support Levallois pour tel ou tel type d’outil sont manifestes. Aucun outil du groupe III, aucune encoche ni aucune pointe moustérienne ne sont réalisés sur support Levallois. Ceux‑ci sont par contre bien représentés parmi les racloirs simples droits, les racloirs convergents convexes et les racloirs doubles convexes‑concaves ; ils sont majoritaires parmi les racloirs doubles droits‑convexes et biconvexes, les racloirs déjetés, les racloirs convergents droits et les racloirs sur face plane. Il ne semble pas que l’amincissement des talons dépende du type de support (Levallois ou non), mais plutôt du type d’outil :seuls les racloirs et un éclat retouché présentent un amincissement sans doute destiné à faciliter un emmanchement de la pièce (Anderson‑Gerfaud, Helmer 1987).
4.4.3.3 Comparaison et attribution culturelle
437FIG. 136 et 137
438L’industrie lithique du site de Lailly/Le Fond de la Tournerie présente de nombreux points communs avec des sites moustériens de tradition acheuléenne du nord de la France : Marcoing/Briqueterie Debus (Nord ; Sommé, Tuffreau 1971), le Tillet série « café au lait » (Seine‑et‑Marne ; Bordes 1954), Saint‑Just‑en‑Chaussée « 1re couche humique » (Oise ; Tuffreau 1977b). Les indices typologiques et technologiques, hormis l’indice Levallois peuvent être dus à des tris de matériel à Saint‑Just‑en‑Chaussée (où l’on remarque également un pourcentage plus élevé de racloirs convergents et de racloirs déjetés) et au Tillet, mais malgré tout faibles à Lailly, la morphologie des outils et du débitage sont très proches (fig. 137, A à D). Ces sites sont cependant plus anciens (Weichsélien ancien) que Lailly, datable du Pléniglaciaire inférieur ou moyen.
439Cependant, si l’on fait exception des rares bifaces présents à Lailly/Le Fond de la Tournerie (IB = 3,21, 1Bess = 6,36), des similitudes typologiques et technologiques apparaissent entre Lailly et Corbehem, site moustérien typique Pléniglaciaire moyen du Pas‑de‑Calais (Tuffreau 1979a). Si encoches et denticulés sont plus nombreux à Corbehem, les autres éléments de la liste typologique et les indices technologiques sont semblables : rareté des pointes moustériennes, même répartition des racloirs au sein du groupe II, même composition du groupe III.
440Deux autres points méritent notre attention. Tout d’abord, la présence de deux pièces d’aspect micoquien (au sens de G. Bosinski) : un biface à section asymétrique (Halbkeil) et un biface‑racloir. Ensuite, l’existence, restreinte mais bien réelle, d’une chaîne opératoire laminaire non Levallois, tout comme à Séclin (Révillon 1989), Riencourt‑lès‑Bapaume (Tuffreau et al. 1991 ; Tuffreau 1993), Rocourt (Otte et al. 1990).
441Il semble donc difficile d’attribuer le site de Lailly/Le Fond de la Tournerie à l’un ou l’autre faciès du Moustérien. La seule conclusion actuellement possible est dès lors descriptive : il s’agit d’une industrie typologiquement comparable au Moustérien de tradition acheuléenne ou au Moustérien typique, avec peu de bifaces, un débitage laminaire de conception volumétrique, un débitage Levallois moyennement représenté et, bien que rares, des pièces d’aspect micoquien.
4.4.3.4 Analyse spatiale
Unicité du niveau
442Nous avions, lors de la fouille, été surpris par la différence de patine que présentaient certains artefacts. La majorité d’entre eux sont peu patinés ; une centaine présentent une patine blanchâtre. Nous fiâmes dès lors tentés d’expliquer cette différence par l’existence de deux occupations, chronologiquement distinctes mais stratigraphiquement mélangées. Cependant, lors de l’étude du matériel, un éclat non patiné fut remonté, à longue distance (69,3 m) sur un nucléus de la série blanchâtre11 ! La distinction entre deux niveaux n’était donc plus fondée (du moins sur base de la patine).
443G. Fosse avait déjà, pour le gisement d’Epouville, fait remarquer le peu de fiabilité des patines comme critère de différenciation d’industries éventuellement mélangées (Fosse, Lechevalier 1979). Le remontage effectué à Lailly confirme cette observation. Il nous permet également, ainsi que d’autres remontages effectués à longue distance (18,40 m, 16 m, 11 m, 10,7 m, etc. voir tabl. xv) et couvrant une grande partie de la zone fouillée, de considérer le niveau archéologique comme résultat d’une seule occupation, dont la durée, sans doute courte, est cependant impossible à préciser.
444La position primaire de ce niveau semble attestée par des remontages effectués à courte distance (parfois à l’ordre du centimètre), par la présence d’esquilles en nombre satisfaisant (environ 10 % du matériel ; cf. supra in § 4.4.3.1, Approche comparée des groupes technologiques), la faible dispersion verticale du matériel (fig. 121, A) et l’aspect très frais des artefacts.
Répartition des artefacts
445Sont exposées ici quelques réflexions sur des hypothèses de fonctionnement du site. Il est évident que les démarches ci‑dessous sont à prendre avec toutes les réserves que postulent l’impossibilité de recherches tracéologiques, l’absence de faune conservée et un temps d’étude très court, donc l’incertitude d’avoir réalisé tous les remontages intéressant la répartition spatiale.
446La surface fouillée s’élève à 5486 m2 en deux zones (fig. 22) de respectivement 3 886 m2 (zone ouest) et 1 600 m2 (zone est). Le niveau archéologique accuse un double pendage nord‑sud et est‑ouest (fig. 138). Dans la première et plus grande partie du chantier, la pente est de 3 % ; elle s’accentue dans les deux derniers tiers de la zone est, jusqu’à 6 %. Cette rupture de pente pourrait être à l’origine du moindre nombre d’esquilles et de petites pièces dans ce secteur. La pente totale du site est de 4 %.
447À l’ouest, le site est limité au sommet de la pente par un colluvionnement (fig. 139). Au nord et au sud, les limites de l’occupation ne sont pas clairement établies, le décapage étant limité à l’emprise de l’autoroute. À l’est, par contre, les tranchées E et F n’ont révélé que peu de pièces. Les tranchées C et G, situées respectivement à l’est et au nord des deux précédentes (fig. 22), ne contiennent, elles, plus aucun artefact. Cette raréfaction puis cette absence de silex taillés semblent correspondre à la fin de l’occupation. D’autre part les limites nord et sud de la zone est n’ont fourni presque aucune pièce. Il serait donc possible que, dans cette partie, le site ait été parfaitement circonscrit.
448La plus forte densité des vestiges se situe vers le sommet du versant (fig. 139). Les sections 7, 12, 17, 19 et 23 sont parmi les plus riches. Par la suite, les artefacts semblent se répartir uniformément sans laisser paraître de concentration particulière. Toutefois, un amas a été découvert dans les sections 29 et 33. Vers le bas du versant, les silex se raréfient. Seules, les sections 64, 69, 74 et 75 contenaient un matériel quantitativement plus important.
449D’une manière générale, les zones vides sont restreintes et peu significatives. La disposition des vestiges donne l’impression d’un semis ininterrompu de pièces (fig. 139). Deux concentrations de racloirs excluant les autres types d’outils ont été mises au jour dans les sections 17 et 19 (fig. 140, no 2). Pour le reste, la répartition des différents types d’artefacts (fig. 141 et 142) obéit en général aux concentrations globales observées précédemment. Toutefois, l’étude des remontages (fig. 143 et 140, no 1) et quelquefois l’association des différents vestiges au sein d’une ou plusieurs sections (fig. 140, 141 et 142) révèlent en certains endroits une organisation préférentielle de l’espace.
L.B., C.S. et S. Vemeau del. / AFAN
L.B., C.S. del. / AFAN
L.B., C.S. del. / AFAN
450Le remontage réalisé à 69 m est particulièrement intéressant. Il s’agit d’un nucléus Levallois en cours de préparation. Un premier éclat, cortical, a été détaché et se trouvait en section 52. Un second éclat, portant le négatif du premier, a été débité et fut retrouvé quant à lui en section 23, au sein d’un important poste de débitage. Cet éclat, rebroussé, rendait impossible la poursuite de la préparation de la surface Levallois. Le nucléus a été abandonné en section 30 dans une zone presque vide.
451La zone 1 (fig. 144) est particulièrement riche en artefacts de tous types. Nucléus, déchets de débitage, éclats Levallois et outils sont associés pêle‑mêle et semblent témoigner d’activités multiples. Trois remontages concernant respectivement 9 éclats accompagnés d’1 nucléus, 5 éclats et 2 éclats ont été réalisés dans cette zone. Le premier constitue un bloc pratiquement complet. Seuls les éclats d’épannelage manquent. Ce bloc a été retrouvé dans une aire vide d’outils où abondent nucléus et éclats Levallois. Cette zone restreinte (Ib) correspond peut‑être, au sein d’activités diverses, à un lieu plus particulièrement orienté vers la taille.
452Zone II (section 12) : un bloc composé de 88 éclats a pu être remonté (bloc 1970, cf. supra in § 4.4.3.1, Chaîne opératoire Levallois). Seuls quelques éclats d’épannelage manquent. Ce premier stade de taille a probablement eu lieu, de même que pour l’exemple précédent, à un autre endroit du site ou encore au moment de la récolte du bloc. Le débitage proprement dit s’est déroulé en deux temps puisqu’un élément issu de la première phase de débitage (nucléus sur éclat) a été transporté et taillé cinq mètres plus au sud (fig. 118, A). Le nucléus 1970 a été rejeté 11 m au nord‑ouest, dans une zone riche en vestiges divers.
453Zone III (section 14) : plusieurs éclats corticaux remontant entre eux. Ce secteur évoque un petit poste de débitage, où les outils et éclats Levallois sont absents.
454Zone IV : correspond à une petite nappe d’outils variés et d’éclats Levallois ; les traces d’activités de taille y sont quasi inexistantes. Un seul nucléus informe a été découvert.
455Zone V (section 17) : 3 nucléus Levallois, associés à 4 nucléus à un plan de frappe, constituent un ensemble autour duquel se répartissent outils (uniquement des racloirs) et éclats Levallois. D’autres nucléus ont été retrouvés dans cette « couronne ». Il s’agit essentiellement de fragments, nucléus globuleux, informes ou sur éclats. Nous pouvons semble‑t‑il considérer à nouveau cet ensemble comme poste de débitage. Cette hypothèse est en effet confortée par la présence de plusieurs remontages effectués à courte distance. L’abandon, en bordure de ce poste de débitage, d’éclats Levallois et d’outils pourrait se justifier par l’abondance de la matière première sur le site permettant le choix de certaines pièces et le rejet d’éclats moins adaptés au but recherché par le tailleur.
456Quelques raccords de cassures ont été réalisés sur l’ensemble du site. Deux fragments d’un éclat ont ainsi été retrouvés à 18 m l’un de l’autre. La partie proximale de cet éclat a été transformée en racloir simple convexe après cassure. Le talon a été aminci par enlèvements envahissants emportant complètement le bulbe (fig. 131, no 1). Ce fragment a été retrouvé en section 17 aux abords de la couronne d’outils et éclats Levallois décrite plus haut. La partie distale de l’éclat n’a pas été retouchée. Elle se situait en section 25. Un racloir présentant un réaménagement de la base après cassure nous est également parvenu (fig. 130, no 4, cf. § 4.4.3.2). Les deux fragments se trouvaient cette fois l’un près de l’autre non loin d’une petite concentration de nucléus, en section 10.
457Dans les sections 16, 19, 20, deux zones semblent se dessiner pouvant correspondre à des activités différentes. Au sud‑ouest, une concentration de racloirs et d’éclats Levallois a été mise au jour (zone VI). Les nucléus en sont absents et les éclats corticaux et semi‑corticaux peu nombreux. Cette nappe d’artefacts correspond comme la zone IV, à une aire d’activités étrangères au débitage, difficiles à préciser en l’absence d’étude tracéologique.
458En bordure nord‑est de cette concentration, 8 nucléus dont 2 Levallois ont été trouvés, associés à de nombreux éclats de mise en forme, corticaux et semi‑corticaux. Deux remontages ont été effectués (1 nucléus et 2 éclats, 2 éclats semi‑corticaux) témoignant, tout comme le matériel trouvé dans cette zone, d’activités plutôt orientées vers la taille (zone VII). Quelques mètres vers l’est, en section 23, un second ensemble de nucléus Levallois ou non peut être interprété comme poste de débitage. Quatre remontages, comprenant 9 éclats et 1 nucléus, sont pour l’instant dénombrés. Cet ensemble compte aussi quelques outils et des éclats Levallois (zone VIII).
459Les sections 29 et 33 se sont révélées particulièrement riches en remontages. Trois zones au moins peuvent à nouveau y être considérées comme postes de débitage.
460Zone IX (section 33) : 4 nucléus dont 3 ont fait l’objet de remontages. 2 outils ont été trouvés à proximité. Par contre, aucun support Levallois n’a été découvert malgré la présence de 2 nucléus de ce type. Ils ont semble‑t‑il été déplacés contrairement aux éclats qui ont été produits en section 17 et retrouvés sur place.
461En zone X, un bloc, composé de 9 éclats et 1 nucléus, a été entièrement reconstitué. La distance maximale séparant les différents éléments débités est de 0,75 m. Au même endroit, 5 éclats Levallois ont pu être replacés sur leur nucléus (bloc 3147, cf. supra, in § 4.4.3.1, Chaîne opératoire Levallois ; fig. 120). Un éclat de préparation de plan de frappe, provenant de la zone IX a également été remonté. L’épannelage du bloc s’est probablement effectué dans ce premier poste ; le nucléus a ensuite été transporté de quelques 10 m vers le nord pour y être débité. Dans cette zone, comme dans la précédente, les outils sont rares et les éclats Levallois peu nombreux en regard du nombre de nucléus de ce type et de leur état d’abandon. Mais ici la proximité de la limite de décapage pourrait en partie être à l’origine de cette lacune.
462Enfin, la zone XI a livré plusieurs éclats corticaux et semi‑corticaux remontant entre eux et attestant une fois de plus de la présence d’activités de taille. Le nucléus d’un silex brun clair, peu courant dans cette industrie, n’a pas été retrouvé. Il fut peut‑être déplacé après une première mise en forme. D’autre part, un éclat cortical provenant de la même surface d’épannelage et découvert dans la zone X semble établir un lien entre les deux secteurs. La position de cet enlèvement, antérieur aux éclats trouvés en zone XI, permet de supposer que le tailleur a épannelé le bloc en deux temps au moins, dans le poste situé au nord d’abord, puis quelques mètres plus au sud.
463Les remontages effectués entre les zones IX, X et XI mettent en évidence le transport de nucléus en cours de débitage, phénomène déjà attesté dans d’autres endroits du site (zones I et II). Ils établissent également la contemporanéité de ces postes et des activités qui s’y sont déroulées.
464Malgré la moindre densité du matériel en cet endroit, la section 36 a livré 4 couteaux à dos cortical associés à quelques artefacts de bonne facture. Il s’agit de 3 pointes Levallois dont 1 retouchée, d’1 éclat Levallois et d’1 pointe moustérienne (zone XII).
465En section 37, 2 fragments de nucléus et 3 éclats d’épannelage remontés mettent une fois de plus en évidence des activités de débitage dans un secteur où les outils sont absents (zone XIII).
466Enfin, la section 52 peu caractéristique en raison du faible nombre d’artefacts découverts à cet endroit, est surtout intéressante grâce au remontage long de 69 m réalisé entre elle et la zone VIII. Quelques activités de débitage s’y sont peut être déroulées comme en témoignent deux remontages concernant 2 éclats corticaux, 1 éclat débordant et 1 nucléus Levallois (zone XIV).
467Dans la partie est du site, la disposition plutôt clairsemée des vestiges, déjà observée précédemment, se confirme. Toutefois, nous pouvons distinguer deux zones à forte concentration. Ainsi en zone XV, où l’on remarque une densité particulière d’éclats Levallois alors qu’un seul nucléus procédant de cette technique est présent. Plusieurs nucléus ordinaires et quelques outils sont mêlés à cette « nappe ». L’autre secteur (zone XVI) se révèle moins dense. Les éclats Levallois se concentrent surtout au nord de la section 74 et au nord‑ouest de la section 75. Les nucléus ordinaires sont assez dispersés en section 74. Par contre en section 75, ils se groupent avec les nucléus Levallois en deux pôles distincts au nord et au sud. La répartition des outils ne semble répondre à aucune organisation particulière. Curieusement ces deux zones à forte concentration se trouvent à proximité d’un vaste espace vide localisé en section 69 et 70.
468C’est dans la section 75 que la plupart des remontages ont été effectués. Deux d’entre eux se composent d’éclats et de nucléus Levallois qui, pour une fois, ont été exploités jusqu’au bout de leurs possibilités. L’un de ces remontages concerne 1 éclat Levallois, 2 éclats débordants et 1 nucléus Levallois récurrent unipolaire. Ces pièces se trouvent à faible distance les unes des autres. Le deuxième remontage comprend également un nucléus Levallois sur lequel se remonte un éclat Levallois, proche du nucléus, et un éclat Levallois retouché situé à 7 m.
469Le dernier remontage associe 1 éclat et 1 couteau à dos naturel sur lequel on observe des traces d’utilisation. Il est intéressant de signaler que ce couteau à dos est assez proche de l’éclat Levallois retouché. Ces remontages dans une zone riche attestent d’activités multiples liées ou non au débitage.
Conclusions
470L’étude combinée des remontages et des plans de répartition a permis de définir sur l’ensemble du site seize zones d’activités diverses que l’on peut classer en quatre types (fig. 144 et tabl. xxi).
Zone | Type | Remontages | Liaison |
la | d | oui | |
lb | c | oui | |
ii | c | oui | avec la section 7 |
iii | c | oui | |
iv | a | non | |
v | b | oui | avec la section 25 |
vi | a | non | |
vii | b | oui | |
viii | b | oui | avec XIV |
ix | c | oui | avec X |
x | c | oui | avec IX et XI |
xi | c | oui | avec X |
xii | a | non | |
xiii | c | oui | |
xiv | oui | avec VIII | |
xv | d | oui | |
xvi | d | oui |
471Les types B et D se différencient par une dominance du débitage dans les zones B, contrairement à un équilibre entre débitage et outillage dans les zones D. Les autres secteurs, non décrits, du décapage restent, pour l’instant du moins, impossibles à caractériser essentiellement par manque de matériel (zones vides ou pauvres).
472Les zones de type A (tabl. xxi), au nombre de trois (IV, VI, XII), sont les seules au sein desquelles aucun remontage n’a été réalisé, ce qui semble bien confirmer l’absence d’activités de débitage dans ces secteurs, malgré la présence de l’un ou l’autre nucléus. Les zones de type B et C, riches en débitage, le sont également et logiquement en remontages, ainsi que la zone I. Notons que la zone II (de type C) est un amas de débitage résultant de la taille d’un seul bloc.
473Grâce aux remontages, des relations ont pu être établies entre plusieurs zones, démontrant ainsi une dynamique à l’intérieur du site. Le remontage à 69 m est certainement le plus remarquable bien qu’il relie une zone de type B à deux autres dont l’interprétation reste pour l’instant obscure. De même le recollage de deux fragments d’un même éclat, éloignés de 18 m, relie lui aussi une zone B avec une autre non définie. Le rejet du nucléus 1970 hors de la section 12 (zone II) établit quant à lui un lien entre une zone C et une autre riche en vestiges divers. Les zones de type A ne sont à nouveau pas concernées par ces remontages.
474Mais les liaisons entre les postes IX, X et XI, de type C, semblent les plus intéressantes. Elles établissent dans un premier temps une probable contemporanéité entre trois zones proches et les activités très semblables qui s’y sont déroulées (postes de débitage). D’autre part, elles mettent en évidence le transport du nucléus en cours de taille. Ce phénomène déjà observé dans d’autres endroits du site (zone I et II) peut se produire à tous les stades du débitage. Le transport du nucléus peut avoir lieu au cours de l’épannelage (zones X, XI) ou après (zones I et II). Le nucléus Levallois 3147 a été déplacé après préparation du plan de frappe. Il peut également avoir lieu en cours de débitage. Ainsi un fragment du bloc 1970 a été prélevé et taillé quelque peu à l’écart (zone II).
475Si donc il semble difficile de percevoir une structuration globale de l’espace (Girard‑Farizy 1982 ; Otte 1990‑1991), on peut éventuellement proposer l’attribution de certains secteurs à des activités différentes, parfois reliées entre elles. Les zones II, IX, X et XI apparaissent comme des aires spécialisées affectées exclusivement au débitage ; les éclats, notamment Levallois, produits en ces endroits n’ont d’ailleurs pas toujours été retrouvés montrant par là que les activités pour lesquels ils étaient nécessaires se sont déroulées à d’autres endroits du gisement. Il s’agit probablement aussi de secteurs occupés de façon très ponctuelle de telle manière que les gestes exécutés, c’est à dire la taille, nous sont encore discernables. Les zones de type A, c'est-à-dire IV, VI et XII, auraient été plutôt réservées à des activités étrangères au débitage comme en témoignent l’absence de remontages et la rareté des nucléus mais que l’absence de faune et d’analyse tracéologique rend impossible à déterminer. Les autres secteurs de type B ou D restent pour nous difficiles à interpréter en raison de la diversité de leur artefacts.
4.4.4 Conclusion
476Les fouilles, d’environ 5 500 m2, réalisées sur le site de Lailly/Le Fond de la Tournerie ont permis la découverte de plus de 3500 pièces en un seul niveau archéologique en place, situé dans des limons d’âge Pléniglaciaire inférieur du Weichsélien et couvrant un versant doux orienté à l’est.
477Le débitage est varié ; plusieurs chaînes opératoires coexistent : débitage Levallois récurrent centripète, unipolaire et bipolaire ou à pointe ; débitage non Levallois souvent opportuniste ; débitage laminaire de conception volumétrique ; façonnage de bifaces. Plusieurs remontages illustrent ces chaînes opératoires, parfois depuis l’épannelage jusqu’à l’abandon du nucléus et montrent une gestion peu économe de la matière première, abondante aux abords du site. Un remontage exceptionnel de 88 éclats sur un nucléus Levallois met en évidence les différentes phases de la taille, ainsi que leur répartition, le débitage s’étant effectué à différents endroits.
478L’outillage est varié avec cependant une nette prédominance des racloirs, des outils de type Paléolithique supérieur moyennement représentés et d’assez rares denticulés et encoches. Quelques bifaces de type moustérien et deux pièces bifaciales d’aspect micoquien (Bosinski 1967) complètent le tableau. Il semble difficile de rattacher cette industrie peu caractéristique au cadre défini par F. Bordes (1953a ; 1953b ; 1981).
479Le matériel se repartit sur le terrain en un semis lâche mais ininterrompu de pièces formant, par endroits, des concentrations de divers ordres : zones liées au débitage, zones riches en outillage, zones « mixtes ». Des remontages à longue distance créent des dynamiques entre ces zones ; d’autres, plus courts, à l’intérieur de celles‑ci. Il est cependant impossible, en l’absence d’études tracéologiques et de vestiges autres que lithiques, de préciser davantage la fonction de ces zones et les relations qu’elles entretiennent les unes par rapport aux autres.
480Le passage des Préhistoriques fut sans doute relativement court. En effet, l’outillage est peu retouché et ne présente pas de traces de ravivage, aucun percuteur ne fut retrouvé, et la densité de matériel est faible malgré l’abondance de matériau à proximité du site.
4.5 Villeneuve‑l’Archevêque La Prieurée (vallée de la Vanne)
481j.‑l. locht, p. depaepe, l. brassinne avec la collaboration de v. deloze, v. krier, p. pihuit
4.5.1 Cadre géologique et géomorphologique
482Le gisement Paléolithique moyen de La Prieurée est situé sur les dépôts limoneux du glacis au pied du Plateau sénonais, au nord de la commune de Villeneuve‑l’Archevêque (fig. 145). À cet endroit, le bed‑rock est constitué des assises crayeuses du Santonien à Micraster coranguinum (Bouiller et al, 1973a) qui se retrouvent parfois à l’affleurement. Ce substratum est recouvert de formations superficielles limoneuses récentes résultant d’importants phénomènes d’accumulation et d’altération.
483Le gisement se situe à une altitude d’environ 132 m NGF sur un versant exposé au sud‑est, dans un contexte général de plateaux s’élevant en pente douce vers le nord à partir de la plaine alluviale de la Vanne.
4.5.2 Étude du gisement
4.5.2.1 Rappel du cadre chronostratigraphique des niveaux archéologiques
484Les études lithostratigraphique, sédimentologique (cf. § 3.1.2.4) en corrélation avec les données micromorphologiques des sédiments du site de Molinons/Le Grand Chanteloup (cf. § 3.2.3) permettent de préciser les conditions de leur mise en place et de proposer une attribution chronostratigraphique (cf. § 3.4.2).
485Le site de Villeneuve‑l’Archevêque présente trois niveaux archéologiques successivement de haut en bas NA, NB et NC inclus dans les sédiments limoneux de recouvrement du versant doux du glacis d’érosion au pied du plateau du Sénonais (fig. 30). Les corrélations lidiostratigraphiques avec le site de Molinons permettent de proposer des attributions chronostratigraphiques :
– NA dans les limons brun‑jaune de l’ensemble 2 attribué au Pléniglaciaire moyen ou inférieur du Weichsélien ;
– NB dans l’horizon grisâtre des limons de l’ensemble 3 attribués au Weichsélien ancien ;
– NC dans les limons sableux brun‑rouge de remaniement d’horizon argilique de l’ensemble 4 attribué à l’Eémien au sens large ou au début du Weichsélien ancien. Seul le niveau archéologique NB a été fouillé.
4.5.2.2 Étude archéologique
486Tout comme pour les quatre sites étudiés précédemment, la décarbonatation du sédiment n’a pas permis la conservation du matériel osseux et anthracologique.
Les niveaux
487Lors de l’intervention de terrain, 1690 m2 ont été explorés. Trois niveaux du Paléolithique moyen ont été découverts sur une superficie de 1 588 m2. Les 102 m2 restant constituent les tranchées situées aux extrémités nord, sud, est et ouest du gisement où n’ont été découverts que deux artefacts en position remaniée. L’horizon‑repère du Weichsélien ancien y est inexistant. Deux zones ont été fouillées de manière extensive, l’une de 904 m2 (zone A), la seconde de 360 m2 (zone B), reliées par une tranchée, afin de vérifier la corrélation stratigraphique des différents niveaux paléolithiques (fig. 146).
S. Verneau del. / AFAN
Le niveau C
488Il s’agit du plus ancien de ces niveaux, découvert à l’interface du limon sableux brun‑rouge à glosses (4) et du paléosol gris (3). Il est localisé dans la zone sud du décapage qui correspond à la zone F. Les artefacts, fortement patines, sont au nombre de 131 (tabl. xxii et fig. 147). Certains d’entre eux présentent des arêtes émoussées, voire parfois quelque peu écrasées. Ils portent souvent des traces de manganèse et des stigmates dus au gel.
Nombre | |
Eclats d’épannelage | 17 |
Eclats corticaux | 28 |
Eclats | 40 |
Eclats Levallois | 10 |
Lames | 2 |
Pointe Levallois | 1 |
Bifaces | 11 |
Nucléus Levallois | 4 |
Nucléus à 1 plan de frappe | 9 |
Nucléus à 2 plans de frappe | 2 |
Cassons | 3 |
Blocs et galets testés | 3 |
Eclat de gel retouché | 1 |
Total | 131 |
Description technologique
489Les nucléus Levallois sont au nombre de trois (fig. 148, no 1). Deux ont été exploités en mode unipolaire récurrent. Un gros nucléus a été abandonné lors de la phase d’épannelage, mais les convexités caractéristiques et les deux surfaces opposées caractéristiques d’un débitage Levallois sont déjà discernables.
49010 nucléus non Levallois ont été débités à partir d’un seul plan de frappe, et deux autres à partir de deux plans de frappe opposés. L’un d’eux présente de nombreuses traces d’écrasement et a pu servir de percuteur occasionnel.
49185 éclats provenant de toutes les étapes du débitage ont été retrouvés. Les 10 éclats Levallois sont de dimensions relativement réduites et de forme subcirculaire. Seules 2 lames sont présentes dans cette série. L’unique pointe Levallois est de second ordre. 2 galets et 1 bloc ont été abandonnés par les Préhistoriques après quelques enlèvements.
Description typologique
492Les pièces bifaciales sont au nombre de 10. Cinq bifaces (fig. 148, nos 3 et 4 ; fig. 149, nos 1 et 2) entiers ont été découverts, dont l’un présente un dos partiel aménagé par le négatif d’une chute de burin assez longue, opposé à un tranchant retouché sur les deux faces (fig. 149, no 1). Le hachereau (fig. 150) est très semblable à celui découvert lors des sondages réalisés sur la commune toute proche de Bagneaux (cf. fig. 171 A, no 2). Toutes ces pièces bifaciales présentent un profil piano‑convexe ; la face convexe porte le plus souvent une retouche continue. La retouche peut également être alterne ou inverse dans certains cas. La localisation de la retouche, affectant indifféremment un ou deux bords, en fait des outils variés à part entière (Boëda et al. 1990). 2 exemplaires lancéolés se présentent sans la pointe, cassée entièrement (fig. 149, no 3). 3 de ces bifaces, ainsi que le hachereau, possèdent une base corticale et un quatrième une base épaisse, destinée à la préhension. Une base assez mince provient probablement d’un biface subtriangulaire. Une pointe cassée et un fragment de pièce bifaciale avec arêtes torses bien marquées complètent cette série.
P.D., J.‑L.L. del. / AFAN
493Ces bifaces possèdent de nombreuses similitudes technotypologiques avec ceux du niveau 1 de Vinneuf/Les Hauts Massous, attribués à un micoquien à débitage laminaire (cf. § 4.1.3.2), retrouvés en position chronostratigraphique similaire, mais aussi avec le seul biface à arêtes torses, du niveau D de Lailly/Le Domaine de Beauregard (cf. § 4.3.2.2, fig. 86, no 4).
494L’outillage sur éclat est composé de seulement 13 pièces: 1 pointe moustérienne allongée, 3 racloirs simples droits, 1 simple concave, 3 racloirs doubles (fig. 148, no 2), 1 encoche inverse, 3 éclats retouchés dont un Levallois, et 1 éclat de gel portant une petite retouche marginale sur l’un des bords.
495Ce niveau, en partie remanié, se trouve à l’interface entre le limon rouge attribuable à l’Eémien et le paléosol daté du Weichsélien ancien. Le niveau micoquien de Vinneuf/Les Hauts Massous est en position chronostratigraphique similaire. Dans le cas de Villeneuve‑l’Archevêque, il apparaît que ce type d’industrie est situé juste avant l’occupation moustérienne du Weichsélien ancien et que le laps de temps entre ces deux passages des Préhistoriques pendant le début Glaciaire a été « relativement court ».
Le niveau B
496Contenu dans l’horizon‑repère gris du Weichsélien ancien, il s’agit du niveau le plus riche et dont la fouille constituait l’objectif principal de l’intervention de terrain afin de compléter les données acquises lors de la fouille du gisement de Molinons/Le Grand Chanteloup et de Lailly/Le Domaine de Beauregard. Les 658 artefacts retrouvés avaient un aspect particulièrement frais lors de leur découverte, mais se recouvrent d’une patine en quelques heures (tabl. xxiii).
Étude technologique
497405 éclats ont été dénombrés. 15 nucléus Levallois ont été exploités en mode récurrent, 5 à partir d’un plan de frappe unique, 3 à partir de deux plans de frappe opposés, et 2 de façon centripète.
498Les éclats Levallois sont relativement nombreux (101) en regard des nucléus et du reste de l’industrie (fig. 151, nos 3 à 6).
P.D., J.‑L.L. del. / AFAN
499Les pointes Levallois sont au nombre de seize (fig. 151, nos 1 et 2).
5003 nucléus prismatiques à lames ont été retrouvés. Les deux premiers ont deux plans de frappe opposés, le troisième est unipolaire et présente une préparation de crête dorsale (fig. 152, nos 1 et 2). A l’instar des éclats Levallois, les lames retrouvées sont nombreuses par rapport aux nucléus prismatiques de cette série, ce qui pourrait suggérer qu’une importante partie du débitage a eu lieu ailleurs, dans une partie du gisement non exploitée ou à l’extérieur du site.
P.D., J.‑L.L. del. / AFAN
5018 nucléus ont été débités à partir d’un plan de frappe préférentiel, 10 sont informes et un exemplaire a été exploité en mode centripète. 3 blocs de silex ont été testés par les Préhistoriques. 1 bloc de grès grossier, de forme ronde et d’un diamètre d’une dizaine de centimètres, porte des traces d’écrasement et a vraisemblablement servi de percuteur. 11 esquilles et 17 cassons complètent ce décompte.
Nombre | % | |
Blocs de silex restés | 3 | 0,46 |
Eclats d’épannelage | 70 | 10,64 |
Eclats corticaux | 130 | 19,76 |
Eclats | 205 | 31,16 |
Eclats Levallois | 101 | 15,35 |
Lames | 56 | 8,51 |
Pointes Levallois | 16 | 2,43 |
Pointes pseudo‑Levallois | 5 | 0,76 |
Eclats de gel retouchés | 6 | 0,91 |
Esquilles | 11 | 1,67 |
Nucléus Levallois | 15 | 2,28 |
Nucléus à lames | 3 | 0,46 |
Nucléus centripète | 1 | 0,15 |
Nucléus à 1 plan de frappe | 8 | 1,22 |
Nucléus informes | 10 | 1,52 |
Percuteur | 1 | 0,15 |
Cassons | 17 | 2,58 |
Total | 658 | 100 |
502Les chaînes opératoires tout comme les industries des gisements de Molinons, de Lailly/Le Fond de la Tourneric et de Lailly/Le Domaine de Beau regard, plusieurs chaînes opératoires ont été identifiées sans que l’une soit réellement dominante12. Le débitage Levallois peut paraître le mieux représenté si l’on considère le nombre d’éclats Levallois présents dans cette série (IL = 20,07). Les nucléus Levallois sont par contre peu nombreux. Le débitage laminaire n’est illustré que par 2 nucléus prismatiques et 13 lames (ILam = 9,6). Nous n’avons retrouvé aucun biface dans cette industrie. Seuls quelques éclats à profil courbe et à talon déversé attestent ce type de façonnage. Il ne semble pas que la taille du silex, si elle est attestée par la présence de remontages et de nombreux rebuts de taille provenant de ces différents schémas opératoires, ait constitué l’activité principale des Préhistoriques.
Étude typologique (tabl. xxiv)
503Cette étude est réalisée d’après la liste typologique établie par François Bordes (1950). L’outillage représente 203 pièces (en décompte réel), soit (tabl. xxv) 31,1 % du total (658 pièces). Le décompte en essentiel se monte à 131 pièces, soit 19,9 % du total. Ces pourcentages sont assez élevés par rapport aux autres sites de la vallée de la Vanne13.
Talons | N | % |
Lisses | 158 | 34,27 |
Facettés | 171 | 37,09 |
Dièdres | 37 | 8,03 |
En chapeau de | 13 | 2,82 |
gendarme | ||
Punctiformes | 40 | 8,68 |
Corticaux | 36 | 7,81 |
Otés | 6 | 1,30 |
Total | 461 | 100 |
nbre | % réel | % ess. | ||
1 | Eclats Levallois typiques | 62 | 30,54 | |
3 | Pointes levaloisiennes | 10 | 4,93 | |
4 | Pointes levaloisiennes retouchées | 6 | 2,96 | 4,58 |
5 | Pointes pseudo‑levaloisiennes | 4 | 1,97 | 3,05 |
6 | Pointes moustériennes | 6 | 2,96 | 4,58 |
7 | Pointe moustérienne allongée | 1 | 0,49 | 0,76 |
9 | Racloirs simples droits | 13 | 6,40 | 9,92 |
10 | Racloirs simples convexes | 16 | 7,88 | 12,21 |
11 | Racloir simple concave | 1 | 0,49 | 0,76 |
12 | Racloir double droit | 1 | 0,49 | 0,76 |
13 | Racloirs doubles droits‑convexes | 2 | 0,99 | 1,53 |
15 | Racloir double biconvexe | 1 | 0,49 | 0,76 |
19 | Racloirs convergents convexes | 7 | 3,45 | 5,34 |
23 | Racloir transversal convexe | 1 | 0,49 | 0,76 |
25 | Racloir sur face plane | 1 | 0,49 | 0,76 |
30 | Grattoir typique | 1 | 0,49 | 0,76 |
31 | Grattoirs atypiques | 3 | 1,48 | 2,29 |
36 | Couteaux à dos typiques | 2 | 0,99 | 1,53 |
38 | Couteaux à dos naturel | 6 | 2,96 | 4,58 |
39 | Raclette | 1 | 0,49 | 0,76 |
42 | Encoches | 15 | 7,39 | 11,45 |
43 | Denticulés | 2 | 0,99 | 1,53 |
44 | Bec burinant alterne | 1 | 0,49 | 0,76 |
62 | Divers | 40 | 19,70 | 30,53 |
Total | 203 | 100 | 100 |
504Indices : l’indice Levallois typologique est moyen : 37,32. Le groupe moustérien est le plus important (II réel : 23,92, II ess. : 36,5). 35 outils ont‑été réalisés sur support Levallois. Les racloirs sont bien représentés (IR : 20,57 ; IR ess. : 32,82), surtout les racloirs simples convexes et simples droits, représentant près de 70 % des racloirs, et les convergents convexes. Le groupe III est moyen (III réel : 5,26 ; III ess. : 8,3). Il n’existe ni burin, ni perçoit. Les denticulés sont très rares (IV réel : 0,99 ; IV ess. : 1,46), alors que les encoches sont plus abondantes (7,39 en réel et 11,45 en essentiel). Aucun biface ne fut découvert.
505Étude descriptive : 6 pointes Levallois ont été aménagées par de petites retouches, 3 sur un seul bord, 3 sur les deux (fig. 153, nos 5 et 6).
506Les 6 pointes moustériennes présentent un côté convexe opposé à un côté plus rectiligne, Cette particularité leur confère un aspect désaxé. 2 pointes ont été réalisées sur éclat Levallois, une sur pointe Levallois. Une pointe moustérienne allongée est dénombrée (fig. 153, nos 1 à 3).
P.D., J.‑L.L. del. / AFAN
507Les racloirs sont les outils dominants, et forment un tiers du matériel. Les racloirs simples droits (13 dont 6 sur support Levallois) (fig. 154, nos 1 et 2) et les racloirs simples convexes (16 dont 5 sur support Levallois) (fig. 154, nos 3 et 4) sont les mieux représentés (respectivement 30 et 37 % des racloirs). Il existe 7 racloirs convergents biconvexes (dont 5 sur support Levallois), 2 doubles droits convexes (fig. 154, nos 5 et 6). Les autres types (simple concave, double droit, double biconvexe, transversal convexe [fig. 153, no 7], sur face plane [fig. 153, no 4]) ne sont chacun représentés que par une seule pièce.
508Les racloirs sont aménagés par de petites retouches peu envahissantes et qui n’affectent en général qu’une assez faible partie du ou des bords. Aucune retouche de type Quina ne fut recensée. A noter la présence d’un racloir de grande taille (fig. 154, no 7) qui pourrait avoir été importé par les Préhistoriques, aucun nucléus ni aucun éclat de ce gabarit n’ayant été découvert sur le site.
509Le grattoir typique est réalisé par retouches semi‑obliques sur éclat Levallois (fig. 153, no 8). Les trois grattoirs atypiques présentent des petites retouches déterminant un front partiel. L’un d’eux est réalisé sur un éclat d’épannelage.
510L’un des deux couteaux à dos typiques est réalisé sur un support laminaire non Levallois (cf. supra Débitage laminaire). La retouche, abrupte, ne concerne qu’une partie du dos. L’autre couteau à dos est sur éclat. 6 couteaux à dos naturel ont été dénombrés. L’un des deux denticulés est réalisé sur un fragment distal de lame, l’autre sur éclat. Les encoches sont assez nombreuses : 15 pièces, soit près de 12 % du total. Aucune n’a été réalisée sur support Levallois. 2 sont sur lame débordante, 1 sur lame, les autres sur éclat. Elles présentent une coche aménagée secondairement par de petites retouches. 2 sont inverses, 1 est en bout, inverse, avec une coche latérale directe en sus.
511Sous le vocable « divers » sont regroupées 40 pièces (soit près d’un tiers du total), dont 30 éclats retouchés par petites retouches marginales peu envahissantes (14 éclats ordinaires, 7 éclats Levallois, 4 éclats Levallois avec retouches inverses, 4 éclats de gel, 1 éclat de taille de biface), 1 pointe pseudo‑Levallois retouchée, 2 cassons retouchés, 1 troncature et 6 lames retouchées dont une est retouchée sur la face plane.
Conclusion et attribution culturelle
512L’outillage est assez peu diversifié et constitué pour près de 30 % de racloirs. Les outils de type Paléolithique supérieur sont moyennement représentés, et l’on n’y compte ni burin, ni perçoir. Les couteaux à dos retouchés sont par contre assez bien représentés. Les denticulés sont rarissimes ; peut‑être sont‑ils fonctionnellement remplacés par les encoches, plus nombreuses (fig. 155, A, B) ? Les pointes moustériennes sont assez peu nombreuses. Les éclats retouchés sont abondants. Les outils présentent des retouches souvent marginales, peu envahissantes, et qui n’affectent qu’une petite partie du support ; ils n’ont pas (ou peu) été ravivés. Ceci, vu l’abondance de la matière première, laisse supposer que le passage des Préhistoriques fut court.
513L’absence de bifaces, la rareté des denticulés, plaident pour une attribution de l’industrie de Villeneuve‑1’Archevêque à un Moustéricn typique. Nous avons pourtant choisi de comparer cette série, outre au site de Saint‑Just‑en‑Chaussée/ Atelier Kelley (2e couche humique) rapporté au Moustérien typique (Tuffreau 1977b), à celui de Marcoing/La Briqueterie Debus attribué au Moustérien de tradition acheuléenne (Sommé, Tuffreau 1971). Les comparaisons entre les différents indices attestent, une fois encore (Farizy, Tuffreau 1986), la similitude typologique de ces deux faciès que rien, hormis l’absence ou la présence de bifaces, ne semble pouvoir distinguer (fig. 156, A, B) !
Le niveau A
514Situé dans les limons jaunes sus‑jacents au paléosol gris du Weichsélien ancien (2), il se compose de 70 pièces (tabl. xxvi et fig. 157) dont la dispersion verticale et la position stratigraphique quelque peu variables ne nous autorisent pas à considérer cet ensemble homogène. Seul un décompte et une description technotypologique sont présentés à titre indicatif, en tenant compte de ces réserves.
Nombre | |
Nucléus Levallois | 1 |
Eclats d’épannelage | 7 |
Eclats corticaux | 14 |
Eclats | 23 |
Eclats Levallois | 4 |
Lames | 4 |
Pointe pseudo‑Levallois | 1 |
Esquilles | 6 |
Cassons | 2 |
Blocs testés | 3 |
Eclat de gel retouché | 1 |
Bifaces | 4 |
Total | 24 |
Description technologique
51544 éclats ont été retrouvés. Le débitage Levallois est attesté seulement par la présence de 4 éclats et un seul nucléus de ce type. 4 lames témoignent de ce mode opératoire et l’une d’entre elles a servi au seul outil de type Paléolithique supérieur de cette série.
Description typologique
5162 bifaces triangulaires sont d’assez mauvaise facture, en raison de la qualité initiale des rognons utilisés. Les deux autres bifaces, réalisés sur éclats, ne présentent que quelques petites retouches d’aménagement sur la face ventrale de l’éclat. Pour mémoire nous signalerons que les pièces bifaciales ont toutes quatre été retrouvées dans un seul mètre carré, sans aucun artefact alentour. Un fragment mésial de lames portent un dos abattu par retouches abruptes. Les racloirs sont au nombre de trois (1 simple droit, 1 double droit et 1 double convexe). Un éclat porte une courte retouche.
Analyse spatiale et hypothèse de fonctionnement du site
517Au cours de la fouille, trois niveaux archéologiques ont pu être mis en évidence. Seul le niveau B, qui comprend 658 des 820 artefacts découverts, a fait l’objet d’une analyse de la répartition spatiale (fig. 158). Comme pour les sites étudiés précédemment, l’absence de faune, l’impossibilité d’une étude tracéologique et le délai court de l’étude limitent d’autant l’analyse qui suit.
L.B. del. / AFAN
518Situé dans le limon gris déjà rencontré à Molinons et à Lailly/Le Domaine de Beauregard, il semble que ce niveau archéologique ait subi à Villeneuve une légère colluvion. Les artefacts découverts présentent des arêtes vives non émoussées mais peu d’esquilles ont été mises au jour (1,7 % du matériel, 6 % pour les éclats <3 cm) et la dispersion verticale des artefacts avoisine par endroits 40 cm d’épaisseur. Il apparaît par conséquent tout à fait vain de se lancer dans une analyse fine de l’organisation de l’espace et des pièces entre elles. Quelques remarques cependant méritent d’être mentionnées, concernant exclusivement les zones ayant fait l’objet d’un décapage plus extensif (zone A : 904 m2, zone F : 360 m2) (fig. 159 et 160). Les tranchées destinées à évaluer l’extension des niveaux archéologiques n’ont effectivement aucun intérêt pour notre analyse.
L.B. del. / AFAN
519En zone A, le matériel est peu abondant et se répartit uniformément sur l’ensemble du décapage. Seule la partie nord‑ouest est quelque peu plus riche. Les produits finis forment 34,5 % du matériel recueilli dans cette zone (20,96 % d’outils ; 13,53 % d’éclats Levallois). L’abondance de ces produits évoque une zone d’activités non liées au débitage, peut‑être pas de façon exclusive cependant puisque quatre remontages y ont été effectués sur de courtes distances (fig. 161).
520La tranchée reliant les zones A et F reproduit la même répartition que la zone A, sauf en son extrémité sud où une petite concentration apparaît. Elle n’a pu être cernée faute de temps au moment de la fouille. Un remontage concernant 1 lame et 1 éclat Levallois y a été effectué.
521La zone F est constituée d’une nappe d’artefacts dont la richesse s’accentue vers le sud‑est. Cette concentration semble en fait correspondre à un épaississement de la matrice limoneuse grise qui pourrait être dû à un sous‑tirage karstique. En conséquence, seul un compte rendu de la disposition globale des artefacts peut être envisagé ici. La zone F peut être subdivisée en deux secteurs d’interprétation différente. Le premier se situe en gros au centre du décapage et correspond à une concentration d’artefacts variés. 9 remontages y ont été réalisés. 3 éclats Levallois ont été repositionnés sur leur nucléus. Plusieurs éclats d’épannelage et corticaux remontent entre eux, témoignant de la présence d’activités de débitage à cet endroit (fig. 161). Des outils (fig. 159, no 2) ont également été découverts dans ce secteur, dont l’occupation ne devait par conséquent pas être exclusivement orientée vers la taille du silex. Le second secteur correspond à l’extrémité sud du décapage de la zone F. L’épaississement du niveau archéologique à cet endroit rend toute interprétation de la répartition spatiale délicate. Cependant, le pourcentage particulièrement élevé d’outils (32,8 %) (fig. 159, no 2) recueillis dans ce secteur mérite quelque attention. Un tel chiffre ne peut être dû au hasard et ne peut de toute façon avoir pour unique explication un colluvionnement. Ce second secteur pourrait donc être interprété comme une zone d’activités étrangères au débitage.
522Il ressort de ce site le pourcentage particulièrement élevé d’outils aussi bien en zone A qu’en zone F. Avec la zone F, il n’est pas possible d’établir de comparaisons étant donné le colluvionnement du niveau à cet endroit. La disposition des vestiges en zone A, non perturbée malgré un lessivage des pièces les plus petites, est par contre à rapprocher de la zone est de Molinons ainsi que des secteurs de type D de Lailly Tournerie. Une importante circulation du matériel semble avoir eu lieu après la taille empêchant d’établir une hypothèse de fonctionnement pour ces secteurs.
4.5.3 Conclusion
523Cette recherche s’est inscrite dans la suite logique de celles de Molinons et des deux sites de Lailly (cf. chap. 4.2, 4.3, 4.4). L’industrie principale (niveau B), contenue dans le paléosol du début Glaciaire, déjà repéré sur les sites susdits, présente des caractéristiques technotypologiques similaires à celles des industries présentées précédemment. Le niveau A, dont l’homogénéité est discutable, ne peut être calé précisément (Pléniglaciaire inférieur ou moyen). Le niveau C possède des pièces bifaciales qui présentent des analogies de formes avec des pièces micoquiennes. La présence de cette industrie, à l’interface du Bt éémien et du paléosol Weichsélien ancien, permet pour la première fois dans la vallée de la Vanne d’attribuer un cadre chronostratigraphique valable à ce type d’industries déjà connues par d’abondants ramassages de surface (Boëda, Mazière 1989).
4.6 Les occupations de la vallée de la Vanne au Paléolithique moyen
524p. depaepe, j.‑l. locht
525Ces fouilles de grande ampleur, sur des gisements contenant plusieurs niveaux, permettent d’avoir une première vision d’ensemble de l’importante fréquentation d’un territoire par des groupes humains du Paléolithique moyen. Seuls les quatre niveaux qui ont fait le principal objet d’une fouille extensive sont ici considérés14. Localisées en zones de confluence de la Vanne et de ses vallées dissymétriques, ces quatre occupations ne sont limitées par aucun facteur topographique (Tuffreau 1988) et se présentent comme de vastes nappes d’artefacts lithiques. En situation topographique similaire (fig. 162, A, B), elles sont érodées à l’ouest, au sommet des versants, et absentes à l’est, dans le fond des petits vallons. Dans chacun des cas, elles se continuent soit au‑delà de la limite nord (Lailly/Le Domaine de Beauregard), de la limite sud (Villeneuve‑l’Archevêque), ou des deux (Molinons, Lailly/Le Fond de la Tournerie). Les superficies, pourtant imposantes, présentées dans les monographies ne peuvent donc prétendre englober la totalité des surfaces occupées par les Préhistoriques. L’étude de ces quatre sites de la vallée de la Vanne a permis de mettre en évidence de nombreux traits communs qui peuvent avoir pour origine des facteurs déterminants.
4.6.1 Technologie et typologie
526Dans ces quatre industries, l’acquisition et la gestion de la matière première est quasi identique et peu économique et a pour raison l’accès facile à des matériaux de bonne qualité, récoltés par les Préhistoriques dans la vallée de la Vanne. De nombreux blocs de silex, mais aussi de grès et de grès‑quartzite, portent tout au plus les traces d’un ou deux enlèvements tests. Ces industries se caractérisent par la présence de plusieurs chaînes opératoires dont aucune n’est réellement prédominante et dont toutes les étapes de la production sont attestées sur les sites. Un débitage Levallois, récurrent unipolaire ou, moins souvent, bipolaire ou centripète, bien maîtrisé, a produit des supports assez petits à moyens15. De nombreux nucléus à un, deux ou même trois plans de frappe sont les résidus de la production de simples éclats. Ils sont souvent de mauvaise facture.
527Le façonnage de bifaces a également eu lieu sur place comme le prouvent les ébauches retrouvées à Molinons et à Lailly/Le Fond de la Tournerie, et le petit amas découvert à Lailly/Le Domaine de Beauregard. Des lames ont été débitées dans une conception volumétrique du nucléus sur tous les sites, bien qu’en faibles quantités.
528L’éventail technologique moustérien apparaît ici diversifié et souple, parfaitement adapté à l’obtention de supports variés dont la production et l’abandon sur place pourrait induire un rôle fonctionnel, peut‑être lié à un usage immédiat.
529Les diagrammes cumulatifs réels et essentiels (fig. 163, A, B, C), ainsi que les divers indices typologiques et technologiques des quatre sites de la vallée de la Vanne sont très proches, indépendamment de leurs positions chronostratigraphiques (cf. supra). D’un point de vue typologique, nous sommes en présence d’industries où l’outillage moustérien (surtout les racloirs) domine largement les autres types d’outils (encoches, denticulés...). Les racloirs simples représentent entre 23 et 34 % de l’outillage16, les racloirs doubles de 3 à 5,8 %, les racloirs convergents de 1 à 5,3 % et les racloirs transversaux de 1 à 7 %. Le pourcentage des racloirs Quina est infime (un seul exemplaire, sur le site de Molinons). Les pointes moustériennes sont assez rares (moins de 5 %)17. Les outils de type Paléolithique supérieur sont relativement bien représentés et, à l’exception de Lailly/Le Domaine de Beauregard, en nombres toujours supérieurs au groupe IV. Les denticulés composent moins de 10 % du matériel, et sont particulièrement rares à Villeneuve‑l’Archevêque et, dans une moindre mesure, à Lailly/Le Fond de la Tournerie.
530Les bifaces sont très minoritaires par rapport à l’outillage sur éclat. Ils sont cordiformes ou cordiformes allongés, plus rarement triangulaires. Leur profil est toujours piano‑convexe. Les éclats et pointes Levallois, de même que les lames, sont souvent laissés bruts. Bon nombre d’artefacts portent une courte retouche marginale qui n’affecte qu’une petite partie d’un bord, et qui n’autorise pas un renvoi aux types d’outils définis par Bordes (1951 ; 1967)18. Les outils sont également aménagés par une retouche courte qui ne transforme pas le support. À part quelques très rares cas, il n’y a pas de traces de réaménagement ou de ravivage de l’outillage. Ces éléments nous ont poussé à penser qu’il pouvait s’agir de traces de passages relativement courts des Préhistoriques. De plus, malgré les importantes activités de taille qui ont eu lieu sur ces gisements, nous n’avons pas retrouvé un seul percuteur, entier ou non, mis à part quelques nucléus ou blocs de silex qui portent des traces d’écrasement et ont peut‑être servi de percuteurs occasionnels.
531Des comparaisons peuvent être établies avec plusieurs sites présentant certains points communs : situés en contexte lœssique nord‑ouest européen, chronostratigraphiquement calables du Weichsélien ancien au Pléniglaciaire moyen, ils sont attribués au Moustérien de tradition acheuléenne ou au Moustérien typique et ont livré une documentation statistiquement représentative. Ces sites sont : Saint‑Just‑en‑Chaussée/ atelier Kelley et 2e couche humique (Oise ; Tuffreau 1977b), Catigny (Oise ; Tuffreau 1976c), Houppeville (Seine maritime ; Bordes 1954 ; Vallin 1988), Corbehem/Château d’eau (Pas‑de‑Calais ; Tuffreau 1977a), Marcoing/Briqueterie Debus (Nord ; Sommé, Tuffreau 1971), La‑Ferté‑sous‑Jouarre/Carrière du Tillet (Seine‑et‑Marne ; Bordes 1954), Riencourt‑lès‑Bapaume (Pas‑de‑Calais ; Tuffreau 1993) (fig. 164).
532Le site de Saint‑Just présente deux niveaux archéologiques datés du Weichsélien ancien. Le premier (atelier Kelley, seconde couche humique) est attribué à un Moustérien typique de faciès levalloisien, à pourcentage moyen de racloirs, riche en outils de type Paléolithique supérieur. Le débitage Levallois, bien maîtrisé, n’est cependant pas prépondérant. Quelques nucléus prismatiques à un ou deux plans de frappe sont attestés, ainsi que quelques lames à crête (débitage de type Seclin ?). La première couche humique, également du Weichsélien ancien mais plus récente, a livré une industrie à fort débitage Levallois (la série est cependant enrichie), à nombreux racloirs, pointes moustériennes et bifaces. Les denticulés sont mieux représentés que les outils du groupe III. Cette série est attribuée à un Moustérien de tradition acheuléenne.
533Le site de Catigny a livré une industrie du Weichsélien ancien) Moustérien de tradition acheuléenne type A de faciès levalloisien, à groupe II élevé et bifaces assez abondants.
534À Houppeville, un niveau de l’extrême fin du Weichsélienancien ou du début du Pléniglaciaire inférieur a livré une industrie attribuée à un Moustérien typique à débitage Levallois, avec nombreuses encoches (dominant les racloirs), et des outils du groupe III moyennement représentés.
535L’industrie Moustérienne typique du site de Corbehem se trouve dans la partie inférieure des formations limoneuses litées du Pléniglaciaire supérieur (Antoine 1993). Elle présente un faciès levalloisien très marqué, un pourcentage moyen de racloirs, un groupe IV plus fort que le groupe III.
536La briqueterie Debus à Marcoing a livré un Moustérien de tradition acheuléenne daté du Weichsélien ancien, à fort pourcentage de racloirs, groupe III moyen et peu de denticulés.
537La série « café au lait » de la carrière du Tillet est attribuée à un Moustérien de tradition acheuléenne. Le pourcentage de racloirs est moyen, les outils du groupe IV dominent ceux de type Paléolithique supérieur.
538Les industries de Riencourt‑lès‑Bapaume (niveaux C et CA) sont les plus intéressantes pour notre propos, car les fouilles sont récentes et de grande superficie. Le niveau CA, du début glaciaire, présente, associé au débitage Levallois (linéal et récurrent), un débitage laminaire de type Paléolithique supérieur. Le pourcentage de racloirs est moyen ; le groupe III est élevé. Le niveau C, plus récent (stade isotopique 4), présente également un débitage laminaire associé à un débitage Levallois. Il est possible, mais non certain, que l’industrie « résulte d’un mélange : Moustérien de type Ferrassie, industrie laminaire comparable à celle de CA, Moustérien de tradition acheuléenne de type A et industrie à affinités micoquiennes... » (Tuffreau 1993 : 121).
4.6.2 Distinction Moustérien typique et Moustérien de tradition acheuléenne la nébuleuse moustérienne
539Parmi les exemples ci‑dessus, la distinction entre Moustérien typique et Moustérien de tradition acheuléenne s’opère sur la base de deux critères :
– présence ou absence de bifaces de type MTA ;
– représentation des outils de type Paléolithique supérieur (fig. 165 et 166).
540L’absence ou la présence de bifaces est sans doute le critère le plus déterminant. Cependant, il lui est souvent opposé le problème d’une éventuelle localisation préférentielle, ce qui pourrait entraîner leur sous‑représentation (Farizy, Tuffreau 1986 ; Tuffreau 1992) ou leur sur‑représentation.
541La proportion des outils de type Paléolithique supérieur comme marqueur distinctif entre les deux industries est plus difficile à préciser. Certaines industries attribuées au Moustérien typique présente un groupe III parfois plus élevé ou parfois plus faible, que des industries attribuées au Moustérien de tradition acheuléenne. De plus, au sein de ces dernières, le rapport groupe III‑groupe IV est tantôt favorable, tantôt défavorable à ce dernier19.
4.6.3 Sites de la vallée de la Vanne
542Les grandes superficies fouillées sur les sites de la vallée de la Vanne20, même si elles ne prétendent pas englober la totalité des sites (cf. supra) annulent l’influence d’éventuelles concentrations des bifaces21. On peut raisonnablement les considérer comme statistiquement représentatifs dans l’ensemble de l’outillage auquel ils sont associés, rien ne supposant leur caractère intrusif22. Leur faible nombre sur chacun des sites de Lailly et sur Molinons, rend délicate une attribution « automatique » au Moustérien de tradition acheuléenne, d’autant plus qu’ils sont absents sur Villeneuve‑l’Archevêque, alors qu’aucune différence technotypologique notable n’existe entre ce site et les trois premiers23. Remarquons également que les groupes III sont supérieurs aux groupes IV (à l’exception de Lailly/Le Domaine de Beauregard, où ils sont sensiblement égaux).
543Il nous semble donc périlleux d’attribuer ces sites au Moustérien de tradition acheuléenne, contrairement aux résultats des nombreux ramassages de surface effectués depuis près d’un siècle dans la région, et qui incitèrent à conclure à la présence marquée de ce faciès (Hure 1922 ; Girard, Schmider 1982 ; Boëda, Mazière 1989)24. Il semble tout aussi délicat d’y voir un Moustérien typique, dans ce cas « à bifaces et groupe III élevé ».
544Ces industries s’intégrent donc assez mal dans un schéma dichotomique Moustérien de tradition acheuléenne/Moustérien typique. Aussi nous contenterons‑nous d’attribuer ces quatre sites à un Moustérien caractérisé par, d’un point de vue de l’outillage, une dominance des racloirs simples, une représentation moyenne du groupe III (au sein duquel les couteaux à dos ne sont pas rares) et une faible représentation du groupe IV et des bifaces, et, d’un point de vue technologique,par un débitage Levallois moyennement représenté et l’existence d’un débitage laminaire de conception volumétrique.
4.6.4 Analyse spatiale
545La fouille de ces niveaux du Paléolithique moyen sur des surfaces de plusieurs milliers de mètres carrés d’un seul tenant a permis d’émettre quelques hypothèses sur le fonctionnement interne de ces gisements. Malgré l’absence de faune et d’études tracéologiques25, l’observation et l’interprétation de l’alternance des zones riches et des zones pauvres en artefacts lithiques, corrélées à l’étude des remontages effectués à des distances variables allant du centimètre à plusieurs dizaines de mètres, peuvent permettre d’aborder le dynamisme de ces sites.
546Les seules structures « aisément » identifiables sont des postes de débitage, résultats dans ces cas d’actions brèves et ponctuelles et ne concernant que des aires restreintes. Les remontages y sont réalisés à de faibles distances. D’autres zones sont très riches en outillage (au sens large), et pauvres en débitage. Le plus souvent cependant, les outils, en proportion variable, suivent la dispersion générale du mobilier, lequel se présente comme un semis ininterrompu mais lâche, ponctué par des zones plus denses. Trois types de zones existent donc : zones de débitage, zones riches en outillage, zones mixtes, ces dernières étant les plus nombreuses. Des remontages établissent des relations dynamiques entre ces zones. Une interprétation globale de l’occupation ne peut cependant être proposée, du moins dans l’état actuel de la recherche.
4.6.5 Conclusion
547Les différentes séries lithiques découvertes dans la vallée de la Vanne suscitent de nombreuses comparaisons avec des industries du nord‑ouest européen retrouvées en contexte similaire, et attribuées au Moustérien de tradition acheuléenne (type A) ou au Moustérien typique. Il est cependant difficile de rattacher les sites de la vallée de la Vanne à l’un ou l’autre de ces deux faciès. Les quelques différences, technotypologiques ou structurelles, entre les quatre sites, apparaissent minimes. Les industries, sont globalement identiques, et forment un ensemble très cohérent. Est‑il pour autant pertinent de créer un sous‑faciès « Moustérien de la vallée de la Vanne » ?
Notes de bas de page
1 Nous remercions J.‑P. Bouvet, J.‑L. Rieu, P.‑A. de Labriffe et A. Genevard qui ont découvert les pièces lors des prospections malgré un terrain difficile où les silex naturels sont très abondants.
2 Quelques pièces ont été trouvées en dehors de la doline. Elles reposaient sur une mince pellicule de limon les séparant ainsi des graviers de la nappe alluviale. Leur appartenance au niveau 1 est topographiquement logique mais non démontrée.
3 Classification établie bien évidemment d’après les travaux de F. Bordes (1950 ; 1961).
4 Un test tracéologique portant sur une dizaine d’outils a été réalisé par S. Beyries, chargée de recherches au CNRS. Ce matériel était, lors de sa découverte dans un état d’extrême fraîcheur. Au contact de l’air, les pièces se sont recouvertes d’une patine blanche plus ou moins dense. Les altérations de ce type entraînent une non‑lisibilité des traces observables au microscope. Dans le cas présent, les rares traces observables ne possédaient plus les paramètres permettant une interprétation fiable. Dans l’état actuel des choses, il semble peu réaliste d’entamer une étude tracéologique sur ce matériel. Jusqu’à présent, aucune série du Paléolithique moyen de la région n’a pu faire l’objet d’une analyse tracéologique.
5 Une petite occupation magdalénienne a été également découverte (Locht et. al. 1991c).
6 Dans certains cas, cependant, il est difficile, en l’absence de remontage de différencier les lames issues des nucléus prismatiques de celles provenant de nucléus Levallois exploités en mode récurrent.
7 Les altitudes furent calculées à partir de deux points NGF matérialisés sur le terrain par S. Laisné, géomètre de l’opération A5.
8 L’équipe de fouille se composait de (hormis P. Depaepe, L. Brassinne et C. Swinnen) : Philippe Bovy, Sonia Deplano, Marie‑France Dietsch, Christine Dumont, Aimée Flores, Dean Quinn, Magali Patron. Christian Thomas était le très efficace conducteur de la pelle hydraulique. Qu’ils soient tous remerciés ici.
9 Un essai d’analyse tracéologique, effectué par Sylvie Beyries (ERA 28 du CNRS) sur plusieurs pièces, n’a donné aucun résultat, une légère patine couvrant les artefacts.
10 Il s’agit des sous‑classes 0.1 : rognon, plaquette, galet brut ; 11.5 : couteau à dos dans débitage Levallois ; 111.4 : éclat ordinaire dans débitage Levallois ; IV.2, IV.3, IV.4, IV.5 et IV.7 : éclats Levallois linéal, récurrent, latéral, à dos cortical et torse ; V.7 : crête partielle ; VII.4 : éclat de retouche.
11 Plusieurs cas se présentent également sur le site saalien de Beauvais (Locht, com. orale).
12 De même, la gestion de la matière première est identique à celle observée sur ces trois sites, auxquels nous renvoyons.
13 Un test d’analyse tracéologique effectué par Sylvie Beyries (ERA 28 du CNRS) sur quelques pièces lors du diagnostic du site, s’est révélé infructueux, une légère patine couvrant les artefacts.
14 A savoir trois datant du Weichsélien ancien (Molinons, Lailly/Le Domaine de Beauregard et Villeneuve‑l’Archevêque) et le quatrième attribué au Pléniglaclaire inférieur ou moyen (Lailly/Le Fond de la Tournerie).
15 Entre 7 et 9 cm en moyenne.
16 Pourcentages en essentiel.
17 Pour plus de détails, se référer aux listes typologiques des sites.
18 Ce qui explique les valeurs élevées de la catégorie « Divers « sur les quatre sites.
19 La présence d’un débitage laminaire de conception volumétrique semble déterminante.
20 De 1600 à 6500 m2.
21 Les exemplaires découverts suivent d’ailleurs la répartition globale du mobilier, sans présenter de localisations particulières.
22 Rappelons qu’il existe un façonnage sur place.
23 Villeneuve‑l’Archevêque présente d’ailleurs les analogies les plus importantes avec Lailly/Le Fond de la Tournerie, lequel présente l’IB le plus élevé.
24 Les bifaces triangulaires plats, cordiformes et sub‑cordiformes sont en effet nombreux dans les collections, peut‑être parce que ceux‑ci « [...] attirent l’œil du prospecteur [...]» (Gruet 1976).
25 L’état du matériel ne le permettait pas.
Auteurs
AFAN ; SRA Ile‑de‑France ; UMR 9944 CNRS‑Univ. Lille
AFAN
AFAN ; service de Préhistoire de l’université de Liège
AFAN ; service de Préhistoire de l’université de Liège
AFAN
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UA 275 CNRS
AFAN
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