Chapitre 2. Objectifs et méthodes
2 Zielsetzungen und Methoden
2 Methods and objectives
p. 19‑27
Résumés
Des sondages réalisés à la pelle mécanique ont permis de définir et d’estimer le potentiel archéologique des séquences quaternaires représentatives de chaque unité géomorphologique concernée par le tracé de l’autoroute A5. Les occupations du Paléolithique moyen ont été appréhendées sur de grandes superficies grâce à une méthodologie adaptée, et ont pu être replacées dans un cadre chronostratigraphique corrélable à celui du nord de la France et de la Belgique.
The archaeological potential of the different quaternary sequences represented by the geomorphological units along the line of the A5 was defined and evaluated by a series of test‑trenches cut by machine. The various Middle Palaeolithic occupations were encountered over large areas thanks to an adapted methodology. They have thus been reincorporated into a chronostratigraphical framework which correlates to that of northern France and Belgium.
Anhand von Baggersondagen war es möglich, den archäologischen Gehalt der quartären Schichtabfolgen, die für die einzelnen von der Autobahntrasse A5 betroffenen geomorphologischen Einheiten repräsentativ sind, zu bestimmen und abzuschätzen. Menschliche Ansiedelungen im Mittelpaläolithikum sind über weite Strecken dank angepaßter Grabungsmethoden erfaßt und in einen mit Nordfrankreich und Belgien korrelierbaren chronostratigraphischen Rahmen eingeordnet worden.
Texte intégral
2.1 Sauvetage archéologique et problématiques scientifiques du Paléolithique moyen dans le sud‑est du Bassin parisien
1L’équipe de paléolithiciens et de géologues quaternaristes qui a travaillé sur le tracé autoroutier de l’A51 a tenté de concilier les contraintes et les avantages du sauvetage archéologique de grands travaux et les besoins de la recherche archéologique dans le domaine du Paléolithique moyen.
2Nous avons vu dans le chapitre précédent combien le sud‑est du Bassin parisien est à la fois riche en collection de matériel archéologique du Paléolithique moyen et très pauvre en site fouillés en contexte stratigraphique. Malheureusement le nombre de sites en place et fouillés dans les quinze dernières années se limite à deux gisements. Champlost est le seul site qui ait fait l’objet d’une fouille moderne étalée sur une douzaine de campagnes tandis que le gisement de Chailley n’a fait l’objet que d’un sondage. Ils sont situés sur la limite sud‑est de notre région d’étude, au pied de la cuesta crayeuse du Pays‑d’Othe sur les versants des vallons du glacis d’érosion. L’étude du gisement de Chailley n’est malheureusement pas publiée. Nous ne savons pas quelle est la nature du site et ne possédons que l’information de la présence de pointes Levallois dans la série. La conservation de la faune à Champlost est importante pour pouvoir appréhender la nature du site. Il faut regretter l’absence de découvertes sur l’autoroute de niveaux associant industrie lithique et faune, nous privant ainsi d’une grande partie de comparaisons potentielles. Une autre question posée par le site de Champlost est celle de l’attribution culturelle du matériel lithique qui entraîne des rapprochements avec d’autres ensembles lithiques présents dans le couloir Saône/Rhône et outre‑Rhin.
3Avant l’intervention sur l’autoroute A5 ces deux sites se trouvaient isolés au plan régional. Etant eux‑mêmes très différents, l’un l’autre, faciès levalloisien pour Chailley et charentoïdo‑micoquien pour Champlost, il était difficile d’apprécier leur représentativité par rapport aux faciès reconnus comme étant les plus fréquents dans la région, surtout d’après les ramassages de surfaces.
4De plus, avec si peu d’éléments il était difficile de percevoir les relations entre taphonomie, processus sédimentaire et chronologie susceptibles de nous éclairer sur le potentiel archéologique en sites du Paléolithique moyen. L’ampleur des moyens donnés pour la recherche de ces sites allait‑elle nous permettre de mieux recadrer sur un plan régional ces gisements par rapport à leur contexte chronoculturel et à l’état de nos connaissances issues des études des séries de surface ? L’idée de profiter de l’opportunité d’un tracé linéaire afin d’établir, si possible, un échantillonnage du potentiel archéologique avait‑elle un sens, pouvait‑elle rompre l’isolat des sites régionaux fouillés en recherche programmée ? En d’autres termes allions‑nous retrouver d’autres industries charentoïdo‑micoquiennes comme celles de Champlost voire micoquiennes comme le suggérait l’étude de E. Boëda et de G. Mazière (1989) ; quelle était la réelle signification de l’abondance du Moustérien de tradition acheuléenne ?
5Une autre question se posait. La grande extension des niveaux archéologiques des sites de plein air de cette période (Tuffreau 1988 ; 1993) rend difficile leur étude. Beaucoup de gisements n’ont pu être fouillés que sur des surfaces minimes par rapport à la totalité de leur superficie. Comment alors appréhender la notion d’appropriation de l’espace par les Paléolithiques, leur sens ou non de la relation entre leurs activités quotidiennes et l’espace qu’ils occupent ? Quelle est la valeur des informations recueillies sur la typologie et la technologie des séries lithiques de ces gisements ? Comment passer de la méthode de fouille d’un site paléolithique, adaptée à des petites surfaces, au sauvetage rapide pouvant se développer sur de grandes surfaces ?
6Bien d’autres problèmes se posent et particulièrement sur les processus de conservation et le positionnement chronologique des niveaux archéologiques du Paléolithique moyen du sud‑est du Bassin parisien. Ces sites sont en général peu enfouis, conservés dans des séquences limoneuses peu épaisses de versant de vallée. Les niveaux archéologiques du Paléolithique moyen du site de Champlost sont fossilisés dans une formation limoneuse très peu épaisse, située entre 30 et 50 cm sous la surface actuelle et posée sur une nappe alluviale d’une rivière descendant du plateau de la forêt d’Othe. A part les 30 cm de colluvions postglaciaires aucun autre dépôt ne vient compléter la séquence stratigraphique. La formation limoneuse contenant les niveaux archéologiques ne présente aucun horizon diagnostic permettant un rattachement chronostratigraphique (Farizy et al. 1986). Le site de Chailley installé sur la surface du plateau de la forêt d’Othe en bordure du versant d’érosion (Boëda 1979) se trouvait à peine enfoui sous la surface actuelle. Le niveau archéologique se trouvait essentiellement dans l’horizon de labour à 26 cm de profondeur ou par endroit à 40 cm sur un lit de pierres à matrice argileuse (Boëda 1979). Globalement le bilan érosif de ces sites semble dominer celui de la sédimentation dans ce secteur.
7Ces conditions ne sont pas favorables à un enfouissement et à une bonne fossilisation des sites du Paléolithique. D’une part le faible apport sédimentaire induit des surimpositions de niveaux d’occupation qui ont pu se mélanger. D’autre part ces mêmes niveaux vont se trouver inclus dans des séquences stratigraphiques de faible ampleur et donc difficiles à interpréter en terme chronostratigraphique. Malgré ce constat, seules les formations de limons lœssiques peuvent présenter suffisamment d’homogénéité lithostratigraphique dans leur extension régionale. Ce sont aussi les seules à présenter des horizons diagnostics interprétables en terme chronostratigraphique. Nous avons donc décidé de faire porter principalement nos efforts sur ces formations.
8Rappelons que la couverture lœssique du Bassin parisien est dans cette région à son point le plus éloigné des sources originelles. Les recouvrements limoneux sont ici extrêmement faibles. Ponctuellement ils dépassent rarement plus de 3 m alors que ceux rencontrés dans le nord et l’ouest du Bassin parisien ont très souvent plus de 4 m (Lebret 1984). C’est en partie pour ces raisons que les limons de cette région ont été peu étudiés. En vingt ans seules trois études synthétiques ont été réalisées sur ce secteur : la thèse d’Etat de J.‑P. Lautridou (1984), la maîtrise de M. Chartier (1985) et la thèse de doctorat de V. Krier (1985). J.‑P. Michel (1973) et A. Roblin‑Jouve (1984) présentent aussi dans leurs travaux des coupes dans ces formations limoneuses du Sénonais.
9Les premiers travaux décrivant soigneusement les limons du Sénonais datent du début du siècle. Ainsi, A. Hure signale (1927) la présence de lœss à la confluence de l’Yonne et de la Vanne sous deux formes :
– des limons ocres, sableux avec des poupées calcaires et des granules calcaires appelées loess acheuléen, occupant la surface de la basse terrasse (Fx) ;
– des limons jaunes, secs, calcaireux, avec de fines traînées de cailloutis, surmontés parfois par un lehm qui n’est que le lœss sous‑jacent oxydé, s’appuyant sur le talus de la basse terrasse.
10Les auteurs des cartes géologiques régionales récentes au 1/50 000 (Bouiller et al. 1976) décrivent deux types de lœss sous la notation LP1 et LP2. Les limons LP1 sont non carbonatés et couvrent la surface des plateaux. Ces limons procéderaient d’un remaniement par lessivage des formations à silex du Tertiaire, d’un apport de limons éoliens et d’une évolution pédologique très poussée. La formation limoneuse LP2 dont la teneur en calcaire est de 15 % à 30 % CaC02 constitue le complexe lœssique. Installé souvent sur les versants exposés à l’est, il dérive du remaniement des poudres crayeuses au débouché des vallons et des petits cours d’eau, dans la vallée de l’Yonne et de l’Armançon. Il peut se déposer aussi sur les parties hautes des collines et peut avoir 4 à 5 m d’épaisseur. Il contient parfois des lits de granules de craie et de fragments de silex et présente un pseudomycélium. Ces sables sont éolisés. Ils contiennent des quartz, des feldspaths potassiques, des plagioclases et même des grains de granit, des fragments de craie et de silex. La teneur en sable peut atteindre 25 % : ces sables proviendraient des alluvions de l’Yonne remaniées par le vent.
11Enfin en 1973, puis en 1984 J.‑P. Lautridou signale la présence de lœss à l’extrémité de la province séquanienne dans la vallée de la Seine et de l’Yonne. Il décrit (Lautridou 1984) les trois coupes de Sergines, Migennes et Champley. Ces coupes se situent soit dans les fonds de vallée (Migennes et Champley) soit sur versant nord de vallon sec (Sergines).
12L’auteur insiste sur l’étendue presque généralisée des limons du Bassin parisien que l’on retrouve encore vers l’est (en Champagne), mais sous forme de plus en plus sporadique et mélangés à de la craie gélive. Dans l’ensemble, les limons diminuent d’épaisseur et de continuité d’ouest vers l’est. Pour J.‑P. Lautridou il est possible encore de reconnaître, à Sergines et à Migennes, la séquence‑type séquanienne à laquelle appartiennent les limons loessiques de l’Yonne. Mais ces limons ne constituent plus qu’un faisceau lœssique le long des grands couloirs alluviaux de la Seine et de l’Yonne. On passe d’un loess typique carbonaté sans structure à un limon sur substrat crayeux, très calcaire, jaunâtre, à granules de craie, dont le signal loessique s’estompe vers l’est jusqu’à disparaître sur ces versants. L’origine de ces limons est à situer dans les alluvions périglaciaires. Cette évolution du faciès loessique ne semble pas avoir de signification climatique particulière.
13Les loess existent donc dans la région. Leur intérêt est d’ordre chronologique. Il semble qu’ils se soient répandus du Saalien au Weichsélien et ils marquent pour ce dernier le Pléniglaciaire inférieur, moyen et supérieur. Le faciès le plus fréquemment rencontré correspond à un loess typique carbonaté sans structure (Lautridou 1984). Le taux de carbonate de calcium est de 5 à 20 % sur les versants nord ou nord‑ouest des vallons secs comme à Sergines et beaucoup plus important dans le fond de la vallée de l’Yonne, comme à Migennes ou Champley où ces limons atteignent 25 à 53 % de CaCO3.
14Les données granulométriques mettent bien en évidence une différence entre les limons loessiques, avec les sols isohumiques plus argileux, mais aussi entre le passage des lœss encore typiques de Sergines, avec une dominance de la classe granulométrique entre 20 microns et 50 microns de diamètre, et les limons de Migenn.es avec une classe granulométrique supérieure à 50 microns, beaucoup plus importante. Entre Sergines et Migennes les granules de craie deviennent plus abondants et la courbe cumulative granulométrique des limons lœssiques s’étale tandis que le pourcentage de CaC03 augmente très fortement. On peut y voir l’influence des produits alluvionnaires de fragmentation du substrat crayeux sur le matériel remanié par le vent.
15L’horizon de Kesselt qui sépare les lœss du Pléniglaciaire moyen de ceux du Pléniglaciaire supérieur ne semble pas être présent dans les profils de la région. J.‑P. Lautridou (1984) émet l’hypothèse que les niveaux de cailloutis à l’intérieur des limons de Sergines en seraient l’équivalent, marquant une phase de solifluxion et gélifluxion.
16Les séquences stratigraphiques présentent à leur base, des sols brun‑noir isohumiques qu’il est possible de rattacher au complexe classique du Weichsélien ancien équivalent des sols d’Oissel visibles à Saint‑Pierre‑les‑Elbeuf (Lautridou 1984). Ces sols isohumiques présentent un taux de matière organique variant de 0,6 à 1 %. L’analyse diffractométrique révèle une prédominance du Quartz, la présence de feldspath plagioclase et potassique et de calcite. La smectite est plus abondante que l’illite et la kaolinite (Lautridou 1984).
17Sous ces sols isohumiques des limons brun‑rouge peuvent avoir été conservés et représentent selon l’analyse micromorphologique la racine d’un sol lessivé à ferriargilanes, lambeau de sol interglaciaire (Lautridou 1984) ancien de l’Eémien ou du Saalien. Souvent plus riche en matière organique (1 %) que les sols isohumiques du dessus. Ces lambeaux de sol interglaciaire reposent sur un gros cailloutis de silex installés sur la craie.
18Il est donc possible de reconnaître dans les sédiments de ces trois coupes des horizons diagnostics et des séquences lithostratigraphiques définies pour la Normandie, elles‑mêmes corrélées avec le nord de la France et la Belgique et intégrées à la chronostratigraphie nordique (Weichsélien, Eémien, Saalien) (Lautridou, Sommé 1974). C’est pourquoi, d’ailleurs, nous utiliserons dorénavant la nomenclature de la chronostratigraphie nordique. Par contre aucun de ces gisements géologiques de référence ne contient de niveaux archéologiques du Paléolithique moyen. Il y avait donc jusqu’ici une parfaite dissociation entre les unités géomorphologiques présentant des séquences stratigraphiques un peu développées et interprétables d’un point de vue chronostratigraphique et celles présentant des sites archéologiques fouillés. L’un de nos objectifs était donc d’inverser cette situation. Il était aussi important de vérifier l’extension géographique des séquences stratigraphiques contenant les horizons diagnostics de l’Eémien et du Weichsélien et leurs liens avec les unités géomorphologiques régionales constituant ainsi les bases du développement éventuel d’une recherche archéologique du Paléolithique moyen dans cette région du Bassin parisien.
19La traversée de cette région par une autoroute offrait des opportunités pour une détection et une étude du Paléolithique moyen dans un contexte stratigraphique : 80 km de tracé, 60 m de large minimum, moyens techniques, etc. L’ouverture de tranchées, continues et systématiques, permet un repérage des formations superficielles, des niveaux archéologiques interstratifiés, des décapages et une fouille systématique sur plusieurs hectares de ces niveaux.
2.2 Prospection géologique appliquée au diagnostic archéologique
20Dès le début de l’opération, se posait le problème de la sauvegarde des gisements paléolithiques au long du tracé. En effet, le constat de la rareté des découvertes de sites paléolithiques méritant d’être fouillés s’imposait à tous sur les tracés linéaires. Nous avons alors émis l’hypothèse que cette rareté des gisements était due plus à la difficulté de les repérer, suffisamment bien conservés pour justifier un sauvetage, qu’à une répartition étonnamment lâche des occupations paléolithiques.
21Par ailleurs, les modalités de prospection des sites paléolithiques ne peuvent recouvrir celles des sites des périodes plus récentes. Le ramassage de surface ne permet de repérer que les sites faiblement enfouis et souvent remaniés par les labours. L’abondance ou la pauvreté, la présence ou l’absence de matériel lithique, ne permettent pas d’évaluer l’importance ou non du gisement, ni même son existence. La prospection de surface présente une efficacité limitée et en aucun cas un diagnostic archéologique. Nous avons donc proposé d’organiser le travail de prospection en partant de la définition des séquences stratigraphiques des formations quaternaires représentatives de chaque unité géomorphologique rencontrée en utilisant une méthode de sondage à la pelle mécanique associant décapage et diagnostic archéogéologique.
22L’étude stratigraphique des unités géomorphologiques repose sur les données non seulement bibliographiques et cartographiques mais aussi sur les sondages géotechniques réalisés pour l’autoroute et nos propres sondages géologiques. Ces derniers ont été réalisés à la pelle mécanique, soit dans le cadre d’un programme de prospection géologique systématique, soit lors des décapages de surface de diagnostic archéologique. Ce travail aboutit à la définition d’unités géomorphologiques présentant des séquences stratigraphiques types et à un cahier des risques archéologiques en profondeur.
23Ces unités géomorphologiques font ensuite l’objet de campagne de sondages systématiques. L’implantation des sondages tient plus compte des facteurs géomorphologiques que des indices archéologiques de surface, bien que chaque site fouillé ait livré des artefacts en nombre variable lors des prospections. Ces sondages à la pelle mécanique sont conçus en tranchées d’au moins 3 m de large et longues d’au moins 15 m, permettant un décapage continu de tous les ensembles sédimentaires rencontrés jusqu’au substrat ou, en bout de bras de pelle, entre cinq et six mètres de profondeur. La largeur de la tranchée permet de circuler sur la surface décapée, en même temps que le godet de la pelle mécanique descend. Chaque passe de décapage, épaisse d’un demi à un centimètre est ainsi étroitement surveillée. Cette méthode permet de repérer toutes les pièces archéologiques jusqu’à la taille de l’esquille. Les pièces sont repérées en trois dimensions selon un système orthonormé à partir des bords des tranchées et inventoriées à leur découverte à chacune des passes mécaniques. Au fur et mesure, les coupes sont nettoyées, relevées en continu, échantillonnées et photographiées. Chaque pièce peut ainsi être replacée dans son contexte stratigraphique par simple projection de sa position sur les relevés de coupe et en même temps être étudiée en fonction de ses relations spatiales avec les autres pièces.
2.3 Outils d’investigation du cadre naturel et chronostratigraphique
24Cette approche du terrain permet d’établir le bilan réel du potentiel archéologique pour chaque ensemble stratigraphique et de le comparer au pronostic établi pour la séquence de l’unité géomorphologique étudiée. L’ensemble de ces données permet de replacer les niveaux archéologiques ainsi déterminés dans un contexte stratigraphique général qui peut être interprété en termes chronostratigraphiques, si des horizons diagnostics ont été repérés dans ces séquences sédimentaires.
25L’étude de ces sites archéologiques demande une approche pluridisciplinaire. L’équipe « Géologie et paléoenvironnement » mise en place sur l’A5 a été constituée aussi afin de définir la nature des sédiments constituant les séquences stratigraphiques dans lesquelles ils sont inclus, les conditions de leur mise en place et de leur remaniement, mais aussi afin d’obtenir des informations sur le cadre naturel de ces occupations, des éléments de référence nécessaires à un calage chronostratigraphique et des dates absolues.
2.3.1 Analyses sédimentologique et micromorphologique
26Les quatre premiers sites fouillés ont tous fait l’objet d’une analyse sédimentologique2, associant granulométrie, calcimétrie, pétrographie et minéralogie afin d’établir la part des apports lœssiques, des colluvions de matériaux locaux et des altérations pédologiques dans les sédiments des séquences stratigraphiques. Les analyses sédimentologiques et minéralogiques, réalisées au tamisage à l’eau et à la pipette Anderson pour la fraction fine et diffractométre à RX, portent sur 62 échantillons à raison d’une quinzaine d’échantillons par site. Le pourcentage de matière organique a été quantifié par perte au feu, pour trois des cinq sites fouillés (Molinons et les deux sites de Lailly) qui présentaient des horizons gris, afin d’évaluer la nature humifère de ceux‑ci. L’analyse porte sur 89 échantillons à raison d’une trentaine par site.
27L’analyse micromorphologique porte sur 35 blocs répartis sur les deux sites de Vinneuf et Molinons correspondant à deux séquences stratigraphiques appartenant à des contextes géomorphologiques très différents : l’un karstique sur plateau et l’autre de versant doux de vallons dissymétriques. L’analyse micromorphologique apporte des informations complémentaires sur la nature et l’origine des sédiments, mais surtout des renseignements sur les conditions de remaniement et d’altération pédoclimatiques non seulement des niveaux archéologiques mais aussi de l’ensemble de la séquence stratigraphique des deux gisements. Il s’est avéré que seule la micromorphologie a pu fournir des éléments de référence pour une définition chronostratigraphique des ensembles sédimentaires.
2.3.2 Analyse palynologique
28La réalisation systématique d’analyses polliniques3 sur les sites du Paléolithique moyen mis au jour sur le tracé A5 se présentait comme une opportunité rare d’obtenir des données paléo‑écologiques, climatiques et chronostratigraphiques pour le Pléistocène moyen et récent. En effet, face à l’indigence des informations palynologiques sur le sud‑est du Bassin parisien (Lautridou 1984), les références actuelles proviennent des séquences du nord de la France : Biachc‑Saint‑Vaast (Munaut 1978 ; Tuffreau et al. 1982), Longpré‑Lès‑Corps‑Saints (Sommé et al. 1984), Seclin (Leroi‑Gourhan et al. 1978). Si par les analyses palynologiques, les stades interglaciaires y sont difficiles à mettre en évidence (Tuffreau et al. 1981), ces études ont largement contribué à la connaissance des débuts glaciaires. Pour les séquences anté‑éémiennes, ils correspondent à des complexes d’oscillations climatiques marqués par des alternances de paysages à steppes boisées et de forêts peu denses où sont présents des thermophiles (Sommé et al. 1986) tandis que pour le Weichsélien, l’interstade de Brörup a pu être mis en évidence à Seclin (Leroi‑Gourhan 1988).
29Toutefois si l’analyse pollinique des sédiments limoneux peut apporter une importante contribution à la chronostratigraphie (Bastin 1971), le peu de fiabilité des rares résultats régionaux (Farizy et al. 1986) dû à la nature des dépôts étudiés, nous ont incité à mettre en place une démarche préliminaire de diagnostic avant l’étude exhaustive de chacune des séquences. Aussi à une politique d’échantillonnage systématique sur le terrain, nous avons juxtaposé une procédure de diagnostic sur une partie de ces prélèvements. 18 échantillons issus des sites de Vinneuf/Les Hauts Massons, de Molinons/Le Grand Chanteloup, de Lailly/Le Domaine de Beauregard et de Lailly/Le Fond de la Tournerie, représentatifs de deux contextes morphologiques individualisés (cf. chap. 5.1 et 5.2) ont ainsi été sélectionnés.
30Le diagnostic cherche d’abord à vérifier la nature pollinifère des sédiments, mais il vise surtout à appréhender la fiabilité d’une étude palynologique sur un gisement par l’observation systématique d’un certain nombre de traits : état de conservation des stocks poil iniques, concentration absolue en matériel, richesse floristique, organisation et signification paléo‑écologique des spectres. Pour ce faire, chaque échantillon a donné lieu d’abord à un balayage général de la lame à faible grossissement (x 100), puis à l’étude complète d’un dixième de sa surface à un grossissement plus fort (x 250) : observation de la nature et de l’abondance du palynofacics, détermination, comptage.
2.3.3 Analyse de la malacofaune
31L’analyse malacologique peut fournir des informations sur les conditions environnementales locales des niveaux archéologiques et, si les séquences stratigraphiques sont riches et bien développées, elle peut apporter des éléments pour un calage chronoclimatologique (Limondin 1990). Des tamisages des sédiments des sites de Vinneuf et Molinons ont donc été réalisés. Aucune coquille n’a été repérée dans les prélèvements malacologiques tamisés. La décarbonatation des sédiments n’a pas permis la conservation des coquilles.
2.3.4 Analyse de la faune
32Les conditions pédosédimentaires d’enfouissement n’ont pas permis la conservation de la faune des différents niveaux d’occupation paléolithique. La présence de cette faune est toutefois démontrée par l’observation de micro‑reliques d’esquilles osseuses dans les sédiments des niveaux archéologiques par l’analyse micromorphologique.
2.3.5 Datations absolues
33Les gisements ne se prêtent à aucune analyse chronométrique. Pour le 14C aucun charbon n’a été retrouvé, aucun reste osseux, aucune coquille n’ont été conservés. La thermoluminescence est impossible, les niveaux archéologiques étant trop faiblement enfouis et contenant très peu de silex brûlés.
2.4 Méthode de fouille
34La fouille d’un site du Paléolithique moyen de plein air en contexte de grands travaux pose de nombreux problèmes liés au type d’intervention, à l’étendue du site et au choix des moyens à mettre en œuvre. La seule méthode envisageable était dès lors la fouille à la pelle mécanique, car c’est la seule qui permette l’exploration de surfaces aussi vastes.
35La pelle mécanique, surveillée par une équipe de deux ou trois personnes enlève rapidement la terre végétale et les couches limoneuses supérieures, jusqu’à environ 10 cm du niveau archéologique préalablement repéré par sondages. Les passes se font alors plus fines (de 0,5 à 2 cm), ce qui permet de repérer des pièces dont la taille varie autour du centimètre. Les artefacts sont alors situés par triangulation ou coordonnées perpendiculaires et inventoriés, de façon classique, par section (dont la maille varie en fonction de la topographie locale, de 10 à 25 m) et mètre carré ; ils sont ensuite immédiatement prélevés afin de ne pas bloquer la pelle mécanique. Les zones les plus riches (amas de débitage, concentrations...) sont fouillées à la main.
36Cette méthode fut d’abord appliquée à Vinneuf/Les Hauts Massous et a permis l’exploration de 946 m2, dont 343 à la main, sur les 4 500 estimés du site. L’expérience de Vinneuf conditionna les fouilles ultérieures de Molinons, Lailly et Villeneuve‑l’Archevêque. Sur ces sites, une meilleure maîtrise des techniques et contraintes propres à ce type d’intervention permit une importante augmentation des surfaces fouillées à la pelle mécanique (tabl. i ; noter la faible densité moyenne du matériel), certes au détriment, proportionnellement, des surfaces fouillées manuellement (qui représentent malgré tout 510 m2 à Molinons). Un mode d’intervention similaire sur des gisements beaucoup plus riches en matériel lithique ou contenant de la faune serait à reconsidérer entièrement. La fouille à la pelle mécanique n’est de plus possible que dans un sédiment limoneux, sous des conditions météorologiques favorables et avec des pelleteurs confirmés.
37Les pertes d’information, au vu de la finesse des passes effectuées, se limitent aux pièces de petites dimensions (esquilles ou éclats de moins de 3 cm) ; ces pertes sont faibles par comparaison à d’autres sites fouillés manuellement de bout en bout, et en tout cas très largement compensées par l’étendue du décapage. Le tableau I indique le pourcentage des esquilles (artefacts de moins de 10 mm) recueillies dans les zones fouillées à la pelle mécanique. Le seul site comparable (site moustérien de plein air, substrat limoneux, fouille manuelle récente, et mention dans sa publication du nombre d’esquilles) est celui d’Houppeville, fouillé sur 95 m2 en 1979 et 1980 et daté de la fin du Weichsélien ancien ou du début du Pléniglaciaire inférieur (Vallin 1988). Les 13,99 % d’Houppeville correspondent aux éclats de moins de 25 mm. Pour comparaisons, les éclats inférieurs à 30 mm composent 20,29 % du matériel du site de Lailly/Le Fond de la Tournerie. Le très faible pourcentage du site de Villeneuve‑l’Archevêque s’explique par la présence de la majorité des nucléus (et donc des activités de taille), dans une zone ayant subi un colluvionnement assez important.

TABL. I – Récapitulatif des contraintes techniques et des résultats quantitatifs des fouilles des sites de Vinneuf/Les Hauts Massous, Molinons/ Le Grand Chanteloup, Lailly/Le Fond de la Tournerie, Lailly/Le Domaine de Beauregard, Villeneuve‑l’Archevêque/La Prieurée.
38Le pourcentage d’esquilles dans les zones fouillées à la pelle mécanique, bien qu’inférieur à celui d’Houppeville, reste donc significatif (autour de 10 % pour les esquilles, de 20 % en y ajoutant les éclats inférieurs à 30 mm). Il ne semble donc pas que la fouille à la pelle mécanique, dans les conditions spécifiées plus haut, amène une perte importante d’informations. Un traitement informatisé du matériel archéologique, réalisé simultanément permet d’effectuer rapidement les décomptes nécessaires et surtout d’imprimer des plans de répartition.
39Pour les sites de Molinons et de Lailly, afin d’avoir une vision d’ensemble du matériel et de distinguer d’éventuelles concentrations ou association d’artefacts, nous avons réparti dans une vaste pièce tous les objets découverts, en respectant les groupements observés lors de la fouille et sur les plans. Le but de ces « reconstitutions » est de discerner une dynamique possible dans le fonctionnement du site. Il s’agit également d’une solution de dépannage, car une vision globale du matériel in situ sur plusieurs milliers de mètres carrés est impossible, non seulement en raison de l’énorme surface à visualiser, mais aussi de la méthode de fouille qui exige un prélèvement immédiat du matériel. Cette pratique nous a permis de distinguer plusieurs zones d’activités et d’effectuer rapidement des remontages significatifs pour l’interprétation de ces gisements.
Notes de bas de page
1 Valérie Deloze a intégré l’équipe de sauvetage en décembre 1989. Après une participation aux relevés stratigraphiques du site de Vinneuf, elle a assuré :
–les relevés stratigraphiques des gisements de la vallée de la Vanne et tous les sondages de diagnostic qui y furent réalisés ;
–l’étude sédimentologique de ces gisements avec participation à leur interprétation chronostratigraphique ;
–le suivi stratigraphique de la campagne de diagnostic du Paléolithique entre Villemaur et Fontvannes. Pascal Depaepe a participé, dès son arrivée en septembre 1990 dans l’équipe de sauvetage, à la campagne de diagnostic qui a permis la découverte des deux gisements sur la commune de Lailly et de celui de Villeneuve‑l’Archevêque. Il a assuré la direction de la fouille et de la publication du site de Lailly/Le Fond de la Tournerie ainsi que la campagne de diagnostic paléolithique entre Villemaur et Fontvannes. Jean‑Marc Gouédo, engagé dans l’équipe de sauvetage en février 1989, a d’abord participé à la prospection géologique des sites archéologiques, puis assuré le diagnostic et la fouille du site de Vinneuf (relayé par Jean‑Luc Locht). Outre l’étude archéologique de Vinneuf, (excepté l’analyse des blocs de grès) dont il a coordonné aussi la publication, il a réalisé le diagnostic du site de Gisy‑les‑Nobles. Vincent Krier, recruté dès septembre 1988, a participé au diagnostic de Vinneuf/Les Hauts Massous et en a réalisé l’étude stratigraphique, granulométrique et micromorphologique. Avec V. Deloze, il a réalisé l’étude géologique de Molinons et assuré l’analyse micromorphologique de ce site. Il a conçu et assuré la campagne de diagnostic géologique des sites du Paléolithique de la vallée de la Vanne, à l’origine des fouilles de Lailly et Villeneuve‑l’Archevêque et coordonné l’interprétation chronostratigraphique des séquences lithologiques de tous les sites présentés dans ce volume. Jean‑Luc Locht a intégré l’équipe de sauvetage au moment du diagnostic du site de Vinneuf en juillet 1989 dont il a assuré la fin des opérations de fouille. Il a dirigé les fouilles sur les gisements de Molinons, Lailly/Le Domaine de Beauregard et Villeneuve‑l’Archevêque et en a effectué les études publiées dans ce volume. Avec P. Depaepe il a mené la campagne de diagnostic paléolithique entre Villemaur et Fontvannes.
2 Les analyses sédimentologiques ont été réalisées par les étudiants de l’institut des sciences de la Terre de l’université de Bourgogne au sein de leur junior‑entreprise GEOKIT. A l’exception de Villeneuve‑l’Archevêque tous les sites en ont bénéficié. Les délais ont été très variables car aux contraintes de terrain s’ajoutaient les délais de préparation des échantillons:: de sept à quatre mois après la fin des opérations de fouille. L’exploitation des données a été réalisée par V. Deloze et V. Krier (cf. chap. 3.1). Les analyses micromorphologiques demandaient un temps minimum de préparation des lames minces, auquel s’ajoutaient des délais d’attente au laboratoire des sols de l’INA Paris‑Grignon. Ainsi n’ont pu être analysés que les profils de Vinneuf et de Molinons qui, de ce fait, constituent les sites de référence de la région. La préparation des blocs de sol et la réalisation des lames minces ont été conduites sous la responsabilité de P. Guilloré selon les méthodes classiques en ce domaine (Guilloré 1980). Les trente‑cinq lames minces réalisées en plusieurs étapes, ont été livrées dans des délais allant de six à onze mois. L’exploitation des données a été réalisée par V. Krier qui a bénéficié des conseils oraux de N. Fedoroff (INA).
3 Tous les sites ont bénéficié d’un diagnostic palynologique. L’étude (préparation physico‑chimique des sédiments par G. Allenet, et analyse par Ch. Leroyer [cf. chap. 3.3]) a été réalisée au CNP. Les délais n’ont jamais excédé quatre mois. Les analyses n’ont pas été poursuivies en raison de la mauvaise conservation des pollens.
Auteurs
AFAN
AFAN ; service de Préhistoire de l’université de Liège
AFAN ; SRA Ile‑de‑France ; UMR 9944 CNRS‑Univ. Lille
AFAN
AFAN ; service de Préhistoire de l’université de Liège
CNP, UMR 9933 CNRS ; URA 275 CNRS
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