L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales
| ,Chapitre 2. Lieux de culte et peuplement rural
2.8. Le « recrutement » et l’organisation des cimetières paroissiaux : perspectives pour une ethnohistoire
2.8 Population and organisation of parish cemeteries: perspectives towards an ethno‑history
Résumé
La fouille des cimetières paroissiaux doit s’inscrire dans une perspective ethnohistorique mettant en évidence la façon dont certains « facteurs sociaux », perceptibles à partir des études anthropologiques et paléopathologiques, expliquent leur organisation. L’accent est mis sur la recherche de regroupements topographiques mis en évidence par l’étude des âges, du sexe, de la parenté, ainsi que par une véritable approche paléoépidémiologique.
Texte intégral
2.8.1 Introduction
1La fouille et l’étude anthropologique des nécropoles médiévales sont relativement peu développées en Europe par rapport à ce qui a été fait dans le domaine de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. La continuité de l’utilisation funéraire sur les mêmes sites jusqu’à l’époque moderne constitue une raison non négligeable de cet état de choses. Lorsque ce n’est pas le cas, diverses raisons d’ordre pratique, qui seraient parfois surmontables, mais aussi d’ordre théorique se trouvent invoquées.
2En ce qui concerne l’aspect pratique, les fortes densités d’inhumations parfois rencontrées (Crubézy et al. 1985) ainsi que le nombre important des réductions de corps (Crubézy et al. 1987) et la rareté du mobilier gênent considérablement l’établissement des chronologies absolues et relatives. Cette situation implique des fouilles minutieuses car seule l’étude ostéologique in situ (Crubézy et al. 1986b) permet de préciser certaines pratiques funéraires. Du point de vue théorique, il semble que seuls certains aspects, somme toute très limités, de ces sites aient été exploités.
3Jusqu’ici, ces difficultés ont entraîné parfois une certaine réticence à programmer de telles fouilles de cimetières, d’autant que, concernant la période médiévale, l’archéologie villageoise, celle de l’église et du terroir se situent dans des perspectives de recherches a priori beaucoup plus attrayantes. Même lorsque la collaboration entre archéologues et anthropologues existe, les résultats attendus n’ont, jusqu’à présent, été que de deux ordres : d’une part, une meilleure connaissance du « monde des morts » par l’étude des pratiques funéraires, et d’autre part, une approche du « monde des vivants » par le biais de l’étude anthropologique et paléopathologique.
4Ces deux thèmes de recherche ont bien sûr apporté de nouveaux éléments à la connaissance, mais leur confrontation n’est presque jamais réalisée, et lorsqu’elle se trouve, elle ne débouche que sur quelques informations d’ordre sociologique dont le caractère répétitif risque de devenir banal : mise en évidence de quelques regroupements familiaux, sous‑représentativité de la classe d’âge des enfants de moins de deux ans, association souvent signalée de femmes et d’enfants dans les mêmes sépultures.
5En réalité, la perspective de la fouille de ces sites dans lesquels les données religieuses se mêlent étroitement aux aspects sociologiques devrait consister, dans une conception à la fois ethnologique (Leroi‑Gourhan 1961 : 227) et historique, en la confrontation des deux types de données. C’est‑à‑dire qu’il conviendrait de mettre en évidence la façon dont l’organisation du monde des vivants intervient ou est transposée dans la mise en place et l’organisation du monde des morts. Par l’étude des squelettes et par la confrontation avec les autres sources historiques plus traditionnelles, il faut aboutir à la connaissance des croyances et des traditions, des formes sociales et des mentalités, et à la perception plus générale des « espaces vécus » (Frémont 1982 : 27).
6L’étude de l’organisation des cimetières implique non plus une vue statique mais dynamique. Au lieu de n’observer que leur état d’abandon, il faut s’attacher à suivre dans le cours du temps l’évolution de l’organisation de l’espace funéraire en considérant l’ensemble du cimetière, autant que faire se peut, ou simplement des secteurs plus localisés. Ceci exige la reconnaissance de la façon dont les tombes appartenant à un même ensemble topographique ont été disposées au cours du temps : s’agit‑il de simples juxtapositions ou existe‑t‑il des surfaces réservées pour un groupe ? La façon dont les diverses réductions de corps ont été effectuées peut être significative. La démarche vers cet objectif est nécessairement lourde. Elle exige une fouille rigoureuse, ce qui est de plus en plus souvent le cas et une étude anthropologique portant essentiellement sur les caractères discrets (absence ou présence de tel ou tel caractère sur le squelette), ainsi que sur une approche paléopathologique de type épidémiologique, prenant aussi en compte les différents indicateurs non spécifiques de « stress ». Cela exige l’étude de sites sélectionnés, en particulier fournissant des squelettes en bon état de conservation et de bonnes chronologies absolues issues de données tirées des textes, de la stratigraphie, de datages au radiocarbone sur l’os.
7Aucune méthodologie n’a pour l’instant été véritablement définie et ne peut être proposée, chaque série, chaque cimetière représentant donc un cas particulier. Les caractères discrets, par exemple, résultent pour la plupart d’entre eux, d’une interaction continue et inextricable entre l’environnement et le génotype. De ce fait, à quelques exceptions près, telles que torus mandibulaire, perforations sternales, aucune liste type déterminant à coup sûr des regroupements familiaux ne peut être définie. De même, la mauvaise préservation du tissu spongieux des os longs dans certains sites peut empêcher la recherche de certains « indicateurs de stress » non spécifiques.
8Si les méthodes et la façon dont elles sont employées peuvent être relativement diversifiées, par contre, les buts à atteindre et les données ethnohistoriques susceptibles d’être obtenus de l’étude des cimetières paroissiaux peuvent être en grande partie dès à présent évalués. C’est une telle évaluation qui sera tentée ici, en prenant comme exemple deux petites parcelles, les secteurs est et ouest du cimetière paroissial de Canac (commune de Campagnac, Aveyron), dont la fouille a montré que les sépultures les plus anciennes sont attribuables au commencement du xiiie s. Les surfaces étudiées, scellées par une couche de remblais, paraissent avoir été utilisées pendant une période assez brève, de l’ordre de quelques décennies à un siècle (Crubézy et al. 1988b). Il est bien entendu qu’il s’agit davantage d’un essai que d’une véritable démonstration et que les résultats obtenus ne sauraient être généralisés. Seule la confrontation entre plusieurs études identiques dans la même région permettra de donner une véritable dimension historique aux résultats. Le nombre de sujets étudiés (86), le bon état de conservation des squelettes, les critères de différenciation retenus rendent l’échantillon pertinent.
9Tout d’abord, certains éléments anthropologiques d’ordre familial mis en évidence sont susceptibles d’être mis en rapport avec la manière de « bâtir » les sépultures : si des constatations identiques étaient faites ailleurs, il faudrait sans doute revoir une manière de penser souvent fondée sur une typologie des tombes, reposant sur des critères qui, dans le détail, n’avait pas grande importance aux yeux de ceux qui les construisaient. Seront retenus ici les points forts d’une telle approche, insistant davantage sur les perspectives ethnohistoriques et sur certains problèmes méthodologiques que sur les aspects analytique, archéologique, anthropologique, ou paléopathologique, qui ont déjà fait l’objet de publications (Crubézy 1986a ; 1988a ; 1988b ; 1989).
2.8.2 Une approche des structures sociales et des mentalités
10Le but premier d’une semblable étude est de savoir qui a été inhumé, s’il existe une répartition aléatoire des défunts ou si au contraire il existe des regroupements, qu’ils puissent apparaître ou non d’après la typologie des tombes. Ces regroupements peuvent être de nature sociale et hiérarchique (riches et pauvres, adultes et enfants, hommes et femmes) ou familiale.
2.8.2.1 Le recrutement des cimetières
11Le profil démographique de la population inhumée peut être recherché pour les adultes suivant la méthode des vecteurs de probabilité de Masset (Masset 1982) ; elle permet des comparaisons entre des groupes et c’est actuellement une des plus fiables. En outre, une des voies de recherche les plus intéressantes actuellement est l’étude, à partir des données métriques et ostéoscopiques des règles de résidence post‑maritale (Lane et Sublett 1972 ; Lane 1977 ; Crubézy 1986b et 1989). Elle consiste à déterminer, pour un groupe donné, si les relations anthropologiques s’établissent davantage entre hommes ou entre femmes, ou si de telles relations n’apparaissent pas.
12Dans le cas de liens plus importants entre les hommes qu’entre les femmes, l’hypothèse d’une règle de résidence post‑maritale de type « virilocale » ou « avunculocale » peut être avancée : le couple réside dans le village du mari, ou dans celui du frère de la mère du mari. De telles observations ont parfois été faites dans des sociétés où les études ethnologiques effectuées au siècle dernier avaient montré ce type d’organisation après mariage. La constatation de ce fait dans une nécropole du haut Moyen Age du Toulousain (Crubézy 1986a), et, dans une certaine mesure, à Canac (Crubézy 1988a) suggère que les hommes du village dont dépend ce cimetière choisissaient leur conjointe parmi les femmes des villages environnants et que par la suite elles étaient inhumées dans le village de leur mari.
2.8.2.2 Recherche de regroupements topographiques
13Dans cette perspective, la recherche porte d’abord sur la détermination du nombre de sujets par tombe, puis sur la répartition suivant l’âge ou le sexe. Il est ensuite possible de mettre en évidence des regroupements de sujets apparentés ; une telle recherche devrait connaître un développement spectaculaire dans les années à venir grâce à l’extraction et à l’étude de plus en plus aisée (Hagel‑berg et al. 1989) de l’ADN provenant de l’os ancien. Actuellement, la recherche de ces regroupements peut être effectuée aussi à partir des données métriques (Darlu et Bocquet‑Appel 1987), mais cette méthode pose de gros problèmes théoriques et pratiques.
14En fait, le plus grand nombre d’études repose sur la répartition différentielle des caractères discrets (Crubézy 1989). Il s’agit de caractères ostéoscopiques polyfactoriels soumis de façon concomittante à l’influence du génome et du milieu, et qui sont reconnus présents ou absents sur le squelette. Mais l’héritabilité des caractères retenus doit être relativement élevée, et tous ceux dont la présence pourrait être liée à des « stress » biomécaniques ou nutritionnels, à l’âge, au sexe, doivent être écartés ; or, les traits liés à ces derniers facteurs varient d’une population à l’autre (Corrucini 1974 ; Berry 1975 ; Cossedu et al. 1979 ; Perizonius 1979). Ces caractères doivent être aussi facilement reconnus par un même observateur à des moments différents (Molto 1979), et ils doivent être suffisamment rares dans le groupe étudié pour que l’on ne risque pas de définir d’immenses concentrations de sujets qui ne mettront en évidence qu’une appartenance à un ensemble non significatif (Sjovold 1976‑1977 ; Crubézy 1988b).
15Même lorsque des regroupements de sujets dits apparentés sont décelés, il faut garder à l’esprit, au moment de l’interprétation, quatre éléments :
– les regroupements familiaux ou de sujets apparentés se fondent sur des sujets génétiquement liés, mais sans qu’aucun lien familial (père, fille, cousin, etc.) ne puisse être précisé ;
– les concentrations prennent un caractère familial qui se fonde sur le regroupement de caractères discrets à propos desquels des études portant sur d’autres séries montrent qu’ils peuvent refléter, de manière éventuelle, un déterminisme familial ; il s’agit donc d’une simple vraisemblance ;
– les concentrations représentent des regroupements familiaux reconnus, d’autres sont susceptibles d’avoir existé, mais n’ont pas été détectés ;
– enfin, la recherche porte sur des regroupements de sujets apparentés et non sur l’ensemble de ces derniers : ceux‑ci ne sont sûrement pas tous regroupés.
16À Canac, l’ensemble de ces recherches a été effectué sur un total de 53 tombes de types différents, coffres de dalles, de pierres, sépultures en pleine terre ; 17 d’entre elles contenaient plus d’1 individu, le plus souvent 2 ou 3, exceptionnellement plus. Il y a autant d’hommes que de femmes dont l’inhumation est accompagnée de celle d’un enfant ; sur 17 tombes réutilisées, 16 en contiennent au moins 1, alors que la présence de couple, homme et femme, est très rare. Par contre, la répartition des sujets n’est pas aléatoire, et pour un peu plus de 35 % d’entre eux, ils sont inclus dans des groupes dont la composition et les traditions d’inhumation semblent être liées à la fois à l’âge et au sexe (fig. 1 et 2). En particulier, dans le secteur est, un ensemble formé de sépultures en coffres juxtaposés, ayant pour certains des dalles de couverture qui empiétaient sur plusieurs tombes, délimite un passage central. C’est un ensemble particulier, car il ne se compose presque que de sujets féminins de plus de trente ans, avec leurs enfants. Seules, trois tombes (HT 28, IT 31, JT 19) ne contiennent pas d’enfants ou de sujets féminins. Cependant, il a été possible de montrer (Crubézy et al. 1988b) que la tombe JT 19 fut détruite lors de la constitution de l’ensemble et que les deux autres tombes sont antérieures à la majorité, sinon à toutes les tombes construites au contact du mur.
17Cet ensemble, avec ses dalles de couverture juxtaposées qui devaient affleurer le sol, était de réutilisation aisée. Il suffisait de soulever une des dalles pour déposer un corps d’enfant. Il n’a pas été possible de montrer si pour ces coffres, les liens entre les femmes et les enfants étaient des liens familiaux ; cependant, le lien mère‑enfants semble à écarter lorsque la sépulture contient plusieurs de ces derniers. L’ensemble a été mis en place en plusieurs phases ; le passage médian, et les réutilisations dont les tombes firent l’objet laissent entrevoir pour ce groupe un statut spécial dans le cimetière. Dans le secteur ouest, les tombes FT 3, FT 14 et FT 15, soigneusement construites les unes à côté des autres, ne contiennent qu’un seul sujet masculin de plus de 30 ans. Par ailleurs, il convient de signaler deux regroupements de sujets de 18 à 30 ans, BT 7, CT 8, HT 16 d’une part, MT 21 et MT 22 d’autre part. Â Canac, très peu de regroupements familiaux ont pu être mis en évidence ; ce n’est donc pas la norme commune. Ces regroupements s’opposent aux autres concentrations observées ; ils feront donc l’objet d’une approche particulière.
2.8.2.3 Étude des pratiques funéraires et du traitement du cadavre
18Les problèmes pratiques liés à ce genre d’approche font l’objet de nombreuses recherches exposées largement par ailleurs (Crubézy et al. 1985 ; Duday 1985). Dans le type d’étude poursuivie, priorité doit être donnée au traitement statistique des informations. Cependant, la position des squelettes retrouvée lors de la fouille correspond rarement à la position initiale donnée au défunt. La décomposition des corps dans des espaces creux a entraîné de nombreux déplacements des segments osseux. Aussi, en attendant que la recherche progresse, en particulier sur le mode de décomposition des petits os des extrémités, nous nous sommes intéressés, uniquement dans le cas de Canac, à la flexion des avant‑bras sur les bras qui montre des différences marquées suivant l’âge et le sexe. On a pu constater ainsi que la flexion des deux coudes à moins de 90°, très fréquente chez les enfants (57 %), est exceptionnelle chez les adultes (7 %). Chez ces derniers, les hommes présentent dans la plupart des cas une flexion de leurs deux avant‑bras sur les bras supérieure à 90° ; les femmes pour leur part, présentent une flexion de l’un des coudes supérieure ou égale à 90°, tandis que la flexion de l’autre est inférieure à cette valeur.
2.8.3 Les regroupements de sujets apparentés et le problème des traditions familiales
19Lorsque le regroupement de sujets apparentés ne semble pas la règle, ce qui est le cas à Canac, le phénomène permet une approche sélective des pratiques funéraires par rapport au système en vigueur dans le reste de la population.
2.8.3.1 Implantation de ces regroupements
20À Canac, deux regroupements de sujets apparentés ont pu être mis en évidence dans le secteur est, à partir de plusieurs caractères discrets, en particulier à partir du torus mandibulaire à propos duquel une importante héritabilité a été soulignée de longue date (Suzuki et Sakai 1960 ; Johnson et al. 1965 ; De Alvesalo et Kari 1972 ; Ossenberg 1981). De plus, dans le même secteur, une tombe contient les restes d’un adulte et d’un enfant certainement apparentés.
21Ces concentrations ne semblent pas correspondre à de véritables concessions pré‑établies ; par contre, la volonté de regroupement semble réelle : il a été possible de montrer que le dépôt de T 32 près de JT 23 fut réalisé à une période où la densité des tombes était faible et où de nombreux espaces inoccupés restaient disponibles. Les corps étaient simplement disposés à côté de ceux de sujets de la même famille. La signalisation ou la mémoire de l’emplacement des sépultures en pleine terre était aussi déficiente dans le cadre familial que dans celui de l’ensemble de la population ; on constate ainsi le cas des superpositions partielles de T 32, T 10, T 11 et du remaniement presque total de T 5bis. Par contre, dans un même groupe de sujets apparentés, l’orientation des différentes tombes est souvent semblable. Cela est dû en partie au dépôt de corps au contact de coffres déjà en place (T 32, T 10, MT 22), mais aussi à une volonté réelle de respecter une orientation particulière. Ainsi, entre JT 19 ouest et MT 21, un espace a été respecté entre les deux tombes, mais le second coffre construit l’a été suivant l’orientation du premier. Ce phénomène se retrouve pour KT 16, bâti dans l’axe de T 11. L’orientation de T 11 par contre est nettement différente de celle de T 32, T 10 et JT 23.
2.8.3.2 Particularités familiales liées aux pratiques funéraires
22Dans un même groupe de sujets apparentés, les sujets féminins sont inhumés en coffres et les sujets masculins en coffre ou en pleine terre. Une logette céphalique plus ou moins régulière apparaît quelquefois. La construction est faite avec des matériaux courants, susceptibles de se trouver facilement, et ne dépend pas d’autres facteurs culturels. Seule l’orientation des sépultures et quelquefois la position des avant‑bras paraissent traduire des pratiques intentionnelles. Ainsi, les sujets masculins JT 19 et T 32 ont le bras droit allongé le long du corps et le coude gauche fléchi, posture différente de celle des autres individus masculins. Avec les réserves imposées en raison de déplacements des os post mortem, il est tentant de considérer cette particularité comme la conséquence de la préparation du corps selon des habitudes familiales. L’observation de cette pratique a pu être le fait de parents ou de personnes ayant préparé ce corps et ayant respecté, de manière consciente ou inconsciente, une disposition déjà vue par eux ou déjà pratiquée lors d’un évènement semblable. Ce n’est qu’une hypothèse, qui rapporte l’évènement à une simple particularité familiale, se démarquant de la tradition plus générale des deux avant‑bras croisés sur la poitrine. D’autres interprétations plus normatives pourraient être formulées, relevant de la situation sociale particulière du défunt, interprétations que seules d’autres observations permettront de confirmer.
2.8.4 Systèmes normatifs et regroupements de sujets apparentés opposition ou complémentarité ?
23Les regroupements fondés sur l’âge, le sexe, l’apparentement concernent un peu moins de la moitié des tombes. L’autre moitié du nombre des emplacements dépend du sens de développement du cimetière, du hasard (?) ou d’une raison dans l’organisation qu’il n’a pas été possible de saisir.
24Les regroupements familiaux sont surtout remarquables pour des sujets masculins, et, dans les postures, rien, sauf peut‑être pour deux sujets, la disposition des avants‑bras ne permet d’introduire de distinctions. Quelques éléments, anecdotiques en raison de la faiblesse du nombre de cas, peuvent être observés à l’échelon familial ; ce sont les mêmes que ceux observés pour l’ensemble de la communauté, telle la disposition d’adultes jeunes dans un même secteur (MT 22 et MT 21). Dès lors, il semble qu’à côté de sépultures isolées, des regroupements volontaires de tombes ont été effectués dès le début de l’utilisation de ces secteurs du cimetière ; ils sont fondés sur le sexe, l’âge, éventuellement la parenté.
2.8.4.1 L’origine des différents regroupements
25La recherche des regroupements, et l’observation des chronologies relatives entre sépultures mettent en évidence la façon dont le cimetière a été conçu puis s’est développé. Par contre, elles ne donnent pas la raison d’un tel développement. Cette question doit être considérée dans une perspective historique comme la finalité de l’étude du cimetière paroissial. Ce développement s’explique certainement par des facteurs religieux, culturels et socio‑économiques complexes au sujet desquels seule une approche d’ensemble de la société, menée de façon pluridisciplinaire par des historiens, des archéologues, des anthropologues et des paléopathologistes peut apporter une réponse.
2.8.4.2 L’apport de la paléopathologie
26Dans ce domaine, la paléopathologie peut prendre sa place dans une explication plus large de l’attitude des vivants envers la mort et les morts. Deux éléments doivent être privilégiés, d’une part l’étude des différences entre sexe, d’autre part l’étude des contingences socio‑économiques entre les divers regroupements familiaux. Les méthodes employées sont celles de la paléoépidémiologie. L’attention n’est plus portée de manière exclusive aux atteintes osseuses importantes. Pour chaque squelette, la cotation d’environ trois cents sites articulaires, osseux ou dentaires est réalisée de façon systématique afin d’analyser la fréquence des troubles de croissance, des phénomènes dégénératifs, des enthésopathies et de l’état dentaire. De même, le dénombrement des « indicateurs de stress non spécifiques », tels que les hypoplasies de l’émail dentaire ou certaines lignes radio‑opaques des os longs (lignes de Harris), reflète d’une part le nombre d’agressions environnementales au sens large dont a été victime le sujet au cours de son enfance, et d’autre part l’âge auquel elles ont eu lieu. Des difficultés méthodologiques et pratiques existent (Goodman et al, 1980 ; Crubézy 1988a ; id. 1989). Cependant, des éléments, telle la différence chronologique dans la crise de sevrage entre garçons et filles, peuvent être mis en évidence ; bien que certains problèmes méthodologiques existent, des épisodes de malnutrition cycliques peuvent être soupçonnés (Goodman et al. 1980 ; Crubézy 1988a).
27L’ensemble de ces observations, joint à l’étude de la pathologie infectieuse (ostéomyélite, tuberculose) et à certaines causes de décès données par la documentation écrite, par exemple dans les registres paroissiaux (Azémar, Baluze 1984), permet parfois, comme à Canac, de définir un véritable modèle épidémiologique. À Canac, des différences importantes entre hommes et femmes ont ainsi pu être mises en évidence. Elles semblent dues à une différentiation sexuelle du travail importante dès la petite enfance, mais aussi à des éléments tels que modalités de sevrage et de croissance différentes (Crubézy 1988a ; id. 1989).
28En ce qui concerne l’étude des contingences entre familles, les problèmes sont beaucoup plus difficiles. En effet, les données, tels les « indicateurs de stress », sont interprétées individu par individu afin de savoir si certains sujets apparentés ont vécu dans un milieu plus favorable que d’autres. À ce niveau de l’interprétation, des phénomènes aléatoires ayant intéressé l’enfance d’un seul sujet parmi trois ou quatre apparentés peuvent empêcher toute conclusion.
29À Canac, trois cas suggèrent, sans qu’il y ait de certitude, des différences socio‑économiques entre familles. Ainsi le sujet masculin de la tombe CT 8, décédé entre 21 et 26 ans, est inhumé avec un enfant de 7 à 10 ans qui lui est apparenté ; les deux individus sont ceux qui présentent respectivement pour les adultes et les enfants le plus d’hypoplasie de l’émail dentaire.
2.8.4.3 Perspectives historiques
30Les données ethnohistoriques mises en évidence, ou soupçonnées, devront être confrontées aux données tirées des textes et aux autres approches ; ceci devrait déboucher à plus ou moins long terme sur de nouvelles conceptions intéressant l’organisation sociale. Des résultats devraient notamment être obtenus dans le domaine de la vie privée et de la famille, à propos des réseaux masculins et féminins dans les campagnes, des notions de couple et des périodes de la vie.
31Ainsi, à Canac, malgré la faiblesse de l’échantillon, il apparaît que la vie biologique (modalités de sevrage et de croissance, cause de décès) comme la vie sociale (union probable avec des femmes des villages environnants, importante division sexuelle du travail) ont facilité l’apparition, dans la vie quotidienne, de ces réseaux masculins et féminins. Ce type de rapports est‑il à l’origine, directe ou indirecte, des regroupements observés dans le cimetière paroissial et à l’absence de noyau conjugal soudé ? Seule la poursuite de fouilles et d’études de cimetières paroissiaux de la même région, menées dans une perspective ethnohistorique, permettra de répondre à cette question.
2.8.5 Conclusion
32Le développement de l’archéologie funéraire, de l’anthropologie de terrain, des études anthropologiques et paléopathologiques implique que la fouille des cimetières paroissiaux ne soit plus conçue seulement comme un moyen d’approche des populations et de leurs pratiques funéraires. En effet, si ces éléments sont indispensables à toute réflexion, ils ne peuvent constituer une finalité dans la connaissance historique d’une période pour laquelle, de plus, l’emploi des textes peut orienter la discussion. Dans l’avenir, la mise en évidence de regroupements topographiques et l’étude des critères du rassemblement permettront d’expliquer l’organisation du cimetière. De nouvelles conceptions viendront, tenant compte des différents types de témoignages, tant historiques qu’ethnohistoriques.
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Table des illustrations
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Légende | FIG. 1 – Canac, secteur est : répartition des sujets par sexe et par âge |
Crédits | E. Crubézy del. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40223/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 91k |
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Légende | FIG. 2 – Canac, secteur ouest : répartition des sujets par sexe et par âge. |
Crédits | E. Crubézy del. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40223/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 76k |
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