L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales
| ,Chapitre 2. Lieux de culte et peuplement rural
2.6. Les églises dans le paysage rural du haut Moyen Âge en Languedoc oriental (ixe‑xiie s.)
2.6 Churches in the rural landscape in Eastern Languedoc during the Middles Ages (IXth‑XIIth c.)
Résumé
L’étude du rôle de l’église dans l’organisation de l’espace rural languedocien au Moyen Âge (ixe‑xiie s.) se limite ici aux relations entre l’édifice ecclésial et l’habitat. Contrairement à la thèse traditionnelle, l’église apparaît toujours associée à un habitat qui peut être soit groupé soit isolé. Elle occupe fréquemment une situation excentrée par rapport à celui‑ci. La position centrale de l’édifice ecclésial reste relativement peu fréquente. Dans ce cas seulement, le rôle organisateur de l’église apparaît clairement. Après l’apparition du castrum, la présence de celle‑ci ne suffit pas à empêcher l’abandon à plus ou moins long terme des habitats pré‑castraux.
Texte intégral
Abréviation
1ADG : archives départementales du Gard.
2.6.1 Introduction
2Le rôle de l’église dans l’organisation de l’espace rural languedocien au Moyen Âge est un sujet très vaste. Nous l’avons limité volontairement à l’étude des liens entre l’église, le cimetière et l’organisation de l’habitat (villages, hameaux, châteaux). Le problème de la mise en place du maillage paroissial et de ses transformations est ici laissé de côté. Cette tentative pour mesurer l’influence de l’église dans la structuration de l’habitat médiéval s’inscrit dans une réflexion plus large sur la genèse et l’évolution du village languedocien au cours du premier millénaire. Dans quelle mesure l’église s’implante‑t‑elle à l’emplacement d’un village constitué dès l’Antiquité ? Au contraire est‑elle à l’origine du premier groupement de l’habitat, le village d’origine pré‑castral, concurrencé, à partir du xie s. par le développement du cas trum ? Peut‑on affirmer que l’église a eu une emprise durable sur le paysage médiéval ? La concurrence du castrum n’a‑t‑elle pas rapidement relégué celle‑ci à un rôle secondaire ? Autant de questions qui sous‑tendent une interrogation plus globale : l’église a‑t‑elle généré un mode d’organisation de l’habitat qui lui est propre et qui définit le village médiéval ou se contente‑t‑elle de pérenniser un héritage antique ?
3La méthode utilisée est celle du croisement des informations données par des sources d’origine variée :
– les textes des cartulaires régionaux du Moyen Âge (abbayes d’Aniane, Gellone, Psalmodi ; chapitres de Maguelonne et Nîmes ; famille des Guihems) ;
– les prospections au sol ;
– les résultats des fouilles et sondages ;
– le cadastre napoléonien qui donne un état du parcellaire, du réseau de voierie et de la toponymie, antérieurs aux remaniements de la période industrielle ;
– les cartes anciennes ;
– les photographies aériennes réalisées par G. Chouquer. Cette méthode a le mérite de limiter les approximations ou les erreurs et permet d’étudier les périodes où les textes sont rares ou absents.
4Elle nécessite la maîtrise de techniques très diverses et a pu être appliquée grâce à la constitution d’une équipe pluridisciplinaire, domiciliée à Lunel‑Viel et financée par la sous‑direction de l’Archéologie, dans le cadre d’un contrat de prospection inventaire. Elle regroupe des chercheurs d’horizons divers : F. Favory, J.‑L. Fiches, J.‑M. Malvis, A. Parodi, P. Poupet, C. Raynaud.
5Cette méthode implique, par ailleurs, le choix d’un cadre géographique limité pouvant être prospecté de manière systématique. Nous avons retenu les cantons de Lunel et Mauguio qui offrent l’avantage de constituer une microrégion où des recherches de longue haleine ont été entreprises depuis le début des années 1980. Elles rendent compte d’une forte densité de l’occupation et permettent d’étudier l’économie lagunaire du Languedoc oriental. Les textes concernant cette zone étant tardifs (fin du xie s.), nous l’avons agrandie en incluant la vallée du Vistre, la Costière et la Vaunage, dans la banlieue nîmoise, pour lesquelles les cartulaires régionaux fournissent une documentation dense dès le ixe s. Si l’étude de la Vaunage s’appuie sur une riche documentation écrite et archéologique, il n’en est pas de même pour la Costière et la vallée du Vistre qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête de terrain (fig. 1).

FIG. 1 – Le Languedoc oriental. 1 La Vaunage ; 2 Lunel‑Viel ; 3 les cantons de Lunel et Mauguio ; 4 La Vistrenque et La Costière
A. Parodi del.
6Quant au cadre chronologique, il porte théoriquement sur la période allant du ixe au xiie s. Néanmoins, les données de fouille ou de prospection fournissent souvent des datations plus hautes, parfois du Haut‑Empire, incitant à envisager l’habitat dans une plus large perspective, Les datations proposées s’appliquent plus souvent au site d’habitat qu’à l’église elle‑même, impossible à dater, en l’absence de fouilles de l’édifice lui‑même. De la même manière, les textes ne donnent que rarement la date de consécration de l’église nous n’en avons que deux exemples. Le plus souvent, ils se contentent de faire référence à une église, sans préciser le terminus post quem et c’est là une des limites de cette étude, limite d’autant plus contraignante que les fouilles médiévales sont encore rares en Languedoc.
7Nous étudierons successivement : les relations topographiques entre église et habitat ; la part de l’héritage antique dans les implantations ecclésiales ; l’emprise de l’église sur le paysage médiéval face au castrum, siège du pouvoir économique et politique qui réorganise les campagnes à partir du xie s.
2.6.2 Les relations topographiques entre église, habitat et cimetière
8Afin de mesurer l’influence de l’église sur la topographie de l’habitat, nous avons classé les sites en fonction de paramètres qui diffèrent selon le type de documentation, textuelle ou archéologique. Les textes laissent entrevoir trois cas de figure : église à proximité des champs ; église à proximité d’une ou de plusieurs maisons ; église à proximité de jardins ou de cultures proches de l’habitat.
9La documentation archéologique rend compte de deux situations topographiques : église au centre de l’habitat ; église à proximité de l’habitat mais excentrée ; dans d’autres cas, la relation topographique demeure indéterminée quand le site n’a pas fait l’objet d’une enquête de terrain ou d’une mention dans les textes.
2.6.2.1 L’église toujours associée à un habitat
10Cette affirmation contredit apparemment les données textuelles qui font parfois référence à des églises sans mentionner d’habitat à proximité, mentions qui sont à la base de la thèse traditionnelle d’églises isolées en plein champ ou dans les bois, héritières d’une tradition celtique. L’enquête de terrain montre que, au contraire, l’ensemble des sites ecclésiaux soumis à une prospection systématique se trouvent à proximité d’un habitat. L’exemple de l’église Saint‑Saturnin de Calvisson illustre bien cette apparente contradiction entre données textuelles et archéologiques.
11Le bourg de Calvisson est aujourd’hui un habitat groupé majeur de la Vaunage, petite plaine d’effondrement située immédiatement à l’est de Nîmes. La Vallis Anagia est au ixe s. une viguerie et apparaît dès cette époque comme un lieu privilégié dans la constitution du temporel de l’église de Nîmes (Parodi 1987 : 3‑4). L’église Saint‑Saturnin de Calvisson, mentionnée en 918 dans le cartulaire de Nîmes, n’est pas associée à une villa ni à un habitat : « de orientis est via publica qui de Sancto Saturnino in Littoraria discuro rit » (Cart. Nîmes : 31‑32). Il faut attendre la seconde moitié du xie s. (1064) pour trouver la première mention d’un habitat établi à proximité : « in parrochia Sancti Sao turnini » (Cart. Nîmes : 237). Les textes du Cartulaire de Nîmes ne font référence au castrum de Calvisson qu’à partir du début du xiie s. (1107) : « in terminio de castri Calvio tionis » (Cart. Nîmes : 303‑304). On pourrait donc penser, à partir de l’analyse des textes seuls que, jusqu’au milieu du xie s., l’église Saint‑Saturnin de Calvisson est isolée en pleine campagne. Or l’enquête archéologique (prospections au sol systématiques, fouilles), a démontré que celle‑ci se trouve, en réalité, près d’un habitat, dans le quartier de Plaisance, occupé entre le ier et le vie s. (fig. 2, 71B), d’une nécropole de l’Antiquité tardive (fig. 2, 71A) et d’un habitat médiéval des xe‑xiie s. La carte de Cassini témoigne encore, à la fin du xviiie s., de la même organisation topographique ; l’église est représentée à l’extérieur des murs du castrum, près d’un habitat appelé Plaisance. Il faut donc conclure à l’insuffisance des textes pour témoigner des relations topographiques entre église et habitat pendant le haut Moyen Âge.

FIG. 2 – Calvisson : le village, le château et ses abords. 1 Relief ; 2 centre ancien du village ; 3 Plaisance : nécropole (no 71 A) et habitat (no 71B) ; 4 château ; 5 moulin ; 6 temple (point C) et église Saint‑Saturnin (point D).
A. Parodi del.
12De la même manière, les textes dans lesquels la proximité de l’habitat est établie sont rares, surtout si l’on cherche les traces d’un habitat groupé. Le plus souvent, le texte se contente de mentionner une ou plusieurs maisons près de l’église. La présence d’un habitat groupé doit être alors confirmée par la prospection au sol. C’est le cas, par exemple, du site de Dassargues pour lequel un texte du Caro tulaire de Psalmodi cite, à la fin du viiie s. des maisons établies : « ad ipsa ecclesia dominae meae Sanctae Mariae » (ADG, H 147, no 2 ; Florençon 1983). La prospection ausol systématique a permis de localiser cet habitat dont l’occupation s’étend entre le ive et le xie s. L’ensemble de la zone prospectée forme une anomalie paysagère marquante dans le plan cadastral actuel (fig. 3). Un réseau de chemins et de voies anciennes converge vers le centre du site. Son étendue ne peut être restituée avec certitude en raison de la présence de friches et de parcelles bâties ; on le repère néanmoins dans un rayon d’environ 200 m autour du carrefour, ce qui laisse supposer une surface relativement importante. L’étendue du site de Dassargues, ainsi que l’important carrefour autour duquel il s’organise permettent de supposer qu’il s’agit bien d’un habitat compact, et non d’un petit hameau en forme de nébuleuse. En effet, ils impliquent une appropriation et une organisation du territoire pendant une longue durée, l’ensemble étant desservi par un réseau de chemins régulièrement utilisé. Le site de Dassargues, habitat groupé doté d’une église paroissiale attestée en 1096 : « in parrochia et in ejus terminio de Adaznegues » (Cassan 1898 : 222), présente des analogies certaines avec les habitats d’origine pré‑castrale dont l’existence vient d’être mise en évidence par des travaux récents sur le Languedoc occidental (Baudreu 1989 : 114‑120).

FIG. 3 – Dassargues (extrait du plan cadastral napoléonien) 1 Habitat, vestiges denses ; 2 friches ou zones bâties.
A. Parodi del.
13Il ressort de cette enquête que l’église languedocienne se trouve toujours à proximité d’un habitat, qui est parfois groupé, mais qui peut aussi être réduit à un écart. C’est le cas par exemple du site de Saint‑Martin de Caveirac (commune de Mauguio) qui a livré quatre sarcophages des vie‑viie s. Des vestiges de l’église gothique sont encore visibles dans les bâtiments actuels du mas de Saint‑Martin. Elle est mentionnée dans les textes au début du xiiie s : « decima tione Sancti Martini de Cavayraco » (Rouquette 1912‑27 : 285). La prospection au sol montre que l’habitat devait être relativement réduit ; seuls ses abords ont pu être repérés à proximité immédiate du mas. Le mobilier recueilli révèle une occupation du ve au xie s., il est permis de supposer que le reste de l’habitat est recouvert par le mas actuel.
2.6.2.2 L’église souvent excentrée par rapport à l’habitat
14Les données de terrain permettent d’établir que, dans la majorité des cas (soit 9 sites sur 14 ayant fait l’objet de prospections), l’église se trouve près de l’habitat, mais en situation excentrée. La même constatation doit être faite concernant la morphologie du castrum languedocien (Bellegarde, Calvisson, Lunel, Mauguio), où l’église occupe une position marginale, à l’extérieur des remparts. Le site de Saint‑Pierre d’Obilion obéit à la même organisation topographique (fig. 4). Aujourd’hui disparu, cet habitat, situé sur la commune de Saint‑Just, est mentionné pour la première fois en 896. Un certain Bernardus fait don à l’église de Nîmes de tout ce qu’il possède : « in terminium de Ubio lionicas » (Cart. Nîmes : 15). L’église apparaît dans les textes en juin 1108 : « ecclesiam de Obilione » (Cart. Maguelone : 257) ; chef‑lieu de paroisse au xiie s., elle verse des redevances à évêque de Maguelone pour les synodes de Pâques et de la Saint‑Luc : « De Obilione III sol » (Cart. Maguelone : 55‑60). Les prospections au sol révèlent une occupation ténue pour le Haut‑Empire. L’habitat se développe ensuite à partir du ive s. jusqu’au bas Moyen Âge. L’église, dont l’emplacement est matérialisé par une croix, occupe une position excentrée.

FIG. 4 – Saint‑Pierre d’Obilion (extrait du plan cadastral CNARBRLL) 1 Emplacement de l’église ; 2 habitat, vestiges denses ; 3 abords de l’habitat, vestiges moins denses.
A. Parodi del.
15Cette situation marginale est signalée par les textes où, souvent, des jardins, cours ou cultures proches jouxtent l’église. Il s’agit du cas de l’église Sainte‑Croix, autrefois située au sud de Mauguio, aujourd’hui disparue. En juillet 1010, elle est localisée ainsi : « in suburbio castri Magaloo nensis, juxta castrum Melgorii, in loco que vocatur Rodairolas, ecclesiam que appellatur Sancte Crucis [...] et supra ecclesiam supradictam, dono ipsam curtem que ibi est cum ipso orto » (Cart. Maguelone : 4).
2.6.2.3 L’église parfois placée au centre de l’habitat
16Les prospections ont permis de repérer 5 sites sur 14 où l’église se trouve au centre de l’habitat. Le cas de Saint‑Denis de Genestet est particulièrement exemplaire (fig. 5). Cet habitat, aujourd’hui entièrement détruit, est situé sur la commune de Lansargues, au sud‑ouest de Lunel. Mentionné tardivement dans les textes, en 1096, il apparaît comme chef‑lieu de paroisse « in paro rochia et in ejus terminio de Genested » (Cart. Aniane : 222). En 1962, le défoncement d’une vigne sur le tènement Clausade de Saint‑Denis a mis au jour les vestiges de l’église médiévale et d’un habitat des xe‑xiie s. L’organisation parcellaire, analysée par F. Favory (Chouquer et al. 1987 : 19) pérennise la topographie villageoise ; on retrouve ainsi :
– l’enceinte ecclésiale (fig. 5, no 8) dont le rayon se situe entre 25 et 30 m, dimensions qui rappellent celles utilisées pour délimiter l’espace de paix lors de la fondation d’une sauveté, dans le contexte du mouvement de paix ;
– le tracé fossile de l’enceinte villageoise (fig. 5, no 7), dont le rayon mesure entre 100 et 120 m ;
– la trace des chemins anciens convergeant vers l’enceinte ecclésiale ;
– au nord, le site est bordé par un itinéraire de l’Antiquité tardive (fig. 5, nos 1 et 4) ;
–le cimetière (fig. 5, no 3) a pu être localisé grâce à la microtoponymie, Clausade du cimetière de Saint‑Denis et aux prospections.
17Dans le cas de Saint‑Denis, la position de l’église au centre de l’habitat, doit être interprétée comme le signe de l’antériorité de celle‑ci. La prospection, qui n’a pas livré de céramique antérieure au xe s., ainsi que les dimensions de l’enceinte ecclésiale, viennent appuyer l’hypothèse d’une création médiévale à partir de l’église. Dans ce cas, l’église s’affirme comme un élément fortement structurant du paysage médiéval, capable de regrouper les hommes et de générer un type de topographie villageoise qui lui est propre. Cependant, les sites où l’église occupe le centre de l’habitat sont minoritaires. Le plus souvent, elle garde une position excentrée. Contrairement à l’exemple précédent, cette situation ne permet pas, en l’absence de fouilles, de tirer des conclusions sur la chronologie relative entre église et habitat même si les prospections ont livré de la céramique antique. En effet, l’édifice ecclésial a pu s’implanter sur les ruines d’un habitat antique, déserté depuis longtemps. Il est impossible de conclure alors à la continuité de l’occupation, seule la fouille étant susceptible de fournir des éléments de réponse sur le problème de l’héritage antique.

FIG. 5 – Saint‑Denis de Genested (extrait du plan cadastral napoléonien). 1, 4 Itinéraire de l’Antiquité tardive ; 2, 5 chemins anciens convergeant vers l’enceinte ecclésiale ; 3 cimetière ; 6 tracé de l’enceinte villageoise ; 7 tracé de l’enceinte ecclésiale ; 8 vestiges denses.
A. Parodi del.
2.6.3 L’héritage de L’Antiquité
- 1 Pour la bibliographie exhaustive de Lunel‑Viel, cf. infra : FAVORY et al., 1994.
18La prospection au sol montre que la majorité des sites ecclésiaux, soit 17 sur 21, ont une origine antique. L’apparente continuité entre habitat antique et médiéval a été constatée a plusieurs reprises dans des travaux antérieurs (Parodi et al 1987 : 6‑12 ; Favory et al. 1994). Cependant il est impossible à partir des seules données de prospection, de déterminer si l’église vient s’établir dans un habitat antique dynamique ou si elle s’implante sur les ruines d’un quartier abandonné. Pour répondre à cette question, nous ne disposons que de peu d’exemples de fouilles. Celui de Lunel‑Viel, de loin le plus documenté, est malheureusement isolé1 ; on peut se demander dans quelle mesure ce cas est à généraliser. Néanmoins, les éléments apportés par des fouilles plus ponctuelles viennent confirmer certains aspects mis en valeur à Lunel‑Viel.
2.6.3.1 Le cas de Lunel‑Viel
19Village de la plaine littorale languedocienne, à mi‑chemin entre Nîmes et Montpellier, Lunel‑Viel n’apparaît dans les textes médiévaux qu’à la fin du xie s. (1096 in terminium de Lunello Vetere). Cependant, depuis 1979, des prospections, sondages, fouilles de sauvetage et programmées permettent de suivre l’évolution de l’agglomération villageoise (fig. 6) qui s’organise en plusieurs noyaux successifs, distants de quelques dizaines, voire quelques centaines de mètres, entre le ier s. de n.è. et le xie s. (Raynaud 1989 : 105). Les fouilles organisées récemment autour de l’église paroissiale révèlent plusieurs phases d’occupation :
– phase 1 : les vestiges d’habitat mis au jour rendent compte d’une occupation dense au ve s. et au début du vie s. (fig. 7), occupation qui prend la forme d’un quartier aux fonctions multiples, abritant une habitation élaborée, dotée de sols de tuileau, des édifices plus rustiques, ainsi qu’un atelier de tuilier signalé par la présence de nombreux déchets de four ; l’abandon de l’habitat survient dans la première moitié du vie s. ;
– phase 2 : implantation au milieu du vie s. d’une nécropole dont la typologie des tombes peut nous mener jusqu’aux viie‑viiie s. (Raynaud 1987 : 121‑127) ;
– phase 3 : des inhumations postérieures viennent combler les intervalles entre les tombes primitives ; cette seconde phase se situe entre le viie s. et le creusement du fossé d’enceinte de l’église (Raynaud 1989 : 110‑111) ;
– phase 4 : creusement d’un grand fossé d’enceinte décrivant une figure ovale autour de l’église moderne, très probablement édifiée sur les ruines d’une église antérieure, qui reste à fouiller ; ce fossé doit être situé à l’époque carolingienne car il recoupe des tombes du vie‑viie s. et est recouvert par un remblai antérieur au xe s. (fig. 8) ;
– phase 5 : de nouvelles tombes, difficiles à dater, s’implantent autour de l’église, à l’extérieur du fossé ; deux d’entre elles, installées dans le fossé, alors que celui‑ci n’est encore que partiellement comblé, permettent de situer cette phase d’inhumation avant le xe s. ;
– phase 6 : un mur d’enceinte maçonné, reprenant grossièrement le tracé du fossé (Raynaud 1989 : 112) est construit au sommet de son comblement, des aménagements connexes, dont un puits, sont à dater du xie s.

FIG. 6 – Lunel‑Viel : localisation générale des secteurs d’habitat. Le village actuel (le bâti est hachuré) et l’habitat gallo‑romain (délimité par le pointillé ; la limite nord vers le village n’est pas connue). 1 secteur thermal ; 2 quartier d’habitat ouest et zone agraire ; 3 quartier central ; 4 maisons et jardin du quartier sud ; 5 Chemin du Verdier (camin Romieu) ; 6 nécropole du Verdier ; 7 habitat du Verdier nord ; 8 zone agraire et nécropole des Horts ; 9 Chemin des Horts, en direction de l’étang de l’Or ; 10 noyau du village médiéval : quartier de l’église et cimetière médiéval ; 11 au bord du Dardaillon‑est, une photo aérienne révèle les bras fossiles de la rivière (trame pointillée) ; les flèches souignent les axes de circulation antiques. Plan digitalisé par SITOP(Besançon) à partir du fond cadastral, de clichés IGN et des relevés de fouilles. Document extrait de : F. Favory, J.‑L. Fiches et al. : Les campagnes de la France méditerranéenne ans l’Antiquité et le haut Moyen Âge (article de C. Raynaud et al. : Lunel‑Viel et son territoire, dAf no 42, 1994).

FIG. 7 – Lunel‑Viel : quartier de l’église, phase d’occupation carolingienne. Le fossé d’enceinte est tramé (US 99) ; les tombes anthropomorphes sont groupées à l’extérieur de l’enceinte, à l’exception des tombes 44 et 47 creusées dans le fossé, et de la tombe 15.
C. Raynaud del.

FIG. 8 – Lunel‑Viel : quartier de l’église. (Extrait du cadastre napoléonien montrant l’emprise des dépendances de l’église).
C. Raynaud del
20Ces données laissent entrevoir trois possibilités concernant l’apparition de l’église :
– soit une implantation dès le ve s., comme elle est ailleurs attestée en Gaule méridionale (Février 1978 : 239‑242) ; c’est l’hypothèse la plus difficile à fonder en l’absence de fouilles à l’emplacement de l’église ;
– une autre possibilité serait la construction de l’église sur les ruines de l’habitat antique lors de l’apparition des premières sépultures ;
– au plus tard, l’église est solidement attestée à l’époque carolingienne par son fossé d’enceinte.
21Les rapports de l’église et de l’habitat sont tout aussi complexes. Si l’abondance des déchets culinaires (céramique, faune, charbons de bois) dans toutes les couches de comblement et les différents niveaux de sol du cimetière signalent la proximité de l’habitat, aucun aménagement domestique n’a pu être repéré dans la zone fouillée avant la mise en place d’un puits postérieur à l’an mille (Raynaud 1989 : 112) ; de plus, les fouilles entreprises autour de l’église révèlent son relatif isolement. Des sondages menés au sud‑est et à l’est de l’édifice (fig. 8), n’ont livré aucune trace d’architecture jusqu’à la fin de l’époque moderne. Vers le sud, la nécropole sépare l’église du noyau ancien du village. La topographie actuelle porte encore la trace de cette situation excentrée : « Dans ce paysage sous influence, se distingue le quartier de l’église paroissiale, encore flanquée du cimetière à l’orée du xixe s. et donc nettement en marge du noyau villageois [...] » (Favory et al. 1994 : 163‑245). Sur le cadastre napoléonien, une énorme parcelle soulignée en bleu signale le domaine de l’église. Elle englobe la rue Saint‑Vincent créée par la suite (fig. 9) ; cette unique parcelle matérialise la dotation foncière de l’église au xixe s. On peut se demander si la situation excentrée de l’édifice ecclésial, constatée maintes fois au Moyen Âge, tant au travers des textes que des prospections et des fouilles, n’est pas tout simplement liée à l’établissement d’un petit domaine foncier destiné à l’entretien du prêtre ; le cas de Lunel‑Viel montre le rôle ambigu de l’église : elle profite d’une situation antérieure et s’intègre dans un environnement antique ; elle exerce une forte attraction sur l’habitat au travers de ses morts tout en repoussant les habitations à l’extérieur des limites de son domaine.

FIG. 9 – Lunel‑Viel : analyse morphologique du village et de ses abords. A L’agglomération gallo‑romaine ; B nécropole du Verdier ; C zone agraire et nécropole des Horts. Légende des trames : 1 structures archéologiques identifiées par la fouille ; 2 noyau du village médiéval ; 3 quartier de l’église et cimetière médiéval. Dans le grand cartouche : structure en îlots du nucléus villageois médiéval ; la parcelle tramée correspond à l’emplacement du cimetière de 1812. Relevé du parcellaire réalisé à partir du plan cadastral contemporain de Lunel‑Viel, corrigé avec les informations livrées par le plan cadastral napoléonien (1812) ; on a marqué d’un trait plus épais les limites parcellaires isoclines avec la centuriation Sextantio‑Ambrussum et celles qui fossilisent des chemins disparus ; les tracés en tirets correspondent à la structure de la centuriation restituée et à ses subdivisions hypothétiques ; on a indiqué de la même façon le tracé de la voirie en 1812, lorsqu’il diverge de manière significative du tracé actuel. Document extrait de : F. Favory, J.‑L. Fiches et al. : Les campagnes de la France méditerranéenne ans l’Antiquité et le haut Moyen Âge (article de C. Raynaud et al. : Lunel‑Viel et son territoire, dAf no 42, 1994).
2.6.3.2 Les cas des mas Saint‑Jean et Broussan (Bellegarde)
22Le mas Saint‑Jean occupe le piémont de la costière nîmoise, à 1,5 km au nord du village de Bellegarde. Cet ancien castrum médiéval, mentionné pour la première fois au xiiie s., se trouve à mi‑chemin entre Arles et Nîmes, Saint‑Gilles et Beaucaire. Le site s’organise autour d’une anomalie parcellaire (fig. 10), formée par un croisement de chemins : de Bellegarde à Jonquières et du mas Saint‑Jean au mas de Rond. Un sauvetage urgent, réalisé au cours de l’été 1987, a mis au jour une nécropole médiévale implantée pour une part sur un dépotoir du milieu du ve s. La richesse du mobilier céramique et de la faune atteste la présence, aux abords de la nécropole, d’un habitat dynamique de l’Antiquité tardive (Parodi 1989 : 125‑126). Le toponyme du tènement cadastral, Saint‑Jean, ainsi que la présence de vestiges de construction sur un tertre dominant la nécropole incitent à penser qu’il ne s’agit pas d’une structure isolée. L’église serait, à notre avis, à situer au sommet du tertre qui domine le cimetière. Elle est citée dans une liste des chapelles du diocèse de Nîmes : « A Bellegarde, Saint‑Jean‑ Baptiste » avec deux messes par semaine et 350 livres de revenu (Ménard 1755). Nous n’avons malheureusement aucun indice précis sur la date d’implantation de l’église, en l’absence de fouilles à son emplacement. De la même manière, les tombes n’ayant pas livré de mobilier n’ont pu être datées. Malgré ces incertitudes, nous pouvons néanmoins constater que l’église, comme à Lunel‑Viel, s’installe dans un quartier habité pendant l’Antiquité tardive. Par ailleurs, le mobilier trouvé dans les couches de dépotoir et dans les silos, dont l’un recoupe partiellement une tombe, suggèrent la proximité de l’habitat médiéval des xie‑xiie s.

FIG. 10 – Le mas Saint‑Jean. 1 Emplacement des fouilles ; 2 tombe protohistorique (viie s. av. J.‑C.) ; 3 emplacement probable de l’église Saint‑Jean ; 4 dalles calcaires ; 5 tombes ? (extrait du plan cadastral)
M Henry del. / dAf
23Le site de Broussan, implanté comme le mas Saint‑Jean sur le piémont de la costière nîmoise, offre l’exemple d’une organisation topographique où l’église et l’habitat antique sont séparés de plus de 200 m du site médiéval des xe‑xie s. Situé à plus de 2 km du castrum médiéval de Bellegarde, Broussan est mentionné dans les textes dès la fin du ixe s. :
– 879 « Brociano, ortos et campas » (Bull. St.‑Gilles : 6) ;
– 899 « et de meridie conlaterat per terminos petrosos et fosatos antiquos quod usque in terminium de villa Bruciano » (Mazauric 1916‑1917 : 322‑324).
24L’habitat médiéval, qui correspond à ces mentions, a fait l’objet de deux sondages mettant au jour les vestiges d’un bâtiment en brique crue, probablement couvert de roseaux, abritant 7 silos. Les bâtiments actuels du mas, éloignés de plus de 200 m du site précédent, s’organisent autour d’une chapelle romane datée du xiie s. Il s’agit de l’église Saint‑Vincent de Broussan, citée en 1156 parmi les possessions de l’évêque de Nîmes (Cart. Nîmes : 340). Autour du mas, les prospections ont livré du mobilier céramique et métallique de l’Antiquité tardive, témoignant de l’existence d’un habitat du ive s. La nécropole correspondant à cet habitat est située au sud du mas, de part et d’autre de la route de Bellegarde à Saint‑Gilles (fig. 11). Le cimetière médiéval se situe près de l’église, dans la cour du mas. Le site de Broussan offre, une fois de plus, l’exemple d’une superposition entre un habitat de l’Antiquité tardive et l’édifice ecclésial. Comme à Lunel‑Viel, malgré la continuité de l’occupation, on constate un net déplacement de l’habitat entre l’Antiquité et le Moyen Âge le site antique fixe l’emplacement de l’église, alors que l’habitat médiéval s’organise à une bonne distance de celle‑ci.

FIG. 11 – Le mas de Broussan. 1 Tombe en bâtière ; 2 tombes sous tegulae ; 3 tombes en pleine terre ; 4 sondage 1986 ; 5 sondages 1988‑89. (extrait du plan cadastral )
M. Henry del./ dAf
2.6.4 Le devenir des églises et des habitats précastraux après l’incastellamento
25Un autre problème est de savoir si l’église a marqué durablement le paysage et ceci après le profond remodelage qu’a connu l’habitat lors de la mise en place des structures féodales en Languedoc. Comment l’habitat précastral et son église ont‑t‑ils vécu les transformations apportées par l’incastellamento à partir du xie s. ? Cette question permet de déterminer deux objectifs : mesurer l’empreinte des habitats précastraux et de leur église par les traces qu’ils ont laissé jusqu’à nos jours ; préciser l’emprise du castrum sur le paysage médiéval, les lieux, les territoires qu’il contrôle et ceux qui lui échappent.
26Une enquête préliminaire a été menée, à partir de la carte IGN au 1/25 000, avec pour but de repérer ceux qui, parmi les sites précastraux, avaient survécu et donné naissance à un village. La première impression est celle d’une quasi‑disparition de ces habitats, leur réseau étant presque totalement remis en cause par la nouvelle organisation castrale. Trois cas de figure se présentent :
– l’habitat antérieur se dote d’un castrum : il se développe alors tout en laissant l’église paroissiale à l’extérieur de ses remparts ;
– l’habitat est situé à proximité du castrum : il disparaît rapidement ou périclite, devenant un écart, mas ou prieuré ; l’église, qui est en général paroissiale, n’empêche en rien l’affaiblissement progressif du noyau de peuplement (Parodi 1989 : 124‑125) ;
– seuls les sites très éloignés d’un castrum se maintiennent sous la forme d’habitats ouverts.
27Cependant, tant l’examen des cadastres napoléoniens que l’enquête de terrain montrent que dans leur écrasante majorité (tabl. i) les sites précastraux et leurs églises ont encore aujourd’hui une forte empreinte sur le paysage à travers : leur église, parfois encore en élévation ; les traces de l’édifice ecclésial dans un autre bâtiment ; une croix, une anomalie parcellaire ou la microtoponymie. Par ailleurs, la carte de Cassini signale, comme villages pourvus d’une église, de nombreux habitats disparus aujourd’hui. L’utilisation conjointe des données du terrain, des cadastres et de la carte de Cassini permet de différencier trois catégories de sites.
2.6.4.1 Les églises et habitats disparus ou devenus des écarts à la fin du Moyen Âge
28Ils n’apparaissent pas sur la carte de Cassini ou sont mentionnés comme écarts. Ils se trouvent, le plus souvent dans le périmètre immédiat d’un castrum, à moins de 2 km environ, Le territoire du castrum de Mauguio offre un exemple qui illustre bien ce phénomène d’abandon. Aujourd’hui gros bourg à proximité de Montpellier, le castrum médiéval de Mauguio a connu un rayonnement considérable au Moyen Âge en tant que siège du pouvoir comtal et lieu d’émission de la monnaie melgorienne, utilisée dans tous le bassin méditerranéen occidental.
29La topographie religieuse concernant le castrum lui‑même est complexe. Trois églises paroissiales, citées dans les textes, sont à placer dans le castrum ou à proximité immédiate :
– l’église Sainte‑Marie, citée au xiie s., se situe aujourd’hui immédiatement à l’extérieur des anciens remparts (fig. 12, no 1) ;
– l’église Saint‑Jacques (fig. 12, no 2), disparue aujourd’hui, se trouvait en 1129 à l’intérieur des remparts « juxta ecclesia Sancti Jacobi in Mergorio [...] infra portam castri de Melgorio » (Cart. Maguelone : 97) ;
– l’église Saint‑Roman de Mauguio, disparue aujourd’hui, devait être édifiée près du castrum. Il existait au xiie s. deux églises Saint‑Roman. L’église Saint‑Roman le Vieux est peut‑être l’église primitive de Mauguio. Elle apparaît, ainsi que son cimetière, dans un environnement agraire : « VIIII semodiate vineao rum que sunt in una tenezone et faciunt frontacionem cum cimeteo rio antiquo Sancti Romani ad horientem (Cart. Maguelone : 97) ; duos pecias terre laborative quarum una est ad Sanctum Romanum veterem » (Cart. Maguelone : 137). La nouvelle église Saint‑Roman, appelée Majori Sancti Romani (Cart. Maguelone : 137), est associée à un environnement bâti : « in toto stare quem Guiraldus Alohardi juxta ecclesiam Sancti Romani hao bebat » (Cart. Maguelone : 97). Disparue aujourd’hui, certains auteurs la placent dans la campagne melgorienne entre Mauguio et Castelnau‑le‑Lez (Hamlin 1983 : 356). Son vocable, Sanctum Romanum de Melgorio, incite à la situer, au contraire, près du castrum. La mention à la fin du xiiie s. (1278) de la « parrochia Beatae Marie de Sancto Romano » (Cart. Maguelone : 252) vient confirmer cette hypothèse. Le texte semble faire la confusion entre les deux églises Sainte‑Marie et Saint‑Roman. On peut imaginer que, après une période faste au xiie s., pendant laquelle le castrum de Mauguio possédait trois églises paroissiales, leur nombre se soit réduit au xiiie s. Saint‑Roman aurait d’abord été englobée par la paroisse Sainte‑Marie, avant de disparaître au profit de celle‑ci.

FIG. 12 – Mauguio : églises et habitats sur la commune. 1 Église Sainte‑Marie ; 2 église Saint‑Jacques ; 3 église Saint‑Romain ; 4 église Sainte‑Croix ; 5 église Sainte‑Christine ; 6 église Saint‑Thomas ; 7 église Saint‑Martin ; en tramé : territoire non prospecté en 1988. Les nouvelles prospections sur le reste de la commune confirment les résultats présentés ici.
A. Parodi del.
30Dans la campagne melgorienne, la disparition des habitats précastraux et de leurs églises est bien observée :
– l’église Sainte‑Croix (fig. 12, no 4), est mentionnée pour la première fois en 1010 ; l’emplacement de celle‑ci se trouve à proximité d’un habitat et d’une zone de stockage occupés du ier au vie s. ;
– l’église Sainte‑Christine (fig. 12, no 5) se situait en bordure d’un habitat du haut Moyen Âge (xe‑xie s.) et à 300 m d’un site gallo‑romain (ier‑ive s.) ; aujourd’hui détruite, une croix, à côté du cimetière marque son emplacement ;
– l’église Saint‑Thomas de Medii Campi est mentionnée au début du xiie s., à proximité de jardins et de maisons ; la prospection a permis de repérer un important habitat occupé entre le ier et le xiie s. ;
– l’église Saint‑Martin est mentionnée au xiie s. ; des traces de l’église gothique sont encore visibles dans un bâtiment du mas près duquel ont été trouvés des sarcophages paléochrétiens ; le mas s’est installé à l’emplacement d’un habitat plus ancien occupé du ve au xiiie s.
31De ces églises et de leurs habitats, il ne subsiste plus rien aujourd’hui. La prospection montre que l’abandon des noyaux de peuplement est à dater, exception faite de Saint‑Martin, du xie s. Les églises, comme en témoignent les textes, subsistent encore au xiie s. mais disparaissent au xiiie et surtout à la fin du xive s La carte de Cassini n’en porte plus la trace. Ainsi, dans un rayon de 2 km, le paysage est‑il totalement mais progressivement remanié par le développement du cas trum qui draine la population rurale.
2.6.4.2 Les églises et habitats maintenus sous la forme de villages après l’incastellamento mais aujourd’hui disparus
32La carte de Cassini garde la trace de ces habitats qu’elle signale par une vignette symbolisant le village et son église. Parfois, le clocher de l’église est dessiné en oblique, il s’agit d’un édifice en ruines. La plupart des sites appartenant à cette catégorie se situent à une distance de 2 à 5 km du castrum le plus proche. Cette distance leur permet d’échapper à son influence directe et de se maintenir ; ils en subissent malgré tout la concurrence et restent des habitats secondaires. Le site de Notre‑Dame‑des‑Ports correspond bien à ce profil. Par sa situation de port, point de passage obligé entre la zone lagunaire, axe commercial florissant, et l’arrière‑pays, Notre‑Dame‑des‑Ports est un des sites majeurs de la région pour l’Antiquité et le haut Moyen Âge ; le rayonnement du site transparaît dans les textes dès le haut Moyen Âge : en 897, l’église Sainte‑Marie abrite un concile provincial (Conc. Gal., 1‑5) ; en 909, un diplôme de Charles le Simple nous apprend que, sous la pression des Sarrazins, les moines de Psalmodi ont dû se réfugier : « in locum qui dicitur Cornilianicus ubi ecclesie constructi sunt, id est Sancte Marie et Sancti Petri apostoli et Sancti Iuliani, marotiris, cum cellulis et fiscis » (Charles iii le Simple : 133‑136).
33Notre‑Dame‑des‑Ports fait alors partie d’un immense domaine appartenant à Psalmodi. Par la suite, les églises et leurs habitats respectifs évoluent séparément, seule Notre‑Dame des Ports obtient le statut d’église paroissiale. En 1115, une bulle du pape Pascal II rend compte de cette séparation : « in Portu villa, ecclesia Sancti Petri, item in alio Portu, ecclesia Sanctae Mariae » (ADG, H 147, f° 36). La prospection au sol montre que l’habitat s’organise en plusieurs sites successifs (fig. 13). Le plus important, occupé du ier au iiie s. et du ixe au xiie s. correspond à l’ancien port. Il est bordé au nord par une nécropole, au sud par l’église Sainte‑Marie. Le site des ive‑vie s. se trouve plus au nord, face au mas actuel. Cité à plusieurs re prises au Moyen Âge, le site de Notre‑Dame‑des‑Ports ne disparaît pas. Au xviiie s., son abandon est suffisamment récent pour que le site soit mentionné sur la carte de Cassini, N.‑D. Dasports, et symbolisé par un village et une église en ruines.

FIG. 13 – Le mas Desport. En tramé : habitat, vestiges denses ; 2 ● emplacement probable de l’église ; 3 ▲ emplacement de la nécropole.
A. Parodi del.
34La persistance des habitats appartenant à la même catégorie que Notre‑Dame‑des‑Ports montre que, aux marges du territoire d’emprise directe du castrum, l’église continue de structurer le paysage médiéval. Cette constatation incite à relativiser le rôle du castrum dans l’organisation de l’habitat en Languedoc oriental. Leur nombre réduit avait déjà été constaté pour la Vaunage. L’émergence de nouveaux castra est donc un phénomène minoritaire. En cela l’exemple de la Vaunage diffère du Latium ou du Biterrois où leur multiplication est beaucoup plus marquée (Parodi et al. 1987 : 26).
2.6.4.3 Les églises et habitats maintenus jusqu’à nos jours sous la forme de gros villages ouverts
35Dans certaines parties du Languedoc oriental, le réseau castral est particulièrement lâche, laissant des intervalles de plus de 5 km entre chaque castrum ; c’est le cas de la costière nîmoise, appartenant en grande partie au temporel de l’évêque de Nîmes ; certains habitats d’origine précastrale s’y sont maintenus jusqu’à nos jours, devenant de gros villages ouverts. L’exemple de Redessan n’est pas un cas isolé. Mentionnée à plusieurs reprises, la villa Redicianum ou Villa Nova est un des rares sites pour lesquels la documentation textuelle est suffisamment riche et précise pour attester, dès le xe s., l’existence d’un habitat groupé (Parodi 1989 : 126‑127). En effet, un texte de 943 cite trois maisons avec une cour ayant pour confronts un enclos réservé à un usage collectif : exavos communale. Dans le même texte, l’église Saint‑Jean‑Baptiste semble en marge de l’habitat, entourée de champs cultivés. Au xie s., l’environnement immédiat de l’église et du cimetière a changé : un manse a été construit à l’intérieur du cimetière. Cette situation rend compte de la croissance démographique dont bénéficie le village de Redessan. En cela, il suit une évolution opposée à celle constatée dans les villages proches du castrum.
36L’analyse de la dynamique de l’habitat en fonction de la distance au castrum présente néanmoins des exceptions. La plus frappante est celle de Lunel‑Viel, situé à seulement 3,5 km de Lunel, l’un des castra les plus importants de la région depuis le début du xie s., exception qui trouve peut être son explication dans le rôle majeur joué par Lunel‑Viel pendant l’Antiquité. En effet, cet habitat se structure en agglomération dotée d’édifices publics dès le ier s. et se renforce encore pendant l’Antiquité tardive et le proto‑Moyen Âge comme en témoignent l’importance des nécropoles et la quasi‑absence d’habitats contemporains sur son territoire (Favory, Fiches 1994).
2.6.5 Conclusion
37Au terme de cette analyse, il ressort que le rôle organisateur de l’église, fondamental pendant le haut Moyen Âge est rapidement modulé par la proximité du castrum. L’émergence de celui‑ci entraîne soit la disparition progressive, soit le maintien des habitats proches dans une situation de dépendance. Seuls les sites très éloignés du castrum continuent de se développer. Par ailleurs, l’église s’installe de préférence sur des sites antiques. Cependant, l’état actuel de la documentation ne permet pas de savoir s’il y a réellement continuité entre l’habitat antique et médiéval, si l’église s’intègre à un habitat antique dynamique ou si elle s’installe sur ses ruines. Dans la mesure où l’église du haut Moyen Âge n’apparaît jamais isolée, elle fait figure de pôle de l’habitat, avant l’apparition du castrum. Parfois, elle est à l’origine du noyau de peuplement et se place au centre du village, créant une organisation topographique particulière, celle des sauvetés. Le plus souvent cependant, et notamment sur les sites qui présentent des traces d’occupation antique, elle se situe en marge de l’habitat.
Bibliographie
Bibliographie
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Malvis 1988 : MALVIS (J.‑M.). — Anthropisation de l’espace lunellois. Études sur l’Hérault, 4, 1988.
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Raynaud 1989 : RAYNAUD (C.). — Lunel‑Viel (Hérault). In : FIXOT (M.) dir., ZADORA‑RIO (E.) dir. — L’Église et le terroir. Paris : CNRS, 1989, p. 105‑114. (Monographie du CRA ; 1).
Notes
1 Pour la bibliographie exhaustive de Lunel‑Viel, cf. infra : FAVORY et al., 1994.
Table des illustrations
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Légende | FIG. 1 – Le Languedoc oriental. 1 La Vaunage ; 2 Lunel‑Viel ; 3 les cantons de Lunel et Mauguio ; 4 La Vistrenque et La Costière |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 62k |
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Légende | FIG. 2 – Calvisson : le village, le château et ses abords. 1 Relief ; 2 centre ancien du village ; 3 Plaisance : nécropole (no 71 A) et habitat (no 71B) ; 4 château ; 5 moulin ; 6 temple (point C) et église Saint‑Saturnin (point D). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 123k |
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Légende | FIG. 3 – Dassargues (extrait du plan cadastral napoléonien) 1 Habitat, vestiges denses ; 2 friches ou zones bâties. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 99k |
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Légende | FIG. 4 – Saint‑Pierre d’Obilion (extrait du plan cadastral CNARBRLL) 1 Emplacement de l’église ; 2 habitat, vestiges denses ; 3 abords de l’habitat, vestiges moins denses. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 151k |
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Légende | FIG. 5 – Saint‑Denis de Genested (extrait du plan cadastral napoléonien). 1, 4 Itinéraire de l’Antiquité tardive ; 2, 5 chemins anciens convergeant vers l’enceinte ecclésiale ; 3 cimetière ; 6 tracé de l’enceinte villageoise ; 7 tracé de l’enceinte ecclésiale ; 8 vestiges denses. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 57k |
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Légende | FIG. 6 – Lunel‑Viel : localisation générale des secteurs d’habitat. Le village actuel (le bâti est hachuré) et l’habitat gallo‑romain (délimité par le pointillé ; la limite nord vers le village n’est pas connue). 1 secteur thermal ; 2 quartier d’habitat ouest et zone agraire ; 3 quartier central ; 4 maisons et jardin du quartier sud ; 5 Chemin du Verdier (camin Romieu) ; 6 nécropole du Verdier ; 7 habitat du Verdier nord ; 8 zone agraire et nécropole des Horts ; 9 Chemin des Horts, en direction de l’étang de l’Or ; 10 noyau du village médiéval : quartier de l’église et cimetière médiéval ; 11 au bord du Dardaillon‑est, une photo aérienne révèle les bras fossiles de la rivière (trame pointillée) ; les flèches souignent les axes de circulation antiques. Plan digitalisé par SITOP(Besançon) à partir du fond cadastral, de clichés IGN et des relevés de fouilles. Document extrait de : F. Favory, J.‑L. Fiches et al. : Les campagnes de la France méditerranéenne ans l’Antiquité et le haut Moyen Âge (article de C. Raynaud et al. : Lunel‑Viel et son territoire, dAf no 42, 1994). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 125k |
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Légende | FIG. 7 – Lunel‑Viel : quartier de l’église, phase d’occupation carolingienne. Le fossé d’enceinte est tramé (US 99) ; les tombes anthropomorphes sont groupées à l’extérieur de l’enceinte, à l’exception des tombes 44 et 47 creusées dans le fossé, et de la tombe 15. |
Crédits | C. Raynaud del. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 132k |
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Légende | FIG. 8 – Lunel‑Viel : quartier de l’église. (Extrait du cadastre napoléonien montrant l’emprise des dépendances de l’église). |
Crédits | C. Raynaud del |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 115k |
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Légende | FIG. 9 – Lunel‑Viel : analyse morphologique du village et de ses abords. A L’agglomération gallo‑romaine ; B nécropole du Verdier ; C zone agraire et nécropole des Horts. Légende des trames : 1 structures archéologiques identifiées par la fouille ; 2 noyau du village médiéval ; 3 quartier de l’église et cimetière médiéval. Dans le grand cartouche : structure en îlots du nucléus villageois médiéval ; la parcelle tramée correspond à l’emplacement du cimetière de 1812. Relevé du parcellaire réalisé à partir du plan cadastral contemporain de Lunel‑Viel, corrigé avec les informations livrées par le plan cadastral napoléonien (1812) ; on a marqué d’un trait plus épais les limites parcellaires isoclines avec la centuriation Sextantio‑Ambrussum et celles qui fossilisent des chemins disparus ; les tracés en tirets correspondent à la structure de la centuriation restituée et à ses subdivisions hypothétiques ; on a indiqué de la même façon le tracé de la voirie en 1812, lorsqu’il diverge de manière significative du tracé actuel. Document extrait de : F. Favory, J.‑L. Fiches et al. : Les campagnes de la France méditerranéenne ans l’Antiquité et le haut Moyen Âge (article de C. Raynaud et al. : Lunel‑Viel et son territoire, dAf no 42, 1994). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 135k |
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Légende | FIG. 10 – Le mas Saint‑Jean. 1 Emplacement des fouilles ; 2 tombe protohistorique (viie s. av. J.‑C.) ; 3 emplacement probable de l’église Saint‑Jean ; 4 dalles calcaires ; 5 tombes ? (extrait du plan cadastral) |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 36k |
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Légende | FIG. 11 – Le mas de Broussan. 1 Tombe en bâtière ; 2 tombes sous tegulae ; 3 tombes en pleine terre ; 4 sondage 1986 ; 5 sondages 1988‑89. (extrait du plan cadastral ) |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 38k |
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Légende | TABL. I - Languedoc oriental : églises, habitats médiévaux et paysage. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 158k |
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Légende | FIG. 12 – Mauguio : églises et habitats sur la commune. 1 Église Sainte‑Marie ; 2 église Saint‑Jacques ; 3 église Saint‑Romain ; 4 église Sainte‑Croix ; 5 église Sainte‑Christine ; 6 église Saint‑Thomas ; 7 église Saint‑Martin ; en tramé : territoire non prospecté en 1988. Les nouvelles prospections sur le reste de la commune confirment les résultats présentés ici. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 264k |
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Légende | FIG. 13 – Le mas Desport. En tramé : habitat, vestiges denses ; 2 ● emplacement probable de l’église ; 3 ▲ emplacement de la nécropole. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/40208/img-14.jpg |
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