L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales
| ,Chapitre 1. L’empreinte de L’Antiquité tardive
1.4. L’église médiévale dans l’espace rural provençal d’après des fouilles récentes
1.4 The Medieval church in rural Provence: context and territory based on recent excavations
Résumé
A partir d’un certain nombre d’expériences archéologiques fondées sur des fouilles, ce texte constitue un essai pour écrire une histoire de la topographie religieuse en Provence. Ces expériences ne donnent pas une image claire des conditions concrètes dans lesquelles s’effectue le legs de l’Antiquité. Il faut sans doute faire intervenir la notion de réemploi de sites, qui se distingue de celle de continuité. Les réalisations qui succèdent à l’époque carolingienne paraissent, en règle générale, de force insuffisante pour concurrencer, dans l’organisation du peuplement, la géographie castrale. Le second âge roman introduit un changement d’échelle dans les réalisations ; tandis que les églises paroissiales se subordonnent aux châteaux, les grands ensembles monastiques constituent des organismes d’ampleur comparable à ceux‑ci, en particulier par l’image d’enfermement à l’intérieur d’une enceinte.
Texte intégral
Abréviations
1BSEHA : Bulletin de la Société d’études des Hautes‑Alpes.
2DACL : Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie.
3PL : Patrologiae cursus completus, series latina, accurante J.‑P. Migne.
1.4.1 Une démarche désormais menacée
- 1 S’agissant d’une réflexion faite sur un ensemble de données déjà publiées de manière monographique (...)
4Le texte qui suit constitue un essai pour placer dans un discours qui se voudrait continu les résultats d’un certain nombre de fouilles archéologiques dont les données sont normalement récoltées de manière ponctuelle : l’exercice peut paraître artificiel, en raison de cet aspect de composition rhétorique, et de fait, il tranche par rapport à un genre littéraire souvent monographique. Rappelons que le caractère artificiel de l’exercice est également dû au fait que le choix des sites dont il sera question ici fut rarement l’objet d’une problématique délibérée, puisque la plupart de ces études entreprises et déjà publiées par ailleurs, sont issues de fouilles de sauvetage ou d’urgence1. C’est aussi le moyen de montrer qu’une recherche fondée sur des fouilles non programmées peut éventuellement donner lieu à une certaine cohérence. À un moment où l’on constate une inquiétude au sein de certaines institutions de recherche en archéologie métropolitaine, notamment à propos de la participation des grands organismes scientifiques à l’archéologie de sauvetage, c’est l’occasion de manifester que le problème n’est pas aussi récent qu’il semblerait, et qu’un choix personnel ancien, fait depuis plus de quinze ans dans un cadre universitaire, aux dépens d’un projet de recherche programmée peut‑être plus confortable, donne maintenant un certain nombre de résultats.
5Il s’agira donc d’illustrer, à partir de la documentation archéologique récente, les différentes strates de la formation du paysage religieux en Provence, de se demander quel rôle le lieu de culte joua dans l’organisation du peuplement, et quel était son aspect. Nous emprunterons d’abord nos exemples à l’Antiquité tardive, en montrant les difficultés d’interprétation auxquelles on peut se heurter dans la lecture des données archéologiques de ces périodes, et en posant, après P.‑A. Février, un certain nombre de questions sur les conditions d’installation des lieux de culte chrétien dans la topographie rurale de l’Antiquité tardive. Dans un second temps, nous nous interrogerons sur les conditions dans lesquelles a pu s’effectuer ce legs de l’Antiquité tardive au paysage médiéval. Dans un troisième temps, nous considérerons le changement d’esprit et d’échelle qu’apporte le xiie s., et comment les églises, à un moindre degré que les châteaux, participent au processus d’organisation des terroirs et adoptent des partis architecturaux ou topographiques dans lesquels l’enclos ou l’enceinte jouent un grand rôle, au moins dans l’aspect extérieur.
1.4.2 L’étude archéologique et la lecture des origines
6L’exemple d’un premier site, celui qui devait donner naissance à l’église Notre‑Dame d’Avinionet au xie s., donne quelques indications touchant l’histoire religieuse de la fin de l’Antiquité et fournit aussi une mise en garde préliminaire (Fixot 1990). L’identification non contestable d’un lieu de culte à mystères, vraisemblablement un mithraeum, introduit le médiéviste à l’image de l’église privée attachée à la villa, image que l’on retire d’ailleurs jusqu’ici davantage, pour le lieu de culte chrétien, de la documentation écrite, que d’exemples archéologiques, comme le montre le texte de P.‑A. Février dans ce même volume (cf. Février, § 3.1, supra).
7C’est un ancien cellier qui fut, dans le courant du ive s., transformé en lieu de culte païen : l’occidentation de la pièce, sa situation partiellement enterrée par rapport à l’habitation voisine, et la proximité à celle‑ci, furent sans doute des critères du choix de cette ancienne pièce à destination domestique. La disposition nouvelle ne laisse pas de doutes sur l’utilisation qui fut alors faite de l’espace : la division tripartite de la salle dans le sens longitudinal, la surélévation des deux banquettes latérales par rapport à l’allée centrale, les autels et différents dispositifs ou objets trouvés « en place » et destinés à un culte, ne rendent pas l’interprétation trop problématique. Seuls manquent des éléments habituels du décor peint ou sculpté pour affirmer de manière péremptoire que ce culte pouvait être celui qui s’adressait à Mithra.
8Les témoignages de ce type de célébration du culte païen, dans la dépendance étroite d’un établissement rural encore habité, ne semblent pas fréquents. Généralement, les auteurs ont davantage l’occasion d’insister, de manière paradoxale, soit sur l’isolement rural qui entoure les manifestations ultimes du paganisme d’époque tardive (Démians d’Archimbaud 1972 ; Brenot 1990), soit sur le caractère urbain ou semi‑urbain des mithraea, peu sur le caractère domestique, privé et rural de tels lieux de culte. De manière curieuse, les publications récentes semblent apporter des exemples de datations basses, semblables à celles proposées pour l’établissement de Mandelieu, sensiblement différentes de celles des sites plus illustres qui reposent sur l’interprétation de fouilles anciennes.
9Il a semblé intéressant de constater ainsi que la célébration du culte païen, et ici d’un culte à mystères, se situait régionalement dans un état de simultanéité ou de continuité avec les manifestations du culte chrétien. Cette présence du paganisme, encore attestée sur place grâce aux offrandes monétaires, dans les années postérieures de peu à l’année 390, suit presque de deux décennies la date de la première indication probable sur l’organisation diocésaine dans la cité de Fréjus, en 374, au concile de Valence, et elle précède de très peu le moment de la fondation lérinienne, toute proche. L’interruption du culte païen, dont on ignore les causes exactes, ne fut pas violente ni systématiquement profanatoire. Restent de ce fait les questions inhérentes à cet abandon que l’on ne saurait cependant mettre en rapport trop étroit avec la promulgation des édits de Théodose relatifs à l’interdiction des cultes païens. Mais d’autre part, le caractère absolu de l’abandon du site pendant une durée de cinq siècles rend déjà prudent sur la façon de lire ou d’interpréter des données qui sembleraient, à première vue, fonder les origines du site du prieuré médiéval sur une continuité avec l’occupation antique, et en l’occurrence, sur l’interprétation selon laquelle l’église de l’an mille serait le produit d’une christianisation d’un lieu occupé précédemment par un culte païen.
10La trouvaille par hasard d’un lieu de culte à mystères près de l’emplacement sur lequel devait s’élever Notre‑Dame d’Avinionet, est ici d’un secours précieux pour donner un exemple de l’attitude critique dont il faut faire preuve avant de chercher à placer dans une certaine continuité non seulement un habitat, mais aussi certaines fonctions cultuelles ; mais, de plus, l’exemple qui suit doit montrer qu’il est parfois délicat d’identifier trop rapidement ces dernières : ainsi cela vaut‑il pour le site de La Gayole, fouillé naguère avec G. Démians d’Archimbaud (Démians d’Archimbaud 1973) et dont les données sont si souvent exploitées. L’occasion est fournie à son sujet de réfléchir sur la difficulté de caractérisation de certaines dispositions liées au culte.
11Si ce lieu devint de manière vraisemblable, dès le haut Moyen Âge, le cadre de la pratique habituelle du culte chrétien, telle n’était peut‑être pas sa destination primitive et l’exemple pourrait donner l’illustration de la modification essentielle qu’apporte la religion chrétienne par rapport à un culte privé païen ou simplement funéraire (Fixot 1984). On sait que le christianisme conduisit à l’intégration de la mort dans une perspective totalitaire du domaine spirituel : à Mandelieu, le sanctuaire païen était distinct de l’endroit vraisemblable de la nécropole dont on connaît approximativement l’emplacement ; à La Gayole, en revanche, il se pourrait que la fonction cultuelle chrétienne ait peu à peu investi et absorbé ce qui n’était à l’origine que le cadre dans lequel un culte était simplement rendu aux défunts. Ainsi peut‑on observer une intégration des fonctions, ou une confusion, dont on peut se demander si le problème qu’elle posait malgré tout à l’autorité chrétienne n’a pas laissé des traces archéologiques. Cette question est, semble‑t‑il, l’intérêt essentiel des données de la fouille du site dans ses niveaux les plus anciens, à défaut de pouvoir mieux saisir le rapport avec l’habitat contemporain. Mais ne serait‑ce pas non plus l’un des exemples selon lequel, en avançant vers le temps du haut Moyen Âge, l’image du bâti se résoudrait peu à peu à l’observation de formes animées par la seule fonction religieuse, tandis que se raréfieraient ou se fragiliseraient les manifestations d’autres fonctions plus quotidiennes ?
12Comme souvent, cette fouille n’a pas donné l’occasion de dresser une image d’ensemble de l’occupation : il faut se résoudre à ignorer où se trouvait l’habitat dont dépendait à la fois la nécropole et ce que l’on peut interpréter comme le monument funéraire associé. On peut aussi s’interroger sur le passé de la fonction funéraire, à savoir si sur place, elle remontait réellement à une époque plus ancienne que le ve s., période qui seule a livré des témoignages matériels, et en particulier si les sarcophages antiques à décor sculpté bien connus, réutilisés à la fin du ve ou au vie s., et exposés plus tard dans la petite église médiévale où ils ont été retrouvés, provenaient d’une nécropole qui aurait déjà existé à proximité, mais dont aucune trace n’a jamais été signalée. La recherche de sarcophages anciens, au vie s., peut caractériser simplement le caractère privilégié que l’on veut manifester à l’égard d’une sépulture. Dans un premier état, la fouille a fait constater l’existence d’un petit édifice de plan rectangulaire, qui fut accolé à un large mur plus ancien, appartenant à un bâtiment qui s’élevait au sud et qui donne ainsi son orientation. Ce mur large a‑t‑il dépendu de constructions antiques situées à l’emplacement des bâtiments d’exploitation d’époque moderne qui, dans l’état actuel, se trouvent immédiatement au sud de l’emplacement étudié ? La destination funéraire exclut vraisemblablement la trop grande proximité d’un bâtiment à usage domestique. Le petit édifice ainsi ajouté à une bâtisse plus forte, peut‑être une simple clôture, possédait des dimensions modestes, soit une longueur de 13 m et une largeur moyenne de 4 m. Il faut sans doute rappeler que son orientation dépendait de celle du mur qui lui servait d’appui, précision à apporter par rapport à une interprétation qui tirerait trop rapidement parti d’une disposition selon un axe ouest‑est dont on connaît par ailleurs la valeur liturgique pour un lieu de culte chrétien.
13Ce petit bâtiment énigmatique fut fouillé en trois fois, ce qui n’en facilite pas la compréhension. Dans un premier temps, F. Benoit, en avait reconnu le chevet, dont la façade de l’église médiévale a repris curieusement, en fondation et avec exactitude, le mur oriental. Après le nouveau dégagement de cette partie du site aux fins de vérification, en 1970, il a été possible de restituer approximativement l’emplacement de trois sarcophages monolithes qui avaient été retrouvés dans ce chevet avant d’être déposés à l’est de l’église médiévale. Ils occupaient un emplacement particulier du bâtiment, distingué non seulement par des murs périmétraux plus épais, mais aussi par un mur de refend qui fut détruit par une quatrième inhumation, de même type, disposée cette fois en travers de cet espace, sur son entrée, et retrouvée en 1970.
14Le troisième épisode de la fouille fut réalisé en 1972. Il affecta environ les deux tiers de la « nef », et il fallut reconnaître à la hâte l’emplacement de la façade occidentale avant d’abandonner l’étude du site. Ce dégagement fut suffisant toutefois pour la mise au jour d’un ensemble très ordonné de tombes à coffrage de tuiles. Les deux parties du bâtiment s’opposaient donc par la qualité différente des sépultures qu’elles contenaient, sarcophages d’une part, tombes à simple coffrage de tuiles de l’autre. Tels étaient les seuls aménagements retrouvés à l’intérieur de la bâtisse. Elle était donc destinée à une fonction funéraire, et l’espace ne parut d’ailleurs pas suffisant pour les inhumations : une petite annexe fut ajoutée au nord, dans laquelle deux tombes à coffrage de tuiles trouvèrent leur place.
15Le caractère de l’occupation du deuxième temps contraste de manière brutale avec la première utilisation du bâtiment et c’est de ce contraste que naît une interrogation ; la modification consista en un viol systématique des inhumations en coffrages de tuiles ; ils furent tous ouverts et les squelettes furent retirés : pas un ne fut retrouvé « en place ». On ne sait rien de ce que devinrent alors les sépultures en sarcophages que F. Benoit avait découvertes dans l’area correspondant au chevet, si ce n’est qu’il manquait deux couvercles sur trois. Quant au quatrième de ces sarcophages, découvert en 1970, il avait été amplement réutilisé pour une série d’inhumations médiévales et ne peut servir à notre propos : l’inhumation la plus ancienne qu’il contenait était caractérisée par le dépôt d’un « pégau », du xiie ou xiiie s., auprès du crâne.
16La réorganisation du lieu, après éradication de la fonction funéraire, comprit une nouvelle division, en deux parties égales, par un emmarchement formant séparation, tandis qu’immédiatement à l’est de cette limite, vers le nord, l’ancienne annexe funéraire, qui dépendait dorénavant de la moitié orientale, recevait une nouvelle fonction malheureusement énigmatique ou sujette à surinterprétation ; un petit bassin de béton de tuileau s’appuya contre le mur nord, à l’intérieur d’un radier de pierre.
- 2 Théodulfe d’Orléans : Capitula ad presbytero parochiae suae. PL, t. 105, cap. IX, col. 194 ; on peu (...)
17On peut se demander s’il ne faut pas chercher à expliquer cette différence considérable dans la conception interne du bâtiment, qui consistait en l’éviction des manifestations funéraires, en fonction du milieu très christianisé dont témoigne tout le contexte archéologique bien connu dans lequel il s’élève dorénavant dans le courant du vie s. Cette différence pourrait marquer le moment où le bâtiment devint réellement lieu de culte ou église après avoir été un simple monument funéraire. L’enlèvement systématique des squelettes renverrait à la réticence, si souvent constatée, à l’égard de l’inhumation pendant le haut Moyen Âge à l’intérieur des églises, réticence illustrée par des textes bien connus qui commencent à se répandre ou à se populariser à la fin du vie s., et dont dépend aussi une législation que l’on ne connaît qu’à une époque plus tardive, c’est‑à‑dire à l’époque carolingienne. La concentration des ossements rassemblés à l’intérieur d’une seule tombe‑ossuaire ou la découverte, au nord de l’église médiévale d’une fosse ovoïde dans laquelle furent retrouvés, au niveau le plus profond de la stratigraphie, les restes épars d’un coffrage et des fragments de squelettes sont‑ils à mettre en rapport avec cet aménagement d’un lieu que l’on considérait dorénavant comme destiné au culte, ecclesia et non plus polyandria. si l’on reprend des distinctions faites à l’époque carolingienne, par Théodulphe d’Orléans2 par exemple ?
18Mais on sait aussi que l’attitude n’était pas tenable dans son caractère strict, et le principe souffrit en effet des exceptions dont témoignent aussi d’autres fouilles : de nouvelles inhumations furent déposées à l’intérieur de l’église, postérieurement à cette transformation pourtant radicale. L’ancienne annexe nord fut d’ailleurs agrandie afin de recevoir, pour sa part, deux nouvelles sépultures (Fixot 1984).
19Il serait intéressant, dans un même ordre d’idée et de manière comparative, de savoir comment évolua l’hypogée de Saint‑Maximin que l’on ne manque jamais d’évoquer à l’occasion de la description du site de La Gayole. S’il avait été réellement oublié à l’époque où il fut redécouvert, en 1279 par Charles II d’Anjou, afin de servir de support à la fois au culte de Marie‑Madeleine et au culte dynastique, il est probable que le processus d’assimilation du monument funéraire par le culte chrétien n’avait pas été aussi total qu’à La Gayole, et que celui‑ci avait pu garder son autonomie par rapport à une éventuelle église dont le prieuré de l’abbaye de Saint‑Victor de Marseille aurait conservé le souvenir. A cause de son caractère enterré, il aurait été oublié. Il est curieux de constater que l’interprétation de la toute récente fouille faite par R. Guild et M. Vecchione au chevet de Notre‑Dame de Salagon conduira à s’interroger en termes assez identiques sur la fonction du petit édifice à abside qui vient d’y être découvert (Guild 1990).
1.4.3 Un schéma habituel
20Il est difficile, à La Gayole, de savoir ce qui existait au même moment à l’est du premier bâtiment, dans l’espace qui fut occupé plus tard par l’église médiévale. Des constructions discontinues sont apparues qui guidèrent la disposition de certaines tombes. L’une de ces constructions est surtout énigmatique dans la mesure où elle fut reprise ultérieurement et de manière précise par les trois murs périmétraux du transept nord de l’église, et dans la mesure aussi où elle répéta vers l’est le volume de la première annexe du bâtiment primitif. On ne voit pas d’explication satisfaisante pour ces bâtisses ou parties de bâtisses que rassembla ou qu’organisa le plan de l’église du prieuré victorin médiéval. Mais il n’est pas impossible que la construction de celui‑ci pu résulter aussi de la reprise systématique des inhumations à l’intérieur de la nef du premier bâtiment, et être alors rapprochée à nouveau de certaines prescriptions carolingiennes sur la reconstruction nécessaire des églises devenues –ici redevenues– de véritables cimetières.
21La fouille de Saint‑Laurent de Cabardel, à Pélissanne, ne renvoie pas cette fois à des questions aussi fondamentales (Fixot, Proust 1971) ; les indications recueillies furent malheureusement partielles, et un peu décevantes, concernant les conditions de l’apparition du lieu de culte sur le site de la villa, antique, et elles le sont, semble‑t‑il restées, faute en partie d’une bonne possibilité de caractérisation de l’architecture qui fut oblitérée par la construction de l’église du second âge roman, La fouille a montré en effet que l’aménagement de ce que l’on a proposé d’interpréter naguère comme le lieu de culte chrétien primitif s’était surimposé au côté nord d’un petit portique. On connaît actuellement le mur sud de cette église ancienne, dégagé jusqu’à l’alignement de la façade de l’édifice roman, alignement sur lequel se situe aussi de manière approximative la façade de l’édifice primitif, en reprise d’un mur plus ancien encore, appartenant à la villa.
22Le mur goutterot méridional, dans son premier état, se terminait vers l’est par un angle droit sur le tracé duquel les fossoyeurs s’étaient fondés pour inhumer un sarcophage monolithe marqué sur le plan ancien. On pense avoir identifié là l’épaulement correspondant habituellement à l’emplacement de l’arc triomphal ; de fait, au droit de ce rétrécissement, la trace d’une clôture fut retrouvée à l’intérieur de l’église médiévale, sous la forme d’un alignement de dalles dans lesquelles avaient été aménagées des cavités destinées à une barrière de chancels. L’organisation paraîtrait ainsi cohérente si, dans ce premier état, le mur de chœur ne filait vers l’est sur une longueur telle que son extrémité n’en a jamais été repérée, et qui donnerait ainsi au chœur une profondeur au moins égale à celle de la nef. Mais n’est‑ce pas déjà la proportion observée entre les deux parties de l’édifice retrouvé à La Gayole, au temps où nous pensons qu’il put devenir une véritable église rurale ?
23La datation de cette première église de Saint‑Laurent de Cabardel repose essentiellement sur la typologie des inhumations alignées contre son mur goutterot méridional : ce sont, vers l’extérieur, le sarcophage monolithe dont il a été question, ainsi qu’une tombe à coffrage de lauses disposées en demi‑bâtière, appuyées contre la fondation du mur, et vers l’intérieur, une tombe d’aspect exceptionnel, un coffrage de tuiles parallélépipédique, dissimulé sous un gros massif de dalles ; cette inhumation constituerait donc l’une de ces exceptions par rapport à la « règle » de l’inhumation extérieure à l’église.
24Reste que si la datation de la construction attribuée naguère au vie s. est encore valide d’après les données recueillies depuis la publication, on sait encore mal dans quelles circonstances et dans quel contexte d’occupation précis du site apparaît un édifice dont l’organisation d’ensemble restera énigmatique. L’absence d’autres niveaux ou de constructions attribuables, à l’intérieur de l’église médiévale, à ce même état et l’affleurement du rocher au nord de celle‑ci, montrent qu’il ne faut pas trop s’attendre à pouvoir compléter le plan connu. Quoi qu’il en soit, l’exemple de Saint‑Laurent de Cabardel, à Pélissane, peut sans doute être retenu pour illustrer la marque de l’Antiquité tardive sur le réseau des églises rurales d’une époque médiévale plus avancée ; mais restera à considérer, pour ce cas comme pour les autres, les conditions dans lesquelles s’effectua le legs.
1.4.4 Continuités, discontinuités ?
25En ce qui concerne cette fois le legs de l’Antiquité tardive au paysage médiéval, et non plus seulement celui de l’occupation antique au réseau du haut Moyen Âge, un certain nombre de remarques préliminaires paraissent nécessaires qui touchent aux questions envisagées généralement sous la rubrique « continuités et discontinuités ». Il semble que dans ce domaine, les plus grandes précautions soient aussi nécessaires avant d’interpréter ou de surinterpréter. Un exemple a déjà été cité à propos de Sainte‑Marie d’Avinionet à Mandelieu : sur un site où, par la prospection, il paraissait possible d’illustrer l’origine de l’église médiévale par l’occupation de l’Antiquité tardive, un hiatus de cinq siècles a été démontré par la fouille. Mais d’autres illustrations des précautions à prendre sont envisageables.
1.4.4.1 Des illusions possibles
26Commençons par un exemple qui pourra sembler caricatural : un habitat attribuable au ve ou au vie s. se trouve sur le site de l’abbaye cistercienne du Thoronet (Fixot, Pelletier 1990). Quelques éléments en sont connus : il s’agit d’abord de traces non relevées d’une nécropole à coffrages de tuiles située près du ruisseau qui longe la porterie cistercienne, en amont de celle‑ci, sur la berge occidentale, auprès du parc à voitures destiné aux visiteurs ; des tombes à coffrage de dalles, autres éléments d’une fonction funéraire qui ne semble pas liée à la présence d’un lieu de culte auraient été retrouvées à l’est de l’abbatiale, vers l’endroit où l’une des seules plaques‑boucles attribuables au vie s. dans cette région de la France, a été aussi recueillie (Boyer 1971), lors de la réfection de la route. Enfin, des interventions successives, réalisées à l’abbaye, ont donné l’occasion de retrouver des traces du four de potier fouillé naguère par une équipe du Centre de documentation archéologique du Var, toujours lors de l’élargissement de la route qui passe au sud de l’abbaye. Ce four est attribuable à la même période de la fin de l’Antiquité. En outre, les sondages réalisés pour l’étude de la porterie monastique ont montré la présence d’un niveau continu et cohérent que la céramique permet d’associer au moment de l’utilisation du four, en particulier par la présence de déchets de cuisson. Larichesse de ce niveau indique la présence proche d’un habitat : un petit groupement humain a vécu là au commencement du haut Moyen Âge. Dans la mesure où lui succéda une implantation cistercienne, la remarque, ou l’exemple, paraîtra hors de propos, et le hiatus évident : l’installation du groupement humain, dans l’Antiquité tardive, s’explique de la même façon que le choix ultérieur fait par les moines, choix qui fut fondé sur la présence de la source pérenne captée pour l’alimentation du monastère. Il s’agit, comme pour Notre‑Dame d’Avinionet, de la réoccupation médiévale d’une topographie privilégiée ; ce cas extrême n’a été cité que pour introduire à des cas plus difficiles, comme celui rencontré à l’occasion de l’étude du prieuré de Ganagobie (Fixot, Pelletier 1986).
27A l’intérieur de l’église priorale, et à l’est de celle‑ci a été retrouvé par places sur le rocher, un niveau caractérisé par la présence de céramique estampée grise et de sigillée D. Les restes des strates, littéralement hachés par les constructions médiévales et modernes, ne permettent pas de se donner une idée de la forme de cette installation qui, comme le monastère, avait sans doute cherché à profiter de l’avantage topographique du petit interfluve découpant une surface triangulaire au rebord du plateau. Très récemment, une inscription funéraire attribuable au vie s., a été découverte à une cinquantaine de mètres de la façade romane. Brisée et utilisée dans une maçonnerie comme le montre le mortier dont elle porte la trace, elle atteste néanmoins la présence d’une nécropole et de tombes chrétiennes dans l’environnement proche du lieu où s’élève la priorale, peut‑être vers l’église Saint‑Martin dont on connaît l’emplacement, un peu plus loin sur le plateau : dans son environnement, des tombes à coffrage de tuiles furent naguère découvertes. Mais le rapport avec l’implantation carolingienne et romane dont il sera question plus bas n’est pas démontrable ; simplement, le plateau qui nous paraît actuellement si isolé fut un lieu d’occupation intensive à diverses époques.
28Dans aucun de ces cas il n’existe de raison pour considérer, dans ces préexistences, quelque relation de cause à effet avec l’implantation monastique, si ce n’est que dans l’un et l’autre cas, une situation topographique favorable attirait l’occupation humaine. Dans ces exemples comme dans d’autres que nous aurons à analyser, il faut sans doute se garder de surinterpréter l’image de continuité. C’est sans doute une mauvaise lecture ou un mauvais usage des cartes archéologiques, une appréciation trop facile d’une « longue durée » qui mène à donner l’image d’un temps raccourci et à télescoper des périodes. Il fallait faire cette mise en garde de manière préalable.
29En ce qui concerne le haut Moyen Âge, et jusque dans le courant du xie s., l’apport récent dans le domaine rural concerne essentiellement l’étude de certains sites abordés du point de vue de l’archéologie monumentale. Ces sites se classent en deux groupes : il s’agit d’une part de ceux qui sembleraient issus du paysage bâti de l’Antiquité tardive, dont on ne peut parler qu’en prenant les précautions nécessaires au sujet de leur apparition ; dans leur cas, il conviendra de s’interroger sur les conditions, jamais claires, dans lesquelles ils ont été conservés pendant plusieurs siècles ; d’autre part se trouve la strate des créations médiévales qui apparaissent après l’an mille et dont les origines, éventuellement plus anciennes, ne sont pas toujours très bien datées.
30Avant d’évoquer de manière plus précise les travaux qui illustrent les conditions d’un legs de l’Antiquité tardive au paysage religieux médiéval, il faut immédiatement rappeler qu’il est nécessaire d’évacuer le cas de Notre‑Dame d’Avinionet à Mandelieu. Il est impossible de donner à l’église médiévale, dont la construction dut se produire peu avant le milieu du xie s., quelque rapport que ce soit avec le passé religieux du site. Il ne peut s’agir de la christianisation d’un lieu réputé consacré à la pratique du culte païen. Comme dans les cas des abbayes du Thoronet et de Ganagobie déjà cités, il n’y a à considérer que la réutilisation d’un site remarquable dans la topographie régionale, le réemploi de ses matériaux ou de certaines de ses élévations encore en ruines.
31Illustrer maintenant, en respectant une telle attitude critique, le legs de l’Antiquité tardive à l’époque médiévale apparaîtra comme une gageure, et parfois semblera se fonder sur des critères moins stricts ou moins rigoureux que ceux qui ont été défendus jusqu’ici.
1.4.4.2 Continuités ? Saint‑Laurent de Pélissanne
32Il nous semble qu’en dépit des difficultés déjà soulevées à propos d’une lecture difficile, le site de Saint‑Laurent de Cabardel à Pélissanne pourrait figurer parmi ces exemples. Une certaine continuité architecturale nous était apparue, à l’époque de la fouille, entre le premier état décrit ci‑dessus, et le deuxième état constitué par un mur aligné sur le premier mur goutterot méridional de l’église restituée. Un troisième état, extrêmement ténu put déterminer, dans cette continuité l’emplacement terminal de la nef vers l’est, emplacement conservé dans le quatrième état, celui qui est actuellement en élévation, et qui est attribuable au courant du xiie s. La longueur primitive du lieu de culte, en particulier de son chœur, et non celle de sa nef, tenue de manière constante, aurait ainsi été progressivement restreinte.
33Il n’y a pas eu de nouvelles publications concernant cet aspect de la fouille et l’on ignore par conséquent si des indices ont pu être retirés de la découverte d’un petit cimetière, antérieur à celui que nous avions rattaché à l’église du second âge roman, mais les transformations successives, bien difficiles à dater dans le détail, s’inscrivent dans une continuité et une adaptation progressive de l’architecture jusqu’à l’édifice du xie s. Outre la conservation de la longueur de nef, malgré toutes les restaurations successives, il n’est peut‑être pas jusqu’à l’emplacement de l’entrée latérale donnant vers le cimetière, toujours disposée au sud, qui ne soit à placer dans cette image de continuité. C’est à partir de telles constatations que se fondait déjà à l’époque l’impression que l’élévation actuelle pouvait illustrer le legs de l’Antiquité ou de l’Antiquité tardive sur le paysage bâti médiéval. Il nous semble cependant qu’une telle permanence ne dise rien de nuances à apporter à ce schéma, des intervalles éventuels sur une telle durée, des à‑coups dont témoignent aussi les strates nettement distinctes à l’intérieur du cimetière ; celles‑ci sont attribuées successivement au vie s., à une époque proche de l’an mille ou au xie s., ensuite aux xiie et xiiie s. Nous avons dit aussi que l’on saisissait mal ce qu’était le site à l’époque de l’apparition de ce que nous croyons malgré tout être l’église, et si cette construction ne correspondait pas au premier de ces à‑coups, par rapport à ce que pouvait être le site antique de caractère profane.
34L’église Saint‑Laurent resta toujours un repère monumental dans le terroir de Pélissane, centre d’un tenementum ou terrio torium médiéval dont le souvenir subsista. Mais jamais, en dépit de son antiquité ou de sa continuité, elle ne fut susceptible de rivaliser avec le système castral lors de la fondation de Pélissanne, bien qu’elle figurât parmi le réseau des églises privées d’une famille d’importance moyenne, les Amiel. La fortification, sommaire elle aussi qui put servir d’ancrage à l’assise familiale n’était pas proche de l’église, à condition qu’elle fut bien située au Castelas, à plus d’un kilomètre au sud‑est. Après la disqualification de celle‑ci, le lieu de culte devint, lors de l’organisation du peuplement au profit du castrum de Pélissanne, le seul repère monumental d’un territorium fantôme ; marginalisé, il devint chapelle de pélérinage à l’époque moderne, ce qu’était devenue également l’église de Sainte‑Marie d’Avinionet, fondée elle aussi avant le milieu du xie s. Toutes deux, signe des temps, se trouvèrent disqualifiées au moment du durcissement du réseau castral et paroissial dans le courant du xiie s., mais ceci est un phénomène courant.
35En dépit de sa dépendance par rapport à l’abbaye de Montmajour, Saint‑Laurent de Cabardel était d’ailleurs à cette époque, malgré sa restauration totale un médiocre édifice, ce dont témoigne une construction de qualité moyenne, avec un usage économique de la pierre de taille, réduit aux parties basses et aux parties proches des angles, outre évidemment le chaînage. De même, le cimetière attaché à l’église du xiie s. constitua‑t‑il, de toutes les strates funéraires, la moins importante.
1.4.4.3 Continuités ? Sainte‑Marie de La Gayole
36Un deuxième site étudié peut servir d’illustration à ces phénomènes de continuité, celui de La Gayole dont il a déjà été question. Peut‑on savoir quelles furent les étapes de la transmission qui firent du site l’un des nombreux prieurés de l’abbaye de Saint‑Victor de Marseille, éparpillés sur le terroir des communes actuelles de Tourves et de La Celle, et parmi lesquels le prieuré le plus proche au moins, celui de Saint‑Julien, est réputé pour avoir succédé aussi à un établissement d’origine antique, éventuellement le même dont dépendit le monument funéraire qui donna naissance à Sainte‑Marie de La Gayole ?
37Dans ce cas également, les continuités architecturales, à défaut de celles de niveaux d’occupation régulièrement stratifiés, sont notables. La construction de l’église médiévale, attribuée à la période proche de l’an mille, dépendit de lignes directrices du bâti antérieur : le mur de façade, même si celui qui existe à l’heure actuelle paraît restauré, était exactement à l’aplomb du mur oriental de l’édifice plus ancien. On sait aussi que le transept médiéval est constitué, en sous‑œuvre, d’une construction ou d’une partie de construction dont l’emprise au sol démarquait celle de l’annexe nord de l’édifice primitif, en la reportant vers l’ouest. De même, le chevet roman s’installa au‑dessus d’une ligne du bâti antérieur ; entre elle et les substructions du transept était contenue une sépulture au coffrage particulièrement développé. Mais à vrai dire, on interprète mal ce réseau de murs antérieurs, on l’a dit, et on voit mal l’aspect qu’il pouvait donner au site. Il dût reporter la fonction funéraire à l’est de ce qui était devenu l’église, mais jouait‑il déjà un rôle, avant la petite priorale médiévale, dans la conservation ou la présentation des deux sarcophages sculptés bien connus ? De toute façon, ce rôle fut important pour le choix du plan de l’édifice médiéval, dont le transept, déterminé par ces préexistences, apparaît de fait comme une forme exceptionnelle dans le premier art roman régional.
38Le matériel céramique, mal différencié pour ces périodes, ne livrera pas la clé permettant de juger du caractère de continuité dans l’utilisation du site et de la part de ces à‑coups dont il a été question à propos de l’église de Saint‑Laurent de Cabardel. Ainsi, architecturalement, mais ce n’est qu’une interprétation, avec un degré de certitude approximatif, on peut penser que l’édifice que nous avons sous les yeux correspond en grande partie à celui qui est désigné dans le cartulaire de l’abbaye de Saint‑Victor de Marseille et qu’il représente l’un des rares exemples d’une expression architecturale attribuable aux environs de l’an mille en Provence. Mais le passage de l’état de l’Antiquité tardive, ou du vie s., à l’état médiéval reste en grande partie du domaine interprétatif et les jalons archéologiques manquent ; par exemple, le décor sculpté des deux chapiteaux placés à l’ouest du transept, n’est‑il qu’un réemploi de décors antérieurs datant du haut Moyen Âge, au même titre que les éléments antiquisants des retombées orientales qui leur apportent la réplique ?
39Dans la plupart des cas, l’un des apports de la fouille et de l’étude architecturale est de nous introduire au caractère de faiblesse des témoignages du bâti des périodes qui entourent l’an mille, faiblesse qui semble particulièrement sensible en Provence, et qui doit être l’écho ou l’image, dans le domaine architectural, ou même dans celui de l’histoire religieuse, d’une faiblesse ou d’une pauvreté particulière (Fixot 1987). Ces caractères architecturaux ou topographiques donnent une impression extraordinaire de rusticité, liée à un émiettement géographique et à un manque de hiérarchisation ou d’organisation dont témoignent les vestiges. Dans le cas de La Gayole, comme dans les autres, la faiblesse de constitution de l’organisme se lit également dans la ténuité des traces matérielles découvertes autour de l’édifice. Au nord‑ouest, à proximité de la façade, deux silos précédèrent le cimetière médiéval. Il a pu aussi, cependant, exister un bâtiment annexe dont la trace de la destruction recouvrait les tombes du Moyen Âge ; il était situé au sud ou au sud‑ouest de l’église, là où l’on place aussi les bâtiments profanes les plus anciens ; l’une des fenêtres était décorée de claustra à motif d’entrelacs (Buis 1975).
1.4.4.4 Quels antécédents ?
- 3 Fouille et étude sous la direction de Y. Codou.
40Ces deux exemples étudiés, Saint‑Laurent de Cabardel et Sainte‑Marie de La Gayole, illustrent donc les conditions difficiles et incertaines dans lesquelles les archéologues sont susceptibles d’illustrer le legs de l’Antiquité au paysage médiéval. Quelques exemples récents donnent une impression identique, et ne permettent pas une meilleure appréciation des conditions de transmission : par exemple, les données de la fouille de Notre‑Dame de Salagon à Mane (Guild 1989). Actuellement, un site d’importance majeure, susceptible de donner des informations sur le même sujet est aussi en cours d’étude ; il s’agit de celui de Saint‑Hermentaire, élevé dans le contexte archéologique d’une villa antique3. Mais, comme souvent, le rapport entre ces lieux de culte avec un éventuel bâti subsistant d’origine antique se laisse mal déterminer, et pour l’époque ultérieure au ve s., les conditions de transmission plus récentes restent obscures.
41De semblables constatations ne donnent pas un éclairage très vif sur le haut Moyen Âge, tout juste susceptible de maintenir éventuellement la mémoire d’un site, une simple conservation, sans jamais donner la preuve de campagnes de construction assez marquantes pour être identifiables ou redonner au site une force nouvelle.
42En dehors de ces contributions d’origine antique à la formation du paysage bâti médiéval du premier art roman, il faut compter avec les fondations médiévales proprement dites attribuables au haut Moyen Âge. Récemment, cette strate assez mince s’est vraisemblablement enrichie de l’édifice de Saint‑Jean de Taravon, à Volonne, que M. Thomas, dans le cadre d’une maîtrise universitaire, a attribué à une date proche de l’époque carolingienne (Thomas 1989 et 1990).
43Pour une période un peu postérieure, un autre exemple proposé serait celui de Saint‑Symphorien de Buoux. Mais, à nouveau, le lieu donne l’occasion de s’interroger sur la question des antécédents et le rôle qu’ils ont pu jouer dans la fixation du lieu de culte. Rares en effet, nous ont semblé, jusqu’ici les exemples échappant totalement à la reprise d’une occupation ou à la réutilisation d’un site précédemment utilisé. Dans le cas de Saint‑Symphorien de Buoux, la surprise fut, lors de la fouille, de constater que l’église la plus ancienne recoupait l’emplacement d’une nécropole antérieure, à laquelle aucun lieu de culte ne se trouvait alors associé (Barbier, Fixot 1983). Cette nécropole présente une typologie de tombes attribuée ordinairement et vaguement au haut Moyen Âge, au viie ou au viiie s. Il n’est pas impossible cependant que le matériel découvert –peignes et agrafe à double crochet à corps plat– associé à une tombe en coffrage de tuiles, ne permette de remonter un peu plus haut dans le temps. Toujours est‑il qu’aux origines historiques du site se trouve cette nécropole associée de manière probable à une voie de passage au travers du Lubéron. Cette caractéristique, ainsi que la topographie remarquable due au relief, font que le site a été l’objet d’une réutilisation de hasard, le lieu de culte occupant la place de l’ancienne nécropole, sans que la volonté particulière de « christianisation » ne soit sensible.
- 4 Avec une erreur sur la datation de l’église et de la motte dans la publication citée ; toutes deux (...)
44On ne peut qu’être frappé du fait que cette réutilisation rappelle un cas équivalent, mais concernant une époque antérieure, récemment réétudié en compagnie de P.‑A. Février à Notre‑Dame‑du‑Brusc (Février, Fixot 1989). Ici donc, au vie s. vraisemblablement, une église rurale et son baptistère s’élevèrent à l’emplacement d’une nécropole dont les coffrages de tuiles furent tranchés par les fondations du lieu de culte. On ne peut, dans ce cas encore, que s’interroger sur la raison d’une telle superposition. De fait, la constatation archéologique brute est livrée à l’interprétation sans plus de nuances ou de données de compréhension. Simplement, dans le cas de Notre‑Dame‑du‑Brusc, l’intervalle de temps entre l’utilisation de la nécropole et la construction du complexe cultuel a dû être moins longue. G. Vindry, le fouilleur, a mis la reprise en rapport avec la pérennité d’un culte de source, mais cette explication correspond à un stade avancé de l’interprétation sans qu’aucune donnée ne permette l’établissement d’une relation directe ou explicite (Vindry 1966). Pourquoi, dans ce cas ne pas mettre aussi en relation étroite la nécropole du haut Moyen Âge fouillée naguère sur le territoire de la commune de Cadarache (Pouyé, Bonifay 1986)4 avec l’église construite tout près de là, au xiie s., dans la dépendance de la motte castrale qui vient d’être aussi étudiée ?
45La fouille de Saint‑Symphorien et l’observation des élévations a encore montré la précarité des réalisations issues de l’initiative privée aux alentours de l’an mille (Barbier, Fixot 1983). L’église, de petite taille et charpentée, sembla avoir été, dans un premier temps, solitaire sur sa butte. On a rappelé ailleurs, comment d’autres recherches, comme celles menées à Saint‑Damien de la Cadière appelaient ce type de réflexion, mettant ici l’accent sur la constatation paradoxale de l’étendue d’un domaine comparé à l’exiguïté du lieu de culte (Broecker 1989). Aussi n’est‑il pas étonnant qu’un édifice comme celui de Notre‑Dame d’Avinionet à Mandelieu ait pu ne laisser aucune trace ou que celui de Saint‑Laurent de Cabardel dans son état contemporain en ait laissé si peu. Quant aux dépendances, et à plus forte raison à l’environnement, dans tous ces cas, il apparaît nul, ou extrêmement limité : par exemple, les trois silos retrouvés auprès de Notre‑Dame d’Avinionet renvoient modestement à ceux qui ont été trouvés à proximité de l’église de La Gayole ; mais jamais, dans les cas étudiés, ou dans d’autres signalés régionalement, l’église ne semble avoir été alors un centre quelconque d’organisation du peuplement sur le terroir à quelque degré que ce soit. Rien n’apparaît comparable aux constatations faites actuellement, de ce point de vue, dans le Languedoc voisin. Dans ce domaine, à nouveau, la Provence de l’an mille ou plutôt son Eglise, ne semble pas manifester une force et un dynamisme particuliers. Le lieu de culte, ou plutôt, les lieux de culte disséminés sur les terroirs, dont Saint‑Laurent de Cabardel ou La Gayole donnent un exemple très commun, ne présentent aucune marque de hiérarchisation entre eux et ne paraissent, archéologiquement, n’être que le lieu d’une fonction funéraire très émiettée et progressivement appauvrie.
1.4.5 Les grands ensembles monumentaux
46Restent certaines grandes fondations, celles recensées par les historiens de l’art et qui, par une certaine ampleur monumentale au moins, dépassent le lot commun. Il faut reprendre à cet égard l’exemple du prieuré de Ganagobie sur lequel nous avons personnellement travaillé.
1.4.5.1 L’affirmation monumentale, le groupe de l’église
47L’intérêt de la fouille du prieuré de Ganagobie a été de montrer comment, en rapport avec un certain contexte privilégié –ne serait‑ce que la dépendance clunisienne– certaines fondations se distinguèrent précisément par ce plus grand développement monumental, éventuellement par une importance particulière de la fonction funéraire, mais pas pour autant encore par une aptitude plus forte à l’organisation des terroirs. Cette interprétation pourra être complétée plus tard, par la recherche comparative que mène Y. Esquieu sur le prieuré de Saint‑André‑de‑Rosans, clunisien lui aussi. Il faudrait en effet savoir, dans ce dernier cas, comme dans celui de Sarrians, si l’organisation d’un peuplement est contemporain des premiers temps du prieuré médiéval, s’il s’agit réellement d’un bourg monastique ancien ou s’il ne s’agit que d’un processus plus récent, attribuable seulement au modèle castral, contemporain par conséquent de l’époque d’une structuration générale de l’habitat, en rupture avec l’image ancienne de ces implantations, ou même s’il ne s’agirait pas d’un phénomène encore plus récent, attribuable à la fin du Moyen Âge, date à laquelle remontent à Saint‑André‑de‑Rosans, les plus anciens vestiges authentifiés d’une enceinte.
48Pour Ganagobie, l’interprétation actuelle se fonde sur le rapprochement vraisemblable entre documentation écrite et documentation archéologique (Fixot, Pelletier 1986). Elle tient compte d’une part de l’état d’un groupe constitué de deux églises adjacentes formant un tout cohérent archéologiquement observable, dont l’une des églises est élevée dans un contexte funéraire, et d’autre part d’un texte connu de manière indirecte, évoquant une fondation double, de la part de l’évêque de Sisteron, Jean, dans la seconde moitié du xe s. ; d’après ce texte, l’une des deux églises devait justement posséder une fonction funéraire privilégiée. De ce fait, reste le problème posé par la constatation non moins évidente d’un état antérieur à celui du groupe des deux églises, état que nous ne saurions toutefois rattacher aux niveaux de l’Antiquité tardive dont nous avons évoqué l’existence. Le rapprochement frappant qui s’opère entre les textes et les données archéologiques conduit dès lors à s’interroger sur les vestiges d’une construction double d’assez belle ampleur, que l’on mettrait volontiers en relation avec l’implantation domaniale de l’église de Sisteron dans ces régions, selon ce que restitue J.‑P. Poly (Poly 1976), et à affecter une datation haute et aventurée ‑ carolingienne – à l’édifice primitif qui la précéda. Son ampleur renverrait d’ailleurs à un module plus directement issu des proportions d’édifices de l’Antiquité tardive, si l’on reprend les exemples de Notre‑Dame du Brusc, ou éventuellement de Saint‑Hermentaire. La nef était en effet aussi longue et plus large que la nef actuelle ; elle fut réduite à des dimensions plus étroites au xiie s., pour cause de voûtement sans doute.
49À partir de cet exemple, il nous paraît possible d’introduire l’image de renforcement de la composition architecturale et de groupe monastique, ce que constate également Y. Esquieu pour ses dernières campagnes de fouille à Saint‑André‑de‑Rosans (Esquieu 1990) : comme à Ganagobie, le chevet roman, encore partiellement en élévation, a réuni au moins deux absides antérieures, correspondant chacune à des édifices de dates distinctes, dont l’origine serait à reporter à la période qui précède l’an mille. Dans un milieu monastique, mais non clunisien cette fois, à Thouzon (Vaucluse), apparaît une petite église funéraire sous le vocable de Saint‑Pierre, juxtaposée mais non accolée à une grande église monastique dont les proportions exceptionnelles ne sont pas sans rappeler celles de la première église de Ganagobie (Rech 1990). Cette image de groupe apparaît comme la première forme adoptée, et destinée à se répandre, d’une organisation architecturale et d’une composition monumentale susceptible de renforcer l’image matérielle de l’église, tout en répondant à une distinction de fonction ressentie comme nécessaire, la fonction funéraire recevant sa propre expression monumentale. Cette image pourrait ainsi apparaître, dans des milieux monastiques aux environs de l’an mille, avec les exemples de Ganagobie et de Rosans, sur le mode de certains groupes d’église de l’Antiquité tardive, surtout connu dans le domaine urbain, mais dont Notre‑Dame du Brusc fournit un vraisemblable archétype, d’ailleurs restauré et rénové à l’époque romane ou, comme on le verra plus bas avec d’autres exemples, reconstruit de manière synthétique.
50Les dernières constatations faites à Ganagobie au cours de l’année qui vient de s’écouler montrent comment la première tentative d’organisation monumentale fut suivie par une autre, qui consista en la construction d’un cloître. Quoi qu’on puisse dire des datations avancées pour l’état comportant les deux églises adjacentes, et même si la datation de cet état devait être reculée à une époque plus tardive, par exemple dans le courant du xie s. au plus tard, on pourrait néanmoins affirmer la présence d’un cloître du premier âge roman, articulé sur le groupe des deux églises. Les fouilles et les recherches architecturales récentes ont montré comment derrière tous les murs périmétraux du cloître attribué à la fin du xiie s. se cachait une paroi antérieure dépendant de bâtiments organisés autour d’une cour (Fixot, Pelletier 1991). Il s’agit ici du cloître le plus ancien identifié en Provence, et pour l’instant, le seul attribuable au premier art roman ; qu’il ait été identifié dans un milieu clunysien n’est peut‑être pas un hasard, mais il est vrai aussi qu’il convient de ne pas extrapoler trop vite en raison du manque d’études semblables. A Ganagobie, l’amplification du projet architectural à une date précoce dans ce milieu privilégié doit être mise en relation avec l’amplification de la fonction funéraire. Il faut rappeler ici l’importance que prit la nécropole, tant en ce qui concerne la surface couverte par les tombes, leur accumulation, et l’aspect impressionnant que prirent les inhumations, par exemple avec ces grands couvercles monolithes des coffrages de dalles, portant des marques gravées ; de même, le contexte exceptionnel fourni par le sarcophage de Lurs, vient d’être renforcé par la découverte, faite l’été dernier, d’un autre sarcophage décoré d’arcatures, placé en réemploi sous un enfeu de l’église du xiie s., confirmation du caractère funéraire et privilégié que pouvait conserver le croisillon de transept qui avait succédé à la petite église du groupe primitif (Fixot, Pelletier 1989). Mais rien, on le verra, n’indique l’existence éventuelle d’une petite agglomération rurale appelée par le monastère. Ce n’est donc que plus tard, à la fin du xiie s., que le site de Villevieille, derrière son rempart, fut fondé à l’autre extrémité du plateau, vers le nord, et le toponyme qui désigne cette agglomération ne donne pas l’impression qu’elle succédait à un groupement antérieur, éventuellement plus proche du monastère.
51Ce phénomène de composition, d’églises doubles, maintenant étudié de manière complémentaire dans le monde rural, par des monographies détaillées fondées sur des fouilles ou des études architecturales, à Notre‑Dame de Salagon (Guild 1989) ou à Saint‑Pantaléon de Gordes (Codou 1989 ; Fixot 1989a) par exemple, semble donc être l’une des formes traduisant non seulement des fonctions liturgiques vraisemblablement distinctes, mais aussi une véritable recherche d’image et de monumentalité. C’est ce phénomène aussi qui a été étudié dans le cas de Saint‑Symphorien de Buoux, à partir du moment où, de fondation privée dont on a vu la modestie, l’église devint prieuré victorin.
52À l’église primitive en effet, vint s’ajouter, à une date que nous avons estimée proche de 1100, une église sud, de plan original, constituée d’une seule travée, très large, précédant l’abside ; simultanément, l’église primitive se trouvait voûtée, complétée par une tribune occidentale qui donnait dans une tour clocher accolée au nord de la première travée. L’acquisition de cette valeur monumentale s’accompagnait de la genèse d’un environnement habité, mais surtout fortifié, dont on voit ainsi, chronologiquement, la première attestation ; la date attribuable, vers 1100, est importante, de même que la comparaison de détail, dans la composition et les dimensions, avec une fortification laïque que nous avons eu l’occasion d’étudier, qui fut construite dans le courant du xie s., et qui peut fournir la référence ou fonder la comparaison (Fixot 1985). À Saint‑Symphorien, un bâtiment s’ajouta au‑devant de la façade de l’église nord, église primitive, dont l’étage permettait l’accès direct à une tribune monastique. Enfin, l’ensemble était enfermé à l’intérieur d’une enceinte dont les chevets des églises formaient la courtine est, avec les absides saillantes comme des flanquements ; le mur goutterot de l’église primitive prolongé par celui de la maison constituait la courtine nord. La seule porte repérée sur l’enceinte se trouvait au sud, en direction des habitats semi‑rupestres dont on sait qu’ils étaient encore occupés à la fin du xiiie s. On ne connaît pas encore la date de la formation de cet habitat regroupé dans la dépendance du prieuré fortifié ; il adopte des formes rupestres ou semi‑rupestres.
53Ce site appelle l’intérêt dans la mesure où il nous introduit à une réalité qui n’est pas archéologiquement perceptible avant le xiie s. L’église devient ici à la fois un complexe monumental et fortifié ; simultanément, elle devient organisatrice du paysage habité et elle le devient à l’image de ce que l’on sait qu’il advint du château à la même époque. De celui‑ci, elle adopte dans cet exemple l’image fortifiée et militaire, cas peu fréquent d’une rivalité de fonction ou d’image dont on ne voit pas de très nombreux exemples en Provence, étant donnée la vigueur du système castral. De fait, la silhouette de l’église (ou des églises), élevée(s) au sommet du relief dominant topographiquement l’ensemble de l’habitat situé dans sa dépendance est surprenante. L’image du château est plus familière, dans cette position, par rapport à l’habitat médiéval d’époque « castrale ». Mais la précocité du développement monumental de Saint‑Symphorien par rapport à l’apparition des formes les plus affirmées du système castral explique peut‑être le succès relatif du rôle organisateur d’un petit peuplement joué par le prieuré. C’est aussi une image que l’on pourrait qualifier d’archaïsante parmi celles qu’offre le paysage bâti, celle qui résulte d’un processus qui ne devait pas se reproduire très souvent, qui profitait peut‑être aussi régionalement d’un certain vide ou d’une moindre densité dans le réseau castral régional avant la fin du xiie s.
54Il est possible d’évoquer, à titre de comparaison, le site de Saint‑Damien de la Cadière : là aussi, le cœur monumental ancien était constitué par une église d’apparence très légère qui connut des transformations architecturales par la construction d’une abside semi‑circulaire voûtée en cul‑de‑four construite à l’intérieur de l’ancien chevet plat, et par la conception, dans la nef, d’arcatures latérales destinées à porter une voûte. Simultanément, vraisemblablement, la topographie fut complétée alors par une organisation de type monastique comprenant un cloître et des bâtiments contenus à l’intérieur d’une enceinte de pierre ; mais cette disposition fortifiée fut concurrencée, pour l’organisation de l’habitat, par la mise en place du réseau castral (Broecker 1989). On peut en dire autant de Notre‑Dame de Salagon après l’étude récemment publiée de R. Guild (Guild 1989), éventuellement aussi des prieurés de Correns (Colin 1980 et 1983) ou de Carluc (Barruol 1964), où demeurent des traces de fortification, sans rapport avec aucun habitat organisé dans leur dépendance.
55Les sites attribuables au courant du xiie s. sur lesquels nous avons eu l’occasion d’intervenir ont souvent permis de ressentir le considérable changement d’échelle dont témoignaient les programmes architecturaux, qu’ils soient religieux ou laïcs. Cette différence est sensible à la fois dans l’ampleur, c’est‑à‑dire par l’importance nouvelle de l’emprise au sol ou de la surface couverte, mais aussi par l’organisation et la composition plus cohérente des masses, donc plus synthétique, par la qualité de l’apparence donnée, notamment au moyen de l’emploi de la pierre de taille utilisée de manière de plus en plus standardisée. Dans le domaine rural, et parmi les édifices dont nous avons eu l’occasion de mener l’étude, il nous a semblé que l’ensemble monumental constitué alors par le prieuré de Saint‑Symphorien de Buoux, avec ses deux églises, son habitat et l’enceinte qui unifia ces parties, se situait aux origines même de ce contexte chronologique et culturel auxquels les contemporains furent suffisamment sensibles et fiers pour qu’ils se laissent entraîner à de fréquentes restaurations, ou reconstructions totales des édifices antérieurs, ainsi qu’à la conception d’une enceinte qui participe de la recherche d’une organisation cohérente de l’espace fermement délimité.
56L’exemple d’une véritable substitution a pu être étudié dans le cas du prieuré de Ganagobie. La substitution s’est d’abord manifestée par la reconstruction de l’église. Dans l’état final de l’étude, on peut être sûr que le plan nouveau, commencé au début du xiie s., a repris le plan ancien de la nef ; une modification radicale intervint seulement au chevet, et, de manière significative, a consisté dans la recherche d’une meilleure organisation ou cohérence de l’espace, ce qui, comme nous le verrons, participe d’un projet très général commun à bien des architectes, qui eurent l’occasion de reprendre des édifices anciens tant urbains que ruraux. Une première expérience de cette recherche a été déjà signalée dans le cas de Notre‑Dame du Brusc.
57Pour la nef, dans le cas de Ganagobie, la substitution s’est faite exactement in situ, du moins en ce qui concerne le mur nord de l’église. L’ancienne tour, élevée au nord de la dernière travée, fut réemployée pour la construction nouvelle. La fouille en cours a indiqué que le mur de l’actuelle façade occidentale se superposait à celui de l’ancienne, et ainsi, la longueur de l’ancienne priorale était égale à la longueur de celle dont on voit encore l’élévation. La nef était aussi moins large que l’ancienne, compte tenu de l’ampleur exceptionnelle de la première réalisation, et de l’emploi du voûtement pour le nouveau projet. L’ensemble fut réalisé en pierre de taille, avec des supports latéraux à quatre ressauts rythmant fermement l’espace intérieur.
58La conception du chevet est plus intéressante ou plus significative, puisque nous avons pu découvrir qu’elle avait eu pour but de réunir dans la nouvelle église, sous la forme d’un croisillon de transept en deux travées, deux édifices anciens, jugés suffisamment importants dans leur association –l’église funéraire et la « salle des morts »– pour devoir être intégrés dans la conception du nouvel édifice synthétique. Ce sont d’ailleurs ces deux anciennes constructions au plan reproduit par la nouvelle, qui expliquent l’aspect exceptionnellement développé du transept de la priorale actuelle. Le caractère funéraire que nous avons cru pouvoir donner à la chapelle ancienne s’est prolongé dans la nouvelle construction ; on peut en constater la manifestation ou l’illustration sans doute contre le mur sud du transept, qui reprend la place du mur sud de l’ancienne chapelle funéraire ; sous un enfeu, fut disposé ce sarcophage de réemploi dont il a été question, décoré d’arcatures sur chacune de ses longues faces, type de sépulture rare à l’époque romane, qui correspond à l’installation d’une tombe privilégiée. Les écoulements percés sur l’une de ses faces, puis obturés, montrent qu’il a pu, un certain temps, être utilisé comme cuve pour laver les morts.
59Mais une telle substitution a également touché tous les bâtiments monastiques organisés autour du cloître. Il y a déjà été fait allusion. L’ampleur et la qualité de la substitution identifiée sont telles qu’avant les grandes campagnes de construction qui ont récemment affecté le site, elle n’avait pas été suspectée. La substitution a pu s’opérer in situ dans la mesure où l’ensemble clunisien constituait déjà, dès le xie s., un ensemble exceptionnellement monumental.
60Le réaménagement du cloître suivit en effet l’achèvement de l’église, et la première campagne a consisté à reconstruire la galerie nord, en englobant, aux angles est et ouest du mur-bahut, l’amorce des galeries correspondantes ; des marques de tâcheron identifient bien cette campagne. La galerie nord fut simplement appuyée à l’église et le collage montre certaines improvisations. Puis vint le tour des autres bâtiments claustraux et des galeries correspondantes.
61Les fouilles effectuées au cours des campagnes du printemps et de l’été 1990 dans les parties méridionales du site ou dans celles adjacentes à l’église ont également montré que les années un peu postérieures à 1200, qui virent l’achèvement du réfectoire, furent aussi celles de la conception d’une grande enceinte, ou enclos de pierre, dont le tracé s’est conservé, au nord et au sud jusqu’à l’époque actuelle, malgré la destruction malheureuse d’un grand tronçon méridional, et dont l’intérêt est grand en comparaison des données recueillies au cours de l’étude des environnements des monastères cisterciens du Thoronet et de Silvacane (Fixot, Pelletier 1990).
1.4.5.2 L’affirmation monumentale, l’enceinte
62Peut‑être, de manière préalable à l’évocation de ceux‑ci, convient‑il de préciser que l’emprise au sol des abbayes, fermement délimitée par un enclos ou une enceinte « mitigée » ou discontinue du type de celles qui ont été définies autour des quartiers cathédraux contemporains, ne saurait en effet être régionalement dissociée des notions d’image villageoise, d’enceinte, d’« encellulement » de l’habitat qui se créent au même moment en Provence. L’espace y est maîtrisé de la même façon, et organisé de manière hiérarchique ; il est aussi délimité par un mur.
63Les premières approches archéologiques de ces réalités ont été faites à l’occasion des campagnes menées à l’abbaye de Silvacane, où elles ont déjà donné un certain nombre de résultats, plus précis sans doute que dans le cas de la fouille de l’abbaye du Thoronet où la disposition actuelle de l’enclos, et son apparence architecturale rendent encore sceptique sur l’authenticité de son aspect actuel, et où la fouille a montré qu’il était nécessaire de conduire de plus amples vérifications pour retrouver la topographie médiévale et la disposition de l’enceinte monastique. Cette expérience archéologique, faite à l’abbaye de Silvacane, a permis pour la première fois de s’interroger sur la réalité de l’enceinte et de la porte, qui relèvent donc aussi d’images d’« encellulement » étrangères aux périodes antérieures, qu’il s’agisse des domaines de la topographie religieuse et de la topographie profane.
64De telles dispositions se trouvent dorénavant en rupture avec l’image d’ouverture, de dispersion, ou de diffusion des composantes des sites du premier art roman régional. La recherche de cohérence et d’unité de l’espace, la tentative de conception d’un ensemble organisé et hiérarchisé, à l’intérieur des monuments eux‑mêmes, comme nous l’avons constaté pour la synthèse opérée au chevet de Ganagobie III, ou à l’extérieur pour les surfaces qui en dépendent, semblent être des données bien affirmées à la fin du xiie s. La réunification des groupes architecturaux constitués d’édifices, jusqu’ici composés par juxtaposition dès l’Antiquité tardive ou hérités de cette période –à moins qu’ils n’aient été formés plus tard encore au cours du premier âge roman– va exactement dans le même sens. Cette idée paraît être, en Provence, une conquête du xiie s., signe d’un nouvel esprit, dont des lieux de culte urbains, conçus à l’origine selon le principe du groupe, portent également la marque, en particulier si l’on pense à la manière dont furent traités nombre d’anciens groupes épiscopaux, dont les basiliques accolées s’ouvrirent largement l’une à l’autre, l’une d’elles devenant en quelque sorte simple collatéral, à Apt, Fréjus, et même à un degré moindre, à Aix‑en‑Provence. De manière comparative, en ce qui concerne la notion d’enceinte, en ville, la présence des premières traces de bâtiments où s’exerce la vie commune des clercs paraît s’effectuer de manière tardive dans les dernières années du xie s., à Aix‑en‑Provence par exemple et il semblerait surtout que les enceintes canoniales n’apparaîssent que dans le courant du xiie s. (Esquieu 1986).
65L’abbaye de Silvacane témoigne pour sa part de manière intéressante du caractère évolutif, c’est‑à‑dire vivant, des bâtiments qui ont été successivement construits à l’intérieur d’un enclos monastique qui présente encore un certain temps des caractères un peu paradoxaux. L’enclos sert à la recherche de mise en valeur de la monumentalité, mais il est en même temps fragile encore, ou provisoire, en s’opposant au caractère déterminé et géométrique des bâtiments monastiques proprement dits, de l’église abbatiale, et de la partie de clôture qui les entoure. Cette constatation renvoie à la réflexion, souvent faite, concernant l’opposition d’apparences qui existe entre les constructions liées à une fonction de représentation sociale et celles de la vie domestique.
66Ainsi, à l’abbaye de Silvacane, a‑t‑il été possible de retrouver et de décrire la valeur architecturale qui s’attache à la porte, bien qu’elle ait été conçue de manière simple, mais dont la technique de construction se rattache à celle des bâtiments monastiques et à leur qualité. Cette porte, solitaire encore pendant un certain temps, dans un environnement immédiat qui n’était pas encore construit en pierre, s’inscrit dans une tradition de paraître que ne désavoueraient pas certaines manières de bâtir de l’architecture domestique contemporaine : elle est évidemment caractéristique d’une nouvelle conception circonscrite de l’espace.
67Il a semblé en effet que la limite de l’emprise au sol du monastère ne fut d’abord marquée que de manière fragile dans le paysage, par l’intermédiaire d’une clôture légère dont l’apparence matérielle n’a pas été retrouvée, mais dont la présence a semblé démontrable. Le plan adopté par la grande esplanade délimitée en avant de l’abbatiale a semblé également susceptible d’être mis en rapport avec la composition décorative et monumentale de la façade de l’église, dont l’apparence et le traitement, en véritable « façade occidentale », se sont trouvés d’une certaine manière explicités plus tard par le développement de la fonction hospitalière, tournée elle aussi vers l’extérieur, fonction bien exprimée dans l’organisation de l’espace et dont l’attestation permet de nuancer l’image habituelle attachée à la spiritualité cistercienne. De fait ici, la conjonction frappante et pas toujours fréquente, des constatations archéologiques et d’un texte, celui de l’inventaire de l’abbaye réalisé en 1280, donne la clé de l’interprétation des vestiges retrouvés. Cette importance de la fonction charitable et hospitalière ressort non seulement de l’ampleur des bâtiments mais aussi semble‑t‑il, de la disposition de la maison de l’abbé que le texte permet de situer à l’extérieur des bâtiments monastiques, parmi les pièces qui se trouvent disposées de manière intermédiaire, dans l’enclos, entre le « monde » et la « clôture », exemple attachant de composition spatiale rationnelle et significative. Cette disposition renvoie, en même temps, à la très ancienne tradition qui donne à l’abbé, seul, la possibilité de vivre selon un mode de vie érémitique au sein de la communauté. Un heureux hasard a voulu que, dans les mêmes années, un projet architectural ait permis d’effectuer une recherche de type identique à l’abbaye du Thoronet, et d’établir ainsi la comparaison qui rend toute monographie plus cohérente.
68Dans le cas de cet autre établissement cistercien, une certaine différence tient d’abord à ce que la fonction hospitalière, qui, dans un sens, a donné naissance à un développement architectural aussi remarquable qu’à Silvacane, n’a cependant pas atteint un tel degré d’organisation. En revanche, il a été possible, au Thoronet, de suivre la cohérence progressive donnée à un bâtiment d’entrée dont on peut maintenant restituer l’importance progressivement acquise, composée d’une porte cochère, d’une entrée piétonnière, d’un bâtiment lié à l’accueil, l’ensemble de ces dispositions de rez‑de‑chaussée étant surmonté d’un étage ; il ne reste plus qu’un moignon de tout ce bloc monumental, l’entrée charretière. La restitution de l’organisation de la topographie primitive donne l’occasion de considérer, dans cette composition architecturale de la fin du xiie s., l’importance de la porte, corrélative de celle qu’a prise l’enceinte dont la fouille a montré, à l’ouest du site, quelques tronçons authentiques, différents des tracés de l’enclos actuel.
69L’autre acquis de la fouille de la région de la porterie, à l’abbaye du Thoronet, est d’avoir, par le plus grand des hasards, mis au jour le lieu de fonte de métal, le fer, puis de fabrication de petits objets métalliques non ferreux. Ainsi a‑t‑il été possible de donner une illustration locale d’un thème de recherche qui a fait l’objet d’une certaine actualité scientifique, à savoir quel rôle économique doit‑on attribuer à l’Église et, dans le cas particulier au monachisme cistercien, dans le développement de la production métallurgique médiévale et dans l’extension de certaines techniques ou d’un certain savoir‑faire. Dans le cas présent, il ne semble pas qu’il y ait lieu de monter ce rôle particulièrement en épingle : il s’agissait d’un simple atelier, dont l’apparence n’est pas étonnante compte tenu de la différence de nature habituelle entre constructions liées à l’apparence ou à l’expression d’une fonction sociale et bâtiments domestiques ou de production. La recherche d’une autarcie, et donc d’un mode de vie intégré, organisé et structuré à l’intérieur du monastère est seule en cause.
70Les récentes campagnes effectuées au cours de l’année 1990 au monastère de Ganagobie ont donné un exemple supplémentaire de ce phénomène d’encellulement qui intervint tôt dans le xiiie s., dès l’achèvement des bâtiments monastiques. Un tronçon d’enceinte fut appuyé à l’angle nord‑est du transept de l’église, il s’étendait vers l’est jusqu’à l’abrupt de la falaise. Un second tronçon était appuyé à l’angle sud‑ouest de la façade, on perd sa trace vers l’ouest. Au sud des bâtiments monastiques, une bonne partie de cette enceinte a été retrouvée, délimitant une surface un peu moins grande que celle du prieuré restauré au commencement de l’époque moderne. Un peu comme dans le cas de Rougiers, la falaise vers l’est clôturait naturellement l’espace.
1.4.6 Le nouveau réseau : la dépendance du château
71Cependant, ces images monastiques, même si elles participent d’une conception de l’architecture ou de l’organisation de l’espace qui est celle du temps pendant lequel prirent forme les grands castra, ne donnent pas une image habituelle de l’église dans les terroirs. Car cette image, à l’époque considérée est souvent dépendante et dévalorisée, ou, sauf exception, au mieux rivale de celle du château. Ne souhaitant pas reprendre dans toutes ces campagnes de fouille une étude castrale qui aurait répété la monographie exemplaire de Rougiers, nous avons eu assez peu l’occasion d’étudier personnellement le phénomène dans son état classique. C’est pourquoi, paradoxalement, le cas le plus fréquent sera le moins traité ici ; il est aussi mieux connu dans son ensemble et quelques allusions suffiront à le rappeler.
72Le cas le plus simple semble être celui du territoire de Saint‑Martin‑de‑la‑Brasque, où se crée la fortification sous la forme d’une motte d’éperon attestée à la fin du xie s. (Fixot 1975). Dans la dépendance de la fortification, sur la pente apparaît une occupation, tandis que l’église paroissiale se dresse alors au fond du vallon, en position basse par rapport à l’ensemble d’un habitat de forme assez lâche qui, conservant son caractère ancien par rapport aux formes castrales du xiie s., ne fut jamais organisé à l’intérieur d’une enceinte.
73Ailleurs, il apparaît que le système castral a d’abord ajouté un lieu de culte supplémentaire et rival par rapport au réseau existant dont la densité, parfois impressionnante, résultait de la marque laissée par chacune des différentes strates déjà décrites. Nous avons eu l’occasion de constater par exemple, le processus selon lequel, dans la dépendance topographique d’une fortification apparaît l’église ou la chapelle castrale. Nous connaissons ainsi le phénomène dans le cas de la motte castrale de Sannes, sans avoir pu le constater de manière archéologique. Ici, l’église castrale, sous le vocable de Saint‑Michel, est toujours restée en retrait par rapport à l’importance accordée à l’église paroissiale, placée sous le vocable de Saint‑Pierre, qui se trouve, à une certaine distance de la motte, dans un contexte archéologique beaucoup plus riche et aussi plus ancien. L’église castrale, église neuve dans la première moitié du xie s., et restée secondaire a disparu, conséquence peut‑être du fait que le château lui‑même ne parvint jamais, pas plus que l’église paroissiale d’ailleurs, à fixer ou organiser un habitat (Fixot 1976).
74Une église castrale semblable se trouve aussi dans la dépendance de l’une des plus anciennes mottes castrales connues et repérées en Provence, celle de Clermont, qui domine le bassin d’Apt (Fixot 1974). L’église s’est ajoutée, sur le terroir, à celle de la résidence épiscopale de Tourrettes, souvent désignée elle‑même en temps que villa puis castrum. Toutes deux sont encore en élévation dans leur état du second art roman.
75Dans le cas d’une fortification privée qui compte parmi les plus anciennes repérées en Provence, nous avons eu l’occasion d’étudier l’église édifiée au xie s. en contrebas de la fortification qui est connue au commencement du xiie s., sous le nom de bastida de Baniols (Fixot 1985). Cet édifice, sur le territoire de Saint‑Maximin, a complété un réseau d’origine antérieure, composé de trois prieurés victorins et d’un prieuré de l’abbaye de Montmajour, ce dernier étant relativement proche. Le toponyme de Saint‑Maximin illustre d’ailleurs le cas assez rare du caractère dominant du prieuré dans sa concurrence par rapport au réseau castral.
76Pour la période des grands castra, on sait que cette concurrence, qui ne fut pas pas toujours systématiquement défavorable au prieuré, a été illustrée à Rougiers (Démians d’Archimbaud 1981). La construction d’une chapelle castrale, qui était aussi une chapelle de porte, dans le château proprement dit, fut un moyen de desservir le castrum, alors que le service paroissial était maintenu dans un édifice d’origine antérieure, situé en contre‑bas, dans la plaine, le prieuré de Saint‑Honorat. Ce maintien de la fonction paroissiale dans un édifice antérieur au castrum a aussi été signalé, par exemple à Cadenet, selon l’interprétation donnée par E. Sauze (Ministère de la culture 1981).
77Mais le processus le plus fréquent paraît être celui que l’étude du terroir de Notre‑Dame d’Avinionet, à Mandelieu, semble avoir révélé : le castrum édifié à la fin du xiie s, regroupait dans une même proximité le château et l’église, qui prit la fonction paroissiale, aux dépens des sites plus anciens. Ceux‑ci gardèrent encore quelquefois une fonction funéraire traditionnelle, qui alla en s’étiolant. Le même processus est en cours d’étude dans le cas du château de Ventabren (Rinalducci 1989), où, malgré l’existence ancienne, sur le terroir, des prieurés de Saint‑Honorat et de Saint‑Rémy, l’église paroissiale médiévale fut bâtie, vers la fin du xiie s., dans la dépendance étroite de la fortification élevée simultanément : elle y fut d’ailleurs englobée à la fin du Moyen Âge lors de l’agrandissement du périmètre défensif. À son chevet, à l’extérieur de la fortification s’étendait le cimetière paroissial. Du réseau castral dépend ainsi pour l’essentiel, en Provence, la mise en place du réseau paroissial. Mais à ces images impressionistes, dues au caractère ponctuel de la recherche archéologique, devraient maintenant se substituer des enquêtes plus sérielles avec les recherches commencées sur les bourgs castraux (Lagrue 1990).
1.4.7 Des cas divers
78C’est ainsi, à partir d’exemples monographiques connus par un certain nombre de fouilles, que l’on peut essayer de retracer les différentes étapes de la formation du réseau des églises médiévales et esquisser une topographie religieuse des campagnes médiévales en Provence. Nombre de ces exemples constituent une mise en garde devant l’attitude de généralisation ou de surinterprétation, justement en l’absence de fouilles, des phénomènes envisagés selon une trop longue durée. Une attitude critique doit reconnaître qu’il existe des stades intermédiaires, éventuellement des interruptions, qu’il serait dangereux de chercher à gommer par le seul recours à la méthode régressive. En dépit du caractère individuel, des cas d’espèce que la fouille donne souvent l’occasion de considérer, la reconstitution proposée donne selon nous une image d’ensemble à laquelle chacun apportera le correctif de ses propres expériences.
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Notes
1 S’agissant d’une réflexion faite sur un ensemble de données déjà publiées de manière monographique ou en voie de l’être, nous avons choisi de ne pas reprendre l’ensemble des illustrations afin de ne pas surcharger ce volume et en nous contentant, de manière paresseuse, d’y renvoyer le lecteur qui cherchera certaines précisions, ou qui, éventuellement demandera des vérifications.
2 Théodulfe d’Orléans : Capitula ad presbytero parochiae suae. PL, t. 105, cap. IX, col. 194 ; on peut rappeler ici les termes de ce texte précieux dans la mesure où il fait apparaître des préoccupations matérielles originales : « Antiquus in his regionibus in ecclesia sepeliendorum mortuorum usus fuit et plerumque loca divino cultu mancipata et ad offerendas Deo hostias praeparata coemeteria sive polyandria facta sunt. Unde volumus ut ab hac re deinceps abstineatur et nemo in ecclesia sepeliatur nisi forte talis sit persona sacerdotis aut cujuslibet Justi homlnis, quae per vitae merltum talem vivendo suo corpori defuncto locum acquisivit. Corpora vero quae antiquitus in ecclesiis sepulta sunt nequaquam projiciantur sed tumuli qui apparent profundius in terram mittantur, et pavimentum desuper facto, nullo tumulorum vestigio apparente, ecclesia reverentia conservetur. Ubi vero tanta est multitudo cadaverum ut hoc facere difficile sit, locus ille pro coemeterio habeatur, ablato inde altari et in eo loco constructo, ubi religiose et pure Deo sacrificium offerri valeat. »
3 Fouille et étude sous la direction de Y. Codou.
4 Avec une erreur sur la datation de l’église et de la motte dans la publication citée ; toutes deux sont attribuables à la fin du xiie s. La fouille de l’église vient d’être achevée par D. Mouton qui a repris des sondages réalisés par nous en 1969 (cf. Rapport de fouille, service régional de l’Archéologie, Provence‑Alpes‑Côte‑d’Azur).
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994