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L’oppidum de Saint-Blaise du Ve au VIIe s. (Bouches-du-Rhône)

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Gabrielle Démians d’Archimbaud

Conclusion générale

General conclusion

Gabrielle Démians d’Archimbaud

Résumé

Au terme de cette étude, stratigraphie, céramiques et monnaies conduisent à distinguer plusieurs phases de réoccupation ou de crises qui s’échelonnent sur une période discontinue, assez brève (150 à 200 ans). Dans la zone fouillée, l’occupation semble avoir été lâche dans cet espace aux fonctions artisanales. L’activité dans le deuxième tiers du vie s. a dû être interrompue vers 570 par de brutales destructions. Cette crise marque un temps de mutation. Le déclin, puis la disparition rapide de tous les sites contemporains, apparemment abandonnés pour une longue période, rejoignent la problématique concernant toute la basse Provence à l’époque carolingienne.

Texte intégral

1Castrum quoddam nostrum quod vulgo castrum vetus appelant, olim populosum, nunc fere habitare quolibet destitutum quia ex defectu munitionis et clausure in ejusdem castri territorio predia possidentes domicilia tuta babere non passant... dictum castrum velus, quod vers vêtus, inveteratum et dinitum est...

2(G.C.N. Arles no 972, 20 octobre 1231).

3« Ce Castrum vulgairement appelé Château‑Vieux, autrefois très peuplé, maintenant presque désert faute de rempart pouvant assurer la sécurité de ses demeures... Ce Castrum véritablement vieux, vétuste et en ruines...»

4Au terme de cette longue et quelque peu aride étude, sans doute faut‑il s’interroger, et sur la validité de la méthode, et sur son apport intrinsèque. Aucun de nous ne s’illusionne en effet sur le caractère par trop ponctuel de ces fouilles, donc sur leur valeur limitée, ou sur l’aspect très analytique de bon nombre des éléments présentés ici, même s’ils furent mis en rapport autant que cela était possible avec les connaissances acquises ailleurs. Le caractère encore fluctuant de plusieurs d’entre elles montre cependant les difficultés d’approche qui existent encore en ces domaines et en cette période. Peut‑être, dans un tel contexte, n’était‑il donc pas négligeable de se livrer à une recherche approfondie sur un site d’une aussi grande ampleur que Saint‑Blaise : véritable pivot autour duquel s’organisèrent de multiples habitats dispersés qu’il importe maintenant de prendre en compte en fonction des courbes d’occupation ou de désertion enregistrées au cours de ce travail.

5Les fluctuations mises en évidence au cours de cette seconde grande période devaient en effet faire évoluer l’image du site. Sans doute faut‑il en retenir surtout les transformations architecturales et les traces de réelle activité attribuables à la première moitié ou, plus exactement, au deuxième tiers du vie s., jusqu’aux brutales destructions survenues sans doute autour des années 570 : soit en pleine période de rivalité entre les maîtres d’Arles (dont dépendait Saint‑Blaise) et de Marseille et au moment des raids lombards qui, en 574, aboutissaient à la prise d’Arles, au rachat d’Aix et à de multiples razzias dans la Crau (Duprat 1924 ; Busquet 1954 : 114 ; Grégoire de Tours, Latouche 1963 : XLIV ; Février 1964 : 74‑90 ; Baratier 1969 : 92‑95). Quelle qu’en fût la raison exacte, cette crise relativement bien datée ici par les céramiques et les monnaies marque un temps de mutation réel pour ce site. Il ne connut plus, dès lors et pour un demi‑siècle au plus, que de pauvres restaurations conduisant vite à un abandon quasi total, au moins dans la zone examinée ici.

6Une telle évolution, pour surprenante qu’elle soit compte tenu de l’importance effective de ce terroir et des quelques mentions attestant sa suivie à l’époque carolingienne et aux xiexiic s., doit être rapprochée de ce qu’il est possible de savoir de son environnement. Fos et l’anse Saint‑Gervais, avant‑port d’Arles, encore en pleine activité aux vevie s. mais bientôt en déclin ; l’île de Martigues réoccupée au ve s. mais semble‑t‑il désertée au cours du vie s. ; le site de hauteur de Saint‑Michel au nord de l’étang de l’Olivier, près d’Istres, aux fluctuations peut‑être semblables à celles de Saint‑Blaise... Plus encore qu’en ces points d’habitat aggloméré, les recherches récentes concernant l’habitat dispersé apportent ici quelques lumières. Selon les prospections effectuées par Frédéric Trément (Trément 1988 : 67‑82) sous la direction de Philippe Leveau, ce serait une série de 40 à 42 lieux habités qu’il faudrait prendre en compte. Parmi eux 3 villae, dont celle de Lavalduc alors en plein essor ; plus de 34 à 36 petits sites épars en plaine, sur lesquels il a été possible de rassembler une documentation céramologique significative, 3 petits habitats de hauteur enfin, à proximité de l’étang de Berre. Il s’y ajoute une quinzaine de petites nécropoles en sarcophage ou tombes rupestres certes difficiles à dater exactement mais qui ne sont pas sans rappeler les caractéristiques de celle de Saint‑Blaise, exceptionnelle par son étendue et peut‑être sa continuité (Rolland 1951 : 166‑170 ; Kerourio 1976 : 64‑84 ; id. 1981 : 31‑46). De tous ces sites, 11 à peine survivraient (pour combien de temps ?) au début du viie s., si l’on tient compte du faciès céramologique encore si mal connu pour cette période.

7De telles séries suggèrent donc, aux ve et vie s., la permanence d’un habitat sinon de plaine, du moins de zones basses ou de faible altitude face à l’apparition, nouvelle cette fois, d’un habitat de hauteur à caractère plus défensif comme à Saint‑Blaise. Cette dualité apparente, déjà relevée antérieurement en cette région ou sur d’autres terroirs provençaux (Boyer 1965 ; Février 1978 : 226‑242 ; Démians d’Archimbaud 1980‑1982 : 77‑88), s’accompagnait en outre d’une certaine mobilité de l’habitat ouvert. Bien des lieux occupés au cours du Haut‑Empire semblent alors en déclin total ou partiel tandis que de nouveaux points d’exploitation apparaissent. Fragiles et mobiles, ceux‑ci purent être le complément de l’habitat fortifié qui s’organisait simultanément. Les observations réalisées à Saint‑Blaise même prendraient alors tout leur sens ; mais elles souligneraient aussi le caractère relatif et transitoire de cette occupation de hauteur. Et ceci malgré l’effort architectural intense qu’elle impliquait et la création d’églises (Saint‑Vincent, Saint‑Pierre) à fonction peut‑être paroissiale (Février 1978 : 241‑242 ; id. 1994 : 20‑33) dont la suivie elle‑même, bien attestée par les textes, n’est pas assurée archéologiquement et surtout n’a pas donné lieu à la fixation d’un habitat permanent dans leur environnement immédiat, au‑delà des crises décisives des années 600.

8Le déclin puis la disparition rapide de tous ces sites, apparemment abandonnés et pour une longue période dès cette époque, ne font dès lors que rejoindre la problématique concernant toute la basse Provence à l’époque carolingienne. Sans doute Ugium (Saint‑Blaise) et ses églises y restent‑ils mentionnés en 874 (G.C.N. Arles no 214) comme au xe s. en 923 (cart. St‑Victor : no 1 ; Blancard 1878 : 201‑203), vers 950 et en 987 (G.C.N. Arles no 261 ; Rolland 1951 : 151‑154) ou encore entre 993 et 1032 (cart. St‑Victor : no 207), 1037 étant en outre la date probable de rédaction ou d’interpolation du testament apocryphe de Leibulfe daté de 840 lors de son insertion dans le cartulaire de Lérins (cart. Lérins : 262‑265 ; Rolland 1951 : 152 ; id. 1956 : 64 ; Février 1956 : 23‑33). Mais s’agit‑il alors du site lui‑même et de son église –de sa chrétienté plutôt– dite en 874 « dépeuplée par les barbares », dans un bel exemple de mémoire collective attribué sans doute à tort aux Sarrazins sur la foi d’une charte plus tardive (cart. St‑Victor : no 1 ; Blancard 1878 : 202) ? Ou de son terroir avec les salines, la richesse première du site, dont l’exploitation probable au moins dès le ve s. dut continuer comme en témoignent les rares diplômes ou chartes concernant cette microrégion, dès le ixe s. Les termes employés sont peut‑être significatifs : in vico Ugio (testament de Leibulfe), de Ugio (874), in Ugio, salinas... (vers 950), in villa Ugio (987), in loco que vacantUg (fin xe s.)... C’est passer alors de la notion d’habitat structuré à celle de vicus ou de pagus, en attendant l’apparition du terme de castellum. : ecclesiam Beate Marie de Castello veteri, 1153 et 1156 (G.C.N. Arles, nos 573 et 665). Dans cette optique, la renaissance du Castrum de Castelveyre et la création de son rempart au xiiie s., dès 1231 peut‑être, marqueraient la fin de cette évolution et un ultime effort de réorganisation partielle de ce terroir et de sa défense (G.C.N. Arles no 972), en une fausse continuité avec l’ancien habitat antique dont seules les églises auraient maintenu le souvenir et le prestige.

9Si l’étude actuelle nous introduit ainsi au cœur des fluctuations de ce difficile haut Moyen Âge provençal, elle nous en donne aussi, au moins pour les vevie s., une image plus positive et diversifiée. Sur la continuité de la culture et de l’économie antiquisantes d’abord, avec une richesse d’approvisionnement tout à fait saisissante dans ce contexte rural où la réutilisation des vestiges anciens était une priorité. La multiplication des verres, des céramiques et amphores orientales et surtout africaines ou, plus inattendu encore, italiennes –à côté des productions du sud de la Gaule– montre au moins une ouverture à un commerce actif où le sel put jouer un rôle d’échange appréciable. Peut‑être aussi les produits de la mer et, surtout, des étangs dont l’apport alimentaire est incontestable localement mais dont on peut se demander si, sous forme de salaisons, ils ne purent être exportés –seuls les coquillages étant prioritairement réservés à la nourriture immédiate. La présence de la faune domestique et l’appoint, bien que faible ici, de la chasse (aux grands cervidés, il faut le souligner) enrichissent encore ce tableau et révèlent une part d’élevage non négligeable dans un cadre sans doute encore très forestier.

10Mais il faut y ajouter, sur ce site, une interrogation plus précise concernant l’artisanat, en particulier métallurgique et verrier, dont des traces existent à l’évidence. En attendant que des fouilles plus complètes permettent d’en examiner les installations mêmes, il paraît certain que les indices de four, les loupes de fer et coulées de plomb comme les creusets vitrifiés mis au jour dans ces fouilles témoignent d’une activité multiforme. Peut‑être faut‑il y rattacher les découvertes faites par J.‑G. Mège, en contrebas de la falaise, de plusieurs petits flans de plomb ayant pu servir à la frappe de signes monétaires. Monnaies de substitution alors, ou de nécessité : elles purent rejoindre dans la circulation monétaire, à côté de quelques rares pièces en argent et peut‑être de petits bronzes antiques récupérés, quantité de ces pièces minuscules ou constamment recopiées dont la découverte par grandes séries, ici comme à Marseille, souligne les besoins et les carences de cette époque contrastée où de profondes mutations s’amorçaient.

11Mutations décisives et sans doute vécues durement par une population bientôt affaiblie. Que le déclin et le silence soient ensuite si accentués ne fait que rendre plus évidente la crise qui frappa alors cette région côtière presque abandonnée malgré ses richesses naturelles, au contraire du Languedoc proche en redressement plus rapide ou, peut‑être, des zones mieux protégées de l’amère‑pays et de la haute Provence vers lesquelles semble s’être concentré l’essentiel du trafic et sans doute aussi de la population subsistante. L’on s’interrogera probablement encore longtemps sur les causes réelles de ce phénomène dont Saint‑Blaise nous fournit, une fois de plus, un modèle caractéristique. Pestes et maladies endémiques purent y jouer un grand rôle, comme le signale sans cesse pour cette région Grégoire de Tours ; et l’exemple des mortalités du xive s. suffit à rappeler l’intensité des crises démographiques que ces épidémies pouvaient provoquer. Mais cet exemple tardif nous montre aussi comment en quelques décennies –un siècle à peine– une région entière pouvait commencer à revivre dans un contexte redevenu plus favorable. Que l’évolution ait été ici exactement inverse implique la conjonction de causes multiples où, comme le suggérait déjà R. Latouche autrefois (Latouche 1933 : 497), une grande part de responsabilité incombe peut‑être, à l’origine, à ceux qui laissèrent tomber en ruines « l’organisation administrative, militaire et navale romaine dans la région rhodanienne » ‑ l’ampleur de la dépression postérieure rendant ensuite ce mouvement irréversible pour une longue période au moins.

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994

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