4.1 Introduction

1Aussi complexes fussent‑elles, les stratifications observées dans l’ensemble de ces sondages –et résumées dans le tabl. i– ne sont pas sans se compléter et s’organiser de façon cohérente. Sans doute peut‑on regretter que les recherches n’aient pu se poursuivre dans le sondage IV ou que les nivellements (?) postérieurs aient mutilé la stratigraphie dans le sondage III. Empêchant l’observation de la période peut‑être la plus active sur ce site, ces carences ne limitent pas l’intérêt de l’approche effectuée dans un secteur encore mal connu de l’oppidum mais très complémentaire, apparemment, des zones situées plus à l’est, où les travaux purent se développer plus largement. Ici, en effet, l’extension des sondages et surtout la richesse de la stratigraphie permettaient d’atteindre une image plus complète, sinon totale, de l’évolution au fil du temps. Spatialement, malgré l’impossibilité dans les conditions actuelles de mettre au jour des unités d’habitation ou de travail complètes : tâche que l’étendue probable des bâtiments jointe à l’abondance presque écrasante du matériel en place rendra de toute évidence toujours difficile à réaliser à moins de disposer de l’aide d’une équipe nombreuse et de moyens d’étude suffisants. Chronologiquement surtout, et ceci dès les périodes anciennes. Des séquences apparaissent ainsi, qu’il devient maintenant possible de contrôler et de comparer entre elles. Présentées schématiquement dans les figures suivantes, au moins pour les sondages I B et II C (fig. 33, 34), elles conduisent à la définition de phases d’occupation ou de crise d’intensité et de durée variables mais relativement nettes. De telles phases permettent peut‑être de poser en termes nouveaux (ou au moins plus précis) les interrogations concernant la réoccupation de cette partie du site, voire de l’ensemble de l’oppidum ; elles invitent également à reprendre, dans la mesure du possible, l’examen des données acquises dans les zones plus anciennement fouillées.

4.2 Phase I

2FIG. 33A, 34A

3L’importance et la densité des vestiges protohistoriques, dont l’extension jusqu’à l’extrémité nord de l’éperon paraît désormais bien prouvée, forment un premier acquis. Si leur fouille doit être réalisée par une équipe spécialisée, il est évident que leur juxtaposition étroite avec les niveaux postérieurs, rarement encore signalée de cette manière, pose problème à plus d’un titre. Contrairement à ce qui a été observé ou écrit jusqu’alors, il paraît en effet certain que des nettoyages, voire des décapages importants, ont été réalisés lors de la réoccupation : jusqu’aux surfaces de safre (et peut‑être de rue) en I B, où la compacité et l’horizontalité de ces niveaux facilitaient l’organisation de nouveaux sols ; jusqu’à la mise au jour de zones bâties parfois complexes, comme en II ; plus bas encore en bien des cas, en raison des entailles profondes opérées par les fosses démultipliées ensuite ; jusqu’à l’arasement total même, comme dans le sondage III où la remontée progressive du substrat calcaire obligea peut‑être à une destruction devenue apparemment ici quasi totale. Seule l’étude plus approfondie des niveaux en place et de leur matériel pourrait permettre de préciser si des discontinuités importantes existent par rapport aux données acquises en d’autres points de l’oppidum, dont la ville basse aux longues stratigraphies. Mais il importe néanmoins de noter dès à présent ces phénomènes : outre la prudence qu’ils requièrent quant à l’interprétation des vestiges subsistants, ils obligent aussi à tenir compte, en contrepartie, des possibilités de continuité dans l’organisation même des nouveaux habitats.

4Il est assuré en effet que la connaissance ainsi acquise des structures en place favorisa des reprises ou des reconstructions parfois très conséquentes : l’implantation tardive fossilisait mais, aussi, curieusement, redonnait vie à des schémas d’urbanisation bien antérieurs. Perçu en de multiples points de ces fouilles, ce procédé apparaît encore avec évidence dans les sondages I B et II (fig. 8b et 19a). Le montage schématique des coupes placées ici dans la même orientation (fig. 32a et b) peut en ce sens être significatif. Outre les superpositions de murs de diverses périodes, tous implantés au‑dessus de structures hellénistiques, les anomalies de niveaux détectables entre ces diverses fouilles, à moins de deux mètres de distance, laissent supposer dans la zone médiane non fouillée la présence de substructions importantes et d’origine ancienne. De direction est‑ouest, elles durent clôturer l’espace bâti en I B Nord ; elles justifiaient aussi l’existence de la butte argileuse préservée entre ce terrain et les habitations II situées en contrebas, plus au nord, sur l’autre face du mur protohistorique M10. Destructions et reprises se mêlent ainsi, donnant un faciès spécifique à ce site et à ses occupations tardives dont l’enchevêtrement originel devait être encore plus complexe.

4.3 Phase II

5FIG. 34B

6Le caractère extrêmement sporadique et limité, dans le temps comme dans l’espace, des traces d’occupation attribuables à la première moitié ou, plus exactement encore, au deuxième quart du v^e s. reste très surprenant. Perceptibles seulement, et de façon très ténue, en deux points des fouilles actuelles (sondages II et III), elles peuvent s’expliquer par le caractère relativement écarté de la zone examinée, loin du rempart hellénistique peut‑être déjà repris en élévation alors. L’on peut cependant se demander si leur dispersion même ne correspond pas à une réalité plus ample et si elle ne signale pas une occupation partielle et encore lâche d’une bonne part de l’oppidum en ces temps marqués, rappelons‑le, par le passage des Wisigoths d’Alaric.

7L’examen de l’ensemble des céramiques claires D découvertes anciennement sur le site (fouilles H. Rolland) permet, on le verra plus loin (2^e partie), de préciser cette hypothèse par la mise en évidence des types signifiants et de leurs pourcentages respectifs au fil du temps. La tâche est compliquée cependant par les incertitudes actuelles pesant sur les lieux exacts de découverte et, surtout, par la longue durée éventuelle d’utilisation de ce matériel de table –le poids élevé des céramiques résiduelles restant à toute période l’un des traits marquants de ce site. Dans le même esprit, une enquête similaire doit être effectuée dans le médailler déposé à Saint‑Rémy‑de‑Provence afin de déterminer la fréquence relative des documents des iv^e‑v^e s. trouvés autrefois à Saint‑Blaise. Si les progrès accomplis au cours des dernières décennies dans les domaines céramologiques et numismatiques permettent en effet maintenant d’affiner les connaissances, l’on ne saurait cependant oublier, en ce dernier domaine, la fréquence relative des remises en circulation des monnaies plus anciennes que l’époque de leur dernière utilisation. Le cas apparaît encore dans les fouilles actuelles où près du dixième des monnaies découvertes dans les niveaux de la réoccupation (pièces pré‑romaines et médiévales exclues) correspond à ce cas. un dixième seulement, pourrait‑on dire aussi : ce serait en effet, à un autre point de vue, peu pour affirmer une réelle densité de l’occupation au cours des premières décennies du v^e s., en ce secteur au moins. Et ceci d’autant plus que des ruptures apparaissent ensuite, très sensibles même (et surtout) dans les zones les plus anciennement remises en état.

4.4 Phase III

8FIG. 33B, 34C

9Une véritable discontinuité chronologique se dessine en effet ensuite, ainsi qu’un net changement fonctionnel des zones examinées. Bien apparente dans les sondages I B et même III (mais ici plutôt sous des faciès de dépotoir ou de destruction), la phase III ne peut être antérieure, d’après les céramiques et les monnaies, à la seconde moitié du v^e s. ; elle put se poursuivre jusqu’au tout début du vi^e s., se divisant alors en deux étapes.

10Dans cette période, les secteurs occupés prennent un caractère artisanal bien marqué. La mise en place d’un four de fusion du plomb (sondage I B Sud) et la découverte de nombreux débris de laitier et de mâchefer indiquent un travail du métal relativement intense. Il est possible même de se demander s’il ne correspond pas, non seulement à la fabrication d’objets usuels, mais aussi à la création de monnaies de nécessité dont de nombreux exemplaires ont été retrouvés sur le site : la découverte en contrebas de la falaise et à l’aplomb de la fouille de plusieurs flans de plomb (découverte J.‑C. Mège) pourrait tendre à confirmer cette hypothèse. Il est certain en tout cas que la finalité fonctionnelle de cette zone indique alors, après une rupture de l’occupation, un réaménagement d’ensemble de l’oppidum suivant un plan apparemment réfléchi et global. Effectués parfois jusqu’au contact des niveaux protohistoriques, ces travaux impliquaient au moins l’idée de la durée. Et il serait tentant d’attribuer à cette période troublée, où Wisigoths et Burgondes se disputaient la Provence tandis que (Empire s’effondrait, la renaissance du schéma « urbanistique » du site, et même, si cela n’avait pas été réalisé au cours de la phase précédente, la construction du rempart dit paléochrétien au‑dessus de l’ancienne enceinte hellénistique. Travaux bientôt accompagnés, dans les fouilles mêmes comme sans doute ailleurs, d’une réorganisation certaine de l’habitat. Dans un tel contexte, la refonte des bâtiments I B désormais organisés autour d’une vaste cour centrale peut apparaître comme un effort révélateur. Peut‑être signifiait‑il aussi l’éloignement des installations métallurgiques, aux nuisances bien réelles, de la » ville » toute proche dont l’extension s’avérait nécessaire ? Quoi qu’il en soit, il est certain que l’évolution allait s’accélérer dès le deuxième quart du vi^e s.

4.5 Phases IV, V, VI

11FIG. 33C et D, 34D etE

12une période d’intense activité réapparaît en effet au cours de la première moitié du vi^e s, et jusque vers 561‑570 environ, soit au temps de la difficile domination franque. Plusieurs épisodes se succèdent rapidement, bien perceptibles dans l’ensemble des fouilles. Après un temps de nettoyage du terrain et de creusements de vastes fosses, en I B comme en II, peut‑être pour la recherche d’argile nécessaire aux bâtiments partiellement en torchis, la création de plusieurs constructions et de multiples sols d’occupation apparaît. Ces derniers, souvent associés à des foyers, étaient nombreux dans les secteurs d’habitation ou de travail. Ils furent remplacés dans la vaste cour créée au sud (I B Sud, couche 6) par une couche d’occupation épaisse et très compacte, presque dammée, qui tranchait par sa nature avec les terres sous‑jacentes ou supérieures. De même, l’une des dernières fosses créées alors, près des maisons II, ne contenait‑elle que du matériel de destruction ou de dépotoir attribuable au milieu du v^e s., (II Sud, fosse 7f2a), tout se passant comme si la réorganisation en cours entraînait des arasements ou des remblaiements nouveaux. La multiplicité des données stratigraphiques et l’abondance du matériel permettent de bien cerner cette phase dans le temps ‑ l’essentiel de cette activité semblant s’être déroulé autour des années 540‑560 environ.

M. Rodot del

13Celle‑ci s’interrompt cependant brutalement au cours des années 560‑570 à peu près (datation fournie aussi bien par les monnaies que par les céramiques) : temps où une grave crise semble être intervenue. Les marques de destruction se multiplient dans l’ensemble des sondages : effondrement des toitures (le plus bel exemple étant sans doute fourni par le sondage I B), voire des murs, création d’amas de pierres comblant des fosses ou repoussés en vrac dans certaines parties du site, etc. Sans trace d’incendie, la simultanéité de ces épisodes de destruction indique à tout le moins une phase conflictuelle quasi générale, qu’il serait tentant de rapprocher des luttes opposant alors les maîtres d’Arles et de Marseille, Gontran et Sigebert. Quelle qu’en fût la raison, ses conséquences furent considérables et le site tout entier ne devait en fait pas s’en relever réellement.

4.6 Phase VII

14FIG. 33E, 34F

15La phase postérieure, inscrite essentiellement entre les années 570/580‑600 environ, frappe en effet par le caractère élémentaire ou pour le moins sommaire des réaménagements effectués. Si la réoccupation fut réelle et même intense parfois, elle s’accompagna de remises en état très limitées des terrains et de reconstructions partielles. Parfois même, des destructions continuèrent à se produire, conduisant à l’abandon progressif d’espaces encore habités une ou deux décennies auparavant. Ce fut le cas par exemple dans le sondage II où, après être passé successivement de deux maisons indépendantes au milieu du vi^e s. à une seule, partiellement rebâtie et accompagnée d’annexes aménagées dans une ancienne ruelle ou dans les ruines, l’on arriva alors à un nouveau schéma d’occupation : cette fois au‑dessus des couches de destruction de plus en plus nombreuses, épaisses et égalisées grossièrement en surface. Dans ce cadre, le difficile maintien de la maison orientale s’accompagna de la création de foyers extérieurs à l’habitation, isolés d’elle et protégés sommairement par de petites murettes de pierre sèche aux matériaux empruntés aux décombres. La même évolution se retrouvait dans le sondage I B. L’exhaussement des sols, aussi rapide, annulait ici encore les anciennes divisions spatiales héritées des temps antérieurs. Dans cet espace ainsi unifié, des structures très légères pouvaient apparaître : de simples clôtures (?) de bois inscrites entre quelques piquets plantés dans le sol, voire une murette en pierre sèche, suffisaient pour cloisonner cette zone désormais partiellement abandonnée. Seules les constructions découvertes en bordure du sondage IV pourraient indiquer une réoccupation bien organisée de cette vaste terrasse qu’il serait intéressant, dans cette optique, de fouiller plus largement.

4.7 Phase VIII

16FIG. 33F, 34G

17Dès les années 600, cette désorganisation de l’habitat s’accrut. Malgré la présence, dans le sondage II surtout, de sols encore relativement nets, c’est en fait un temps de destruction et d’abandon qui s’instaurait. L’écroulement des toitures et cette fois des murs fut rapide, entraînant des amas compacts et épais de décombres. Des niveaux d’épandage les recouvrirent bientôt, correspondant parfois à l’apparition de matériels plus anciens, en stratigraphie inversée. Tout semble s’être passé comme si, renonçant à une occupation stable en ces secteurs, l’on avait voulu régulariser sommairement la surface du sol afin peut‑être de le rendre accessible à nouveau aux troupeaux avant de l’abandonner totalement.

4.8 Phase IX

18La réoccupation médiévale, cinq siècles plus tard, à peine attestée ici par l’apparition de quelques céramiques et monnaies éparses, se signala surtout par la création au xiii^e s. du rempart clôturant le castrum de Castelveyre établi à la pointe du promontoire calcaire. Tranchant les niveaux antérieurs jusqu’aux sols du début du v^e s., ce rempart dut s’accompagner d’un dernier nivellement des terrains extérieurs, ne fut‑ce que pour des raisons de sécurité. Village éphémère cependant et qui ne résista pas aux crises de la fin du xiv^e s. C’était alors le prélude à de nouveaux comblements effectués un siècle peut‑être après l’abandon définitif du village fortifié, déserté dès les années 1400. Les derniers exhaussements furent enfin réalisés, au tout début du xix^e s. (monnaie de Napoléon I^er en II, niveau 2) : temps qui peut aussi correspondre à la création de la murette récente bâtie au‑dessus de l’étang de Lavalduc en rétrécissant l’ancien espace occupé.

19La mise en évidence de ces phases permet donc de restituer une histoire certes brève mais relativement intense et dont les correspondances avec ce que l’on peut savoir de l’histoire provençale sont faciles à établir. Saisissantes même parfois comme dans le cas des destructions apparues vers 561‑570, Saint‑Blaise semblant bien être victime alors des luttes fratricides opposant les héritiers de Clotaire, les maîtres de Marseille et d’Arles au territoire de laquelle l’oppidum paraît devoir être rattaché. Il en est de même de l’abandon au début ou au cours du vii^e s. : époque sombre s’il en fut en basse Provence, sur le plan démographique au moins. S’il reste irritant de ne pouvoir déterminer si quelque autre partie de l’oppidum put encore rester occupée (les pentes de l’« acropole » ?), rien ne semble confirmer, au vu des données actuelles, un réel maintien de l’activité sur ce site de hauteur après la lente désorganisation de l’extrême fin du vi^e et du début du vii^e s. Sans doute l’exploitation des étangs et des salines –la principale ressource de ce terroir– dut‑elle encore se poursuivre comme le suggèrent quelques textes plus tardifs. Mais le caractère quelque peu discontinu de l’occupation peut laisser penser à un habitat réduit et plus dispersé. Il paraît bien en effet que, malgré sa faible altitude, l’oppidum servit plus de refuge en cas de crise que de lieu de vie constant. Phénomène surprenant au vu de l’effort de reconstruction accompli, dès le deuxième quart du v^e s. peut‑être ou, en tout cas, quelques décennies plus tard, lors de la longue période de troubles qui s’ouvrit. Malgré cette incertitude originelle que seule pourrait résoudre une fouille effectuée –mais sur quel secteur encore préservé ?– à proximité du rempart et des églises, les données rassemblées semblent suffisamment sûres pour constituer un cadre global, un canevas autorisant une réflexion nouvelle sur le site. Sur son économie et sa culture également, bon reflet d’une réalité provençale que l’importance même de l’oppidum, sa situation géographique à proximité de la mer et des étangs, ses liaisons avec l’intérieur permettent de percevoir avec une certaine ampleur.