Version classiqueVersion mobile

L’oppidum de Saint-Blaise du Ve au VIIe s. (Bouches-du-Rhône)

 | 
Gabrielle Démians d’Archimbaud

Introduction

Introduction

Résumé

A mi‑distance de Marseille et d’Arles, près du delta du Rhône, cet oppidum est implanté sur un promontoire naturel entre des étangs, à peu de distance de la mer. Cette position géographique privilégiée en fit dès le viie s. av. J.‑C. un centre de grand commerce lié à la récolte du sel. A l’époque hellénistique, une puissante enceinte fut construite. L’abandon survint avec la romanisation. Mais une réoccupation se produisit bientôt : l’enceinte fut exhaussée, des églises construites et la « ville » habitée. Cette réoccupation déjà mise en évidence avait cependant moins attiré l’attention des premiers fouilleurs que les vestiges plus anciens. Il était donc utile de reprendre l’étude dans un secteur non fouillé, au nord‑ouest de l’oppidum. De 1980 à 1985, six campagnes permirent d’établir une stratigraphie périodisée du ve au début du viie s. ap. J.‑C. et de rassembler un matériel considérable.

Texte intégral

1« Site fondamental pour l’histoire du midi de la Gaule, passionnant pour les archéologues [...] et superbe dans son cadre naturel » (Bouloumié 1984 : 4) : le médiéviste ne peut que souscrire à cette opinion de Bernard Bouloumié qui, après Henri Rolland et ses assistants (Rolland 1951 : 149, 204, 209, 260‑268 ; id. 1956 : 57‑85 ; id. 1963 : 430‑432 ; id. 1964a : 7‑15 ; id. 1964b : 569‑572), s’est efforcé de déchiffrer la longue et riche stratigraphie de l’oppidum magnifiquement inscrit entre les étangs de Citis, Lavalduc et d’Engrenier, à peu de distance de Fos et de la mer (fig. 1). Comme il est naturel, cette recherche effectuée avec une équipe nombreuse et bientôt diversifiée s’est intéressée d’abord et avant tout à l’interprétation des vestiges les plus anciens, largement dégagés et mis en évidence par les premiers fouilleurs mais dont il importait de continuer l’examen et si possible de resserrer la chronologie. L’étude du rempart hellénistique (Rigoir 1981) poursuivie avec M. Fincker et H. Tréziny, celle des niveaux profonds, tragiquement interrompue par le décès brutal de Charlette Arcelin‑Pradelle, ont marqué ces dernières années (Bouloumié 1982 ; Bouloumié et al. 1984). Simultanément, de multiples travaux ont permis de progresser dans la connaissance du matériel anciennement ou récemment découvert : céramiques et amphores en particulier, importées ou fabriquées régionalement. Leur présence sur ce site ouvre de larges aperçus sur l’économie, le commerce et la finalité même de cet établissement « préphocéen », à l’évolution spectaculaire et qui forme sans doute, avec son environnement, l’une des plus importantes et complexes réserves archéologiques de la région (Trément 1988).

FIG. 1 – L’oppidum dans son environnement « lacustre ». Détail de la carte de Matheron pour la Statistique des Bouches‑du‑Rhône, 1825. Ech. 1 : 25 000.

2Peu en revanche avait été fait jusqu’à ces dernières années pour la connaissance des niveaux dits paléochrétiens. Sans doute l’étude stratigraphique réalisée dans le sondage Q 8/9 traversa‑t‑elle des couches attribuables à la dernière période d’occupation du site : le « Saint‑Biaise VI » d’après B. Bouloumié (Bouloumié 1980 : 22, 24, 25, 56, fig. 4). Mais l’on ne pouvait attendre que des indications réduites d’un si petit sondage (5 m2 de surface) implanté d’ailleurs dans une zone partiellement fouillée antérieurement à ces niveaux par H. Rolland (fig. 3). Aussi faut‑il toujours se reporter aux études réalisées par ce dernier pour connaître l’importance de la réoccupation du très haut Moyen Âge. La construction sans doute sommaire mais puissante du nouveau rempart scandé désormais de dix fortes tours dont six en hémicycle et quatre à plan quadrangulaire, la création de plusieurs églises –l’une, Saint‑Vincent, près de l’ancienne poterne hellénistique, l’autre, Saint‑Pierre I, remaniée ou reconstruite plusieurs fois, à proximité de l’actuelle chapelle de Notre‑Dame et Saint‑Blaise, bâtie au cœur du village médiéval de Castelveyre– témoignent autant de la volonté de défense que d’une organisation presque proto‑urbaine. Celle‑ci était confirmée encore par l’implantation, sur les ruines de l’ancienne ville basse, de multiples constructions d’habitation et de travail qui reprennent en grande partie les tracés des maisons anciennes. Des superpositions complexes apparaissaient ainsi, déroutantes parfois au dire même du fouilleur tant elles semblaient rapides (Rolland 1956 : 22‑23 et 57). Elles témoignaient en fait, et les fouilles actuelles devaient bien le montrer, de multiples phases d’aménagement et d’évolution qu’il importait d’essayer de mieux percevoir et dissocier.

3Tâche difficile mais non impossible dans l’absolu, en ces temps où la connaissance des critères céramologiques de cette époque s’affine. Et ceci malgré la faiblesse impressionnante des moyens disponibles face à l’étendue des besoins sur un tel site. Il n’était ainsi plus question d’envisager, comme on avait pu le faire autrefois, des fouilles de grande envergure : les seules susceptibles cependant, notons‑le bien, de fournir une documentation architecturalement suffisante pour comprendre l’extension d’un bâtiment, son organisation, ses diverses fonctions. S’il fallait renoncer actuellement à un tel objectif, à notre grand regret, l’on pouvait du moins envisager la réalisation de sondages stratigraphiques précis bien que limités en superficie. Sans renouveler l’expérience du sondage Q 8/9 trop étroit, il semblait possible de réaliser quelques fouilles en des points suffisamment complémentaires pour obtenir des indications sur les zones encore peu étudiées du site. Le premier objectif portait sur la réalisation d’une coupe au travers de la pente sud de l’« acropole » : la butte dominant la ville basse et dont les terrasses bien protégées pouvaient avoir servi d’ultime retranchement au cours du haut Moyen Âge. Pour diverses raisons, l’autorisation de réaliser cette série de sondages échelonnés au travers de la pente boisée n’a pu être obtenue. Il sembla alors préférable de concentrer les efforts sur le vaste espace proche du rempart médiéval, dans la partie nord‑ouest du site restée encore à peu près totalement inexplorée malgré sa position privilégiée au‑dessus de l’étang de Lavalduc (fig. 2).

FIG. 2 – Plan général du site avec indication des zones fouillées

restitution photogrammétrique par A. Carrié/CNRS‑CRA

4Après la mise en place d’un nouveau carroyage raccordé à celui effectué autrefois sur la ville basse et la partie haute de l’oppidum, cinq sondages exploratoires furent donc ouverts, de part et d’autre du prolongement de la rue principale qui, partant de l’ancienne poterne puis de l’église Saint‑Vincent, devait parcourir toute l’étendue de l’habitat. Les résultats obtenus, décrits plus loin, amenèrent à élargir notablement les recherches dans la zone est (fig. 3). L’on ne put en revanche envisager, avec les moyens actuels, de réaliser la fouille par grande surface qui aurait été nécessaire à l’emplacement de la terrasse occidentale, compte tenu des bâtiments apparus. De même, et plus gravement, l’on dut renoncer à exploiter complètement les renseignements fournis par une prospection magnétique effectuée gracieusement par le CEA‑LETIGAMCIS de Grenoble (Mme Lemercier et son équipe) en 1982‑1983 (fig. 4). La multiplicité des sondages de vérification à effectuer dans ce terrain difficile rendait le travail impossible dans les délais actuels. Il était évident, en effet, que, s’il s’agissait véritablement d’anomalies profondes, des dégagements importants seraient nécessaires pour leur mise au jour et leur compréhension. Aucune indication précise de structures bâties ne put en revanche être obtenue par cette méthode, sans doute mal adaptée à l’étude de ce site ennoyé sous ses propres décombres, sur des épaisseurs souvent considérables. Seuls des jalons préliminaires à des travaux plus amples ont été ainsi posés. Mais leur intérêt n’est peut‑être pas négligeable si l’on veut bien considérer qu’il s’agit, en fait, de la première étude stratigraphique fine réalisée ici pour ces périodes tardives et que les résultats apparus permettent de restituer, pour cette partie de l’oppidum au moins, une chronologie de l’occupation aux mouvances parfois surprenantes.

FIG. 3 – Les sondages et le carroyage du secteur réalisé par A. Carrié (CNRS‑CRA).

FIG. 4 – Les anomalies magnétiques d’après la prospection CEA‑LETIGAMCIS

fond de plan A. Carrié/CNRS, mise au net J.‑P. Pelletier/ LAMM

5Ce travail n’aurait cependant pas abouti sans de longues études sur le matériel datant, céramiques et monnaies en particulier. Surabondantes (plus de 83 000 tessons), les premières posaient par leur masse même et par leur difficulté d’interprétation des problèmes évidents. Pour des raisons différentes, il en était presque de même des secondes, 87 au total, bien représentatives des mutations qui se produisaient alors dans la production et la circulation monétaires. Domaines mal connus encore mais heureusement en rapide progrès au cours de la dernière décennie, en France du Sud comme à l’étranger. Apportant sa contribution à ces recherches, la fouille actuelle de Saint‑Blaise bénéficia ainsi de ces apports qui obligèrent cependant à de multiples observations et relectures bien perceptibles dans les études présentées plus loin par les différents chercheurs associés à cette enquête. L’on ajoutera à ces travaux fondamentaux –l’un des apports majeurs sans doute de ce site– la relative abondance et richesse des objets en verre : luxe fragile et inattendu dont l’étude ici encore comparative introduit de nouvelles données sur le développement de cet artisanat et de son commerce à cette époque.

6Dernier volet de ces recherches : l’alimentation, dont l’étude s’imposait d’autant plus ici que les occupants de l’oppidum puisèrent, comme dans les époques antérieures mais de façon quelque peu différente, à de multiples sources d’approvisionnement. Plus que la mer, les étangs fournirent ainsi une contribution importante à l’équilibre alimentaire. En comparaison, les sondages effectués dans la masse des ossements recueillis en stratigraphie révèlent la prédominance d’une faune domestique – la chasse ne constituant guère qu’un appoint presque négligeable alors face à l’élevage et à la pêche.

7Ainsi se dessine à grands traits l’évolution des recherches effectuées récemment sur cet oppidum, centre essentiel d’un terroir encore largement occupé aux vevie s. mais en crise ensuite, comme le montrent les prospections effectuées en particulier par F. Trément (Trément 1988 : 65‑89). L’étude analytique présentée ici s’inscrit ainsi dans un ensemble plus large de travaux dont elle forme l’un des éléments, peut‑être non négligeable compte tenu de l’importance du site. Sans doute cet essai d’interprétation devrait‑il être affiné et complété en bien des points, si l’on pouvait disposer d’une documentation plus précise sur d’autres parties de l’oppidum, spécialement près du rempart ou au cœur des zones les plus densément occupées de la ville basse. Du moins permet‑elle, en l’état actuel de la recherche, de cerner quelques traits d’une réoccupation complexe, de poser diverses questions et, à terme, de risquer quelques hypothèses d’interprétation.

Table des illustrations

Légende FIG. 1 – L’oppidum dans son environnement « lacustre ». Détail de la carte de Matheron pour la Statistique des Bouches‑du‑Rhône, 1825. Ech. 1 : 25 000.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39900/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 331k
Légende FIG. 2 – Plan général du site avec indication des zones fouillées
Crédits restitution photogrammétrique par A. Carrié/CNRS‑CRA
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39900/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 153k
Légende FIG. 3 – Les sondages et le carroyage du secteur réalisé par A. Carrié (CNRS‑CRA).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39900/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 86k
Légende FIG. 4 – Les anomalies magnétiques d’après la prospection CEA‑LETIGAMCIS
Crédits fond de plan A. Carrié/CNRS, mise au net J.‑P. Pelletier/ LAMM
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39900/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 85k

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994

Licence OpenEdition Books

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.

Lire

Open access

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search