5.1 Introduction

1Bien que l’intérêt des études palynologiques de sédiments issus d’inhumations préhistoriques ait été mis en évidence depuis longtemps (Leroi‑Gourhan 1968 ; 1975), les analyses de nécropoles sont à ce jour peu abondantes (Girard 1986a). En effet, la nature des sédiments étudiés, terres préalablement extraites puis redéposées ou infiltrées, aussi bien que la ponctualité de l’échantillonnage, sont autant de limites à une réelle connaissance de l’environnement et des dynamiques de végétations (Girard 1986b). Leur apport est plutôt dans une approche de rites funéraires (Girard 1973a).

2Les trois nécropoles protohistoriques du Sénonais mises au jour sur le tracé de l’autoroute A5 ont fait l’objet d’une analyse palynologique. A cette occasion a été développée une démarche consistant d’abord à tester la fiabilité des sédiments, puis, sur la base de ces premiers résultats, à réaliser un échantillonnage adapté à la problématique posée.

3Nous avons tenté de prélever des échantillons à la fois dans les sépultures et dans les fossés d’enclos ; ces derniers servant de référence quant à la connaissance du milieu et à l’éventualité d’une pollution subactuelle. Afin d’appréhender de possibles pratiques funéraires, les échantillons ont été multipliés dans différentes sépultures et en plusieurs points de ces structures. En fait, cette démarche n’a été menée à bien que pour la nécropole de Serbonnes/La Créole où des prélèvements ont été réalisés sur deux profils du fossé d’enclos et dans dix sépultures. A Michery/La Longue Raie, seules trois des sept sépultures mises au jour ont été échantillonnées ; le fossé de l’enclos était trop érodé pour autoriser des prélèvements. Enfin, l’importante nécropole de Soucy n’a donné lieu à un échantillonnage que sur le remplissage de deux fossés d’enclos non contemporains.

5.2 Serbonnes/ La Créole

4Sur la nécropole laténienne de Serbonnes, les prélèvements ont été réalisés conjointement dans le fossé et dans les sépultures (fig. 4). L’enclos a été échantillonné sur ses deux longs côtés, au nord en section I‑I’ et au sud en C‑C’. Les deux prélèvements de base de C‑C’ et ceux provenant de I‑I’ correspondent aux premières phases de comblement du fossé par des limons gris puis jaunes, jusqu’à obtention du profil d’équilibre. Le troisième échantillon de C‑C’ est attribué quant à lui au remblaiement final (limon brun) qui a pu se dérouler après un laps de temps assez long (cf. chap. 2). Des prélèvements ont été pratiqués également dans dix des vingt‑cinq sépultures mises au jour, couvrant ainsi les deux phases d’inhumation mises en évidence ; pour la moitié en un seul endroit, le plus souvent sous la tête. Dans les cinq autres, des sédiments ont été extraits en deux points de la structure, généralement sous le crâne et sous les membres inférieurs. Le sédiment contenu dans un crâne a également été recueilli afin de vérifier l’éventuelle protection ainsi assurée (Firmin 1980).

5.2.1 Le fossé de l’enclos E1

5tabl. vi

6L’étude de cinq échantillons issus du remplissage du fossé nous a permis l’individualisation de 38 taxons. Sur les 11 essences arboréennes seules 5 (l’Aulne (Alnus), le Noisetier (Corylus), le Pin (Pinus), le Tilleul (Tilia) et le Frêne (Fraxinus) sont présentes dans tous les spectres. L’Aulne est toujours l’essence dominante (0,8 à 7,1 %), suivi par le Noisetier (0,8 à 5,4 %) en section I‑I’ et le Pin (0,4 à 4 %) sur le profil C‑C’. Le Frêne et le Tilleul ne sont jamais abondants (2 % au maximum), Tous les autres ligneux ne dépassent pas 1 % de représentation. Les taux de pollens d’arbres varient de 3,8 à 18,1 %. En section I‑I’, ces fréquences sont stables (17,8 à 18,1 %) alors qu’en C‑C’ elles régressent de 16,5 % à 9,8 % puis 3,8 %.

7Les herbacées dominent largement les spectres polliniques, tant en abondance (74,4 à 92,3 %) qu’en diversité. Sur les 22 taxons individualisés, seules les Composées liguliflores, les Poacées et les Cypéracées sont présentes dans les 5 échantillons, mais Plantago lanceolata, Rumex et les Urticacées ne sont absents que dans le prélèvement 3. Les liguliflores sont toujours majoritaires avec une représentation très souvent supérieure à la moitié des stocks polliniques décomptés. Les Poacées les suivent, avec des fréquences de 11,5 à 21,1 %. Tous les autres taxons connaissent des taux inférieurs à 5 %. Les Fougères ont une représentation qui varie de 3,8 à 10,8 %, traduisant une hausse dans les seconds échantillons des deux profils.

8La comparaison des deux sections du fossé met en évidence des différences dans l’organisation des spectres polliniques des échantillons de base. Tout d’abord, si l’Aulne est majoritaire dans les deux sections, il est suivi par le Noisetier en I‑I’ et par le Pin en C‑C’. En C‑C’, les ligneux, les Fougères, les rudérales, les Poacées et les hygrophytes connaissent une plus faible représentation car les liguliflores y écrasent tous les autres taxons. L’évolution enregistrée sur les deux profils, entre les limons gris de base (éch. 1) et les limons jaunes (éch. 2), diffère également. Si en I‑I’ le taux de pollens d’arbres reste stable, il chute en C‑C’. De plus, ce sont les arbustes héliophiles qui sont privilégiés clans le premier secteur, alors que le deuxième révèle une diversification de la chênaie‑hêtraie. Enfin, les rudérales connaissent une hausse en I‑I’ alors qu’elles restent stables en C‑C’. En revanche, on constate entre les échantillons 1 et 2 une même baisse des liguliflores, accompagnée d’une hausse des Poacées, des hygrophytes et des Fougères. Enfin, seuls les échantillons 2 contiennent des Céréales, même si elles ne sont présentes qu’en taux infimes.

5.2.2 Les sépultures

9tabl. vii

10Toutes les lames des échantillons issus des sépultures ont témoigné d’une charge certaine en micro‑débris végétaux et en micro‑charbons. Des Concentricystes et des spores de mousses sont également abondants aux côtés des pollens. L’étude de 15 échantillons, issus de 10 structures, a permis l’individualisation de 39 taxons. Sur les 13 ligneux, seul l’Aulne est présent dans tous les spectres polliniques, il est de surcroît majoritaire dans 9 échantillons (0,4 à 5,8 %). Quatre autres taxons arboréens sont souvent représentés, ce sont le Noisetier (majoritaire dans 4 spectres ; 0,5 à 6,1 %), le Pin (majoritaire dans 1 spectre ; 0,4 à 2,5 %), le Tilleul (0,4 à 2 %) et le Frêne (0,4 à 1,1 %). Les autres essences sont sporadiques et n’excèdent pas 1 %. Les taux de pollens d’arbres varient de 2,9 à 14,2 % ; ces variations peuvent avoir autant d’ampleur au sein d’une même sépulture que d’une structure à l’autre.

11Les filicales sont représentées par 4 taxons ; leur représentation varie de 2,1 à 10,4 %, mais elle se situe le plus souvent aux alentours de 5 %.

12Sur les 22 taxons herbacés individualisés, seuls 5 sont présents dans tous les spectres polliniques, soit par ordre d’importance les Composées liguliflores, les Poacées, les Céréales, Plantago lanceolata et les Composées tubuliflores. Trois autres (Urticacées, Cypéracées, Rumex) sont souvent rencontrés. Les liguliflores jouent un rôle extrêmement important ; elles varient de 23 à 49 % et sont prédominantes dans 10 échantillons. La représentation des Poacées oscille de 20 à 41 % ; souvent en fréquences inférieures aux liguliflores, elles sont malgré tout majoritaires dans 4 échantillons. Les Céréales présentent des taux qui varient de 3 à 26,6 % et sont toujours au troisième rang ; dans l’échantillon prélevé dans le crâne, leur proportion est quasi égale à celle des Poacées. Dans toutes les sépultures où deux prélèvements ont été réalisés, les taux de Céréales sont plus élevés au niveau du crâne qu’au niveau des membres inférieurs. Toutefois, dans les 4 structures qui n’ont été échantillonnées que sous la tête, leur représentation est assez faible. Les deux autres herbacées retrouvées dans tous les spectres polliniques présentent des fréquences bien inférieures. Les Composées tubuliflores, sauf dans l’échantillon prélevé sous le crâne de la sépulture 15, ne varient que de 0,4 à 4,2 %. Le Plantain lancéolé ne représente, quant à lui, que 0,5 à 3,7 % du total. Le reste du cortège d’herbes est sporadique et n’excède pas 1,5 %, hormis les Brassicacées qui atteignent 3 % dans la sépulture 21.

5.2.3 Comparaison entre les résultats du fossé et des sépultures

13FIG. 164

14Les taux de pollens arboréens s’avèrent plus élevés dans les spectres issus du fossé, surtout sur la section I‑I’, que dans ceux des sépultures. Seuls 6 échantillons provenant de ces dernières présentent un pourcentage de pollens d’arbres supérieur ou égal à 10, proportion obtenue dans 4 des 5 échantillons de l’enclos. De surcroît, les ligneux sont moins diversifiés dans les sépultures où plusieurs prélèvements n’ont permis l’individualisation que de 3 ou 4 taxons arboréens, alors qu’elle s’élève plutôt à 7 ou 8 dans les spectres polliniques de l’enclos. Si l’Aulne est toujours l’essence majoritaire dans le fossé, suivi par le Noisetier ou le Pin, dans les sépultures la prédominance revient successivement à l’un de ces 3 taxons ; l’Aulne restant souvent le mieux représenté. Au sein des herbacées, les liguliflores ont une incidence plus forte dans les échantillons de l’enclos. Elles représentent plus de la moitié du matériel sporo‑pollinique décompté dans 4 des 5 échantillons, alors que dans les sépultures, les taux les plus élevés n’excèdent pas 49 %. A l’inverse, les Poacées y sont toujours supérieures à 20 %, sauf dans un échantillon de la sépulture 15, alors qu’elles culminent à 21 % dans le fossé. Les rudérales traduisent une représentation presque équivalente dans les deux types de structures, alors que les hygrophytes, comme les Fougères, sont légèrement avantagées dans le fossé. La différence essentielle réside dans la représentation des Céréales. Celles‑ci ne se manifestent que dans les échantillons 2 des deux profils de l’enclos et en taux infimes (0,5 %), alors qu’elles apparaissent dans tous les spectres polliniques des sépultures où elles varient de 3 à 26 %. En revanche, tous les sédiments de Serbonnes/La Créole, qu’ils soient issus du fossé ou des sépultures, traduisent une charge quasi identique en palynofaciès.

5.3 Michery/ La Longue raie

15Trois structures de cette nécropole datée de La Tène ancienne et moyenne (cf. chap. 3) ont été analysées (105, 106 et 107) ; elles sont regroupées dans un même enclos quadrangulaire dont elles occupent tout, l’espace interne (fig. 39). Deux prélèvements ont été réalisés dans la structure 105, l’un sous le crâne, le second sous les membres inférieurs (fig. 58), tandis que seul le sédiment sur lequel reposait la tête clans la sépulture 106 a été prélevé (fig, 60). Deux échantillons ont également été extraits de la sépulture 107 : l’un sous le crâne, le second correspond au limon gris fin qui matérialise le coffrage (fig. 62).

16Les cinq échantillons (tabl. viii et fig. 165) ont témoigné d’une charge assez élevée en palynofaciès, constitué essentiellement de micro‑débris végétaux, micro‑charbons, Concentricystes et spores de mousse. Les micro‑charbons sont plus abondants dans la sépulture 106, alors que ce sont les débris végétaux qui dominent dans les autres prélèvements et tout particulièrement dans celui du coffrage de la sépulture 107. L’état de conservation des pollens est assez médiocre. Les concentrations en matériel sporo‑pollinique sont, bonnes dans la structure 106, inégales en 105 et faibles dans la sépulture 107 où les sommes de base se sont avérées trop faibles pour établir des pourcentages, surtout dans l’échantillon du coffrage. Les résultats issus de cette structure ne seront donc qu’indicatifs.

17Trente et un taxons ont été individualisés mais la diversité de chaque échantillon varie de 25 (sépulture 106) à 6 (coffrage de la sépulture 107). Sur les 12 ligneux présents, seuls l’Aulne, le Noisetier, le Pin et le Tilleul figurent dans les trois échantillons pris en compte ; ils présentent de plus les fréquences les plus élevées. Les autres essences sont sporadiques et de faible incidence. Le Frêne n’est présent que dans la sépulture 107. Les taux de pollens d’arbres varient de 9,5 à 17,3 %.

18Parmi les herbacées, les Composées liguliflores, les Poacées, les Céréales et Plantago lanceolata auxquelles s’ajoutent les Urticacées dans la structure 107, jouent un rôle non négligeable ; leurs plus fortes incidences s’ajoutent à leur régularité. Dans trois échantillons, les Poacées sont majoritaires, suivies par les liguliflores ; organisation inversée dans les deux autres. Les Céréales puis le plantain lancéolé interviennent ensuite, sauf dans la sépulture 107 où ils sont devancés par les Urticacées et où les Céréales sont très faiblement représentées. Les Fougères jouent un rôle notable.

5.4 Soucy/Mocques Bouteilles

19Deux enclos de l’importante nécropole de Soucy (cf chap. 4) ont été échantillonnés : E7 et E20. Le premier (fig. 77), daté du Bronze final, correspond à la structure interne d’un double enclos circulaire monumental avec présence vraisemblable d’une butte tumulaire importante au‑dessus. Sept prélèvements y ont été réalisés sur 1,10 m de dépôts semblant correspondre à un comblement naturel à dynamique lente. Dans le second, l’enclos 20, huit échantillons ont été prélevés, répartis sur deux profils, les coupes 8 (c‑d) et 2 (e‑f), qui couvrent les trois phases de comblement du fossé (fig. 89).

20Les préparations physico‑chimiques de 30 à 50 g de sédiment1 (notes en fin de chapitre) ont donné des lames d’aspect fort diversifié : la charge en palynofaciès pouvant être faible ou forte (tabl. ix). Les micro‑charbons, de taille variable, sont les éléments dominants ; ils sont accompagnés de quelques débris végétaux, de Concentricystes dans l’enclos 7 et de pollens. Parmi ces derniers figurent des grains ante‑quaternaires et dans le fossé 20, quelques pollens issus de la pluie pollinique de l’année.

21Les concentrations en stocks polliniques sont moyennement faibles ; trois groupes se dégagent. L’un où la somme de base est faible (inférieure à 50), un second intermédiaire et un troisième plus riche (T supérieur ou égal à 100). Les concentrations apparaissent plus élevées dans l’enclos 7, et plus particulièrement à sa base, que dans l’enclos 20. Dans ce dernier, on observe sur la coupe 8 un gradient progressif de richesse en pollens de la base vers le sommet, qu’on ne retrouve pas sur la coupe 2. L’état général du matériel sporo‑pollinique s’avère médiocre. Pour deux échantillons issus du sommet du remplissage de E7, il est même très mauvais, alors que ceux de la base contiennent des pollens bien conservés. Deux prélèvements traduisent des processus de conservation différentielle sur un même taxon, significatifs de mélanges de cortèges d’époques différentes, corroborés par la présence de pollens ante‑quaternaires.

22Ces premières observations sur la sédimentation pollinique témoignent de conditions fort peu propices. Les sédiments, de nature différente, ne semblent pas avoir permis une très bonne conservation du matériel, entraînant de faibles concentrations. De plus, des mélanges de cortèges dus à un comblement par les matériaux extraits sont mis en évidence. Tous les spectres polliniques (tabl. x) se caractérisent par une très faible représentation des pollens d’arbres, sauf l’échantillon de base de l’enclos 7. Les Composées liguliflores prédominent très largement avec des taux toujours supérieurs à 50 %. Elles sont suivies par les Poacées en proportions bien inférieures sauf pour les deux échantillons de base de l’enclos 7 où cet ordre est inversé.

5.4.1 L’enclos 20

23Tous les échantillons provenant de ce fossé, qu’ils soient issus des coupes 8 (c‑d) ou 2 (e‑f) et qu’ils correspondent à l’une ou l’autre des trois phases de comblement, donnent des spectres polliniques essentiellement constitués de Composées liguliflores, Poacées et plus sporadiquement de Plantago lanceolata. Parmi les herbacées, seules deux autres familles, les Composées tubuliflores et les Cypéracées, ont été individualisées. Les taxons arboréens, extrêmement minoritaires, sont tous sporadiques, de même que les Fougères. Ces résultats traduisent un déséquilibre total des cortèges polliniques auxquels il est difficile de donner une interprétation environnementale.

5.4.2 L’enclos 7

24Bien que les échantillons de l’enclos E7 semblent plus significatifs que ceux de E20, seuls les deux spectres de base présentent une réelle diversité taxonomique. L’échantillon 1 témoigne d’une représentation égale des pollens d’herbacées et d’arbres, mais celle‑ci résulte surtout d’une forte proportion de Pin (Pinus). On trouve à ses côtés une série de bord des eaux (Salix, Alnus), des arbustes héliophiles (Corylus, Fraxinus. A et des composants d’un groupement forestier (Quercus, Fagus, Tilia, Ulmus, Acer).

25L’échantillon 2 connaît des proportions moins élevées de pollens d’arbres, dues surtout à une moindre incidence du pin, mais on y retrouve les composants d’une chênaie (Chêne, Orme, Tilleul) et des arbustes. Dans ces deux spectres, les Poacées sont majoritaires devant les Composées liguliflores. Elles sont accompagnées par un cortège de rudérales qui jouent un rôle non négligeable de par leur diversité, mais surtout leurs proportions élevées. Les Chenopodiacées sont particulièrement abondantes, suivies de Plantago lanceolata et Rumex. Les Fabacées connaissent également une représentation notable, ainsi que les Céréales dans l’échantillon 1. Enfin, quelques hygrophytes sont présentes.

26Les cinq autres spectres polliniques, bien que témoignant de meilleures fréquences des pollens d’arbres que celles enregistrées dans l’enclos 20, avec de plus, présence régulière de l’Aulne et du Noisetier, souffrent d’une sur‑représentation massive des Composées liguliflores, accompagnées régulièrement de Poacées et sporadiquement de Plantago lanceolata, Brassicacées, Composées tubuliflores et Polygonum.

27L’ensemble des résultats du diagnostic pollinique nous a incitée à ne pas poursuivre l’étude palynologique du site puisque seuls deux spectres polliniques apparaissent fiables.

5.5 Interprétation des données

5.5.1 Chronostratigraphie

28La présence dans les spectres polliniques, même furtive, de quelques grains de Hêtre (Fagus) et Charme (Carpinus), nous permet de confirmer l’attribution des sédiments provenant de ces trois nécropoles du Sénonais au Sub‑atlantique. Nous avons là, en effet, les marqueurs de cette chronozone, bien que les taux dereprésentation de ces différents taxons ne soient pas significatifs ni comparables à ceux obtenus dans des séquences naturelles du Bassin parisien (Van Zeist, Van der Spoel Walvius 1980).

5.5.2 L’environnement

29Tous les spectres polliniques, qu’ils soient issus des sépultures de Serbonnes et de Michery ou des remplissages des fossés d’enclos de Serbonnes et Soucy, sont significatifs, par leurs forts taux d’herbacées et la présence au sein des pollens arboréens de nombreux taxons héliophiles, d’un paysage ouvert. L’environnement immédiat de chacune des nécropoles semble correspondre à une prairie constituée de Poacées, Composées, Brassicacées, Caryophyllacées, Apiacées, Polygonacées, dont la relative humidité est attestée par la présence de Renonculacées, Cypéracées et Fougères. Un cortège de rudérales (Plantago lanceolata, Artemisia, Rumex, Galium, Chenopodiacées, Urticacées) marque l’anthropisation des lieux (Behre 1981). Celle‑ci, bien que manifeste, n’apparaît déterminante que si on y adjoint les liguliflores qui peuvent parfois y être assimilées (Krier et al. 1992). Les composants floristiques de cette prairie se retrouvent globalement d’un échantillon à l’autre avec toutefois des variations de pourcentages, que ce soit dans les inhumations d’une même nécropole ou, comme à Serbonnes, entre le fossé et les sépultures. Trois formations arborées semblent toutefois persister dans le paysage protohistorique du Sénonais : une série de bord des eaux, un groupement forestier et une formation héliophile. La série de bord des eaux est essentiellement représentée par l’Aulne. Il est présent clans tous les échantillons, le plus souvent majoritaire et sporadiquement accompagné par le Saule. Le Noisetier qui joue un rôle non négligeable dans tous les spectres, le Frêne et le Bouleau peuvent également s’y trouver associés. Mais ils sont plutôt significatifs d’espaces ouverts, qu’ils reconquièrent avec les Rosacées, le Genévrier et autres arbustes également essences de lumière.

30Le Frêne peut aussi participer à un groupement forestier, représenté ici par les grands feuillus que sont le Chêne, l’Orme, le Tilleul, le Hêtre et le Charme.

31Il est extrêmement difficile de quantifier l’essor de chacune de ces formations arboréennes à cause de l’aspect ubiquiste des essences et des distorsions dues à la dispersion pollinique (Barthélemy 1985). Cependant les trois nécropoles semblent avoir été systématiquement implantées à proximité de points d’eau permettant le développement de petites ripisylves. L’ouverture du milieu privilégie le développement de formations héliophiles tandis que subsistent dans le paysage quelques discrets massifs forestiers de type chênaie‑hêtraie où le Tilleul joue un rôle assez important. La présence du Pin à côté des nécropoles n’est pas certaine, bien qu’il soit présent dans tous les spectres analysés. En effet, ce fort producteur de pollens, dispersés lointainement, est souvent favorisé lors de l’enregistrement pollinique par les espaces ouverts. Les différences d’organisation des spectres issus des sections I‑I’ et C‑C’ du fossé de Serbonnes privilégiant l’une le Noisetier, l’autre le Pin, peuvent relever de ces aléas de pollinisation. Quelques Noisetiers poussant près du côté nord de l’enclos ont pu créer un filtre à l’apport des pollens de Pin. A Soucy, les taux élevés de Pin dans l’échantillon 1 de l’enclos 7 peuvent, en revanche, résulter d’une intervention humaine (apport de branchages) puisqu’ils ne sont pas retrouvés dans l’échantillon sus‑jacent.

32A Serbonnes, le remplissage du fossé nous permet de percevoir une légère évolution du milieu. Si les échantillons de base renvoient à un même environnement, les seconds mettent en évidence l’existence de cultures céréalières (présence de Céréales et de messicoles) et le développement d’une prairie plus humide (hausse des Poacées et des hygrophytes). L’échantillon correspondant à la phase de comblement traduit un retour à un espace rudéralisé où les activités humaines ne sont pas directement perceptibles ; il semble cependant, au regard des taux de pollens d’arbres, que la pression anthropique se soit accentuée.

33Les analyses polliniques de ces trois nécropoles témoignent donc d’un contexte environnemental similaire, largement marqué par l’emprise humaine. Si le recul de la forêt gauloise est manifeste (Munaut 1988), il nous semble toutefois souhaitable de vérifier la fiabilité de ces interprétations qui résultent de deux types de capture pollinique : l’un dans des fossés, l’autre dans des sépultures, où globalement le milieu apparaît plus ouvert. La majorité des études palynologiques réalisées dans des structures funéraires du Bassin parisien traduit une même ouverture du paysage, quelle que soit la période concernée : gauloise à Pernant (Girard 1969) qui est celle qui se rapproche le plus des nôtres, Bronze final à Buno‑Bonnevaux (Girard 1988), campaniforme à Champs‑sur‑Yonne (Poplin et al. 1976), SOM à Germigny‑L’Evêquc (Roblin‑Jouve Girard 1979) ou à Guiry‑en‑Vexin (Girard 1975). Seules quelques analyses de sépultures collectives, donc correspondant à un contexte différent, attestent un environnement boisé, telles celles de Noisy‑sur‑Ecole (Girard 1973b), Tinqueux (Girard 1968) ou Vers‑sur‑Celle (Munaut 1985).

34Les sites d’habitat protohistoriques témoignent d’une ouverture variable du paysage. Elle s’avère plus prononcée dans l’Aisne (Firmin et al. 1989), mais équivalente à celle mise en évidence dans le fossé de Serbonnes à Vinneuf dans l’Yvonne (Leroyer à paraître a), à Verrières dans l’Aube (Krier et al. 1992) ou aux Sècherons à Montereau (Leroyer à paraître b). A Chevrières dans l’Oise (Leroyer s.d.), le milieu apparaît moins ouvert. Toutefois, le recul des massifs forestiers reste plus marqué sur ces sites archéologiques qu’en zone humide. Les déboisements sont clairement attestés mais jamais avec une telle amplitude dans des sites naturels (Van Zeist, Van der Spoel Walvius 1980) ou même dans des paléo‑chenaux proches d’installations humaines comme à Chatenay (Leroyer à paraître c) ou à Bercy (Leroyer 1992). Aussi, pouvons‑nous nous interroger sur la validité de l’enregistrement de l’environnement végétal au travers de ces structures liées à des nécropoles. Si un fossé peut parfois fonctionner comme un capteur naturel (Krier, Leroyer 1988), tous les spectres de l’enclos de Serbonnes sont largement écrasés par les liguliflores et à Soucy seuls deux échantillons à la base d’un profil autorisent une interprétation. Enfin, on peut douter, de par leur fonction, de la capacité des sépultures à appréhender le paysage. La ponctualité de l’échantillonnage dans ce type de structures s’y traduit par des différences de fréquences dans les échantillons d’une même inhumation.

35Il nous semble donc que si l’ouverture du paysage et son anthropisation aux alentours des trois nécropoles du Sénonais sont vraisemblables, leur quantification ne peut être déduite de nos simples analyses. De même, si les différentes associations végétales perçues participent vraisemblablement à l’environnement, leur incidence ne peut être résolue au travers de nos spectres à cause, entre autres, de l’intervention humaine liée au contexte funéraire.

5.5.3 Les pratiques funéraires

36Si nos résultats souffrent d’un manque de fiabilité dans l’enregistrement de l’environnement, ils participent en revanche à la connaissance du rituel funéraire. Ainsi à Serbonnes, la différenciation majeure entre les échantillons du fossé et ceux des sépultures réside dans la forte proportion de pollens de Céréales présents dans ces dernières, alors qu’elles n’apparaissent qu’à l’état de trace dans le premier (fig. 164). Cette différence nous permet d’écarter l’hypothèse d’une pollution par des pollens issus des cultures subactuelles et en renforce le caractère rituel. En effet, le mode de pollinisation des Céréales est tel qu’en bordure d’un champ on ne retrouve que 5 % de ces pollens (Heim 1970). Les taux, pour la plupart bien plus élevés, que nous avons à La Créole semblent plutôt relever de l’emploi de Céréales que de la pluie pollinique de leurs cultures. De plus, leur présence en taux infimes dans deux échantillons du fossé, nous font douter de l’installation de la nécropole en bordure de champs céréaliers. Les graines, la paille ou la balle, contiennent les unes et les autres de fortes proportions de ces pollens et peuvent avoir été utilisées ou déposées dans les sépultures. Dans tous les cas de double échantillonnage dans une même inhumation, le taux atteint sous le crâne est plus élevé que sous les membres inférieurs. On peut donc penser que des coussinets de paille ou de balle ont été déposés sous les têtes des défunts, pratique connue à l’époque mérovingienne (Salin 1973). L’échantillon prélevé dans le crâne de la sépulture 20 va dans le sens de cette interprétation puisqu’il contient presque 27 % de Céréales. De plus, cette hypothèse semble corroborée par l’observation de I. Villemeur (cf. § 2.2.3.12, 2.2.3.14) qui déduit, de par la position des restes osseux dans les sépultures 18 et 15, que les crânes étaient calés en arrière par un coussinet. Toutefois, les taux obtenus dans les échantillons de ces deux structures ne s’élèvent qu’à 16,6 et 7,6 % ; ils induisent l’emploi de Céréales mais ne peuvent pas certifier la nature exacte de ces coussinets. Si l’utilisation de paille ou de balle pour réaliser des coussins installés sous la tête des défunts est donc plausible pour plusieurs sépultures (15, 20, 10) de Serbonnes, cette seule pratique peut difficilement être retenue. En effet, des fréquences élevées ont été rencontrées par ailleurs. Ainsi, 17,4 % de Céréales ont été retrouvés sous les membres inférieurs du squelette de la sépulture 5, alors que seuls 7,2 % étaient présents sous les membres supérieurs. Les échantillons prélevés sous les crânes des sépultures 4, 7 et 17 témoignent de taux peu élevés, tout au moins par rapport à ceux obtenus sous les membres dans d’autres sépultures (5, 18, 15, 20, 10). Le dépôt du corps sur une litière peut être envisagé ; cette hypothèse a été proposée lors de l’étude d’une tombe paléochrétienne grecque (Girard 1983) ou d’inhumations mérovingiennes (Scuvée 1973 ; Salin 1973) où les corps semblaient également couverts de végétaux. L’existence d’une petite cabane funéraire, en paille, qui se serait ensuite écroulée (Rozoy 1963 ; 1980 ; Villes 1983), peut également être retenue. Ces variabilités des fréquences de pollens de Céréales nous semblent donc correspondre à diverses pratiques funéraires que nous avons tenté de resituer en fonction des deux phases d’utilisation de la nécropole de Serbonnes. Mais il ne ressort aucune organisation de cet examen ; les proportions les plus basses ou les plus élevées sont enregistrées aussi bien pour la première que pour la seconde phase.

37A Michery (fig. 165), une même concentration de pollens de Céréales (15,5 à 6,8 %) a été constatée dans les inhumations 105 et 106. Comme dans nombre de sépultures de Serbonnes, le prélèvement provenant des membres inférieurs de la structure 105 connaît une fréquence presque deux fois inférieure (6,8 %) à celle de l’échantillon extrait sous le crâne (13 %). La tombe voisine (106) présentait, elle aussi, une proportion élevée (15,5 %) de pollens de Céréales sous le crâne. La structure 107 de la même nécropole, malgré des sommes de base très faibles, ne semble pas témoigner de mêmes concentrations. Malgré l’absence de référence dans le remplissage du fossé, cette variabilité des taux de Céréales entre des sédiments très proches dans l’espace nous conduit à écarter l’hypothèse d’une pollution subactuelle. Comme à Serbonnes pour une période contemporaine, la mise en place de litière sous les corps et de coussinet de paille ou de balle sous la tête des défunts, semble avoir eu lieu dans deux sépultures de Michery. De plus sur cette nécropole, une caractérisation du mode d’inhumation peut être proposée sur la base des résultats polliniques. Ainsi, les deux sépultures accolées 105 et 106, pouvant correspondre à une inhumation en couple, présentent une différence de diversité et de concentration des stocks polliniques. Celles‑ci sont plus élevées dans la structure 106 où la présence d’un coffrage n’est pas assurée. La structure 107, quant à elle, se caractérise par une pauvreté en matériel sporopollinique, tout particulièrement dans l’échantillon issu du coffrage. La distinction entre une inhumation en espace vide dans un caisson ou en espace colmaté en pleine terre pourrait donc se manifester par de meilleures concentrations polliniques. Les micro‑charbons sont dominants dans la seule sépulture 106 où des traces de torchis ou de terres brûlées ont été trouvées. Dans les deux autres sépultures, le palynofaciès est essentiellement constitué de micro‑débris végétaux. Ceux‑ci sont particulièrement abondants dans l’échantillon correspondant au coffrage de la structure 107. Aussi est‑il peut‑être possible de mettre en relation la présence de ces micro‑débris végétaux avec celle d’un coffrage.

5.6 Conclusion

38Ces trois analyses polliniques de nécropoles protohistoriques du Sénonais apportent quelques données sur l’environnement végétal, mais nous devons les considérer avec réserve. En effet, à la non‑fiabilité des données de Soucy s’ajoute une trop grande ponctualité des informations dans les sépultures de Michery et Serbonnes. De fait, seuls les spectres polliniques issus de l’enclos de Serbonnes nous autorisent à appréhender le paysage, mais des distorsions manifestes nous empêchent de quantifier l’incidence des différentes formations enregistrées. En revanche, les analyses réalisées dans les inhumations des deux nécropoles contemporaines et géographiquement proches de Michery et Serbonnes nous apportent quelque élément à la connaissance du comportement des Gaulois du Sénonais face à la mort.