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Nécropoles protohistoriques du Sénonais

 | 
Luc Baray
, 
Sylvie Deffressigne
, 
Chantal Leroyer
, 
et al.

Préface

Jean‑Louis Brunaux

Texte intégral

1Avec les Nécropoles protohistoriques du Sénonais c’est une image nouvelle des Celtes de la Gaule qui nous est offerte ; elle s’ajoute à bien d’autres qui depuis quelques années ont fait que non seulement la France a rattrapé son retard clans sa connaissance de la Protohistoire mais fait maintenant figure d’avant‑garde en Europe. Ce volume, par la richesse de ses observations de terrain, de son iconographie, participe bien de ce mouvement de la recherche qui, une à une, nous fait découvrir les facettes multiples de ces populations du premier millénaire avant notre ère. Ici c’est la mort protohistorique que Luc Baray et ses collègues nous donnent à voir. On doit les en remercier.

2On aurait tort, en effet, de ne voir dans les pages qui suivent que les froids rapports qu’imposent la pratique archéologique et les sciences connexes qui l’accompagnent : anthropologie, palynologie. Parce que ces points de vue sont les plus variés, de la description méticuleuse au recours aux sciences de la nature, tout devient signifiant. A travers trois nécropoles qui montrent chacune son identité et son histoire propre, c’est tout un monde qui se révèle, « Ce monde où nous mourons », selon la belle formule de Georges Bataille. Car le domaine de la mort, pour contredire le titre d’une exposition récente, n’est pas seulement « le miroir de la vie ». Il a ses exigences, celles qui fondent les rites, celles qui sculptent le paysage pour lui faire une place. Les unes et les autres on les devine ici à chaque page, si on lit avec les yeux de l’imagination.

3A Soucy ce sont des tumuli érigés neuf siècles avant notre ère qui balisent la nécropole jusqu’à la période mérovingienne, seize cents ans plus tard ; les monuments de terre ont attiré à eux, comme par vagues successives, des sépultures hallstattiennes, des enclos de La Tène, une inhumation gallo‑romaine enfin une centaine de sépultures s’échelonnant du ve au viiie s. de notre ère. C’est dire le poids de cette présence funéraire qui ne tenait peut‑être pas seulement à ces aménagements mais probablement à des territoires réservés de tout temps. Formaient‑elles, ces prairies que nous décrivent les palynologues, une sorte de double du terroir cultivé ? Et qu’y faisaient les hommes quand ils ne rendaient pas hommage à leurs morts ? L’archéologie sur ces points aura plus de difficulté à nous répondre. On doit cependant croire que des enclos comme celui de Serbonnes, à l’aire intérieure utilisée exclusivement pendant deux siècles, dessinaient une topographie qui n’est guère éloignée de celle à laquelle les sanctuaires participent. Ici ce sont des familles, des individus, des héros peut‑être qu’une portion de sol désigne et que des rites maintenant évanouis honoraient.

4Quelques rites heureusement ont laissé des traces infimes que l’effort conjugué des spécialistes laisse entrevoir. Ils tiennent pour l’essentiel à la mise en terre. On y voit le défunt couché sur une litière de paille, la tête reposant sur un coussinet de même matière, peut‑être agrémenté de fleurs. Les Grecs, du temps d’Homère, procédaient de même. Il revient encore à l’anthropologue de nous dire si le cadavre était disposé à même la terre et recouvert de celle‑ci ou si son corps était enfermé dans un coffre de bois que le sol n’a pas conservé ; en effet, seul le maintien des connexions les plus labiles renseigne. Mais la pratique rituelle la plus troublante est celle qui consiste à couvrir le défunt ou son cercueil de blocs de pierre, certains pesant plusieurs dizaines de kilogrammes. Il ne fait guère de doute que cette coutume, également connue sur les bords de la Méditerranée, n’a d’autre efficience que d’empêcher le mort de venir hanter les vivants. Elle nous rappelle, si nous l’avions oublié ou si nous en doutions, que ces morts qui peuvent paraître si éloignés de nous, possédaient déjà une âme, cette âme qui explique les devoirs rendus au corps. Malheureusement, de ces cérémonies funèbres, des banquets probables, des sacrifices souvent humbles la terre n’a rien retenu que sache lire le fouilleur le plus attentif. Seule une anomalie parfois retient l’attention et ne peut trouver sens qu’avec l’aide du comparatisme. Ainsi un crâne prélevé sur un cadavre qui n’était peut‑être pas entièrement décomposé et qui gisait encore dans son cercueil intact fait‑il penser à l’os resectum des Romains. Au‑delà il nous explique peut‑être le mode de prélèvement de ces crânes d’ancêtres, que l’on pressent si importants dans l’univers symbolique des Gaulois.

5Que ces nécropoles s’éteignent au moment, où dans le nord de la Gaule, s’élèvent des sanctuaires monumentaux où l’os humain tient la place la plus éminente n’est certainement pas un hasard. Mais comment l’expliquer ? On parle de « mutations du iiie s. av. J.‑C » mais que doit‑on entendre par là ? Changement de populations ? Transformation brutale des pratiques funéraires ? Ces questions fondamentales permettent de mesurer l’apport d’une telle publication : il est clair que seuls des travaux similaires appliqués à toute la Gaule permettront d’y répondre.

6A la lecture des pages qui suivent, le lecteur oubliera peut‑être que celles‑ci sont le fruit de fouilles de sauvetage. C’est que la qualité des fouilles puis des études qui ont suivi n’ont pas eu à souffrir de la difficulté inhérente aux conditions difficiles que l’on sait : rapidité des interventions, intempéries, personnel temporaire, etc. En ce sens, ce premier volume des publications consacrées aux fouilles de l’autoroute A5 est exemplaire. Il démontre qu’une fouille de sauvetage peut servir la science ; ce type de fouille par les moyens mis en œuvre et par l’étendue des surfaces fouillées permet une approche du terrain que n’autorisent pas les fouilles traditionnelles, celles qu’on appelle « fouilles programmées » parce que les chercheurs avancent à petits pas avec le risque souvent de perdre ou de n’avoir jamais une vue d’ensemble, pourtant si précieuse. Le chercheur du CNRS que je représente doit aussi en tirer leçon : il faut faire profit de la contingence (celle qui donne des moyens financiers importants à des opérations très brèves) et non la subir. C’est à ce prix que la recherche archéologique française dont j’ai évoqué plus haut les récents résultats en Protohistoire, poursuivra son œuvre.

7Ce livre fera donc plaisir à beaucoup. Aux archéologues et aux historiens c’est évident. Mais aussi aux aménageurs qui auront le sentiment d’avoir œuvré utilement pour notre connaissance du patrimoine. Aux personnels de l’archéologie préventive qui y verront la preuve de leur efficacité et de leur rôle maintenant majeur dans l’archéologie française. Enfin au personnel administratif qui trouve avec ces fouilles de sauvetage de nouvelles missions. Et à ce propos il m’est agréable d’indiquer le travail essentiel réalisé par Claude Mordant qui assure la coordination scientifique de ces volumes et par Gilles Bellan, chargé de leur coordination technique.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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