Chapitre 1. Les sites de fond de vallée
Chap. 1 The valley sites
p. 131‑172
Résumés
Les Magdaléniens ont intensément fréquenté le site d’Étiolles. La concentration de plusieurs niveaux d’occupation (actuellement sur 1 300 m2) permet de développer une approche de type ethnologique : comparaison des choix topographiques, analyse de l’organisation spatiale, identification des activités domestiques, études fonctionnelles sur les foyers, etc. L’exploitation de rognons de silex d’une exceptionnelle qualité (notamment par leurs dimensions est à l’origine d’une conception techno‑économique particulièrement rigide qui facilite la production des grandes lames‑supports. La récurrence de certains comportements (travaux réalisés près des foyers, nettoyages de l’espace intérieur, large utilisation de l’espace extérieur pour diverses activités) révèle des habitudes de groupes. Les relations sociales sont perceptibles à travers la circulation des produits lithiques entre les installations contemporaines et un partage de certaines matières premières. La recherche s’oriente vers l’hypothèse de passages des Magdaléniens lors de circuits saisonniers nécessaires à leur économie de prédateurs et à leur vie sociale.
Le gisement de Marsangy est un habitat de plein air magdalénien, situé sur la rive gauche de l’Yonne. Les datations absolues (14C et thermoluminescence), comme les données de l’environnement, permettent de le dater de 12 000 BP, à la transition Dryas II/Alleröd. Dans le secteur central (étudié ici) l’espace s’organise autour de 4 foyers, constitués d’un groupement lâche de blocs de grès et de quartzite. Les activités liées au silex sont les plus importantes, la matière première se rencontrant en abondance dans le voisinage. L’une des structures, N19, peut être interprétée comme un atelier spécialisé dans le débitage, les autres ensembles pouvant représenter des unités d’habitation consacrées au repos. La chasse constituait une activité complémentaire. Elle est attestée par la présence de vestiges animaux et l’abandon d’objets (pointes à dos et à cran) considérés généralement comme des armatures de trait.
La connaissance précise de la topographie du substrat des limons et celle du niveau IV20 permet d’examiner, sur près de 4 000 m2, quels ont été les choix d’implantation des chasseurs magdaléniens. Il semble que les premiers occupants se soient installés préférentiellement dans les zones basses du site ; les derniers ont occupé toutes les situations ; zones hautes, mi‑pentes, zones basses, fonds. Une fidélité certaine aux mêmes emplacements manifeste probablement la permanence de la composition du groupe. La présence de onze foyers magdaléniens fonctionnant simultanément sur le même sol permet actuellement d’évaluer à un minimum de plusieurs dizaines de personnes l’importance du groupe venant visiter régulièrement Pincevent, pendant un séjour de quelques semaines, et ce au moins à une quinzaine de reprises. L’organisation spatiale des unités domestiques s’établit suivant le schéma mis en place par A. Leroi‑Gourhan : foyer entouré d’une zone d’activité puis, d’un côté, espace réservé à l’habitation, de l’autre, zone d’évacuation. Les Magdaléniens arrivaient avec un outillage minimum et leurs éléments de parure. Les ressources locales fournissaient l’essentiel des matières premières, blocs de silex et de pierre provenant du lit de la rivière. L’exploitation du silex se faisait sur place et les meilleurs produits étaient emportés pour le campement suivant. L’exploitation des végétaux comme celles des ressources de la rivière reste très hypothétique. Le Renne, dont toutes les parties étaient utilisées ou consommées, était le principal gibier recherché, avec occasionnellement du Cheval et du Lièvre. Rapportées au camp, les bêtes étaient en partie partagées entre les unités domestiques mais, bien que difficile à estimer, la durée d’occupation pose le problème de l’éventuel stockage d’une partie de la viande. Les caractéristiques exceptionnelles des dépôts de Pincevent et le nombre de cycles de dépôts conduisent provisoirement à n’accorder qu’une durée d’une cinquantaine à une centaine d’années à l’accumulation des limons magdaléniens. A l’issue de ces dépôts, les modifications climatiques de l’Alleröd, qui se manifestent par une érosion et un remblaiement importants, sont contemporaines d’une transformation culturelle qui ouvre la voie au Mésolithique.
Le site du Magdalénien final du Buisson Campin à Verberie a livré des sols d’occupation en trois loci différents inclus dans des limons de débordement. Le plus étendu, comprend quatre sols successifs dont le plus récent est le mieux connu. Il s’organise autour de deux foyers. Il s’agit comme pour les sols plus anciens d’un campement de chasse au Renne en relation avec la migration d’automne. Les activités qui s’y sont déroulées ont essentiellement trait au dépeçage des rennes et au traitement des matières premières animales ainsi qu’au débitage de nombreux rognons de silex pour fabriquer les outils nécessaires. La présence d’outils en silex exogènes, l’absence de quelques séries de bonnes lames indique que ces campements s’inscrivaient dans un cycle de déplacement annuel des chasseurs magdaléniens.
The Magdalenian site of Étiolles has been heavily and persistently occupied : many different dwelling levels including one or several units have been discovered over the 1,300 square metres so far excavated. This high density of occupation allowed a palaeoethnological approach to be developed through the comparison of different topographical schemes, the analysis of spatial organisations, the identification of domestic activities, the study of differential use of hearths, etc. A very specialised techno‑economical process of blade‑flaking for large‑sized blank production has been evidenced and has been related with the exceptionally high quality of the flint raw‑material (with especially large dimensions). The recurrence of some operational patterns must be related to the basic structure and behaviour of the Magdalenian groups (working areas close to the fire, regular cleanups of the inner space, extensive use of the outer spaces for various activities). Strong social relationships are revealed by the movement and sharing of some lithic raw‑materials and artefacts between contemporary dwelling‑units. The present research gives evidence for the hypothesis of regular stops of Magdalenian groups related to their predatory subsistence and their social structure.
Marsangy is an open air Magdalenian settlement, situated on the left bank of the Yonne. Absolute dating (14C and thermoluminescence) corresponding to environmental data, allows a date of 12000 BP ; the transition Dryas II/Alleröd. In the central section (studied here), space is organized around 4 hearths, constituted by a group of loosely arranged blocks of sandstone and quartzite. The most important activities are related to silex, a raw material abundant in the neighborhood. One of the structures, N19, can be interpreted as a work‑shop specialized in tool‑making, others could represent dormitory units. Hunting was a complementary activity; attested by the presence of animal remains and abandoned artefacts (such as backed and shouldered points) generally considered as projectile armatures.
With eleven Magdalenian hearths functioning in the same time on the same surface, it is now possible to evaluate how large was the group regularly visiting Pincevent for a few weeks’ stay and estimate it at a minimum of several tens of people, for at least fifteen times. Spatial organization of domestic units follows a model established by A. Leroi‑Gourhan : hearth surrounded by area of activities then, on one side, an area set up for dwelling, on the other, a dumping area. The Magdalenians came with a minimum tool kit and their elements of adornment. Local resources gave them the essential raw material, the main part of flint and other stone coming from the river bed. Flint was worked locally and the better products were taken along to their next camp. Exploitation of plants as well as that of river resources remains very hypothetical. Reindeer, of which all parts were used or consumed, was the main game hunted with occasionally horse or hare. Brought back to the camp, animals were partly shared between domestic units, but though estimated with uncertainty, the duration for the occupations poses the problem of the eventuality of storing part of the meat. The abandonment of the site is probably linked to the climatic change which altered the flow of the river and the floods. The exceptional characteristics of deposits at Pincevent and the number of depositional cycles indicate a duration of fifty to one hundred years for the whole of magdalenian silt accumulation. After these silts where deposited, climatic modifications during the Alleröd interstadial provoked substantial erosion and refilling of the minor bed of the river. These modifications are synchronous with a cultural transformation opening the way to the Mesolithic.
The archaeological site of the Buisson Campin at Verberie (Oise) has yielded remains of the late Magdalenian in three different locations embedded in silts deposited by the river Oise. The main one includes four superimposed occupation layers corresponding to hunting camps of short duration. The latest one is the best known. Its spatial organisation is centered on two hearths. It is a reindeer hunting camp related to the autumn migration. The camp activities focus on reindeer butchering and processing of its different parts. Flint knapping has been extensively practiced in order to produce the tools necessary for these tasks. The presence of a few tools made from exogenous flint and the absence of a few series of good blades indicate that these camps were part of the annual cycle of hunters around the Paris basin.
Texte intégral
1.1 Étiolles
1p. coudret, m. larriere-cabiran, m. olive, n.pigeot, y. taborin
2Assurément, la vallée de la Seine, en aval de la confluence avec l’Essonne, fut un lieu de fixation coutumier au sein du territoire d’un ou de plusieurs groupes de Magdaléniens du Bassin parisien. Le gisement d’Étiolles, ceux des Tarterets I et II, la découverte à 1 km environ en aval de quelques lames ressemblant à celles d’Étiolles apportent le témoignage du passage répété des Magdaléniens dans cette portion de la vallée (fig. 1). De ces trois sites, Étiolles fut, de loin, le plus intensément occupé mais on ne peut assurer que l’état actuel de nos connaissances soit le reflet exact de la situation ayant prévalu à l’époque magdalénienne. En effet, les conditions de découverte et d’exploitation des Tarterets, qui furent des fouilles de sauvetage, la densité du tissu urbain dans cette partie de la vallée de la Seine et sur ses versants, nous empêchent d’affirmer d’une part qu’Étiolles fut le seul site privilégié, d’autre part que les Magdaléniens se sont davantage implantés en fond de vallée comme à Étiolles que sur les versants comme aux Tarterets.
1.1.1 Le site
1.1.1.1 L’implantation dans la vallée de la Seine
3La vallée de la Seine offrait, au Tardiglaciaire, des conditions de séjour suffisamment attractives et stables pour que les Magdaléniens aient inscrit cette région dans leur circuit de déplacement.
4La présence d’un silex abondant, de très bonne qualité, et d’accès facile, a certainement représenté un attrait majeur. Aux Tarterets et à Étiolles le matériau débité est identique : il s’agit d’un silex tertiaire provenant des marnes ludiennes et/ou du calcaire de Champigny. Or, ces couches tertiaires ont été atteintes par le creusement de la Seine en aval de Corbeil‑Essonnes qui a ainsi rendu possible la collecte de ce matériau. Il est clair que l’existence d’un silex tertiaire, de qualité exceptionnelle, qui était accessible dans la partie centrale du Bassin parisien à l’époque magdalénienne, fut un élément déterminant dans le circuit de déplacement de ces populations puisque les travaux de Manuelle Mauger ont démontré que le silex exogène de sites plus périphériques, Pincevent au sud‑est et Verberie au nord‑ouest, provenait de ces mêmes couches géologiques. Par ailleurs, les sondages réalisés aux alentours d’Étiolles ont fait apparaître la fréquence des variations latérales des faciès siliceux dans ces couches ludiennes ; les bons gîtes à silex devaient donc être très localisés et connus des Magdaléniens. Ces conditions géologiques ont certainement contribué, de manière prépondérante, au choix de l’implantation de l’habitat.
5D’autres facteurs ont probablement attiré les Magdaléniens dans ce secteur de la vallée de la Seine. La faune découverte à Étiolles, quoique peu abondante et en mauvais état général de conservation, fournit l’image d’un paysage dans lequel les ressources animales étaient variées. Étiolles n’était pas, comme Pincevent ou Verberie, un site de chasse spécialisé mais, au contraire, le choix des espèces chassées y apparaît plus équilibré : les Magdaléniens d’Étiolles ont abattu du Renne, du Cheval, du Bison et, peut‑être, du Mammouth. Il est probable également que les conditions climatiques étaient plus clémentes en fond de vallée et sur les versants que sur les plateaux. Les analyses malacologiques font apparaître la présence de mollusques forestiers clans certains niveaux d’Étiolles qui indiquent le développement, à proximité du site, d’une galerie forestière sur les rives de la Seine et, préférentiellement sur le versant sud, mieux exposé. Cette végétation arborée a fourni le combustible nécessaire à l’alimentation des foyers. Ainsi des facteurs géologiques et écologiques privilégiés ont incité les Magdaléniens à se fixer périodiquement dans cette région.
1.1.1.2 L’environnement immédiat
6Le site d’Étiolles réunissait donc un ensemble de conditions qui ont dû se reproduire durant un certain laps de temps puisque les analyses sédimentologiques et malacologiques indiquent une occupation du site d’assez longue durée. Il faut imaginer les Magdaléniens revenant périodiquement s’installer en ce lieu, en fonction du rythme des crues, assurés de trouver sur place des conditions d’installation favorables, du silex en abondance et de la nourriture carnée diversifiée.
7L’existence, en ce lieu, d’un petit affluent de la Seine, le ru des Hauldres, descendant du plateau de Sénart, a certainement joué un rôle dans le choix de l’emplacement du campement. En effet, les fouilles et les nombreux sondages réalisés à Étiolles depuis l’ouverture du chantier en 1972 ont apporté la preuve de l’intensité de l’occupation d’une part, et de sa localisation à proximité du ruisseau d’autre part. Cette situation particulière trouve, peut‑être, une explication dans le fait qu’en creusant sa vallée, ce petit affluent dont le débit devait être, au Tardiglaciaire, plus rapide que l’actuel et très dynamique à certaines périodes, a pu mettre à nu de gros blocs de silex que les Magdaléniens n’avaient plus qu’à déchausser et à transporter sur le lieu même du campement.
8La vallée de la Seine offrait, à cette époque, un paysage d’îlots entre lesquels coulaient des bras plus ou moins larges de la Seine. Les Magdaléniens ont choisi de s’installer sur certains bancs relativement stables, vraisemblablement couverts de végétation, qui n’étaient inondés qu’au maximum des crues (Méloy 1983 ; Durand 1983).
9Deux zones de fouilles ont été décapées à Étiolles (fig. 76). La principale correspond à une occupation intense puisqu’une dizaine de niveaux superposés ont, jusqu’à présent, été découverts sur 1 300 m2. L’étendue de ce campement ne pourra être connue et décapée dans sa totalité puisque les sols d’occupation se poursuivent sous la route nationale 448 qui borde le gisement. A cet endroit, le relief fut modelé à la fois par la Seine et par le ruisseau des Hauldres et le campement était établi sur un sol à faible pendage vers le sud et se prolongeait jusque sur la berge du ruisseau, beaucoup plus pentue, A une cinquantaine de mètres de là, plus près de la Seine, un second décapage, réalisé sur une superficie plus limitée, 100 m2, a permis la découverte de deux unités d’occupation établies sur un sol à pendage inverse, orienté vers le versant de la vallée. Un bras de Seine a donc coulé entre ces deux zones d’occupation dont nous ne connaissons pas encore, en l’état actuel de la recherche, les relations chronologiques.

FIG. 76 – Les fouilles d’Étiolles et implantation du gisement.
1.1.2 La fréquentation magdalénienne
10Le gisement d’Étiolles a beaucoup appris sur l’existence de sites de plein air aussi intensivement fréquentés que les abris sous roche. Au point de fouilles, les occupations magdaléniennes se sont succédé à quelques centimètres d’épaisseur de limon ; hors du chantier, elles ont laissé des traces à de multiples endroits en fonction de la conservation des limons würmiens. Les deux rives de la Seine ont été appréciées, sans doute à cause des bancs ou îlots qui en facilitaient la traversée. Quelques ramassages de silex dans la proche région (vallée de l’Essonne, versant du plateau de Sénart jusqu’à Juvisy) pourraient être l’indice d’une fréquentation élargie à une zone plus vaste que celle que délimitent les gisements d’Étiolles et des Tarterets.
11Pour apprécier l’intensité de ce peuplement, il faut regrouper les informations qui concernent le temps et l’espace. Ces données sont reprises ailleurs pour d’autres réflexions mais, ici, leur rapprochement laisse entrevoir une certaine qualité de stabilité des relations entre l’Homme et son territoire familier.
1.1.2.1 Les éléments de chronologie
12La position chronologique est assurée pour les installations situées au milieu de la séquence stratigraphique. Les dates 14C se groupent autour de 13 000 BP. Une grande partie de l’occupation du site serait contemporaine de l’oscillation tempérée de Bölling. Toutefois, une date 14C de 12 000 BP ± 120 (Ly) a été proposée pour un niveau situé sous U5 (QR5).
13Les variations de la malacofaune apportent leur précision pour montrer qu’il s’agit bien d’une longue séquence tempérée humide, entrecoupée de petites oscillations fraîches, courtes et de faible amplitude. Elle est suivie, dans la partie supérieure des dépôts, d’un refroidissement (sensible dans l’analyse malacologique) et s’achève par la réapparition d’espèces tempérées humides.
14Les occupations les plus anciennes ne sont pas atteintes par les fouilles. L’épaisseur des limons qui reposent sur la basse terrasse est de 5 m. Leur constitution et leur composition paraissent homogènes. Ils peuvent donc receler des occupations magdaléniennes plus anciennes, actuellement inaccessibles, sous le niveau de la nappe phréatique qui apparaît à 3,5 m.
15Les dernières occupations nous échappent également. Une partie d’entre elles a été bouleversée par les charrues modernes. Pourtant, le pendage des dépôts vers la vallée laisse l’espoir de retrouver, plus profondément enfouis sous les alluvions très récentes, les derniers limons würmiens avec peut‑être quelques installations magdaléniennes.
16Les études sédimentologiques et granulométriques tendent à prouver un régime de dépôts de Seine et d’apports latéraux assez uniformes pendant une longue durée. Les crues modelaient sans cesse le relief en tresse du fleuve et déposaient des laisses sous forme de lentilles. Le dépôt de confluence du ru des Hauldres s’est maintenu tout en perdant à l’occasion des parties latérales.
17Ainsi, pendant une très longue période (1000 ans ?), sous un climat variable frais, toujours localement humide, les Magdaléniens sont venus s’installer, à un rythme inconnu, sur le cône de dépôts de la confluence du ru des Hauldres, assez surélevé pour échapper, en partie aux crues de faible amplitude de la Seine.
18D’autres Magdaléniens ont laissé des traces plus haut sur la pente de Sénart, là où le risque d’inondation était réduit.
1.1.2.2 L’intensité de l’occupation
19Les limons sont conservés sur une surface de moins d’un hectare. Dans la principale zone décapée, les installations magdaléniennes ont été établies sur des bancs d’alluvions et de dépôts latéraux d’épaisseur irrégulière, constamment remodelés par le dynamisme du fleuve et de son affluent. Enrichissement des laisses de crues, effondrements des bords, soutirages lors des retraits, phénomènes difficiles à suivre dans leur chronologie et aboutissant à la constitution de lentilles de dépôts imbriquées les unes dans les autres, chaque lentille constituant un dépôt homogène mais tronqué qui ne peut guère être suivi au‑delà de quelques mètres. Sur cette imbrication, les Magdaléniens se sont installés et la corrélation entre les lentilles et les sols archéologiques est loin d’être évidente. Rien ne s’oppose à ce qu’un sol archéologique puisse recouvrir de son glacis de vestiges plusieurs lentilles.
20La stratigraphie, parce qu’elle est difficile à suivre, est établie par tous les moyens possibles : le meilleur est donné par les Magdaléniens eux‑mêmes qui ont largement et intensivement utilisé l’espace. Suivre la disposition de leurs vestiges en établissant les relations spatiotemporelles qui les unissent, reconstituer les chaînes opératoires, établir la chronologie des activités et des gestes aboutissent à isoler une même unité d’habitation dans un espace à trois dimensions.
21Les unités d’occupation de la zone 1 sont étagées dans un volume de 1 292 m2 sur 3,5 m d’épaisseur. A l’intérieur de ce volume, leur répartition s’ordonne chronologiquement et spatialement.
22Le diagramme stratigraphique (fig. 77) présente l’état de la question avec une double inconnue que les travaux postérieurs permettront de résoudre : l’extension des unités incomplètes qui apparaîtra progressivement et le résultat des études monographiques en cours. Les lignes verticales traduisent une succession stratigraphique où chaque unité est en partie recouverte par celle qui lui succède dans le temps. La surface fouillée a permis de mettre en évidence plusieurs suites stratigraphiques locales. La mise en corrélation chronologique des strates de ces diverses coupes a heureusement pu être établie par la présence d’unités à large extension spatiale qui recouvraient des sols d’occupation antérieurs inclus dans des suites stratigraphiques différentes.

FIG. 77 – Le diagramme stratigraphique.
23Il semble qu’à certaines époques la zone 1 du chantier a connu une fréquentation plus intense. Cette constatation est à rapprocher de ce qui sera dit sur l’extension spatiale des unités qui présentent de grandes différences entre elles. Toutefois, on ne peut étendre à l’ensemble du site le rythme de la fréquentation de la zone 1 tant que les fouilles n’auront pas atteint la zone 2, sans doute aussi dense que la première.
24Comment peut‑on apprécier l’intervalle de temps qui sépare deux installations successives ? Il est habituel de chercher à l’établir par l’analyse sédimentologique et l’épaisseur des niveaux stériles interstratifiés. Mais cette approche n’est pas praticable dans un gisement en relation étroite avec le rythme et la compétence d’un fleuve. Outre que le sédiment présente une composition uniforme, les charges alluvionnaires et les retraits de dépôts s’interfèrent et l’épaisseur du recouvrement n’est pas exclusivement fonction de la durée. Peut‑on seulement dire que la durée de l’interruption des occupations est brève lorsque les nouveaux arrivants aperçoivent encore, émergeant d’un mince dépôt de crue, le sommet des amas de silex laissés par leurs prédécesseurs ? Le cas existe et l’interprétation d’une succession rapide est naturellement retenue !
25La contemporanéité est nettement prouvée lorsque les réseaux spatiotemporels d’activités multiples s’établissent entre deux habitations. Tel est le cas de U5 et P15, tel pourrait être le cas de S27, Q31 et A29. La plus grande partie du formidable travail de mise en évidence des corrélations entre les habitations reste à faire dans le domaine tellement fructueux des remontages de silex. Les travaux futurs risquent de modifier profondément l’idée que l’on se fait actuellement sur la succession d’arrivées ponctuelles de groupes en quête de silex.
1.1.3 Les campements
1.1.3.1 Les choix topographiques
26Pour donner un aperçu de ce qu’a pu être l’organisation du campement des Magdaléniens d’Étiolles, il faut rappeler que deux types de structures d’habitat ont été découverts dans la plus grande zone décapée (Olive et al. 1988) : certaines sont interprétées comme des vestiges d’habitation, avec foyer central, aires de rejet et ateliers de débitage extérieurs, près de l’abri ; d’autres unités d’occupation sont constituées d’un foyer peu structuré, associé à une nappe de silex quantitativement beaucoup plus modeste que les nappes ou amas retrouvés à proximité des habitations. La fonction de ces dernières n’est pas encore clairement établie mais leur étude, en cours de réalisation, nous oriente vers l’hypothèse, au moins pour certaines d’entre elles, d’aires d’activités annexes d’unités domestiques. On connaît aussi à Étiolles des niveaux d’occupation constitués uniquement de nappes de silex plus ou moins étendues, ou même d’ossements (la nappe d’ossements de chevaux, cf. Poplin, partie 1, article 2.3) qui apparaissent isolées. Il est fort probable que ces nappes de vestiges raccordent à des unités d’habitation et qu’elles correspondent aussi à des zones d’activité ou de rejet, relativement éloignées des habitations.
27Jusqu’à présent, les études réalisées sur le site d’Étiolles ont surtout été orientées vers l’analyse palethnographique des grandes unités d’habitation. Deux d’entre elles ont déjà été publiées, l’étude de trois nouvelles unités est déjà largement avancée. Cette approche, de type monographique, a pour but de mettre en évidence l’existence d’un modèle d’habitation, de déceler les règles qui ont régi les comportements sociaux, économiques, techniques des Magdaléniens d’Étiolles et d’apprécier à la fois la spécificité de ces comportements et leur degré de permanence.
28L’état actuel du décapage et de l’étude ne nous permet pas encore d’apprécier exactement l’étendue du gisement, de connaître le nombre de cellules d’habitation contemporaines avec leurs zones d’activité annexes (l’établissement d’un synchronisme entre deux unités spatialement distinctes est limité pour l’instant au cas de U5 et P15). Il est regrettable que la proximité de la RN 448 interdise toute possibilité d’extension du décapage vers le nord‑ouest et nous prive ainsi d’une partie des informations disponibles. Toutefois, les sondages réalisés de l’autre côté de la route laissent supposer que le campement n’a jamais dû s’étendre très au‑delà de la zone actuellement connue.
29D’ores et déjà, une certaine organisation du campement est perceptible : en effet, les deux types de structures d’habitat précédemment évoqués, caractérisés par la présence d’un foyer, ne se distribuent pas de manière aléatoire. Au sein même du campement, il semble que l’occupation de l’espace ait été conditionnée par le modelé du paléorelief :
– plusieurs habitations (A17, W11, U5, QR5) ont été installées sur un méplat très doucement incliné vers le sud qui correspondait probablement à la partie la plus élevée de l’éminence sur laquelle les Magdaléniens ont établi leur campement ; au sud de la zone fouillée, l’unité A29 et les foyers contemporains S27 et Q31 ont été aménagés sur une pente un peu plus accusée ; au‑delà du foyer Q31 (dans les bandes 32‑35), l’absence de niveaux superficiels et la déclivité du sol font apparaître l’existence d’une rupture de pente dans cette zone annonçant la présence, à proximité, du lit du ruisseau ou d’un paléo‑chenal de la Seine ;
– les petites unités d’occupation sont concentrées dans la partie ouest de la zone décapée, là où l’action du ru des Hauldres se fait davantage sentir sur la paléotopographie, accentuant le pendage des couches ; certains niveaux d’occupation (niveaux route, ruisseau) sont même localisés sur la berge fossile du ruisseau (fig. 78).

FIG. 78 – Les choix topographiques des unités d’occupation.
30L’analyse des petites unités d’occupation devrait apporter des précisions sur la répartition des lieux d’activité dans le campement. Si l’hypothèse émise à propos de la fonction de ces unités se trouve confirmée, il apparaîtra alors que les Magdaléniens se sont installés près du ruisseau, sur une pente sensible, parfois même sur sa berge, pour y tailler du silex, y allumer du feu et se livrer à certains travaux qui réclamaient, peut‑être, la proximité de l’eau tandis que les tentes étaient montées un peu plus loin, dans une zone où la topographie était plus propice à leur installation.
31Dans ce schéma général d’organisation du campement, l’unité P15 représente un cas particulier puisqu’elle a été interprétée comme une habitation malgré sa situation topographique sur une pente déjà sensible. Or, la preuve a été apportée de sa contemporanéité avec l’unité domestique U5, située plus au nord, dans la zone de méplat. En outre, l’étude comparative des débitages réalisés dans ces deux unités suggère une certaine dépendance économique des tailleurs de P15 vis‑à‑vis de leurs voisins de U5 qui se manifeste par la récupération de nucléus épuisés, abandonnés par les tailleurs de U5 et destinés à l’apprentissage de la taille, et par l’emprunt de supports ou d’outils (Olive 1988 ; Pigeot 1987b). Ainsi, l’habitation P15 peut‑elle être considérée, du moins en ce qui concerne le travail du silex, comme l’annexe d’une habitation principale. La quantité relativement réduite de silex abandonnés autour du foyer P15, l’analyse de la structure de combustion ne plaident pas en faveur d’une occupation de très longue durée. D’ailleurs, les remontages ont démontré que P15 n’a été habité que pendant la première phase d’occupation de U5. On peut donc imaginer la mise en place, à proximité d’une habitation principale, d’une structure légère (aucun élément pierreux n’a été utilisé pour fixer la couverture) qui a abrité pendant une période relativement courte (comparativement à U5) plusieurs Magdaléniens entretenant avec les occupants de U5 des relations étroites (s’agit‑il de la même famille ?). On peut simplement remarquer à ce stade de l’étude que cet abri a été aménagé sur un sol déclive, dans une zone où jusqu’à présent on ne connaît que des petites unités d’occupation.
1.1.3.2 L’espace domestique
32A plusieurs reprises, la diversité des structures d’habitat découvertes à Étiolles a été soulignée. Elle se manifeste, de manière évidente, dans la présence ou non d’un cercle de dalles délimitant l’habitation, dans l’aménagement du foyer. Toutefois, les études effectuées ou en cours de réalisation de plusieurs unités domestiques font, au contraire, apparaître que cette diversité masque une certaine régularité dans l’organisation spatiale. Celle‑ci est remarquable dans le cas de deux habitations à cercle de dalles (W11, U5) dont les territoires domestiques se superposent partiellement. De gros éléments pierreux dessinent un cercle de 6 m de diamètre et entourent un foyer, situé en position centrale, qui a attiré de nombreuses activités techniques et domestiques. Chaque habitation possédait deux, peut‑être trois issues, orientées vers le sud, l’ouest et le nord‑ouest. Le pourtour immédiat des abris, en particulier devant les issues, était investi soit pour y débiter des silex, soit pour y rejeter des éléments jugés encombrants dans l’habitation. Cette occupation de l’espace extérieur proche ne se faisait d’ailleurs pas de manière anarchique puisqu’en règle générale à Étiolles, les amas ou les nappes de silex, ateliers ou poubelles, sont nettement circonscrits. Il est intéressant de noter que ces deux unités sont stratigraphiquement très proches l’une de l’autre. On peut poser l’hypothèse qu’elles sont également proches dans le temps (s’agit‑il des mêmes individus ?). Les unités, QR5, A17 et A29, sans véritable cercle de dalles, obéissent aussi à ce même schéma d’organisation.
33L’habitation P15 s’éloigne un peu de ce modèle dans la mesure où seul l’espace extérieur, situé au nord de l’abri, a été utilisé comme aire de travail et de rejet. Mais nous avons déjà évoqué le cas particulier de P15 qui apparaît comme une cellule d’habitation dépendante de l’unité U5 : on peut donc imaginer que la localisation des zones d’activité a été déterminée par la situation respective de ces deux unités.
34La superficie du territoire domestique est variable selon les unités : de 70 m2 pour P15 à 180 m2 pour W11. Les limites et les modalités d’occupation de cet espace de fréquentation privilégié, proche de l’abri, devaient être fixées par de multiples facteurs comme des raisons de commodité, l’existence d’habitudes sociales qui réglementaient la circulation des individus et l’emplacement des lieux d’activité, la durée d’occupation du site.
35L’exemple des habitations contemporaines U5 et P15, situées à 6 m de distance l’une de l’autre, donne un aperçu sur la disposition des tentes et nous éclaire sur la manière dont les occupants de ces deux unités ont délimité leur territoire. La zone de fréquentation la plus dense se trouve logiquement entre les habitations. En outre, les remontages effectués entre ces unités évoquent davantage l’existence d’un espace de fréquentation commun que la juxtaposition de deux territoires domestiques : en effet, les Magdaléniens de U5 sont venus jusqu’aux abords de l’habitation P15 pour y rejeter des silex et des déchets provenant du nettoyage de leur foyer (fig. 79).

FIG. 79 – Le territoire domestique des habitations contemporaines U5 et P15.
dessin G. Tosello
36Sans vouloir soumettre ce qui apparaît comme un modèle d’habitation des Magdaléniens d’Étiolles à un simple déterminisme écologique, on peut se demander dans quelle mesure les Magdaléniens d’Étiolles se sont adaptés aux caractères spécifiques de l’environnement local, et si certaines contraintes du milieu (température, régime des vents, ensoleillement, paysage...) n’ont pas influé sur l’aménagement des abris et sur la localisation des activités.
37Le choix d’utiliser ou non de grosses dalles pour caler les parois de la tente ou les perches des armatures, parfois même, comme en U5, pour fixer la base des parois intérieures, suggère‑t‑il une adaptation à des conditions climatiques changeantes ? Le cas des habitations contemporaines U5 et P15 –la première caractérisée par l’existence d’une structure pierreuse très lourde, la seconde, au contraire, par l’absence de tout élément pierreux faisant office de calage– ne plaide pas en faveur de cette hypothèse.
38Le problème se pose aussi pour ce qui apparaît comme une habitude des Magdaléniens d’Étiolles : le fait de réaliser une partie des activités de débitage à l’extérieur. Ce travail en plein air suppose évidemment des conditions climatiques favorables.
39En réalité, il a été démontré dans l’étude de l’unité U5 que ce modèle spatial, rapidement présenté, était plus complexe : une coupure scindant l’occupation en deux phases a été mise en évidence grâce aux remontages des silex (Pigeot 1987a et b). Elle se marque par une modification des comportements : pendant la première phase, les Magdaléniens de U5 ont surtout débité à l’intérieur de l’abri, évacuant par la sortie sud les déchets ; pendant la seconde phase, les tailleurs débitent à l’extérieur et introduisent dans l’abri certains produits (supports, outils, nucléus) en empruntant l’issue ouest. Parmi les diverses hypothèses proposées pour expliquer cette évolution des comportements (changements d’activités, interruption du séjour avec réoccupation de l’abri par un autre groupe), celle d’un comportement saisonnier a été suggérée (Pigeot 1987a) : on peut, en effet, imaginer que la localisation des aires de débitage était soumise à des impératifs climatiques : à la mauvaise saison, on travaillait dedans ; lorsque les conditions devenaient plus clémentes, le débitage des rognons s’effectuait à l’extérieur. Mais l’argumentation soutenant cette hypothèse reste encore à construire puisque le mauvais état général des ossements découverts à Étiolles n’apporte que des réponses ponctuelles sur la durée et la saison d’occupation du site.
40Ainsi à Étiolles, une partie des activités techniques était réalisée en plein air, soit à proximité de l’abri, soit dans des zones plus éloignées situées plus près du ruisseau. Les études à venir devront montrer si le modèle diachronique de U5 s’applique à d’autres unités. Elles préciseront également la nature des relations (fonctionnelles et temporelles) existant entre les unités d’habitation, les aires d’activité extérieures plus isolées et les petites unités d’occupation. Alors, seulement, l’hypothèse de comportements saisonniers pourra être étayée.
41L’adaptation des Magdaléniens à l’environnement spécifique d’Étiolles est donc perceptible à plusieurs niveaux de l’analyse. Elle apparaît, d’abord, dans le choix du site, en fond de vallée, dans un biotope favorable, à proximité d’une bonne source de matière première. Bien que notre connaissance de l’habitat de ces Magdaléniens soit encore très partielle, cette adaptation est sensible aussi dans l’organisation du campement, dans la distribution des habitations et des aires d’activité. Les recherches en cours détermineront dans quelle mesure le modèle d’habitation mis en évidence dans les unités déjà étudiées est une réponse aux conditions écologiques régnant dans ce secteur de la vallée de la Seine, au début du Bölling.
1.1.4 L’exploitation du milieu
42Considérer l’implantation des Magdaléniens sur le site même d’Étiolles, c’est d’abord observer la manière, particulière ou non, qu’ils ont eu d’exploiter le milieu propre au site. L’une des questions essentielles qui se posent sur leur séjour à Étiolles est bien de connaître la (ou les) raison(s) les ayant entraînés à s’installer ici plutôt qu’ailleurs. On pourrait résumer ainsi l’alternative : sont‑ils venus à Étiolles pour effectuer certaines tâches, ou sont‑ils venus, sans raison prépondérante, et, ce faisant, y ont effectué certaines tâches ? Les hypothèses générales sur la fonction du site seront évoquées plus loin, aussi faut‑il, avant cela et dans ce but, considérer l’éventail des activités qui s’y sont déroulées et les ressources mises en jeu.
1.1.4.1 Les ressources minérales
Les matériaux taillés : le silex
Le silex local
43Le silex travaillé à Étiolles est une matière première si extraordinaire, si abondante, qu’il sauterait aux yeux du premier observateur venu que les Magdaléniens se sont installés là pour exploiter ce matériau unique dans le Bassin parisien (fig. 80). Les plus riches habitations étudiées (U5, A17, etc.) ont livré chacune de 300 à 500 kg de silex taillé. Pour la dizaine d’unités d’habitation actuellement individualisées, l’apport de silex sur le site peut s’évaluer à presque trois tonnes ! Et encore ce chiffre est‑il sous‑estimé puisque n’est pas pris en compte le « matériel négatif », fait de lames et nucléus manquants, emportés hors de la zone occupée par les Magdaléniens.

FIG. 80 – Le silex local d’Étiolles.
44Ces chiffres sont considérables. Ils témoignent autant de la dimension tout à fait inhabituelle des rognons de silex (jusqu’à 1 m pour un rognon en A17), et donc des produits de leur débitage (une lame à crête de 60 cm en W11), que de l’importance prise par les activités de taille à Étiolles.
45Cette matière première affleurait à peu de distance des aires choisies pour planter le campement : à quelques centaines de mètres, tout au plus, le ru des Hauldres ou la Seine entaillaient les accidents siliceux des étages tertiaires (éocène/barthonien supérieur/ludien) et déchaussaient les énormes rognons de silex que les Magdaléniens n’avaient plus qu’à ramasser, au pire à achever d’extraire du calcaire encaissant (cf. Manger, partie 1, article 2.2) ; peut‑être même se contentaient‑ils de trier dans les coulées de solifluxion sur le versant et de choisir les blocs les plus adéquats, quoique cette solution, d’efficacité plus aléatoire, ne devait intervenir qu’opportunément, en complément des autres. Il est difficile de reconnaître à coup sûr l’emploi de l’une ou l’autre de ces techniques d’approvisionnement, et d’une façon générale, le système d’acquisition des roches à tailler. Toutefois, un certain nombre de données sont en mesure d’apporter quelque lumière à cette question.
Les variétés du silex tertiaire d’Étiolles
46Le silex local présente de nombreuses variations d’aspects (texture, structure, couleur, cortex, etc.) que l’analyse micropaléontologique ne permet pas de différencier mais que la pratique des remontages met très clairement en évidence. Or, les unités d’habitation actuellement étudiées montrent que les Magdaléniens récoltaient à chaque fois plusieurs variétés de silex : 9 en U5 (pour 71 opérations de débitage), au moins 5 en A17 (pour 93 nucléus), et 7 en P15 (pour 28 nucléus). Dans l’ensemble, la matière n’est pas d’une homogénéité très grande, sauf peut‑être en A17 où elle est moins diversifiée (18,6 nucléus par variété, au lieu de 7,8 pour U5 et 4 seulement pour P15). Il faut croire que dans les affleurements, les types de silex variaient très vite (à l’échelle de quelques mètres ?) ou alors que les ravitaillements en silex se faisaient successivement sur plusieurs zones distinctes, en une seule expédition ou selon l’épuisement des stocks ; peut‑être les bons rognons affleurant en surface n’étaient‑ils pas si fréquents et fallait‑il prospecter longuement les berges à la recherche des matériaux convenables (non gélivés, par exemple) ? On remarquera aussi qu’en U5, où il a été possible de percevoir la succession de deux phases au cours de l’occupation (Pigeot 1987b), on a constaté que la deuxième, marquée par un changement d’organisation de l’espace habité, coïncidait avec un renouvellement du stock de rognons de silex car ceux‑ci étaient alors de variété différente. Cela indique, entre autres, la multiplicité des gîtes de silex dont l’accessibilité devait varier avec les fluctuations du fleuve et du ru des Hauldres, et les hasards de l’érosion et du comblement.
Le test, l’ébauchage ou la préparation des rognons de silex
47Les produits de ces opérations manquent parfois sur le sol fouillé des unités étudiées car, sur les nucléus remontés, les séquences opératoires initiales sont généralement absentes (fig. 81). En U5, par exemple, les meilleurs matériaux étaient apportés aux abords de l’espace domestique, ou même sous l’abri, en ayant reçu une préformation achevée. Cette opération difficile, et importante puisqu’elle prévoit les modalités du débitage laminaire et qu’elle engage donc la procédure future, était ainsi une opération autonome, réalisée ailleurs » dans une autre zone du campement ? ou sur les lieux mêmes de la récolte ? Cette dernière idée avait été avancée (Pigeot 1987b), mais finalement elle ne cadre pas totalement avec les résultats obtenus par l’étude de nouvelles habitations d’Étiolles, notamment A17 (Coudret à paraître ; Larrière‑Cabiran 1993). Ici, certains nucléus (16) ont vécu une histoire identique (arrivés entièrement préparés), mais un nombre beaucoup plus grand de blocs (46) ont été préformés sur le sol même de A17. Ces derniers avaient été auparavant, soit simplement testés (quelques gros éclats superficiels manquaient), soit vraiment. ébauchés, mais en aucun cas suffisamment épannelés pour commencer le débitage laminaire ; du reste, la préformation allait s’achever in situ avant la sortie de l’entame laminaire. Ces opérations préliminaires partielles sont plus en accord avec ce que l’on attend d’un travail fait sur des lieux d’approvisionnement : tester les aptitudes à la taille des rognons avant de les sélectionner, ou dégrossir un bloc déjà très lourd (en A17, l’un des blocs de silex pèse 70 kg !) afin de faciliter le transport vers le campement à quelque distance de là. Il va sans dire que le voile sur cette question ne sera définitivement levé que lorsque nous aurons la chance de découvrir un affleurement archéologique du silex local d’Étiolles.

FIG. 81 – Un remontage où manque la séquence de préparation.
L’organisation sociale de l’acquisition du silex
48Cette question a pu être entrevue en analysant l’économie du silex régie par les Magdaléniens ayant habité les plus importantes unités domestiques d’Étiolles, notamment U5 et A17. La rigueur et la complexité des comportements, observables à toutes les étapes de la chaîne d’exploitation des matériaux siliceux, ont conduit à y voir la marque très présente de règles sociales. Les énormes rognons de silex d’Étiolles présentaient des difficultés techniques considérables pour être débités correctement et donner les grandes séries de longues lames que l’on attendait d’eux. Il a paru que seuls des techniciens particulièrement formés à cette tâche avaient pu, par exemple en U5, exploiter les 25 meilleurs nucléus, sans la moindre erreur, malgré des matériaux parfois récalcitrants, des choix difficiles, des milliers de percussions, et procurer ainsi à la communauté au moins 500 lames de 20 à 40 cm. Ces opérations ont dû être l’œuvre de spécialistes, en quelque sorte, chargés de fournir le groupe en supports laminaires de grandes dimensions. A eux revenaient les meilleurs matériaux ; quant aux autres, et en particulier les jeunes tailleurs, ils n’avaient pas accès à ces nucléus précieux, devant se contenter de matériaux plus modestes (dimensions, qualité), voire déjà débités par des mains plus expertes.
49Sans pouvoir développer ici tous ces aspects (cf. Pigeot 1987b : Coudret à paraître ; Larrière‑Cabiran 1993), on retiendra que les débitages élaborés des spécialistes ont paru à tous les niveaux de l’analyse d’« essence » collective. En U5, les débitages faits par les meilleurs techniciens devaient être destinés à équiper l’ensemble du groupe ; les longues séries laminaires ne devant pas répondre aux simples besoins personnels d’un individu, ils étaient faits aussi au centre de l’abri, autour du foyer ou sur des ateliers extérieurs, toute zone où les spécialistes étaient seuls à débiter, faits enfin sur les plus grands rognons de silex, d’excellente qualité, et qui, pour la plupart, ont été soigneusement préparés avant d’être apportés en U5 (fig. 82). Cette sorte de passage systématique par une opération autonome de préformation des meilleurs matériaux, et destinés aux besoins utilitaires de la communauté, matériaux de surcroît très pesants, laisse entendre qu’ils avaient dû être récoltés en commun, d’autant plus que deux nucléus de bonne qualité, bien préparés, « prêts à l’emploi » ont été retrouvés tels quels, près du foyer, comme l’image d’un stock non épuisé de matériaux mis en réserve.

FIG. 82 – Organisation spatiale du débitage en U5
dessin G. Tosello
50Parallèlement, des débitages plus opportunistes et simplifiés, plus modestes aussi, ont été menés en U5, un peu en retrait du foyer central, pour fournir de petites productions de lames assez courtes, mais abondamment utilisées. Or, ce type de débitage a souvent été effectué sur des blocs de silex plus petits, moins prometteurs donc, et moins précieux (quoique de très bonne qualité également) ; or, eux, sont arrivés bruts en U5, leur préformation s’étant déroulée in situ, au moment de leur exploitation laminaire. Ces débitages, à l’inverse des précédents, sont donc apparus plus empreints de l’opportunisme propre aux besoins personnels, et l’on a envisagé que ces matériaux avaient pu, quant à eux, être ramassés à titre plus individuel, au gré des besoins ou des déplacements de chacun.
51D’autres études en cours (A17) étayent ces hypothèses ; des règles sociales comparables sont observées même si l’on ne retrouve pas la même organisation spatiale des activités en fonction de la compétence des tailleurs.
52On entrevoit donc l’existence de pratiques d’acquisition du silex où l’emprise sociale était sans doute assez forte, mais dont il est malaisé de cerner la nature exacte. Le silex local d’Étiolles était une matière première précieuse et, contrairement aux apparences (la masse des grands éclats jonchant encore les sols), elle n’a jamais été gâchée, mais au contraire très rigoureusement et rationnellement récoltée et distribuée selon les potentialités économiques des blocs et les compétences techniques de chacun.
53Pourquoi était‑elle si précieuse ? Parce que les longues lames que l’on pouvait obtenir de ces immenses nucléus étaient spécialement rentables ou efficaces ? Il faudrait être certain que les longues lames sont plus performantes que les autres ; or, rien n’est moins sûr, les outils à Étiolles n’étant pas façonnés de préférence sur les lames les plus longues. Parce que ses dimensions en faisaient une matière extraordinaire et qu’à ce titre : la rareté, à l’instar des métaux précieux chez les populations plus récentes, elle était investie d’un prix que sa seule efficacité utilitaire ne suffit pas à expliquer ? C’est possible, mais il est tout aussi possible que ce soit le silex en général, ressource indispensable à la survie de ces populations, auquel on ait attaché un grand prix, et le silex d’Étiolles aurait été, en fait, à peine plus recherché que des gîtes à silex nous paraissant plus modestes et moins intéressants. Cette sorte de respect vis‑à‑vis des ressources qu’offre la nature à ceux qui en vivent, comme les chasseurs‑cueilleurs, est une attitude couramment observée par les ethnologues. Elle a pu exister aussi à l’époque préhistorique, mais on peut se demander si, en outre, ce n’était pas une obligation économique de préserver les sources de bon silex. Il est remarquable que les matériaux exploités tant en U5 qu’en A17 et encore plus en P15 n’étaient pas tous exempts de défauts. Certains blocs n’étaient même pas loin d’être intaillables de par leurs formes trop globuleuses, ou les fissures qui les parcouraient, ou encore les impuretés fracturant les lames pendant le débitage. Pourtant, ils ont été choisis, récoltés et transportés. Il est probable que les rognons de qualité optimale (formes aplaties et régulières, et structure homogène) n’étaient pas si fréquents ; parfois devait‑on se contenter de ce qu’on trouvait, même médiocre. On remarque aussi que les matériaux taillés dans les habitations les plus récentes sont moins bons (dimensions, mais aussi régularité morphologique et structurelle) que dans les couches les plus profondes du site. Assiste‑t‑on à un appauvrissement des sources de silex d’Étiolles ? Ou les érosions fluviatiles se sont‑elles détournées au cours du temps des accidents siliceux les plus favorables ?
Le silex étranger
54Comportement bien connu désormais des Magdaléniens itinérants : ils emportaient au cours de leurs déplacements un petit outillage de base, fait de lames et d’outils façonnés qu’ils se fabriquaient sans doute avant de quitter les endroits riches en gîtes à silex. Ces outils devenus usagés sont retrouvés mêlés aux autres silex mis en œuvre localement dans le nouveau campement. Ces silex sont intéressants à plus d’un titre : on a vu (cf. Manger, partie 1, article 2.2) qu’ils indiquent à travers l’analyse de l’origine des matières premières l’origine des hommes, donc des mouvements territoriaux ; mais ils révèlent aussi un certain comportement des Magdaléniens dans leur territoire. En A17, par exemple, le silex d’origine lointaine est arrivé, comme ailleurs, sous forme de supports ou d’outils façonnés, mais il existe également un silex de provenance beaucoup plus proche qui fut apporté, d’abord en plus grand nombre, et ensuite sous la forme non seulement de produits utilitaires mais aussi d’éclats qui vont servir in situ au débitage de lames et de lamelles. Il existe donc un lien entre la proximité des sources et la nature des produits qui en viennent, avec une progression, selon la distance, de la quantité et du poids de matière transportée et du degré d’achèvement des objets fabriqués. Ce type de transport économique des matières utiles n’est pas un phénomène nouveau ni propre aux Magdaléniens d’Étiolles ; depuis au moins le Paléolithique moyen, on rencontre des comportements de ce type, bien évidemment liés au nomadisme de groupes d’hommes qui, de surcroît, ne disposent pas de moyens de portage élaborés. Constatons seulement qu’au Magdalénien encore, l’équipement de voyage restait léger et sans doute réduit au strict nécessaire, sans doute même aux biens personnels.
Les autres ressources lithiques
La pierre des outils non taillés
55Les outils en pierre non taillée se restreignent à peu de choses : quelques percuteurs ou enclumes. Les matières utilisées pour ces outils ne posent aucun problème d’approvisionnement puisque les galets ramassés sur les berges des cours d’eau voisins étaient adéquats. En A17, les Magdaléniens ont souvent choisi des blocs de grès qu’ils allaient chercher dans les étages stampiens affleurant à quelque distance du site. Cependant, à part dans cette unité d’habitation où les percuteurs en pierre sont relativement nombreux (17), ces outils ont assez rarement été retrouvés sur les sols d’habitat. On ne trouve par ailleurs aucun percuteur en bois de Renne, ce qui pourrait paraître curieux sur un site où la taille de la pierre prit une telle importance. Mais cette rareté n’est pas choquante lorsqu’on sait, aux dires des expérimentateurs modernes, que les bons percuteurs, ceux qui conviennent et que l’on s’est fait « à sa main », sont des outils que l’on tient à conserver avec soi jusqu’à ce qu’ils se cassent ou soient trop abîmés.
Les structures pierreuses
Les éléments de construction des habitations
56Les implantations d’Étiolles, on l’a vu, sont le plus souvent légères et les pierres de consolidation ou de calage des tentes ou des armatures sont d’un emploi des plus réduits. Seuls, en fait, les occupants des deux grandes habitations U5 et W11 (fig. 83) y ont fait largement appel. Quelques dizaines de grosses dalles et centaines de dal‑lettes ont été nécessaires à l’implantation de U5, et nettement moins pour W11. Pour les autres habitations, l’utilisation des pierres comme élément de structure de construction se réduit dans le meilleur des cas (A17, A29, QR5...) à quelques grandes dalles et blocs. Pourtant, ce n’est pas l’environnement d’Étiolles qui se montrait avare en matériaux. Les grandes dalles de meulière ou les blocs de calcaire pouvaient se ramasser à peu de distance, là où les cours d’eau entaillaient le sous‑sol et mettaient à nu les assises des étages calcaires (Champigny ou de Brie), ou, comme les silex, dans les coulées de solifluxion sur le versant du plateau de Sénart. La légèreté des infrastructures des demeures magdaléniennes d’Étiolles résulte donc d’un choix culturel, lié à la durée, la fonction ou la saison des occupations.

FIG. 83 – Les structure de construction de l’habitation U5.
Les pierres d’appareillage de foyer
57Notons d’abord que les pierres utilisées dans l’aménagement des structures de combustion sont d’origine locale, comme celles employées à renforcer les structures d’habitation et n’ont pas posé davantage de problème d’acquisition. Ce sont le plus souvent des meulières et des calcaires, et en très faible nombre, des grès, sauf dans le foyer de l’habitation A17 où ils étaient prépondérants. Seuls ces derniers, peut‑être, ont demandé un léger effort de portage supplémentaire puisque les affleurements stampiens sont un peu plus éloignés des lieux de campement. Toutefois, nous restons dans des distances inférieures au kilomètre, ce qui n’est rien. En réalité, ce qui est remarquable dans les stratégies d’acquisition des pierres de foyer, c’est surtout leur variété.
58Tous les foyers d’Étiolles ne sont pas encore étudiés, mais un simple regard sur les structures évidentes montre déjà (cf. supra) que certains foyers ne comportent aucune pierre ou presque (016, G13, K12) tandis que d’autres (U5, P15, W11 et S27) ne sont constitués que de cela ! Et, entre ces deux extrêmes, toute une gradation existe, de l’anarchie apparente de la construction aux structures les plus élaborées (A17, C76, D71, par exemple). Il est donc évident que les Magdaléniens d’Étiolles n’ont pas tous sollicité leur environnement de la même manière pour établir, puis alimenter leurs foyers. Sur ce fond de diversité, lié probablement à la fonction des structures, aux saisons d’occupation, mais aussi certainement à des habitudes ethniques, les études précises des foyers d’Étiolles tentent de situer et démêler la part de chacune de ces options.
59Ainsi, l’analyse de A17 met en avant la fonction, en l’occurrence calorifère, pour expliquer la reconstruction du foyer au cours du séjour, reconstruction qui a largement fait appel aux propriétés des matériaux (conductivité thermique, résistance au feu) et de l’appareillage : choix des meulières les plus compactes (non caverneuses), des calcaires les plus réfractaires (calcaires de Champigny plutôt que de Brie), des grès (alors qu’ils sont rares dans l’environnement, et d’ailleurs très rares dans les autres foyers d’Étiolles), d’une structure de petite dimension (l’âtre mesure à peine 20 cm de diamètre) et ceinturée d’une double bordure épaisse de petits blocs de pierres (Coudret, Larrière 1986 ; Coudret et al. 1989 ; Larrière‑Cabiran 1993) (fig. 84). Ce réaménagement serait‑il lié à un changement de fonction du foyer ou à une aggravation du temps pendant l’occupation ?

FIG. 84 – Distribution des divers composants pierreux au sein du foyer de l’habitation A17.
60En revanche, la ressemblance structurelle des grands foyers pierreux laisse songeur en regard de la diversité des unités dont ils étaient le centre. U5 était une habitation de longue durée, un vrai lieu de résidence marqué par la pluralité et l’importance des activités qui s’y sont déroulées. P15, qui lui est contemporain, semble une unité plus spécialisée dans une économie de taille très médiocre (lieu des enfants ?) : de moins longue durée, moins riche, n’ayant pas la lourde infrastructure en pierres de sa voisine, elle offre pourtant ce grand foyer pierreux remarquablement construit et organisé (Olive 1988). L’unité W11, elle, présente bien des analogies avec U5 dans la manière d’organiser l’espace, pourtant on n’y a abandonné que 13 outils façonnés (au lieu des 503 de U5 !), et elle apparaît donc plutôt comme une structure plus spécialisée dans le débitage, et sans doute de moins longue durée. Quant au foyer S27, il semblerait être une structure de plein air, autour duquel, entre autres, on préformait les gros rognons de silex, qui, peut‑être (la structure est en cours d’étude), allaient être débités dans l’unité domestique voisine : Q31.
61Assurément, l’environnement à Étiolles n’était pas un obstacle pour se procurer les éléments pierreux nécessaires à toutes les options fonctionnelles ou culturelles reconnues dans l’étude des foyers. Les sélections observées des types de pierres (meulières, calcaires, etc.), de leurs propriétés de résistance ou de réfraction (souvent antinomiques), de leurs dimensions (de la dalle de 50 cm au petit bloc) ou de leurs formes (aplaties ou en galet) résultent d’un choix délibéré des hommes et non d’une contrainte du milieu.
L’ocre
62Les sols d’Étiolles ne sont jamais abondamment nappés d’ocre rouge. Les plus riches unités (W11, U5, QR5, Q31, A17...) n’offrent au mieux que des restes d’épandage réduits à des surfaces de quelques décimètres carrés et à des traces résiduelles sous les éclats qui les protégeaient. Ce témoin est toujours localisé autour des foyers domestiques, dans l’espace présumé abrité de l’habitation. Les Magdaléniens d’Étiolles utilisaient donc cette matière colorante qu’est l’ocre rouge, et ils suivaient en cela l’usage traditionnel chez les peuples du Paléolithique supérieur. Pourtant il n’y a pas de gîtes ocriers à moins de 50 km de là (Audoin, Plisson 1982). Cette lacune dans l’environnement immédiat expliquerait‑elle l’emploi apparemment parcimonieux de cette matière, ou faut‑il voir dans la faible représentation de ce témoin une question de mauvaise conservation ? Il est difficile de répondre, mais en tout état de cause, l’ocre était utilisée. C’était une matière précieuse aux Magdaléniens qui devaient s’en procurer, même quand les conditions du milieu n’y étaient pas favorables. Ils devaient donc transporter avec eux la quantité d’ocre dont ils avaient besoin, ou en tout cas prospecter assidûment les berges de la Seine pour en recueillir quelques traces dans les alluvions (était‑ce suffisant ?).
63L’acquisition de l’ocre rouge s’intégrait certainement à un cadre de comportements où primait la valeur sociale des objets ou des matières sur l’habituelle économie des moyens : le même, sans doute, observé avec les coquillages ou les parures qui sont conservés au cours des déplacements et transportés parfois sur de très longues distances.
1.1.4.2 Les ressources animales
64Pour apporter 3 tonnes de silex jusqu’au campement, puis le débiter en lames, même si l’on tient à l’idée que les hommes ne sont venus à Étiolles que pour cela, il faut bien admettre qu’il a fallu des milliers d’heures, donc des dizaines de mois... Les sols d’Étiolles sont des sols habités. Est‑il encore besoin de souligner que des adultes et des enfants, donc des familles ont séjourné sur le site, qu’ils ont laissé les traces de vraies habitations construites, les déchets de nombreuses activités de toutes sortes (travail des peaux, du bois, de l’os, fabrication et réfection des armes, construction et entretien de grands foyers, etc.). Il fallait bien se nourrir. Pourtant, à côté de cette masse de silex qui jonchait les sols, l’ensemble des vestiges osseux tiendrait clans deux grands cartons (cf. Poplin, partie 1, article 2.3). En outre, la plupart de ces vestiges (hormis l’exceptionnelle nappe d’ossements de chevaux) n’ont pas grand chose de commun avec des déchets alimentaires : des bois de Renne, des os plats de Mammouth (une omoplate et un coxal), des colonnes vertébrales et des maxillaires de Renne, une extrémité de patte de grand Boviné (Bison ?) et quelques infimes fragments divers.
65On reviendra peu sur l’alternative issue de données contradictoires qui échappent pour l’instant à des hypothèses satisfaisantes :
– ou bien les os encore présents à Étiolles sont les résidus extrêmes d’une mauvaise conservation : mais pourquoi des vertèbres ou des côtes que leur fragilité place plutôt en tête de la corrosion différentielle, ont‑ils survécu là où les os plus compacts comme les diaphyses ou les dents ont disparu ? et pourquoi, parallèlement, les os de chevaux ont‑ils résisté jusqu’à d’infimes esquilles d’os éclaté dans la seule nappe d’ossements du site ?
– ou bien les os présents sont grosso modo l’image fidèle de l’état des lieux au moment du départ des Magdaléniens : mais dans ce cas où sont passés les restes des aliments qui ont nourri ces familles pendant tant de mois ?
66Pourtant, la résolution de ce dilemme est absolument fondamentale pour la compréhension fonctionnelle et générale du site d’Étiolles. Si l’ensemble des vestiges osseux a disparu dans les flammes des foyers, cela veut dire qu’Étiolles peut prétendre à la fonction d’un site de résidence, au plein sens du terme. Si, comme le suggère F. Poplin, les zones d’habitat pouvaient être « ailleurs », le gisement actuellement fouillé ne serait qu’un lieu hautement spécialisé dans l’exploitation du silex ; or là, les implications sociales que l’on serait en droit de développer sont lourdes de conséquences.
67En attendant, rangeons‑nous à une attitude prudente car il reste encore bien des explications pour rendre compte de la carence des restes alimentaires, comme la pêche, ou l’utilisation d’un stock de nourriture préparée, viande séchée ou fumée... et constatons la diversité des espèces présentes, même si toutes n’ont pas forcément été chassées (les os plats de Mammouth ayant pu être prélevés sur des carcasses). Étiolles, en fond de vallée et au pied d’un versant en pente douce qui conduit au plateau de Sénart, a pu être un espace fréquenté par des faunes diversifiées (au moins le Renne, le Cheval et un grand Boviné). Il est possible que les Magdaléniens aient profité de ces opportunités de chasse pour l’alimentation quotidienne. Il est plus que probable, de toute façon, qu’à Étiolles, peut‑être à cause du milieu animal qui ne s’y prêtait pas, il ne fut jamais pratiqué de chasse spécialisée intensive, comme à Pincevent ou à Verberie.
1.1.4.3 Les ressources végétales
68Jusqu’à peu, ce qui aurait pu être dit des ressources végétales exploitées, et même seulement exploitables, par les Magdaléniens d’Étiolles, n’aurait tenu qu’en un mot : rien. La palynologie bute sur des problèmes de pollution pollinique à Étiolles comme dans tous les sites magdaléniens du Bassin parisien ; l’anthracologie ne révèle dans les résidus charbonneux des foyers que des charbons d’os ou des fragments petits et écrasés, difficiles à identifier (cf. Thiébault, partie 1, article 2.7) ; quant à la tracéologie, pour l’instant, elle n’a pas donné assez de résultats exploitables. Pas de paysage végétal, pas de choix de combustible, pas d’outil à travailler le bois... A l’heure actuelle, de nouvelles recherches et de nouvelles méthodes (cf. Rodriguez, partie 1, article 1.3 et Wattez, partie 1, article 2.8) permettent d’en discerner un tout petit peu plus sur cette question. L’environnement d’Étiolles n’avait pas l’aridité qu’on lui prêtait auparavant lorsqu’on ne disposait que de la présence du Renne et du Mammouth pour en inférer un climat rigoureux. Les analyses malacologiques attestent au contraire la coexistence d’étendues ouvertes buissonnantes et de zones boisées.
69Ainsi, la proximité des arbres dut être une facilité précieuse pour se procurer les perches des armatures de tentes, ainsi que le ravitaillement en combustible des foyers. Aucune stratégie particulière d’acquisition et de choix des essences ne saurait évidemment être discernée avec des données aussi misérables. Rappelons seulement que J. Wattez a identifié dans le foyer S29 des cendres spécifiques de feuillus et des cendres d’herbacées en Q31. Gageons que ses analyses appliquées à des foyers plus riches en résidus de combustion permettront d’en savoir plus, et sur la flore locale, et sur les modes d’exploitation de l’environnement végétal par les Magdaléniens d’Étiolles.
1.1.5 La fonction des installations
70Poser la question de la fonction des installations est une interrogation singulière à propos d’une société non productrice dont on pourrait supposer que les besoins sont largement pourvus par la générosité du milieu naturel au même titre que ceux des prédateurs de toute espèce. Gibier abondant, outillage simple, technologie sans grand problème, induisent un mode de vie conçu en équilibre dans une continuité d’activités quotidiennes répétitives. Dans cette perspective, chaque séjour ne témoignerait que de la nécessité de renouveler l’apport du milieu, de retrouver simplement des conditions plus favorables à l’exercice d’activités habituelles qui ne connaissent d’autres rythmes que ceux qu’imposent les saisons et leur influence sur le gibier.
71Pourtant la question se pose en constatant les grandes différences qui existent dans la composition des vestiges laissés sur le sol des habitations. Les nappes d’ossements de Rennes de Pincevent s’opposent aux amas de silex taillés d’Étiolles. Mais quelle réalité saisit‑on à travers ce fait ? Un instant de décuplement d’une activité par ailleurs banale comme réponse immédiate à une conjoncture favorable (passage de Rennes, déchaussement favorable de rognons de silex) témoignant d’une simple exploitation du milieu au gré des circonstances, ou bien tient‑on le maillon d’une chaîne techno‑économique logique qui impose le choix des lieux de séjour dans une programmation globale des activités du groupe ?
72La seconde hypothèse est lourde de conséquences sur l’ensemble des connaissances que nous avons de ces sociétés. Elle risque de transformer l’interprétation donnée jusqu’alors des rapports entre le Préhistorique et son milieu. Elle engagerait à modifier la notion de prédation systématique pour laisser entrevoir des formules d’exploitation du milieu plus proches de ce qui semblerait déjà être une gestion économique des ressources.
73Quels sont les éléments de l’analyse des données susceptibles d’orienter le choix entre les deux hypothèses ? Ce qui les sépare relève de l’organisation socio‑économique du groupe. La logique d’une organisation s’apprécie au moyen d’une analyse globale qui, hélas, est peu praticable ici. Seuls des aspects partiels de l’ensemble des activités peuvent être saisis mais s’ils présentent des caractéristiques d’organisation et de récurrence, ils incitent alors à les inclure dans un cadre prévisionnel aboutissant à programmer et à déterminer le séjour.
74L’hypothèse d’un lieu d’activités spécialisées engage une vision très organisée des sociétés préhistoriques pratiquant un système économique rationnel au sein d’un territoire parfaitement intégré. Rien ne s’oppose, surtout au Magdalénien, à cette maîtrise du milieu naturel. Elle implique des déplacements périodiques de tout ou partie du groupe, des séjours de courte durée, répétitifs, peut‑être en liaison avec une saison de l’année, et surtout l’exercice d’une activité dominante, intensive pendant au moins une partie du séjour. Le site d’Étiolles répond‑il à ces conditions ?
1.1.5.1 La durée du séjour
75Son appréciation est presque hors de portée ! Aucun argument n’est décisif parce qu’il se cantonne dans les généralités là où il serait nécessaire de distinguer chaque unité d’habitation.
76Le rythme des crues est naturellement un élément régulateur des séjours. Les sols d’occupation sont enfouis sous les limons d’inondation et leur état de conservation suggère un recouvrement rapide ne laissant pas le temps aux animaux et végétaux de modifier la disposition des vestiges. Par ailleurs, il a déjà été dit combien il est impossible d’apprécier la fréquence des crues d’autant que le cône d’alluvions sur lequel se sont installés les Paléolithiques est nettement au‑dessus du lit du fleuve. Les habitations les plus importantes n’ont peut‑être pas été menacées par les crues annuelles ; d’autres, au contraire témoignent d’une sorte d’indifférence pour ce problème par leur position plus près des chenaux. Ces dernières étaient, dès leur installation, condamnées à être abandonnées, mais au bout de combien de temps ?
77L’argument fondé sur le rythme des crues conduit à mettre en évidence ce que l’on a toujours su : il ne s’agit pas d’habitations sédentaires !
78Les types d’installation peuvent‑ils fournir quelques arguments permettant d’apprécier la durée du séjour ? Il paraît logique qu’une occupation, prévue de courte durée, n’engage pas une grande dépense d’énergie dans l’installation de l’habitation. Ainsi, l’installation lourde serait destinée à une longue durée d’usage, l’installation peu élaborée traduisant la brièveté du séjour. En réalité, il s’agit là d’une idée fondée sur nos propres comportements mais sans aucun fondement universel ! Faut‑il rappeler la diversité des habitations saisonnières parmi les peuples itinérants, habitations dont le rôle social est infiniment plus important que leur fonction clans le domaine matériel des travaux. Il est très probable que le type d’installation, dont plusieurs modèles coexistent à Étiolles, est un élément beaucoup plus traditionnel que fonctionnel.
79Les foyers livreront, sans doute un jour, les arguments les plus pertinents de la durée de leur utilisation. Chaque habitation possède un foyer domestique dont le fonctionnement a laissé des stigmates sur la sole et sur les pierres de l’appareillage. La qualité et le degré des modifications physico‑chimiques sont fonction de la température et de la durée d’exposition au flux thermique. Si la première peut être appréciée, la seconde reste à obtenir, mais n’est certainement pas hors de notre portée. Connaître la durée de fonctionnement du foyer serait le meilleur indice de la durée du séjour. Pour l’instant, le rythme de fonctionnement du foyer et sa durée sont indissociables. Le nombre des vidanges, les réfections, les recharges de pierres, la mouvance des objets qui tracent les aires d’activités liées au feu peuvent aussi bien être interprétés en terme de durée qu’en terme d’intensité d’utilisation.
80La clarté de l’organisation spatiale est un argument théoriquement valable pour prouver la courte durée de l’occupation. Les multiples activités, les piétinements n’ont pas eu le temps de mélanger les vestiges, de brouiller l’image de l’organisation domestique. A Étiolles, cette donnée perd sa valeur devant l’obstination des occupants à balayer, évacuer, réaménager leur espace. La marque du temps est effacée par l’action ménagère !
81Les éléments de l’analyse qui permettraient d’aborder la question de la durée du séjour de chaque groupe, à Étiolles, sont séparément inefficaces. Sauf le terme imposé par les crues, aucune autre donnée ne permet d’évaluer la durée des installations.
1.1.5.2 Le rythme de fréquentation
82Deux questions se posent à propos de la fréquentation dont les réponses peuvent déboucher sur un aspect organisé de l’exploitation du site : la périodicité et ses rapports avec les saisons et le degré de diversité de la fréquentation, retour des mêmes groupes, ou succession de groupes différents.
83La fréquentation a déjà été évoquée. Grâce au nombre des unités d’occupation, à leur succession ou à leur contemporanéité, on soupçonne le rythme d’avoir été irrégulier puisque certaines séquences stratigraphiques paraissent plus denses que d’autres. La localisation dans un secteur étroit est un élément intéressant puisqu’il suggère la présence d’un point d’appel aux installations. Cet appel pourrait bien être le confluent du ru des Hauldres, fournisseur de rognons de silex déchaussés par son action dynamique.
84La périodicité est‑elle en relation avec une saison particulière ainsi qu’il est fréquent dans l’organisation annuelle des activités des chasseurs‑prédateurs ? Le silex était probablement accessible toute l’année, avec peut‑être un maximum de déchaussement naturel pendant les périodes sèches et froides de l’hiver et aussi pendant les crues de printemps. Les seuls éléments indicatifs de la saison sont donnés par l’étude de F. Poplin (cf. Poplin, partie 1, article 2.3) sur la faune d’Étiolles. Le poulain du niveau « Cheval » est âgé de 9‑10 mois, il a donc été abattu à la fin de l’hiver ou au début du printemps. La pouliche de l’habitation A29 a été tuée en novembre. Ces deux faits sont importants mais ils appartiennent à des unités précises et rien n’autorise à projeter ces résultats sur les autres occupations d’Étiolles.
85La diversité de la fréquentation pose la question du retour des mêmes groupes ou, au contraire, de la venue de groupes différents. Les éléments de la réponse reposent sur le degré de similitude des installations ou des gestes des tailleurs. Pour l’instant, les deux hypothèses existent sans qu’aucune ne soit prépondérante. Les installations de U5 et de W11 offrent une grande part d’analogie mais les autres habitations n’ont entre elles que des points communs d’ordre général. Depuis que des études ont prouvé que le niveau technique pouvait être très variable au sein d’un même groupe (Pigeot 1987 ; Olive 1988), il devient périlleux de se servir de cet argument dans un but d’identification de groupe.
86Les aspects qui laissent paraître la périodicité, la saison et la diversité des groupes proposent des débuts de réponse, mais la ponctualité des faits incite à rester très ouvert à toutes les hypothèses.
1.1.5.3 La spécificité des activités
87Dans la partie consacrée à l’utilisation des ressources naturelles à Étiolles, il a été montré combien le débitage du silex est important mais non exclusif d’autres activités. Le silex d’Étiolles a‑t‑il fait l’objet d’une exploitation systématique et donc programmée ?
88Si le séjour est déterminé par l’exercice d’activités précises, sa durée est fonction de l’accomplissement du projet. Lorsque le but est atteint, en l’occurrence un nombre suffisant de lames, le groupe lève le camp. Inversement, le séjour est prolongé si quelques difficultés surgissent clans la collecte ou dans la taille des rognons. Ainsi, dans cette hypothèse, la durée serait fonction de l’efficacité du travail et pratiquement toutes les installations d’Étiolles témoigneraient de l’accomplissement du même projet.
89On ne peut évidemment pas apprécier la quantité de lames souhaitée, mais l’on constate de très fortes différences par unité. Les plus grandes habitations fournissent d’énormes quantités de silex débité mais également les indices d’une occupation globalement plus dense : nombreux postes de travail, activités variées, évacuations importantes, foyers usagés... Le tout suggère la présence d’un groupe humain plus nombreux. Inversement, les petites unités, moins pourvues en matériel lithique, pourraient appartenir à des familles restreintes dont les besoins en lames seraient limités par la modicité de leurs travaux et la faiblesse de leurs moyens de portage. Ces aperçus introduisent l’idée que le besoin en silex qui conditionne l’importance du silex débité est fonction de la dimension du groupe. L’adéquation paraît solide car aucun gaspillage n’a été constaté. Chaque groupe s’est limité à ses besoins.
90Si les petites habitations correspondent à des séjours indépendants, elles ne témoignent pas d’un investissement supérieur à celui qui est commun dans bien d’autres lieux pour la taille du silex. Par contre, si elles constituent, avec les grandes habitations, des occupations simultanées de familles apparentées, elles participent sans doute à l’organisation du travail commun. L’exemple de U5 et de P15 incite à concevoir une organisation plus ou moins collective de l’exploitation du silex dont la taille est effectuée de façon privilégiée par les plus doués dans les emplacements largement ouverts des grandes habitations. L’avenir dira si cette hypothèse est valable. Pour l’instant, on ne peut que constater que les habitations d’Étiolles témoignent de deux attitudes vis‑à‑vis du silex : l’une, celle de U5, est l’image de l’intelligence mise au service de l’exploitation du site, l’autre, celle des petites unités, n’atteint pas un niveau qui permette d’avancer l’idée d’une spécialisation des activités du séjour.
91La possibilité d’exploiter du bon silex tertiaire fraîchement déchaussé de sa gangue d’argile par l’action des petits affluents de la Seine qui dévalent du plateau de Sénart constitue, sans doute, l’un des facteurs déterminants du choix de l’implantation magdalénienne dans cette partie de la vallée de la Seine. L’hypothèse de passage rapide de groupes venus faire du silex au cours de circuits saisonniers repose sur quelques arguments solides : importance quantitative du silex débité, haut niveau de technicité, organisation économique de l’exploitation... Pourtant quelques aspects particuliers ne s’intègrent pas bien à ce modèle. Le silex n’a pas été intensivement débité dans chacune des habitations, le niveau de technicité est variable, l’importance des foyers et de l’organisation des aires d’activités témoignent de l’accomplissement de nombreux travaux variés.
92En réalité, il est difficile de savoir jusqu’à quel point cette partie du bassin de la Seine ne constituait pas un territoire privilégié de peuplement, celui qui est occupé de façon plus constante, semblable à ceux qui existaient à la même époque dans les vallées très peuplées des Pyrénées ou des Cantabres.
Bibliographie
93Audouin, Plisson 1982 : AUDOIN (F.), PLISSON (H.). — Les Ocres et leurs témoins en France : enquête et expériences sur leur validité archéologique. Cahiers du Centre de Recherches Préhistoriques, 8, p. 33‑80. Paris : université de Paris I, 1982.
94Coudret à paraître : COUDRET (P.). — Le Travail du silex chez les Magdaléniens de l’unité A17 d’Étiolles. (Thèse de Doctorat, université de Paris I, à paraître).
95Coudret, barrière 1986 : COUDRET (P.), LARRIERE (M.). — L’Apport de la thermoluminescence dans l’étude d’un foyer préhistorique : exemple de la structure de combustion A17 du gisement magdalénien d’Étiolles (Essonne, France). Revue d’Archéométrie, 10, 1986, p. 19‑24.
96Coudret et al. 1989 : COUDRET (P.), LARRIERE (M.), VALENTIN (B.). — Comparer des foyers : une entreprise difficile. In : OLIVE (M.), TABORIN (Y.) dir. — Nature et fonction des foyers préhistoriques : colloque international de Nemours, 12‑14 mai 1987. Nemours : APRAIF, 1989, p. 37‑45 (Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile‑de‑France ; 2).
97Durand 1983 : DURAND (P.). — Etudes des alluvions de la Seine à Étiolles : essai d’interprétation de la dynamique locale. (Maîtrise de Préhistoire, université de Paris I, 1983. 85 p.).
98Larrière‑Cabiran 1993 : LARRIERE‑CABIRAN (M.). — Organisation et utilisation de l’espace dans une unité d’occupation magdalénienne à Étiolles (Essonne, France) : l’habitation A17. (Thèse de Doctorat, université de Paris I, 1993. 3 vol. 633 p. 25 pl. hors texte).
99Meloy 1983 : MELOY (B.). — Milieu sédimentaire et paysage à Étiolles. Cahiers du Centre de Recherches Préhistoriques, 9, p. 55‑79. Paris : université de Paris I, 1983.
100Olive 1988 : OLIVE (M.). — Une Habitation magdalénienne d’Étiolles : l’unité P15. Paris : SPF, 1988. 175 p. (Mémoire ; 20).
101Olive 1989 : OLIVE (M.). — Étiolles : quels foyers pour quels usages. In : OLIVE (M.), TABORIN (Y.) dir. — Nature et fonction des foyers préhistoriques : colloque international de Nemours, 12‑14 mai 1987. Nemours : APRAIF, 1989, p. 197‑ 207 (Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile‑de‑France ; 2).
102Olive et al. 1976 : OLIVE (M.), PIGEOT (N.), TABORIN (Y.). — Étiolles (Essonne) : les habitats paléolithiques. In : livret‑guide A1 : IXe Congrès de l’UISPP, Nice, 1976, p. 45‑57.
103Olive et al. 1988 : OLIVE (M.), PIGEOT (N.), TABORIN (Y.). — Les Structures d’habitat d’Étiolles ; deux schémas d’implantation. In : OTTE (M.) ed. — De la Loire à l’Oder : les civilisations du Paléolithique final dans le Nord‑Ouest Européen : colloque UISPP, commission 8, Liège 1985. Oxford : 1988, vol. I, p. 13‑28 (ERAUL ; 25 / BAR International Series ; 444).
104Pigeot 1986 : PIGEOT (N.). — Apprendre à débiter des lames : un cas d’éducation technique chez des Magdaléniens d’Étiolles. BSPF, 83, 1986, p. 67‑69.
105Pigeot 1987a : PIGEOT (N.). — Eléments d’un modèle d’habitation magdalénienne (Étiolles). BSPF, 10‑12, 1987, p. 358‑363, hommage au professeur A. Leroi‑Gourhan (Études et travaux ; 84).
106Pigeot 1987b : PIGEOT (N.). — Magdaléniens d’Étiolles : économie de débitage et organisation sociale (l’unité d’habitation U5). Paris : CNRS, 1987. 168 p. 20 pl. et 23 plans hors‑texte (XXVe suppl. à Gallia Préhistoire).
107Pigeot et al. 1976 : PIGEOT (N.), TABORIN (Y.), OLIVE (M.). — Problèmes de stratigraphie dans un site de plein air : Étiolles (Essonne 91). Cahiers du Centre de Recherches Préhistoriques, 5. Paris : université de Paris 1, 1976, p. 5‑27.
108Taborin 1983 : TABORIN (Y.). — La Configuration des sols d’occupation à Étiolles. Cahiers du Centre de Recherches Préhistoriques, 9. Paris : université de Paris I, 1983, p. 33‑44.
109Taborin 1984 : TABORIN (Y.). — Les Nouvelles habitations préhistoriques d’Étiolles. In : BERKE (H.), HAHN (J.), KIND (C.‑J.) ed. — Structures d’habitat au Paléolithique supérieur en Europe : colloque de Reisenburg/Günzburg, (8‑14 mai 1983). Tübingen : Urgeschichte Materialhefte 6, 1984, p. 133‑138.
110Taborin 1987 : TABORIN (Y.). — Une certaine Lecture des sols d’habitation. BSPF, 10‑12, 1987, p. 353‑ 357, hommage au professeur A. Leroi‑Gourhan (Études et travaux ; 84).
111Taborin et al. 1979 : TABORIN (Y.), OLIVE (M.), PIGEOT (N.). — Les Habitats des bords de Seine : Étiolles (Essonne, France). In : La fin des temps glaciaires en Europe : colloque international du CNRS, no 271. Paris : CNRS, 1979, p. 773‑782.
1.2 Marsangy
112b. schmider
1.2.1 Le site
1.2.1.1 Implantation géographique
113Entre Villeneuve et Sens, l’Yonne s’est creusé une large vallée clans le vaste socle crayeux qui constitue le plateau du Sénonais (fig. 1). Au lieu‑dit Marsangy (ou Marsangis), à 10 km au sud de Sens, le plateau découpé par deux petits rus, affluents de l’Yonne (le ru de Montgerin ou de Marsangy et le ru de Bourienne), s’avance en éperon provoquant un rétrécissement de la rive gauche. Les Magdaléniens se sont établis, en bordure de la rivière, au pied de ce coteau (culminant vers 170 m) qui pouvait les protéger des vents d’ouest et sur les pentes duquel ils trouvaient en abondance des rognons de silex. Le resserrement de la vallée correspond au coude d’un large méandre et les Paléolithiques bénéficiaient d’une vue étendue vers l’amont comme vers l’aval.
114Le ru de Montgerin, dont la confluence était particulièrement riche en vestiges, permettait la pénétration vers l’intérieur des terres. Sa source se trouve juste à la ligne de faîte séparant les bassins de l’Yonne et du Loing et il a pu constituer une voie de communication entre deux régions où les gisements magdaléniens présentent des traits communs. Des vestiges, du Moustérien au Néolithique, se rencontrent sur ses rives (Hure 1916) témoignant de l’ancienneté de son cours et de sa fréquentation.
1.2.1.2 Microtopographie
115Les Magdaléniens se sont installés sur un bourrelet alluvial, allongé sud‑est/nord‑ouest, à 2 ou 3 m de la rupture de pente amorçant la berge. La berge fossile a été dégagée en plusieurs secteurs lors des fouilles. Elle offrait une forte pente et les nombreux vestiges qui la marquaient semblent avoir glissé du sommet. En arrière, le sol archéologique présentait une dénivellation légère vers l’ouest, en direction d’une zone marécageuse où se déversait une partie des eaux du ru de Montgerin. Cette disposition assurait un bon drainage du terrain tout en ne gênant pas l’installation des tentes.
116Le paysage a changé après le passage des Magdaléniens. La migration du méandre vers l’aval a entraîné l’éloignement du fleuve, qui se trouve maintenant à une vingtaine de mètres du gisement et a occasionné le nivellement du relief. Le profil du niveau archéologique et celui du limon ne concordent pas car il y a eu un remblai important vers la nouvelle rive. En arrière, la dépression marécageuse a été drainée et comblée lors des travaux d’aménagement de la voie ferrée.
1.2.2 L’occupation magdalénienne
1.2.2.1 Les modalités de l’occupation
117Les vestiges ont été retrouvés sur une bande d’une vingtaine de mètres de largeur, s’étendant de la confluence du ru de Montgerin à une cinquantaine de mètres vers le sud, parallèlement à la berge fossile de l’Yonne. Le site a été découvert en 1972 par H. Carré qui effectua des fouilles aux deux extrémités du gisement. La bande centrale (une trentaine de mètres de longueur) a été fouillée par B. Schmider et a seule fait l’objet jusqu’alors d’une étude approfondie.
118Les témoins, lithiques essentiellement, se rencontrent au sein d’un limon fluviatile très homogène. Il n’y a, semble‑t‑il, qu’un seul véritable niveau d’occupation, d’une épaisseur variable de quelques centimètres à une vingtaine de centimètres dans les nappes de rejet ou les amas de taille. En outre, et principalement dans les zones de raréfaction, des mouvements de convexion ont provoqué la remontée d’éléments de petite taille ou l’enfoncement des pièces éparses, comme cela est fréquent dans les gisements de plein air.
119Dans la zone centrale, la fouille a mis en évidence, par endroits, une microstratigraphie témoignant d’apports successifs dans la constitution du sol archéologique par exemple en K18 (Croisset 1986), ou en X18 (Schmider 1982). L’épaisseur de la couche permet de supposer une certaine durée de l’occupation, sans véritable phase d’interruption qui se manifesterait par un niveau stérile.
120Il semble toutefois que les vestiges allaient en se densifiant vers le ru de Montgerin. Les rapports de fouille de H. Carré font état de deux niveaux dans les 15 m séparant le ru du secteur central, décrivant en particulier un grand foyer (U18) établi au‑dessus d’un amas composé de plus de 3 000 éléments de débitage. Les structures semblaient moins lisibles dans ce secteur que dans la zone que nous avons nous‑même fouillée. Le secteur proche du ru a pu faire l’objet de séjours répétés alors que le reste du gisement n’a été occupé que lors d’un déplacement où le groupe était particulièrement nombreux.
121Si l’on se base sur le nombre de foyers, mis au jour par H. Carré et nous‑mêmes, on peut distinguer 7 unités d’occupation (fig. 85). Ces foyers sont échelonnés le long de la berge fossile, située entre 3 et 6 m de la ligne de rupture de pente. Seul le foyer X18 est nettement en arrière des autres, éloigné d’une dizaine de mètres. Comme ailleurs, ce sont les remontages entre éléments du débitage ou pierres brûlées qui peuvent dire si ces unités étaient contemporaines. Dans le secteur central, les liaisons réunissent les foyers D14, H17 et X18 qui forment, à l’évidence, une même entité. Aucune liaison sûre n’a été trouvée entre cet ensemble et l’unité N19 voisine. Aucun remontage n’a encore été tenté avec le matériel provenant des fouilles de M. Carré. Toutefois, l’homogénéité de l’industrie et, en particulier, la dispersion sur tout le territoire de ces éléments caractéristiques que sont les pointes à cran et les zinken permettent d’assurer qu’il s’agit bien du même groupe.

FIG. 85 – Marsangy : situation des foyers (cercles) en relation avec la berge fossile. Les ensembles 09, U18 et Z21 ont été fouillés par H. Carré ; X18, D14, H17 et N19 ont été fouillés par B. Schmider (c’est le secteur central).
1.2.2.2 Données chronologiques
Datations absolues
122Trois dates 14C ont été obtenues à Oxford par le système A.M.S. (tabl. xxi) sur des os, bois ou dents de Rennes, bien situés stratigraphiquement aux alentours des foyers. Ces dates ne sont pas concordantes et posent le problème de la contemporanéité des habitations.
UnitéN19 | ||
bois de Renne | 0xA178 | 11600±200 |
thermoluminescence | 11700±700 | |
Unité D14 | ||
dent de Renne | 0xA740 | 12120±200 |
os de Renne | 0xA505 | 9770±180 |
TABL XXI – Datations obtenues à Marsangy par le 14C (procédé AMS) et la thermoluminescence. Dates en BP.
123En premier lieu, on peut écarter la date la plus récente obtenue dans l’habitation D14 (9770 ± 180 BP) qui a un taux de collagène assez bas (Gowlett, Hedges 1986 : 68). Les deux autres datations (11 600 ± 200 BP en N19 et 12 120 ± 200 BP en D14) rentrent dans le cadre du Magdalénien supérieur. En N19, la date radiométrique est proche de la date obtenue par la thermoluminescence, par H. Valladas, sur une pierre brûlée de N19 (11 700 ± 700 BP). Peut‑on penser qu’il y a 500 ans de différence entre l’occupation de N19 et celle de D14 ? Bien sûr, nous avons signalé le manque de remontage entre les deux entités. Mais l’absence de discordance stratigraphique, ainsi que l’homogénéité de l’industrie, nous incite à penser que l’écart entre les deux installations n’est pas aussi important.
Données fournies par l’environnement et la typologie
124L’analyse malacologique de J.‑J. Puisségur (1979) et l’interprétation de P. Rodriguez (cf. partie 1, article 1.3) mettent en évidence un type d’associations (à Pupilla muscorum) caractéristique de la steppe loessique glaciaire. Pour P. Rodriguez, elle serait proche des associations rencontrées à Pincevent et Verberie. Il place donc l’occupation au Dryas II, ce qui correspondrait avec la date obtenue en D14, voisine de plusieurs datations de Pincevent. Pourtant, il nous semble logique de considérer Pincevent ou Verberie plus anciens que Marsangy. En effet, si le Renne est toujours présent, il ne semble plus être, ici, l’espèce animale prédominante et la présence du Cerf (un astragale, un métapode et deux métacarpiens) peut indiquer un changement du milieu naturel. En outre, Marsangy est le seul gisement, (parmi ceux étudiés ici) qui possède des pointes à dos et des pointes à cran, ces objets apparaissant à la fin du Dryas II ou au début de l’Alleröd dans le Jura méridional, le nord de la Suisse et le Jura souabe.
125En bref, nous pensons que Marsangy est l’un des gisements magdaléniens les plus récents du centre du Bassin parisien et nous suggérons, comme date la plus vraisemblable, la moyenne des deux datations radiométriques acceptables (11 900 BP), qui placerait le site à la transition Dryas II/Alleröd.
1.2.2.3 Organisation de l’espace
Les foyers
126Chaque foyer est le centre d’une concentration des vestiges et semble polariser l’ensemble des activités. La diversité des structures de combustion est moindre que dans les autres habitats de la région parisienne. En effet, six des sept foyers mis au jour par les fouilles sont du type à fond plat, recouvert de petits blocs brûlés en grès ou quartzite. Ils couvrent une surface circulaire ou sub‑quadrangulaire, dont le diamètre peut être évalué entre 0,50 m et 1 m suivant que l’on considère le groupement central, assez resserré, ou la totalité des éléments éclatés. En outre, une dispersion de pierres brûlées s’observe aux alentours, rayonnante en N19, en éventail en H17 et D14. Le foyer U18 était le plus étendu (plus de 1,50 m de diamètre selon H. Carré) mais n’atteint pas les dimensions des foyers d’Étiolles. Cendres et charbons n’étaient nulle part conservés et le sédiment ne montrait aucune altération.
127Le foyer X18, plus éloigné de la berge, est différent aussi par son organisation. C’est un foyer à cuvette encadré de gros blocs de grès, de forme allongée plutôt que circulaire. Il est possible que l’état d’abandon ne corresponde pas à l’état de fonctionnement.
Les structures du secteur central
128Plusieurs ensembles ont été distingués dans le secteur central (Schmider 1984) (fig. 86). L’unité N19 est constituée d’une couronne de déchets de taille, organisés en amas distincts, distants de 1 à 2 m du foyer central. Il s’agit d’une structure originale dans les habitats du Bassin parisien où les opérations de débitage avaient souvent lieu à proximité immédiate du foyer.

FIG. 86 – Répartition schématique des vestiges dans le secteur central du gisement de Marsangy : les nappes et amas de silex taillés sont en gris foncé ; les foyers N19, H17, D14 et X18 sont indiqués par un cercle noir ; les contours supposés des habitations D14 et H17 sont tracés.
129Les unités H17 et D14 sont plus proches du modèle de Pincevent. Elles opposent une nappe de déchets hétérogènes à une aire dégagée où se déroulaient les opérations domestiques. L’éventail des rejets, qui peut marquer l’entrée d’une tente, correspond à l’espace d’évacuation rapproché, défini par A. Leroi‑Gourhan.
130Dans la structure X18 (Schmider 1982), trois petits amas de taille sont accolés au foyer et sous‑jacents à une nappe de galets de rivière, dont certains éléments ont fait l’objet d’une tentative de débitage. Deux phases successives ont été mises en évidence dans la constitution de cet ensemble.
1.2.3 Les activités
131Les activités liées au silex sont, les plus importantes, du moins si l’on en juge par les traces qu’elles ont laissées sur le terrain. Les Magdaléniens sont venus à Marsangy pour ramasser des rognons de silex, les tailler et se procurer les supports nécessaires à leur outillage. De l’abondance d’un outillage diversifié, on peut aussi déduire l’existence d’autres activités de fabrication ou de consommation, la disparition des microtraces nous réduisant, à ce sujet, aux hypothèses. Enfin, la présence de vestiges animaux et surtout d’armatures en silex de divers types laisse à penser que la chasse occupait une place non négligeable dans les activités des Magdaléniens.
1.2.3.1 Les activités liées au silex
Provenance de la matière première
132La matière première est essentiellement locale, l’outillage en silex exogène, d’origine tertiaire, que les Magdaléniens emportaient dans leur déplacement, étant ici particulièrement réduit : 4 ou 5 outils remarquables par leur style, leur coloration ou leur texture (silex jaspé ou tigré). Un seul nucléus en grès quartzite gris‑verdâtre, provenant de l’Aptien affleurant au nord d’Auxerre, a été débité sur place et a donné une dizaine d’éclats mais pas d’outils.
133La quasi‑totalité de la matière première est le silex de la craie, en place dans les affleurements voisins ou remanié dans les alluvions. Pour M. Mauger (Mauger 1985), près de la moitié des nucléus présentent un cortex intact ou à peine décarbonaté. Une partie a pu être ramassée dans les niveaux de craie coniacienne et santonienne, en place ou solifluée, sur les versants du ru de Montgerin. Une autre partie peut avoir été ramassée dans la craie décarbonatée qui, avec les argiles à silex, recouvre les plateaux. Ce sont des rognons branchus de 10 à 20 cm, à grain fin, de bonne qualité.
134La deuxième source d’approvisionnement est représentée par les alluvions de l’Yonne et du ru. Les rognons, transportés sur de courtes distances, ont conservés pour la plupart leur qualité de taille.
135Mettons à part une petite quantité (7,50 %) de galets roulés en silex, des argiles et des poudingues (Spamacien) très oxydés et altérés. Une concentration de ces rognons a été trouvée en X18 (Schmider 1982). Gélifs et fissurés, ils avaient été abandonnés après quelques tentatives de débitage. Un lot (10 % du total) se distingue, concentré presqu’exclusivement dans l’unité N19. C’est un silex brun, presque noir, très homogène, ayant donné lieu au débitage le plus élaboré. Certains rognons, à cortex décarbonaté, ont pu être apportés par le fleuve. Mais un certain nombre, à cortex entièrement préservé, a pu être ramassé dans la craie du Campanien inférieur. Ce serait la provenance la plus éloignée car elle n’affleure qu’à 6 km au nord‑ouest du site.
Une structure spécialisée
136L’unité N19 peut être interprétée comme une structure d’atelier, modelée par les activités de débitage. Le démontrent le volume de la matière première abandonnée, la morphologie des amas et la meilleure qualité des produits.
137La structure N19 rassemble, sur ses 58 m2, une masse de silex (environ 200 kg) supérieure à l’ensemble des déchets de taille dispersés dans les trois autres structures (H17, D14, X18) qui couvrent une surface approximative de 155 m2. Ce poids comprend tous les produits de débitage et aussi les nucléus qui, au nombre de 197, représentent à eux seuls un poids résiduel de 73 kg. Par la quantité de silex débité, N19 s’apparente davantage à Étiolles qu’à Verberie ou Pincevent (Julien 1988). Le nombre de nucléus par mètre carré est plus important à Marsangy qu’à Étiolles car les rognons disponibles à Marsangy étaient beaucoup moins volumineux et également parce que, à Marsangy, les facilités d’approvisionnement engendrent une utilisation peu économique de la matière première. Les nucléus sont abandonnés alors que leur potentiel d’extraction est encore très bon et les remontages les plus complets ne rassemblent guère plus qu’une trentaine d’éléments. Dans cet ensemble, les outils ne représentent pas plus de 2,50 % du total de la masse de silex mise en œuvre.
138Ces produits sont rassemblés en amas bien délimités, situés en une couronne distante de 1 à 2 m du foyer. Comme l’a montré l’étude expérimentale, réalisée par E. Boëda et J. Pèlegrin (Schmider et al. 1985), ces amas présentent par leur morphologie comme par leur composition le faciès caractéristique de postes de débitage en place. La plupart de ces concentrations montrent en effet la forme régulière, les limites nettes et les témoins négatifs (emplacement du siège du tailleur ou négatif de sa cuisse) que l’on retrouve dans les amas expérimentaux. En ce qui concerne la composition des amas, la répartition des différents modules n’est pas aléatoire et il a été démontré, à partir de certains remontages, qu’elle correspond souvent à la séquence de taille. La forme des concentrations et la direction des projections semblent indiquer que les artisans faisaient face au foyer. On peut imaginer des séances de débitage successives ou même simultanées, étant donné l’espacement des postes d’activité.
139N19 se distingue des autres ensembles par la qualité du travail du silex. Là, nous l’avons dit, est concentré l’essentiel des rognons provenant de la Craie campanienne. Le débitage des nucléus, choisis pour leur forme naturellement cylindrique ou prismatique, est mené de façon plus systématique et plus soignée. Les lames sont plus nombreuses (24 %) en N19 et d’une longueur moyenne plus élevée (73 mm). En N19, on retrouve toutes les étapes du débitage de la mise en forme à la fabrication des outils.
1.2.3.2 Autres activités de fabrication
140Quoiqu’il y ait une certaine dissémination de l’outillage sur l’ensemble du territoire, c’est dans le voisinage immédiat des 4 foyers que l’on rencontre à la fois le maximum d’outils et le maximum de fragments de réavivage. C’est l’espace domestique, défini par A. Leroi‑Gourhan, où se déroulait l’essentiel des activités. Le matériel, très patiné, ne peut malheureusement pas se prêter à l’étude des traces d’utilisation. L’outillage courant étant constitué de burins, grattoirs, perçoirs, lames retouchées et tronquées, comme dans les autres gisements magdaléniens, on est amené à supposer le découpage de la viande, le travail de la peau, du bois et surtout des matières osseuses. Les associations sont légèrement différentes suivant les ensembles. Ainsi les burins dièdres sont les seuls burins rencontrés clans un rayon de 1 m autour du foyer N19, tandis que dans les autres structures, ils sont mêlés à des burins sur troncature et à des outils doubles, fort rares par ailleurs.
141La différence la plus significative dans la répartition spatiale des outils concerne les becs (zinken et surtout becs axiaux à longue pointe) concentrés dans l’unité N19 (Schmider 1988). La découverte de ces outils à différents stades de fabrication, les remontages effectués avec les éléments de débitage situés dans les amas du pourtour témoignent d’un façonnage sur place. Autour du foyer, les becs sont fréquemment cassés, souvent réavivés. Les extrémités distales, provenant des réavivages, ont été retrouvées à une distance de 2 à 5 m des extrémités proximales qui marquent probablement la place des utilisateurs. Ceux‑ci faisaient face au foyer si l’on en juge par la projection des éclats d’avivage. On constate donc qu’en N19, les Magdaléniens ont débité et façonné les becs, sur le lieu de l’utilisation, pour un usage immédiat et particulier puisqu’il ne concerne pas les autres structures.
142A Pincevent et à Verberie les microtraces montrent que les becs ont servi à perforer, plus rarement à rainurer. Ces outils apparaissent comme complémentaires des burins pour le travail des matières osseuses. Leur localisation préférentielle laisse à penser qu’il s’agit d’un outil spécialisé adapté à un travail sans doute saisonnier.
1.2.3.3 Les activités liées au gibier
143La chasse est attestée à Marsangy par la présence de vestiges animaux et également par l’abandon d’objets (lamelles à clos, pointes à cran) interprétés généralement comme des armatures de trait.
Les vestiges animaux
144Ici, comme à Étiolles, leur rareté pose problème. La nature du sédiment n’a probablement pas permis l’entière conservation des restes organiques. Toutefois, on observe une préservation préférentielle de certains vestiges osseux. C’est le cas d’un maxillaire inférieur de Cheval I13‑17), découvert en bordure de l’unité N19 et dont presque toutes les dents ont été retrouvées à l’intérieur de la structure. Peut‑être faut‑il y voir l’indice d’un traitement particulier à l’époque du dépôt.
145Comme à Étiolles également, on a le témoignage d’une chasse diversifiée qui s’oppose à la chasse spécialisée de Pincevent et Verberie. Trois espèces sont présentes : le Cheval et le Renne, en proportions à peu près égales et, dans une moindre mesure, le Cerf. Les os sont moins bien représentés que les dents et les bois, bois de massacre mais aussi bois de chute. Là aussi on se trouve confronté au problème de la conservation différentielle ou au choix des occupants. M. Julien (1988) remarque que les vestiges osseux découverts à Marsangy sont des éléments à faible valeur nutritive et y voit plutôt une réserve de matière première pour la fabrication d’outils et d’armes. L’état de surface de ces vestiges est souvent trop mauvais pour qu’on puisse y distinguer avec sûreté des traces de travail humain. Un bois de Renne mâle (T15‑43) semble bien toutefois porter des incisions volontaires.
Les armatures
146L’une des particularités de l’industrie lithique de Marsangy est la présence, à côté des lamelles à dos (de 15 à 20 % suivant les ensembles), de pointes à cran ou à dos anguleux (environ 5 %) et de pointes à dos courbe abattu (2 %).
147Les lamelles à dos abattu se rencontrent, en proportions variées, dans tout le Magdalénien. A Pincevent, l’étude des microtraces, effectuées par E. Moss et M. Newcomer (1982) a montré que, adaptées à un manche par séries de 2 ou 3, elles ont pu tenir lieu de couteau. Mais l’utilisation la plus courante est celle d’armatures, insérées dans les rainures longitudinales de certaines sagaies en os. Elles ont souvent été retrouvées à proximité des foyers, le feu ayant joué un rôle dans les opérations d’emmanchement. A Marsangy, on n’observe pas de localisation préférentielle de ces objets dispersés sur tout le terrain. On note toutefois que 10 % de l’ensemble porte des traces de feu.
148A côté des lamelles à dos, on remarque des pointes sub‑triangulaires, associant une extrémité aiguë formée par une troncature distale très oblique et un bord présentant un cran plus ou moins prononcé. Ces formes peuvent être rapprochées des pointes dites « hambourgiennes » que l’on rencontre du nord de l’Europe au Jura souabe. On est donc amené à supposer l’existence conjointe des sagaies en os armées de lamelles de silex et des pointes de silex fichées à l’extrémité d’une hampe (peut‑être en bois), ce qui implique un changement important dans les techniques de chasse. H. Plisson a effectué un examen tracéologique macroscopique de ces pièces, cherchant à mettre en évidence d’éventuelles stries et fractures d’impact. Très peu d’objets portent des stigmates indiquant l’usage comme projectile. Certaines fractures semblent s’être produites au façonnage, suggérant un abandon en cours de fabrication.
149Du rapprochement de ces indices, on est amené à conclure que la chasse n’était qu’une activité accessoire. Par contre, dans ce domaine également, les activités de fabrication, entre autres la préparation de l’équipement utilisé pour la chasse, étaient sans doute primordiales.
1.2.4 Hypothèses sur la fonction du site et ses relations avec les groupes voisins
150Il semble établi que les Magdaléniens sont venus à Marsangy pour renouveler leur équipement lithique et osseux. Ils ont installé des foyers et peut‑être même des tentes, collecté et débité une grande quantité de silex, ce qui implique un séjour assez prolongé. Les indices sont faibles pour déterminer la période d’occupation du site. Elle ne coïncidait pas forcément avec l’époque des grandes migrations du Renne (comme à Pincevent) car la chasse ne semblait pas le but premier des habitants. Notons que les Magdaléniens ont apporté des bois de chute et qu’il s’agit presqu’exclusivement de bois de Cervidés mâles, qui tombent vers le mois d’octobre. Pour certains auteurs (Léotard, Otte 1988 : 192), les bois doivent être ramassés et stockés rapidement, après le passage des hardes, car ils sont vite attaqués par les rongeurs. Ce pourrait être un indice pour une occupation d’automne.
151Marsangy était une étape sur un itinéraire qu’il est impossible de reconstituer. On peut en trouver une indication dans la provenance du silex exogène quoiqu’il s’agisse d’outils isolés qui ont pu être obtenus par échange. Pour M. Mauger (1985), le silex allochtone de Marsangy est un silex tertiaire. Il montre un apport à la fois du nord‑ouest, c’est‑à‑dire du centre de l’Ile‑de‑France et également du sud, peut‑être des alluvions de la Loire. Les distances de provenance peuvent être évaluées à une centaine de kilomètres. Ainsi, l’origine du silex dans lequel a été fabriqué un burin double sur troncature, d’un style tout à fait particulier, serait le Bartonien supérieur affleurant au centre‑est de l’Ile‑de‑France. Y. Taborin (cf. partie 1, article 2.1) situe dans le même secteur la provenance de la coquille fossile perforée, trouvée en lisière de l’habitation D 14.
152D’un autre côté, M. Mauger souligne la ressemblance d’un silex jaspoïde jaune‑ocre, dans lequel a été façonné un grattoir sur lame, avec le silex débité à la Jouanne dans le Loiret. Ce rapprochement est particulièrement intéressant puisque nous avons noté la liaison entre le bassin de l’Yonne et celui du Loing par le ru de Montgerin et un réseau de vallées secondaires et parce que les industries sont voisines dans les deux sites. Par ailleurs, à Cépoy sur le Loing et à Saint‑Palais dans le Cher, on retrouve l’association zinken/pointes hambourgiennes, caractéristique de Marsangy. Les relations avec les pays de la Loire ne sont donc probablement pas à négliger.
153Les pointes hambourgiennes évoquent des liaisons à longue distance. A la fin du Dryas II et au début de l’Alleröd, plusieurs groupes porteurs de ces armatures nomadisent au nord et à l’est du Bassin parisien. Au nord, le site le plus caractéristique est le gisement d’Oldeholtwolde (Stapert et al. 1986) qui semble appartenir à un Hambourgien tardif car il est daté de 11 540 ± 270. Les relations vers l’est nous paraissent encore mieux marquées, par le bassin de la Saône et la trouée de Belfort (David, Richard 1987). En prolongement de cet itinéraire, une série de gisements magdaléniens, situés au nord de la Suisse et au sud de l’Allemagne, montrent la même association de becs, pointes à cran et lamelles à dos (Shmider 1989). Les modalités des contacts, qui ont pu avoir lieu entre les Magdaléniens de Marsangy et ces groupes contemporains restent à définir.
Bibliographie
154Croisset 1986 : CROISSET (E. de). — Analyse microstratigraphique d’un amas de débitage à Marsangy (Yonne). Cahiers du Centre de recherches préhistoriques, 10. Paris : université de Paris I, 1986, p. 63‑74.
155David, Richard 1987 : DAVID (S.), RICHARD (H.). — Les Cultures du Tardiglaciaire dans le Nord‑Est de la France. In : La Structuration du Magdalénien : colloque international de Mayence. Liège, 1987, p. 101‑153 (ERAUL ; 38).
156Depont, Trotignon 1984 : DEPONT (J.), TROTIGNON (F.). — Le Magdalénien supérieur du Laitier Pilé, commune de Saint‑Palais (Cher) : premiers résultats. Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry, n° 78, 1984, p. 33‑51.
157Gowlett, Hedges 1986 : GOWLETT (J.‑A.‑J.), HEDGES (R.‑E.‑M.). — Lessons of context and contamination in dating the Upper Palaeolithic. In : Achaeological Results from Accelerator dating. Oxford University Committee for Archaeology, 11, 1986, p. 63‑69.
158Hure 1916 : HURE (A.). — Hydrologie et stations paléolithiques de la vallée du Ru de Marsangy. Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 1er semestre 1916. 29 p.
159Julien 1988 : JULIEN (M.). — Organisation de l’espace et fonction des habitats magdaléniens du Bassin parisien. In : OTTE (M.) ed. De la Loire à l’Oder : les civilisations du Paléolithique final dans le Nord‑Ouest Européen : colloque UISPP, commission 8, Liège 1985. Oxford : 1988, vol. i, p. 85‑123 (ERAUL ; 25 / BAR International Sériés ; 444).
160Léotard, Otte 1988 : LEOTARD (J.‑M.), OTTE (M.). — Occupation paléolithique final aux grottes de Presle : fouilles de 1983‑1984. In : OTTE (M.) ed. — De la Loire à l’Oder : les civilisations du Paléolithique final dans le Nord‑Ouest Européen : colloque UISPP, commission 8, Liège 1985. Oxford : 1988, vol. i, p. 189‑ 215 (ERAUL ; / BAR International Series ; 444).
161Leroi‑Gourhan, Brézillon 1972 : LEROI‑GOURHAN (A.), BREZILLON (M.). — Fouille de Pincevent : essai d’analyse ethnographique d’un habitat magdalénien. Paris : CNRS, 1972. 327 p., 199 fig. (Suppl. à Gallia Préhistoire ; 7).
162Mauger 1985 : MAUGER (M..). — Les Matériaux siliceux utilisés au Paléolithique supérieur en Ile‑de‑France : approvisionnement et notion de territoire. (Thèse de 3e cycle, université de Paris I, 1985).
163Moss, Newcomer 1982 : MOSS (E.‑H.), NEWVOMER (M.‑H.). — Reconstruction of tool use at Pincevent : microwear and experiments. In : CAHEN (D.) ed. — Tailler pour quoi faire ? Préhistoire et technologie 1, 1982, 2, p. 289‑312. Studiae Praehistoricae Belgicae.
164Puisségur 1979 : PUISSEGUR (J. J.). — Marsangy 1978, analyse malacologique. Société archéologique de Sens, fasc. 23, 1979, p. 22‑24.
165Schmider 1982 : SCHMIDER (B.). — Analyse d’une aire de taille au Pré‑des‑Forges à Marsangy (Yonne). In : Les Habitats du Paléolithique supérieur: colloque international en hommage à Leroi‑Gourhan, Roanne‑Villerest, 1982, preprint, v. 2, p. 17‑30.
166Schmider 1984 : SCHMIDER (B.). — Les Habitations magdaléniennes de Marsangy (vallée de l’Yonne, France). In : BERKE (H.), HAHN (J.), KIND (C.‑J.) ed. — Structures d’habitat au Paléolithique supérieur en Europe : colloque de Reisenburg/Günzburg, 1983. Tübingen : Urgeschichtliche Materialhefte, 6, 1984, p. 169‑180.
167Schmider 1989 : SCHMIDER (B.). — Le Magdalénien dans le centre du Bassin parisien : les gisements, l’industrie lithique. In : La Structuration du Magdalénien : colloque international de Mayence, 1987. Liège 1989, p. 219‑235 (ERAUL ; 38).
168Schmider 1988 : SCHMIDER (B.). — Un Outil spécialisé dans le Magdalénien du Bassin parisien : le bec ; sa place dans l’habitat. In : Cultures et industries lithiques en milieu lœssique. Revue archéologique de Picardie, no 1‑2, 1988, p. 195‑200. Actes du colloque d’Amiens, 1986.
169Schmider 1992 : SCHMIDER (B.) dir. — Marsangy, un campement des derniers chasseurs magdaléniens sur les bords de l’Yonne. Liège : 1992. 275 p. (ERAUL ; 55).
170Schmider et al. 1985 : SCHMIDER (B.), CROISSET (E. de), BOEDA (E.), PELEGRIN (J.). — Les Amas lithiques de la zone N19 du gisement magdalénien de Marsangy ; approche méthodologique par l’expérimentation. In : Archéologie expérimentale. Archéodrome 57 p. (Cahiers ; 1)
171Stapert et al. 1986 : STAPERT (D.), KRIST (J.‑S.), ZANDBERGEN (L.). — Oldeholtwolde, a late Hamburgian site in the Netherlands. In : Studies in the upper Palaeolithic of Britain and northwest Europe. Oxford : 1986, p. 187‑226 (BAR International Sériés ; 296).
1.3 Pincevent
172f. david, m. orliac
173Les sites du Paléolithique où il est possible de connaître avec précision sur une grande superficie les formes du sol d’habitat dans leurs mouvements les plus discrets sont rares ; Pincevent fait partie de ces sites privilégiés ; la morphologie d’un sol occupé par les Magdaléniens a pu y être observée, même dans les zones dépourvues de vestiges, sur environ 3 800 m2 (fig. 87).

FIG. 87 – Topographle d’ un niveau de gravillon sous jacent au sol IV 2 et stution des habitations magaléniennes (altitudes en métres sous le niveau 0 du site).
1.3.1 La topographie du campement magdalénien
174m. orliac
1.3.1.1 L’installation la plus ancienne à Pincevent
175Au point le plus bas du gisement, dans la section 37, les traces de l’installation la plus ancienne se trouvent au contact des sables de l’horizon V (fig. 88) ; il s’agit d’une nappe d’ocre‑rouge et de vestiges insuffisants pour une attribution certaine au Magdalénien, que je crois cependant très vraisemblable ; au même endroit, après quelques centimètres de dépôt de limon, il y a de nouveau des traces d’occupation qui éveillent les mêmes incertitudes ; puis, après un nouveau dépôt, une installation (IV40), située à quelques dizaines de mètres de là dans la section 36, est magdalénienne sans ambiguïté.

FIG. 88 – Quinze niveaux de l’occupation magdalénienne de Pincevent (section 37). Dans les limons (IV), les niveaux où des vestiges archéologiques ont été découverts sont désignés par des symboles : – étoiles noires = les 2 niveaux supérieurs de la phase PTLS sont attribuables aux sols IV2 et IV21‑3 fouillés dans les sections 16‑17 et 27 ; le niveau inférieur de cette même phase est stratigraphiquement très voisin sinon identique à un niveau découvert en 1985 dans le sondage 37‑S122 ; – flèches noires = niveaux découverts en 1983 et 1985 dans la section 37 ; les niveaux IV17, IV18 et IV20 ont fait l’objet des fouilles de l’année 1986 ; – étoiles blanches = niveaux d’occupation connus dans d’autres sections ; les symboles précédés d’un point désignent les sols découverts en 1986.
176Le relief du sol apparaissait alors sous ses traits les plus marqués ; la figure 89, établie d’après les données de la stratigraphie et les mesures de résistivité effectuées par Y. Lecourt, montre deux chenaux dont le tracé sinueux, parallèle à l’est de la zone fouillée, diverge fortement en se rapprochant de celle‑ci. La figure 90 montre la topographie du substrat des limons telle qu’elle se présente actuellement, affectée par des déformations postérieures au Magdalénien. Les premiers occupants connus de Pincevent se sont installés dans la zone la plus basse du gisement, au fond d’un chenal dont on suit les méandres jusqu’à 250 m vers l’est. A une vingtaine de mètres au nord de leur campement, le bord de cette dépression les dominait de 3 m et, à une cinquantaine de mètres au sud et au sud‑ouest, ils étaient protégés par un promontoire allongé, haut de 3,50 m.

FIG. 89 – Relief et occupation potentielle du sol magdalénien. Les unités magdaléniennes semblent s’organiser en partie autour et dans la dépression apparue lors des fouilles et dans une tranchée d’exploration stratigraphique ; les prospections par résistivité de Yannick Lecourt ont montré l’existence, à l’est du secteur fouillé, de deux autres dépressions b et c, dont l’une (b) est dans le prolongement de celle déjà connue. En gras : axe des dépressions, en pointillé leurs bords.

FIG. 90 – Topographie du substrat des limons (altitudes en centimètres, sous le nivellement général de Pincevent 0 = 50,64 NGF). Cette image, obtenue grâce à de nombreuses tranchées d’exploration stratigraphique et à 75 sondages à la tarière est, en fonction de la densité de ces travaux, bien définie dans la partie ouest du gisement (jusqu’à la bande 42/47). Des déformations, en partie postérieures au dépôt des limons (sections 26, 44/45, 37/46), brouillent légèrement l’image du relief que présentait le site au Magdalénien. Néanmoins, les grands traits de la topographie montrent une vaste dépression presque fermée s’ouvrant sur un chenal relativement étroit et profond, que les prospections par résistivité d’Y. Lecourt ont permis de suivre vers l’est (cf. fig. 89). Le centre de cette dépression a toujours constitué un pôle d’attraction pour l’installation des Magdaléniens.
177Les sédiments se sont ensuite déposés en lits alternés de limons plus ou moins sableux, dont la lecture a été facilitée par la prise d’empreintes des coupes au latex (Orliac 1975) ; chaque lit présente une continuité suffisante qui permet des raccords stratigraphiques entre des points distants d’une centaine de mètres. Dans la partie supérieure des limons, les raccords ont été effectués de façon très fiable par le relevé d’un très mince lit de gravillons sur les parois de centaines de mètres de tranchées et par son décapage, sur plusieurs centaines de mètres carrés ; ce lit de gravillons est sous‑jacent de quelques centimètres au sol d’habitat IV20 portant les traces de 11 installations magdaléniennes synchrones.
1.3.1.2 Les choix topographiques d’installation
178Dans la partie profonde des limons, l’installation n’est connue que ponctuellement ; la faible dimension des surfaces explorées ne permet pas l’examen des choix topographiques ; les premiers occupants connus du site se sont fixés dans des zones plutôt basses (habitation I, niveaux inférieurs de la section 37, niveaux inférieurs de la section 36) ; leur regard ne devait alors pas s’étendre au delà du bord nord du chenal et des légers reliefs situés à l’ouest et au sud ; mais cette situation « basse » les protégeait, éventuellement, des vents d’ouest et du sud‑ouest ; cependant, cette protection était moins efficace, pour les occupants de la section 36, lors de l’installation sur le niveau IV20 ; en effet, à ce moment, la différence d’altitude entre les points extrêmes occupés n’excédait pas 2,40 m (fig. 91).

FIG. 91 – Évolution du micro‑relief (profil établi entre les sections 27 et 36).
179La topographie des niveaux fréquentés par les Magdaléniens entre les niveaux IV40‑IV30 et le niveau IV20 est mal définie : les surfaces fouillées sont peu étendues.
180En raison de la régularité de la sédimentation et de la faiblesse des érosions, les grands traits de cette morphologie peuvent être considérés comme une moyenne entre le relief relativement accidenté connu par les premiers Magdaléniens sur le site et celui, plus doux, du niveau IV20.
181La topographie du sol sur lequel se trouvent les 11 unités d’occupation magdaléniennes du niveau IV20 est cartographiée sur une surface d’environ 3 800 m2. Il est possible d’y examiner leur position relativement aux micro‑reliefs et de chercher d’éventuelles constantes dans le choix de l’emplacement des implantations (fig. 87).
182Dans la diagonale des sections 27 et 37 se développe l’élément topographique majeur du site : une rigole qui se creuse du sud‑ouest vers le nord‑est et dont la profondeur, d’une cinquantaine de centimètres dans la section 27, atteint un mètre dans la section 37 ; c’est actuellement le secteur le plus bas du site (cote = ‑3,70 m du nivellement de Pincevent) ; les points les plus hauts sont à l’ouest et au sud de la zone fouillée (cotes = ‑1,60/ ‑1,70 m) ; ils dominent de 0,80 m les installations des sections 36 et 45 (comprises entre ‑2,25 et ‑2,45 m) établies sur un sol dont la pente varie de 0,5 à 0,8 %. L’unité d’occupation 27 M89 est établie sur les bords et au fond de la rigole dont il a été question plus haut ; cette position très basse est également celle d’une des deux occupations de la section 37 (0123) ; l’unité d’occupation 18 E74 est à mi‑pente et 17 G64 sur un replat, le plus haut situé de la zone fouillée,
183Les Magdaléniens qui ont occupé le niveau IV20 se sont donc installés :
– sur le replat le plus haut ;
– à mi‑pente ;
– sur des zones basses en faible pente ;
– au bord et au fond d’une rigole accez profonde
184Ces situations topographiques correspondent à toutes les possibilités qui existent sur la zone fouillée du gisement ; il ne semble donc pas y avoir eu de préférence pour un type de relief plutôt que pour un autre.
185La carte topographique du niveau de gravillons immédiatement sous‑jacent au IV20 montre, en section 26, une dépression hémicirculaire profonde d’environ 1 m ; les limons y sont très peu épais et, paradoxalement, de plus en plus minces des bords vers le fond de la dépression, alors qu’aucune trace d’érosion ne se manifeste ; par ailleurs, le litage disparaît progressivement du bord de la dépression vers son centre. Il est vraisemblable de supposer que cette dépression s’est formée postérieurement au dépôt des limons, par une inversion de relief dont l’origine n’est pas encore connue ; un système de failles périphériques semble lié à cette déformation des sédiments.
186Au moment de l’occupation IV20, les hommes ont évité de séjourner dans cette zone ; cette particularité, associée à la forme de la région fouillée, confère au plan d’ensemble des implantations, un tracé en arc de cercle centré sur la section 26 (fig. 87). Cette configuration ne tient pas compté des destructions provoquées par les extractions de matériaux à l’ouest du site.
187En résumé, la microtopographie a évolué, au cours de l’occupation magdalénienne, d’un relief relativement marqué vers un relief plus doux. Ce ne sont donc pas des considérations topographiques qui y ont fixé les chasseurs de Rennes : cependant ceux‑ci ont évité, bien que non systématiquement, la section 26.
188La localisation des implantations, aux mêmes endroits dans des niveaux successifs (dans la section 36 : foyers IV20, IV30, EV39, IV40 ; dans la section 37, où sont superposés 9 des 15 niveaux connus : foyers IV17, IV18, IV20 ; section 16 et 17 : foyers des niveaux IV20 et IV213), montre cependant une fidélité certaine à des lieux bien précis. Serait‑ce un indice de l’identité de chacune des cellules du groupe de chasseurs qui, lors des différents séjours, se réinstallait toujours au même emplacement ?
1.3.2 L’intensité du peuplement
189f. david, m. orliac
190Le site de Pincevent est remarquable non seulement pour l’excellent état de conservation des structures d’habitat, mais aussi pour la multiplicité des unités d’occupation sur le même sol et enfin pour la répétitivité du passage des Magdaléniens sur le même lieu. Il est possible d’évaluer l’importance du groupe qui y installait son campement, c’est‑à‑dire la densité de l’occupation, et également le rythme et la durée des visites.
191En ce qui concerne l’évaluation de l’importance du groupe qui s’installait à Pincevent entre deux crues, il est évident que la première tâche consistait à établir le synchronisme réel entre les unités d’occupation que le stratigraphe avait placées sur le même sol. Sur le niveau d’habitat IV20, fouillé actuellement sur près de 3 800 m2, les remontages de pierres chauffées ont montré les liens qui existaient entre les différentes unités, mais l’hypothèse bien légitime d’un emprunt éventuel à des unités abandonnées allait à l’encontre de celle d’une stricte contemporanéité de ces unités. Les remontages de silex entre les onze unités d’occupation du niveau d’habitat IV20 révèlent les contacts étroits qui les unissaient et établissent leur synchronisme avec beaucoup de vraisemblance (Bodu, Julien 1987). Il y avait donc, à Pincevent, répartis sur une centaine de mètres, au moins onze foyers fonctionnant simultanément. Mais, autour de ces foyers, combien y avait‑il de Magdaléniens ? N’y en aurait‑il eu qu’un, le groupe aurait déjà été fort de onze personnes ; s’il y en avait cinq, cela fait 55. Il faut garder à l’esprit qu’une grande partie du gisement, celle située à l’ouest, a été détruite par les exploitations de graviers, qu’au nord elle a été totalement érodée par la Seine un peu après le départ des Magdaléniens, qu’au sud elle passe sous la voie ferrée et qu’à l’est elle n’est pas encore fouillée, mais riche de potentialités.
192Ces considérations permettent d’accorder au groupe installé à Pincevent un nombre minimum de plusieurs dizaines de personnes.
193L’évaluation du nombre minimum de passages des Magdaléniens sur le site rencontre les mêmes difficultés ; le fin litage des limons permet de dissocier très nettement les différents sols d’occupation dans les zones basses du gisement. C’est ainsi que 15 sols, au moins, ont reçu la visite des chasseurs de Rennes (fig. 88) : certaines de ces visites ne sont représentées que par la découverte, dans un sondage, d’un vestige archéologique isolé, indice possible d’une installation dense dans un secteur détruit, inaccessible ou non encore fouillé, D’autres représentent des installations connues par de vastes décapages, et qui occupent une surface importante du gisement ; du bas vers le haut : niveau IV40, connu sur des points distants de 30 m ; IV30, connu sur des points distants de 100 m ; IV213, connu sur 40 m ; IV1‑IV0, connus sur des points distants de plus de 100 m.
194Le troisième paramètre de l’intensité du peuplement est celui de la durée de l’occupation des lieux lors de chaque visite ; nous avons vu qu’à Pincevent, la vie du campement était brève. Au cours d’une période n’excédant probablement pas un siècle, il y a une douzaine de milliers d’années, cette portion de vallée a donc reçu une quinzaine de fois au moins, régulièrement semble‑t‑il, un groupe de plusieurs dizaines (peut‑être d’une centaine) de Magdaléniens ; leur campement couvrait pendant quelques semaines un espace de plus d’un hectare.
1.3.3 L’organisation spatiale
195f. david, m. orliac
196A Pincevent, pour le niveau d’habitat IV20, l’étude de l’organisation de l’espace concerne aussi bien celle du campement, connu sur une surface de 3 800 m2, que celle de chaque unité d’occupation.
197Les 11 unités d’occupation qui constituent le campement se répartissent sur une longueur d’au moins 100 m ; elles sont séparées les unes des autres par des zones vides, de largeur très variable : deux d’entre elles (V105 et T112) sont contiguës et mêlent leurs évacuations de déchets ; les distances qui séparent les autres varient de 7 à 25 m. La disposition relative de ces unités montre aussi bien une répartition périphérique à la section 26 (fig. 87) qu’une certaine attraction du seul élément de relief nettement perceptible : la rigole qui naît au sud‑ouest de la section 27 et se développe vers le nord‑est de la section 37. La concentration dans cette rigole, en section 37, de 10 des 15 niveaux d’habitat connus, semble confirmer son rôle attractif (fig. 88).
198Dans les unités d’occupation, l’organisation de l’espace a été maintes fois décrite ; les découvertes les plus récentes ne contredisent pas le schéma‑type établi par A. Leroi‑Gourhan : un foyer pierreux considéré comme pôle essentiel des activités, entouré d’une couronne de vestiges attestant la forte densité des activités domestiques ; de part et d’autre de ce foyer sont répartis, de façon dissymétrique, des témoins de nature différente : d’un côté un espace relativement vide, ayant pu servir de zone de couchage, plus ou moins couvert d’ocre, et de l’autre, des espaces d’évacuation de déchets encombrants, de plus en plus clairsemés en s’éloignant du foyer. A une distance comprise entre 5 et 10 m du foyer domestique se trouvent souvent de petits foyers satellites. La zone dense de vestiges ne mesure guère plus de 8 à 9 m de grand axe (fig. 92 et 93). Ce modèle général s’applique aux unités interprétées comme habitations où, outillage, restes de Rennes et déchets de toute nature sont relativement abondants, mais aussi à celles, plus pauvres, qui semblent liées plutôt à des activités techniques.

FIG. 92 – Organisation de l’espace et hypothèse d’aménagement construit : 1 foyers ; 2 aire d’activité principale ; 3 aires d’activité extérieures ; 4 aire plus dégagée servant au repos (?) ; 5 aires de rejet : 6 limites supposées des abris ; 7 issues.

FIG. 93 – Pincevent (Seine‑et‑Marne), niveau IV20. Vue générale de l’unité d’habitation 27.M89. Au centre de la photo, le foyer entouré de menus débris de faune et de débitage, témoins d’une intense activité domestique. En arrière, une zone plus dégagée de vestiges correspond à l’espace réservé pour le repos (?). A droite, espace d’évacuation rapprochée puis dispersée et début d’une vidange de foyer.
cliché A. Leroi‑Gourhan
1.3.4 La stratégie d’acquisition, transformation, consommation
199f. david, m. orliac
1.3.4.1 Acquisition des matières minérales
200Toutes les matières d’origine minérale associées à la vie des Magdaléniens n’étaient pas extraites des environs immédiats du site. C’est le cas des parures : coquilles de gastéropodes et dents de requin fossiles du Tertiaire de l’Ile‑de‑France, de l’ocre, répandu très libéralement auprès de certains foyers, et de certains silex taillés provenant du centre de l’Ile‑de‑France.
Le silex exogène
201On ne peut totalement écarter l’hypothèse selon laquelle le silex exogène serait un produit d’échange, mais il est plus vraisemblable de supposer que les chasseurs arrivaient à Pincevent avec, en poche, un équipement minimum de silex : lames brutes ou façonnées, parfois même nucléus (comme ceux de l’unité 45 R141), provenant de haltes situées au centre de l’Ile‑de‑France, à une cinquantaine de kilomètres vers le nord. Ce silex exogène est présent dans toutes les unités d’occupation du niveau IV20 et également dans les niveaux sous‑jacents fouillés sur une surface assez grande : ceci semble bien démontrer, d’une part que tous les membres de la communauté qui s’installait à Pincevent suivaient un même circuit, relativement simple (ou qu’ils entretenaient des échanges toujours avec le même groupe), et d’autre part que le groupe qui venait périodiquement à Pincevent suivait lui aussi, toujours, cet itinéraire peu varié, autre indice en faveur de la stabilité de ce groupe, de la brièveté de l’histoire enregistrée à Pincevent ou encore de la courte durée du dépôt de l’ensemble des limons. Ces matériaux exogènes ne constituent cependant qu’une infime proportion (environ 0,2 %) du silex mis en œuvre, qui est d’origine locale.
Les matières lithiques locales
202Dans les chenaux du lit mineur de la Seine, entre la craie et la masse considérable des sables et gravillons inutilisables, les Magdaléniens disposaient, à quelques centaines de mètres de leur campement, des ressources multiples offertes par les graviers grossiers affouillés par les crues du fleuve et accessibles au moment de l’étiage : blocs de granit du Morvan, blocs de grès, grandes plaques de calcaire dur et de meulière, rognons de silex à peine roulés, parfois encore enrobés de craie remaniée, ou présentant des formes curieuses : cornes, boules ; il y avait aussi des blocs de pyrite, des fossiles du Secondaire, des silex taillés du Paléolithique moyen et sans doute aussi des fragments de molaires et d’ivoire de Mammouth. Peut‑être ces graviers constituaient‑ils même des plages où il suffisait de choisir, en se promenant, parmi des matériaux bien lavés et largement étalés.
Transformation des matériaux lithiques : le débitage
203Dans les ramassages effectués dans les graviers du bord de la Seine, la part des rognons de silex était peu considérable, relativement à celle des pierres utilisables dans les foyers ; pour ne prendre que l’exemple de l’unité d’occupation 27.M89 : au maximum une trentaine de kilogrammes pour les premiers, contre 160 kg pour les pierres de foyer.
204Sur le gîte de matières premières, le choix n’était pas rigoureux : ainsi, sur la trentaine de kilogrammes de silex rapportés dans l’unité d’occupation 27.M89, 10 kg étaient gélifs ; c’est‑à‑dire qu’il n’avait pas été jugé nécessaire de tester les rognons sur place, ou encore que leur qualité n’avait pas une importance primordiale. Les meilleurs rognons étaient systématiquement exploités par les bons tailleurs, que ces derniers les aient ou non ramassés. Dans la majorité des cas, cette exploitation de bonne qualité procurait des lames à usage différé. Les rognons de forme et de qualité moyennes étaient travaillés de façon plus opportuniste et plus simple. Ce débitage à usage domestique immédiat a fourni l’essentiel des outils utilisés pendant l’occupation. Enfin les rognons médiocres semblent avoir été réservés aux tailleurs débutants : leur production est orientée vers l’étude d’une technique et non vers une production utilisable (Karlin 1993).
205Les rognons ne faisaient pas l’objet d’un stockage. Le débitage était localisé, dans la zone de l’ensemble des activités, principalement autour du foyer et également en plusieurs postes non groupés situés à quelques mètres de celui‑ci ; ses déchets étaient évacués à la périphérie de la zone d’activités.
206Dans l’unité d’occupation 27. M89, la production de supports d’outils ne représente au maximum qu’une quinzaine d’heures de débitage, réparties entre plusieurs tailleurs ; dans les autres unités, ce temps peut être encore plus court.
Supports laminaires et outils
207Le débitage avait une double orientation : d’une part la production de grandes lames‑supports à usage différé, correspondant à un modèle standard et en partie destinées à constituer une réserve pour un usage ultérieur hors de Pincevent ; d’autre part, la production de supports d’outils de qualité moyenne, abandonnés sur place après usage, mais choisis suivant les caractéristiques morphologiques ou mécaniques indispensables à la confection d’outils spécialisés : forte épaisseur convenant aux becs, robustesse (définie par un faible rapport largeur/épaisseur) des burins, régularité des supports de grattoirs, etc. (Julien et al. 1992).
208Les unités 36. V105 et 36. T112 ont livré ensemble 521 lamelles à dos et 298 autres outils ; dans les autres unités, les outils sont relativement peu nombreux, ou même rares ; en 27. M89, où les traces d’activité sont moyennement denses, on ne compte que 84 outils (et 277 lamelles à dos), dont l’usage est à répartir entre plusieurs individus ; les activités liées à la transformation des matières autres que le silex sont donc également très modestes ; celles qui sont liées à la réfection des armes de chasse restent prépondérantes.
Les pierres de foyer
209Les éléments les plus grossiers des graviers de fond ont été choisis par les Magdaléniens pour équiper leurs foyers : blocs ou plaques de grès, de calcaire, de meulière, gros galets de granit. Ces roches sont faiblement pyrociastiques, aussi le choix des Magdaléniens s’est‑il plutôt porté sur leur morphologie que sur leur nature pétrographique. Le foyer de l’unité d’occupation 36.L115. brièvement utilisé, montre des plaques de pierre, dont la plus grande mesure 60 x 40 x 7 cm : l’ensemble de la bordure de pierres pèse 135 kg. Mais des blocs ont également été sélectionnés, car il semble que les blocs et les dalles ne présentaient pas les mêmes qualités, aussi étaient‑ils destinés à des usages différents.
210Agencées en bordure des foyers ou déposées dans leur cuvette, les pierres ont participé au fonctionnement du feu. Elles emmagasinent la chaleur et la restituent : ignorant les caprices de la flamme et ses effets oxydants, les salissures des braises et des cendres, elles permettent un contrôle très précis des températures pour la cuisson des aliments et pour les usages techniques de la chaleur : fabrication des poix et colles par exemple ; elles constituent également le moyen le plus simple de chauffer les liquides (Julien et al. 1992).
211L’éclatement thermique réduisait les dalles et les blocs en fragments polyédriques, également employés comme pierres de chauffe (Julien 1988). L’extrême fragmentation des pierres a parfois contraint à leur renouvellement ; cependant, en général, les remontages montrent que les chasseurs se sont parfaitement accommodés de la réduction de dimension des pierres. L’entretien des foyers se traduit par le nettoyage de leur cuvette, et par l’évacuation de cette vidange à quelques mètres de distance. Les foyers des unités considérées comme ayant concentré des activités techniques ne sont généralement pas accompagnés de vidange, ceux des unités plus nettement vouées à l’habitation en comportent une, deux ou même trois.
1.3.4.2 Acquisition des végétaux
212Comme cela a été dit plus haut, le paysage végétal de la vallée reste hypothétique ; le site même ne porte pas de traces d’une végétation abondante ; sa plus grande partie semble même avoir été totalement dénudée.
213Les Magdaléniens ne sont en général pas de gros consommateurs de combustibles ligneux et les charbons que contiennent les foyers de Pincevent sont d’abord des charbons d’os, inclus dans des cendres de Conifères, Feuillus et Herbacées (cf. Wattez, partie 1, article 2.8) ; les rares fragments de charbon de bois, examinés par E. Bazile, se sont révélés indéterminables, sauf deux d’entre eux : l’un a été attribué au Pin sylvestre, l’autre au Saule ou au Peuplier. Ces déterminations ne sont d’aucun secours pour reconstituer la végétation locale, car la proximité de l’eau rend très plausible l’apport de bois flottés. Quoi qu’il en soit, la présence du Saule, en bord de rivière, est très normale ; ses branches, d’un faible diamètre, légères et droites, constituent d’excellentes perches pour l’armature des tentes, son feuillage pouvant servir de couverture et son écorce pour confectionner des récipients ; par ailleurs, une décoction d’écorce de Saule a pu être employée, comme le font les Lapons, pour la préparation des peaux (Delaporte, Roué 1978) ; on sait par ailleurs que les feuilles de certains saules (Salix pulchra ou S. arclica) tout comme une vingtaine d’autres espèces de plantes de la toundra sont comestibles et peuvent être utilisées en cuisine (Chernov 1985).
1.3.4.3 Les ressources animales
La faune aquatique
214Bien qu’installés au bord de la rivière, les Magdaléniens semblent avoir totalement dédaigné les poissons, pourtant faciles à capturer à la main, à la sagaie ou au harpon pendant ces périodes de basses eaux claires. En effet, il n’en a pas été trouvé dans les niveaux d’habitat une seule écaille1, une seule vertèbre ; il est difficile d’attribuer cette absence totale à une simple question de conservation différentielle. L’hypothèse du sèchage ou du fumage de poissons entiers destinés à une consommation différée manque d’argument, si ce n’est la présence d’une lame de silex portant des microtraces attribuées à l’écaillage d’un poisson (Moss 1983).
215Lors de l’installation du campement, ce n’était plus la saison du Saumon et les chasseurs qui venaient là avaient sans cloute d’autres préoccupations que celle de capturer des Brochets et encore moins le menu fretin, même s’il s’agissait de Truites, le Renne assurant largement leur subsistance. Si elle n’est pas attribuable a un interdit alimentaire, cette absence de poisson est peut‑être aussi un indice de brièveté du séjour ou du petit nombre au campement de femmes et d’enfants, auxquels revient souvent la capture des petites proies.
Les oiseaux et le petit gibier
216Les mêmes considérations s’appliquent à l’absence d’oiseau aquatique et, en général, du petit gibier ; néanmoins, les hasards de la chasse, ou des besoins particuliers, ont conduit à la capture de quelques Loups et de quelques Lièvres.
Le Mammouth
217Les fragments d’ivoire et de molaires de cet animal pourraient aussi bien figurer dans le paragraphe de l’acquisition des matières lithiques ; en effet, s’ils ne sont pas le produit d’échanges, ils ont peut‑être été prélevés sur des carcasses encore accessibles, ou encore clans les graviers de fond, en même temps que les silex, les pierres de foyers, etc. : mais peut‑être faut‑il rappeler qu’en Périgord, on ne le trouve, dans les gisements du Paléolithique supérieur, qu’à l’état de molaires ou d’ivoire, alors qu’il est représenté sur les parois des grottes avec un réalisme qui ne laisse aucun doute sur sa contemporanéité avec les artistes.
218Quoi qu’il en soit, ces fragments recueillis à titre de curiosité, comme d’autres fossiles, ont été abandonnés sur le sol, mais sans avoir fait, semble‑t‑il, l’objet d’une quelconque transformation.
Le Cheval
219La rareté du Cheval à Pincevent semble également faire de sa capture un hasard de chasse ; malgré un poids important par rapport au Renne, il n’apportait qu’un appoint à la subsistance des Magdaléniens ; il a pu être recherché pour les qualités particulières de son cuir, de ses crins, ou la corne de ses sabots. Sa chasse semble avoir été plus intense lors des ultimes occupations magdaléniennes du site.
Les Bovinés
220Leur absence totale peut tenir à des raisons climatiques mais renvoie aussi aux interrogations sur la durée du séjour, ou encore à celle d’un désintérêt total des Magdaléniens à l’égard des grands troupeaux de bêtes à cornes.
Le Renne
221De toute évidence, c’est le Renne que les Magdaléniens venaient chercher à Pincevent, le Renne qui concentrait toute leur attention et toutes leurs activités. Peut‑être y‑a‑t‑il un lien entre la sécheresse de la saison, et l’installation du campement au bord de la rivière où hommes et bêtes venaient boire.
222Quoi qu’il en soit, le Renne est parmi les mammifères un de ceux dont l’Homme tire le meilleur parti : bois et os pour fabriquer les armes et outils, peaux pour les vêtements, les revêtements de sols, les couvertures et les parois de tente, la chair, la graisse et la moelle pour se nourrir, les tendons pour la couture, la corne des sabots pour en faire de la colle ( ?)2, les dents comme parure, les os également comme combustible.
La chasse au Renne
223Les techniques de chasse au Renne ne laissent guère de trace ; elles sont très diverses si l’on se réfère aux sources ethnographiques ; elles peuvent se pratiquer à l’affût, à l’aide de leurres ou au collet ; souvent, la bande ou le troupeau est canalisé par des palissades qui conduisent les animaux vers un rétrécissement où les chasseurs les attendent. La traversée d’un cours d’eau rend les rennes plus vulnérables ; c’est donc un endroit propice pour leur capture (Spiess 1979).
224Ce que l’on sait de la morphologie de cette portion de vallée est insuffisant pour en déduire une technique de chasse particulière ; en imaginant que l’animal était traqué dans le lit mineur du fleuve, tout au plus peut‑on dire que l’existence de hautes berges et de chenaux encaissés a pu contraindre les animaux à emprunter des passages obligés où ils étaient abattus à l’aide de sagaies.
225A Pincevent, un fragment de sagaie en bois de Renne, à laquelle adhéraient encore deux lamelles à dos, à été découvert fiché dans le sol près du foyer 27.M89.
226L’abondance des lamelles à dos autour de la plupart des foyers indique la fréquente réfection de ces projectiles et, par là même, vraisemblablement la principale arme de chasse employée.
227La présence d’environ 76 rennes dans les installations du campement du IV20 permet de se faire une idée assez claire de la nature du prélèvement effectué dans les populations de Rennes ; il est difficile de préciser le sexe des animaux, mais il semble que les mâles aient été chassés plus que les femelles (58 % de mâles) (David, Enloe 1992) ; par ailleurs, toutes les classes d’âge sont représentées, la catégorie la plus abondante étant celle des jeunes adultes.
La consommation du Renne
228La viande, les bois et la peau des rennes sont de bonne qualité à la saison qui semble être celle de l’occupation du site, c’est‑à‑dire à un moment entre la fin de l’été et celle de l’automne, sans doute peu avant les chutes de neige. Toutes les parties de l’animal ont été apportées sur le campement, cependant les vertèbres sont sous‑représentées : elles ont pu servir de combustible ou être emportées avec les filets. La répartition entre les unités d’occupation est très variable ; certaines comportent les restes d’une vingtaine de carcasses (36.V105, 36.T112, 27.M89), d’autres d’une dizaine (18.E74), d’autres encore quelques ossements provenant d’une ou deux bêtes. Il semble que les mêmes animaux aient été partagés entre les unités 36.V1O5, T112 et L115, contiguës ou très proches (Enloe, David 1992). Il n’a pas été délimité d’espace spécialisé pour le dépeçage ; les os ont été systématiquement brisés pour en extraire la moelle ; les petits ossements ou les fragments ténus se retrouvent sur le lieu de consommation principal, autour du foyer ; les ossements plus encombrants sont rejetés dans la zone d’évacuation qui se développe à quelques mètres de celui‑ci.
Bois, os et peau, de Renne
229Le travail du bois de Renne, comme celui des os ou des dents, est rare sur le gisement : traces de résection de baguette sur une dizaine de grands bois, polissoir à aiguilles ou sagaies, négatif d’enlèvement d’aiguille sur métatarsien de Renne, 3 bâtons percés, quelques fragments de sagaies, tel est le bilan des « témoins façonnés » laissés par les Magdaléniens de Pincevent ; deux séries d’incisives ont été séparées du maxillaire pour en faire des parures ; par contre, le travail de la peau semble plus intense (Plisson 1985). L’installation à Pincevent se situe à la saison où la peau des rennes présente sa qualité la meilleure ; si la peau des 76 rennes abattus satisfaisait aux besoins du groupe, c’est que le Magdalénien en consommait moins qu’un Lapon, qui utilise entre 15 et 25 peaux par an.
La viande
230Les téguments du Renne ne semblent donc pas être la raison principale de l’attrait des Magdaléniens pour le site de Pincevent ; 76 rennes abattus lors d’un séjour représentent entre 3 040 et 4 180 kg de viande, soit un nombre considérable de rations. Même en imaginant un régime très riche de 3 kg de viande par personne et par jour (en prévision de la mauvaise saison), ces chiffres représentent entre 1 013 et 1 393 rations, ce qui semble, en fonction d’un séjour nécessairement bref, incompatible avec les capacités apparentes d’accueil du campement : de 70 à 90 personnes pendant 15 jours, 35 à 45 pendant un mois ; ou encore le double en jour ou en personnes avec des rations moitié moindres – et qui resteraient cependant largement suffisantes. Il ressort de ces calculs simplistes que la quantité de viande paraît disproportionnée relativement à la durée présumée du séjour et au nombre de chasseurs ; dans une société qui évite le gaspillage (et ceci reste hypothétique), il semble logique de déduire de ces chiffres qu’une partie de la viande était réservée à une consommation différée et qu’elle subissait sur place une préparation destinée à la conserver pour les mauvais jours. A moins que l’on ne considère l’engraissement des humains comme faisant partie des techniques de consommation différée.
1.3.4.4 Le campement magdalénien dans son environnement
231S’il est possible de comprendre les causes de la bonne conservation des sols magdaléniens de Pincevent, il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’expliquer les raisons qui conduisirent les chasseurs de Rennes à occuper cet endroit précis et à y revenir ; en effet, il est impossible, à la suite des érosions naturelles et des extractions de graviers, de reconstituer dans ses détails la morphologie du fond de vallée, il y a précisément 12 000 ans. L’image qui naît des observations montre un fleuve au lit encaissé, roulant, ses eaux basses sur la craie, attirant sur ses berges dénudées les rennes et leurs chasseurs, en groupe relativement nombreux, vers des ressources facilement accessibles. Née en même temps que commençaient à se déposer les limons, l’attraction que les lieux exerçaient cessa avec le changement de régime du fleuve. Malgré le remblaiement du lit mineur, au début de l’Alleröd, le site présenta encore quelque intérêt, pour une petite cellule de chasseurs épimagdaléniens ; après, il ne fut plus visité que très sporadiquement par les chasseurs mésolithiques.
1.3.5 La durée de fréquentation du site, son abandon et le changement de paysage
232m. orliac
1.3.5.1 Durée de fréquentation du site
233Il existe au moins une installation antérieure au dépôt des limons ; mais il est encore impossible de l’attribuer au Magdalénien. Les niveaux appartenant sans ambiguïté à cette culture apparaissent très bas dans les dépôts de limon, dont on peut assimiler la durée de sédimentation à celle de la fréquentation du site. Il a été dit que le dépôt des limons, relativement homogène, se place tout entier clans le même événement climato‑sédimentaire. Le litage très particulier des limons, qui les fait ressembler à des varves lacustres saisonnières, ne se rencontre que rarement dans les dépôts fluviatiles. Et il semble bien qu’au caractère extraordinaire du gisement de Pincevent s’ajoute celui de sa sédimentation, correspondant probablement à un ensemble de paramètres exceptionnels, dont la manifestation fut nécessairement brève. A cet état un peu subjectif de la réflexion s’ajoutent des observations plus concrètes sur l’absence de bioturbation sur une grande partie des limons, absence corrélative d’un rythme régulier et rapide des dépôts. Les dépôts fluviatiles ne présentent pas la régularité des dépôts lacustres et le décompte des 200 feuillets que comportent les trois mètres de limons n’a que peu de signification, d’autant plus qu’il est actuellement impossible de reconnaître les arrêts de sédimentation autres que ceux marqués par les sols d’habitat. Ces diverses considérations conduisent à attribuer une durée très brève au dépôt des limons, une cinquantaine ou une centaine d’années tout au plus.
1.3.5.2 Abandon du site et changement de paysage
234Les derniers séjours des Magdaléniens à Pincevent s’inscrivent dans des dépôts qui marquent une transition vers ceux de la base de l’horizon III ; ces dépôts franchement sableux, traduisent une compétence beaucoup plus forte de la rivière ; ce sont eux qui s’accumulent à proximité immédiate du lit mineur lors des crues ; au nord de la section 37, la rivière a tout d’abord érodé les limons et leur substrat, formant une berge haute de plus de cinq mètres (fig. 94) ; peut‑être commençait‑elle déjà à y déposer, lors de ses crues, les sables lités qui furent déformés par de profondes failles, avant la formation d’un sol sur lequel s’installèrent à l’Alleröd, des chasseurs de Cerf, artistes épimagdaléniens3. Ces événements violents, marqués par une humidité fortement accrue et un remblaiement du lit mineur de la Seine, ont été également très brefs ; en continuité directe avec l’occupation magdalénienne et d’un âge 14C voisin (OxA 391 : 11 870 ± 130), ils marquent un profond changement climatique auquel il semble que la culture magdalénienne et le Renne n’aient pas résisté.

FIG.94 – Erosion et dépôts des sables (III) à l’Alleröd (IV) : limons magdaléniens.
235Le site était alors probablement en partie boisé, sa fréquentation par les Epimagdaléniens a été sporadique, sinon unique, au moins dans la zone fouillée : le débitage et l’outillage montrent une parenté certaine avec la culture de leurs aïeux magdaléniens, comme le montre également une tête de Cheval de belle facture, gravée sur le cortex d’un éclat de silex ; en revanche, l’organisation de l’espace dans l’habitat est très différente, ainsi que l’acquisition des matières premières et du gibier. Mais ceci est une autre histoire...
Bibliographie
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1.4 Verberie
1.4.1 L’implantation dans le paysage et les choix topographiques
260Le gisement magdalénien de Verberie est situé sur la parcelle du Buisson Campin, le long d’un méandre de l’Oise à 50 m de la rivière actuelle, et à 10 ou 20 m d’une berge fossile. A cet endroit, la vallée de l’Oise est large de plusieurs kilomètres et son fond plat est encore inondable. A 10 km en amont se trouve la confluence avec l’Aisne, principal affluent de l’Oise, et à 7 km en aval, la confluence avec la petite rivière de l’Automne, suivie par un affleurement rocheux qui resserre la vallée sur son flanc est. La topographie de Verberie est comparable à celle des autres sites de vallée du Magdalénien du Bassin parisien à cause de sa situation entre deux confluences, entre un resserrement rocheux et une zone marécageuse. De plus, l’implantation s’est faite, comme dans les autres sites, non loin de la rive.
261Les lentilles d’occupation ont été établies sur les surfaces planes du rebord de cette dernière, dans les limons de débordement, et les nappes de vestiges n’offrent que de très faibles variations de relief : légère déclivité d’ouest en est de la lentille d’occupation supérieure (couche II.1), faibles bosses et creux. La présence de lits de gros graviers très proches sous ces lentilles et la texture même du limon montre la proximité du cours de l’Oise à l’époque.
1.4.2 Les indices de peuplement
262On ne connait pour le moment que trois loci repérés par des trouvailles de surface (fig. 95). Le premier situé à faible distance du bord sud‑ouest du champ a livré une couche d’occupation connue par un sondage limité de B. Lambot (1975). Le deuxième, qui occupe la partie ouest du secteur 190, comprend une couche d’occupation d’environ 50 m2. Le troisième qui fait l’objet des fouilles actuelles recouvre les secteurs voisins 201 et 202, à 10 m du secteur 190, et comporte plusieurs lentilles d’occupation partiellement superposées. Les deux premières sont connues respectivement sur 160 m2 (couche II.1) et sur 100 m2 (couche II.2). La troisième n’a été reconnue que sur quelque 40 m2 en fond de couche de la deuxième. Quant à la quatrième, elle est représentée par deux plaquettes de calcaire et un éclat de silex observés dans un drain à 10 cm plus bas que des vestiges correspondant à la couche II.3.

FIG. 95 – Plan analytique de la coucheII. 1 du locus III.
263Ces couches (en forme de lentilles) sont immédiatement superposées les unes aux autres, les pierres de la couche inférieure dépassant dans la couche supérieure lorsqu’elles sont de grande taille. Elles mesurent en moyenne 10 cm d’épaisseur.
264Dans l’état actuel des connaissances, ces lentilles d’occupation correspondent à des campements successifs, séparés par une ou plusieurs inondations qui les ont recouverts de limons de débordement, et qui se sont rapidement succédé dans le temps. Il existe un indice de contemporanéité entre deux loci : D. Cahen a pu remonter les deux moitiés d’une lame qui provenaient respectivement du locus II et de la couche supérieure du locus III (fig. 95). Quoi qu’il en soit, ces ensembles ne reflètent que des installations de faible amplitude correspondant à de petits campements de courte durée.
265Les dates absolues obtenues par thermoluminescence et par 14C sont actuellement assez divergentes : 13 300 ± 850 pour l’une, 10 800 BP ± 350 pour l’autre, mais elles rentrent toutes deux dans le cadre de variabilité des dates de Pincevent. La date thermoluminescence situe Verberie à une période voisine de l’habitation no 1 ; la date 14C trouve un parallèle dans la série des dates trop jeunes de Pincevent faites clans les années soixante. La proximité de la terre arable, la présence de radicelles de plantes dans la couche archéologique et la vermiculation de la surface des os qu’elles provoquent peuvent expliquer cette date trop jeune. On est donc fondé à penser que, comme à Pincevent, le Magdalénien final de Verberie se situe dans le Dryas II.
266Les prospections et les fouilles effectuées dans la région n’ont pas permis jusqu’à présent de retrouver d’autres sites magdaléniens. Les quelques témoignages d’industries laminaires du Paléolithique supérieur retrouvés en forêt de Compiègne (Hinout 1988 : 165‑166) ou à la confluence du Thérain et de l’Oise appartiennent à une tradition épipaléolithique qui les rapproche des sites à Federmesser plus au nord (Hinout 1988). Verberie représente l’avancée magdalénienne la plus nordique au sein du Bassin parisien et reste un phénomène isolé en Picardie.
1.4.3 L’organisation spatiale de l’habitat
267Des différentes occupations, seule la couche supérieure (II.1) du locus III a donné lieu, à ce jour, à une exploitation intensive des données. Les autres ne sont connues que par des nappes de déchets osseux et lithiques liés à la chasse au Renne et à la fabrication des outils nécessaires à l’exploitation des ressources carnées. L’abondance des pierres chauffées dans chacune d’elles indique la présence de foyers à proximité.
268La couche II1 du locus III a fait l’objet du plus vaste décapage. Elle est connue sur environ 160 m2 et les zones vides n’ont été atteintes en périphérie que des côtés sud‑est et sud‑ouest, tandis qu’au contraire au nord la fouille s’est arrêtée dans une zone d’assez forte densité en vestiges lithiques et osseux.
269L’habitat de la couche II1 s’organise autour de deux foyers en aires d’activités spécialisées et en aires de rejet des déchets (fig. 96 et 97).

FIG. 96 – Plan synthétique.

FIG. 97 – Plan de l’aire de boucherie.
270Un premier foyer en cuvette (D1), bordé de blocs de pierre, est entouré d’une aire d’activité domestique où se sont accumulés les outils, déchets d’outils, déchets culinaires (c’est‑à‑dire esquilles et fragments osseux de petite taille) et les petits fragments de pierres chauffées évacués du foyer. Elle se termine au nord‑est par un amas de débitage correspondant à la taille de deux blocs. Au sud‑ouest, une zone demi‑circulaire vide, de 3 m de diamètre, située à l’arrière du foyer et de l’aire d’activités est enserrée d’un côté par des aires d’activités à outils variés (B2‑C3) et de l’autre par une nappe de rejet (BC17‑18) où les outils et déchets d’outils sont nombreux. On peut l’interpréter à partir des modèles d’habitations Nunamiut de L. Binford (1983 p. 156‑165) comme l’emplacement d’un abri ou d’une tente placée en retrait par rapport au foyer (fig. 97). A 8 m à l’est, le second foyer en cuvette (M20) est également entouré d’une aire d’activités comprenant os, outils, petits déchets de silex et d’os. A l’arrière (plus à l’est), se trouve une zone vide d’environ 3 m2 qui est limitée par quatre amas de débitage. Cette disposition fait plus penser à un espace de travail ouvert que couvert par un abri. On peut comparer ce dispositif à celui rencontré par B. Schmider autour du foyer N19 de Marsangy pour lequel E. Boëda et J. Pélegrin ont montré qu’il s’agissait d’un espace d’activité non couvert (Schmider, Croisset 1985 ; Boëda, Pélegrin 1985).
271Entre les zones de foyer, s’étend un vaste espace dont la partie la plus proche de D1 est occupée par un important amas de rejet de débitage de près de 4 000 pièces de silex où ont été accumulés les déchets de taille, quelques pierres chauffées et de rares os. Accolée à cet amas, une vidange de foyer (H18) est caractérisée par de très nombreux fragments de pierres chauffées et un sédiment teinté en brun par des charbons microscopiques. Le reste de cette aire inter‑foyers est occupé par une aire de déchets osseux peu denses. L’analyse de leur répartition a montré qu’il s’agissait en fait de plusieurs emplacements plus ou moins circulaires (JK1‑2 et JK19) et presque vides entourés d’os à faible valeur alimentaire (correspondant à des parties pauvres en moëlle ou viande) comme les vertèbres en connexion, les tarses, les carpes, les sternèbres et les coccyx. On peut les interpréter comme des aires de boucherie où les rennes étaient découpés. Un emplacement plus petit (H1‑2) bordé de lames de silex ayant servi à couper de la viande et entouré de fragments de côtes de Renne a probablement été utilisé pour la découpe des filets (Audouze 1988 ; 1987b : 349‑350). De petits amas, dont la microstratigraphie et les remontages ont montré qu’ils sont souvent tardifs dans l’histoire de l’occupation, sont disséminés dans cette zone et au nord du foyer M20.
272La lentille d’occupation sous‑jacente (couche II.2) fouillée sur près de 50 m2 n’a pas encore livré d’organisation claire parce que le ou les foyers n’en ont pas encore été mis au jour. On ne connaît donc actuellement que l’aire de découpe de boucherie, faire de rejet des déchets osseux, beaucoup plus riche en os que la couche supérieure et un amas de débitage situé à sa périphérie. La zone explorée de la couche II. 3 correspond également à une aire de boucherie et au dépotoir qui lui est lié, en léger décalage spatial par rapport à la couche qui la surmonte.
1.4.4 Les activités et la fonction du site
273Les vestiges archéologiques accumulés à Verberie renvoient à deux types d’activité, d’une part, la chasse au Renne, et d’autre part, la taille du silex. Les analyses ostéologiques et tracéologiques permettent de préciser et d’élargir cet inventaire trop sommaire. On a vu plus haut dans le chapitre consacré à la faune que les espèces chassées se réduisaient à deux : un grand mammifère, le Renne et un rongeur, le Spermophile. Si le Renne a fourni l’essentiel de l’alimentation carnée, le Spermophile a pu être recherché aussi bien pour sa graisse, abondante au sortir de l’été, que pour sa fourrure. Les deux espèces ont été chassées au voisinage immédiat de l’habitat puisque toutes les parties du squelette sont représentées. Cependant, en raison des installations domestiques et des autres activités pratiquées, on ne saurait parler de lieu de chasse (kill site) mais plutôt de campement de chasse associé à un lieu de chasse proche (hunting camp).
274L’examen ostéologique permet d’identifier l’habitat de Verberie comme un campement saisonnier. En effet, l’usure dentaire des mâchoires de Renne des deux couches permet de placer la période d’abattage des rennes à l’automne durant un laps de temps assez court. Verberie apparaît donc comme un campement de chasse lié à la migration d’automne des rennes. Sa situation, le long de l’Oise, à proximité d’un gué et à faible distance d’une confluence, en fait, comme Pincevent, un emplacement stratégique dans la chasse au Renne, que le troupeau ait traversé la rivière à faible distance de là, ou suivi le cours d’eau.
275Une fois tuées, les bêtes ont été ramenées au camp et ont été découpées dans les aires de boucherie. Les carcasses ont été mises en morceaux à des fins diverses : viande et abats pour l’alimentation immédiate mais aussi très probablement viande désossée mise de côté pour conservation comme semble l’indiquer l’aire de découpe fine (H1) (Audouze 1988 : 108‑109). Les innombrables diaphyses brisées montrent que la moelle a été systématiquement récupérée. La peau et les bois ont également fait l’objet de traitements. Trois bois rainurés longitudinalement témoignent d’extractions de baguettes. Quelques morceaux proviennent du débitage d’autres bois.
276L’examen des traces et des polis d’usure au microscope par L. Keeley (Keeley 1981 in Audouze et al. 1981 ; 1987) et Symens (Symens 1982 ; 1986) ajoute à la coupe de la viande et au travail de l’os, le travail de la peau. Il y a extrêmement peu d’indications de travail des plantes et aucune pour le bois. L’absence de ce dernier s’explique d’autant mieux que le paysage, tel qu’il transparaît à partir des études de malacologie, est complètement découvert.
277L’autre grand domaine d’activité concerne la taille du silex. Le débitage de lames utilisées brutes, transformées en outils ou mises de côté pour emporter est attesté par plusieurs dizaines de kilogrammes de déchets de débitage de silex, par des nucléus, des lames et des outils. La présence de déchets d’avivage et de chutes de burin montre qu’on ne s’est pas contenté de fabriquer des outils neufs mais qu’on en a également remis en état en cours d’utilisation. Certains de ces outils en silex ont alors servi à travailler l’os et le bois de Renne.
278Les données actuelles sur Verberie montrent donc un éventail d’activités liées à la chasse et à l’exploitation des matières animales qu’elle procure.
1.4.5 Stratégies d’acquisition
279Les chasseurs de Verberie sont venus à période fixe occuper un emplacement qui présentait le double avantage d’être situé à l’intersection de la route migratoire des rennes et d’une section de la vallée où affleurait un silex de bonne qualité. Sans que l’on puisse savoir encore comment s’effectuait la hiérarchie des choix (gibier ou silex d’abord), il faut constater que le silex collecté antérieurement et apporté sur le site sous forme d’outils, de lames ou de nucléus à lamelles se caractérise également par une excellente qualité. Un seul bloc de silex bartonien de 1 à 2 kg, apporté entier d’une région à 20‑40 km en aval de la vallée, présente une partie sous‑corticale peu résistante. Ses déchets ont été retrouvés au sommet du plus grand amas de rejet des déchets de silex. On est donc tenté d’en déduire que son débitage a été effectué en fin d’occupation et qu’il ne faisait donc pas partie de l’équipement avec lequel les chasseurs magdaléniens sont arrivés à Verberie (Audouze et al. 1988 : 64‑67).
280La très grande majorité du silex est local comme l’a montré M. Mauger plus haut, mais quelques pièces peuvent venir de 20‑30 km au sud et même de 80‑100 km. Les quelques blocs de grès lustrés qui proviennent du nord‑est ont été charriés par l’Aisne puis l’Oise sur une quarantaine de kilomètres. Arrivés sous forme de blocs ou de plaquettes d’une quinzaine de centimètres d’une région en amont, ils contrastent avec les silex exogènes qui, à l’exception du bloc bartonien, sont arrivés sur le site sous forme de produits finis ou semi‑finis (outils, lames et nucléus à lamelles).
281Il faut enfin souligner que l’approvisionnement en matières premières siliceuses se fait sur deux types de terrain : d’une part, la zone de contact des affleurements secondaires et tertiaires formant un arc de cercle entaillé par les vallées au nord et à l’ouest de Verberie et d’autre part, les affleurements tertiaires présents plus au sud, vers le centre du Bassin parisien. Cette double origine définit une zone de déplacement entre l’auréole de contact crétacé/éocène et les gîtes éocènes du centre du Bassin parisien. On retrouve cette alternance à Pincevent.
282Par ailleurs, l’approvisionnement en pierres de foyer est, lui, de type opportuniste puisque les Magdaléniens se sont contentés de ramasser des plaquettes et des blocs issus des flancs de la vallée et présents en surface à faible distance du site. Ils ont indifféremment collecté des calcaires, dont des calcaires gréseux et des calcaires coquilliers, et quelques blocs de grès. De même, ils semblent avoir brûlé de l’os en même temps que du bois dans les foyers (cf. Wattez, partie 1, article 2.8). L’utilisation de ce combustible peu énergétique mais abondant sur place venait sans doute compenser la rareté du bois dans un paysage que P. Rodriguez décrit plus haut comme dépourvu d’arbre.
283Pour leur alimentation, les Magdaléniens de Verberie ont opté pour une chasse spécialisée au grand herbivore à très haut rendement. Ils ont abattu, sans doute à l’occasion, quelques Spermophiles (embedded procurement strategy). Il est en revanche plus difficile d’interpréter la présence de quelques os de Cheval (métapode, épiphyse d’humérus) et de quelques os d’oiseaux. Suffisent‑ils à témoigner d’une chasse occasionnelle effectuée à distance et qui n’a donné lieu qu’au transport au camp de quelques morceaux ?
1.4.6 Stratégie de transformation
284On retrouve pour l’exploitation des matières animales un comportement fait en partie d’opportunisme et d’optimisation où tout ce qui peut être utilisé l’est mais sans tomber en dessous d’un certain seuil de qualité ou en dessous d’un certain rapport résultat/temps investi. Ainsi les bois de jeunes mâles ou de femelles sont‑ils abandonnés sur place alors que les bois les plus importants sont rainurés pour en tirer des baguettes. La présence de très petits fragments seulement atteste du bris systématique de tous les crânes pour en récupérer la cervelle comme celui tout aussi systématique des diaphyses pour la récupération de la moelle. Celle‑ci est même extraite des phalanges, parfois encore prises dans leur gaine de tendons. En revanche, la moelle des vertèbres fréquemment retrouvées en connexion est délaissée. Il faudra cependant attendre la poursuite des études archéozoologiques pour savoir si les emplacements de traces de découpe sur les os peuvent être reliés à des opérations de conservation de la viande.
285L’implantation du campement témoigne des différentes activités poursuivies : découpe des rennes dans l’espace central, cuisine, débitage et réfection des outils autour du foyer D1, activités plutôt artisanales autour du foyer M20 où manquent les très nombreuses esquilles d’os de la périphérie de D1. Les activités artisanales et la réfection des outils sont attestées autour des foyers de façon différente : burins et lamelles à dos dominent autour du foyer D1 avec une concentration de perçoirs à 1 m de là ; becs et perçoirs dont beaucoup ne sont plus représentés que par leur pointe sont nombreux autour du foyer M20. La dispersion des grattoirs à des distances diverses du foyer est peut‑être liée au fait que le travail des peaux requiert de l’espace pour les étendre, espace qui reste distinct des aires de boucherie qui semblent n’avoir été réutilisées que pour le rejet de débitages de faible importance.
286Les microtraces d’utilisation des outils lithiques témoignent d’une stratégie d’usage différente selon qu’il s’agit de silex local ou de silex importé. Elle vise à assurer une longévité plus grande aux outils en silex exogène. En effet, près des deux tiers de ces derniers portent des traces d’emmanchement directes ou indirectes (Keeley 1987 : 92‑93) tandis que ce pourcentage tombe à moins de 30 % pour le silex local. L’attitude des Magdaléniens face à leur approvisionnement en silex est celui de chasseurs en situation d’abondance : seuls les nucléus suffisamment globuleux sont transformés ultérieurement en nucléus à lamelles. Les autres sont abandonnés dès qu’ils atteignent une longueur inférieure à 15‑12 cm ou que les travaux de préparation à effectuer sont coûteux en temps ou en matière première. Il y a donc à la fois une optimisation du travail et un certain opportunisme liés à la qualité de la matière première. L’investissement en temps de préparation des blocs est fonction de la qualité du bloc et de son potentiel en lames (Audouze et al. 1988).
287Tous ces indices convergent pour mettre en évidence chez les chasseurs magdaléniens de Verberie un comportement visant à assurer de la façon la plus efficace leur subsistance et leur équipement en tirant au mieux profit des ressources locales et en combinant leur exploitation avec celle d’une ressource alimentaire temporaire à rendement énergétique très élevé. Il s’agit là d’une stratégie d’approvisionnement soigneusement planifiée dans le temps et dans l’espace (logistical collecting).
1.4.7 L’abandon
288Les campements successifs de Verberie ont été abandonnés sans préparatifs particuliers tel qu’un recouvrement des foyers. L’un (D1) avait été récemment nettoyé et sa bordure de pierres refaite tandis que l’autre présentait un état d’utilisation plus avancé avec une bordure démantelée et une cuvette remplie de fragments de pierres, de silex et d’os chauffés. Les Magdaléniens ont emporté leur équipement qui comportait, entre autres, des lames débitées à Verberie et provenant des deux blocs débités près du foyer D1 (Audouze, Cahen 1984 : 157). Ils ont aussi emporté, parce que le site n’en comprend plus aucun, tous les outils ou armes en os ou en bois de Renne intacts ainsi que les manches d’outils et les percuteurs (ne restent que 3 sagaies et 1 aiguille à chas dont les pointes sont cassées). Ce sont donc les outils et les instruments représentant un long investissement en temps de travail ainsi que des produits lithiques locaux de la meilleure qualité (en matière première et en façonnage) que les chasseurs magdaléniens conservent comme équipement.
289Les limons de débordement ont recouvert peu après les différents campements. Il n’est malheureusement pas possible de déduire l’évolution ultérieure du climat et du paysage de la séquence supérieure de ces limons. L’érosion et les labours ont fait que la terre arable surmonte directement les limons enrobant les vestiges magdaléniens. Tout au plus peut‑on noter que la rive de l’Oise s’est éloignée de l’emplacement des campements par un redressement du méandre et qu’à terme (mais lequel ?) un sol brun lié à un climat plus clément et une végétation plus arborée s’est installée.
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293Audouze 1984 : AUDOUZE (F.), CAHEN (D.). — L’Occupation magdalénienne de Verberie et sa chronologie. In : BERKE (H.), HAHN (J.), KIND (C.‑J.) ed. — Upper Palaeolithic Settlement Patterns in Europe. Colloque de Reisenburg/Günzburg, 1983. Tübingen : 1984, p. 143‑158 (Urgeschichtliche Materialhefte ; 6).
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295Audouze et al. 1988 : AUDOUZE (F.), KARLIN (C.) et al. — Taille du silex et finalité du débitage dans le Magdalénien du Bassin parisien. In : OTTE (M.) ed. — De la Loire à l’Oder : les civilisations du Paléolithique final dans le nord‑ouest européen : colloque UISPP, commission 8, Liège 1985. Oxford : 1988, vol. i, p. 55‑84 (BAR International Series ; 444).
296Binford 1983 : BINFORD (L.). — Pursuit of the Past. New York : Academic Press, 1983, p. 256.
297Boëda, Pélegrin 1985 : BOEDA (E.), PELEGRIN (J.). — Approche expérimentale des amas de Marsangy. In : Archéologie expérimentale; Archéodrome, 1985, p. 19‑32 (Cahier ; 1).
298Hinout 1988 : HINOUT (J). — Gisements épipaleolithiques dans le Bassin parisien. In : OTTE (M.) ed. — De la Loire à l’Oder : les civilisations du Paléolithique final dans le Nord‑Ouest Européen : colloque UISPP, commission 8, Liège 1985. Oxford : 1988, vol. i, p. 163‑178 (BAR International Series ; 444).
299Keeley 1987 : KEELEY (L.‑H.). — Hafting and “retooling” at Verberie. In : STORDEUR (D.) ed. — La Main et l’Outil : manches et emmanchements préhistoriques. Table ronde du CNRS, Lyon le 26‑29 novembre 1984. Lyon : 1987, p. 89‑96.
300Lambot 1975 : LAMBOT (B.). — Fouille d’un habitat de plein air du Paléolithique supérieur à Verberie (Oise) : premiers résultats. Revue archéologique de l’Oise, 6, 1975, p. 20‑26.
301Schmider, Croisset 1985 : SCHMIDER (B.), CROISSET (E. de.). — La Structure centrale (N19) du campement magdalénien de Marsangy (Yonne) : données archéologiques. In : Archéologie expérimentale; Archéodrome, 1985, p. 3‑15 (Cahier ; 1).
302Symens 1982 : SYMENS (N.). — Gebruikksporenanalyse op artefacten van de magdaleniaanaderzetting to Verberie. (Thèse de l’université de Louvain, 1982. 156 p., 42 pl.).
303Symens 1986 : SYMENS (N.). — A Functional Analysis of Selected Stone Artifacts from the Magdalenian Site at Verberie (France). Journal of Field Archaeology, 13, 1986, p. 213‑222.
Notes de bas de page
1 Deux écailles ont été trouvées dans les limons, preuve de la possibilité de leur conservation sur le site. Depuis la rédaction de cet article, plusieurs squelettes de petits poissons ont étés découverts sous les pierres du niveau IV20 (section 37) ; leur taille réduite et les connexions que présentent les ossements évoquent plus un piégeage naturel ou un échouage lors de la décrue que les reliefs de ce que nous appellerions aujourd’hui une « friture ».
2 L’état de conservation des 3e phalanges de Rennes de Pincevent ne permet pas d’y voir des traces de silex mais dans le Magdalénien de Pierre‑Châtel (Ain) (fouilles R. Desbrosse), la plupart des 3e phalanges sont striées comme si on les avait extraites des sabots et suggère un usage de la corne (colle, parure, sonnaille ?).
3 Un éclat de silex au cortex gravé d’un tête de Cheval réaliste a été trouvée dans ce niveau.
Auteurs
UA 275 du CNRS, Centre de recherches préhistoriques de l’université de Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris.
UA 275 du CNRS, Centre de recherches préhistoriques de l’université de Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris.
UA 275 du CNRS, Centre de recherches préhistoriques de l’université de Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris.
UA 275 du CNRS, Centre de recherches préhistoriques de l’université de Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris.
Université de Paris I, Institut d’Art et d’Archéologie, Paris.
UA 275 du CNRS, Paris.
UA 275 du CNRS, Paris.
UA 275 du CNRS, Paris.
Centre de recherches archéologiques de Meudon, et membre associé à l’UA 275 du CNRS, Paris.
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