1Aqueduc et mise en valeur du territoire, tel était l’un des thèmes retenus en 1984 pour l’étude de l’aqueduc romain de Nîmes (Fabre 1991). Il apparaissait en effet nécessaire de ne pas s’en tenir à l’analyse du monument mais de reconstituer la campagne gallo‑romaine le long de l’ouvrage à partir de prospections systématisées et de la photo‑interprétation, de cerner les structures agraires de cette région à l’époque de la construction du canal et d’analyser leurs transformations en envisageant le rôle éventuellement joué par l’aqueduc. En effet, si la conduite de l’eau, des Fontaines d’Eure à Uzès (fig. 1) jusque dans la ville de Nîmes sur 50 km environ, est une réalisation urbaine, au profit exclusif de la ville, elle a laissé son empreinte dans les campagnes traversées de façon durable : il n’est que d’observer les très nombreux tronçons qui servent encore de limite de parcelle, voire de quartier, même aux endroits où le canal est souterrain. D’autre part, les fouilles conduites sur les ponts de la Lône, de Pont‑Rou et de Valive à Vers‑Pont‑du‑Gard ont permis de reconnaître l’organisation de captages vraisemblablement destinés à l’irrigation, à une époque où la canalisation n’était plus régulièrement entretenue par la ville et où elle pouvait être utilisée pour les besoins ruraux (Fabre 1991).

2Ce volet de la recherche a été particulièrement développé dans la partie haute du tracé de l’aqueduc, entre la sortie du vallon d’Eure à Uzès et le changement de versant marqué en particulier par le Pont du Gard au passage du Gardon (fig. 1). C’est une zone où le canal est creusé en tranchée dans le détritique, en contrebas de la racine du piémont de la garrigue orientale d’Uzès qui coïncide avec le haut du versant rive gauche de la basse vallée de l’Alzon ; un seul ouvrage d’art y permet le franchissement par trois arches du ruisseau temporaire de Bornègre. Le changement de versant entre les garrigues d’Uzès et celles de Nîmes, qui s’effectue par le plateau molassique de Vers, est négocié au contraire, par plusieurs arcades (ponts de la Lône, de Pont‑Rou et de Valive) et même un pont à deux niveaux (Font Ménestière) qui franchit le col de la Ratade emprunté par la route de Beaucaire à Uzès.

10.1 Le cadre physique

3La basse vallée de l’Alzon se développe du sud‑est d’Uzès au débouché de la vallée d’Eure jusqu’au confluent avec le Gardon à l’est de Collias ; c’est un val typique dont le grand axe est parfaitement calé sur celui d’un synclinal ; dans cette orientation, il se raccorde à la basse plaine colluvio‑alluviale de Vers‑Pont‑du‑Gard. Ses marges sont exclusivement constituées par des calcaires purs urgoniens : au nord, les garrigues orientales d’Uzès ; au sud, le dôme de Sanilhac et Sagriès.

4En contrebas des garrigues, le piémont nord, d’un développement plus important que le piémont sud, se présente comme un glacis colluvial à faible pente. Il est composé par des dépôts détritiques carbonatés. Les sols bruns de décomposition calcaire ont une texture limono‑sableuse avec quelques petites poches plus argileuses, exploitées aux siècles derniers par des tuileries1 On trouve localement et à une faible profondeur des formations gréseuses. Cet ensemble est différencié çà et là par d’anciens cônes d’érosion du massif bordant la vallée au nord et par des dépôts tufacés qui témoignent d’écoulements paléo‑actuels des ruisseaux temporaires issus du même massif.

5Les garrigues d’Uzès, dont le front domine le piémont de 50 ou 60 m, présentent de nombreuses formes karstiques (surfaces lapiésées, avens, grottes, boulidous). La dégradation de la roche compacte sur les versants est à l’origine d’une zone d’éboulis composée de matériel carbonaté grossier. Cette zone s’intercale partout entre le glacis et le massif.

6Vers l’ouest, à la sortie du val d’Eure, l’Alzon contourne un plateau de molasse calcaire du Burdigalien supérieur qui surplombe à l’ouest le lit majeur de la rivière par un petit monoclinal abrupt. Le synclinal de la basse vallée de l’Alzon est barré à l’est par une dalle de molasse langhienne reposant sur des formations gréso‑sableuses et marneuses de l’Helvétien inférieur. Cette dalle présente une petite cuesta au front discontinu ; depuis l’époque romaine, elle a été exploitée par des carrières à ciel ouvert.

7A son pied oriental est situé un bassin colluvial entouré par ces formations langhiennes de Vers et de Castillon et par le massif urgonien des garrigues d’Uzès ; le front de ce dernier est le prolongement du synclinal de la basse vallée de l’Alzon. Enfin, au nord‑est du confluent avec le Gardon, une butte de molasse porte un dépôt caillouteux quaternaire. On rencontre d’autres alluvions caillouteuses dans la partie méridionale du bassin de Vers.

8Le système hydrologique du secteur est dépendant de ces données géomorphologiques. En effet, les sources pérennes y sont rares car les caractéristiques karstiques des plateaux urgoniens ne favorisent pas la formation de réseaux phréatiques à une faible profondeur. Par conséquent, les cours d’eau qui débouchent des vallons du massif sont tous temporaires, le plus important étant celui de Bornègre ; leur débit est proportionnel à l’importance des précipitations. Les sources pérennes importantes sont concentrées près de la rupture de pente basale de la dalle de molasse langhienne autour de Vers, où les formations marneuses sous‑jacentes constituent une couche imperméable. D’autres sources, avec cependant de très faibles débits l’été, se trouvent dans certaines zones déprimées du glacis (Fabre 1980).

10.2 Le réseau viaire

9Le réseau routier actuel se conforme aux exigences naturelles et s’articule autour de la route départementale 981 qui, entre le Pont des Charettes et le col de la Ratade, est implantée dans l’axe de la vallée sur la rive gauche, la plus large (fig. 2). Cet itinéraire qui relie Uzès à Remoulins présente la particularité de ne traverser aucun village médiéval ; il est jalonné d’auberges d’étape dites « bégudes » et bordé par le château de Castille, qui sont attestés dès le xvi^e s. ; sur la commune d’Argilliers, le quartier du Chemin de Beaucaire qui le borde au sud le désigne comme le lien entre Uzès et la ville ainsi dénommée à partir du milieu du xi^e s. et qui fut le siège d’importantes foires à partir de 1474.

10Les autres routes départementales relient les villages à la route principale et ne savent, le plus souvent, qu’à cela : seules la D 3 va au‑delà de Collias et du Gardon vers Poulx, et la D 305 au‑delà de Saint‑Maximin vers Saint‑Siffret alors qu’un chemin de la Chapelle traverse les garrigues d’Uzès à partir de Vers. Les seules liaisons directes entre villages concernent Collias et Sagriès (chemin vicinal), Argilliers et Vers (D 3bis).

11La basse vallée de l’Alzon apparaît donc comme un couloir dans lequel la communication entre Uzès et le Rhône l’emporte sur la desserte locale. Les mêmes conditions existaient dans l’Antiquité. Il est difficile d’évaluer l’importance d’Uzès à l’époque préromaine devant un dossier archéologique bien mince (Dedet 198.3). Mais sa position, la racine prélatine du nom d’Ucetia et son rôle à l’époque romaine laissent supposer qu’il s’agissait d’un grand oppidum qui devint une ville de la cité de Nîmes ; un petit monument épigraphique du ii^e s. de n.è. découvert à Nîmes (CIL, XII, 3362) porte en effet une liste incomplète d’établissements dans laquelle Uceliae apparaît, comme Ugerni (Beaucaire), au génitif en caractères plus grands, dépassant à gauche de l’alignement des autres noms (au nominatif ou sans désinence) et précédée d’un trou rond. On a voulu assimiler cette liste à une partie des oppicla attribués, selon Pline, à Nîmes, mais elle reste de signification obscure, notamment parce que plusieurs noms ne sont pas identifiés.

12Relier Uzès au Rhône correspondait alors à deux directions possibles en fonction des villes importantes les plus proches : Avignon à l’est et Beaucaire au sud‑est. En ce qui concerne la pemière, le plan cadastral de Saint‑Siffret conserve un ancien chemin d’Uzès à Avignon qui n’emprunte pas la vallée de l’Alzon mais qui, plus au nord, traverse la garrigue orientale d’Uzès ; l’itinéraire par la vallée de l’Alzon est cependant plus commode et guère plus long. Quant à la route de Beaucaire, elle devait passer par l’oppidum de Marduel (Saint‑Bonnet‑du‑Gard) qui commandait un gué du Gardon depuis la rive droite, au carrefour des routes de Beaucaire, de Nîmes et d’Avignon (Py 1982).

13La seule étude qui concerne le réseau routier antique de la vallée de l’Alzon est ancienne (Charvet 1874 : 93‑94) et restitue la voie principale en reliant les points de découvertes archéologiques au‑delà du Pont des Charrettes : le pont de Bomègre, la « localité » d’Amès, une voie pavée à Mareilhargues (Vers). L’itinéraire reconstitué est ainsi une route de piémont, l’agent voyer qu’était Gratien Chaivet ne retenant pas comme antique la route principale actuelle.

14Il est sûr qu’une route implantée au piémont de la garrigue orientale d’Uzès est la mieux adaptée à la circulation entre Uzès et Avignon, car elle permet de rejoindre au plus court la route de Nîmes à Avignon dans le bassin de Remoulins, non loin de Fournès. Une analyse par photo‑interprétation de cet itinéraire, qui est conservé aujourd’hui sous la forme de chemins vicinaux, a été effectuée par Jacqueline Soyer, qui en a confirmé l’ancienneté. On remarque que tous les toponymes en –argues, dérivé du suffixe– anicis accolé à un anthroponyme d’époque romaine, qui ont été relevés sur les cadastres actuels du versant nord de la vallée s’articulent autour de ce cheminement, même si ce suffixe est de formation tardive (Hamlin 1983) : Carrignargues, Médessargues, Montargues, Maraiargues et plus à l’est Massillargue. Son utilisation au Moyen Age est attestée par le démantèlement du canal sur le pont de Bornègre pour transformer celui‑ci en pont routier. Cette destruction, qui s’est accompagnée de l’édification de terrasses en bordure du ruisseau, paraît remonter au xi^e s. si l’on en croit quelques tessons retrouvés dans la fouille de la terrasse qui a colmaté la dernière arche du pont (Fabre 1991). Mais auparavant, le ruisseau au lit plus large pouvait être traversé à gué. La répartition des sites antiques, et en particulier ceux de la fin de l’âge du Fer, comme on le verra, invite également à attribuer à ce cheminement une origine antique ; de même la proximité de l’aqueduc, pour l’implantation duquel il a dû jouer un rôle en facilitant les nivellements préliminaires. Était‑ce alors la route principale ? On pourrait penser à deux routes parallèles, l’une qui vient d’être décrite en direction d’Avignon, l’autre à l’emplacement de la route D 981 vers Beaucaire par le col de la Ratade, que l’aqueduc franchissait sur un pont à deux étages (pont de Font Ménestière à Vers). La découverte d’une chaussée antique contenant des fragments d’amphore italique républicaine à proximité de ce col invite cependant à faire une autre proposition. Cette chaussée a été observée en bordure de la route D 227 entre le col et le passage à niveau de la voie ferrée (fig. 2) ; elle n’est donc pas dans l’axe de la route principale actuelle mais suggère un itinéraire vers le nord‑ouest à partir du col. Son existence est un argument pour restituer un itinéraire proche du tracé actuel des routes départementales 227 et 3 bis, passant à proximité des églises de Vers et d’Argilliers et rejoignant un peu à l’ouest de celle‑ci la route de piémont.

10.3 Les traces d’arpentage

15Nous avons porté sur la fig. 3 le parcellaire de la vallée de l’Alzon, qui correspond à une orientation de 5° E. par rapport au nord Lambert (zone III), soit environ à 6° 30’ E. par rapport au nord géographique. Ce relevé a été effectué par l’un de nous (Jean Benoit) à l’occasion d’une enquête sur des photographies aériennes concernant l’Uzège et les régions limitrophes, de la vallée du Rhône à la moyenne vallée du Gardon2. Cette orientation est présente du Rhône au Gardon, dans les plaines et bassins, avec une répartition inégale qui permet de distinguer des zones denses de morphologies diverses. Ainsi, elle a été relevée par Jacqueline Soyer à 5 km au nord d’Uzès, dans l’agglomération de Saint‑Quentin‑la‑Poterie, où elle aurait partiellement recouvert un réseau orthonormé orienté vers 12° 30’ E. (par rapport au nord Lambert III) (Thiriot 1985 : 145 et fig. 29).

16L’ampleur de ce phénomène invite à y voir un cadastre romain volontairement arrêté au cours du Gardon en amont des gorges, mais l’utilisation de grilles sur les cartes et sur les relevés ne donne aucun résultat en l’absence de traces fortes et longues. Cette orientation est proche du cadastre Orange B qui occupe la vallée du Rhône à ce niveau, mais il ne semble pas qu’elle en constitue un développement.

17Dans la vallée de l’Alzon, on observe que ces traces sont indépendantes des contraintes naturelles ; elles sont d’ailleurs quasiment absentes de la partie la plus étroite de la vallée, sur le territoire de Saint‑Maximin où le parcellaire est fortement soumis aux lignes du relief mais s’appuie aussi –et c’est le seul endroit– à la route départementale 981. La présence de ce parcellaire est d’autant plus significative ailleurs, où l’on observe trois zones particulièrement denses :
– les abords immédiats de la ville d’Uzès, au sud mais aussi à l’ouest, où les traces sont particulièrement longues, plutôt nord‑sud mais ne pénètrent pas la ville elle‑même ;
– la rive gauche de l’Alzon autour d’Argilliers, où des traces courtes, préférentiellement nord‑sud, forment un groupe compact ;
– le village de Sanilhac, qui s’inscrit totalement dans ce parcellaire, ce qui est remarquable, car c’est la seule agglomération de la zone à présenter ce caractère.

18Les traces orientées à 12° 30’ E. par rapport au nord Lambert III (soit 14° environ par rapport au nord géographique) sont à rapprocher des traces d’arpentage que J. Soyer avait relevées autour de 15° dans le quart nord‑est de la carte de Nîmes, dans l’interfluve Rhône‑Gardon, autour de Théziers, c’est‑à‑dire au sud de Remoulins (Soyer 1974 : 193). Autour de Saint‑Quentin et sur le versant nord de la vallée de l’Alzon, ces éléments structurent davantage le paysage actuel que les traces autour de 5°. D’ouest en est, on les rencontre : à Carrignargues ; sur la commune de Saint‑Maximin, entre la D 981 et l’Alzon ; sur Argilliers, de part et d’autre de la route, mais elles interviennent aussi dans le calibrage du Grand Vallat et dans les limites communales ; à l’ouest de Vers, un axe important est constitué par le chemin qui relie les deux voies antiques depuis Mariargues, mais les traces sont surtout denses en piémont ; de telles traces se retrouvent sur Castillon entre Valsannière, La Gramière et le Mas de Rafin, où le chemin de la Combe de Vayer constitue, au nord du mas, un nouvel axe fort ; une autre limite majeure se rencontre à l’est sous la forme d’un tronçon du chemin de la Draille, qui sert de limite communale non loin de la RN 86. Cet axe se situe à une distance de sept centuries par rapport au chemin de Maraiargues.

19Ne pouvant, pour l’instant, proposer l’insertion de ces traces d’arpentage dans une trame cadastrale, nous n’avons pas mis en relation la morphologie agraire avec l’habitat antique. Il a cependant paru intéressant de présenter ici ces premiers résultats car, si les cadastres centuriés sont désormais bien connus et caractérisés dans les grandes plaines, dans les bassins et les vallées du Midi de la France, les formes spécifiques d’arpentage antique restent mal connues.

10.4 La prospection

20Durant les mois de février à mai 1987 une campagne de prospection a été conduite par l’un de nous (Gazenbeek 1987) dans la basse vallée de l’Alzon de part et d’autre de l’aqueduc romain de Nîmes. La partie essentielle de cette prospection à vue a porté sur le piémont des garrigues d’Uzès. Dans un deuxième temps, plusieurs zones ont été prospectées entre le piémont et les lits mineurs de l’Alzon et du Gardon, pour mieux saisir la répartition des sites antiques sur tout le versant nord de la vallée (fig. 3). Une partie des territoires de six communes a été ainsi reconnue : Argilliers, Castillon‑du‑Gard, Collias, Saint‑Maximin, Uzès et Vers‑Pont‑du‑Gard.

21Les résultats de cette campagne sont inhérents à la polyculture à dominante viticole pratiquée dans le secteur en ce qui concerne la visibilité au sol et la conservation des sites. Ils permettent de comptabiliser 48 gisements alors que 8 seulement étaient signalés par des publications. En revanche, on n’a pu localiser le four de potier romain mis au jour en 1893 dans le quartier de Carrignargues (Louis 1941 : 115‑69). D’ailleurs, les limites de la prospection au sol, qu’il convient de souligner une fois de plus, sont illustrées par le bâtiment fait de six pièces en enfilade (fig. 4) que la prospection aérienne a mis en évidence à 200 m au sud‑ouest de la chapelle Saint‑Pierre à Vers (quartier des Coudouillères) ; aucun indice n’a pu être retrouvé au sol à l’exception de quelques moellons mortayés.

22Les ramassages ont permis d’abord de caractériser des matériaux de construction. Le plus courant est, bien sûr, la tuile plate à rebord qui présente la particularité, dans ce secteur, d’être souvent peignée et faite dans une pâte sableuse ; ce type de tuiles se rencontre sur des sites déjà occupés au i^er s. av. n.è. Deux sites (n^os 20 et 27), qui ont également une origine ancienne, ont livré des fragments de torchis. Les matériaux qui peuvent indiquer des aménagements soignés sont particulièrement rares ; en dehors de Mas‑Darnés à Argilliers (n^o 27), qui a livré des éléments de placage et de décor architectural, il n’y a guère que le site n^o 17 (Béringuières I) à avoir fourni des tubuli qui peuvent indiquer la présence de thermes.

23Les objets sont très rares et peu significatifs : un peson (n^o 44), un fragment de lampe à canal (n^o 5). Il est donc difficile de caractériser ainsi les points d’occupation, et seule la présence de scories confère au site n° 35 une destination artisanale. Les fragments de meules en basalte sont cependant fréquents ; associés aux tuiles peignées et au dolium, ils permettent de voir dans de petits sites des bâtiments d’exploitation agricole ou de stockage.

24Les céramiques sont, comme d’habitude, les documents les plus nombreux et les plus utiles pour définir la chronologie. Nous ne détaillerons pas ici les questions relatives à la datation, à la continuité d’occupation et à la périodisation des sites prospectés ; cela a été fait ailleurs (Amblard 1985 : 141‑144). Toutefois il est bon de donner une image globale des catégories rencontrées. Ainsi pour les ii^e et i^er s. av. n.è. :
– l’amphore massaliète, antérieure au milieu du II^e s., peut marquer aussi une occupation du 1^er âge du Fer ;
– l’amphore italique Dressel 1 est fréquente mais, en l’absence presque totale de formes3, ne peut pas cerner avec précision l’apparition des sites au cours de cette période ;
– la céramique non tournée, lorsqu’elle est abondante et livre des formes de jattes et d’urnes, signale des sites antérieurs au milieu du i^er s. ;
– la campanienne A est rare (n^os 10, 27, 30) et souvent tardive.

25Pour la période impériale, ce sont les céramiques communes à pâte sableuse qui dominent en raison de leur production pratiquement locale. Seul le site de Martian (n^o 38) se distingue par la prédominance des céramiques à pâte calcaire (communes et amphores). Dans le matériel amphorique, les Gauloise 1, dont on connaît des ateliers à proximité et pour lesquelles le site n^o 13 a livré une estampille (ASDF...), sont en abondance alors que les Gauloise 4 restent anormalement rares comme sur plusieurs sites fouillés de la région nîmoise. Ce sont, bien sûr, les céramiques fines, et les sigillées notamment, qui, malgré leur relative rareté, sont les meilleurs indicateurs pour la chronologie. Cette rareté s’accentue dans l’Antiquité tardive pour la claire D et les céramiques estampées. Mais une meilleure connaissance des amphores (Almagro 51, africaines, parfois orientales) et des céramiques communes (céramiques à pisolithes en particulier) permet tout de même de cerner les occupations de cette époque.

26Pour le haut Moyen Âge également, ce sont les progrès récents de la céramologie dans le Midi de la France qui permettent de reconnaître des formes spécifiques en céramique grise kaolinitique.

10.5 La dynamique du peuplement

27Le classement chronologique des 43 sites datables, permutés jusqu’à l’obtention d’une image signifiante, qui comporte les grandes périodes d’occupation entre le 2^e âge du Fer et le haut Moyen Âge (fig. 5), montre le poids relatif des habitats de chaque période et les rapports entre les phases successives. On est d’abord frappé par la forte densité d’occupation au Haut‑Empire (32 sites sur 43), régulièrement préparée depuis l’âge du Fer (3 sites seulement au ii^e s. av. n.è.), aux époques républicaine et augustéenne (19 sites) ; ce processus est d’autant mieux marqué qu’il ne s’accompagne que de six abandons.

28L’Antiquité tardive apparaît comme une période de concentration de l’habitat : 17 sites occupés durant tout ou partie de la période ; moins de la moitié des sites du Haut‑Empire subsiste, et il n’y a pratiquement pas de nouveaux établissements : deux seulement, et pour l’un encore (n^o 36) l’attribution au seul iii^e s. est établie à partir d’une notice relativement ancienne (Gallia, 17, 1959, 475).

29La raréfaction de l’occupation –même s’il faut la nuancer en raison du manque de fossiles directeurs pour cette période–, est accentuée au haut Moyen Âge, pour lequel on ne connaît que cinq sites ; deux d’entre eux, qui seront occupés jusqu’à l’époque moderne, le sont pour l’un depuis le Haut‑Empire, depuis l’époque républicaine pour l’autre. Cependant, trois de ces sites, qui sont nouveaux, fournissent un indice de renouvellement dans les implantations.

30Un tableau tout à fait comparable a été établi pour une région voisine, le Lunellois (Amblard 1985). Certes, il laisse paraître des différences sensibles avec celui‑ci ; en particulier, le poids des sites du Haut‑Empire y est moindre (48,6 % des sites reconnus pour 74,4 % ici) et celui des sites du haut Moyen Âge nettement plus fort (26,3 % pour 11.6 %), la place de l’Antiquité tardive étant à peu près la même (39,5 % pour 38,1 %). Mais l’évolution générale est semblable, même si, en Lunellois, la concentration de l’Antiquité tardive s’accompagne de créations plus nombreuses et si le renouveau du haut Moyen Âge est mieux attesté en raison d’un effectif plus fourni.

31Pour permettre une comparaison précise avec un autre secteur de la région nîmoise, la Vannage (Parodi 1987 : 6‑9), nous avons distingué cinq périodes :
1 : ii^e‑ milieu i^er s. av. n.è.
2 : milieu i^er s. av. – fin ii^e s. de n.è.
3 : iii^e – iv^e s.
4 : v^e – vi^e s.
5 : vii^e – ix^e s.

32et réalisé un tableau chronologique (tabl. I) qui comporte :
A. le nombre de sites de chaque période et leur pourcentage par rapport au total général ;
B. le nombre de sites créés au début ou au cours de la période et leur pourcentage par rapport au total de la période ;
C. le nombre de sites abandonnés au cours ou à la fin de la période et leur pourcentage par rapport au total de la période ;
D. le nombre et le pourcentage de sites stables.

33La comparaison des pourcentages entre ce tableau et celui de la Vaunage n’est pas très significative en raison de la faiblesse des effectifs. Mais les grandes tendances sont les mêmes, et certaines différences sont remarquables. L’évolution de la densité d’occupation suit la même courbe ; les sites de la période 1 sont ici plus nombreux qu’en Vaunage mais ne correspondent pas à des oppida importants ; ceux de la période 2 sont proportionnellement plus nombreux ; les chiffres les plus proches concernent l’Antiquité tardive ; en revanche, le haut Moyen Âge ne s’accompagne pas ici de la même reconstitution du réseau d’habitat.

34On constate la même densification de l’occupation à la fin de la République et au Haut‑Empire ; ici, elle se prépare déjà dans la période 1. Comme en Vaunage, la fin de la période 2 se traduit par un fort taux d’abandon qui touche les petits sites. La tendance à la concentration dans l’Antiquité tardive est accentuée ici par l’absence quasi totale de nouveaux habitats (31 et 10 % en Vaunage pour les périodes 3 et 4), et l’on retrouve un solde très positif pour le haut Moyen Âge.

35On trouvera plus loin le même type de tableau, établi pour le territoire de Lunel‑Viel (cf. infra, 11.3.2.1) ; il inspire les mêmes remarques si l’on tient compte d’un décalage dans les périodes, puisque la période 2 de Lunel‑Viel correspond à la période 1 ici. Les différences essentielles avec le Lunellois tiennent au fait que l’occupation protohistorique et républicaine est ici plus marquée (d’où le décalage des périodes).

36Ce tableau permet de mesurer la stabilité de l’habitat. Comme en Vaunage, le Haut‑Empire voit la création d’habitats nombreux, mais peu durables dans plus de la moitié des cas. Dans l’Antiquité tardive, on observe une inversion des taux de stabilité entre les périodes 3 et 4 par rapport à la Vaunage. Le haut Moyen Âge, qui est, en Vaunage, la période la plus stable, offre ici une image plus nuancée.

10.6 La répartition de l’habitat à l’âge du Fer et à l’époque républicaine

37Il serait illusoire d’avancer que la prospection livre, en l’état actuel, une image fidèle et exhaustive de la répartition de l’habitat par périodes ; on est tout de même frappé par l’existence d’implantations préférentielles et de différences de densité variant suivant les époques. Les sites néolithiques et chalcolithiques, qui ont ici fait l’objet d’une première synthèse microrégionale (Gutherz 1987), sont implantés, plutôt qu’en garrigue, sur les pentes des glacis de piémont et sur les glacis‑terrasses bordant les cours d’eau, mais sont relativement bien répartis dans toute la basse vallée. Or, la situation n’est pas du tout la même pour les périodes plus récentes.

38Au 1^er âge du Fer la population du versant nord de la vallée se concentre sur le petit oppidum de Béringuières daté du v^e s. av. n.è. (Gallia, 1978, 458) et son versant sud. Ce sont des sites qui livrent, outre de la céramique non tournée, du matériel amphorique étrusque et massaliète. Valagrand (fig. 6, n^o 34), qui a fourni de l’amphore massaliète et un fragment de céramique grise monochrome, atteste l’existence à cette époque d’habitats isolés sur le glacis.

39Au 2^e âge du Fer (fig. 6) appartiennent d’abord cinq sites qui sont abandonnés avant le changement d’ère. Ils sont localisés dans la partie médiane de la vallée, et quatre d’entre eux ont une situation de piémont entre 85 et 95 m. Deux de ces établissements peuvent d’ailleurs être en relation avec une enceinte qui les domine.

40– La Tuilerie et Bornègre I (fig. 6, n^o 20), aux constructions en torchis et en tuile peignée où abondent dolium et amphore italique, se trouve au‑dessous du petit oppidum de Béringuières qui occupe une hauteur du massif des garrigues d’Uzès (altitude 149 m) et domine le vallon de Bomègre, à 5 km à l’est d’Uzès, soit à la limite du territoire de parcours fréquent de cet oppidum. Cette colline, isolée du massif principal au nord et à l’est par des abrupts au‑dessus des combes de Picovert et de Bornègre, est accessible à l’ouest par une selle (fig. 7). Le site a beaucoup souffert de l’implantation d’un pylône de haute tension EDF et de pare‑feu. A plusieurs endroits, les premières assises d’un rempart en pierres sèches cernant le sommet sont visibles ; à l’intérieur, on a recueilli de la céramique non tournée du 2^e âge du Fer.

41– Montargues (fig. 6, n^o 30), qui présente trois concentrations de matériel homogène des ii^e–i^er s. (fig. 8), peut correspondre au groupement de plusieurs habitations au pied de la petite enceinte du Castellas (Féraud 1909), qui n’a livré cependant aucun matériel à l’intérieur d’un mur à double parement semi‑circulaire en appui sur à pic.

42Les deux autres sites (fig. 6) qui se trouvent entre les deux premiers sont au contact du massif urgonien (n^os 25, 26). Le dernier (n^o 31) est implanté sur le glacis (67 m) dans des vignes, au‑dessus d’un abrupt créé par une ancienne carrière d’argile. Comme le n^o 25, il n’a pas livré de tuiles peignées, ce qui peut indiquer un abandon plus précoce.

43On a distingué (fig. 7) une autre série de sites dont l’implantation est vraisemblablement antérieure au milieu du i^er s. av. n.è. en raison surtout de l’abondance de la céramique non tournée et qui sont occupés au‑delà du changement d’ère. Il s’agit de nouveaux sites de piémont dont deux se trouvent encore aux abords de l’oppidum de Béringuières (n^os 18, 21) et d’un autre plus à l’ouest (n^o 12). Encore plus à l’ouest, Carrignargues II (n^o 2), près du bord oriental du petit plateau de molasse, se trouve à une altitude comparable et dans une même situation par rapport à la garrigue. Une autre ligne de sites se développe au‑dessous de la précédente entre 65 et 75 m ; c’est dans cette bande que sera construit l’aqueduc, et deux de ces implantations se trouveront à proximité immédiate de celui‑ci (n^os 2, 9). Deux de ces sites (n^os 2, 5) resteront modestes ; deux autres (n^os 9, 27) deviendront très importants à la période suivante.

44L’habitat se développe ainsi de part et d’autre de la voie qui conduit à Uzès, mais il semble disparaître à 8 km de la ville comme si l’occupation des sols était alors fortement liée à la proximité d’un grand centre.

45Une troisième série de sites (fig. 6) ne semble se développer que dans la seconde moitié du i^er s., voire à l’époque augustéenne. Ils se rencontrent curieusement aux marges de l’ensemble précédent ; à l’ouest, ce sont de nouveaux sites modestes (n^os 3, 5) et un habitat promis à une occupation très longue, le Mas de Saint‑Eugène implanté non loin de l’Alzon (n^o 6). A l’est, deux points apparaissent en bordure des routes dans la zone jusque‑là inoccupée (n^os 34, 47) ; ils connaîtront des destinées différentes.

10.7 La répartition de l’habitat sous l’Empire

46Le mouvement amorcé pendant le i^er s. av. n.è. se poursuit par une large dispersion de l’habitat durant les premières décennies du Haut‑Empire (fig. 9). Mais le phénomène n’est pas uniforme : la plus grande densité de nouveaux sites apparaît dans la partie ouest de la vallée sur les territoires d’Uzès et de Saint‑Maximin ; à l’est du ruisseau de Bornègre, sur les territoires d’Argilliers et de Vers, on constate, en revanche, une concentration : quatre sites sur six disparaissent, notamment tous les sites au contact de la garrigue, et les nouvelles fondations ne contrebalancent pas ces abandons. A la suite de ces mutations les gisements restants sont isolés, monopolisant les terres qui les entourent. On ne retrouve une occupation dense qu’au‑delà du plateau de Vers, dans le bassin de Castillon‑du‑Gard. Voilà certainement l’un des aspects les plus frappants de la répartition des habitats dans la vallée au Haut‑Empire : cette division nette du versant nord entre une zone à l’ouest du ruisseau de Bornègre, plus proche de l’agglomération d’Ucetia, avec un habitat dense (10 sites/km² env.), et une zone à l’est occupée d’une manière extensive (2,5 sites/km² env.). Cette dernière densité est d’ailleurs sensiblement la même que la plus forte qui ait été mesurée en Beaucairois au contact du coteau et de la plaine (Bessac 1987 : 104) et interprétée comme un réseau relativement serré de villae d’importance inégale avec des domaines de 50 ha environ (Bessac 1987 : 110).

47De cette répartition inégale au Haut‑Empire il ressort que c’est la partie médiane de la vallée, à l’est de Bornègre, qui est la moins affectée par les abandons du début de l’Antiquité tardive (fig. 10). A cette époque, ce sont plutôt les gisements moyens et étendus qui ont résisté. Seul le petit site de Valsannière (n^o 46) fait exception, mais il s’agit probablement d’un bâtiment de stockage agricole lié à La Gramière (n^o 48), comme l’indique le matériel retrouvé (amphores, tuiles, dolium et commune). Ces sites partagent plusieurs caractéristiques : ils sont proches de l’aqueduc, comme on le verra plus loin, mais aussi du cheminement de piémont ; ils présentent, en outre, des aménagements architecturaux soignés.

48Avec Béringuières I et II (n^os 17 et 18), Le Village (n^o 28) et La Gramière (n^o 48), plus de la moitié des sites articulés autour de la route du piémont durant le Haut‑Empire ont perduré, notamment les deux sites qui avaient connu un certain luxe dans leur aménagement (n^os 17 et 48) ; de plus, les trois sites fondés durant le Haut‑Empire et encore occupés au v^e s. se situent le long de son tracé (n^os 17, 28 et 48).

49Ainsi se dessine une ligne de sept sites occupés durant toute la période ; elle forme l’ossature du réseau d’habitat, et c’est à partir d’elle qu’on se propose de présenter celui‑ci par zone, d’ouest en est.

10.7.1 Territoires d’Uzès et de Saint‑Maximin

10.7.1.1 Mas de Saint‑Eugène

50Le site le plus important de la partie occidentale de la vallée (fig. 10, n^o 6) se caractérise surtout par une occupation longue, de l’Antiquité à nos jours. Des bâtiments, qui renferment une chapelle romane ruinée, s’organisent autour d’une cour, à proximité de l’Alzon, au bord de laquelle s’élève un ancien moulin. Il s’agit du prieuré médiéval de Saint‑Augen (altération dialectale de Eugenius) mentionné en 1156 (villam Sancti Eugenii) sur un diplôme du roi Louis VII. Saint‑Eugène était alors uni à la sacristie du chapitre et à la collation de l’évêque d’Uzès (Germer‑Durand 1868). Un monument épigraphique mentionnant Sancti Augendi daterait du x^e ou du xi^e s. (Sallustien 1897) ; des tessons de céramique grise kaolinitique confirment d’ailleurs l’occupation à cette période.

51Dans la maçonnerie des murs et dans le chemin qui longe les bâtiments, de nombreux fragments de dolium et de tuiles plates attestent l’origine romaine de l’habitat. Un ramassage partiel sur la partie accessible du site a livré notamment : un fragment de meule en basalte, de l’amphore républicaine, de l’amphore G. 1 et Dr. 7‑11, de nombreux tessons de sigillée gauloise et de claire B‑luisante, ainsi que de la céramique grise du haut Moyen Âge.

52Dans ce secteur, on n’observe pas d’abandon à la fin de l’époque républicaine, et le réseau d’habitats apparaît précocement structuré. On ne rencontre en effet (fig. 9) que deux sites nouveaux : Carrignargues I (n^o 1), qui a livré de modestes vestiges sur le petit plateau molassique, et Le Colombier (n^o 8), au nord du talus qui marque le passage de l’aqueduc et qui correspond sans doute à un bâtiment agricole, caractérisé par des tuiles sableuses, du dolium et des fragments de meules. Les six petits sites qui sont implantés au nord du Mas de Saint‑Eugène ne survivent guère au‑delà du Haut‑Empire : deux seulement sont encore occupés au iii^e s. (n^os 2 et 5).

10.7.1.2 Castagnier I

53Le site de Castagnier 1 (fig. 11, n^o 9) comprend en fait trois zones de matériel réparties de part et d’autre du ruisseau de la Carrière Croze et s’étend à la limite de trois quartiers : Castagnier, Le Puits Vieux et Coudières. Les deux zones les plus riches se situent, à l’est, sur une légère éminence qui sépare le ruisseau d’une dépression humide orientée nord‑sud. En outre, l’aqueduc de Nîmes passe entre la zone sud et les deux autres.

54La durée d’occupation varie selon les zones : à l’ouest du ruisseau, le matériel recueilli date presque exclusivement du Haut‑Empire, au sud l’occupation se prolonge jusqu’à l’Antiquité tardive, et sur la zone principale enfin, Le Castagnier proprement dit, on rencontre le matériel le plus ancien, amphores républicaines et céramiques campaniennes mais aussi céramique kaolinitique du haut Moyen Âge. Dans le talus de cette dernière parcelle, plusieurs massifs de maçonnerie sont visibles, notamment un bassin dont les parois intérieures sont enduites d’opus signinum et, plus au sud, un conduit maçonné avec un béton d’étanchéité. Le matériel du comblement de ces ensembles date du v^e s. ; il s’agit très probablement des thermes d’une villa.

55Autour de ce site (fig. 11) déjà implanté à l’époque républicaine, la densification de l’habitat est plus importante qu’au nord de Saint‑Eugène. Deux sites seulement (n^os 12, 15) étaient déjà occupés avant notre ère ; six le sont au Haut‑Empire comme dans le secteur précédent ; ce sont des bâtiments agricoles (n^os 10, 11, 13, 23) dont le premier est implanté à une dizaine de mètres de l’aqueduc et dont les deux derniers sont encore occupés au iii^e s. L’Antiquité tardive voit d’abord l’abandon des sites les plus hauts, puis des plus proches de Castagnier I, de sorte qu’il ne subsiste jusqu’au v^e s. que Les Cantarelles (n^o 15).

10.7.1.3 Béringuières I

56Ce site (fig. 10, n^o 17), implanté à quelques mètres au nord de l’aqueduc et à proximité de la route antique, n’a apparemment pas une superficie remarquable. Le matériel y est concentré sur quelques dizaines de mètres carrés, mais il traduit une occupation du Haut‑Empire et surtout de l’Antiquité tardive ; la présence de clous et de tubuli laisse supposer la présence d’une villa. Dans ce secteur proche de l’oppidum de Béringuières, le piémont est encore occupé au Haut‑Empire par les sites (fig. 7, n^os 18, 21), dont le premier se maintient dans l’Antiquité tardive. Leur importance est sensiblement la même que celle du n^o 17. Le site n^o 22, qui correspond à un bâtiment agricole (tuile peignée, dolium, meule) mal daté, complète éventuellement l’ensemble.

10.7.2 Territoires d’Argilliers et de Vers

10.7.2.1 Mas‑Darnés

57Mas‑Darnés (fig. 10, n^o 27 ; fig. 12) est le plus important site gallo‑romain de la basse vallée de l’Alzon : plus de 1 200 tessons ont été recueillis lors d’un ramassage sélectif sur une superficie d’environ un hectare. Les vestiges antiques de Mas‑Darnés, localisés à 100 m environ au sud de l’aqueduc, ont été signalés dès le siècle dernier à l’occasion de la découverte d’un autel dédié à la foudre (CIL, XII, 2970) ou de nombreuses trouvailles diverses : marbres, tuyaux de plomb, frises décorées, monnaies, un autel anépigraphique, un cadran solaire (Louis 1941 : 164‑165, n^o 188) et des céramiques (Gallia, 1962, 628). Une tuile qui aurait été trouvée sur le site (CIL, XII, 5678, 7) porte une marque au nom de Flavius Aper datée de 157 par la mention de l’année consulaire. Toutefois la plus grande prudence est de rigueur quant à l’origine de cette tuile et par voie de conséquence au lien unissant le consul Flavius Aper à la cité de Nîmes (Burnand 1975 : 692).

58Deux grands tas d’épierrement amassés de part et d’autre du site recèlent moellons, tuiles et grands blocs taillés sortis du champ. C’est entre les deux monticules que l’on rencontre les fragments de marbre, enduit peint, tubuli et torchis, tandis que la céramique et les tuiles sont réparties également sur tout le terrain. Plus au sud, un groupement de tuiles et de fragments d’amphore Dressel 1 semble indiquer un petit bâtiment de stockage. Une bande se détachant de l’ensemble vers l’ouest est caractérisée par une céramique homogène du Haut‑Empire et est probablement la trace d’une nécropole ; au sud‑ouest une incinération bouleversée par les labours a d’ailleurs livré un mobilier –céramique et verrerie– de la fin du i^er ou du début du ii^e s. (Goury 1986).

59Les céramiques recueillies indiquent une occupation longue, du I^er s. av. jusqu’au V^e s. de n.è. Le nombre de fragments d’amphore Dressel 1 (A et B) montre l’important développement pris par le site dès ses débuts.

10.7.2.2 Le Village

60Les maisons les plus septentrionales de l’ancien hameau de Boissct à Argilliers comportent de nombreux réemplois de dolium et de tuiles plates (fig. 10, n^o 28). Ces éléments proviennent de vergers et de vignes situés au nord et signalent un habitat du i^er au v^e s. qui se prolonge au haut Moyen Age puisqu’on y rencontre surtout de la céramique grise kaolinitique de cette époque. Cet habitat est le seul, avec Saint‑Eugène, à traduire une permanence de l’Antiquité à nos jours.

10.7.2.3 Valagrand

61Ce site (fig. 10, n^o 34), occupé au Chalcolithique, au 1^er âge du Fer et dès la fin de la République, avait déjà été reconnu par F. Mazauric en 1909 : « station néolithique, gauloise et romaine ; traces de mosaïque, constructions et canaux en terre cuite »4. Il a fait l’objet de prospections par Michel Chauvet à la suite d’un défoncement en 1983, et des structures ont été partiellement mises au jour à l’occasion de l’élargissement d’un carrefour sur la route D 3bis (Fiches 1985).

62On a conservé l’extrémité ouest d’un bâtiment qui correspond aux salles chaude et tiède de thermes qui s’ouvraient sans doute sur une cour fermée au nord par un mur repéré 18 m plus loin (fig. 13). Il est probable cependant que cet état thermal n’est qu’une réutilisation de locaux primitivement voués à des fonctions agricoles ; deux bassins comblés et colmatés à la base des hypocaustes peuvent en effet se rapporter à un état viticole dont témoigne aussi une jumelle de pressoir récupérée dans les déblais des engins mécaniques et déposée au Mas des Chèvres. Aucune stratigraphie n’étaie ces observations architecturales, mais le mobilier recueilli sur le chantier couvre le Haut‑Empire et l’Antiquité tardive jusqu’au vi^e s. (sigillée claire D et bord en amande d’amphore africaine).

10.7.2.4 Quatre autres sites du Haut‑Empire

63Deux sites moyens (fig. 9) pouvant correspondre à de petites villae sont implantés sur des pentes : Maraiargues (n^o 33), qui a livré un mobilier assez abondant mais abîmé5, est à proximité du piémont et de la route antique ; sur le flanc de la butte de marnes et de grès de La Coste, Les Eous II (n^o 41) reste occupé jusqu’au iii^e s. au moins (luisante et amphore africaine). Deux autres sites, plus petits (fig. 9), présentent les caractères de bâtiments agricoles : Argilliers^oII (n^o 32) et La Barque Vieille (n^o 37).

10.7.3 Bassin de Castillon

10.7.3.1 La Gramière

64Au sud de la route antique (chemin d’Uzès au mas de Raffin), P. Olive avait dégagé en 1980 sur 50 m² un ensemble de quatre pièces, dont deux avaient conservé des pilettes d’hypocaustes en pierre (fig. 14) provenant sans doute de carrières situées à 400 m. Ces thermes s’inscrivent dans une zone de 1 ha environ, répartie de part et d’autre de la route jusqu’au carrefour du chemin de Valcroze et livrant des documents du i^er au v^e s., quelques monnaies du iv^e s. notamment6.

65Au nord de la route, on peut voir, sur 10 m environ, un mur couvert d’enduit au mortier. Ces structures avaient déjà été vues par F. Mazauric qui signale le 27 juillet 1910 : « A quelque distance de l’église Saint‑Caprais, vers le nord, presqu’au pied de la colline néocomienne : pans de murs et petits bassins qui paraissent représenter les restes d’anciens fours romains à tegulae Ces vestiges ont été par erreur localisés non loin de l’église Saint‑Christophe implantée plus à l’est (Louis 1941 : 159, n^o 177). En 1925, cinq sépultures en pierre ont été découvertes au chemin de Valcroze. Une tombe en bâtière de tegulae, découverte en 1935 au même endroit, serait du type III dans la typologie de Sylvain Gagnière et datable des v^e vii^e s. (Gagnière 1965 : 70, fig. 19). Une inhumation de même type, visible dans le talus du chemin non loin du carrefour, permet d’ailleurs de localiser cette nécropole.

66Au sud de cette villa, le site du Jonquier (fig. 9, n^o 47) déjà occupé à la fin de la République, se trouve à proximité immédiate de la chapelle rurale de Saint‑Caprès ; à l’ouest, un bâtiment agricole (46) est occupé au Haut‑Empire et au v^e s. Plus près de la garrigue, sont implantés deux sites du Haut‑Empire, un petit bâtiment (30 m²) au Puits de la Valsannière (fig. 9, n^o 45) et un établissement à La Combe de Valsannière.

10.8 L’aqueduc et l’occupation des sols

67On a noté que l’aqueduc avait été implanté à quelques dizaines de mètres seulement de sites déjà existants (fig. 9, n^os 7, 9, 15, 34) et qui n’ont pas été abandonnés du fait de sa construction. Certains d’entre eux, comme Castagnier et Valagrand, ont même connu une certaine importance durant toute l’Antiquité. Il ne semble donc pas que les servitudes liées à l’aqueduc aient gêné l’occupation rurale. En témoignent en particulier les implantations nouvelles au Haut‑Empire : les bâtiments agricoles 8 et 10 (fig. 9) et la petite villa de Béringuières I (fig. 10, n^o 17) situés à 10 m ou moins de la canalisation.

68D’autres gisements implantés sur le tracé même de l’aqueduc se distinguent des habitats précédents (fig. 9) soit par l’absence de céramiques fines et de meules, soit par des indices d’activités artisanales. Il peut s’agir de campements ou de chantiers liés à la construction de l’ouvrage.

69– Sur le glacis, Carrignargues IV (n^o 4) est un site du Haut‑Empire difficile à dater précisément, car il n’a livré que des tuiles à pâte calcaire, du dolium, des amphores fuselées et des céramiques sableuses ; Castille I (n^o 24) n’a fourni que quelques tuiles à pâte calcaire et une anse d’amphore Pascual 1.

70– Sur le petit plateau molassique de Vers, Le Clos des Touillers (n^o 35) a livré des tuiles plates, des briques réfractaires, de la molasse rubéfiée mais surtout de nombreuses scories.

71– Au pied du plateau de Vers, Martian (n^o 38) se singularise par sa grande quantité de céramique à pâte calcaire alors que les sites de la région livrent surtout de la céramique sableuse dont les centres de fabrication sont certainement très proches. A part les amphores à pâte calcaire et la sigillée, on y rencontre des fragments de rebuts de cuisson de tuiles (calcaires) et de briques réfractaires qui indiquent probablement une tuilerie du Haut‑Empire.

72Parmi les habitats encore occupés durant l’Antiquité tardive (fig. 10), Castagnier I (n^o 9) est traversé par la canalisation, Les Cantarelles (n^o 15), Béringuières I (n^o 17) et Valagrand (n^o 34) sont à quelques dizaines de mètres, Mas‑Darnés (n^o 27) à 100 m environ. Ces sites, comme On l’a vu, sont également proches de la route principale, et l’on ne peut assurer que c’est particulièrement l’aqueduc qui a joué un rôle dans leur maintien. Il est sûr cependant que la présence d’eau dans une région où les sources pérennes sont rares, ainsi que les réseaux phréatiques à faible profondeur, pouvait présenter un avantage important. Des prises d’eau ne sont d’ailleurs pas invraisemblables dans l’Antiquité tardive, puisqu’elles sont attestées sur le plateau de Vers, où elles ont formé de volumineuses concrétions contre les arcades (Fabre 1991). Ces captages au profit de villae ont pu ainsi favoriser l’installation de thermes : à Valagrand, les hypocaustes appartiennent au dernier état d’un bâtiment voué d’abord à des activités viticoles ; un bassin comblé avec un matériel du v^e s. a été repéré à Castagnier I ; des tubuli ont été découverts à Béringuières 1 et des tuyaux de plomb à Mas‑Darnés.

73L’aqueduc a donc été construit dans un secteur de la basse vallée de l’Alzon, particulièrement favorable à l’implantation de l’habitat rural : sur la pente du glacis limoneux et à proximité de la route principale à partir de laquelle il fut commode de procéder aux nivellements nécessaires à son installation. Il ne semble pas avoir gêné la dissémination de cet habitat au Haut‑Empire ; il a pu, au contraire, jouer un rôle attractif dans l’Antiquité tardive alors que l’administration nîmoise ne contrôlait plus son entretien ; ainsi, son eau, utilisée sans doute pour l’irrigation sur le plateau de Vers, a peut‑être répondu aux besoins de certaines villae.