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Les campagnes de la France méditerranéenne dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge

 | 
François Favory
, 
Jean-Luc Fiches

9 La prospection aérienne des cadastres antiques

9 Aerial prospection of land‑registers

Louis Monguilan

Résumé

Cet article exploite des recherches aériennes conduites sur la Provence et la vallée du Rhône et touchant à la morphologie agraire. Plusieurs repérages concernent les zones du cadastre B d’Orange, dont quelques axes et éléments parcellaires sont identifiés avec précision par rapport à la grille de référence. D’autres révèlent un énigmatique réseau cadastral dans la plaine de Cléon d’Andran, qui paraît antique, mais dont on ne peut, pour l’instant, préciser l’attribution. Enfin, certains clichés montrent des chemins et des parcellaires associés à des villae, ainsi que des plantations fossiles.

Texte intégral

1Cet article se propose d’exploiter les résultats obtenus depuis plusieurs années lors de prospections aériennes dans la moyenne et la basse vallée du Rhône. L’attention a très vite été attirée par les vestiges de cadastres réapparaissant sporadiquement ici ou là, notamment sur le territoire concerné par l’immense cadastre B d’Orange. Aujourd’hui ces découvertes prennent place dans le faisceau d’informations qui concourent à faire connaître l’histoire et l’archéologie agraires de ces régions, et, pour certaines d’entre elles, posent de nouveaux et intéressants problèmes.

9.1 Les vestiges du cadastre B d’Orange

2Un premier ensemble de découvertes concerne le Plateau de Bondonneau, situé entre Montélimar et Allan (d’après la feuille IGN Montélimar 5‑6 au 1/25000), où ont été photographiées de nombreuses traces de limites agraires qui semblent liées au cadastre B d’Orange (fig. 1). La richesse des informations tient au fait que ces observations renseignent à la fois sur le réseau proprement dit et sur sa structuration interne, jusque dans le rapport des limites agraires avec l’habitat antique. Nous proposons de conduire le commentaire dans l’ordre des clichés présentés.

FIG. 1 – Découverte en prospection aérienne, de vestiges d’axes cadastraux et d’habitats antiques.

3● Le cliché de 1986 (fig. 2), réalisé au sud du lieu‑dit Les Aubépines, sur la commune d’Allan, est orienté au sud/sud‑ouest. Il montre avec une évidence remarquable un croisement d’axes et diverses autres limites agraires fossiles, en totale discordance avec le parcellaire et la voirie contemporains, et en superposition avec une « marqueterie » de traces alvéolées qui indiquent un sol profondément cryoturbé. Au premier plan, de gauche à droite, on suit la trace de ce qui pourrait être le 36e decumanus dextra decumanum, c’est‑à‑dire le 36e axe au nord du decumanus maximus, et du premier plan à l’arrière‑plan du cliché, celle de ce qui pourrait être le 4e kardo citra kardinem, c’est‑à‑dire le 4e axe situé à l’est du kardo maximus. Ces deux axes se croisent à angle droit, et leur trace indique qu’ils sont constitués d’une voie délimitée de chaque côté par un fossé. L’intérêt principal est ici de donner l’image d’un carrefour de limites antiques, et de conforter la restitution du carroyage cadastral proposée par Gérard Chouquer, puisque les traces photographiées correspondent très exactement à cette projection cartographique, réalisée indépendamment. Le cliché montre aussi d’autres limites agraires, parallèles aux axes, et formant des subdivisions de la centurie. En l’absence, pour le moment, d’une restitution verticale précise, il est impossible de dire à quelles mesures antiques ces limites correspondent. Mais elles donnent néanmoins l’image d’un découpage poussé du sol, montrant l’existence d’unités parcellaires rectangulaires qu’on peut sans doute imaginer elles‑mêmes subdivisées en lanières. Enfin, au titre des permanences agraires, dans une région apparemment totalement bouleversée par rapport à l’orientation antique, on notera comment la maison entourée d’un bosquet est alignée et orientée par une limite antique, au point d’être elle‑même en totale discordance avec le parcellaire contemporain qui l’environne. Sans la découverte aérienne, on ne l’aurait jamais remarqué. Il est ainsi certain que nous avons souvent sous les yeux, en observant des paysages, de multiples indicateurs que nous ne pouvons pas exploiter, faute d’une grille de mise en cohérence. Le fait que cette maison soit installée sur un habitat antique explique la pérennité de l’orientation. Il est d’ailleurs probable qu’elle en a utilisé une partie des fondations.

FIG. 2 – Allan (Drôme) : croisement qui pourrait être celui du 4e kardo citra kardinem avec le 36e decumanus dextra decumanum (cliché de 1986 et interprétation).

4● Au nord du plateau de Bondonneau (fig. 3), la révélation porte sur une parcelle fossile du cadastre, de forme rectangulaire, dont la mesure reste à apprécier de façon précise, mais dont l’orientation prouve qu’elle appartient au même cadastre. Au premier plan et sur la droite du cliché, la largeur des traces des limites agraires peut évoquer de larges fossés, comparables à ceux que Thieny Odiot a découverts sur le territoire de Valence (Chouquer 1984).

FIG. 3 – Parcelle fossile conforme au cadastre.

5● Le cliché (fig. 4) a été réalisé sur la commune d’Allan, au lieu‑dit Les Bruyères, en 1984 ; il montre deux axes orientés selon le cadastre précédent, ainsi qu’un habitat qui s’y inscrit tant parallèlement qu’en perpendiculaire. Le report sur la carte topographique démontre que nous ne sommes pas en présence d’un axe principal du cadastre, mais d’axes de subdivision interne d’une centurie.

FIG. 4 – Allan (Drôme) : subdivisions internes d’une centurie et habitat romain en connexion.

6● Autres révélations sur le plateau de Bondonneau : d’autres clichés permettent de compléter la carte du réseau B dans ce secteur. Ont ainsi été répertoriés par prospection à basse altitude, les chemins qui pourraient être les 33e et 37e decumani dextra decumanum, et le 3e kardo citra kardinem. On ne peut manquer d’être frappé par l’importance de ces révélations qui témoignent de la mise en œuvre du cadastre puis de sa disparition. Avec les vestiges d’axes encore marqués dans la planimétrie actuelle par des chemins, des limites parcellaires ou des limites communales, on finit par obtenir un quadrillage assez complet du sol, prouvant un haut degré de réalisation de l’arpentage dans cette région. Quelques fragments de marbre de la forma, ont été conservés pour ce secteur. Ils indiquent qu’ici encore, loin de la colonie d’Orange, on installe des vétérans en leur assignant des terres, tandis que le reste du sol est laissé aux Tricastins.

9.2 Un cadastre fossile en Valdaine

7A l’est‑nord‑est de Montélimar, dans le bassin de la Valdaine drainé par le Roubion, ont été révélés depuis 1984, les vestiges d’une cadastration fossile dont l’interprétation se révèle malaisée. Elle est illustrée par une série de cinq clichés qui montrent une voie principale recoupée par trois voies perpendiculaires (fig. 5‑9). L’axe principal a pu être repéré sur 3 km au sud de la commune de Cléon d’Andran. C’est une voie large de plus de 6 m et bordée de fossés parallèles, qui se prolonge à l’ouest sous la forme d’une route actuelle, sur environ 2 km. On se trouve donc en présence d’un axe rectiligne, en partie fossile, en partie pérennisé, de 5 km de long, ce qui est en soi remarquable ; trois axes orthogonaux le recoupent. Le plus notable, au sud même de Cléon, détermine un carrefour souligné par de larges taches sombres sur le cliché aérien, pouvant indiquer des habitats, mais cet axe ne trouve pas de véritable prolongement dans le paysage. Plus à l’ouest, deux autres axes, à moins de 100 m l’un de l’autre, forment de nouvelles intersections. L’interprétation de cet ensemble très localisé et de signature très forte (on le repère sur plusieurs des missions aériennes verticales de l’IGN), est malaisée. Il paraît ne pas correspondre au cadastre B d’Orange (fig. 10), Serait‑on en présence d’une importante voie antique recoupée par quelques axes perpendiculaires, servant d’ossature à une cadastration rurale encore inconnue ? Il faudra attendre de nouvelles découvertes pour mieux interpréter ces vestiges.

FIG. 5 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’ouest (1989).

FIG. 6 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’ouest (1989).

FIG. 7 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’est (1984).

FIG. 8 – Cléon d’Andran : cliché orienté au nord (1984) montrant un croisement d’axes et des fosses comblées.

FIG. 9 – Cléon d’Andran cliché orienté au nord‑ouest (1988) montrant deux croisements rapprochés.

FIG. 10 – Vestiges cadastraux au sud de Cléon d’Andran découverts par prospection aérienne. Calage proposé par G. Chouquer par rapport à sa restitution du cadastre B d’Orange.

9.3 La grande villa de Marsanne

8L’ensemble des observations réalisées, toujours en Valdaine, au nord‑est de Montélimar sur la commune de Marsanne, révèle une villa ainsi que les éléments de son paysage (fig. 11‑13). On découvre d’un cliché à l’autre le plan de la villa, grand bloc rectangulaire structuré autour de deux cours principales, des chemins et fossés cadastraux fossiles dans lesquels elle s’inscrit, des installations de stockage sous la forme de 14 fosses alignées sur deux rangées à l’extérieur de l’habitat. Le report sur la carte topographique de ces éléments ne permet pas de les relier à l’une ou l’autre des orientations cadastrales connues en Valdaine. Mais il n’est pas rare d’observer qu’un grand domaine rural possède sa propre organisation cadastrale ; c’est peut‑être le cas ici.

FIG. 11 – Marsanne (Drôme) : partie nord d’une villa gallo‑romaine, découverte en 1985 au sud de Marsanne, dans son environnement. Au centre, de haut en bas, chemin antique de desserte de la villa, franchissant par un radier (en clair) un ruisseau fossile (au centre, en sombre, de gauche à droite).

FIG. 12 – La villa de Marsanne en 1985 (photographie rapprochée). Des détails apparaissent : fossés de drainage protégeant la villa de l’écoulement des eaux dans le sens de la pente du terrain (fossés au nord‑ouest), 14 points sombres alignés, probablement dolia, dans la partie exploitation en matériaux périssables, ainsi que deux fosses symétriques ; en bas à droite, on distingue la courbe du chemin antique empierré qui contourne la villa côté façade.

FIG. 13 – La villa de Marsanne, surveillée depuis sa découverte en 1985, apparaît dans son ensemble, en 1986, avec des fossés cadastraux rectilignes (drainage et limites) dans lesquels elle s’inscrit. La courbe du chemin de desserte est toujours visible (en bas à droite), par contre les 16 fosses ne le sont plus (cf. fig. 12).

9.4 Plantations fossiles

9Les trois derniers clichés (fig. 14‑16) publiés montrent de possibles plantations fossiles interprétées comme des oliveraies. L’intérêt de ces observations, qui rappellent des découvertes similaires réalisées dans d’autres régions méditérranéennes, sera total lorsqu’il sera possible de dater ces vestiges et de relier ces traces à telle ou telle organisation cadastrale. Ces découvertes donnent des précisions tout à fait nouvelles sur l’agronomie ancienne, plantations en carré ou en losange, distances, densités des plantations. Il est vraisemblable qu’on puisse, par une étude fine de leur orientation, les utiliser comme base probable de l’étude du parcellaire dans lequel ils s’inscrivaient.

FIG. 14 – Oliveraie fossile près de Lamanon (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en losange.

FIG. 15 – Oliveraie fossile près de Saint‑Rémy (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en carré.

FIG. 16 – Oliveraie fossile près de Mazet de Romanin (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en carré.

10Ces quelques exemples dessinent de nouveaux champs d’intervention de la prospection aérienne à basse altitude, puisqu’il s’agit de ne plus se contenter d’enregistrer des sites ponctuels, mais aussi des linéaments du paysage, voies, fossés cadastraux, axes de centuriations, parcellaires, le tout en liaison, chaque fois que c’est possible, avec les habitats. Les avantages traditionnels de la photographie aérienne (laquelle fournit des plans que la prospection au sol ne peut offrir) sont démultipliés par la mise en perspective des habitats avec les réseaux cadastraux, par la possibilité d’une vérification des projections de grilles, par l’évolution polymorphe de l’apparition des vestiges (dont les clichés de la villa de Marsanne offrent ici un prodigieux exemple.) qui permet une compilation des informations.

Table des illustrations

Légende FIG. 1 – Découverte en prospection aérienne, de vestiges d’axes cadastraux et d’habitats antiques.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-1.jpg
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Légende FIG. 2 – Allan (Drôme) : croisement qui pourrait être celui du 4e kardo citra kardinem avec le 36e decumanus dextra decumanum (cliché de 1986 et interprétation).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-2.jpg
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Légende FIG. 3 – Parcelle fossile conforme au cadastre.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-3.jpg
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Légende FIG. 4 – Allan (Drôme) : subdivisions internes d’une centurie et habitat romain en connexion.
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Légende FIG. 5 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’ouest (1989).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-5.jpg
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Légende FIG. 6 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’ouest (1989).
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-6.jpg
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Légende FIG. 7 – Cléon d’Andran : cliché orienté vers l’est (1984).
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Légende FIG. 8 – Cléon d’Andran : cliché orienté au nord (1984) montrant un croisement d’axes et des fosses comblées.
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Légende FIG. 9 – Cléon d’Andran cliché orienté au nord‑ouest (1988) montrant deux croisements rapprochés.
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Légende FIG. 10 – Vestiges cadastraux au sud de Cléon d’Andran découverts par prospection aérienne. Calage proposé par G. Chouquer par rapport à sa restitution du cadastre B d’Orange.
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Légende FIG. 11 – Marsanne (Drôme) : partie nord d’une villa gallo‑romaine, découverte en 1985 au sud de Marsanne, dans son environnement. Au centre, de haut en bas, chemin antique de desserte de la villa, franchissant par un radier (en clair) un ruisseau fossile (au centre, en sombre, de gauche à droite).
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Légende FIG. 12 – La villa de Marsanne en 1985 (photographie rapprochée). Des détails apparaissent : fossés de drainage protégeant la villa de l’écoulement des eaux dans le sens de la pente du terrain (fossés au nord‑ouest), 14 points sombres alignés, probablement dolia, dans la partie exploitation en matériaux périssables, ainsi que deux fosses symétriques ; en bas à droite, on distingue la courbe du chemin antique empierré qui contourne la villa côté façade.
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Légende FIG. 13 – La villa de Marsanne, surveillée depuis sa découverte en 1985, apparaît dans son ensemble, en 1986, avec des fossés cadastraux rectilignes (drainage et limites) dans lesquels elle s’inscrit. La courbe du chemin de desserte est toujours visible (en bas à droite), par contre les 16 fosses ne le sont plus (cf. fig. 12).
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Légende FIG. 14 – Oliveraie fossile près de Lamanon (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en losange.
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Légende FIG. 15 – Oliveraie fossile près de Saint‑Rémy (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en carré.
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Légende FIG. 16 – Oliveraie fossile près de Mazet de Romanin (Bouches‑du‑Rhône) : plantation en carré.
URL http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39373/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 53k

Auteur

Chercheur bénévole, Bouches‑du‑Rhône.

© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994

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