Les campagnes de la France méditerranéenne dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge
| ,3 Etude morphologique du cadastre B d’Orange
3 Morphological study of land‑register B of Orange
Résumé
La connaissance de la morphologie du cadastre B d’Orange s’affine, notamment dans la région de Donzère, Pierrelatte et Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux, au sud du département de la Drôme, où l’enquête permet de formuler une nouvelle interprétation de ce cadastre. Le cadastre B apparaît comme un bon exemple de scamnatio et strigatio in centuriis, c’est‑à‑dire comme un réseau qui adopte la morphologie des grandes centuriations conçues pour d’importantes assignations, telles que l’on en connaît tout au long du ier s. av. n.è. Cette observation paraît s’accorder avec la chronologie des implantations de sites dans la plaine et les coteaux du Tricastin, qui indique une progression régulière de la colonisation du sud vers le nord en fonction du cadastre.
Texte intégral
3 .1 Les structures intermédiaires : la centurie et les limites
3.1.1 Les vestiges planimétriques du réseau et son extension
3.1.1.1 Vestiges d’axes visibles et fossiles
1La connaissance du réseau B d’Orange repose sur la mise en corrélation planimétrique de tracés de routes, chemins et limites actuels notés sur la carte au 1/25 000 ou sur les photographies aériennes et conservant encore une fonction dans le paysage, avec des vestiges d’axes fossiles, aujourd’hui disparus mais dont la révélation est permise par des indices appropriés, classiques en détection à vue. Les premiers représentent, sans qu’il soit besoin de le démontrer, une information indirecte puisqu’il s’agit de tracés actuels dont on pense qu’ils pérennisent des tracés anciens auxquels ils sont superposés. Les seconds peuvent, en revanche, être appréciés à deux niveaux : soit ils témoignent de tracés récemment effacés par un remembrement et dans ce cas leur ancienneté est toute relative, assez comparable à celle des lignes encore visibles aujourd’hui ; soit, au contraire, leur réapparition témoigne de structures antiques enfouies qui n’ont jamais été sédimentées par un chemin ou une limite postérieure, et dans ce cas la révélation peut nous mettre en présence d’une information directe.
2La liste suivante donne le relevé de tracés fossiles du réseau découverts par le dépouillement de missions verticales de l’IGN, anciennes et récentes, et lors de prospections aériennes à basse altitude.
3– La Motte‑du‑Rhône, les Petites Baties (feuille IGN Valréas 5‑6) : trace du decumanus maximus sur 350 m de longueur ; crop mark (cliché 26 IFN 80/145 P no 468).
4– Lapalud, Desserre (Valréas 5‑6) : trace du 4ekardo ultra kardinem sur 250 m de long ; crop marks (cliché 26 IFN 80/145 P no 469).
5– Pierrelatte, la Calamelle (Bourg‑Saint‑Andéol 7‑8) : trace du 6edecumanus dextra decumanum sur 125 m de long ; crop mark (cliché 26 IFN 80/145 P no 471).
6– Pierrelatte, la Dalgonne (Bourg‑Saint‑Andéol 7‑8) : trace du 7e decumanus dextra decumanum sur 700 m de long environ ; crop marks (cliché 26 IFN 80/145 P no 471 ; photographie aérienne de Thierry Odiot de 1984.)
7– Pierrelatte, Saint‑Roch et Pignedores (Bourg‑Saint‑Andéol 7‑8) : trace du 11edecumanus dextra decumanum sur 220 m environ ; crop marks sur cliché 26 IFN 80/145 P no 473 ; trace du 11edecumanus dextra decumanum sur 1 km environ et de façon discontinue ; crop et soit marks (cliché IGN Orange‑Valréas 1947 no 44).
8– Pierrelatte, les Perrotines (Bourg‑Saint‑Andéol 7‑8) : trace du 9edecumanus dextra decumanum sur 1 km environ et en discontinuité ; crop mark sur cliché IGN Orange‑Valréas 1947 no 44.
9– Pierrelatte, Bondant (Valréas 1‑2) : trace du 16e decumanus dextra decumanum sur 700 m de long ; crop marks et soil marks (associés à des indices topographiques) (cliché IGN Orange‑Valréas 1947 no 107).
10– La Garde‑Adhémar, Chemin du Loup (Valréas 1‑2) : trace du 18e decumanus dextra decumanum sur 10 m environ, situé le long d’une villa romaine ; crop mark (cliché oblique de Thierry Odiot 1984).
11– La Garde‑Adhémar, le Béguagnon (Valréas 1‑2) : trace du 13edecumanus dextra decumanum sur 125 m puis 375 m environ ; crop mark (cliché IGN 26 IFN 80/145 P no 404).
12– La Garde‑Adhémar, Gamet (Valréas 1‑2) : trace du 15e decumanus dextra decumanum sur 300 m environ : crop mark (cliché IGN 72 FR 2264/150 P no 1462).
13– Donzère, Morin (Valréas 1‑2) : trace du 4ekardo ultra kardinem sur 50 m ; crop mark (cliché IGN 72 FR 2264/150 no 1784).
14– Allan, plateau de Bondonneau (Montélimar 5‑6), les Aubépines : trace du 4e kardo citra kardinem sur 150 m environ ; voie rectiligne bordée de deux fossés révélée par des crop marks sur un cliché de Louis Monguilan en août 1979 (Clavel‑Lévêque 1983a : 282) ; croisement du 4ekardo citra kardinem avec le 37e decumanus dextra decumanum : (repérage de Louis Monguilan en 1986) ; croisement du 4e kardo citra kardinem avec le 36edecumanus dextra decumanum (cliché Louis Monguilan de 1986).
15– Allan, les Emmas et Courcoussone (Montélimar 5‑6) : trace du 3e kardo citra kardinem et de son croisement avec le 33e decumanus dextra decumanum (cliché Louis Monguilan 1984) ; trace du 33e decumanus dextra decumanum sur plus de 500 m de long repérée au nord du village d’Allan par Louis Monguilan.
16– Orange, Grand Bouigard (Orange 5‑6) : trace du 17e decumanus sinistra decumanum sur 1 km environ ; crop mark (cliché IGN 78 FR 9040/145 no 13).
17– Orange, Tior (Orange 5‑6) : trace du 18e decumanus sinistra decumanum sur 250 m environ ; crop mark (cliché IGN 76 FR 9040/145 no 13).
18Ce relevé concerne exclusivement certaines plaines alluviales où des sols très superficiels se prêtent à des observations de ce type. Je n’ai pas été en mesure de pouvoir effectuer un dépouillement exhaustif de toutes les missions verticales, ce qui eut livré quantité d’autres informations dans le cadre d’un réseau aussi vaste. Mais ces quelques révélations permettent néanmoins d’observer la prégnance du réseau, par le nombre d’occurences des axes. Ainsi dans la plaine de Lapalud, Pierrelatte et Donzère, les indices topographiques actuels donnent des tronçons plus ou moins importants pour 15 axes sur 23, et les indices photographiques témoignent de tronçons pour 9 decumani sur 23. Au total, seuls cinq decumani sont totalement absents dans la plaine (les 19e à 23e entre la Berre et Donzère, là où précisément le cadastre B ne semble pas être le réseau dominant). Il n’est pas interdit de penser que des circonstances climatologiques exceptionnelles, ou simplement différentes, puissent permettre ultérieurement la révélation de nouveaux segments de limites du réseau.
3.1.2 Reconstitution et extension du réseau de la limitatio
- 1 Travail réalisé à l’IGN, à partir d’une édition de la carte au 1/25 000 portant en surcharge la pro (...)
- 2 Les fouilles de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux et de la Plaine d’Avril, dont il est question plus avant, (...)
- 3 Rappelons que cette mesure est obtenue pour l’ensemble du réseau assemblé. Nous disposons de grille (...)
19Grâce à ces informations, le réseau des limites acquiert une plus grande densité et asseoit définitivement la proposition de reconstitution et de calage de la trame que j’ai formulée lors du colloque de Besançon (Chouquer 1983b : 279‑83). La carte générale du cadastre, et mieux encore les cartes détaillées au 1/250001, montrent que certains fragments d’axes ainsi corrélés par la grille adoptent des tracés localement aberrants, sinueux ou d’orientation décalée, alors que leur comportement général les a fait retenir dans la carte globale de restitution. Il s’agit moins d’un manque de rigueur du travail de sélection de l’information, que d’un raisonnement selon lequel, au niveau qui nous importe pour l’instant, celui des structures intermédiaires, l’allure d’ensemble du tronçon paraît plus importante que le détail de tel ou tel fragment qui le compose. Mais l’énoncé de ce parti‑pris cartographique ne doit pas masquer le fait que la reconstitution du réseau se fonde sur une quantité importante de vestiges d’axes rectilignes et bien orientés2. Dans ces conditions, on ne trouve qu’une seule projection qui permette de mettre en corrélation, au moyen d’une grille à mailles carrées, la totalité de ces fragments. Cette projection, réalisée sur un film polyester des cartes au 1/25 000 au préalable assemblées, définit alors les valeurs du réseau :
– orientation : 5° N.‑E. par rapport au nord géographique ;
– module de la centurie : 708 m pour 2400 pieds romains3 ;
– valeur moyenne du pied : 0,295 m.
20Il est évident que cette reconstitution se fonde sur des secteurs géographiques où les vestiges planimétriques sont plus abondants que dans d’autres. Fort heureusement, pour le cadastre B d’Orange, ceux‑ci sont assez nombreux, avec des signes d’une grande netteté : région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux, de Donzère et Lapalud, région d’Orange même, région à l’est de Carpentras, région au sud de Montélimar, etc. La projection d’une grille est donc possible et opérante. La réalisation en profondeur du réseau peut être appréciée globalement. On constate qu’il n’a pas été matérialisé de façon exhaustive : la carte montre des interruptions plus ou moins importantes de la trame, dont la prise en compte s’avère du plus grand intérêt pour l’interprétation historique du cadastre B. Il est en revanche plus délicat de déterminer avec précision les frontières du réseau, dans la mesure où l’on travaille sur une grille profondément dégradée et sans doute incomplète, déjà, au départ. Le réseau a donc été étendu et prolongé à toutes les zones qui montraient un parcellaire isocline et où des vestiges planimétriques suffisants indiquaient le carroyage des structures intermédiaires. Dans la plupart des cas, on est conduit ainsi à étendre le réseau jusqu’aux ruptures de pente les plus sensibles, les Préalpes à l’est, le Massif Central à l’ouest, et à utiliser les reliefs comme limites naturelles. Le cadastre B englobe donc, selon cette restitution, plusieurs bassins internes et micro‑régions compartimentés.
21● La Valdaine et son contact avec le Rhône, autour de Montélimar, arrosée par le Roubion, le Jabron, l’Ancelle et le Vermenon. Ce bassin, environné de toutes parts de sommets boisés, permet de définir la limite nord de la centuriation B. Le decumanus le plus septentrional de la pertica a pu être le 57e (entre les villages actuels de Roynac et Marsanne). Ainsi, ni le Jabron, ni même le Roubion ne semblent avoir constitué la délimitation du réseau. Or pour cette zone, notamment les centuries DD40‑CK8 et DD40‑CK9, les plus septentrionales de toutes celles conservées et retrouvées avec le fragment DD40‑CK14, André Piganiol observe que nous sommes à l’extrémité de la plaque K et donc peut‑être aussi selon lui à l’extrémité du cadastre (Piganiol 1962 : 198). La question doit être envisagée selon une double possibilité : ou bien A. Piganiol s’est trompé, la plaque K n’étant pas la dernière, et dans ce cas, il y aurait conformité entre le plan cadastral et l’observation topographique ; ou bien il a raison d’arrêter à cette plaque la forma de Vespasien, et dans ce cas, il faut admettre que le réseau a été prolongé ultérieurement et que nous n’en possédons pas le plan sur marbre (ou encore qu’il n’a pas été réalisé). Ce problème prend une réelle importance pour l’ensemble du réseau, puisqu’il y a une nette différence entre la zone concernée par les fragments de marbre et la totalité de la pertica, réalisée sur le terrain, beaucoup plus vaste.
22● Les collines et plateaux du Tricastin forment une zone essentielle du cadastre B et lui fournissent sa limite vers le nord‑est, dans la haute vallée de la Berre. Compte tenu des reliefs et du boisement, la limite est ici impossible à préciser, en l’absence de vestiges du carroyage cadastral. Cependant les inscriptions de la forma attestent la présence du parcellaire au nord de la Berre, sur ces collines et plateaux déshérités. Ils font ainsi la transition avec le bassin de Valréas.
23● La plaine rhodanienne, au sud de l’étranglement de Donzère, s’élargit notablement et crée ainsi jusqu’à Mondragon une région naturelle bordée à l’est par les collines du Tricastin, et à l’ouest par le Rhône et les hauteurs de l’Ardèche. La confluence de l’Ardèche et du Rhône élargit ce bassin dans sa partie méridionale. La limite occidentale du réseau n’est jamais marquée par le Rhône (ni le cours actuel, ni le cours antique ce que confirment les marbres), toujours franchi vers l’ouest (Piganiol 1962 : nos 194, 201, 206‑211, 213‑218). Le cadastre B a pu ainsi s’étendre sensiblement dans la région de Saint‑Marcel‑d’Ardèche où l’on est peut‑être déjà en territoire helvien.
24● Le bassin de Valréas constitue lui aussi une micro‑région typée, aux limites nettes, grâce aux reliefs qui le cernent. Dominé au nord‑est par le site de l’oppidum du Pègue, il permet de dessiner les marges orientales du cadastre B dans cette région, signalées par le petit massif situé entre Valréas et le cours de l’Aigues et qui ne présente presqu’aucune trace cadastrale.
25● Entre Vaison‑la‑Romaine et Bollène, un ensemble de plaines et de petits massifs enserrés par le Lez, l’Aigues et l’Ouvèze, et borné à l’ouest par le massif d’Uchaux, dessine une unité originale où la cadastration affirme sa présence. Quelques tracés assez nets autour de Vaison (38e, 40e, 41e et 43e kardines) pourraient signifier que la centuriation a aussi organisé le petit bassin localisé au nord de la ville antique.
26● La plaine d’Orange, limitée à l’ouest par le Rhône, est surtout une zone de convergence du réseau hydrographique : les problèmes de drainage y sont importants. Au sud d’Orange, on atteint très vite la limite méridionale du cadastre B, lequel n’a sans doute jamais dépassé une ligne Caderousse‑Courthézon‑Monteux. D’ores et déjà la position d’Orange apparaît singulière dans la pertica, rejetée au sud du réseau.
27● A l’ouest du Rhône, le cadastre semble avoir structuré les plaines alluviales de la Cèze et de la Tave, autour de Bagnols et Laudun notamment. Le réseau a peut‑être été réalisé jusqu’au 15e kardo à l’ouest du kardo maximus, la limite méridionale étant fournie par la costière qui, de Gaujac à Roquemaure, se développe en ligne droite.
28● Enfin, dernière micro‑région structurée par le cadastre, le bassin de Carpentras et Mazan, naturellement borné par le mont Ventoux au nord et le plateau de Vaucluse au sud et au sud‑est, montre de nombreux vestiges du réseau. C’est sans doute l’une des surprises majeures de l’étude planimétrique que de découvrir la densité des tronçons d’axes qui prennent place dans la grille centuriée. Les réalisations ultimes ont sans doute été le 41edecumanus sinistra decumanum à Pernes‑les‑Fontaines pour la limite méridionale du cadastre, et le 61e kardo citra kardinem tout à fait à l’est du bassin. Ici, comme pour la Valdaine, la région de Vaison, celle de Valréas et celle de Bagnols, aucun fragment épigraphique n’atteste la réalisation du réseau, alors que les vestiges planimétriques sont incontestables.
3.2 La structure des axes de la limitatio
29Cartes et photographies aériennes ne permettent guère de définir avec précision la nature exacte des axes qui composent la limitation. Tout au plus, observe‑ton quelquefois de façon très superficielle sur les clichés aériens, verticaux ou obliques, la trace de la voie cadastrale et des deux fossés qui la bordent ; mais on reste démuni quant à la possibilité d’une description exacte. C’est dire tout l’intérêt de deux recherches récentes, la fouille de Valérie Bel et Claude‑Alain Sabatier à Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux et le sondage de Didier Hôte, Thierry Odiot et Pierre Poupet à Saint‑Restitut, qui ont mis au jour dans chaque cas un limes du cadastre.
3.2.1 La fouille du decumanus de Saint-Paul-Trois-Chateaux
30Il s’agit, ici, du 8e decumanus situé au nord du decumanus maximus et qui se trouvait être contigu à la nécropole dite « du Valladas » fouillée depuis 1982 (Bel 1986 : 89‑100 ; Bel 1987: 35‑42). Cette fouille a apporté un nombre considérable d’informations dont on ne peut donner ici qu’un aperçu. Le premier enseignement, loin d’être secondaire, tient à la validation du réseau. En retrouvant l’axe à l’emplacement proposé et, selon une orientation comparable à celle fournie pour la totalité de la grille, la fouille de Saint‑Paul offre un témoignage de poids sur la matérialité du carroyage centurié. La moyenne des mesures effectuées donne une orientation de 94° 53’ N.‑E., alors que le calcul angulaire sur la totalité du réseau fixe l’orientation des decumani à 95° N.‑E. ; la nuance peut rendre compte d’un très faible décalage ponctuel de l’axe lors de son édification. L’axe cadastral se compose de plusieurs structures.
– Un mur de 0,55‑0,60 m de largeur à la base, constitué d’un parement grossier de pierres calcaires au nord et d’un blocage de terre et d’argile ; sa construction, d’après le matériel recueilli, ne semble pas postérieure au premier tiers du ier s. de n.è.
– Un fossé large de 0,50 à 1,55 m dans lequel on a pu distinguer 4 phases de comblement ; la plus ancienne pourrait dater du règne de Tibère.
– La voie, reconnue sur une distance de 25 m, large de 5,97 m. Son épaisseur, conservée sur 62 cm présente une stratigraphie complexe grâce à laquelle les fouilleurs ont discerné trois étapes de construction. La présence de céramiques campanienne A et sigillée italique de la forme Goudineau 12, ainsi que d’un fragment de lampe à bec d’oiseau, situe l’édification de la voie dans le courant du dernier quart du Ier s. av, n.è. Les couches supérieures, d’époque julio‑claudienne, permettent de fixer une période de réfection qu’on ne peut, hélas, mieux préciser chronologiquement.
– Un fossé repéré sur 15 m environ varie entre 1,50 m de large au niveau inférieur et 2,97 m au niveau supérieur. Sa profondeur varie de 70 à 83 cm avant comblement. Il a été possible de discerner 5 phases de comblement. Les premières se situent entre 20 av. n.è. et 10 de n.è. et indiquent donc que le fossé a été implanté peu avant ou au cours de cette période, puisqu’on ignore la rapidité des dépôts. La quatrième phase est celle du comblement final et de l’abandon du fossé en tant que tel, ceci dans le courant du Ier s. de n.è. Ce fossé constitue bien, avec la voie elle‑même, les deux structures maîtresses de l’ensemble.
– Un fossé, que son comblement permet d’interprêter comme un drain ; sa largeur varie de 50 à 70 cm ; il longe l’endos le plus vaste de la nécropole ; sa relation avec certaines couches du comblement du fossé qu’il longe indique que le drain a été créé entre la phase 2 et la phase 4 du comblement du fossé précédent.
31La fouille permet de dégager quelques informations sur la structure des axes du réseau. Il apparaît vraisemblable que la structure observée (une voie, deux fossés, un muret un drain) n’ait pas été identique pour chacun des axes du réseau. La fouille a montré des modifications, puisque le drain n’existe plus au niveau de l’enclos D de la nécropole. De même, tous les éléments n’ont pas existé simultanément et en permanence : le mur peut être un aménagement du fossé quelque peu postérieur à la création de celui‑ci. On devrait donc s’attendre à trouver, si d’autres axes étaient explorés, des morphologies différentes.
32La métrologie est un autre enseignement. Du tableau des données établi par V. Bel et C.‑A. Sabatier, il est possible de donner la valeur en pieds romains des différentes structures. La voie mesure 20 pieds de large, le fossé nord 5 pieds dans sa partie inférieure et 10 dans sa deuxième phase, après élargissement. La totalité de la structure (à l’exception du drain) donne une valeur de 42 à 43 pieds, plus exactement 42 2/3. On se trouve donc –puisqu’il s’agit d’un axe délimitant un saltus de 16 centuries– en présence de mesures élevées par rapport à celles que donnent les textes des gromatici veteres. On devrait en effet trouver, pour un tel limes actuarius, une valeur de 12 pieds selon les données d’Hygin Gromatique (La 194, 8‑12) ou de 8 pieds selon Hygin (La 111, 11‑15). Les valeurs élevées de 15, 20, 30 et 40 pieds sont réservées aux kardo maximus et decumanus maximus. Avec 20 pieds, le 8e decumanus du cadastre B possède la dimension d’un kardo maximus. On n’a donc pas respecté ici les valeurs habituelles et l’on n’est guère en mesure de dire s’il en était ainsi dans d’autres parties du cadastre B, ou si cette voie faisait exception pour des raisons précises. S’agissait‑il d’une voie d’accès à l’agglomération antique d’Augusta Tricastinorum, ce que tendrait à indiquer la présence d’une vaste nécropole qui la borde ?
- 4 La 349, 26‑28 ; Il s’agit d’un passage du texte, aux origines obscures, connu sous le titre de « Ex (...)
33Un détail morphologique permet, peut‑être, de proposer une comparaison. Dans les réseaux cadastraux établis à la périphérie de Rome, on connaît l’existence, le long des limites sur lesquels il n’y a pas de bornage, d’un mur édifié à la manière d’une ligne. C’est près de cette ligne qu’on trouve les tombeaux des vétérans4 On notera que d’autres murs sont connus dans le réseau B, à Saint‑Paul même, le long du 4e kardo à l’est du kardo maximus (où il s’agit d’un fragment de la muraille urbaine) et à Orange, le long du 23e decumanus sinistra decumanum, celui qui passe par l’arc triomphal. Sans qu’on puisse se fonder sur ces deux derniers exemples, en l’absence d’observations précises les concernant, on remarquera que la fouille de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux pourrait indiquer une situation exceptionnelle à caractère péri‑urbain et justifiant peut‑être la largeur importante de la voie.
- 5 La 271‑272 ;je cite l’intégralité de ce texte, toujours dans la traduction qu’en a faite François F (...)
34La situation observée à Saint‑Paul ressortirait‑elle tout particulièrement des dispositions de la loi sur les tombeaux5 ? On est frappé, à la lecture de ce texte et malgré de réelles difficultés de compréhension, du rôle que jouent les tombeaux dans la matérialisation du système cadastral. Certains « reçoivent le système des limites », c’est dire qu’ils savent de bornes et qu’on y inscrit les coordonnées cadastrales. Les tombeaux sont utilisés comme repère pour l’arpentage, et semblent servir à délimiter des assemblages de parcelles. Ainsi s’affirme le lien entre la voie cadastrale, le tombeau et le mur, dans l’édification du paysage antique. Une autre explication pourrait être conjuguée à cette hypothèse pour rendre compte de la situation observée. Un texte d’Hygin Gromatique (La 168, 14 ‑ 169, 13) explique que les limites actuarii, c’est‑à‑dire ceux qui délimitent les saltus du cadastre (c’est le cas de ce 8e decumanus de Saint‑Paul), doivent la servitude de passage à l’instar des voies publiques et qu’ils peuvent être plus larges que 12 pieds, à la façon de ceux des limites qui ont été faits pour servir de voies militaires. Ils adoptent alors la dimension des voies publiques. Les motifs de cet élargissement tiennent à la nécessité d’une viabilité suffisante, et au caractère public de la voie. On rend ainsi « publics » des axes cadastraux, afin, par exemple, de faciliter le transport des récoltes. Ce cas de figure conviendrait‑il ici pour rendre compte de la largeur inusitée de la voie ?
35Valérie Bel et Claude‑Alain Sabatier ont dressé un tableau des mesures observées, et en ont déduit les valeurs correspondantes du pied. De leurs observations il paraît impossible de fixer une valeur unique du pied, puisque selon leurs calculs, on observe une variation de 0,2875 à 0,307 m, avec de nombreuses valeurs intermédaires. Ils remarquent qu’une valeur moyenne des différentes mesures se situerait à 0,2989 m, ce qui proposerait une valeur métrique de 717,5 m pour les 2400 pieds du côté de la centurie. Dans ces conditions, il faut donc admettre qu’on ne peut situer sur le même plan les mesures prises au cours de la fouille et la valeur moyenne du module qui a servi à établir le cadastre (708 m soit un pied de 0,295 m). La différence paraît être suffisamment sensible pour ne pas correspondre à une erreur de calcul. Il faut accepter l’idée d’une grande souplesse de la métrologie romaine. S’étonnera‑t‑on qu’ailleurs, à Glanum, des mesures précises effectuées sur des monuments urbains donnent encore d’autres valeurs, supérieures à la valeur traditionnellement admise pour le pied (0,29574 m), et évoluant entre 0,2967 et 0,2974 m (Gros 1984 : 38‑43) ?
3.2.2 Le sondage de Suze‑la‑Rousse
36Le sondage effectué à Suze‑la‑Rousse par Didier Hôte, avec la collaboration de Thierry Odiot et Pierre Poupet, a permis de retrouver en profondeur la section d’un limes antique ; on en trouvera la description détaillée dans l’article ci‑joint de Pierre Poupet. On est en présence d’un chemin et de son fossé latéral. La coupe correspond très exactement au passage du 11e kardo citra kardinem du réseau B d’Orange dans le calage que j’ai proposé, mais il n’est pas, à cet emplacement, matérialisé en surface, alors qu’on le retrouve une cinquantaine de mètres plus au nord pérennisé dans le tracé d’une mayre. Le chemin et son fossé ont une largeur totale de 2,38 m qui correspond aux 8 pieds de large (2,36 m) des limites subruncivi, c’est‑à‑dire des axes ordinaires du réseau cadastral, ce qui est le cas du 11ekardo. Toutes ces données convergent donc pour suggérer que le sondage a mis au jour la section d’un limes linearius du cadastre B d’Orange.
3.3 Structures d’organisation du cadastre : les modes de groupement préférentiel
3.3.1 Les rythmes préférentiels de la limitatio
37Le relevé des axes conservés de la limitation romaine montre immédiatement la très inégale importance des limites. D’après l’état de conservation observable sur la carte et les clichés aériens, il n’est pas impossible de dégager une nouvelle hiérarchie des structures intermédiaires, fondée sur un mode préférentiel de groupement des centuries, ou des espaces non centuriés le cas échéant.
3.3.1.1 Le rythme des saltus
38Le saltus regroupe, selon les définitions gromatiques, 4 centuries jointes à raison de 2 par côté d’un carré (VAR, Res. Rust., I, 10) ou 25 centuries assemblées en un carré de 5 unités de côté (SIC. FLAC., 158, 18‑21 La). Son tracé détermine des axes plus importants que les limites ordinaires de la centuriation, dits limites acluarii (ou quintarii lorsqu’il s’agit de saltus de 5 x 5 centuries de côté). On doit donc s’attendre à pouvoir retrouver dans les vestiges du réseau les indices d’une périodicité témoignant de ce niveau très synthétique d’organisation du cadastre.
39Pour le cadastre B, il existe suffisamment d’indices pour affirmer que le réseau a été structuré selon un rythme préférentiel de 4 fois 20 actus (soit 2 832 m d’après le module de la centurie) aussi bien dans le sens des kardines que de celui des decumani. Les principaux fossiles directeurs de cette reconstitution sont ainsi :
– pour la zone dextra decumanum, les 4e, 8e, 12e, 32e et 36e axes ;
– pour la zone sinistra decumanum, les 4e, 24e, 28e, 32e axes ; ce dernier, particulièrement remarquable au nord de Carpentras et de Mazan, se développe sur 11 centuries sans interruption ;
– pour la zone ultra kardinem, les 4e et 12e axes ;
– pour la zone citra kardinem, les 4e, 12e, 16e, 20e, 48e et 52e axes.
40Pour d’autres, les vestiges existent quelquefois, très fragmentés. La conservation du réseau n’est toutefois pas suffisante pour qu’on puisse repérer un saltus dessiné par ses quatre côtés à la fois. On n’en observe aucun qui soit intact, de même qu’on ne trouve aucune centurie encore préservée dans sa totalité
41Mais la fouille de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux montre très précisément que le saltus a du fonctionner dans la limitation romaine comme un cadre opératoire efficace. La situation de cette fouille est exceptionnelle, en ce sens qu’elle concerne le 8e decumanus dextra decumanum, et à proximité immédiate du carrefour avec une autre limite de saltus, le 4e kardo citra kardinem. Elle se situe donc non seulement à un angle de centurie, mais aussi à un carrefour de limites acluarii. Le report des principales structures fouillées sur le fond cadastral de 1810 met assez bien en relief les éléments principaux du paysage et le rôle des structures intermédiaires.
- 6 Cf. T. Odiot et al. en bibliographie.
42Des deux axes, celui qui a été fouillé n’a laissé presqu’aucun vestige visible, si ce n’est un bref segment de chemin au tracé déformé, à l’est du carrefour. L’autre, le 4ekardo citra kardinem. est matérialisé dans le paysage par un vestige topographique original. Il s’agit d’un mur rectiligne, déjà interprété sur le plan cadastral de 1810 comme une « ruine des anciens remparts de la ville », et qui correspond, selon les recherches récentes6, à un tronçon du rempart antique d’Augusta Tricastinorum. Le mur s’interrompt au carrefour, et au sud de celui‑ci, l’axe est marqué par un chemin légèrement décalé à l’ouest. Le carrefour a contribué à fixer la nécropole dont l’origine remonte à l’époque de Tibère (Bel 1987 : 36). Les principales structures s’alignent le long du limes acluarius, à l’ouest du carrefour. La plus importante d’entre elles est un mausolée circulaire de 16 m de diamètre, Situé à environ un actus du carrefour et au bord du 8e decumanus. Les axes déterminent enfin quelques subdivisions majeures, marquées par des chemins ou des limites parcellaires selon les intervalles de 4, 5, 6 ou 8 actus.
43Le texte de Tibère inspiré d’une loi triumvirale, cité précédemment (La 271‑2), rend assez bien compte, dans certaines de ses dispositions, de cette articulation entre la limitation et les éléments planimétriques que je viens de décrire. On peut donc désormais proposer un élément supplémentaire pour expliquer la localisation de la nécropole et se demander si elle n’a pas été déterminée par ce carrefour de limites acluarii, à la rencontre de quatre saltus. La nécropole jouerait donc, ici, un rôle certain pour marquer l’importance de ce niveau de structuration du paysage, dont l’efficacité matérielle se trouve ainsi démontrée.
44On découvre, avec cet exemple, que le saltus de 16 centuries (ce qui représente une unité de 800 ha environ), a joué un rôle structurant réel dans la réalisation du cadastre B. Ainsi, dans la plaine de Cléon d’Andran, les vestiges de centuries sont rares, mais la force du cadastre est affirmée par la présence de trois limites actuarii, les 12e, 16e et 20ekardines citra kardinem, le dernier se développant sur une dizaine de centuries de longueur, avec des déformations ponctuelles sensibles pour un tracé d’ensemble cohérent. D’autre part, le poids des axes délimitant le saltus est évident dans la fixation de certains habitats médiévaux, tels Lapalud et Bollène le long du 4ekardo VK, Cléon d’Andran, du 20e kardo CK, sans qu’on puisse cependant en déduire une règle stricte de localisation. Dans d’autres cas, en effet, des faits topographiques remarquables paraissent plus déterminants que la relation avec les limites actuarii (rocher de Pierrelatte, colline Saint‑Eutrope à Orange, site de Saint‑Paul, etc.),
45On notera enfin, pour achever de décrire cette structure qui s’impose à la quasi totalité du réseau antique, la présence sporadique d’une division du saltus par moitié, donnant des ensembles de 4 centuries groupées 2 par 2 (c’est‑à‑dire selon le mode varronien). Parmi ces axes divisionnaires, les 6e, 10e, 42e decumani dextra decumanum, 10e kardo cilra kardinem, 30e et 34e decumani sinistra decumanum conservent encore quelque matérialité.
3.3.1.2 Les indices d’autres périodicités
46L’observation de la carte des limites du cadastre B permet de dégager l’existence d’autres axes forts qui paraissent jouer un rôle structurant dans la limilatio, sans obéir à la logique principale du découpage des saltus. Quelques axes sont particulièrement remarquables :
– les 17e et 19edecumani dextra decumanum, entre Valréas et le Logis‑de‑Berre ;
– le 3e kardo citra kardinem à l’ouest de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux ;
– le 13e kardo citra kardinem, très présent sur plusieurs kilomètres ;
– le 23ekardo citra kardinem ;
– les 19e et 23edecumani sinistra decumanum ;
– enfin les 49e et 54ekardines citra kardinem.
47Il arrive que la rencontre de ces axes provoque l’apparition et la conservation dans le parcellaire et la voirie de structures organisatrices suffisamment fortes pour éclipser le rythme ordinaire des saltus. Le meilleur exemple se rencontre à l’est‑nord‑est d’Orange, à Camaret‑sur‑Aigues trois axes forts et l’amorce d’un quatrième, plus faiblement conservé, dessinent un carré de quatre fois quatre centuries, véritable saltus en discordance avec le rythme préférentiel observé sur l’ensemble du réseau.
48L’observation de ces rythmes nouveaux, qui concernent des secteurs délimités du cadastre, rend‑elle compte d’une réalité antique, ou bien doit‑elle être interprétée comme le résultat de l’évolution des limites dans le temps, celle‑ci donnant fortuitement naissance à une structure en fait aléatoire ? La question ne pourra être résolue qu’au terme d’une enquête archéologique poussée, avec la connaissance de l’habitat et du parcellaire, de la structure domaniale et de l’exploitation. On peut cependant envisager, en présence de tous ces indices, qu’aient existé, dans l’Antiquité, des formes locales d’organisation du réseau, contradictoires avec la grille générale des saltus.
49C’est dire, à ce point de l’enquête, tout l’intérêt de l’observation de Thierry Odiot, lorsqu’il constate que la répartition de l’habitat obéit à des rythmes originaux du décompte des limites. Ainsi, dans la zone ultra kardinem au nord du decumanus maximus, il trouve les habitats augustéens entre les ier et xe axes, et les habitats des deux premiers tiers du ier s., entre les xe et xxe axes. Ici, donc, le plan d’assignation et de colonisation respecte une progression qui utilise un rythme régulier –différent de celui des saltus– fondé sur l’espacement de 10 centuries.
3.3.2 Les structures intermédiaires réelles du paysage
50La restitution de la limitation du cadastre B et l’étude du mode de groupement en saltus fournissent un cadre schématique originel. Mais ces formes ne peuvent suffire à rendre compte des structures intermédiaires réelles du paysage. On y observe en effet trop de vides, beaucoup trop également de discontinuités dans le tracé des axes. S’en tenir aux seules formes issues du réseau B, reviendrait donc probablement à accepter de poursuivre l’enquête sur le paysage à partir d’une carte tronquée et inachevée. Aussi faut‑il faire intervenir, pour reconstituer la morphologie du paysage antique, d’autres éléments qui entrent en combinaison avec la grille du cadastre B, et qui déterminent ainsi la carte des structures intermédiaires réelles.
51La région de la plaine tricastine, de Pierrelatte à Donzère, me servira d’application pour cette recherche. Deux influences se conjuguent à celle du réseau B pour déterminer les lignes de force du paysage antique (fig. 1).

FIG. 1 – Les structures intermédiaires du paysage romain. Cette série de cartes illustre la recherche des formes agraires, leur apport à la connaissance du paysage et les limites de cette enquête ; elle a été réalisée à partir de l’interprétation du cliché IGN Orange‑Valréas 1947 no 107.
1 Interpénétration des deux orientations majeures présumées antiques. La carte montre aussi la mobilité de ces parcellaires puisque là où passe la Berre antique, dont le dessin du cours est fourni par la forma, des parcelles orientées selon le réseau B quadrillent l’ancien cours, qui ne peuvent donc être toutes antiques, mais induites par le réseau B après le déplacement du cours de la rivière. Elle montre enfin la relative destruction (ou l’inachèvement) du réseau des limites du cadastre B. La photo‑interprétation permet de fixer le cours antique de la Berre, là où la forma fait défaut, avec des raccords satisfaisants avec les tracés attestés sur le plan antique.
2 Projection des principales limites de quartier de culture, afin de tenter de dresser la carte des structures intermédiaires réelles du paysage antique. Il s’agit de tenir compte de l’imbrication de deux parcellaires, du passage des routes, du cours de la rivière : on observe ainsi que plusieurs quartiers de culture adoptent des formes particulières (trapèze, triangle) en raison de ces contacts.
3 Schématisation du plan cadastral antique. On découvre, en comparant les cartes, qu’il n’y a pas de relation exclusive entre l’assignation et le réseau B, même si les centuries où tout est assigné (EXT CO = sol exempté du tribut, 200 jugères) semblent attester principalement la présence de cette orientation. Dans certaines, l’assignation concerne des zones orientées différemment (ex. DDXV II‑VK I, DD XVII‑VK II. DD XVII‑CK I, DD XX VK II...). Cette enquête de détail montre les progrès restant à accomplir :
– valider le parcellaire incliné à 13° 55’ N.‑O. et en démontrer l’ancienneté par rapport au réseau B ;
– développer la prospection à basse altitude et la photo‑interprétation, ainsi que l’observation pédologique, afin de découvrir d’éventuels vestiges d’axes du réseau B, dans le but de savoir si celui‑ci a été réalisé de façon exhaustive puis effacé partiellement par des remembrements, ou bien s’il a présenté des lacunes dès son origine, pour tenir compte, par exemple, de formes antérieures indigènes et romaines. Tout, dans cette recherche, dépend de l’ampleur d’une éventuelle sédimentation qui pourrait masquer, sous plusieurs dizaines de centimètres de dépôts, des axes et des parcellaires fossiles. N.B. Le cliché de 1947 ayant servi de fond de carte pour le relevé, on ne s’étonnera pas des aberrations dues aux effets de parallaxe : les centuries ne sont pas parfaitement carrées et les angles n’ont pas rigoureusement 90° ; en revanche, je me suis fondé sur la carte topographique pour le report des axes sur le cliché.
3.3.2.1 La présence d’autres orientations cadastrales
52Si l’on ignore tout de la forme du paysage local à l’époque préromaine, on peut, en revanche, formuler des hypothèses assez solides sur la présence d’autres parcellaires antiques, différemment orientés. Ceux‑ci auraient pu être d’ampleur plus locale (autour d’une villa ? ) ou dictés par les contraintes topographiques. Nulle part, cependant, on n’a pu vraisemblablement asseoir l’hypothèse d’un autre réseau centurié. On pensera donc plutôt à des parcellaires localisés autour de sites antiques.
53Si l’on veut donc établir la carte des structures intermédiaires du paysage au ier s. de n.è., à l’époque où le cadastre B est la grille opératoire, il faut donc tenir compte de quartiers de culture orientés différemment. Grâce à cette imbrication on a plus de chance de s’approcher du paysage réel et de ne pas rester sur une projection en partie théorique d’une grille.
54Une conclusion fondamentale pour la connaissance de la morphologie des paysages, découle de ces observations. La forma du cadastre B, en dessinant partout sur le marbre un réseau isocline et exclusif, laisserait penser que la limitation a été réalisée en gommant toute réalité antérieure. Il n’en est rien : le paysage continue, par endroits, à être structuré par d’autres formes intermédiaires et parcellaires. Dans ces conditions, la forma n’est pas une carte fidèle du paysage, mais un instrument de repérage des unités pour le décompte des superficies dans le cadre d’une assignation spécifique. Sans doute le marquage des tronçons d’axes non réalisés devait‑il être favorisé par un bornage spécifique.
- 7 La comparaison s’impose ici, avec les notices du Liber coloniarum, dont j’ai démontré le caractère (...)
55En Narbonnaise, pratiquement toujours, et dans la zone concernée par le cadastre B tout particulièrement, la forme du paysage antique s’apparente plus à une combinatoire d’éléments parcellaires successifs. Ici, à Orange, la forma du cadastre B n’en rend absolument pas compte, et ce n’est d’ailleurs pas son objectif7.
3.3.2.2 Les formes intermédiaires induites par le réseau routier
56Pour achever d’établir la carte des structures intermédiaires, il convient de cumuler les informations issues de l’étude du réseau casdastral à celles induites par la voirie. Les routes principales ou secondaires contribuent à déterminer les unités morphologiques du paysage en combinaison étroite avec les axes de la limitation.
57Dans le secteur exemplaire choisi, entre Donzère et Pierrelatte, la carte des structures intermédiaires du paysage essaie de tirer parti de la reconstitution du réseau routier antique, même si celle‑ci est encore fragmentaire. Quatre itinéraires peuvent être décrits.
- 8 Je fais ici référence à des découvertes aériennes de Thierry Odiot qui a mis en évidence, dans la r (...)
58– itinéraire A : c’est celui mentionné sur la forma d’Orange B et dont la reconstitution ne paraît pas poser de problèmes majeurs, au moins globalement8. On le connaît, dans la littérature archéologique, sous le nom de voie d’Agrippa.
59– itinéraire B : connu de façon partielle, il semble correspondre à un tracé routier conduisant de Bourg‑Saint‑Andéol à Donzère.
60– itinéraire C : doublant la voie de piémont, cet itinéraire conduit du Logis‑de‑Berre à Donzère et longe la grande villa du Molard. Il adopte un parcours en baïonnette caractéristique d’un phénomène de capture démultipliée (Chouquer 1983a : 148 et fig. 12). On pourrait, à la suite de cette observation, supposer qu’il s’agit d’un itinéraire médiéval adapté aux vestiges de la limitation antique, mais divers arguments plaident en faveur d’une attribution romaine. La voie détermine manifestement l’emplacement de plusieurs sites, et surtout, elle trouve une justification principale en unissant la mutatio de Novemcraris (Le Logis‑de‑Berre) à la grande villa viticole du Molard à Donzère.
61– itinéraire D : c’est la voie au parcours le moins bien connu ; mais elle répond, elle aussi, à une forte logique en unissant Novemcraris (Logis‑de‑Berre) à Bergoiata (Bourg‑Saint‑Andéol) ; on peut ainsi proposer avec vraisemblance de mettre en correspondance divers tracés observés sur les photographies aériennes.
62Aucun des tracés avancés n’apparaît conforme à l’orientation du réseau B, tandis que les observations archéologiques plaident en faveur d’une contemporanéité entre les routes et le cadastre. Il faut donc penser que les voies de communication ont joué, elles aussi, et au même titre que les limites du cadastre centurié, un rôledans la fixation des structures intermédiaires. La combinatoire de ces divers éléments propose une carte bien moins monotone que le plan de la forma, sur laquelle n’apparaît que le seul réseau B. Il me semble donc possible de passer d’une appréhension « formelle » du cadastre B à une cartographie des formes du paysage réellement utilisées pour l’exploitation agraire.
3.4 Les formes parcellaires
63Les formes intermédiaires, dont la cartographie s’avère plus complexe que ce que donne à lire la seule forma d’Orange, proposent le cadre d’insertion du découpage parcellaire antique. Ce dernier est sans doute difficile et long à mettre au jour, car l’enquête affronte un niveau extrême. En revanche, les cadres méthodologiques ne manquent pas pour modéliser cette reconstitution des parcellaires. Elle se fonde sur une double perspective. D’une part, la connaissance précise qu’on a de la métrologie agraire romaine livre la compilation des unités de mesures –en tout 36 (on en trouvera un tableau exhaustif dans Favory 1983 : 82‑87)– et quelquefois de leur forme, par l’expression de la longueur et de la largeur. L’identification peut alors être tentée avec telle ou telle forme actuelle susceptible de piéger une mesure antique. D’autre part les textes des gromalici veleres, ainsi que la mise au jour, dans plusieurs régions du monde romain, de parcellaires fossiles dont on peut étudier la composition, nous informent sur les règles de l’agencement interne des centuries (Favory 1983 : 51‑135).
3.4.1 La recherche des unités
- 9 Le cliché de 1947 a paru, ici, préférable au plan cadastral napoléonien pour plusieurs raisons : il (...)
64En plein cœur du pays tricastin, la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux servira d’exemple pour la recherche d’unités parcellaires pouvant correspondre à la métrologie antique. Relevés et mesures ont été opérés sur un agrandissement du cliché correspondant de la mission de 1947 (IGN Orange‑Valréas 1947, no 179), en évitant de réaliser des mesures sur les plages marginales du cliché, là où les défauts de parallaxe deviennent très sensibles9. Le cadre centurié du réseau B et celui du réseau proposé comme antérieur au réseau B ont été reportés sur les schémas, en partant de la carte à 1/25 000. On ne s’étonnera donc pas de pouvoir constater de légères déformations des carrés centuriés, surtout sur les marges du cliché. Les mesures antiques ont ensuite été appréciées jusqu’à l’actus et à ses fractions les plus simples (1/2 actus) à partir de mesures et de conversion.
65Le tableau I donne la mesure agraire de 49 unités repérées sur le cliché et qui appartiennent au cadastre B d’Orange.

TABL. I – Tableau des mesures agraires appartenant au cadastre B d’Orange dans la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux (d’après IGN Orange‑Valréas 1947, no 179).
66Ce relevé, fortuit quant à la zone choisie dans l’immense réseau B mais exhaustif à l’intérieur de cette zone, appelle quelques commentaires. La métrologie antique utilise le jugère et ses principales fractions comme unités de compte. On trouve ainsi le clima (1/8 de jugère ou 3 600 pieds carrés), le quadrans (1/4 jugère ou 7200 pieds carrés), l’actus quadralus (1/2 jugère ou 14 400 pieds carrés), le dodrans (3/4 jugère ou 21 600 pieds carrés) et enfin le dextans (5/6 jugère ou 24000 pieds carrés).
67Parmi les mesures employées on observe trois unités de la taille de l’actus quadratus, six du dodrans, deux du jugère, quatre du jugère et demi, sept de l’heredium (2 jugères), enfin quatre de trois jugères (1 ½ heredium). Un peu plus de la moitié des 49 mesures observées répondent donc à des unités principales de la métrologie agraire romaine.
68La même étude réalisée cette fois selon une autre orientation présumée antique (13° 55’ N.‑O.) et dans le même cadre de référence, fournit une nouvelle liste de 15 parcelles (tabl. II).

TABL. II – Tableau des mesures agraires selon l’orientation 13’ 55’ N.‑O. dans la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux (d’après IGN Orange‑Valréas 1947, no 179).
69D’un tableau à l’autre, on observe que la valeur moyenne des unités évolue. De 5 594 m2 (soit un peu plus de 2 jugères – 2 jugères et 3 unciae) dans le réseau B, elle n’est que de 3681 m2 dans l’autre réseau parcellaire (soit un peu moins d’1 ½ jugère).
3.4.2 Le mode d’agencement des unités parcellaires
70Le réseau B d’Orange apporte, sur la question de la trame parcellaire d’un réseau centurié, des aperçus nouveaux et complexes. Le mode d’agencement des formes parcellaires constitue un problème central, dans la mesure où il permet d’envisager une interprétation pluridimensionnelle du cadastre. Le parcellaire, profondément conditionné par les données physiques (relief et géologie) et les aptitudes des terroirs (texture, perméabilité et valeur des sols), répond en outre à des nécessités formelles issues du réseau des formes intermédiaires, à des impératifs politiques et sociaux dans la mesure où il matérialise le lotissement et l’assignation foncière à la suite de confiscations de terres et de remembrements parcellaires, On sait aussi qu’à ce niveau de l’enquête, l’information devient immensurable et avec elle apparaît le risque de véhiculer une part importante d’information mal contrôlée et parasite.
3.4.2.1 Les divisions de la centurie et la recherche des quartiers de culture
71La recherche des subdivisions des centuries du cadastre B d’Orange se fonde sur la prise en compte de limites agraires fortes, déterminant encore aujourd’hui un contact entre quartiers de culture, une rencontre entre secteurs parcellaires différemment orientés et découpés, qu’elles soient ou non doublées par des chemins ou tout autre signe planimétrique à caractère redondant. Mais l’évolution et la dissolution des formes antiques dans le paysage actuel ne fournit, le plus souvent, que des bribes de tracé. Dans le cas particulier des cadastres de Narbonnaise et de celui‑ci, l’imbrication des réseaux antiques accroît de façon sensible la discontinuité des trames et conjugue ses effets à l’usure du temps pour rendre la recherche encore plus difficile.
72L’exemple de la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux permet de proposer une méthode et une restitution des quartiers de culture du réseau B, à partir des traces actuelles ou fossiles révélés par l’interprétation photographique (fig. 2). Ont été retenues comme limites possibles de quartiers de culture, les limites parcellaires d’une longueur suffisante pour pouvoir opérer une subdivision efficace de la centurie ou celles qui séparaient des groupes de parcelles s’opposant par leur découpage ou leur orientation orthogonale. On obtient ainsi la carte des structures intermédiaires et des principales unités parcellaires induites par le cadastre B. Elle autorise,dans quelques secteurs privilégiés, la reconstitution d’unités formelles complètes. Pour en déterminer les contours avec vraisemblance, le recours aux valeurs métrologiques antiques présente une grande sûreté.

FIG. 2 – Sites et structures intermédiaires du cadastre B autour de la ville antique d’Augusta Tricastinorum (Saint‑Paul).
73Mais l’application exclusive et rigoureuse de ce critère de sélection pourrait conduire à un certain appauvrissement de l’étude. On sait en effet que les limites parcellaires, comme les chemins, peuvent connaître avec le temps des déplacements sensibles lorsqu’on les mesure. D’autre part, en appliquant un critère métrologique pour sélectionner les traces, j’ai retenu l’actus, parce qu’il faut bien fonder la sélection sur une donnée universelle de la métrologie romaine et valider ainsi la démarche. Mais il est envisageable de penser que les arpenteurs ont pu et dû, quelquefois, tracer des limites subruncivi ou intercisivi qui sont distants du limes actuarius d’un intervalle exprimé par des sous‑multiples de l’actus (ainsi une division au 1/8 de la centurie donne 2 ½ actus ; au 1/6, 1 ¼ actus, etc.). Dans ce cas, jusqu’à quelle division de l’actus faut‑il aller ? Pour ces raisons, j’ai préféré restituer les quartiers de culture d’après un critère de mise en cohérence, quitte à retenir pour les reconstituer, une trace isocline dont le rapport avec le carroyage ne peut être fondé sur une mesure antique simple.
74On constate, dans cet exemple privilégié, que la connaissance des sites archéologiques facilite le choix des axes à retenir, en soulignant un angle remarquable, un rythme privilégié, ou encore un mode d’insertion caractéristique du site dans un quartier de culture. Le résultat se présente sous l’aspect d’une juxtaposition d’unités quadrangulaires, le plus souvent de forme rectangulaire et allongée, à l’intérieur desquelles il faut ajouter la trame des parcelles isoclines pour obtenir un parcellaire complet.
3.4.2.2 La forme des parcelles
75Dans le cadre du réseau B, deux formes parcellaires caractéristiques se partagent les secteurs divisés (fig. 3) :
– une marqueterie d’unités parcellaires disparates associe, dans certaines zones, des parcelles trapues de forme carrée ou proche du carré, d’autres rectangulaires et disposées selon les deux orientations orthogonales du réseau, à des éléments plus réguliers, quelquefois organisés en damier ou regroupés en blocs massifs de parcelles contiguës ; la trame parcellaire du secteur de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux donne un bon exemple de cette forme parcellaire, dont on retrouve aussi des traces dans la plaine rhodanienne ; c’est le plus souvent dans ce type de parcellaire qu’on identifie des formes et des mesures agraires antiques ;
– une forme laniérée présente, à l’inverse de la forme précédente, une organisation régulière et stéréotypée en peigne associant une limite plus importante, qui peut être un chemin d’exploitation rural, et des limites parcellaires prenant appui sur cet axe. La carte parcellaire du réseau B dans la région de Donzère et Pierrelatte indique de nombreux secteurs où cette disposition l’emporte. On se trouve alors en présence de champs laniérés dont l’étude se révèle malaisée. Leur étroitesse interdit d’effectuer des mesures de largeur à l’échelle des documents sur lesquels on travaille. Celles‑ci seraient, en outre, délicates à valider dans la mesure où les partages successoraux successifs et certaines pratiques agricoles (de regroupement de parcelles en un même champ, ou encore de subdivision artificielle par différence de mise en culture) conduisent à des impossibilités. On se fonde donc ici plus sur l’aspect global des parcelles et leur association, que sur des mesures pour proposer de restituer une forme parcellaire, au demeurant fort bien connue de la morphologie agraire romaine, au travers des diverses sortes de strigations ou scamnations.

FIG. 3 – Scamna et strigae du cadastre B associés à un découpage parcellaire marqueté (à Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux) ou laniéré (entre Pierrelatte et La Garde‑Adhémar).
- 10 Les mesures agraires témoignent elles‑mêmes de parcelles différentes entre elles : – parcelles de f (...)
76Dans un premier temps, cette dualité ne manque pas de surprendre, non pas en soi parce que les deux types de parcelles sont parfaitement attestés dans la morphologie agraire romaine10, mais par leur emploi simultané dans le même réseau. A l’uniformité des structures intermédiaires, répétitives et périodiques par nature, correspond donc une certaine mobilité des formes parcellaires dont la raison n’est pas évidente. La distribution de ces formes dans les secteurs choisis comme exemple ne permet pas de dégager un déterminisme géographique précis, même si les formes laniérées sont plutôt caractéristiques de la plaine rhodanienne alors qu’elles sont plutôt absentes de la zone de Saint‑Paul. De même, on ne saisit pas de relation exhaustive et tranchée entre mode de parcellisation et statut des terres. Il est, en revanche, plus fructueux de constater que chaque mode s’accompagne d’un découpage global préférentiel de la centurie, différent de l’un à l’autre.
- 11 Il s’agit des centuries DD XVIII VK IV, DD XVII VK III, DD XVII CK II, DD XV VK IV, DD XIV VK 11, D (...)
77En procédant à la projection graphique –par superposition cumulative des tracés réels observés dans le cadre fictif d’une seule centurie– des vestiges parcellaires de l’une ou l’autre forme, on obtient des résultats très différents quant au mode général d’agencement et de subdivision (fig. 4 et 5). Dans un groupe de six centuries de la plaine, choisies parce qu’elles présentent la disposition en parcelles trapues, carrées ou rectangulaires11, quelques tracés communs plus forts que d’autres apparaissent déterminants, avec notamment une division par moitié et par quart de la centurie pouvant déterminer une sériation régulière des quartiers de culture par 1/8 de centurie. On trouve une organisation de même type en effectuant la même enquête sur quelques centuries du réseau B à Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux. Les principaux regroupements de lignes parcellaires déterminent, là aussi, une subdivision en 1/2 et ¼ de centurie et donnent aussi naissance à des quartiers de culture rectangulaires de 10 x 5 actus (soit 25 jugères).

FIG. 4 – Projection cumulée des subdivisions de 22 centuries du cadastre B entre Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre et présentant les traces d’un découpage parcellaire lanière. La sélection de certaines traces du relevé permet de reconstituer un découpage per trifinia avec 3 scamna par centurie et 20 parcelles de 1 x 6 2/3 actus par scamnum.

FIG. 5 – Projection cumulée des subdivisions présentant les traces d’une partition en parcelles trapues : a en haut, 6 centuries situées entre Pierrelatte et La Garde‑Adhémar ; b en bas, centuries situées autour de Saint‑Paul.
- 12 – Ce sont les centuries DD XVIII VK III, DD XVIII VK II, DD XVIII VK I, DD XVIII CK I, DD XVII VK I (...)
78En revanche, la compilation de toutes les traces parcellaires isoclines de 11 centuries situées entre Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre et répondant à l’autre mode de découpage12, permet nettement de discerner une division par moitié et par tiers offrant le cadre d’une partition de la centurie en six quartiers de culture égaux. La mise en évidence de ce rythme, si on la réalise sélectivement sur toutes les centuries situées entre Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre (soit 22 centuries de la rangée DD XVIII à la rangée DD XIII), fait apparaître la fréquence de la division par tiers de la centurie, en liaison avec un parcellaire laniéré caractéristique.
3.4.3 Caractérisation gromatique du réseau B d’Orange
79Cette enquête sur la morphologie agraire permet de poser –au moins dans les secteurs étudiés– la question fondamentale de la caractérisation du réseau selon les normes d’arpentage et d’assignation des gromatici veteres. Celle‑ci peut être abordée à la fois par l’analyse morphologique et par les précieuses données métrologiques des marbres d’Orange. Il s’agit, à ce niveau de recherche, de concerter les éléments de ces diverses sources afin de définir le mode de fonctionnement du réseau dans l’articulation primordiale entre le morcellement parcellaire, la trame des quartiers de culture et le cadre centurié.
3.4.3.1 Les unités fondamentales : scamna et strigae
80L’observation et l’analyse du morcellement parcellaire, malgré les différences relevées entre un dessin marqueté et un autre laniéré, conduisent cependant toujours à l’affirmation de quartiers de culture typés. On doit en effet convenir que l’existence d’une réelle variété des formes du morcellement parcellaire n’empêche pas la mise en évidence d’un réseau d’unités principales qui composent la centurie et forment un échelon morphologique intermédiaire entre la parcelle et la centurie. Ce niveau de référence du paysage antique possède une efficacité réelle : plus que le réseau des limites de la centuriation, souvent incomplètement dessiné au sol, la grille de ces quartiers de culture propose un cadre tangible et structurant pour les unités parcellaires de toutes formes.
81On sera donc conduit à dégager essentiellement, dans le réseau B d’Orange, deux types de quartiers de culture qui s’opposent par leur mode d’agencement interne du parcellaire. On ne peut donc qu’envisager, devant la généralisation de ces unités fondamentales intermédiaires entre la centurie et la parcelle, une organisation systématique des centuries en scamna et en strigae. Compte tenu de la plus grande extension du réseau du sud au nord, et selon la fameuse distinction de Frontin (La 3,1‑5), on pourra parler avec vraisemblance de scamna, pour les unités dont la longueur est disposée d’ouest en est, et de strigae pour les autres (fig. 6). Si l’on en juge par les exemples développés précédemment, dans la plaine rhodanienne et à Saint‑Paul, les scamna paraissent beaucoup plus nombreux, et pourraient donc constituer le mode dominant de subdivision de la centurie.

FIG. 6 – Restitution de la scamnation‑strigation du cadastre B dans la région de Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre.
82Nous sommes donc ici en présence d’une scamnatio et strigatio in centuriis, tout en pouvant préciser le sens qu’il faut donner à cette expression. Ce n’est pas la présence d’une forme parcellaire de tel ou tel type qui constitue la caractéristique de la scamnation, mais bien le mode de groupement en quartiers de culture caractéristiques, ainsi que la généralisation de ces quartiers de culture dans le tissu cadastral. On peut penser qu’à l’intérieur des quartiers de culture, la parcellisation est induite à la fois par la forme du quartier, la technologie agraire en usage et la nature des sols et de l’exploitation.
- 13 HYG., De mun. Cash, 1 et 15. Définition de la striga comme bande de 60 pieds de large où campent de (...)
83En prenant en compte les scamna et les strigae agraires comme quartiers de culture, c’est‑à‑dire comme éléments premiers de subdivision et d’organisation de la centurie, on rejoint assez exactement la définition des strigae, semitrigia et scamna du camp romain, bandes structurant le camp militaire et définissant les formes principales de groupement des campements13.
84La vigueur de ces unités dans le paysage, en relative opposition avec un cadre centurié discontinu, peut répondre à mon avis, à la situation particulière que connaît cette région, et être extrapolée à l’ensemble de la Narbonnaise. Il était en effet très commode de tracer ces petites unités intermédiaires du réseau B en tenant compte des zones déjà organisées par un autre parcellaire, plutôt que de surimposer à un paysage déjà « normé », les limites de la nouvelle centuriation. Ces derniers axes n’ont ainsi pas partout été tracés et le contact avec les surfaces différemment cadastrées se trouve facilité par les strigae et les scamna. Ainsi, dans la zone du Logis‑de‑Berre et de la villa du Chemin du Loup, le contact entre les deux parcellaires illustre cette articulation (fig. 7). La villa implantée le long du Chemin du Loup (qui est en fait une division d’un parcellaire différent), se justifie aussi par le passage du 18edecumanus dextra decumanum, dont la trace a été retrouvée par Thierry Odiot en prospection aérienne. Mais cet axe, très imparfaitement tracé, ne semble pas avoir « corrompu » le Chemin du Loup, et le contact de la nouvelle centuriation avec le parcellaire antérieur s’opère plus par un « escalier » de scamna, en biais par rapport au chemin, que par la renormation radicale du paysage à partir du 18e axe.

FIG. 7 – Mode de contact de deux parcellaires antiques dans la région du Logis‑de‑Berre et de la villa du Chemin du Loup.
3.4.3.2 Scamnation et lotissement
85André Piganiol, dans son commentaire des catégories de terres du cadastre B, avait cherché à définir, pour les terres assignées (ex tributario solo), la valeur moyenne du lot (Piganiol 1962 : 47, 56 et 137‑9). Ses observations conduisaient à retenir soit le 1/6 de la centurie, soit peut‑être le double si l’on voulait s’approcher d’une valeur type donnée par les gromatici veteres (Dilke 1971 : 184 ; Settis 1983 : 157 ; Favory 1983 : 122‑123). Il avait ainsi dressé un tableau des superficies dont les nombres donnés pour les assignations sont les multiples, tableau dans lequel on observe que ne figure d’ailleurs pas la valeur exacte de 33 1/3 jugères, qui est précisément le 1/6 de la centurie.
- 14 – La 201 ; A. Piganiol, 1962, p. 47 et 56.
86A la lumière des analyses morphologiques du paysage, la question de l’assignation et du lotissement s’éclaire d’aperçus nouveaux. La taille du lot a, me semble‑t‑il, été trop rapidement tranchée par André Piganiol, à partir du texte d’Hygin indiquant que sous le haut empire l’habitude est de diviser la centurie en 3 lots14 En fait la taille du lot a considérablement varié –de 2 jugères au ive s. av. n.è. dans certaines colonies précoces, à 140 jugères dans certaines colonies latines– selon le temps, selon le statut du territoire assigné et selon le grade du vétéran. A l’époque triumvirale, on mentionne des lots de 25 et 50 jugères, ou 35 et 60 jugères (La 214, 10 sq. ; Favory 1983 : 123 et n. 242 pour les textes indiquant la variation de la taille du lot selon le mérite et le grade). En s’en tenant aux évidences arithmétiques, puisque nous ne savons pas avec précision quelle est la taille du lot ordinaire à Orange, il faut admettre que la norme des centuries de 200 jugères peut aussi bien donner une subdivision en 1/3 et 1/6 de centurie (66 2/3 et 33 1/3 jugères) qu’en 1/4 et 1/8 (50 et 25 jugères), les deux valeurs étant attestées dans le monde romain.
87J’ai donc repris les valeurs données pour l’assignation de lots, chaque fois que le nombre était supérieur à 25 jugères et inférieur à 200, afin de rechercher l’éventualité d’une division selon telle ou telle fraction (1/6 ou 1/8) et en indiquant toutes les possibilités. Ce travail se fonde sur l’hypothèse que les surfaces indiquées pour l’assignation peuvent, assez souvent, être des multiples du lot de base : si une fréquence de subdivision apparaît de préférence à une autre, on devrait pouvoir en déduire la valeur du lot. L’ordre adopté dans le tableau suivant est celui de la publication d’André Piganiol, et les numéros des fragments savent de repère (tabl. III).

TABL. III – Tableau des superficies assignées d’après les marbres d’Orange (pour le fragment 136, selon la restitution par A. Piganiol du nombre de jugères assignées).
88La lecture de ce tableau montre assez nettement qu’on ne peut réellement trancher, à partir des seules données de l’épigraphie, entre une division de la centurie en 6 ou en 8 lots. Au contraire, le tableau laisse entendre que les deux modes de subdivision ont dû être largement présents, l’un et l’autre,dans le cadastre B (fig. 8). A ce point de l’enquête, la conclusion s’impose avec force : les évidences métrologiques tirées des marbres rejoignent les observations morphologiques pour dicter l’idée d’une modulation sensible de la scamnatio/strigatio du cadastre B, avec l’emploi de 6 ou de 8 scamna (ou strigae par centurie selon le cas. Les lots de l’assignation ont donc varié de 25 à 33 1/3 jugères (ou éventuellement le double) selon les secteurs. La division de la centurie en huit lots semblerait prédominer dans la plaine rhodanienne, là où le texte de la forma indique la massivité des distributions avec des centuries presque totalement assignées. En revanche, la situation serait plus variée dans les coteaux et les plaines intérieures du Triscastin.

FIG. 8 – Exemples de subdivisions de certaines centuries du cadastre B dans la région de Saint‑Paul, Valréas et Visan, indiquant une partition possible de la centurie en huit unités égales (relevé et interprétation).
89Le cadastre B constitue un bon exemple de scamnatio et strigatio in cenluriis, c’est‑à‑dire un réseau dans lequel les arpenteurs ont pris d’importantes précautions pour définir plusieurs niveaux de référence morphologiques. Sallus, centuriae, scamna, strigae concourent pour structurer, chacun à leur niveau, le cadre d’une intervention agraire concertée, La morphologie confirme ainsi, de façon éclatante, la part essentielle de l’assignation dans la réalisation de la pertica, ce qu’on savait déjà par la lecture des marbres. Le cadastre B apparaît donc comme un réseau de forme classique, achevée, qui n’est pas sans évoquer les grandes centuriations d’Italie du Nord ou de l’ager Campanus. Par son degré assez poussé de réalisation au sol, il ne peut être interprété comme une tentative limitée ou précoce de cadastration.
Notes
1 Travail réalisé à l’IGN, à partir d’une édition de la carte au 1/25 000 portant en surcharge la projection de la grille de la centuriation. Cet atlas est difficilement publiable en raison de son format.
2 Les fouilles de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux et de la Plaine d’Avril, dont il est question plus avant, confirment également cette restitution d’ensemble. Étudiant une centurie à Sainte‑Cécile‑les‑Vignes (domaine du Rut), Jean‑Claude Leyraud et Joël‑Claude Mettre observent que le bornage antique, dont ils ont retrouvé la trace, fixe le cadre juridique et foncier en offrant les repères au sol, tandis que la mise en œuvre de l’exploitation agraire –ici sous la forme d’un grand domaine– induit des distorsions dans la mise en œuvre matérielle du réseau (Leyraud 1989). Les contradictions entre l’observation locale sur le terrain et le cadre général de référence offrent des informations précieuses qu’il ne s’agit pas de nier : le calage d’une grille ne peut régler, une fois pour toutes, les questions que posent l’histoire et la vie d’un réseau centurié dans le détail de chaque situation.
3 Rappelons que cette mesure est obtenue pour l’ensemble du réseau assemblé. Nous disposons de grilles à l’échelle 1/25 000 où sont dessinées des centuries de 2 400 pieds de côté variant, de mètre en mètre, de 703 à 711. Ici, c’est une grille à 708 m qui donne le plus de corrélations. Le module exact‑qui est donc la valeur métrique moyenne de l’écartement entre les limites du réseau – est sans doute nuancé, avec des décimales, inférieures ou supérieures à cette valeur repère de 708 m. Mais il n’est pas utile d’aller jusque là : seule la connaissance des variations modulaires globales intéresse l’archéologue et l’historien.
4 La 349, 26‑28 ; Il s’agit d’un passage du texte, aux origines obscures, connu sous le titre de « Extraits des livres de Magon et Vegoia ». Ce texte, extrêmement précieux pour la comparaison avec la situation de Saint‑Paul, fait le lien entre le limes cadastral, les tombes et le mur. Je le cite d’après la traduction de François Favory : « De fait, dans les régions proches de la ville [ici, Rome], évoquées plus haut, où l’on a disposé régulièrement des axes cadastraux tracés par la main de l’homme, il n’a pas été nécessaire de poser des bornes si ce n’est pour une raison précise, comme par exemple pour matérialiser le point de rencontre de 3 ou 4 limites. Dans les régions mentionnées précédemment, on a édifié un mur à la manière d’une ligne. Et on trouve, près de cette ligne, les tombes de nombreux vétérans, comme c’est le cas dans le territoire de Gabii... »
5 La 271‑272 ;je cite l’intégralité de ce texte, toujours dans la traduction qu’en a faite François Favory. « Sur Les tombeaux (l’empereur Tibère César, d’après les triumvirs lulius, Marcus Antonius, et Lepidus). D’après cette loi agraire qu’il faut respecter, il convient de s’en tenir à la garantie (fides) des limites : ainsi auparavant, quand le territoire divisé était remis aux soldats, on a assigné par decumani, de sorte que les monuments et les tombeaux fussent consacrés par les limites les plus près de l’extérieur, et qui joignent les champs, ou par les voies. Car ils estiment (les triumvirs ?) qu’il faut se conformer au cadre (ratio) des terres fixé par ces axes rectilignes, où convergent les chemins fortifiés devant les colonies : si on y trouve des monuments, ils estiment qu’ils constituent des bornes. « Car le monument a été établi, dressé, pour de multiples raisons. II en est qui ont été dressés au bord de voies publiques, en témoignage de pérennité. Il ne reçoit pas [ils ne reçoivent pas ?] le système des limites [ratio finium], à moins que le territoire n’ait été divisé par accord entre des partenaires. « Il en est d’autres que tel soldat a établi dans sa demeure la plus proche [Goesius restitue ainsi : très près de sa demeure], ou que tel co‑partageant du lot [d’assignation] a dressé dans la part qui lui est revenue ; de la sorte, le monument a montré la condition de la propriété aux descendants, en guise de pièce témoin, ou aux héritiers, en guise de pièces concrètes et de documents écrits : dans ce cas également, le monument ne reçoit pas le système des limites. II en est d’autres qu’on a établis loin des habitations, conformément à la loi Sempronia et lulia, parce qu’il est indiqué qu’il a été dressé en tenant compte des kardines et des decumani : on voit qu’il reçoit le système des limites [ratio finium], c’est‑à‑dire le système des lignes se rencontrant et se coupant réciproquement, et il conserve l’ordre dans chacune des deux [catégories de] limites, permettant de distinguer le système des limites. De fait, d’autres sont bâtis dans les champs, qui [les tombeaux] conservent des segments de limites conformément à un système durable : ils sont disposés [ainsi] pour servir de mesure pour l’arpentage [modus iugerationis] : de plus, des bornes de pierre placées auprès d’eux leur confèrent un caractère distinctif incontestable ; il est clair que ces bornes ne visent ni la garantie [fides] ni le système [ratio] des limites qui concernent la mesure agraire plus grande [les axes de la centurie ?].
« On doit donc suivre la disposition de ces tombeaux qui donnent sur plusieurs assemblages de champs, dans le cas où les limites les plus à l’extérieur convergent, et qui permettent grandement de discerner durablement les lignes. Il y a aussi des monuments construits sur des voies, qui (les monuments) maintiennent la garantie publique. « Si, cependant, on découvre le même parcours de la même voie (publique : Arcerianus), nous estimons que les monuments constituent des bornes. Car tout monument apporte la preuve des noms des propriétaires, tant qu’il est admis que les droits de propriété [leur] reviennent. Et c’est pour cette raison que nous avons édicté cette loi et que nous en avons proclamé le motif pour qu’elle soit conservée dans le bronze. Edictée à Rome, aux kalendes d’avril, par Tibère César, consul, dans le temple de Vénus Genitrix ».
6 Cf. T. Odiot et al. en bibliographie.
7 La comparaison s’impose ici, avec les notices du Liber coloniarum, dont j’ai démontré le caractère pragmatique et efficace : il ne s’agit jamais, pour les rédacteurs de ces listes, de décrire la totalité des phases de l’histoire agraire d’une cité, ni de donner une information exhaustive sur la morphologie agraire et les assignations. Ces notices ne sont pas œuvres d’historiens mais d’administrateurs (Chouquer 1987 : 233‑8). II en va de même avec la forma d’Orange : ce n’est pas une carte, à l’instar de nos plans parcellaires, mais la projection d’une opération d’arpentage, qui ne saurait résumer à elle seule le paysage.
8 Je fais ici référence à des découvertes aériennes de Thierry Odiot qui a mis en évidence, dans la région au sud du Logis‑de‑Berre, un tracé de voie –vraisemblablement la voie d’Agrippa– quelque peu décalé par rapport au tracé de la voie figuré sur le marbre de la forma. La différence n’est pas facilement explicable.
9 Le cliché de 1947 a paru, ici, préférable au plan cadastral napoléonien pour plusieurs raisons : il est d’utilisation plus commode que le plan au 1/2 500, lequel oblige à des manipulations fastidieuses, et sa date (1947) garantit contre des perturbations contemporaines trop marquées (remembrements, urbanisation...) ; une comparaison attentive montre, en outre, que le cliché de 1947 fait entrer, mieux que le plan cadastral de 1810, dans les découpages anciens en révélant des limites fossiles, de partitions internes de parcelles, inconnues du plan cadastral. Dans ce cas précis, la mission de 1947 présente une qualité photographique réelle, que ne possèdent plus toutes les missions réalisées à cette période.
10 Les mesures agraires témoignent elles‑mêmes de parcelles différentes entre elles : – parcelles de forme ramassée, carrées ou rectangulaires : scripulum de 10 x 10 pieds ; clima de 60 x 60 pieds ; versus osco‑ombrien de 100 x 100 pieds ; actus quadratus de 120 x 120 pieds ; jugère de 120 x 240 pieds ; et peut‑être aussi le candetum gaulois de 150 x 150 pieds ; – parcelles de forme laniérée : actus minimus de 4 x 120 pieds ; porca bétique de 30 x 180 pieds. D’autre part les parcellaires fossiles attestent la même variation du découpage parcellaire. Ainsi dans de nombreux cadastres italiens, découpés selon le mode du trifinium ou du quadrifinium, chaque bande (large d’un tiers ou d’un quart de centurie), est couramment subdivisée en 20 parcelles d’un actus de large. Mais en Tunisie, des formes fossiles attestent l’emploi de formes différentes, associant tous les modes de découpage (Favory 1987 : 82‑85 et 119‑135).
11 Il s’agit des centuries DD XVIII VK IV, DD XVII VK III, DD XVII CK II, DD XV VK IV, DD XIV VK 11, DD XIII VK IV.
12 – Ce sont les centuries DD XVIII VK III, DD XVIII VK II, DD XVIII VK I, DD XVIII CK I, DD XVII VK II, DD XVII VK I, DD XVII CK I, DD XVI CKI, DD XIV CK I, DD XIV CK II, DD XIII VK III.
13 HYG., De mun. Cash, 1 et 15. Définition de la striga comme bande de 60 pieds de large où campent deux centuries de 80 soldats chacune ; du semistrigium comme la demi‑bande qui accueille une centurie ; du scamnum comme une bande réservée aux légats et aux tribuns des légions.
14 – La 201 ; A. Piganiol, 1962, p. 47 et 56.
Table des illustrations
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Légende | FIG. 1 – Les structures intermédiaires du paysage romain. Cette série de cartes illustre la recherche des formes agraires, leur apport à la connaissance du paysage et les limites de cette enquête ; elle a été réalisée à partir de l’interprétation du cliché IGN Orange‑Valréas 1947 no 107. 1 Interpénétration des deux orientations majeures présumées antiques. La carte montre aussi la mobilité de ces parcellaires puisque là où passe la Berre antique, dont le dessin du cours est fourni par la forma, des parcelles orientées selon le réseau B quadrillent l’ancien cours, qui ne peuvent donc être toutes antiques, mais induites par le réseau B après le déplacement du cours de la rivière. Elle montre enfin la relative destruction (ou l’inachèvement) du réseau des limites du cadastre B. La photo‑interprétation permet de fixer le cours antique de la Berre, là où la forma fait défaut, avec des raccords satisfaisants avec les tracés attestés sur le plan antique. 2 Projection des principales limites de quartier de culture, afin de tenter de dresser la carte des structures intermédiaires réelles du paysage antique. Il s’agit de tenir compte de l’imbrication de deux parcellaires, du passage des routes, du cours de la rivière : on observe ainsi que plusieurs quartiers de culture adoptent des formes particulières (trapèze, triangle) en raison de ces contacts. 3 Schématisation du plan cadastral antique. On découvre, en comparant les cartes, qu’il n’y a pas de relation exclusive entre l’assignation et le réseau B, même si les centuries où tout est assigné (EXT CO = sol exempté du tribut, 200 jugères) semblent attester principalement la présence de cette orientation. Dans certaines, l’assignation concerne des zones orientées différemment (ex. DDXV II‑VK I, DD XVII‑VK II. DD XVII‑CK I, DD XX VK II...). Cette enquête de détail montre les progrès restant à accomplir : – valider le parcellaire incliné à 13° 55’ N.‑O. et en démontrer l’ancienneté par rapport au réseau B ; – développer la prospection à basse altitude et la photo‑interprétation, ainsi que l’observation pédologique, afin de découvrir d’éventuels vestiges d’axes du réseau B, dans le but de savoir si celui‑ci a été réalisé de façon exhaustive puis effacé partiellement par des remembrements, ou bien s’il a présenté des lacunes dès son origine, pour tenir compte, par exemple, de formes antérieures indigènes et romaines. Tout, dans cette recherche, dépend de l’ampleur d’une éventuelle sédimentation qui pourrait masquer, sous plusieurs dizaines de centimètres de dépôts, des axes et des parcellaires fossiles. N.B. Le cliché de 1947 ayant servi de fond de carte pour le relevé, on ne s’étonnera pas des aberrations dues aux effets de parallaxe : les centuries ne sont pas parfaitement carrées et les angles n’ont pas rigoureusement 90° ; en revanche, je me suis fondé sur la carte topographique pour le report des axes sur le cliché. |
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Légende | TABL. I – Tableau des mesures agraires appartenant au cadastre B d’Orange dans la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux (d’après IGN Orange‑Valréas 1947, no 179). |
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Légende | TABL. II – Tableau des mesures agraires selon l’orientation 13’ 55’ N.‑O. dans la région de Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux (d’après IGN Orange‑Valréas 1947, no 179). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 45k |
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Légende | FIG. 2 – Sites et structures intermédiaires du cadastre B autour de la ville antique d’Augusta Tricastinorum (Saint‑Paul). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-4.jpg |
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Légende | FIG. 3 – Scamna et strigae du cadastre B associés à un découpage parcellaire marqueté (à Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux) ou laniéré (entre Pierrelatte et La Garde‑Adhémar). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-5.jpg |
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Légende | FIG. 4 – Projection cumulée des subdivisions de 22 centuries du cadastre B entre Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre et présentant les traces d’un découpage parcellaire lanière. La sélection de certaines traces du relevé permet de reconstituer un découpage per trifinia avec 3 scamna par centurie et 20 parcelles de 1 x 6 2/3 actus par scamnum. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 13k |
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Légende | FIG. 5 – Projection cumulée des subdivisions présentant les traces d’une partition en parcelles trapues : a en haut, 6 centuries situées entre Pierrelatte et La Garde‑Adhémar ; b en bas, centuries situées autour de Saint‑Paul. |
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Légende | FIG. 6 – Restitution de la scamnation‑strigation du cadastre B dans la région de Pierrelatte et Le Logis‑de‑Berre. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-8.jpg |
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Légende | FIG. 7 – Mode de contact de deux parcellaires antiques dans la région du Logis‑de‑Berre et de la villa du Chemin du Loup. |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-9.jpg |
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Légende | TABL. III – Tableau des superficies assignées d’après les marbres d’Orange (pour le fragment 136, selon la restitution par A. Piganiol du nombre de jugères assignées). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-10.jpg |
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Légende | FIG. 8 – Exemples de subdivisions de certaines centuries du cadastre B dans la région de Saint‑Paul, Valréas et Visan, indiquant une partition possible de la centurie en huit unités égales (relevé et interprétation). |
URL | http://books.openedition.org/editionsmsh/docannexe/image/39303/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 31k |
© Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994