Hommage à Jean Benoit (1949‑1988)
p. 10‑26
Texte intégral

1Cet ouvrage est dédié à la mémoire de Jean Benoit. Il paraît six années après sa mort, survenue le 27 juillet 1988. Le délai peut sembler long ; il est dû à la volonté que l’ouvrage offert portât sur un thème ou sur des thèmes qui fussent familiers à Jean.
2Établir la biographie de Jean Benoit est une gageure, car sa vie n’a pas observé une trajectoire classique. En outre, depuis qu’en entrant au CNRS il avait trouvé un poste correspondant à ses vœux et accepté l’idée de la stabilité, il ne parlait guère de ses expériences passées sinon à l’occasion d’une anecdote : c’était le temps d’avant l’archéologie, celui durant lequel il disait avoir « fait des bricoles » sur lesquelles il donnait rarement de précision. Seules, ses deux années laotiennes faisaient l’objet d’allusions, voire de quelques récits.
3Jean Benoit naquit le 8 septembre 1949 à Alès, dernier de quatre enfants (le « cure‑nid », comme on dit là‑bas). Lors de sa sixième année, la famille partit pour Nîmes où il fit ses études primaires et secondaires, ces dernières au lycée Alphonse Daudet où il demeura jusqu’au bac littéraire obtenu en 1968. Parmi les anecdotes que m’ont contées ses parents ou ses sœurs, j’en retiens deux : la passion du gamin de 6‑8 ans pour les fossiles qu’il découvrait pendant ses vacances dans un coin de Lozère, une virée familiale en Espagne lorsqu’il avait seize ans qui les mena notamment à Ampurias dont les fouilles l’impressionnèrent. Eût‑il choisi un autre métier, les anecdotes eussent été différentes, mais celles‑ci symbolisent bien les goûts de Jean attiré à la fois par les sciences de la terre et par les vestiges du passé.
4A l’automne 1968, Jean s’inscrivit à la faculté des lettres de Montpellier (devenue peu après l’université Paul‑Valéry, Montpellier III) et y engagea des études qui devaient le mener à la licence et à la maîtrise d’enseignement de géographie. En licence, il choisit la spécialité géographie rurale. Son mémoire de maîtrise portait sur « La transformation des activités traditionnelles en activités extra‑agricoles dans la région de Salagou » (au nord de Montpellier) ; une place importante y était faite à l’étude du marché foncier. Le certificat C2 s’intitulait : « Réformes agraires et mutations rurales ». Si elle était absente de ces études, l’archéologie avait cependant fait à Jean ses premières avances : il se lia avec l’un de ses condisciples de l’université, Rémy Marichal, qui se destinait à devenir archéologue et l’accompagna sur plusieurs chantiers.
5A 23 ans, Jean se porte candidat à un service de coopération. Il est nommé professeur au lycée de Luang‑Prabang (Laos) et y enseigne deux années pleines jusqu’en septembre 1974 (les derniers mois à titre civil). Il y « professe » (un terme qui ne s’adapte guère à lui !) la géographie, le français, l’histoire, etc. Ceux qui, comme moi, l’ont entendu faire sortir de son gosier et de son palais languedociens des sons extraordinaires, presque aériens (j’exagère : la nasalité ne perdait pas entièrement ses droits), soupçonnaient l’influence de quelque(s) frêle(s) créature(s). Contrairement à bien d’autres, le jeune professeur ne se contente pas de découvrir une vie sociale que la guerre a modifiée mais qui demeure éberluante, de faire des voyages et de commenter les problèmes. Il prend des contacts avec des ethnologues, des économistes, les membres de missions étrangères, et se trouve embarqué dans un « grand projet » américano‑laotien qui consiste à irriguer un vaste périmètre dans le nord du pays. Joue‑t‑il le rôle de l’observateur (comme il disait), ou ses compétences sur les milieux ruraux sont‑elles mises à profit ? Toujours est‑il qu’il participe aux enquêtes destinées à étudier les conditions et le niveau de vie des deux ethnies concernées, et à réfléchir sur la manière dont elles s’adapteraient à la modification de leur milieu. Deux années passionnantes, surtout les derniers mois.
6Coup d’arrêt. Retour en France à l’automne 1974. Quelque temps de décompression, de réadaptation ‑ comment oublier ce et ceux qu’on a laissés ? On se trouve d’excellentes raisons pour ne pas se réinscrire à l’université, par exemple afin de préparer le CAPES ou l’agrégation : autant enseigner, c’était chouette au Laos, autant, non, vraiment ça n’est pas possible en France, surtout pour être expédié dans les Ardennes ou dans une banlieue de Tourcoing. En outre, Jean n’est pas doué pour la rhétorique, les dissertations et les longs exposés. Combien de fois n’a‑t‑il pas secoué la tête en feuilletant l’article que tel collègue venait de publier en s’exclamant (je saute les premiers mots) « [...] moi, je n’en aurais même pas sorti deux pages ! Hé, hé, le bougre ! ... ». Il soupçonnait, chez l’auteur, soit d’obscurs déséquilibres (pas normal d’écrire autant sur le sujet), soit le secret désir de tromper le monde. Voilà, évidemment, qui ne prédispose guère aux concours. Conclusion : dix mois de chômage, mais aussi un stage de photo‑interprétation à Paris qui devait peser lourd.
7Attestation : « L’ingénieur du Génie rural des Eaux et Forêts, soussigné, chargé de l’échelon de l’inventaire forestier national –Ministère de l’Agriculture– à Caen, certifie que Monsieur Benoit Jean a travaillé dans mon service en qualité d’agent contractuel, au poste de photo‑interprète, du 16 juillet 1975, date de son embauche, au 30 novembre 1976, date de sa démission ».
8Ce document est intéressant à deux titres : d’abord, il montre que Jean se faisait une idée claire du travail qu’il voulait désormais accomplir, du métier qui l’attirait. Pour qu’il se rende à Caen, il faut que ce job corresponde à ses vœux : photo‑interprète. Il s’agit de participer à l’élaboration de la carte forestière de la France au 1/25 000. Le centre de Caen est chargé du Nord.
9Nous n’avons que peu parlé ensemble de ce séjour normand. Jean me dit cependant, un jour, qu’il avait eu la chance de trouver un travail équivalent dans le Midi et que, donc, il avait quitté Caen pour retrouver ses terres natales. Faux : il a démissionné et, de retour à Nîmes, il s’est inscrit au chômage de décembre 1976 à août 1977.
10Cet avatar ne m’étonne pas. Je me rappelle l’espèce de surprise mi‑amusée mi‑apitoyée qu’il manifesta en apprenant que j’étais en grande partie breton. Et surtout le jour où je le présentai à un collègue écossais : il partit de son espèce de rire atténué qui lui sortait autant des yeux que de la bouche (intermédiaire entre hi‑hi‑hi et hé‑hé‑hé), secoua la main du collègue avec énergie en lui tapant affectueusement l’épaule de l’autre main. Qu’on ait pu naître là‑bas lui inspirait une sorte d’émerveillement (comme les enfants en éprouvent au zoo), mais qu’on y vive de par un choix délibéré, cela donnait de l’univers et des hommes une image drolatique, non rationnelle. Ce genre de réaction m’a beaucoup appris sur certains passages de Poséïdonios ou de Diodore de Sicile commentant les genres de vie dans les terres du Nord !
11Donc, nouveau retour au bercail avec, juste, une pointe de regret pour le calvados (sans majuscule). Neuf mois d’inactivité professionnelle. C’est alors que Jean se met à fréquenter assidûment quelques archéologues (jadis entrevus) comme André Nickels, à visiter des chantiers, à discuter photo‑interprétation. Il se lance dans l’étude des structures agraires antiques (j’emploie l’expression à dessein, de préférence au mot « cadastres »), particulièrement celles de l’Hérault. Il participe même à une formation de troisième cycle de l’Université de Montpellier. Il revoit Max Guy, qu’il avait précédemment rencontré. Il offre ses services de fouillent bénévole. Le « déclic » se produit. Jean ne se dit sûrement pas qu’il avait trouvé sa voie (l’emphase n’imprégnait pas son style) mais se convainquit qu’il pouvait apporter quelque chose. Problème : quelle institution pouvait lui offrir l’emploi correspondant –au moins, quelque chose d’approchant ?– Réponse : aucune.
12En dépit de certaines scènes durant lesquelles il se décrivait accablé par toutes les misères du monde, Jean ne s’apitoyait pas sur lui‑même. Il croyait plutôt à une fatalité qui rendait vains la plupart des efforts déployés par les humains. Surtout, précisait‑il, dans son cas personnel, vu la pauvreté des dons que la nature lui avait octroyés : une intelligence moyenne (pour un homme), la fatigue qui le gagnait peu après le petit déjeuner, mais qui n’empêchait pas une excessive émotivité. Les rires que déclenchaient ces faux aveux provoquaient une colère, également fausse, la simulation se trahissant au plissement des yeux et à un léger tremblement de la bouche. La conclusion ne variait guère : on devait réconforter la victime de l’incompréhension universelle en lui « remettant » le pastaga ‑ ou l’équivalent.
13Pourquoi ce développement ? Pour faire comprendre que, lorsque Jean, avec concision et sans hyperbole, utilisait quelques expressions du genre « oh, là j’ai galéré », il fallait le prendre au sérieux. Elles revenaient régulièrement lorsqu’il évoquait les années 77‑81, celles de la trentaine approchant puis atteinte. La « galère », ce fut la succession contrats‑chômage, avec cette fois pas mal de désespérance.
14Août 1977 : une société d’études d’aménagement du territoire l’engage pour participer à l’inventaire forestier de la province marocaine de Taza et à l’établissement des cartes au 1/20 000. Sept mois. Curieusement, l’un des souvenirs les plus forts qu’il faisait revivre tenait à l’enseignement de la photo‑interprétation qu’il avait délivré aux forestiers pour en faire des techniciens. Jean, pédagogue sans vouloir l’admettre ? Bien sûr : nombre de mes anciens étudiants vous le diraient.
15Six mois de chômage, puis un nouveau contrat, de la part d’une société grenobloise : cette fois, il s’agit de l’Algérie. Jean est chargé de la photo‑interprétation des Wilayas de Blida, Médéa, Bouira et Alger, afin d’élaborer une carte d’occupation du sol à dominante forestière (au 1/50 000), puis d’en tirer une synthèse au 1/200 000 qui délimitera les zones homogènes et permettra aux autorités d’engager une politique d’affectation des terres. Travail intéressant qui accroît la familiarité de Jean avec les paysages d’Afrique du Nord. Inutile de préciser que son œil ne laissa pas échapper les traces antiques. Le contrat se termine au début de février 1979. Revient le temps des ASSEDIC –jusqu’à la fin de l’année–. Reprise de travaux en collaboration avec des archéologues languedociens, particulièrement sur Agde et sur Nîmes. Le cœur, certains jours, n’y est pas.
16Début 1980, faute de pouvoir lui offrir mieux, son « frangin » André Nickels et Guy Barruol, le premier conservateur et le second directeur des Antiquités historiques du Languedoc‑Roussillon, lui obtiennent six mois de vacations de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales. Jean est affecté à la direction et « employé à la rédaction des fiches de l’inventaire archéologique informatisé de la région ». Tâche qu’il exécute avec conscience, même si l’évocation dudit inventaire archéologique informatisé le secouait, encore plusieurs années plus tard, d’énormes fous rires, tant les méthodes édictées par « les Parisiens » lui semblaient réunir les composantes du cocasse : on payait plein de gens pour remplir des fiches qui ne pourraient jamais être exploitées ou qui, si elles l’étaient (par miracle), ne produiraient que des résultats sans signification et sans utilité. Tout en renforçant son intime conviction que le monde était gouverné par « des types » dont on ne pouvait percer ni prévoir les desseins et les comportements, mais avec lesquels « il fallait faire », l’expérience l’encouragea au pragmatisme. Un bien pouvant sortir d’un mal si on est assez « malin » pour trouver une combine, la confection de fiches inappropriées ne constituait que l’étape ultime et ennuyeuse de tout un travail de recherche qui, lui, était utile, voire passionnant. En outre, ces vacations ne constituaient pas un plein emploi : les inconvénients financiers trouvaient quelque contrepartie dans une certaine liberté, utilisée à d’autres études.
17De nouveau, six mois de chômage, mal vécus. Le musée d’Ensérune ayant été rattaché à la Direction des antiquités historiques, Barruol et Nickels –une nouvelle fois faute de mieux– lui proposent le poste de gardien. Jean prend ses fonctions le 1er janvier 1981 et s’installe dans un petit logement sur l’oppidum (ma « case‑double » disait‑il). Drôle de vie. Des responsabilités limitées. Les flux de visiteurs printaniers et estivaux font paraître les jours d’automne et d’hiver les plus longs de l’année, et l’on espère, sans y croire, en l’arrivée inopinée de collègues ou d’amis. Organiser un stage ou une visite collective, c’est une bénédiction. Un jour où, après avoir suivi Jean sur le site qu’il avait appris à connaître pierre à pierre, je lui posais la question classique –avait‑il une vague idée du nombre d’habitants ?–, il me répondit : « oui : entre 6 heures du soir et 9 heures du matin, un ». Plus tard, il avoua que certaines nuits, il s’était demandé si, à force de solitude, il n’allait pas » devenir dingue, enfin, encore plus, complètement » et qu’il lui arrivait de se mettre à hurler, seul, en haut de l’oppidum. Pourtant, beaucoup l’ont entendu déclarer que, pour un sauvage comme lui, c’était l’existence rêvée ; il avait appris à reconnaître le cri des oiseaux et des rapaces, à identifier des plantes rares, le boulot était pépère, on ne venait pas le déranger pour des bêtises, il avait le temps de réfléchir et (ou) de travailler. Tu parles !
18Pour la suite, adoptons le genre du conte. Une fée (plus ou moins amoureuse du jeune homme qui gardait le haut‑lieu d’Ensérune ?) apporta (sous quels traits ?) une nouvelle sensationnelle. A Aix‑en‑Provence, un poste CNRS de photo‑interprète venait de se libérer au Centre Camille‑Jullian. C’était l’occasion inespérée, le coup de chance fabuleux. Le beau jeune homme, qui était assis sur un mur, la toisa un quart de seconde d’un œil noir et la pria en termes expéditifs de le laisser travailler – enfin, réfléchir – et de ne pas lui gâter la digestion. La fée insistant, il se leva en soupirant et rentra chez lui en claquant la porte. La pauvre en fut toute malheureuse, mais n’en continua pas moins à rôder sur l’oppidum. Au bout d’une semaine, le jeune homme s’approcha d’elle en bougonnant et, sans la saluer, lui jeta à la face : « Et pourquoi ils me prendraient moi ? Ils sont fous, ces types ? ». La fée énuméra avec volubilité les qualités qui le recommandaient. Il s’éloigna en secouant la tête. Trois jours plus tard, la croisant par hasard, il l’interpella en lui demandant si elle imaginait la quantité de papiers qu’il allait devoir remplir, et si cela l’amusait vraiment de lui imposer une telle corvée pour rien. La fée, qui avait perdu de son tonus, balbutia que non. Alors, le jeune homme grommela que, si ça lui disait, il l’invitait à boire quelque chose et qu’ensuite elle pourrait, d’un coup d’aile, porter l’enveloppe à Aix ‑ ça irait plus vite que par la poste.
19Jean Benoit fut engagé comme agent contractuel du CNRS à compter du 18 octobre 1982 ; il devait être nommé ingénieur d’études titulaire le 1er janvier 1984. Bien qu’ayant fréquenté l’université d’Aix à l’occasion de séminaires –il y avait présenté ses travaux sur Nîmes–, bien qu’il connût certains de ses nouveaux collègues, sa prise de fonctions et les semaines qui suivirent lui inspirèrent plus d’inquiétude que d’exaltation. Inquiétude : en fait, c’était plutôt l’ensemble des réactions instinctives que ni vous ni moi ne connaissons mais qui –si j’ai bien compris– accompagnent tout apprivoisement (faut‑il aller jusqu’à dire domestication ?). Jean avait l’impression que les situations et les gens lui tendaient des pièges qu’il cherchait à débusquer et à éviter. On le guettait. Il se demandait ce que l’on attendait de lui, ne pouvant concevoir qu’on le payât seulement pour les missions qui lui avaient été fixées : s’occuper des collections de photos aériennes prises par les Alliés lors de la seconde guerre mondiale, les classer selon les missions et les pays, faire des cartes d’assemblage, veiller à dupliquer celles que le temps mettait en danger. Il y avait du louche là‑dessous : « les types » (de Paris ou d’Aix ?) ne pouvaient se contenter d’une aussi modeste contribution. Quel était le fin mot de l’histoire ?
20Autant nous avions auparavant parlé avec liberté, autant les deux ou trois premières soirées qu’il passa à la maison furent étranges. Cette fois, j’étais à ses yeux un membre de l’establishment aixois, l’un des « types ». A mes interrogations (ça se passait bien ? Un tel était sympa ? Que pensait‑il de tel autre ? etc.), les réponses étaient soit élogieuses (avec l’embarras qui trahissait le manque de naturel) soit évasives. Tout juste s’il manifesta un soir (tard) la joyeuse incrédulité que lui inspirait –par rapport au privé– le rythme de travail d’un laboratoire d’archéologie du CNRS.
21Mais l’apprivoisement se fit. Jean comprit que les marges de liberté que lui offrait le système constituaient autant d’appels à initiative. Ayant accepté de venir faire des topos aux étudiants (cartographie, photo aérienne, méthodes d’interprétation, ce qu’on peut en tirer...), il se trouva vite partie prenante dans des maîtrises, des thèses ou des publications. Les archéologues de la région vinrent s’ajouter aux Languedociens pour lui demander de se pencher sur tel de leurs problèmes. Lui‑même se déplaça sur des chantiers ou pour des stages ou pour se rendre à l’IGN (oui, à Paris l) et à l’étranger. Il vola de plus en plus – non sans se soucier du temps et de l’état de santé du pilote Avec Max Guy, il se pencha sur l’utilisation des photos du satellite SPOT, persuadé que la télédétection ouvrait des voies nouvelles. Là où il est passé, ont fleuri les récits de soirées épiques qui voyaient souvent se produire des miracles : ainsi, les jeux de cartes comportaient parfois plus de quatre as, ou bien, l’un de ceux‑ci avait disparu en cours de partie. Jean soupçonnait l’Etat, qui garantit le contenu des paquets, d’avoir failli à sa tâche – hé, hé, hé !
22Si secret et pudique qu’il ait été, je pense que Jean ne m’en aurait pas voulu de rappeler que le valet se fit prendre par une dame de cœur. Ses amis suivirent, d’abord avec incrédulité puis avec tendresse, les épisodes d’un roman que vint couronner en mai 1987 son mariage sur fond de mer radieuse et d’un Vésuve étincelant, où l’on vit, au bras de Raffaella, un Jean en costume blanc, évoluant avec aisance au milieu de la grande bourgeoisie et des universitaires de Naples et de Rome, puis, revenant vers ses copains, la gorge nouée, se servant de gestes plutôt que de sa gouaille pour exprimer qu’il n’était pas responsable de ces événements inouïs. Nous pensions aux années écoulées et nous nous disions qu’il existait sans doute une providence pour les écureuils.
23Jean mourut quatorze mois plus tard, au retour d’un vol. Dans le cadre d’un programme que dirigeait son épouse, Raffaella Pierobon, chargée de la reprise des fouilles de Javols, il avait entrepris une couverture aérienne de la région. Il avait 38 ans.
24Par force, la bibliographie de Jean ne comprend pas beaucoup de titres :
Bibliographie de J. Benoit
25Benoit 1978 : BENOIT (J.). — Cadastrations antiques dans la région d’Agde, France. Photo‑interprétation, 1, 1978.
26Benoit 1981 : BENOIT (J.). — Nîmes : études sur l’urbanisme antique : problèmes de méthode et résultats. Bulletin de l’École antique de Nîmes, n.s., 16, 1981, p. 69‑90.
27Benoit 1984 : BENOIT (J.). — L’Oppidum d’Ambrussum : photographie aérienne et équidensités colorées. Revue archéologique de Narbonnaise, 17, 1984, p. 311‑321.
28Benoit 1985 : BENOIT (J.). — L’Etude des cadastres antiques : à propos d’Olbia de Provence. Documents d’Archéologie méridionale, 8, 1985, p. 25‑48.
29Benoit 1985 : BENOIT (J.). — Les Cadastres antiques. Le courrier archéologique du Languedoc‑Roussillon, 23, 1985, p. 1‑12.
30Benoit 1985 : BENOIT (J.). — Les Bombardements de 1944 sur Nîmes (France). Photo‑interprétation, 1985, p. 19‑37.
31Benoit, Salviat 1985 : BENOIT (J.), SALVIAT (F.). — Le Cadastre B d’Orange, la route antique au sud de Montélimar, le problème de Dourion et le cours inférieur de la Berre. Revue archéologique de Narbonnaise, 18, 1985, p. 277‑287.
32Benoit 1986 : BENOIT (J.). — La Cascade travertineuse de Ban Khouang Si (Laos). In : Travertins et évolutions des paysages holocènes : actes de la table ronde, Aix‑en‑Provence, nov. 1985. S.l. : Revue Méditerranée, 1986, p. 126‑128.
33Benoit, Bel 1986 : BENOIT (J.), BEL (V.). — Les Limites du cadastre B d’Orange. Étude sur les régions de Montélimar et Saint‑Paul‑Trois‑Châteaux. Revue archéologique de Narbonnaise, 19, 1986, p. 79‑99.
34D’autre part, il avait terminé ou s’apprêtait à terminer plusieurs articles ou notices. Certains paraîtront sous peu :
(avec J.‑L. Fiches, M. Gazenbeek) : Recherches le long de l’aqueduc de Nîmes dans la basse vallée de l’Alzon (Gard) (cf. infra article 10).
(avec A.‑G. Magdinier, P. Thollard) : Orange (Vaucluse), rue Caristie, fouilles 1988.
(avec R. Pierobon‑Benoit, G. Ragone) : Il territorio a nord di Lasos. Ricognizioni 1988.
35A d’autres études en revanche, il n’avait pas mis la dernière main. Nous avons cependant pensé qu’il était utile d’en proposer trois, significatives de sa méthode et de ses résultats. Il s’agit, dans deux cas sur trois, de documents graphiques. Ces études sont présentées par les collègues qui ont eu recours aux services de Jean ou qui collaboraient avec lui.
Plan cadastral de Béziers
36(présenté par Christian Olive et Daniela Ugolini)
37Fig. 1
38A la fin des années 70, Jean Benoit s’était intéressé au problème des cadastres antiques de Béziers. La première étape de sa recherche fut la réalisation d’un plan de la ville comportant toutes les limites parcellaires connues. Avec la rigueur et la précision qui lui étaient coutumières, Jean Benoit travailla pendant plus d’un an sur des fonds cadastraux à des échelles différentes et termina enfin ce plan de Béziers au 1/5 500 (fig. 1), le seul existant à l’heure actuelle qui soit réellement exploitable par un archéologue. Lorsque nous commençâmes à travailler sur cette ville, il nous le céda très généreusement. Depuis lors, ce document constitue pour nous un instrument de travail irremplaçable. Nous regrettons seulement que le temps ne lui ait pas été donné d’engager pour Béziers une étude analogue à celle qu’il a faite sur Nîmes.

FIG. 1 – Béziers : plan cadastral.
39En cette occasion, nous tenons à rendre hommage à l’ami disparu pour sa générosité et au topographe‑photo‑interprète pour sa rigueur scientifique.
Travaux sur les centuriations de Tunisie
40(présentés par Pol Trousset)
41Fig. 2 à 7
42Les recherches de photo‑interprétation entreprises par Jean Benoit sur les cadastres antiques l’avaient conduit à s’intéresser personnellement aux centuriations romaines de Tunisie. Ce qui est présenté ci‑après aura pour souci de ne pas trahir les intentions de celui au travail et à la mémoire duquel nous avons tenu simplement à rendre hommage : ce n’était que la toute première ébauche –les premières gammes en quelque sorte– d’un travail qui aurait pu ouvrir, néanmoins, un thème d’investigation des plus prometteurs. En effet, Jean Benoit avait apporté son concours très actif au programme de recherche associant son laboratoire et notre équipe de recherche pour l’application du traitement des images satellitaires SPOT à l’archéologie, en l’occurrence à l’étude des cadastres antiques. A cette fin, il avait, dès 1984, engagé en collaboration avec Max Guy, les contacts préliminaires avec les représentants de (l’Aérospatiale. Parmi les échantillons retenus pour tester la validité des nouvelles techniques de la télédétection dans un champ de recherche particulier où Jean Benoit était un des spécialistes les plus confirmés, figuraient deux exemples empruntés aux centuriations de Tunisie.
43Le premier était celui de la région d’Haïdra, dont l’étude offrait d’autant plus d’intérêt qu’elle pouvait être mise en relation avec des textes, la centuriation de la Colonia Flavia Augusta Emerita Ammaedara étant citée par Hygin (Blume et al. 1848 : 180), comme une opération exemplaire conduite selon les règles de l’art par les arpenteurs militaires sous le règne de Vespasien. Or, ce même centre où se trouvait auparavant l’emplacement présumé du quartier général de la troisième Légion Auguste, avait été à l’origine d’une autre opération d’arpentage de plus grande ampleur, effectuée au lendemain de la guerre de Tacfarinas, et dont les bornes datées de 29‑30 ap. J.‑C. ont été retrouvées dans le Sud tunisien. On se trouvait là devant un problème classique de superposition de cadastres, qu’il avait su déjà traiter ailleurs avec beaucoup de prudence. Le but de l’enquête était de savoir si l’une et l’autre de ces deux centuriations avaient pu laisser des traces inscrites dans le paysage actuel. Jean Benoit avait procédé à un premier examen de la couverture aérienne dans la région comprise entre Haïdra, Thala et le Jebel bou el Hanèche, où devait se trouver le locus gromae de la centuriation du règne de Tibère. Quelques points remarquables où pouvaient se trouver des postes militaires ont été signalés par Jean Benoit, mais son impression générale était que la nature du sol devait être assez peu propice à la conservation des traces de centuriation.
44Dans le second cas au contraire, on avait affaire, à l’est d’El Jem, à un échantillon de paysage de centuriation remarquablement conservé à la faveur d’un faisceau de conditions pédologiques et historiques particulières. Aussi, les clichés verticaux les plus représentatifs de ce secteur (mission IGN, Tunisie : Chourbane, El Djem, Chebba, 1948‑1949) étaient‑ils devenus des classiques de la photo‑interprétation, depuis que C. Saumagne eût attiré sur eux l’attention, suivi de J. Bradford, de R. Chevallier et en dernier lieu, de G. Chouquer et de F. Favory.
45Ces mêmes images semblaient avoir exercé une véritable fascination sur Jean Benoit qui avait commencé patiemment, à ses moments perdus, à en entreprendre l’étude systématique. II s’agissait de fait, d’un des très rares cas privilégiés où l’analyse morphologique n’avait pas à s’exercer sur un réseau de traces de survivance complexe dans la voirie ou le parcellaire actuels. Bien au contraire, on pouvait travailler directement sur le tissu parcellaire antique lui‑même, lequel avait été fossilisé dans le paysage actuel de la Basse Steppe et était visible sur les clichés aériens –et même au sol– avec la plus grande netteté, la présence sous‑jacente d’une croûte calcaire ayant fait office, en quelque sorte, de révélateur. En effet, les limites de centuries et leurs subdivisions internes Jusqu’au niveau de l’unité agraire de base du champ lui‑même, étaient parfaitement identifiables, matérialisées qu’elles étaient sous la forme de rebuts linéaires d’épierrement issus de cette croûte et respectés jusqu’à nos jours par un mode de gestion extensive du sol. Dans ces conditions privilégiées, les résultats à espérer d’un examen exhaustif portant sur un ensemble homogène de plusieurs dizaines de centuries dans la zone la mieux conservée du cadastre centre‑est de la Tunisie, étaient assurément de la première importance pour une connaissance approfondie de la centuriation romaine. A tout le moins, une telle enquête, menée par un spécialiste avec les moyens parfaitement maîtrisés de la photo‑interprétation classique, était‑elle le meilleur des préalables possibles en vue de tester, sur un banc d’essai lui‑même optimal, les nouveaux outils d’investigation offerts par le traitement des images satellitaires. Une reconnaissance sur le terrain à laquelle Jean Benoit était désireux d’apporter personnellement son concours était envisagée comme le prolongement naturel de cette enquête.
46La première tâche que Jean Benoit avait réussi à mener à bien en y apportant beaucoup de soin, était l’assemblage des clichés d’une partie de la couverture aérienne IGN 1948‑1949, correspondant à la zone la mieux conservée de la centuriation du groupe centre‑est de Tunisie (fig. 2). II avait, grâce à une échelle métrique très précise, établi un système de conversion qui lui permettait de mesurer directement sur les clichés les dimensions des parcelles en actus et en dizaines de pieds romains.

FIG. 2 – La centuriation romaine à l’est d’El Jem (mission IGN Tunisie, 1948‑49 Chourbane – El Djem – Chebba) ; assemblage de J. Benoit, CCJ – CNRS.
47L’ensemble concerné couvrait une surface de 8 x 15 km environ ; il se situait à l’est‑sud‑est d’El Jem, entre Rougga‑Bararus et La Chebba, au sud de la piste allant d’El Jem à Melloulèche par le puits de Zelba et les ruines de l’Henchir ben Hassine. La partie la plus représentative reproduite ici et où se trouve l’échantillon classique, maintes fois cité, de « paysage de centuriation », s’étend entre le carrefour de pistes de l’Henchir Sidi Emmbarek à l’ouest et les plantations d’Henchir ben Hassien à l’est, dont l’organisation rayonnante a oblitéré les traces de l’orientation, ailleurs souveraine, de la centuriation romaine. Au sud du secteur, au‑delà de l’Henchir el Hesan, s’observe le contact entre le groupe centre‑est à la limite duquel nous nous trouvons et un système d’orientation différente.
48A partir de cet assemblage, Jean Benoit avait reporté sur un grand calque les résultats de son travail de restitution de l’ensemble centurié, puis il avait commencé à entreprendre une analyse approfondie –centurie par centurie– du parcellaire interne (fig. 3). Sur 80 centuries visibles, une cinquantaine pouvaient faire l’objet d’une telle analyse et elles avaient été répertoriées par bandes selon un système à double coordonnées. Pour éviter les embûches d’une extrapolation excessive, Jean Benoit s’était imposé le scrupule de faire la distinction entre les traces réelles et les éléments virtuels, dérivés de la centuriation : les premières correspondaient à des pierriers encore visibles sur les clichés, les seconds à des limites de champs ou à des chemins actuels restés dans l’orientation du maillage antique et restituables à ce titre.

FIG. 3 – La centuriation romaine à l’est d’El Jem (mission IGN Tunisie, 1948‑49 Chourbane – El Djem – Chebba) ; photo‑interprétation par J. Benoit.
49Au cours de conversations qu’il avait volontiers sur ce travail et dans les notes très succinctes, mais d’une grande clarté, où il avait consigné les premiers résultats de sa recherche, les principaux problèmes qui retenaient son intérêt et qu’il entendait pouvoir explorer à loisir étaient les suivants.
501 – L’étude de la ligne de contact entre cette centuriation régionale et une zone –dite de subcessives– plus au sud où le découpage du sol semblait obéir à des normes différentes : Jean Benoit avait remarqué sur son plan de restitution, qu’une sorte d’enclave d’orientation étrangère à celle de la centuriation pénétrait celle‑ci au sud‑est et semblait s’organiser autour d’un axe nord‑ouest/sud‑est (à la manière d’une scamnation – strigation ?). Aucune trace de la centuriation centre‑est n’était visible en surimpression dans ce secteur. S’agissait‑il d’un lotissement ou d’un domaine dont le territoire aurait été « réservé » lors de la mise en place de la centuriation attribuée généralement à l’époque augustéenne ? Le problème morphologique se doublait d’un problème de chronologie difficile à résoudre sans une enquête sur le terrain.
512 – Le dénombrement des pieds d’oliviers dont les « fantômes », comme l’avait déjà souligné C. Saumagne, étaient encore perceptibles sur les clichés aériens : les comptages minutieux effectués par Jean Benoit tendaient à confirmer les moyennes obtenues autrefois par Saumagne et ces chiffres : 40 arbres par ha, sont du plus haut intérêt pour l’histoire économique de l’Afrique ancienne. A raison d’un arbre pour 250 m2 (soit 4 pour un actus carré ; 10 pour un jugère ; 45‑50 pour un lot de deux heredia jointifs ; 2 000 pour une centurie entièrement cultivée en oliviers, ce qui est tout à fait théorique), l’espacement entre les pieds serait en moyenne de 15,80 m. On aboutit au constat d’une agriculture qui s’apparentait davantage au type traditionnel sahélien où les arbres sont serrés (15 à 18 m), qu’au dry farming sfaxien actuel où l’espacement entre les arbres est de 24 m en tous sens (chacun disposant d’une surface de 576 m2). Le problème est que la méthode sahélienne comporte normalement un système d’irrigation par impluvium (meska), déjà connu dans l’Antiquité en Tripolitaine, mais qui n’était pas praticable ici, dans cette contrée très plane du Byzacium.
523 – L’analyse du plan de découpage du parcellaire à l’intérieur des centuries : Jean Benoit avait commencé une réflexion approfondie sur les procédures de division modulaire et le morcellement des « structures intermédiaires » ; son effort avait porté sur une dizaine de centuries des bandes 10 et 11 (au nord‑est de l’Henchir el Hesan, près de la limite sud de la zone centuriée), ainsi que sur un groupe de 5 centuries situées plus au nord, entre l’Henchir Sidi Emmbarek et l’Henchir ben Hassine (bandes 8 et 9 = Ant. Afr. 11, 1977, p. 183). Sur un calque, les unités repérables avaient été identifiées –quand cela était possible– en référence au module de l’actus. A l’uniformité du cadre rigide des centuries dont les limites plus larges se reconnaissent aisément dans le paysage actuel, s’oppose la grande diversité, de l’une à l’autre, de leur organisation interne.
53D’une manière tout à fait théorique, étant donné que le cadre de la centurie est un carré de 710 m de côté et que la parcelle canonique correspondant à l’unité agraire de base, le Jugère, est un rectangle de 35,5 x 71 m, les jugères étant eux‑mêmes ordinairement regroupés par paires (heredium) ou par quatre (dans le sens de la longueur ou de la largeur), on se trouvait devant un problème classique de pavage comportant un nombre presque illimité de combinaisons possibles. Ceci devrait suffire à justifier la très grande diversité des dispositions réellement constatées. A quoi s’ajoutait la nécessaire prise en compte des remaniements successifs (par morcellement ou regroupement des parcelles) survenus durant la longue histoire du paysage agraire concerné et qui aurait pu rendre illusoire la recherche du plan de découpage originel de la centurie.
54En fait, une telle démarche était pourtant légitime –à condition d’être conduite comme le voulait Jean Benoit, avec une extrême exigence de rigueur– dans la mesure même où des textes des Gromatici, cités par G. Chouquer, et F. Favory faisaient bien état de l’existence de normes dans la subdivision des centuries et que ces normes semblaient, dans quelques exemples de choix, devoir se reconnaître sur le terrain (Favory 1983 :129‑134).
55Reprenant à son tour les échantillons classiques de la centuriation centre‑est, dont une élaboration poussée avait été proposée par Chouquer (Favory 1983 : 133 ; Chouquer‑Favory 1983 : 30), Jean Benoit avait jeté les fondements d’une analyse nouvelle sur l’organisation parcellaire à partir de deux exemples de centuries.
Centurie J8
56Favory 1983 : 133, fig. 30, no 3. Jean Benoit avait amélioré sensiblement après réexamen des couples IGN la lecture proposée dans Ant. Afr. 11, 1977, p. 184. Il ne dénombrait pas moins de 74 parcelles identifiables selon le module de l’actus. De cet exemple privilégié, il ressortait que le plan de division, peu altéré par les remaniements ultérieurs, consistait en un découpage en 5 bandes dans le sens nord‑sud recoupées par 10 dans le sens est‑ouest. La parcelle standard d’origine, recoupée à nouveau dans de nombreux cas, était un bloc de 2 heredia, de 240 x 480 pieds (fig. 4 et 5).

FIG. 4 – Centurie J8 : schéma de division de la centurie.

FIG. 5 – Centurie J8 : lecture du parcellaire par J. Benoit.
Centurie J9
57Favory 1983: 133, fig. 30, no 3. La situation révélée ici est plus complexe : si la division per quadrifinia n’était pas qu’une apparence, elle a été fortement modifiée et une division au départ en 3 des carrés 3 et 4 est plausible. Les mesures des côtés des 58 parcelles de la centurie, exprimées en pieds font ressortir que parmi des valeurs correspondant à une base de division par 2, 4, 8, 16 : 1200 pieds, 600 pieds, 300 pieds, 150 pieds, se trouvent des valeurs correspondant à un partage par 3, 6, 12, 24 : 800 pieds, 400 pieds, 200 pieds, 100 pieds. Une division en 3 était apparente également dans l’exemple de la centurie J9 (fig 6 et 7).

FIG. 6 – Centurie J9 : schéma de division de la centurie.

FIG. 7 – Centurie J9 : lecture du parcellaire par J. Benoit.
58La conclusion que l’analyse rigoureuse de Jean Benoit nous invite à tirer de ces exemples est que trois bases de division : par 2 (ou ses multiples), par 5 et par 3 étaient applicables dans le découpage du parcellaire des centuries. De cette constatation, il résulte, à la lumière des tableaux de division (tabl. I et II) établis par Jean Benoit et présentés ci‑joint, que l’actus de 120 pieds n’est pas toujours la base modulaire universelle évidente qui se dégage, dans l’un des meilleurs cas possibles, de l’examen des traces visibles du cadastre romain de Tunisie.

TABL. I – Centurie 710,4 m : division en parcelles normalisées.

TABL. II –Centurie 710,4 m : division et correspondance en mètres et en pieds romains (* pieds carrés).
Relevé d’un parcellaire dans l’Uzège (Gard)
59par Jean Benoit
60Fig. 8
61Ce dossier comprend à la fois les documents graphiques et les notes d’interprétation de Jean. Il s’agit évidemment d’un premier Jet et non destiné à une publication. Les notes manuscrites ont été mises au net par Jean‑Luc Fiches (CNRS, CRA) et les illustrations par Jean Chevalier.
62Orientation : 5° N. Lambert III (environ 3° 30’ E.‑N. géographique).
Mission : Anduze‑Uzès 2841‑2941 ; année 1954 ; échelle 1/25 000 ; 6 bandes E.‑O.
Photos interprétées (du nord au sud et de l’ouest à l’est) :
1re bande – 6 à 1
2e bande – 40 à 64
3e bande – 88 à 68
4e bande – 121 à 99
5e bande ‑ 141 à 158
6e bande – 182 à 167
zone interdite (pas de photos) – 179 à 177.
63Cartes topographiques au 1/25 000 : Uzès 0. en totalité ; Uzès E. en totalité ; Vézénobres en grande partie ; Anduze en partie ; Orange 5‑6 en partie ; donc de la rive droite du Gardon (jusqu’aux premières collines) à la rive gauche du Rhône (un contrôle a été fait sur les photographies 4 à 7, mission 3041, Avignon 1962, dans l’axe de bande 6 à 1, même échelle).
64Les documents réalisés comportent: les contours des villages modernes ; les rivières importantes ; le centre des photographies (un point) ; les limites de parcelles, les chemins..., orientés à 5° E.‑N. Lambert ; les reliefs ; une ligne tiretée (= lit majeur du Gardon). Les photographies 6 à 1, 59 à 64 (Uzès) et 4 à 7 (Avignon) ne sont pas reproduites ici ; elles concernent la vallée du Rhône (rive droite) et la vallée de la Tave : région de Gaujac, Laudun, l’Ardoise, Caderousse (rive gauche du Rhône).
Commentaire : deux grandes zones
65⦁ Une zone où il n’y a pas de traces.
66– Région où les reliefs sont importants (plateaux de garrigues), jamais cultivée pour sa plus grande partie ; un secteur cependant où des traces sont présentes : sud de la carte à l’O./N.‑O. de Lédenon ; peut‑être légère dépression sur le plateau (sols rouges relativement riches avec parcellaires).
– La vallée du Gardon, en amont de Russan (ce n’est pas à cause des débordements du Gardon qui auraient tout effacé) ; la rive droite du Gardon dans ce secteur (La Rouvière/Saint‑Geniès de Maigoirès...) : pas de trace à 5° ou très négligeables.
– Idem jusqu’à Alès pour la rive droite du Gardon : Saint‑Hippolyte de Caton/Vézénobres/Saint‑Césaire de Causignan, peut‑être à cause du relief, mais ce n’est pas sûr ; Baron/Foissac/O. Montaren/Sagriès, cause : relief + drainage ; Sagriès/Blauzac et Aubarne/Blauzac/Vic ; de l’Alzon/ Saint‑Maximin/Bordnègre, cause : relief (?) + drainage ; l’Alzon en amont de la Fontaine d’Eure, cause : drainage ; bassin de Saint‑Bonnet.
67⦁ Une zone où il y a des traces, essentiellement plaines et bassins : répartition non uniforme des traces ; à l’intérieur, on peut isoler des groupes selon l’aspect différent du parcellaire conservé (fig. 8).
68A – zone Bézut/Aigaliers :
– allongée sens E.‑O. ;
– directement liée au relief ;
– non utilisable.
69B – zone Saint‑Chaptes/Saint‑Dézéry/Aubussargues/ Arpaillargues/Bourdic, groupe dense :
– traces les plus longues, plutôt N.‑S. ;
– se développe sur moyennes collines dont beaucoup découpées en terrasses ;
– dans des zones riches (autour de Bourdic par exemple).
70C – groupe Serviers‑Labaume/Saint‑Quentin/Vallabrix/ Saint‑Siffret/ Montaren :
– pas de sens privilégié pour traces conservées ;
– plutôt courtes (plutôt N.‑S. vers Saint‑Siffret et E. vers Saint‑Quentin) ;
– plus compact localement que le précédent.
71D – groupe Uzès O. et S. :
– traces beaucoup plus longues ;
– plutôt N.‑S. ;
– rien dans la ville d’Uzès.
72E – groupe (?) de Blauzac à Sanilhac :
– traces N.‑S. ;
– le village de Sanilhac totalement dans le 5° E. (c’est le seul village de toute la zone dans ce cas, avec peut‑être Connaux [vallée de la Tave]).
73F – La Capelle/Pouzilhac :
– traces assez lâches ;
– plutôt N.‑S. vers Pouzilhac.
74G – Autour d’Argilliers :
– traces plutôt N.‑S. ;
– groupe compact et bien délimité ;
– relation avec l’important site gallo‑romain du Mas‑Darnès (?).
(G’) ? zone Collias/Vers : traces éparses.
(G”) ? zone O. Lédenon.
75H – Gaujac/Saint‑Paul‑les‑Fonts/etc. :
– traces denses ;
– plutôt N.‑S.
– ne va pas jusqu’au Rhône.
76I – Remoulins et E./N.‑E. :
– plutôt E.‑O. ;
– hors du lit majeur du Gardon (tireté).
(I’) ? zone Castillon/Saint‑Hilaire ou plutôt Castillon O. tout seul.

FIG. 8 – L’Uzège (Gard) : plan d’assemblage des cartes suivantes :
zone 1 : parcellaire A ;
zone 2 : parcellaire C ;
zone 3 : parcellaires F et H ;
zone 4 : parcellaire G ;
zone 5 : parcellaires B, D et E.
77Interprétation
78– Est‑ce qu’il s’agit d’un cadastre antique ? A mon avis, impossible à dire, il n’y a pas assez de limites longues conservées.
– Est‑ce qu’il faut relier ces traces avec celles du cadastre d’Orange B à 5° ? Je ne crois pas, encore que ce soit extrêmement difficile à démontrer.
– Mais surface interprétée (environ 80 000 ha de la rive droite du Gardon au Rhône) et toujours des traces à 5° (sauf sur rive droite du Gardon, limite voulue semble‑t‑il), donc quand même volonté de cadastrer suivant cette direction (?).
79Donc aménagement sur une telle surface non moderne, non médiéval et par conséquent, peut‑être antique (?).
80– Centuriation ? Impossible à dire, je ne crois pas.
– Strigation ? Ca n’y ressemble guère.
– Autre ? Je ne sais pas.
81La grille (centuries) ne donne pas grand‑chose sur la carte des traces et sur les cartes au 1/25 000. Parfois, elle montre des « choses », mais quasi‑impossibles à intégrer à un schéma rigide.
En guise de non‑conclusion
82Qui se croira autorisé à commenter une œuvre si tôt interrompue et à l’égard de laquelle nous manque tout recul ? Personnellement, je ne m’en sens ni la capacité, ni le cœur. Je préfère mettre l’accent sur deux ou trois points et laisser la parole à Jean Benoit en citant quelques extraits de ses publications qui nous restituent sa méthode ou ses objectifs, – ci comme celle‑là pouvant d’ailleurs faire l’objet de débats, voire de contestations, comme il est normal s’agissant de questions « scientifiques ».
83Son itinéraire, que j’ai précédemment retracé tant bien que mal, met en lumière l’amour du concret, le goût pour la terre, la nature, les paysages et les hommes qui les ont façonnés. Il n’y eut chez lui, à l’origine, aucune fascination vis‑à‑vis de l’histoire. C’est par toute une série de transitions, de réflexions et d’expériences qu’il admit pouvoir lui apporter quelque chose (mais il n’aurait pas employé cette expression qui lui aurait paru outrecuidante), en précisant qu’il se refusait à découper des tranches : les paysages n’obéissent pas aux périodes que distinguent les manuels, mieux vaut raisonner en chronologie relative –et ce n’était pas son job que de passer du relatif à l’absolu–, De même, dans l’étude des stmeturations urbaines, il lui coûtait de faire le saut de l’analyse aux conclusions historiques ; il me dit plusieurs fois avoir regretté de s’être laissé aller, dans son étude sur Nîmes, à des propositions imprudentes. Pourtant depuis lors, les nombreux chantiers d’urgence ouverts dans cette ville n’ont apporté que des confirmations ou des précisions aux hypothèses qu’il émettait.
84Ses bourlingages lui avaient montré la diversité du monde sans jamais tuer en lui l’émerveillement devant la beauté des paysages. Un soir, j’ai partagé avec lui de longues minutes de silence à contempler, depuis Ensérune, un pâle coucher de soleil ; mais m’a frappé plus encore la réflexion qu’il me fit alors qu’il travaillait à ma demande sur l’évolution des cours du Reyran et de l’Argens (près de Fréjus) dont j’espérais tirer quelque chose pour l’interprétation de ma fouille des Aiguières : « je n’aboutirai à rien, me dit‑il à peu près, mais il y a eu une époque où ce devait être drôlement beau » (probablement bien avant la Préhistoire l).
85Cette observation n’est pas innocente. Pour Jean, avoir observé la nature, c’était en connaître la splendeur, la richesse, les éventuelles régularités, et donc, éviter les pièges qu’elle tend à l’interprète. Les contrats qu’il avait remplis l’avaient aussi amené à observer de près l’œuvre des hommes, qu’il s’agisse de l’analyser, de la cartographier, voire de la préparer. Analyser : le photo‑interprète des boisements et des massifs forestiers avait appris à reconnaître des infinités de strates de reculs, d’avancées. Cartographier : les expériences laotienne et algérienne lui avaient montré l’extraordinaire responsabilité qui pèse sur les épaules de « scientifiques » ou de « techniciens » préparant le choix des « politiques » et pouvant transformer radicalement la vie des populations – en bien ? En mal ? Qui sait ? Or, la rare conception de l’histoire qu’il ait jamais manifestée, c’était bien de savoir « comment vivaient les gens ». Il avait appris que la réorganisation du Nord‑Laos ou de willayas algériennes ne se traduisait pas seulement par des saignées, des régularisations, des systèmes d’irrigation, mais aussi par le malheur d’hommes et de femmes perdant leurs repères traditionnels, ce qui est pire que la misère, même si l’on doit songer aux générations futures. Etudier une centuriation ne fut jamais chez lui une simple démarche intellectuelle, ou plutôt il fallait être vraiment sûr qu’elle existât pour en proposer la restitution, car, avec elle, s’était joué le sort de milliers d’hommes.
86La seule démarche : faire table rase des idées préconçues lorsqu’on se penche sur un problème. Oublier (ou tenter au maximum de le faire), toutes les références historiques, culturelles ou instinctives qui vous habitent. Surtout, ne jamais chercher à prouver la justesse d’une théorie ou la validité d’une méthode. Ne pas penser à ce qu’on a écrit dix ans auparavant ou la veille. Chaque cas doit être traité pour lui‑même, et l’on verra ultérieurement si, en réunissant ces études, on peut en tirer une piste intéressante. Ne pas chercher à examiner une ville ou une région bien délimitée en apparence comme un ensemble car c’est le piège par excellence : la multiplicité et la variété des phénomènes naturels comme des interventions anthropiques « vérifiera » souvent les théories pré‑établies et l’on glosera sur ce qu’on a soi‑même inventé.
87Ce souci de méthode a parfois été taxé d’hyper‑criticisme. Constatons seulement qu’il se fonde sur de multiples expériences, une longue réflexion et l’appréhension de situations observées dans des pays différents et pour des époques variées. Ajoutons aussi qu’en de nombreux cas (comme on l’a vu ci‑dessus ou comme la bibliographie en témoigne), Jean ne s’est pas abstenu de conclure.
88Je reproduis ici quelques passages de l’étude consacrée à l’urbanisme de Nîmes pour la double raison qu’elle me paraît exemplaire et qu’elle nous conduit à nous interroger sur la validité des quadrillages ou carroyages si souvent reconstitués dans les villes de l’Antiquité romaine.
Benoit 1981: 70‑71 (Nîmes)
« Nous expliquons ici quelle a été notre démarche, en rappelant un certain nombre de principes. Le premier est à notre avis fondamental : le chercheur œuvrant dans ce domaine doit faire totalement le vide dans son esprit et " gommer “ tout ce qu’il peut connaître de la ville qu’il étudie, de son organisation, de son histoire, de ses vestiges. L’idéal serait en fait de travailler sur une ville qu’il ne connaît pas. C’est uniquement à la fin de l’analyse qu’il fera valoir ses connaissances pour démontrer ou pour prouver, mais jamais avant ni pendant sa recherche. L’expérience a suffisamment montré que partir d’une idée préconçue pour restituer la trame d’une ville antique –à l’aide de monuments conservés, de trouvailles et de découvertes, d’axes d’urbanisme théoriques pour la plupart– était erronée et à tout le moins génératrice d’erreurs. Si l’on procédait ainsi, invariablement le résultat serait soit parcellaire, soit faux (il est bien entendu ici que nous essayons de restituer de grands ensembles et non pas une fraction de ceux‑ci). C’est aussi pour cette raison que nous ne situons pas dans l’espace, en début de recherche, les éléments que nous connaissons par ailleurs : on serait trop tenté, comme il est facile de le faire et comme c’est trop souvent le cas, de les relier entre eux et de forcer les hypothèses pour les intégrer dans une vision a priori des choses. Qu’on nous comprenne bien : les connaissances historiques et archéologiques ne sont pas, en l’occurrence, rejetées, mais utilisées en dernier ressort, l’analyse terminée.
« Un deuxième principe n’est pas moins important : il faut décomposer le paysage urbain –en l’occurrence le plan cadastral– en autant de fois qu’il est nécessaire de façon à pouvoir dégager un élément de base. Et c’est l’ensemble de ces éléments‑là qui, organisés, détermine une structure. On retiendra donc, par exemple, tous les éléments de forme carrée, fermés ou non : il s’agit, bien entendu, des murs, maisons, rues, parcelles ou partie de ces éléments. S’ils s’organisent entre eux, d’une façon ou d’une autre, ils déterminent une structure et cette organisation ne peut être donnée, pour le cas qui nous préoccupe, que par l’alignement sur une même direction. Une structure ainsi définie est un cadastre, antique ou non : c’est un quadrillage, dont chaque élément a la même direction que l’ensemble. Tous ces éléments de base sont équivalents entre eux par la forme, l’aspect et une direction communs : par voie de conséquence ils sont contemporains. Je souligne ce dernier point car il est très important : toute parcelle, maison ou élément de même direction faisant partie d’un ensemble plus vaste –une structure– sera contemporain de tout autre élément ayant la même forme, le même aspect et la même direction, même si celui‑ci est éloigné dans l’espace : ils seront de plus contemporains. On peut donc, dès cet instant, préciser l’étendue de telle structure dans l’espace et, ce qui paraît plus intéressant, restituer les éléments manquants par équivalence de direction et par répétition des modules. »
Benoit 1981: 81 (Nîmes)
Restitution
« Nous ne donnons que le plan définitif. II est évident que celui‑ci est le résultat d’une très longue analyse et qu’il ne s’agit pas d’un plan connu ailleurs qui serait plaqué sur le fond cadastral (il a d’ailleurs fallu en construire plusieurs dizaines suivant le même schéma de base pour pouvoir le proposer). C’est d’autre part celui qui prend en compte le plus grand nombre d’alignements et d’anomalies et en conséquence, il doit être considéré comme étant le plus plausible. »
Benoit 1981: 89 (Nîmes)
« On a pu au cours de ce travail avancer quelques résultats qui modifient sensiblement bien des idées reçues sur l’urbanisme. Et si un minimum de problèmes ont été résolus, un grand nombre sont posés et démontrent que l’étude d’une ville antique ne peut pas se résumer à quelques idées générales : en fait, chaque secteur pose un problème particulier.
« Quant aux problèmes d’ordre historique, ils apparaissent beaucoup plus complexes qu’ils ne semblaient de prime abord. S’agit‑il, par exemple, pour la “ ville verte “ d’un castellum primitif de la fin du iie s. comme à Tolosa, d’un poste militaire ou d’un castellum du type Aquae Sextiae fondé en 124, d’une création de l’époque triumvirale ? Pourquoi une enceinte du Haut‑Empire aussi longue ? Y a‑t‑il réellement une ville pré‑romaine, en plaine, près de la source ? Il n’est pas nécessaire de multiplier les questions et on comprend que seule l’archéologie peut amener des éléments de réponses. »
89Voici enfin de quelles observations il faisait précéder son étude sur le cadastre antique d’Olbia (j’ai supprimé quelques notes) :
Benoit 1985 : 25‑30 (Olbia)
1 Les cadastres antiques
« Avant d’engager l’étude du cadastre d’Olbia, il me paraît nécessaire d’évoquer les problèmes que suscite l’étude des cadastres antiques, notamment les problèmes liés aux méthodes utilisées pour leur reconstitution. Olbia est donc un exemple illustrant les méthodes utilisées et les problèmes rencontrés au cours de ce type d’étude. »
1.1 Définition
« Quelles que soient les définitions parfois divergentes que l’on a pu donner du cadastre antique [...], ce qui nous retiendra ici, c’est l’aspect technique et physique du cadastre : celui d’une structure quadrillée qui, par la matérialisation au sol de lignes parallèles et perpendiculaires entre elles, donne des formes élémentaires carrées et/ou rectangulaires. Ce qui implique la répétitivité d’un même module, une grande uniformité de la forme élémentaire, un alignement sur une seule et même direction, une grande homogénéité et une extrême rigidité de l’ensemble.
« Si le quadrillage est bien la forme caractéristique du cadastre antique, ce n’est pas une forme exclusive de l’Antiquité. On connaît en effet une infinité d’exemples de ces structures qui se rapportent à des civilisations, des époques et des lieux différents. En fait, le quadrillage est une forme liée à la conquête et à la mise en valeur des terres. De plus, on aura les plus grandes difficultés à attribuer à telle période, tel aménagement de ce type, notamment dans les zones basses ou semi‑marécageuses car une mise en culture de ces zones‑là produit toujours des formes quadrillées.
« Ce sera le cas à Olbia où l’on connaît pour la ville une occupation grecque, mais aussi romaine et médiévale, la zone cadastrée se développant dans une zone très basse et semi‑marécageuse. »
1.2 Caractérisation
« Pour pouvoir dissocier un cadastre antique d’un cadastre quadrillé qui ne le serait pas, il n’y a guère que la métrique pour apporter un élément de réponse. Et encore : même en connaissant la métrique antique et la façon dont le module de base se reproduit, les possibilités d’interprétation sont extrêmement nombreuses et il est souvent impossible de « choisir ». Il est donc nécessaire de travailler sur des zones suffisamment étendues pour avoir quelque chance de comprendre ce processus de répétition. II convient aussi que les documents soient adaptés à l’échelle du problème posé, car si ces deux difficultés s’associent (faible étendue de la zone cadastrée et inadéquation du document de travail), il est à peu près impossible de prouver l’antiquité d’un cadastre.
« Par contre, si la zone cadastrée est suffisamment étendue, une des difficultés est levée : plus le réseau est étendu, plus le nombre de limites est important et plus les chances de les retrouver sont fortes [...]. »
1.3 Identification et restitution
« A côté des problèmes de métrique et d’étendue, se posent ceux du seuil et de la limite.
« A partir de quel seuil, ou si l’on préfère, à partir de quelle densité de lignes conservées, peut‑on dire qu’il y a eu cadastration ? Est‑ce qu’on retiendra comme pertinent le seuil d’une ligne conservée sur deux ? Une sur cinq ? Une sur dix ? La question est d’une extrême simplicité mais la réponse est délicate sinon impossible et donc généralement occultée, ce qui ne sous‑entend pas qu’elle est résolue.
« Pour répondre correctement, il faudrait déjà connaître le cadastre que l’on étudie, sa durée d’utilisation et toute l’histoire agraire de la région de façon à pouvoir apprécier sa dégradation et en conséquence pouvoir dire : tant de lignes conservées suffisent à prouver l’existence du cadastre. Mais comme c’est précisément ce que l’on cherche à faire, on est à peu près démuni devant ce problème, surtout si l’on ne travaille qu’au niveau de l’ossature du réseau (centurie, kléros par exemple).
« On ne peut donc présenter que des restitutions théoriques dans lesquelles la part d’interprétation est grande et parfois excessive.
« Prenons l’exemple du cadastre A d’Orange [...] : on est sûr de son existence, de son module, de sa localisation et pourtant il n’y a même pas 10 % des limites conservées. S’il n’y avait pas les plaques de marbre, on aurait quelque difficulté à admettre son existence à partir de la restitution proposée.
« Le problème de la limite s’apparente directement à celui du seuil. Quelles limites spatiales va‑t‑on donner au cadastre restitué, c’est‑à‑dire à partir de quelle densité de lignes conservées pourra‑t‑on encore parler de cadastre ? Voici un problème théorique qui est rarement abordé (comme si c’était au lecteur de le régler). La question est d’autant plus d’actualité que l’utilisation quasi‑systématique de grilles tracées à l’échelle des cartes et des mesures antiques, amène à accroître parfois démesurément la superficie du cadastre restitué. »
1.4 Documentation
« L’étude d’un cadastre, et plus généralement l’étude d’un paysage, doit se faire d’abord –devrait se faire– sur photographies aériennes, la carte topographique ne venant en dernier lieu que pour préciser certains points. Pour appuyer cette affirmation, Je me limiterai à deux raisons :
90– la photographie aérienne donne la réalité totale et complète d’un paysage, plus précisément elle donne la place respective et la forme, dans les trois dimensions, de tous les éléments qui s’organisent pour constituer le paysage. C’est le photo‑interprète qui, en analysant ces formes, produira sa propre cartographie pour l’exploiter à des fins archéologiques :
91– la carte topographique qui est établie, rappelons‑le, d’après la photographie aérienne, est un document particulier dessiné dans un but précis qui n’est pas archéologique mais topographique. Ce « filtre « topographique va entraîner, pour faciliter la lecture de la carte, une déformation volontaire de certains éléments comme les routes et les chemins ceux‑là mêmes sur lesquels on s’appuie pour caler les grilles de restitution. On voit donc tout le danger à n ’utiliser que des cartes. «
1.4.1 Photographie aérienne
« Comme dans l’étude de tout phénomène se développant dans l’espace, le problème de l’échelle est constant. La plupart du temps, l’échelle choisie est le résultat d’un compromis entre la taille du phénomène à étudier et le niveau auquel on veut l’étudier :
92– si l’on veut étudier un cadastre qui s’étend sur plusieurs dizaines de milliers d’hectares, on choisira de préférence de petites échelles de l’ordre du 1/50000. Mais dans ce cas, on ne pourra travailler qu’au niveau de l’ossature du cadastre, centurie, kléros et rarement sinon Jamais au niveau du parcellaire :
93– inversement, si l’on veut étudier un cadastre peu étendu, de quelques centaines à quelques milliers d’hectares, on choisira de préférence de grandes échelles allant Jusqu’au 1/10 000. Dans ce cas, on travaillera plutôt au niveau du parcellaire, l’échelle l’autorise.
« De façon générale, si l’on tient compte de ce que les missions aériennes régulières sont effectuées à échelle moyenne, on utilise des photographies dont l’échelle est intermédiaire entre le 1/10 000 et le 1/50 000, c’est‑à‑dire le 1/25 000 ‑ 1/30 0001. Ces échelles moyennes permettent de jouer sur l’un et l’autre tableaux : on peut parfaitement étudier le parcellaire ainsi que les grandes divisions du cadastre2.
« Mais il est aussi des contraintes : le temps très important passé au décryptage des photographies, les déformations provenant du fait qu’un avion ne vole pas toujours à la même altitude ni toujours de façon rectiligne. L’échelle des photographies n’est donc pas constante d’un bout à l’autre de la mission. D’autres déformations importantes proviennent de l’optique de prise de vue qui a tendance à déformer sur les bords de chaque cliché. C’est pour cette raison qu’il vaut mieux travailler dans le tiers central du cliché (on peut d’ailleurs, chaque tiers central de chaque cliché étant mis bout à bout, couvrir la totalité de la zone photographiée). »
1.4.2 Carte topographique
« A de très rares exceptions près (certaines régions d’Italie ou de Tunisie), les cartes topographiques au 1/50 000 n’autorisent pas, en raison de leur échelle, l’étude directe des cadastres antiques. Elles ne peuvent permettre qu’un examen rapide des grands réseaux bien conservés et uniquement au niveau des grandes divisions, jamais à celui du parcellaire.
» Beaucoup mieux adaptées, les cartes au 1/25 000 permettent l’étude des grandes divisions. Mais celle du parcellaire ne peut se faire que dans les zones de très bonne conservation3 car il ne s’agit pas de cartes de la structure agraire mais de cartes topographiques, ce qui sous‑entend une manière conventionnelle de représenter certains éléments [...].
« D’autre part, pour les mêmes raisons de représentation graphique, l’assiette des chemins et des routes est rectifiée, redressée de façon à rendre la carte lisible : un chemin qui ondule légèrement sera représenté quasi rectiligne à échelle moyenne et risque même de ne pas l’être du tout à petite échelle. On comprend dès lors tout le danger à ne travailler qu’avec des cartes en se basant uniquement sur la voirie4.
« Les cartes de l’IGN sont d’une très grande précision : un point peut être positionné au 1/10 mm, mais cette précision représente néanmoins 5 m à l’échelle du 1/50 000 et 2,50 m au 1/25 000. Dès lors, comment donner la maille d’un cadastre antique au mètre près, sauf si celui‑ci est très étendu et si en jouant sur un nombre élevé de limites, on peut proposer un calage plus sûr et donc un module plus approché de la réalité ? En fait, il serait de bonne méthode de se contenter de préciser, par exemple pour des réseaux centuriés qui oscillent entre 704 et 710 m : réseau à petit module, réseau à grand module.
« Enfin, comme chacun sait, la carte est une représentation plane d’une réalité qui ne l’est pas : on est donc obligé de lui faire subir une déformation par le biais d’une projection. Lorsqu’on étudie un cadastre s’étendant sur de grandes surfaces, il est rigoureusement impossible de juxtaposer plusieurs cartes contiguës : comment alors parvenir à une précision extrême sur le module et l’orientation5 ?
Donc la carte topographique pose elle aussi des problèmes. Si le réseau est peu étendu ou très faiblement étendu, elle est totalement inutile. S’il est “ moyennement " étendu, on utilisera la carte au 1/25 000 avec probablement quelques difficultés nées du mode conventionnel de représentation des chemins, mais on pourra peut‑être approcher une partie du parcellaire. Si le réseau est très étendu, on utilisera ces mêmes cartes et peut‑être aussi le 1/50 000 mais avec les difficultés et les incertitudes décrites ci‑dessus. »
1.4.3 Plans cadastraux
« Le cadastre moderne et le cadastre dit napoléonien sont souvent utilisés dans leur partie cartographique comme cartes de la structure agraire. Or, ils ne le sont en rien : ils donnent seulement un état cartographique de la propriété et, partant, une image partielle du parcellaire. Rien de plus. Si le cadastre napoléonien a cet avantage de donner une partie du parcellaire au cours de la première moitié du xixe s., s’il est irremplaçable pour les zones où les remembrements et aménagements modernes ont effacé toute trace de parcellaire ancien, il n’en présente pas moins de nombreuses imperfections.
« Le très grand intérêt de ces plans réside essentiellement dans leurs échelles (1/2 000 en général pour les campagnes) qui permettent de prendre des mesures et de donner l’orientation du parcellaire avec une très grande précision, beaucoup mieux qu’on ne pourrait le faire avec des cartes ou des photographies. Donc, à condition de les utiliser avec l’esprit critique nécessaire, ces plans peuvent rendre de grands services pour mesurer les légères variations que l’on constate parfois dans l’orientation des alignements ainsi que pour étudier les réseaux peu étendus6 [...]. «
1.5 Méthodologie
1.5.1 Le banc optique
« Le banc optique a eu ses premières applications archéologiques au cours des années 60 [...] et a été utilisé de manière systématique au cours de la décennie suivante.
« Son principe [...] consiste, à partir du filtrage directionnel d’un cliché aérien tous les 10e par le biais d’un faisceau de lumière cohérente, à faire ressortir toutes les lignes orthogonales, soit sous la forme d’un spectre, soit sous la forme d’un cliché filtré où n’apparaissent que ces lignes orthogonales (les autres, celles qui ne sont pas disposées orthogonalement, ont été « effacées »). Ce procédé permet d’aller très vite dans la mise en évidence des structures quadrillées.
« Il existe néanmoins deux limites en ce qui concerne l’interprétation des résultats. La plus importante tient à la résolution du système lui‑même. Pour des raisons techniques, il est à peu près impossible d’opérer ce filtrage avec un angle d’ouverture inférieur à 10e. Autrement dit, deux cadastres antiques figurant sur un même cliché et dont l’écart angulaire est inférieur à 10e ne peuvent être dissociés l’un de l’autre. Seule l’interprétation du cliché filtré permettrait de séparer les deux réseaux, mais cette opération extrêmement difficile à réaliser vu la qualité du document et la résolution du système, conduirait à un nouveau filtrage, manuel cette fois. Généralement, on se contente de donner le cliché filtré optiquement, sans aucun commentaire ou interprétation, un peu comme si l’information contenue dans ce document brut se suffisait à elle‑même
« Ce problème n’a pas échappé aux utilisateurs du système mais, à notre connaissance, il n’est pas aujourd’hui résolu7.
« La deuxième limite est liée aux déformations qu’entraînent les nombreuses manipulations du cliché d’origine, lui‑même non exempt de déformations qui gênent énormément la lecture du cliché filtré et de son spectre. Ces déformations n’autorisent pas des résultats extrêmement précis.
« Cet appareil peut néanmoins rendre de grands services, par exemple dans les régions où aucune étude n’a jamais été faite. Une première approche, même menée tous les 10e, permettrait de gagner énormément de temps et de visualiser les grandes lignes d’organisation du paysage. A partir de quoi on engagerait des analyses plus fines à l’aide des photographies aériennes. »
1.5.2 Méthode manuelle sur photographie
« Après avoir repéré sur les photographies aériennes une orientation préférentielle dans le parcellaire, ce qui ne présente aucune difficulté dans les zones où il y a un cadastre antique, l’opération consiste à dessiner, photo après photo, tous les éléments linéaires parallèles et perpendiculaires à cette direction, quelle que soit leur ancienneté supposée.
« Ce relevé doit se faire sur une étendue assez grande de façon à éliminer des aménagements limités dans l’espace qui pourraient ne pas être représentatifs d’un aménagement antique. Il doit se faire aussi précisément que possible sans s’autoriser le moindre écart angulaire avec la direction retenue. Et pour utiliser toutes les ressources de la photographie aérienne, on utilise un stéréoscope qui permet la vision en relief (on comprendra sans peine que des lignes conformes à l’orientation du réseau n’ont pas la même valeur selon qu’elles se trouvent dans des zones de relief ou de plaine).
« Une fois ce “ filtrage ” effectué, on recherche alors s’il y a une répartition périodique. Celle‑ci est à rechercher à la fois à l’aide des chemins, des alignements les plus longs et des limites de parcelles dont les limites dessinent très souvent, mais de façon interrompue, des alignements qui ont disparu.
« Ces périodes repérées, et après avoir assuré un montage même sommaire de tous les calques d’interprétation, on dessine une grille à l’échelle moyenne des photographies et de ces mêmes intervalles. Cette grille est ensuite superposée au parcellaire orienté que l’on a dessiné. C’est en “promenant’’ celle‑ci que l’on verra apparaître, ou non, une superposition entre le parcellaire dessiné d’après les photographies et la grille dessinée à partir des intervalles qui avaient paru significatifs.
« Les cartes topographiques au 1/25 000 serviront à préciser les valeurs de ces périodes ainsi que l’orientation de l’ensemble. On utilisera aussi les plans cadastraux modernes pour affiner ces mesures.
« Cette méthode manuelle, artisanale, nécessite de très longues manipulations et de très nombreux tâtonnements qui, d’ailleurs, ne permettent pas toujours de proposer des restitutions. Mais elle reste de loin la plus efficace et la plus précise : dès l’instant où le moindre champ est analysé dans sa forme et son orientation, on est assuré de pouvoir étudier le réseau dans sa totalité et jusque dans ses plus petites subdivisions. De toute façon, on sera obligé d’en passer par là si le réseau étudié est peu étendu. »
1.5.3 La grille
« Cette méthode consiste, après avoir dessiné sur un calque des mesures antiques connues en les mettant à l’échelle de la carte topographique, à « promener ». cette grille sur la carte et à essayer de superposer les divisions de la grille aux chemins portés sur la carte.
« Cette méthode est utilisée systématiquement depuis quelques années : facile à mettre en œuvre, extrêmement rapide, elle permet en théorie de sortir des cadastres à “ cadence accélérée “. Mais on a vu qu’elle ne peut étudier les réseaux quadrillés au niveau du parcellaire, mais seulement à celui des grandes divisions : elle ne permet pas non plus d’étudier les réseaux peu étendus.
« Contrairement aux grilles utilisées sur les photographies qui sont établies d’après les intervalles repérés et sans chercher à faire coïncider les valeurs de ces intervalles à des mesures antiques, ici on fait l’inverse : on dessine d’abord des grilles à des mesures antiques connues et on les superpose ensuite aux cartes.
« Or, si le module de base de la plupart des cadastres est le même, la façon dont celui‑ci se répète pour constituer un réseau est extrêmement variée et le nombre de combinaisons élevé. Il faudrait donc en bonne logique utiliser autant de grilles qu’il y a de combinaisons possibles. Comme c’est impossible, dans la pratique on se limite au type de réseau le plus courant, la centuriation par exemple pour la période romaine. On recherche donc les réseaux antiques à partir de ce cadre‑là, si bien que dans les faits, on sera amené à restituer plus de réseaux centuries qu’il n’y a pu en avoir ou que la seule obsevation ne permettrait de le dire [...].
« Il ne s’agit pas là que de possibles erreurs d’interprétation (cadastre antique ou non ? Quelle superficie ? Quel module ? ...). La grille comporte un danger plus insidieux, qui est de méthode : son utilisation et les restitutions proposées sous‑entendent souvent que le réseau est subdivisé Jusqu’à l’actus sans avoir cherché à démontrer l’existence de ce parcellaire qui n’est pas forcément évidente8. Ce point de méthode, trop négligé, appellerait de longs développements.
« Pour résumer, toute étude technique de cadastre antique se ramène d’abord à un problème d’échelle :
94– si le cadastre étudié est très étendu, on peut se contenter de travailler avec des cartes topographiques au 1/25 000 à l’aide de grilles préalablement tracées. Mais dans ce cas, on ne pourra étudier le réseau qu’au niveau des grandes divisions et très rarement au niveau du parcellaire :
– si le cadastre étudié est peu ou moyennement étendu, il faudra utiliser des photographies aériennes à l’échelle du 1/25 000 ou au‑delà si nécessaire. Dans ce cas, on pourra l’étudier au niveau de ses grandes divisions ainsi qu’au niveau du parcellaire.
« Pour réunir les meilleures conditions, il faudrait procéder aux opérations suivantes :
95– utiliser le banc optique pour rechercher les grandes lignes d’organisation du paysage :
– utiliser la grille préalablement tracée pour apprécier rapidement la répartition périodique :
– utiliser la photographie aérienne pour mettre en évidence tout le parcellaire orienté :
– utiliser la carte topographique au 1/25 000 et les plans cadastraux pour préciser métrique et orientation.
« Ces conditions, qui permettent de valider l’analyse à chaque étape, sont rarement réunies. Or, ce sont elles qui constituent les fondements des interprétations historiques. Les historiens qui se soucient entre autres de la validité de leurs sources textuelles, devraient, selon nous, réfléchir à ce problème avant de tirer des conclusions qui, parfois, vont loin – notamment pour les évolutions et la chronologie de ces formes [...]. »
96Si j’ai reproduit ces pages, ce n’est pas pour leur conférer statut testamentaire ou valeur sacrée. Jean Benoit n’aurait pas supporté qu’on ne remît pas en question ses méthodes et ses travaux ; il cherchait –il provoquait– la discussion, sous réserve de l’intangibilité de quelques principes de base. A Fréjus, un soir où nous discutions tous deux des divagations du cours du Reyran à travers les âges et où, un peu exaspéré, je lui disais que, tout de même, au bout de trois semaines, j’attendais de lui sinon des conclusions du moins quelque piste, il me regarda dans les yeux et me dit : « Et alors, tu veux que je fasse comme le Reyran ? Que je divague ? », Nous trinquâmes.
Bibliographie
Bibliographie
Bradford 1957 : BRADFORD (J.). — Ancrent Landscapes. Londres : S.n., 1957.
Caillemer, Chevallier 1957 : CAILLEMER (A.), CHEVALLIER (R.). — Atlas des centuriations romaines de Tunisie. Paris : IGN, 1957.
Chevallier 1957 : CHEVALLIER (R.). — Essai de chronologie des centuriations romaines de Tunisie. S.l. : 1957. p. 96‑105 (MEFRA ; 70).
Chouquer, Favory 1983: CHOUQUER (G.), FAVORY (F.). — Cadastres ruraux d’époque romaine. Revue photo‑interprétation, nos 4‑5, 1983.
Favory 1983 : FAVORY (F.). — Propositions pour une modélisation des cadastres ruraux antiques. In : Cadastres et espace rural : table ronde, Besançon, mai 1980. Paris : CNRS, 1980.
Blume et al. 1848 : BLUME (F.), LACHMANN (K.), RUDORFF (A.) — Die Schriften der römischen Feldmesser I, Berlin 1848. Réimpression anastatique, Hildesheim 1967.
Saumagne 1929 : SAUMAGNE (C.). — Les Vestiges d’une centuriation romaine à l’est d’El Djem. CRAI, 1929. S.l. 1929. p. 307.
Trousset 1977 : TROUSSET (P.). — Nouvelles observations sur la centuriation romaine à l’est d’El Jem. S.n., Ant. Afr. 11, 1977. p. 175‑207.
Notes de bas de page
1 —Pour couvrir les 57 000 ± ha d’une carte au 1/50 000, Il faut une centaine de photographies aériennes de format 18 x 18 à l’échelle du 1/25 000.
2 La saison de prise de vue a plus ou moins d’importance selon la région étudiée. Pour les régions de bocage ou les régions viticoles par exemple, celle‑ci ne joue pratiquement pas, le parcellaire évoluant peu car très bien fixé par la présence de haies vives ou par celle de la vigne plantée pour plusieurs dizaines d’années. Plus importante est l’époque de prise de vue. Si on a le choix des missions aériennes, il vaut mieux travailler avec des photographies anciennes prises au plus tard au début des années 50. Et ce pour éviter l’effacement des limites dû à la reconstruction et l’urbanisation de l’après‑guerre mais surtout, au remembrement lié pour l’essentiel à l’apparition du tracteur qui a conduit à remodeler le paysage et pour certaines régions à le refondre complètement.
3 On ne doit pas oublier que seule une petite partie du parcellaire est portée sur la carte et qu’il s’agit seulement des parcelles les plus longues, précisément celles qui, le plus souvent, sont le produit d’un remembrement moderne. Leur prise en compte lors d’une interprétation ne peut donc être qu’indicative.
4 Je ne parlerai pas des restitutions cartographiques que l’on présente. Mais il faut tout de même préciser, et les exemples sont nombreux, que souvent les chemins donnés comme base d’une restitution sont représentés de telle sorte qu’au sol, ils devraient être plus larges que ... des autoroutes ! Et plus l’échelle de la restitution cartographique est petite, plus la largeur des chemins pris comme significatifs devra être augmentée. Dans ces conditions, on ne voit pas bien quel crédit accorder à ce genre de restitution et partant, on sera conduit à s’interroger sur l’existence même du cadastre étudié.
5 Lorsque l’on donne l’orientation du cadastre antique, on omet en général de préciser à partir de quel nord celle‑ci est déterminée. La logique voudrait, pour des raisons évidentes, qu’on la donne par rapport au nord géographique. Pour ma part, je la précise toujours par rapport au nord Lambert pour la raison que les sites archéologiques, dont l’inventaire est en cours de réalisation par les soins des directions régionales des Antiquités, sont tous repérés dans le système Lambert. Pour convertir une orientation donnée, on se reportera aux cartes topographiques où les différences angulaires entre nord géographique et nord Lambert sont portées. Cette différence, qui est comprise entre 1 et 2°, peut expliquer certaines des légères divergences que l’on constate selon les auteurs pour un même cadastre étudié. On pourra se dispenser de rappeler systématiquement que l’orientation est donnée par rapport au nord dès l’instant qu’il s’agit d’une convention et de préciser cette orientation au quart de degré, cette précision étant parfaitement illusoire.
6 Je rappelle ici pour mémoire certains types de documents qui sont encore peu utilisés mais devraient permettre d’accéder à une information différente à propos du parcellaire : il s’agit des thermographies et des images de satellites. Les thermographies enregistrent les différences de température existant dans la couche superficielle du sol et permettent entre autres, de visualiser les limites parcellaires disparues. Les images des satellites dont la résolution est très faible, 80 x 80 m à l’origine en 1972, puis 60 x 40 m et maintenant 30 x 30 m, permettent une très large vision des réseaux structurant des régions entières. Même si cette résolution est peu adaptée pour la recherche des cadastres antiques, elle a déjà permis d’obtenir certains résultats (Marcolongo 1978). Avec le satellite SPOT à résolution de 10 x 10 m qui doit être lancé en 1986, l’analyse pourra descendre quasiment au niveau de la parcelle. C’est en tout cas ce que montrent les diverses simulations que l’on possède.
7 On lira à ce sujet le premier chapitre de la discussion qui a suivi la table ronde organisée à Besançon en mai 1980 [...] où, d’emblée, l’accent est mis sur ce problème d’écart angulaire. A la question de savoir s’il est possible de réaliser des filtrages inférieurs à 10°, les opticiens répondent que cette opération est possible mais apparemment avec de très grandes difficultés liées à la limite de résolution du système. Si ce dernier a d’aussi fortes contraintes techniques, les résultats que l’on peut en tirer sont nécessairement modestes et leur interprétation très délicate, seulement indicative.
8 Rien, en effet, ne permet d’affirmer qu’à chaque réseau centurié, étudié le plus souvent au niveau des grandes divisions, correspond nécessairement un parcellaire orienté. Pourquoi n’existerait‑il pas de centuriations vides de tout parcellaire ou bien des centuriations marquées seulement au niveau des centuries et plaquées sur un parcellaire orienté différemment ? Pour le premier cas, on peut citer la centuriation du Sud tunisien qui se développe sur près de 3 millions d’hectares en terrain semi‑désertique et accidenté, où n’a jamais été retrouvé aucun parcellaire de quelque forme que ce soit [...]. Pour le deuxième, un très bon exemple est donné par la centuriation de Salona, Yougoslavie [...]. Cette centuriation, totalement divergente par rapport au parcellaire, n’est représentée que par les limites espacées de 710 m sans qu’un seul champ de cette zone entièrement cultivée ait la même orientation que les limites ! N’y aurait‑il pas une certaine parenté entre le type présenté par Salona et par exemple le cadastre A d’Orange où les restitutions proposées sont étrangement vides ? Elles le sont d’autant plus que trop souvent ces réseaux sont étudiés uniquement au niveau des grandes divisions et qu’on ne sait pas si ces restitutions incluent ou non le parcellaire. Veut‑on dire que le parcellaire a la même orientation que les limites, qu’il a une orientation différente, ou bien qu’il est absent ? On imagine sans peine les implications, notamment‑historiques, que peuvent avoir ces interrogations et il est donc extrêmement important de savoir de quelle façon l’étude du cadastre a été menée.
Auteur
Professeur au Collège de France.
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