1Les fouilles intensives de sauvetage menées depuis dix ans dans l’ensemble complexe de Passy ont eu l’avantage de montrer les liens qui existaient entre toutes les structures, qu’elles soient d’habitat, funéraires ou autres, et les objets qu’elles contenaient. Certains faits troublants, de caractère rituel, se reliant entre eux ont abouti à cette étude hors des méthodes scientifiques habituelles.

2Les fouilles de Passy comprennent trois villages et autres stationnements danubiens entourant un vaste ensemble de monuments dont la plupart sont funéraires. L’un des monuments de dimensions particulièrement gigantesques semble avoir été l’objet de vénérations jusqu’au Moyen Âge.

3Parmi les documents inhabituels trouvés dans ce site, un type d’objet d’os appelé improprement spatule, sans en avoir la forme fonctionnelle, avait déjà retenu l’attention par une découverte ancienne dans des circonstances mal définies. Depuis, trois nouvelles spatules ont été trouvées dans un environnement qui concourt à leur attribuer un caractère rituel (fig. 1). Elles ont en commun une extrémité plus ou moins pointue et aplatie, alors que l’autre se divise en deux branches assez courtes au‑dessus desquelles existe une perforation. La très faible épaisseur de l’une d’entre elles ne permet guère de leur attribuer une fonction d’outil. Deux d’entre elles ont, à l’extrémité des branches, des renflements taillés dans l’os spongieux de l’apophyse et le tissu réticulaire qui a partiellement disparu. Une autre, taillée dans une omoplate, porte un petit trou au même endroit des branches, probablement pour y fixer une partie saillante. La spatule ancienne porte en outre une excroissance semi‑circulaire au milieu des côtés avec une petite cavité conique du côté interne.

4Ces spatules ont été trouvées en place dans des tombes, toutes du côté gauche de la tête des défunts en position allongée, l’une d’elles la pointe en bas et les deux branches opposées contre la paroi de gravier, ce qui prouverait qu’elles n’étaient pas destinées à servir de piques. Les tombes les possédant sont profondes et de grandes dimensions ; leur position dans la tête des enceintes funéraires allongées ne diffère pas des autres. Leur proximité du grand monument principal à tertre élevé paraît être volontaire et correspondre à une période précise de l’utilisation de ces structures. Le gigantisme de ce monument semble indiquer un but cultuel. Parmi les rares fragments de céramique recueillis dans le fond du grand fossé, l’un d’eux appartient à une période ancienne du Danubien de l’Yonne (décor au trait d’un motif en T), les autres s’échelonnent au Danubien récent, alors que les céramiques des tombes voisines sont toutes de la transition du Danubien récent au Danubien final, variété de Cerny.

13.1 Recherche de l’origine des spatules

5Si cet ensemble de structures et d’objets particuliers avait pour but la pratique d’un culte, des correspondances devraient se retrouver ailleurs. Mis à part les quelques groupes de monuments funéraires décelés dans l’Yonne, il faut s’éloigner des frontières pour faire de rares rapprochements en Tchécoslovaquie et en Pologne, bien que leur datation paraisse nettement plus récente. Les tombes et la position du corps ne présentent pas assez d’originalité pour fournir une preuve d’une appartenance à un culte.

6La forme originale de la première spatule et la confirmation de détails apportée par les autres contribuent à préciser le caractère anthropomorphe qui n’est pas évident sur les dernières. Ce n’est donc pas un modèle fixe que l’on doit rechercher mais des apparentements. Il faut remonter la voie de la migration danubienne. En Allemagne, dans le Rubané, plusieurs spatules de la vallée du Rhin n’avaient pas attiré l’attention des chercheurs à cause de leur forme fonctionnelle, plate à leur extrémité. L’une d’entre elles possède deux excroissances latérales bien marquées. Dans le Bassin du Danube et à la période considérée, ou quelque peu antérieure, il existe un certain nombre de ces objets en os qui ont des similitudes et des variantes. En Yougoslavie, à Kakanj, une spatule possède deux excroissances latérales en anneau et les jambes sont à peine indiquées comme si un vêtement les recouvrait (fig. 2). L’autre extrémité est seulement une longue tige plate. Dans la basse plaine du Danube, comme dans les autres parties du Bassin, il ne semble pas que les spatules aient été déposées dans les tombes, différentes en cette région de celles de Passy. Dans les habitats, les spatules sont nombreuses et parmi elles se trouvent des variantes des spatules anthropomorphes. La fourche est généralement plus courte, les excroissances latérales bien marquées et la pointe est remplacée par une tige plate comme celle de Yougoslavie. Ces objets en os ne semblent pas pouvoir être fonctionnels. En Turquie d’Asie et au‑delà ce type de représentation n’apparaît pas clairement, Les recherches dans les autres régions n’ont pas abouti. L’origine de ces objets particuliers semble bien se centrer dans le Bassin du Danube et le long de la voie de migration danubienne. Cette approche du problème cultuel n’apporte rien de nouveau. Si ces spatules représentent un symbole de culte, il devrait y avoir d’autres représentations.

13.2 Les statuettes et figurines

7Le Danubien et le Rubané de la vallée du Rhin ne réalisaient guère de représentations humaines, mis à part de rares exceptions sur des vases. Déjà dans la haute vallée du Danube quelques figurines animales ou humaines apparaissent mais elles restent sans liens apparents avec les spatules (Hasotti 1978). La basse plaine, principalement en Roumanie, révèle de nombreuses statuettes et plus particulièrement certaines à long cou, sans tête, avec des excroissances latérales et saillantes, parfois des bras esquissés, un bassin assez large, des jambes et des pieds plus ou moins représentés. Certaines sont très proches de la silhouette de Passy et d’autres de celle de Kakanj. Le rapprochement est suffisamment éloquent pour y voir la même représentation (fig. 3).

8L’aire de dispersion de ce modèle s’étend le long de la mer‑Egée et ne dépasse guère la basse plaine du Danube. Cependant si l’on considère les variantes qui peuvent marquer une évolution, l’aire s’agrandit et occupe la Yougoslavie. Ces nouvelles représentations appartiennent pour‑la plupart à une période un peu plus récente que celle des spatules de Passy (Neagu 1980).

9On doit noter que l’interprétation du caractère anthropomorphe des spatules se trouve confortée par l’existence d’un renflement érodé à l’extrémité des branches de deux des spatules, figurant ainsi des pieds, qu’une troisième devait avoir fixés au moyen d’une cheville.

13.2.1 L’interprétation des statuettes

10Si l’allure générale de ces statuettes est bien une représentation féminine, la partie supérieure suggère fortement une représentation phallique ou même l’ensemble de l’appareil masculin. Ces statuettes représenteraient donc une double sexualité. La présence sur certaines statuettes, de bras disproportionnés, soit exagérément petits ou au contraire importants, le modelage d’un nez, plus rarement des orbites et des yeux vers l’extrémité du cylindre formant le cou, sont des éléments destinés à cacher le caractère d’androgynie comme par pudeur (fig. 4).

11A l’opposé, dans cette région sud‑orientale de l’Europe, les spatules proches de la forme de Passy sont dépouillées des caractères féminins ou phalliques de telle sorte qu’il est difficile de leur attribuer les qualités d’anthropomorphe ou d’androgyne : elles deviennent symboliques au même titre que la croix nue. En progressant vers nos régions occidentales, elles acquièrent le trou ombilical, probablement pour souligner le symbole féminin en opposition avec la forme allongée parfois pointue qui se trouve sur nos spatules. Quel rapport ont ces symboles avec le culte ? Dans les civilisations sud‑orientales, la représentation solaire sur la céramique et sur des plaques ornementales gravées en forme de rosette, suggère le culte du soleil et les vases rituels contenant des grains de blé carbonisés indiquent une relation avec la terre (Gimbutas 1968). Dans cette même région, les habitats ont livré des petits autels ou tables de culte avec statuettes. Tous ces témoignages indiquent des pratiques magico‑religieuses orientées vers le culte de la déesse‑mère intercesseur auprès du soleil et de la terre. Cette interprétation de la représentation de la déesse mère par les spatules ne satisfait pas l’androgynie. Comme ces objets de culte semblent être apparus dès le déploiement des civilisations orientales sur les rives de la mer Egée et que les symboles qu’ils portaient se sont poursuivis bien plus tardivement que Passy, il est opportun d’en rechercher une interprétation plus lointaine.

13.2.2 Les apports du Paléolithique

12Au Paléolithique moyen, il existe peu de témoignages marquant le développement de la réflexion abstraite si ce n’est le dépôt de défunts sur un lit de fleurs qui dénote des notions de l’au‑delà.

13Dès le début du Paléolithique supérieur apparaissent des manifestations abstraites nouvelles, telle la pendeloque d’Arcy, symbole femelle, qui date de moins 35 000 ans. Bientôt, ces hommes réalisent les « Vénus » puis, ils gravent, à côté d’esquisses d’animaux, des vulves et des phallus déjà stylisés qui se schématisent rapidement en symboles. Ces signes mâles et femelles se trouvent sur des outils, des sculptures, des dessins sur les parois des grottes. Sur ce dernier support, ils apparaissent isolés et souvent associés par paires, parfois par groupes. De plus, différentes représentations du même symbole se côtoient comme s’ils avaient des sens différents. Leurs emplacements varient : certains sont en groupe, loin des animaux, d’autres proches ou sur des animaux. Ces signes semblent avoir un sens différent selon le type de figuration, comme une sorte d’écriture (Leroi‑Gouhran 1976). Ces ensembles ont une signification qui nous échappe. A titre d’exemple, comment peut‑on interpréter certains chemins de croix modernes si l’on ne connaît pas la progression de Jésus vers le calvaire ?

14La vie des hommes était liée au monde animal. Il était normal qu’ils représentent d’abord leur sujet principal, que ce soit au cours des occupations passées ou à venir, puis ils indiquaient les phases des opérations par des signes. Ces symboles, sortes de verbes, indiquaient, selon qu’ils étaient isolés ou groupés, une action, un état (être ou avoir) ou la parité, le couple, la multiplicité et, qui sait le bonheur.

15Comment transposer ces idées au Néolithique ? Si les spatules et les statuettes montrent l’association des symboles masculins et féminins, elles représentent également la déesse‑mère. Les deux significations ne sont pas éloignées et, dans certains cas, elles peuvent bien être données sous la même forme (Dodd‑Opritescu 1980 ; Marinesca‑Bilcu s.d.).

13.2.3 Recherche des représentations mâles au Néolithique

16Le Paléolithique s’achevait à peine en Occident que déjà les prémices du Néolithique apparaissaient au Moyen‑Orient. Aussi, c’est dans cette région qu’il convient de rechercher la continuité de l’utilisation des symboles et des moyens de communiquer avec l’au‑delà. Les représentations de sexe masculin ou seulement phalliques se révèlent assez nombreuses au Moyen‑Orient. En Égypte prédynastique, des cimetières ont livré des gravures féminines sur des phallus, ou parfois, seulement le triangle pubien est dessiné, autre genre d’association des deux symboles.

17L’Europe sud‑orientale possède un grand nombre de ces objets symboliques. La reproduction de l’élément viril était réalisée en différents matériaux, même en marbre et sous des formes très variées, minuscule ou gigantesque, cylindrique, en champignon ou en chapeau conique (Neagu 1979). De nombreux exemplaires portent un trou axial dans un souci d’imitation ; certains indiquent une circoncision avec parfois une profonde incision au sommet. Dans les périodes plus récentes, ces phallus sont décorés et peints. En Tchécoslovaquie à Bohuslavice (Moravie), un de ces objets réalisé en os appartenant au Lengyel a été orné de méandres au poinçon.

18Il ne semble pas que cette représentation soit absente de nos régions où on la trouve –rarement– sous la forme d’un boudin roulé, en céramique. Il est plus fréquent de trouver des fossiles genre belemnite ou des formes naturelles évocatrices dans des habitats situés à une assez grande distance des lieux possibles de ramassage. Doit‑on leur attribuer les mêmes valeurs symboliques qu’au Paléolithique ?

13.2.4 Recherche des représentations femelles au Néolithique

19Au Moyen‑Orient, les signes femelles sont remplacés par des représentations féminines, sous forme de gravure dans des panneaux, ou de sculpture. Il est intéressant de noter l’évolution de l’idée que l’homme se fait de la femme au cours des millénaires. Les premières statuettes présentent des femmes massives bardées de bourrelets de graisse avec des seins relativement petits, un bassin et des cuisses exagérément importants pour s’affiner progressivement (Circea 1976 ; Moldovan, Radu 1981). Le sujet est souvent composé avec des animaux et la femme est assise, rarement debout. Par la suite, elle prend l’allure des « Vénus » du Paléolithique au ventre et aux fesses saillantes, le bassin large et la tête petite. Les bras, presque toujours repliés, prennent un volume particulier et les pieds sont souvent absents, ou peu marqués. C’est alors que l’enfant apparaît timidement dans les bras de personnages dont l’allure n’est pas toujours féminine (Müller‑Karpe 1968).

20En Europe sud‑orientale, les statuettes androgynes, au profil si proche de celui de la spatule ancienne, occupent une place prépondérante pour la céder ensuite à des figurines à demi assises. Celles‑ci ont le bassin large, les jambes se terminant souvent rapidement, la tête à peine marquée sur un cou plus ou moins allongé, les épaules le plus souvent absentes, et, lorsqu’elles existent, plus ou moins saillantes mais sans bras. Cette dernière représentation s’étend et continue dans les périodes plus récentes. Notons que ces figurines, avec deux renflements latéraux figurant les épaules, évoquent aussi l’appareil masculin, figuration certainement voulue. Il existe quelques cas où le cou et la tête sont absents ou laissent place à un trou. Ces statuettes ont des points de similitude avec celle de Noyen.

21Le signe femelle, hormis les figurines, n’apparaît pas avec netteté dans cette région au Néolithique. Si l’on se réfère à Platon qui voit dans la sphère le symbole féminin, il est possible que les boules artificielles ou naturelles aient échappé aux relations données. Dans nos régions, ces boules existent, elles ont été trouvées fréquemment dans tous les sites danubiens où elles ont été apportées. Elles sont connues aussi dans le Magdalénien (Marsangy). Peut‑on attribuer la même signification aux disques de terre cuite taillés dans les parois de vases (Gimbutas 1968) ?

13.3 Les représentations symboliques et le culte

22Les pratiques magico‑religieuses du Paléolithique étaient basées sur un mode de vie en milieu animal en perpétuel mouvement. Les relations étroites avec ce milieu ambiant pouvaient être assez facilement représentées. Les panneaux montrent d’abord les animaux –objets des principales préoccupations– que les signes affectent en priorité. Ces pratiques étaient donc représentées et les signes aidaient à l’interprétation qu’il fallait en faire, comme s’il s’agissait d’une écriture.

23Au Néolithique, le développement de l’élevage et de la culture des sols a modifié les désirs, les buts et les actions. La domestication a nécessité de pourvoir à l’alimentation des herbivores que les hommes élevaient. Il fallait donc de l’herbe abondante en toutes saisons. D’autre part, les travaux de culture, liés à l’activité précédente, relevaient du même ordre de préoccupation : avoir des conditions atmosphériques favorables à la croissance de la végétation et au mûrissement des récoltes.

24Si, au Paléolithique, la représentation des activités prédatrices était aisée, il n’en était pas de même au Néolithique où la chasse était une occupation secondaire. Avec ces activités nouvelles, ces désirs de pouvoir modifier les conditions climatiques, les grandes fresques devenaient difficiles à réaliser. Les scènes de chasse, avec parfois quelques signes mâles et femelles (Meggido), n’avaient pas été complètement abandonnées, mais l’essentiel des désirs du Néolithique était passé du concret à l’abstrait, d’où la représentation symbolique.

25Si les faits sont devenus légendes, certains ancêtres disparus, des dieux, les symboles sont restés les seuls témoins des incantations. Les dieux et les légendes n’ont pas laissé de traces en Europe pour la période qui nous concerne. L’importance et le soin apporté à la construction de monuments funéraires réservés de toute évidence à quelques privilégiés ne représentent pas un travail purement gratuit. Le déplacement de 800 à 1 000 m³ de terre et de sable du monument principal de Passy, avec des moyens rudimentaires, ne devait être destiné qu’à satisfaire des désirs, soit en honorant des ancêtres, soit en priant un dieu de les exaucer. En enterrant certains de leurs morts dans des monuments moins importants, délimités par une palissade assujettie dans un petit fossé de la forme du symbole mâle, n’ont‑ils pas voulu perpétuer le pouvoir des défunts ?

13.4 Les spatules et le culte

26Les dépôts volontaires des spatules dans des tombes de formes particulières, situées autour d’un monument gigantesque, œuvre de nombreux participants certainement animés d’un même idéal, incitent à penser qu’ils correspondaient à un culte.

27La forme anthropomorphe s’est avérée féminine par comparaison avec les statuettes sud‑orientales. Entre ciel et terre, une population rivée au sol nourricier et sujette aux caprices du ciel jetait donc son dévolu sur une déesse bivalente. Cette relation femme‑terre n’est pas seulement une image symbolique ; elle devait être une réalité sociale, Les travaux des champs étaient réservés aux femmes comme l’ethnologie nous en fournit bien des exemples.

28Le modelage de la partie supérieure des représentations féminines par l’allongement et le grossissement du cou pour donner l’illusion d’un membre viril et les épaules ou la poitrine en bourse est symptomatique du désir de montrer aussi une vertu mâle. C’est le signe de l’action du Paléolithique, il montre le pouvoir, celui d’agir, de créer, de procréer. Cette divinité avait le pouvoir de détourner les injures du ciel pour assurer la prospérité. C’était bien une déesse de l’abondance.

29La forme des spatules suggère aussi un plantoir, instrument aratoire qui a dû servir dès les balbutiements de la culture. C’est l’instrument qui matérialise le mieux l’idée de procréation, celui qui donnait le pouvoir de mettre les graines en terre.

30Les associations d’un enfant et d’un adulte sont rares dans les représentations de cette période néolithique et donnent l’impression d’accompagner plus souvent un homme qu’une femme. Les gravures ou sculptures de mère portant son enfant dans les bras apparaissent plus tard vers la fin du Néolithique, comme d’ailleurs les femmes enceintes. L’idée de mère est à écarter et le nom trop souvent attribué de déesse‑mère semble abusif pour cette partie du Néolithique.

31Le dépôt des spatules dans les tombes correspond au moment précis du passage du Danubien récent au Danubien final qui correspond aussi à un changement de la céramique, à des apports nouveaux (vases Grossgartach, vases à ouvertures anguleuses) et à l’introduction des tombes dans les monuments de Passy. La première spatule trouvée hors tombe serait plus ancienne. Il se pourrait que le culte se pratiquât aussi sur des autels familiaux comme en Europe sud‑orientale et que les spatules fussent taillées dans un matériau plus périssable comme le bois.

13.5 L’état de la pensée au Néolithique

32Les spatules de Passy ont soulevé le problème du culte au Danubien qui semble appartenir au grand courant de l’évolution de la pensée, à un moment où les influences du Paléolithique se font encore sentir. Cette évolution aborde un nouveau stade où les symboles ne sont plus des états ou des actions directes ; ils sont devenus des témoins de suggestions ou d’incantations. Les mêmes signes ont simplement changé de valeur ; de concret ils sont devenus des éléments courants d’abstraction que nous avons d’ailleurs conservés. La vie courante fourmille de ces suggestions, ne serait‑ce que la publicité : la virilité par un homme, la douceur par une femme, les associations d’intérêt par le couple ou le groupe. Si par la suite les signes symboliques mâles et femelles ont disparu, leur influence n’en a pas moins contribué à faire avancer la pensée vers l’abstraction et l’écriture. Tel est le sens que je crois devoir donner à ces différents objets.

33La notion de culte est incontestable. L’adoration d’un être supérieur, transcendé en déesse d’abondance ayant des pouvoirs de création ne l’est pas moins. L’aire géographique du symbole de ce culte a apparemment occupé, à la fin du Danubien, toute la partie sud‑orientale de l’Europe, les bassins du Danube, du Rhin, de la Seine et peut‑être aussi la vallée de la Loire. L’évolution de la représentation symbolique, par des déesses à demi assises connues dans la même région sud‑orientale et trouvées dans des contextes chasséens, indique une évolution généralisée et certainement une continuité dans la pratique de ce culte (fig. 5). Il existait alors une unité de pensée européenne.